Navigation – Plan du site

AccueilNuméros95-4Espaces marginaux et fronts pionn...

Espaces marginaux et fronts pionniers du tourisme urbain : approcher les ruines urbaines au prisme de la notion d’(extra)ordinaire 

Marginal spaces and frontiers of urban tourism: the ordinary and the extraordinary in modern urban ruins 
Aude Le Gallou
p. 595-612

Résumés

Cet article s’intéresse aux valorisations touristiques émergentes des ruines urbaines contemporaines à partir des cas de Berlin et de Détroit. En s’appuyant sur une discussion des notions d’ordinaire et d’extraordinaire, il analyse les processus de (re)construction spatiale qui accompagnent l’appropriation touristique de ces espaces urbains marginaux. Ce tourisme de ruines interroge en effet l’évolution des imaginaires et des pratiques dont ils font l’objet. Envisagés comme des fronts pionniers d’un tourisme urbain qui s’affirme hors des sentiers battus, les ruines contemporaines mettent ainsi en évidence des enjeux d’appropriation de l’espace urbain qui dépassent la seule sphère touristique.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Nous employons alternativement les termes « friches (urbaines) », « ruines (urbaines) » et « lieux (...)

1Les ruines urbaines contemporaines font l’objet d’un intérêt croissant dans le champ médiatique comme dans les productions artistiques [Vergara 2003, 2016, Marchand & Meffre 2011] et scientifiques [Edensor 2005, Hell & Schönle 2010]. Caractérisés par un désinvestissement matériel et souvent symbolique, ces espaces singuliers occupent une position marginale dans les pratiques et les représentations ordinaires de l’espace urbain, dont ils constituent souvent des angles morts. Les ruines contemporaines sont ainsi habituellement envisagées dans une perspective négative et définies par l’absence des qualités attribuées à d’autres types d’espaces plus que par des qualités qui leur seraient propres [Edensor 2005]. Alors que la reconnaissance de la valeur patrimoniale des ruines anciennes est aujourd’hui communément admise, il en va tout autrement pour bon nombre d’édifices contemporains qui, une fois abandonnés, sont souvent considérés comme des portions d’espace problématiques plus que comme des atouts à préserver. Pourtant, dans la continuité d’un mouvement de revalorisation des friches urbaines1 qui prend des formes diverses [Vivant 2006, Andres & Grésillon 2011, Demailly 2015], on assiste au développement de mises en valeur des ruines contemporaines à des fins touristiques. Cela pose la question de l’appropriation par le système touristique d’espaces jusqu’alors considérés comme ordinaires, invitant à analyser la redéfinition des imaginaires et des pratiques qui y sont associés.

2Les analyses du fait touristique ont en effet longtemps reposé sur le postulat d’une rupture nette entre les sphères du quotidien et du tourisme, le premier étant associé à la notion d’ordinaire et le second à une dimension d’exceptionnalité proprement extra-ordinaire. L’ordinaire renverrait ainsi à la familiarité de pratiques, d’espaces et de sociabilités ancrés dans la récurrence du quotidien, tandis que l’extraordinaire serait indissociable d’une exceptionnalité fondée sur une rupture de familiarité. Si cette distinction entre ordinaire et extraordinaire est historiquement fondatrice de l’analyse du tourisme en sciences sociales, de nombreux travaux ont remis en cause cette dichotomie et souligné les hybridations qui caractérisent de plus en plus les phénomènes touristiques, tant en termes d’espaces que de temporalités et de pratiques [Condevaux & al. 2016]. Plus que la permanence d’une opposition binaire entre les deux termes, la recherche contemporaine souligne donc la porosité croissante des réalités qu’ils recouvrent. Les valorisations d’espaces dits ordinaires à des fins d’attractivité touristique constituent l’une des modalités de ce brouillage de catégories dont il est désormais nécessaire de repenser les contenus et les contours.

3À partir des exemples de Berlin et de Détroit, cet article propose d’interroger l’apport des notions d’ordinaire et d’extraordinaire à l’analyse géographique du tourisme urbain en s’intéressant au cas spécifique des ruines urbaines contemporaines. Il s’agit d’une part de rendre compte de la trajectoire d’espaces communément considérés comme ordinaires, qui sont progressivement intégrés à un système spatial touristique mobilisant des espaces matériels mais aussi des imaginaires géographiques. Certaines ruines urbaines contemporaines acquièrent dès lors le statut d’attraction touristique, fondé sur une forme d’exceptionnalité qui invite à reconsidérer leur catégorisation en tant qu’espaces ordinaires. D’autre part, cet article souligne les enjeux liés à la valorisation touristique de ces espaces singuliers en termes de stratégies institutionnelles, mais aussi de cohabitations entre les usages et les représentations de l’espace propres à différentes catégories d’acteurs. Dans un contexte où les contestations liées au tourisme font l’objet d’une attention croissante, il s’agit ainsi de mettre en évidence la spécificité des questions soulevées par la mise en tourisme des ruines contemporaines.

1. Terrains d’étude et méthodologie

  • 2 Ce dynamisme ne doit cependant pas occulter la persistance, voire l’aggravation, d’un certain nombr (...)
  • 3 La meilleure fréquentation de Détroit en termes absolus doit être relativisée par le fait que le De (...)

4Cet article s’appuie sur les premiers résultats d’une recherche doctorale en cours. Ce travail porte sur les pratiques, les imaginaires et les valorisations touristiques des lieux abandonnés dans une perspective comparatiste, à partir des cas de Berlin et de Détroit. Capitale de la République Fédérale d’Allemagne depuis 1991, Berlin est aujourd’hui une métropole européenne à l’attractivité touristique indéniable ; Détroit, première ville de l’état du Michigan, constitue en revanche un exemple emblématique de ville en décroissance, caractérisée par ailleurs par une forte ségrégation sociale et raciale. Ces deux métropoles occidentales présentent des similitudes intéressantes : l’une et l’autre ont connu une forte recomposition de leur espace urbain, consécutive à la chute du Mur et à la transition post-socialiste à Berlin et à une crise urbaine multiforme à Détroit. Ces ruptures historiques ont rendu nécessaire la mise en œuvre de stratégies de réappropriation, de reconversion et de réaménagement d’espaces urbains désormais inadaptés à la nouvelle situation politique, économique, sociale, voire démographique. Elles expliquent également l’importance dans le tissu urbain des ruines contemporaines qui, dans les deux cas, font l’objet de formes de réappropriations touristiques. Les trajectoires respectives des deux terrains considérés reflètent néanmoins des situations géographiques, économiques et sociales très différentes. Elles se distinguent d’abord par la nature et l’ampleur des bouleversements provoqués : là où Détroit souffre aujourd’hui encore d’une véritable crise urbaine dont la résolution n’en est qu’à ses prémices, Berlin jouit désormais d’un dynamisme économique et démographique attesté2. Les temporalités urbaines ne sont pas non plus comparables. D’une part, le déclin urbain de Détroit se comprend sur le temps long d’une soixantaine d’années tandis que la rupture berlinoise est précisément datée. D’autre part, les deux villes en sont aujourd’hui à des stades différents de leur trajectoire : Berlin a fait l’objet d’ambitieux projets d’aménagement et de développement urbain depuis plus de vingt-cinq ans tandis que Détroit n’en fait l’expérience que depuis quelques années. La question raciale est par ailleurs essentielle à la compréhension des dynamiques urbaines de Détroit [Sugrue 2014 [1996]], ce qui n’est pas le cas de Berlin. Enfin, leur inscription dans des contextes nationaux différents rend compte de l’intervention contrastée des échelons supérieurs de gouvernement et notamment de l’État fédéral, dont le rôle est beaucoup plus important à Berlin qu’à Détroit. Sur le plan touristique, les situations diffèrent également. Si Berlin occupe depuis plusieurs années le 3ème rang des villes européennes les plus visitées (13 millions de visiteurs en 2017), Détroit connaît une attractivité touristique plus récente (19 millions de visiteurs pour l’aire métropolitaine en 20173) et est à ce jour une destination émergente. Le tourisme prend des formes différentes dans l’une et l’autre ville. À Détroit, il repose largement sur une offre sportive et de divertissement [Che 2008] ainsi que sur un important tourisme d’affaires, tandis que Berlin est devenue une destination emblématique d’un tourisme urbain marqué par une forte interpénétration de ses espaces et de ses pratiques avec ceux du quotidien [Novy 2017]. Par ailleurs, l’attractivité de Berlin est aujourd’hui perçue comme problématique par de nombreux acteurs, au premier rang desquels les habitants, l’importante fréquentation touristique provoquant des nuisances que les acteurs institutionnels commencent à identifier comme constituant un enjeu politique. Dans le contexte de Détroit, la croissance du tourisme reste largement envisagée comme un apport précieux aux efforts déployés par les acteurs politiques et économiques pour redorer le blason de la ville. C’est à partir de ces deux cas d’étude que cet article propose d’analyser les évolutions de la géographie urbaine du tourisme dont témoigne le tourisme de ruines.

5La méthodologie mobilisée dans le cadre de cette recherche est essentiellement qualitative. Elle repose sur un croisement d’observation participante réalisée au cours de visites guidées dans les ruines urbaines, d’entretiens avec différents types d’acteurs (visiteurs et touristes, organisateurs de visites guidées, acteurs institutionnels impliqués dans les champs du tourisme et de l’aménagement urbain, et résidents) et d’analyse de discours et d’images à partir de sources essentiellement numériques. Une enquête par questionnaires auprès des visiteurs complète ce dispositif, auquel elle ajoute une dimension quantitative.

2. De l’exploration urbaine au tourisme de ruines : espaces et pratiques entre ordinaire et extraordinaire

6L’appropriation touristique des lieux abandonnés met en évidence la diffusion croissante du tourisme vers des espaces communément considérés comme ordinaires. Passant du statut d’espaces-rebuts [Edensor 2005] à celui d’espaces désirables, les ruines contemporaines incarnent ainsi l’affirmation d’un tourisme hors des sentiers battus [Gravari-Barbas & Delaplace 2015] qui contribue à la redéfinition des imaginaires et des pratiques dont elles font l’objet. Envisagée au prisme des notions d’ordinaire et d’extraordinaire, leur trajectoire invite à s’interroger sur les apports de ces catégories à l’analyse géographique du tourisme urbain.

2.1. Exploration urbaine et tourisme de ruines : éléments de définition

  • 4 L’ensemble des traductions proposées dans cet article sont de l’auteure.

7Les valorisations touristiques récentes des ruines urbaines contemporaines s’inspirent à plusieurs égards de la pratique de l’exploration urbaine. Étudiée depuis plusieurs années dans le champ anglo-saxon [Bennett 2011, 2013, Fraser 2012, Garrett 2011, 2012, 2014, Robinson 2015] mais peu documentée dans le champ francophone [Audin 2017, Offenstadt 2018], l’exploration urbaine (ou urbex, contraction de l’anglais urban exploration) consiste à « documenter, redécouvrir et explorer physiquement des espaces éphémères, obsolètes, abandonnés, en ruines et infrastructurels au sein de l’environnement bâti sans en avoir la permission »4 [Garrett 2014, p. 1]. Il s’agit autrement dit de s’introduire, souvent de manière illégale, dans des sites à l’abandon mais aussi dans des espaces fonctionnels interdits au public, comme les tunnels de métro. La pratique revêt ainsi une dimension transgressive voire politique qui se manifeste par la contestation de fait d’un ordre urbain perçu comme de plus en plus normatif et prescriptif. L’exploration urbaine serait une forme de « réaction envers la surveillance et le contrôle accrus de l’espace urbain » [Garrett 2014, p. 4] caractéristiques de la production capitaliste de la ville contemporaine, et valoriserait au contraire une pratique de l’espace urbain affranchie de toute norme imposée.

8Si pour Edensor « explorer une ruine est une forme d’anti-tourisme » [2005, p. 95], plusieurs auteurs s’interrogent néanmoins sur les rapports entre exploration urbaine et tourisme. Ils soulignent notamment certaines similitudes avec le tourisme sombre (dark tourism) et le tourisme d’aventure [Fraser 2012, Robinson 2015]. Fraser pointe toutefois à l’instar d’Edensor la contradiction entre la « confrontation non autorisée et non guidée avec l’espace » que permet l’exploration urbaine et la pratique touristique de « sites faisant l’objet d’une exploitation marchande ». Elle propose ainsi de considérer l’urbex comme « une consommation de l’esthétique et de l’expérience des ruines modernes générée par les participants, par opposition à des pratiques marchandes relevant du tourisme de masse » [Fraser 2012, p. 142].

9Notre approche consiste non pas à se demander si l’exploration urbaine est ou non une pratique touristique, mais à poser l’hypothèse que des pratiques touristiques originales se développent à partir de l’urbex, dont la médiatisation croissante contribue à populariser une esthétique de la ruine et une vision positive de ce type d’espaces. Ce sont ces pratiques que nous désignons par l’expression « tourisme de ruines », traduction de l’anglais ruin tourism, popularisé par les discours médiatiques concernant l’attrait qu’exerce le paysage urbain de Détroit sur les visiteurs depuis le milieu des années 2000. Si le terme a rencontré un succès certain, peu de travaux l’ont défini. Emma Slager propose d’y voir un « ensemble émergent d’activités [caractérisées par] l’attention qu’elles prêtent aux lieux marqués par l’abandon et le déclin urbain ». Il s’agirait alors d’« une forme de tourisme culturel de niche qui comprend des activités allant d’un tourisme formel et commercial à des explorations urbaines guidées et illégales. Les ruines présentées sont souvent industrielles mais incluent également des théâtres, des écoles, des espaces de bureaux, des bâtiments publics et des espaces résidentiels » [Slager 2013, p. 2]. La définition que nous retenons dans le cadre du présent article s’en rapproche. Nous envisageons le tourisme de ruines comme un ensemble de pratiques consistant à explorer des lieux abandonnés précisément parce qu’ils sont abandonnés (excluant par exemple les sites de friches qui feraient l’objet d’une valorisation patrimoniale ou de réappropriations artistiques) selon des modalités qui diffèrent de celles de l’exploration urbaine, notamment en termes de médiation. Si nous posons l’hypothèse d’un continuum de pratiques plutôt que d’une opposition binaire entre exploration urbaine et tourisme de ruines, c’est néanmoins au format spécifique des visites guidées que nous nous intéressons plus particulièrement, que celles-ci soient légales ou non. Du fait de leur valorisation touristique émergente, les ruines urbaines contemporaines peuvent alors être envisagées comme des fronts pionniers du tourisme, ce qui invite à réévaluer leur catégorisation en tant qu’espaces ordinaires.

2.2. À la conquête d’espaces (infra)ordinaires : les ruines contemporaines comme fronts pionniers du tourisme urbain

10Un certain nombre de travaux récents ont mis en évidence l’affirmation d’un tourisme hors des sentiers battus [Maitland & Newman 2004, Maitland 2008, Gravari-Barbas & Delaplace 2015] qui se caractérise notamment par une hybridation croissante des espaces, des temps et des pratiques considérés comme constitutifs des sphères respectives du tourisme et du quotidien. La diffusion du tourisme vers des espaces et des lieux considérés comme ordinaires contribue à l’émergence de « nouveaux territoires touristiques urbains, en investissant les marges, les coulisses, les interstices, les espaces périphériques » [Gravari-Barbas & Delaplace 2015, p. 2]. Le tourisme de ruines nous paraît relever de ce renouvellement des inscriptions spatiales du tourisme au sein de la ville. Il exprime en effet une forme d’appropriation de lieux et d’espaces marginaux et dépréciés, dont la dimension ordinaire devient paradoxalement un ressort d’affirmation d’une forme d’exceptionnalité. En cela, il invite à discuter les catégorisations spatiales binaires opposant ordinaire et extraordinaire pour mieux en souligner la porosité.

11Les ruines contemporaines sont souvent associées à des imaginaires spatiaux négatifs qui mettent en exergue leur supposée inutilité sociale et économique, la présence d’activités illégales en leur sein ou encore le danger que présente leur fréquentation [Bachimon 2014]. En ce sens, elles relèvent selon nous d’une forme d’infra-ordinaire, dans la mesure où les lieux considérés se situent en dehors et en deçà du champ de l’ordinaire : les caractéristiques négatives qui leur sont associées les excluent des espaces et des pratiques habituels de la ville. Du fait de leur abandon, elles restent pour l’essentiel en marge des espaces collectivement appropriés et valorisés par les sociétés urbaines, pour qui elles constituent davantage des « espaces de défamiliarisation » [Edensor 2005, p. 25] que des espaces ordinaires, lesquels impliqueraient une forme de familiarité.

12En dépit de ces éléments négatifs, le tourisme de ruines valorise précisément ces espaces infra-ordinaires. Cette forme de tourisme consiste en une offre certes marginale en termes quantitatifs mais néanmoins significative pour ce qu’elle révèle des évolutions des imaginaires géographiques attachés à la ville. Cette offre repose sur l’organisation de visites guidées dans les lieux abandonnés, qui combinent une prépondérance de la dimension esthétique de ces lieux au détriment des aspects historiques et une grande liberté de mouvement des visiteurs au sein des bâtiments. Dans le cadre de cet article, nous analysons les visites proposées par les entreprises Go2know à Berlin et Motor City Photography Workshop (MCPW) à Détroit, choisies en raison de leur position dominante sur leurs marchés locaux respectifs ; ces deux prestataires illustrent en outre une forme d’appropriation touristique structurée et professionnalisée des ruines contemporaines qui nous intéresse particulièrement. Ces visites se déroulent dans différents lieux abandonnés de chacune des deux villes et s’apparentent davantage à des visites libres qu’à des visites guidées au sens classique du terme. Après une brève introduction à l’histoire du lieu, les visiteurs sont laissés libres de l’explorer de manière autonome bien qu’un guide soit toujours présent. En termes de contenu, les offres des deux prestataires sont donc comparables.

13Une différence majeure tient cependant au fait que les visites de Go2know sont légales et font l’objet d’un accord préalable avec les propriétaires des lieux visités, alors que celles de MCPW ne le sont pas et reposent d’un point de vue juridique sur une violation de propriété, bien que la notion perde de sa pertinence dans le cas de bâtiments laissés à l’abandon et non sécurisés. Cela a une incidence sur le format de ces explorations guidées : Go2know propose plusieurs visites distinctes dont chacune est consacrée à un lieu particulier, tandis que le « Explore Detroit Tour » de MCPW consiste toujours en la visite de plusieurs lieux successifs qui varient selon l’évolution des possibilités d’accès et des conditions de sécurité (figure 1).

Figure 1 – Des visiteurs s’apprêtent à entrer dans le Duke Ellington Conservatory (Détroit), abandonné depuis 2014, dans le cadre de la visite « Explore Detroit Tour » proposée par Motor City Photography Workshop

Figure 1 – Des visiteurs s’apprêtent à entrer dans le Duke Ellington Conservatory (Détroit), abandonné depuis 2014, dans le cadre de la visite « Explore Detroit Tour » proposée par Motor City Photography Workshop

Source : photo personnelle, 2018

14L’émergence de ce type de pratique touristique manifeste une forme de « renversement du stigmate » [Condevaux & al. 2016] attaché aux ruines contemporaines : ces lieux répulsifs deviennent attractifs car porteurs d’une forme d’exceptionnalité singulière. Cela incite à reconsidérer les catégorisations dont ils font l’objet en termes d’ordinaire et d’extraordinaire. Leur attractivité nouvelle est fondée d’une part sur une esthétique inhabituelle prisée des amateurs de photographie, d’autre part sur la célébration paradoxale d’une marginalité initialement réprouvée. Ces éléments contribuent à l’identification des ruines comme « extraordinaires » en ce qu’elles contrastent avec les espaces habituellement pratiqués et appropriés. C’est en définitive par leur caractère (infra)ordinaire qu’elles deviennent extraordinaires au sein du paysage touristique, leur étrangeté étant susceptible d’alimenter une forme d’exotisme. Par ailleurs, la promotion de ces visites se réfère explicitement à l’exploration urbaine et situe l’extraordinaire dans le rapport à l’espace autant que dans les lieux eux-mêmes. L’exploration est ainsi valorisée comme un mode de pratique qui rompt avec l’ordinaire de la vie urbaine, contribuant à la construction d’un discours promotionnel qui présente comme exceptionnelle la possibilité d’accéder à des espaces singuliers. C’est en ce qu’elle permet à une poignée d’initiés de s’aventurer au-delà des espaces collectivement appropriés et de les pratiquer de manière relativement autonome que l’exploration représente une forme d’extraordinaire mobilisée par le discours touristique.

15La valorisation touristique des ruines urbaines contemporaines s’appuie ainsi sur la construction d’un extraordinaire qui repose à la fois sur les caractéristiques des espaces considérés et sur les modalités de leur pratique. Ils peuvent être envisagés comme des fronts pionniers du tourisme urbain dans la mesure où ces espaces liminaux, en marge des pratiques quotidiennes comme des pratiques touristiques, sont progressivement intégrés à l’œcoumène touristique à la faveur d’un « processus d’enchantement » [Condevaux & al. 2016] qui contribue à la complexification des imaginaires spatiaux. L’ordinaire, voire l’infra-ordinaire, devient alors extraordinaire. Cependant, cette valorisation touristique d’un extraordinaire spatial redéfini s’accompagne paradoxalement d’un mouvement inverse de normalisation de la dimension alternative et transgressive de l’exploration urbaine, qui dès lors semble entrer dans le champ de l’ordinaire.

2.3. La normalisation touristique d’une pratique alternative, une banalisation de l’extraordinaire ?

16La réappropriation par le tourisme de ruines des espaces de l’exploration urbaine mais aussi de certaines de ses caractéristiques peut être analysée comme une forme de normalisation de cette pratique à plusieurs points de vue. Nous synthétisons ici les conclusions développées dans une publication antérieure [Le Gallou 2018].

  • 5 Réalisée en 2017, cette analyse porte sur un échantillon de 78 commentaires publiés entre 2010 et 2 (...)

17La valorisation touristique introduit en premier lieu une médiation dans le rapport à l’espace. L’exploration urbaine repose en effet sur la conviction que la recherche, l’accès et l’interprétation des lieux doivent être pris en charge par l’explorateur lui-même et relèvent ainsi d’une relation directe et intime entre l’individu et le lieu exploré [Ninjalicious 2005, Garrett 2012]. Le tourisme de ruines consiste au contraire à proposer au visiteur une exploration clé en main de lieux pré-sélectionnés dont l’accès est d’emblée garanti. Bien que disposant d’une grande liberté dans leur exploration des lieux, les participants sont accompagnés d’un guide qui leur indique les éventuels risques notables et les oriente vers les parties du bâtiment jugées les plus intéressantes. Cette médiation implique également un rapport ambigu à la marginalité des ruines contemporaines. Cette dernière est mise en scène tout en étant domestiquée : le fait de s’aventurer dans ces espaces sur un mode touristique est valorisé uniquement dans la mesure où le dispositif de la visite constitue un cadre qui minimise les risques, réels ou fantasmés, impliqués par leur marginalité. Une analyse qualitative exploratoire des commentaires publiés sur le site internet TripAdvisor à propos des visites considérées5 suggère ainsi que les visiteurs valorisent une expérience spatiale perçue comme n’étant pas accessible à tout le monde, mais qu’ils vantent également le sentiment de sécurité et, dans le cas de Berlin, la légalité de la visite. Encadrement, sécurité et (relatif) confort entrent en contradiction avec la dimension transgressive de l’exploration urbaine, qui implique une confrontation pleine et entière aux risques inhérents à la pratique. En ce sens, le tourisme de ruines donne accès aux lieux abandonnés à un public plus large que celui des seuls explorateurs urbains. La construction de l’extraordinaire de la ruine repose ici sur le mythe d’une incursion dans des espaces situés hors du champ de la régulation touristique… espaces qui y sont pourtant intégrés dès lors qu’ils font l’objet d’une telle valorisation. Le tourisme de ruines introduit enfin une dimension marchande qui contraste avec la contestation d’un ordre urbain capitaliste exprimée, dans le cadre de l’urbex, par la pratique gratuite et désintéressée des marges de la ville. En s’inspirant de l’exploration urbaine, il implique donc une normalisation de ses caractéristiques. Celle-ci se traduit par la disparition partielle ou totale de la dimension alternative de l’exploration urbaine dans la manière dont elle est réappropriée sur un mode touristique.

18L’ancien sanatorium de Beelitz-Heilstätten, au sud-ouest de Berlin, illustre ce processus de normalisation. Construit à la fin du 19ème siècle et désaffecté depuis le milieu des années 1990, le complexe de Beelitz devient un haut-lieu de l’exploration urbaine berlinoise avant qu’une partie ne fasse l’objet depuis 2011 d’une valorisation qui relève du tourisme de ruines. L’un des pavillons, surnommé Whitney Houston Haus (figure 2), est particulièrement apprécié des photographes et donne lieu à des visites guidées proposées par l’entreprise Go2know jusqu’en avril 2018, date à laquelle débute la rénovation du bâtiment. L’appropriation touristique de ce lieu abandonné se traduit par sa valorisation marchande dans un cadre légal et par la mise en place de mesures de sécurisation visant à empêcher les intrusions (au rang desquelles comptent celles des explorateurs urbains). Cette valorisation s’accompagne d’une normalisation d’autant plus forte qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une réhabilitation du complexe, dans laquelle les visites guidées sont conçues comme un usage temporaire circonscrit à cette phase de transition.

Figure 2 – La Whitney Houston Haus de l’ancien sanatorium de Beelitz-Heilstätten près de Berlin

Figure 2 – La Whitney Houston Haus de l’ancien sanatorium de Beelitz-Heilstätten près de Berlin

Source : photo personnelle, 2017

3. Espaces ordinaires ou extraordinaires ? La catégorisation des ruines contemporaines comme marqueur d’appropriations spatiales contrastées

19Le tourisme de ruines repose donc sur une redéfinition des catégorisations spatiales distinguant espaces ordinaires et extraordinaires. Or ces catégories et leur contenu relèvent de processus de construction symbolique de l’espace qui évoluent dans le temps, et dont l’analyse doit prendre en compte les contextes de productions et les acteurs qui les mobilisent. En cela, le tourisme de ruines met en évidence des appropriations matérielles et symboliques contrastées de l’espace urbain, qui dépassent la seule sphère touristique. La diversité des représentations et des usages des lieux abandonnés permet de tracer les contours de différentes catégories d’acteurs dont les intérêts et les capacités d’action en matière de production de l’espace divergent. La mobilisation des notions d’ordinaire et d’extraordinaire contribue alors à éclairer les enjeux sociaux et politiques que soulève cette pratique touristique, mettant en évidence la disparité des situations entre Berlin et Détroit.

3.1. Tourisme de ruines et stratégies institutionnelles : un (extra)ordinaire relatif aux contextes géographiques

20Si les imaginaires touristiques émergents que suscitent les ruines urbaines favorisent leur valorisation marchande à des fins touristiques, ces dernières sont le fait d’entreprises dont les intérêts rencontrent un écho très variable auprès des acteurs institutionnels. En mettant en avant les lieux abandonnés plus que les lieux communément considérés comme attractifs, le tourisme de ruines s’appuie sur une image de la ville qui est appropriée différemment selon les contextes locaux. Cette niche touristique [Slager 2012] est donc inégalement intégrée aux stratégies d’attractivité touristique mises en œuvre à l’échelle de la municipalité ou de la région urbaine, entre intégration passive à Berlin et rejet assumé à Détroit.

21Troisième destination touristique européenne, Berlin bénéficie d’une indéniable popularité auprès des visiteurs, au point de devenir une ville emblématique des contestations suscitées par ce qui est perçu par une partie de la population comme une sur-fréquentation touristique [Novy 2013, 2016, 2017]. Dans ce contexte, les ruines urbaines sont perçues comme des lieux qui contribuent à l’atmosphère alternative de la ville, à l’instar des nombreuses friches créatives et artistiques, plus que comme des éléments négatifs. Certaines d’entre elles, à l’image de l’ancienne station d’écoute américaine du Teufelsberg, font d’ailleurs figure de hauts-lieux du tourisme alternatif berlinois. Le tourisme de ruines suscite ainsi une relative indifférence de la part des acteurs institutionnels responsables du développement touristique à l’échelle de la municipalité, comme l’attestent les entretiens menés en 2017 auprès de Dietrich Kalkum (responsable du secteur touristique au sein de l’administration municipale en charge de l’économie, de l’énergie et des entreprises) et Sönke Schneidewind (directeur du département culturel de l’organisation de promotion touristique VisitBerlin). Les ruines urbaines comme attractions touristiques semblent relever d’un extraordinaire désormais devenu ordinaire au sein du paysage touristique berlinois.

22La situation est très différente à Détroit, où les ruines contemporaines constituent le marqueur paysager par excellence d’une profonde crise urbaine. Les friches urbaines, qu’elles soient industrielles, commerciales ou encore résidentielles, y sont infiniment plus nombreuses qu’à Berlin : le taux de vacance résidentielle atteint 22,4 % en 2016, le taux de vacance commerciale 25,9 %. Les ruines sont donc un élément tristement ordinaire du paysage urbain, tout en manifestant l’ampleur extraordinaire des problèmes économiques, sociaux et raciaux dont souffre la ville. Elles sont dès lors considérées par les pouvoirs publics comme un problème à résoudre, par exemple par la mise en œuvre de programmes de sécurisation et de démolition [Hackworth 2016]. Dans ce contexte, les acteurs institutionnels et en premier lieu le Detroit Metro Convention and Visitors Bureau (DMCVB, office du tourisme et des congrès de l’aire métropolitaine de Détroit) manifestent un rejet très clair du tourisme de ruines. Celui-ci est en effet perçu comme une glorification du déclin de la ville alors que Détroit cherche au contraire à promouvoir l’image d’une « comeback city » attractive par un marketing urbain fondé sur le sport, la musique et le divertissement [Che 2008]. Michael O’Callaghan, vice-président exécutif et directeur de l’exploitation du DMCVB, résume la position de l’organisation en ces termes : « ce n’est pas le récit que nous voulons vendre » (entretien, 2017). Contrairement au laisser-faire berlinois, la position des acteurs institutionnels de Détroit est donc ouvertement défavorable à une pratique touristique qui se développe dès lors dans les interstices (spatiaux autant que juridiques) de l’espace urbain.

23Le tourisme de ruines renvoie ainsi à la question des images et des imaginaires de la ville, mobilisés par différents types d’acteurs, et met en évidence les tensions entre certains de ces imaginaires selon les contextes spatiaux et les acteurs impliqués. Au-delà des intérêts divergents en matière de construction symbolique de l’espace urbain, cela montre que les catégorisations reposant sur une dichotomie ordinaire / extraordinaire sont variables non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace et selon qui les produit et les utilise. Ce constat invite à s’intéresser plus largement à la question de l’appropriation différenciée de l’espace urbain envisagée au prisme des lieux abandonnés, qui nécessite d’envisager les implications sociales et politiques de leur valorisation.

3.2. Ordinaire de l’espace vécu et extraordinaire du lieu touristique : le tourisme de ruines comme révélateur de spatialités conflictuelles

  • 6 De nombreux travaux ont montré les limites d’une distinction binaire entre habitants et touristes, (...)

24Au-delà des enjeux qu’il révèle en matière de stratégies touristiques institutionnelles, le tourisme de ruines met en évidence la cristallisation par les lieux abandonnés d’une pluralité de représentations et d’usages de l’espace urbain qui entrent parfois en tension. Si de nombreux travaux récents soulignent la multiplication des situations conflictuelles liées au tourisme urbain [Colomb & Novy 2016], celles-ci naissent généralement du sentiment d’une « invasion » touristique perçue comme trop importante pour être absorbée par les sociétés locales. Dans le cas de la pratique qui nous intéresse, les tensions identifiées présentent la particularité de ne pas nécessairement apparaître dans le contexte d’une importante fréquentation touristique : elles sont d’ordre symbolique plus que matériel et touchent au sens donné aux ruines contemporaines. Le tourisme de ruines donne ainsi à voir une confrontation entre des spatialités habitantes et touristiques6 qui reposent largement sur des évaluations contradictoires des lieux abandonnés comme espaces ordinaires ou extraordinaires.

25Nous nous appuyons ici sur le seul cas de Détroit, où l’omniprésence des lieux abandonnés dans le paysage urbain explique le fait qu’ils y représentent un enjeu matériel et symbolique de première importance. À Détroit, les ruines urbaines constituent des lieux emblématiques de la confrontation entre spatialités résidentes et spatialités touristiques. Le tourisme de ruines repose en effet sur une pratique temporaire des lieux explorés, valorisés par les visiteurs pour leur esthétique et pour le contraste qu’ils présentent avec les espaces urbains habituellement pratiqués. En ce sens, les ruines contemporaines font l’objet d’une forme d’exotisation touristique fondée sur un différentiel de familiarité. Manifestations matérielles du déclin urbain, elles participent alors d’un extraordinaire touristique et deviennent des attractions pratiquées comme telles, impliquant souvent une ignorance des conditions de production de ce paysage urbain et des problèmes sociaux, économiques, raciaux et politiques qui leur sont associés [Paddeu 2016]. À l’inverse, les lieux abandonnés renvoient pour de nombreux résidents à l’ordinaire des espaces vécus [Zebracki & al. 2018]. Eléments familiers du paysage quotidien, ils sont souvent investis de significations particulières en vertu de leur place dans les trajectoires personnelles, mais sont également les supports matériels de nuisances concrètes relatives à l’insécurité, à la dévaluation foncière ou encore à la déstructuration sociale des communautés locales.

26Perçues et vécues différemment par les résidents et par les visiteurs, les ruines contemporaines de Détroit donnent à voir deux types de rapports à l’espace qui opposent l’ordinaire de l’espace vécu et l’extraordinaire de l’espace touristique (figure 3). Ce contraste est souvent interprété en termes sociaux et raciaux à Détroit, où la ségrégation est particulièrement marquée. Le tourisme de ruines y serait le fait de visiteurs blancs relativement aisés venus pratiquer sur le mode du tourisme ou du loisir des lieux perçus comme hors du commun, par opposition à une population résidente essentiellement afro-américaine et économiquement vulnérable pour qui ces lieux font partie d’un environnement quotidien. L’analyse de la pratique au prisme de la distinction spatiale ordinaire/extraordinaire met ainsi en évidence l’acuité des enjeux socio-spatiaux soulevés par le tourisme de ruines.

Figure 3 – Des participants au « Explore Detroit Tour » proposé par Motor City Photography Workshop devant une maison abandonnée dans le West Side de Détroit

Figure 3 – Des participants au « Explore Detroit Tour » proposé par Motor City Photography Workshop devant une maison abandonnée dans le West Side de Détroit

Source : photo personnelle, 2017

Conclusion

27Le développement du tourisme de ruines repose sur une redéfinition des catégories spatiales associées aux notions d’ordinaire et d’extraordinaire. L’appropriation touristique des ruines urbaines contemporaines est indissociable d’un renversement de perspective par lequel leur dimension (infra)ordinaire fonde paradoxalement la possibilité de leur valorisation. Leur exceptionnalité tient alors à une marginalité initialement répulsive qui devient désirable en vertu de la réévaluation dont ils font l’objet. Ce processus de transformation d’espaces ordinaires en espaces extraordinaires se double d’un mouvement inverse de banalisation des modalités de la pratique de ces espaces.

28L’analyse géographique des ruines contemporaines au prisme des catégories d’ordinaire et d’extraordinaire montre l’importance des processus de construction symbolique de l’espace, qui se manifestent notamment par la mobilisation d’imaginaires touristiques qui entrent parfois en concurrence avec ceux des acteurs institutionnels et des résidents. Ordinaire et extraordinaire, loin de renvoyer à des catégories immuables dont les contenus seraient clairement identifiables, relèvent au contraire de classifications évolutives et produites par différents types d’acteurs, dont ils reflètent les pratiques et les représentations spatiales. Dès lors, les mobilisations des catégories d’ordinaire et d’extraordinaire renvoient moins à un contenu spatial qu’à la pluralité de regards portés sur un même type d’espace par différents types d’acteurs en fonction d’intérêts parfois divergents.

29En définitive, l’approche géographique du tourisme de ruines permet d’éclairer les trajectoires des espaces marginaux que sont les ruines contemporaines en distinguant les processus communs des spécificités liées aux différents contextes urbains. Cette pratique émergente constitue une modalité de réintégration des ruines contemporaines à l’espace de la ville d’un point de vue matériel, en ce qu’elle en suscite une appropriation physique, et d’un point de vue symbolique, dans la mesure où elle favorise la redéfinition des imaginaires qui leur sont associés. L’analyse du tourisme de ruines enrichit également les réflexions sur les dynamiques spatiales contemporaines du tourisme urbain. Par l’attribution d’une valeur touristique à des espaces qui en étaient jusqu’alors dépourvus, le tourisme de ruines met en évidence la spécificité des enjeux socio-spatiaux et politiques que soulève la construction d’un « extraordinaire » touristique qui contraste avec les pratiques et les représentations de certains acteurs. En cela, l’analyse du tourisme de ruines contribue à la compréhension des recompositions actuelles des géographies urbaines du tourisme, mais permet également d’interroger plus largement les processus contemporains d’appropriation et de production des espaces urbains.

Haut de page

Bibliographie

Andres, L. & Grésillon, B. (2011) – « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives. Regards croisés européens », L’Espace Géographique, vol. 40, n° 1, pp. 15-30.

Audin, J. (2017) – « Dans l’antre des villes chinoises : lieux abandonnés et ruines contemporaines », Métropolitiques [En ligne], 19 juin 2017. URL: https://www.metropolitiques.eu/Dans-l-antre-des-villes-chinoises.html

Bachimon, P. (2014) – « Paradoxales friches urbaines », L’Information Géographique, vol. 78, n° 2, pp. 42-61. DOI : 10.3917/lig.782.0042. URL : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-l-information-geographique-2014-2-page-42.html

Bennett, L. (2013) – « Who goes there? Accounting for gender in the urge to explore abandoned military bunkers », Gender, Place and Culture, vol. 20, n° 3, pp. 630-646.

Bennett, L. (2011) – « Bunkerology – a case study in the theory and practice of urban exploration », Environment and Planning D: Society and Space, vol. 29, n° 3, pp. 421-434.

Bernt, M., Grell, B. et Holm, A. (dir.) (2013) The Berlin Reader. A compendium on urban change and activism, Bielefeld, Transcript Verlag, 280 p.

Che, D. (2008) – « Sports, Music, Entertainment and the Destination Branding of Post-Fordist Detroit », Tourism Recreation Research, vol. 33, n° 2, pp. 195-206.

Colomb, C. & Novy, J. (dir.) (2016) – Protest and Resistance in the Tourist City, Londres, Routledge, 344 p.

Condevaux, A., Djament-Tran, G. & Gravari-Barbas, M. (2016) – « Avant et après le(s) tourismes(s). Trajectoires des lieux et rôles des acteurs du tourisme « hors des sentiers battus ». Une analyse bibliographique », Via [En ligne], n° 9, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 20 mars 2018. URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/viatourism/409  ; DOI : 10.4000/viatourism.409

Demailly, K.-E. (2014) – Jardiner les vacants. Fabrique, gouvernance et dynamiques sociales des vacants urbains jardinés du nord-est de l’Île-de-France, Thèse de doctorat, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 512 p.

Edensor, T. (2005) – Industrial Ruins: Spaces, Aesthetics and Materiality, Oxford, Berg, 208 p.

Fraser, E. (2012) – « Urban Exploration as Adventure Tourism. Journeying Beyond the Everyday », in A. Hazel et R. Les (dir.), Liminal Landscapes. Travel, Experience and Spaces in-between, Abingdon, Routledge, pp. 136-161

Garrett, B. (2014) – « Undertaking recreational trespass: urban exploration and infiltration », Transactions of the Institute of British Geographers, vol. 39, n° 1, pp. 1-13.

Garrett, B. (2012) – Place Hacking: Tales of Urban Exploration, Thèse de doctorat, University of London, 359 p.

Garrett, B. (2011) – « Assaying history: creating temporal junctions through urban exploration », Environment and Planning D: Society and Space, vol. 29, n° 6, pp. 1048-1067.

Gravari-BarbaS, M. & Delaplace, M. (2015) – « Le tourisme urbain « hors des sentiers battus » », Téoros [En ligne], vol. 34, n° 1-2, mis en ligne le 14 juin 2016, consulté le 18 mars 2018. URL: http://teoros.revues.org/2790

Hackworth, J. (2016) – « Demolition as urban policy in the American Rust Belt », Environment and Planning A: Economy and Space, vol. 48, n° 11, pp. 2201-2222.

Hell, J. & Schönle, A. (dir.) (2010) – Ruins of Modernity, Durham, NC, Duke University Press, 528 p.

Le Gallou, A. (2018) – « From Urban Exploration to Ruin Tourism: A Geographical Analysis of Contemporary Ruins as New Frontiers for Urban Tourism », International Journal of Tourism Cities, vol. 4, n° 2, pp. 245-260. DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1108/IJTC-12-2017-0085

Maitland, R. (2008) – « Conviviality and Everyday Life: The Appeal of New Areas of London for Visitors », International Journal of Tourism Research, vol. 10, n° 1, pp. 15-25. DOI: 10.1002/jtr.621

Maitland, R. & Newman, P. (2004) – « Developing Metropolitan Tourism on the Fringe of Central London », International Journal of Tourism Research, vol. 6, n° 5, pp. 339-348. DOI: 10.1002/jtr.496 MARCHAND, Y. & MEFFRE, R. (2010) – The Ruins of Detroit, Göttingen, Steidl Verlag, 230 p.

Ninjalicious (2005) – Access All Areas: A User’s Guide to the Art of Urban Exploration, Canada, Infilpress, 242 p.

Novy, J. (2017) – « ‘Destination’ Berlin revisited. From (new) tourism towards a pentagon of mobility and place consumption », Tourism Geographies [En ligne], mis en ligne le 1er juillet 2017, consulté le 24 janvier 2018. DOI: 10.1080/14616688.2017.1357142

Novy, J. (2016) – « The selling (out) of Berlin and the de- and re-politicization of urban tourism in Europe’s Capital of Cool », in C. Colomb et J. Novy (dir.), Protest and Resistance in the Tourist City, Londres, Routledge, pp. 52-72.

Novy, J. (2013) – « « Berlin does not love you » – Die Tourismuskontroverse in einer von Besuchern “eroberten Stadt” », in A. Holm (dir.), Reclaim Berlin. Soziale Kämpfe in der neoliberalen Stadt, Berlin/Hamburg, Assoziation A., pp. 250-272

Offenstadt, N. (2018) – Le pays disparu. Sur les traces de la RDA, Paris, Stock, 250 p.

Paddeu, F. (2016) – « Les ruines de Détroit, fléaux ou opportunités de la décroissance urbaine ? Vers une éthique politique de la ruine », Frontières, vol. 28, n° 1, URL : https://0-www-erudit-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/fr/revues/fr/2016-v28-n1-fr02922/1038863ar/

Robinson, P. (2015) – « Conceptualizing Urban Exploration as Beyond Tourism and as Anti-Tourism », Advances in Hospitality and Tourism Research, vol. 3, n° 2, pp. 141-164

Slager, E. J. (2013) – Touring Detroit. Ruins, Representations and Redevelopment, Mémoire de Master en Géographie, University of Oregon, 63 p.

Stock, M. (2005) – « Les sociétés à individus mobiles : vers un nouveau mode d’habiter ? », EspacesTemps.net [En ligne], publié le 25 mai 2005, consulté le 24 janvier 2018. URL: https://www.espacestemps.net/articles/societes-individus-mobiles/

Sugrue, T. (2014 [1996]) – The Origins of the Urban Crisis: Race and Inequality in Postwar Detroit, Princeton, Princeton University Press, 432 p.

Vergara, C. J. (2016) – Detroit is No Dry Bones. The Eternal City of the Industrial Age, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 304 p.

Vergara, C. J. (1999) – American Ruins, New York, The Monacelli Press, 224 p.

Vivant, E. (2006) – Le rôle des pratiques culturelles off dans les dynamiques urbaines, Thèse de doctorat en Géographie, Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis, 420 p.

Zebracki, M., Doucet, B. et De Brant, T. (2018) – « Beyond Picturesque Decay : Detroit and the Photographic Sites of Confrontation Between Media and Residents », Space and Culture, mis en ligne le 1er février 2018, consulté le 3 mars 2018. DOI : 10.1177/1206331217753344

Haut de page

Notes

1 Nous employons alternativement les termes « friches (urbaines) », « ruines (urbaines) » et « lieux abandonnés » pour renvoyer à une même catégorie de lieux et d’espaces, dont nous soulignons cependant des caractéristiques différentes selon le terme utilisé. Quelques précisions terminologiques s’imposent donc. Par « friches (urbaines) », nous faisons référence à des terrains momentanément à l’abandon et souvent abordés au prisme de leur devenir potentiel ; le terme souligne ainsi la dimension temporaire de l’abandon, envisagé comme phase d’une trajectoire spatiale, et revêt une dimension fonctionnelle et aménagiste. Par « ruines (urbaines) », nous mettons l’accent sur le bâti et sa dégradation plus que sur les trajectoires et les potentielles réappropriations des espaces considérés ; à la différence des friches, les ruines sont nécessairement des espaces bâtis. À l’instar de « lieux abandonnés », le terme « ruines » souligne par ailleurs leur dimension esthétique et est de ce fait particulièrement employé par les prestataires touristiques et par les productions artistiques, notamment photographiques.

2 Ce dynamisme ne doit cependant pas occulter la persistance, voire l’aggravation, d’un certain nombre de problèmes (gentrification, difficile gestion de l’attractivité touristique ou encore effets de politiques urbaines néolibérales). Pour un aperçu de ces enjeux, voir la synthèse de Bernt et al. 2013.

3 La meilleure fréquentation de Détroit en termes absolus doit être relativisée par le fait que le Detroit Metro Convention and Visitors Bureau (DMCVB, Office du tourisme et des congrès de la région métropolitaine de Détroit) ne fournit de statistiques qu’à l’échelle de Metro Detroit, aire métropolitaine qui inclut selon l’acception du DMCVB les comtés environnants de Wayne, Macomb et Oakland. Par ailleurs, si la population de Metro Detroit est équivalente à celle de Berlin (autour de 3,8 millions d’habitants), sa superficie est significativement supérieure à celle de la capitale allemande (5095 km2 contre 891 km2).

4 L’ensemble des traductions proposées dans cet article sont de l’auteure.

5 Réalisée en 2017, cette analyse porte sur un échantillon de 78 commentaires publiés entre 2010 et 2017, dont 20 concernent Go2know (URL : https://www.tripadvisor.fr/Attraction_Review-g187323-d3660810- Reviews-Go2know-Berlin.html#REVIEWS, consultée le 3 septembre 2018) et 58 se rapportent à MCPW (URL : https://www.tripadvisor.fr/Attraction_Review-g42139-d6201165-Reviews- Motor_City_Photography_Workshops-Detroit_Michigan.html#REVIEWS, consultée le 3 septembre 2018). Au moment de l’extraction des données, cet échantillon correspondait à l’intégralité des commentaires publiés sur la plateforme TripAdvisor à propos des visites proposées par ces deux prestataires.

6 De nombreux travaux ont montré les limites d’une distinction binaire entre habitants et touristes, ont souligné la diversité des situations de mobilités intermédiaires [Maitland 2008, 2010 ; Novy 2017] et ont proposé d’envisager les pratiques touristiques comme définissant un mode d’habiter spécifique [Stock, 2005]. La distinction entre pratiques des résidents et des touristes nous semble néanmoins pertinente pour le cas spécifique que nous analysons ici.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 – Des visiteurs s’apprêtent à entrer dans le Duke Ellington Conservatory (Détroit), abandonné depuis 2014, dans le cadre de la visite « Explore Detroit Tour » proposée par Motor City Photography Workshop
Crédits Source : photo personnelle, 2018
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/docannexe/image/4241/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 604k
Titre Figure 2 – La Whitney Houston Haus de l’ancien sanatorium de Beelitz-Heilstätten près de Berlin
Crédits Source : photo personnelle, 2017
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/docannexe/image/4241/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 64k
Titre Figure 3 – Des participants au « Explore Detroit Tour » proposé par Motor City Photography Workshop devant une maison abandonnée dans le West Side de Détroit
Crédits Source : photo personnelle, 2017
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/docannexe/image/4241/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 564k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Aude Le Gallou, « Espaces marginaux et fronts pionniers du tourisme urbain : approcher les ruines urbaines au prisme de la notion d’(extra)ordinaire  »Bulletin de l’association de géographes français, 95-4 | 2018, 595-612.

Référence électronique

Aude Le Gallou, « Espaces marginaux et fronts pionniers du tourisme urbain : approcher les ruines urbaines au prisme de la notion d’(extra)ordinaire  »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 95-4 | 2018, mis en ligne le 31 décembre 2019, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/4241 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.4241

Haut de page

Auteur

Aude Le Gallou

Doctorante en géographie sous la direction de Maria Gravari-Barbas et Boris Grésillon, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Laboratoire EA 7337-EIREST (Equipe Interdisciplinaire de REcherche Sur le Tourisme) – Courriel : aude.le-gallou[at]univ-paris1.fr ou alegallou[at]outlook.fr

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search