Les espaces du tourisme : entre ordinaire et extraordinaire. Remarques, Synthèse, Conclusions, Perspectives
Texte intégral
1Choisir d’interroger les lieux touristiques et de loisirs sous l’angle de la dualité lieux extraordinaires-lieux ordinaires, notion essentiellement évolutive, constitue sans conteste un choix judicieux car il impose à tous de prendre en compte les dynamiques des territoires et des lieux et de se poser de la sorte une question fondamentale de la géographie : comme se font et se défont ces territoires et ces lieux ?
2Et cette question semble particulièrement pertinente dans le cas des espaces touristiques où les évolutions sont rapides car les touristes, que nous sommes tous, sont souvent en quête de nouvelles aventures délaissant dès lors certains territoires pour d’autres et provoquant par voie de conséquence des pertes ou des gains d’attractivité parfois très rapides. Certes, les touristes ne sont pas les seuls responsables des évolutions : il faut évoquer également le rôle des promoteurs, des investisseurs, voire des pouvoirs publics dans la mise en tourisme de nouveaux espaces comme de leur abandon. Le secteur du tourisme est en effet un secteur important de nos économies représentant plus de 10 % du PIB mondial et pour de nombreux responsables tant publics que privés une réelle opportunité de développement. Ajoutons que la thématique retenue est une question encore peu prospectée, d’où également son intérêt.
3Je voudrais donc remercier en votre nom à tous les organisateurs de cette journée et en particulier le Professeur Édith Fagnoni d’avoir opéré un tel choix, sans doute judicieux mais aussi risqué (mais chacun connaît sa détermination) car il fallait pouvoir rassembler en une journée une vingtaine d’intervenants acceptant un samedi de relire leur travaux à travers ce prisme nouveau et de le faire dans un cadre contraint : des interventions limitées à 20 minutes.
4Je voudrais aussi remercier les trois responsables de cette séance de l’AGF (Édith Fagnoni, Sébastien Jacquot et Francesca Cominelli) d’avoir pensé à débuter cette journée par le témoignage de deux grands géographes : d’une part, Rémy Knafou un pionnier de la géographie du tourisme, qui nous a relaté sa trajectoire personnelle ainsi que celle de son laboratoire, le MIT (Mobilités, Itinéraires, Tourisme) et, d’autre part, Paul Claval, le plus grand épistémologue français, qui a replacé la géographie du tourisme dans l’histoire générale de la géographie et dans celle de la géographie culturelle.
5Que retenir de toutes les interventions ? Sans doute beaucoup plus que les quelques lignes qui suivent, écrites certainement trop rapidement sans un vrai recul face à la masse d’informations et d’idées brassées au cours de la journée, ce qui devrait inciter chacun à relire à tête reposée les textes publiés. Néanmoins, comme il faut conclure, je le ferai en évoquant dix points qui ont retenu mon attention.
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Je retiens d’abord l’extraordinaire évolution de la géographie du tourisme qui a beaucoup changé depuis les années 1970. Après des débuts un peu timides s’expliquant d’abord par son arrivée tardive dans le champ du tourisme et la nécessité de devoir se faire une place à côté de l’économie, de l’histoire et des sciences sociales, et ensuite par un objet d’étude considéré par certains comme banal et moins sérieux que d’autres (peut-on vraiment travailler sur des lieux de vacances ?), la progression des recherches est très manifeste. On le doit à quelques pionniers comme George Cazes qui a réellement forcé la discipline à se doter de concepts et de méthodes pour aller lire les espaces touristiques du monde. La progression est aussi sensible au niveau des champs d’investigations dont on a pu aujourd’hui en découvrir quelques-uns.
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Sans aucun doute, le principal moment d’inflexion fut l’insertion de la géographie du tourisme dans le champ de la géographie culturelle, dans celui de la géographie des perceptions et des représentations et de l’imaginaire. Car les espaces touristiques ne peuvent se comprendre à l’aide des seuls facteurs rationnels : l’existence de ressources naturelles, la présence d’un patrimoine historique... ou en travaillant seulement sur des flux entre lieux émetteurs et récepteurs. Il faut prendre en compte tous les acteurs : les touristes, les organisateurs de voyage, les producteurs d’activités récréatives, les populations locales ou encore les pouvoirs publics et analyser leurs attentes, leurs valeurs et leurs comportements. À potentiel égal, les évolutions sont parfois bien contrastées comme l’a montré la comparaison entre l’évolution de l’Île Maurice et de la Polynésie française.
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L’évolution des lieux ne peut en outre s’expliquer – et Philippe Duhamel l’a bien mis en évidence – qu’en tenant compte des composantes intrinsèques de ces lieux (en particulier leur offre touristique) et en les considérant comme des systèmes ouverts influencés par le contexte dans lequel ils s’inscrivent et les nouvelles pratiques des acteurs extérieurs à ces lieux (nouveaux choix résidentiels par exemple). Ce qui montre la prodigieuse capacité des lieux touristiques à s’adapter, à se renouveler. P. Duhamel rejette ainsi le discours sur le déclin qui est pour lui un discours de nature plus politique et plus économique voulant forcer le changement mais peu pertinent pour comprendre les évolutions.
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Pour progresser dans les analyses, on a besoin d’affiner les concepts, de travailler sur les mythes... mais il faut aussi construire des grilles d’analyse (comme par exemple la grille visible-invisible proposée par Philippe Bachinon qui permet de revoir la distinction résidence secondaire-résidence principale) et élaborer des typologies (comme par exemple celle des espaces gay proposé par Emmanuel Jaurand).
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La distinction tourisme ordinaire-tourisme extraordinaire a surtout été discutée l’après-midi, notamment d’abord par Yannick Hascoët qui, bien qu’ayant travaillé sur un sujet relevant davantage de loisirs-excursions, ne manquait pas d’interpeller grâce à une autre grille qui mêlait tourisme ordinaire et mise en ordre et en conformité de ces quartiers de Marseille avec le système touristique et ses routines. Et il nous est apparu alors intéressant de rapprocher ses propos de ceux d’Hélène Pébarthe-Désiré sur les îles et de proposer à ces deux chercheurs de dialoguer sur leurs résultats relatifs à des espaces et des pratiques très différentes. Un rapprochement avec Emmanuel Jaurand me semblerait aussi intéressant car, une nouvelle fois, le questionnement était proche et aboutissait à mieux comprendre des logiques territoriales.
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L’exposé d’Aude Le Gallou (comme d’ailleurs celui de Yannick Hascoët) pose pour sa part la question du champ proprement dit de ce que l’on appelle tourisme. Les quartiers urbains ordinaires ou les ruines urbaines sont-ils de nouveaux lieux du tourisme, des fronts pionniers du tourisme urbain ? Certes les visiteurs sont rarement les habitants de ces lieux ou des zones proches et ne sont pas culturellement et socialement du même niveau, ce qui ne manque pas d’engendrer des tensions. Mais ces dernières ne sont-elles pas proches de celles observées lors de la visite par des Européens de villages africains, voire de territoires un peu à l’écart des espaces urbanisés en Europe du Sud ou de l’Est ?
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L’exposé de Dimitra Kanellopoulou a encore été un pas plus loin dans l’ouverture du champ du tourisme en considérant des visites du centre d’Athènes organisées par un groupe d’architectes pour la population autochtone comme des pratiques touristiques. Et me je suis alors interrogée sur mon propre passé dans le cadre d’ « Habiter Liège », quand pendant 15 ans, avec un groupe pluridisciplinaire (architectes, historiens, biologistes, géographes...), nous avons proposé aux habitants de la ville une visite mensuelle à la fois sur des thèmes particuliers (comme l’habitat du XIXe siècle, la mobilité ou l’environnement) ou des quartiers ou sous-quartiers de la ville. Je n’avais alors jamais réalisé être une guide touristique car notre but était tout autre : amener les habitants à devenir des acteurs de leur ville en les aidant à s’interroger sur leur quartier, les problèmes rencontrés... et en s’impliquant progressivement dans la gestion de leur cité.
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Assez logiquement, la distinction ordinaire-extraordinaire touche aussi le tourisme événementiel bien analysé aujourd’hui à travers les cas des marchés de Noël en Alsace par Alexandra Monot et les fêtes de la truffe et du cochon présentées par Vincent Marcilhac et Vincent Moriniaux.
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Face au public ici présent, constitué principalement de futurs enseignants, la journée ne pouvait se terminer sans une réflexion sur la place de la géographie du tourisme dans les manuels scolaires et les programmes. C’est ce qu’a fait avec beaucoup de précision Caroline Leininger-Frézal. Il est en effet fondamental pour ceux qui préparent les concours de mieux comprendre comment les concepteurs des programmes ou les auteurs des manuels scolaires prennent en compte le tourisme et comment le tourisme permet de travailler les concepts et les notions de la géographie ainsi que de renouveler certaines pratiques scolaires.
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La géographie du tourisme ouvre de nombreux champs d’investigation, souvent insoupçonnés des géographes étrangers à cette thématique. Son principal mérite est certainement de ne pas laisser de côté une partie importante des pratiques sociales et spatiales de nos contemporains et de prendre aussi en compte le poids de ces activités dans la dynamique des organisations territoriales et ce à différentes échelles.
Pour citer cet article
Référence papier
Bernadette Mérenne-Schoumaker, « Les espaces du tourisme : entre ordinaire et extraordinaire. Remarques, Synthèse, Conclusions, Perspectives », Bulletin de l’association de géographes français, 95-4 | 2018, 643-646.
Référence électronique
Bernadette Mérenne-Schoumaker, « Les espaces du tourisme : entre ordinaire et extraordinaire. Remarques, Synthèse, Conclusions, Perspectives », Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 95-4 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2019, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/4378 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.4378
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