1Au cours de ces dernières décennies, les festivals ont connu un développement considérable. Ce « phénomène festival » est à replacer dans « l’engouement des collectivités locales pour l’événementiel, surtout dans le domaine culturel » [Benito 2003]. Si ce constat vaut pour les événements artistiques, il vaut également pour les « événements culturels et récréatifs » [Di Meo 2005] organisés autour de la valorisation d’un produit alimentaire emblématique d’un territoire. La renommée du produit dépasse parfois la renommée du lieu. La mode des produits dits de terroir, quand elle rencontre l’engouement pour ces événements culturels et récréatifs, n’est-elle pas le moyen d’une mise en tourisme de lieux ordinaires ? L’objet de cet article est précisément de montrer que les fêtes organisées autour de produits et alimentaires locaux et typiques, jouent un rôle important dans le processus de « touristification » de lieux ordinaires. Pour réfléchir à cette dialectique lieu ordinaire/produit d’exception, nous avons mené une recherche sur deux produits très différents, d’une part la truffe et d’autre part les produits issus du cochon.
2En ce qui concerne la truffe noire (en particulier la truffe noire Melanosporum), on peut aisément montrer qu’il s’agit d’un produit d’exception dans des lieux ordinaires. Ce sont à la fois sa rareté, ses qualités aromatiques et l’image de ce champignon (le « mystère » de la truffe lié à un imaginaire tellurique et à une production très aléatoire, les vertus aphrodisiaques prêtées à cet aliment, l’association de ce champignon à des mets d’exception et à la consommation des élites) qui en font un produit d’exception et de luxe [Marcilhac, 2012]. Le choix de lieux ordinaires pour organiser des fêtes autour de ce produit d’exception contribue aussi à nourrir le "mystère" et la "rareté" de ce produit de niche. En même temps, ces espaces ordinaires valorisent leur territoire notamment quand ils sont situés dans des espaces faiblement touristiques (à l’exemple de Pulnoy en Meurthe-et-Moselle) ou dont l’image est peu associée à la truffe (à l’exemple de la Touraine).
3Pour les produits issus du cochon, c’est beaucoup plus compliqué car les produits renommés et en quelque sorte légitimés dans leur exceptionnalité par une AOP, la présence active d’une confrérie, un syndicat de producteurs, comme l’andouillette de Troyes ou le jambon de Bayonne, voisinent avec des produits beaucoup plus ordinaires comme le pied de cochon ou le boudin. Ordinaire doit ici être pris au sens de « très répandu géographiquement ». Car, contrairement aux fêtes de la truffe dont la carte se calque sur les grandes zones de production, les fêtes du cochon sont beaucoup plus ubiquistes et il s’agira d’expliquer pourquoi. Mais cette répartition plus « ordinaire » n’empêche pas que ces fêtes puissent, par leur ancienneté et leur ancrage même, faire ressortir le caractère extraordinaire, non du produit seul, mais bien du lieu grâce au produit. On pense par exemple au boudin de Mortagne-au-Perche.
4Une fois défini le produit extraordinaire, par rapport à l’ordinaire, entendons-nous sur l’espace ordinaire. L’espace ordinaire, c’est d’abord l’espace du quotidien, espace fréquenté quotidiennement, espace dont l’usage et l’expérience s’inscrivent dans le quotidien des individus [Cousin 2011]. Mais, et ceci et le corollaire de cela, c’est aussi l’espace peu ou pas touristique (tourisme diffus et ponctuel), lieu perçu comme banal, n’étant pas mis en valeur d’un point de vue touristique. Quant à l’espace extraordinaire, nous proposons de le définir comme l’espace dont l’usage ou l’expérience sont exceptionnels, hors de l’espace et du temps quotidien (week-end, vacances ...), l’espace organisé autour d’un marqueur spatial avec une forte valeur symbolique ; ou encore comme le haut lieu (touristique), l’espace fréquenté avec l’essor d’un tourisme de masse.
5Et la question est donc celle-ci : pourquoi et comment un produit alimentaire/produit du terroir peut-il faire d’un lieu ordinaire, peu touristique, un lieu extraordinaire, destination touristique d’un jour ou d’un week-end ? Quels sont les facteurs dominants : la taille et l’implantation du lieu (nombre d’habitants et proximité d’un autre centre touristique) ? La renommée et l’ancienneté du produit ou des activités qui l’entourent et permettent d’entretenir l’imaginaire ?
6En dehors de nos propres travaux sur la truffe, il existe très peu d’études spécifiques sur les fêtes gastronomiques de la truffe et des produits du cochon, si l’on excepte bien sûr les écrits régionaux et généraux sur ses produits locaux. L’étude de Aït Abdelmalik et Chauvigné [2001] sur l’andouille de Guémené est la plus proche de nos préoccupations mais elle porte sur la sociologie de la confrérie et non sur le lieu.
7Nous avons donc choisi de mettre en place notre propre méthodologie, pour une étude encore largement exploratoire, tout en nous appuyant sur la littérature scientifique en sciences sociales portant sur la mise en tourisme et la mise en fête à partir d’autres produits alimentaires ou viticoles emblématiques d’un territoire, à l’exemple des travaux de Claire Delfosse [2013], de Sophie Lignon-Darmaillac [2017] ou de Jacinthe Bessière [2006]. Nous avons récolté sur le moteur de recherche Google en décembre-janvier 2018 toutes les informations disponibles au sujet de fêtes qui se sont déroulées de janvier à décembre 2017. La recherche a été faite sur les mots clés suivants : fête/foire de/à l’andouille, boudin, etc, fête de la truffe, foire aux truffes, journée de la truffe, week-end truffier. Nous avons donc pu établir une base de données, comportant toutes les fêtes autour de la truffe et des produits issus du cochon en France sur l’année 2017 (de janvier à décembre 2017). Le risque qu’une manifestation nous ait échappé est faible car, même dans les rares cas où la fête n’apparaissait pas directement sur sa propre page internet, les sites des communes et les sites des journaux locaux s’en faisaient l’écho. Enfin, très peu de fêtes n’ont pas un rythme annuel ou n’ont pas pu se tenir en 2017, mais il nous a toujours été possible, en recoupant les informations, de retracer l’histoire de l’évènement. Pour chaque évènement, une recherche a été menée, toujours sur internet et parfois par téléphone auprès des organisateurs, afin d’obtenir les données suivantes : lieu, nombre d’habitants dans la commune, organisateur(s) – souvent association départementale des producteurs pour les truffes mais des acteurs beaucoup plus variés pour les produits du cochon –, activités proposées, date de création de l’événement, nombre de visiteurs. Ces deux dernières informations furent les plus difficiles à obtenir. En ce qui concerne la date, à côté des événements très anciens, il y a un grand nombre de manifestations récentes, parfois mouvantes (changement de lieu, de date voire de thème). Contrairement à ce qu’on aurait pu croire au départ, la grande majorité de ces fêtes sont assez récentes [Benito 2003]. Il sera d’ailleurs possible de montrer assez précisément le contexte et les motivations de plusieurs de ces créations, parfois fort éloignées de considérations gastronomique et même touristique (la politique s’en mêle dans le cochon). Pour la fréquentation, les sources ne sont pas nombreuses et souvent imprécises. Les articles de la presse locale se contentent souvent d’un vague « la foule était au rendez-vous » malgré la pluie ou sous le soleil, ou bien, dans le prolongement de l’esprit concours très fréquent lors de ces manifestations, estiment la fréquentation au métrage de boudin ou aux tonnes d’andouille consommés. Il s’agit d’une estimation très rudimentaire mais c’est la seule possible pour ces fêtes sans billetterie et donc sans comptage. L’évaluation de la fréquentation est d’autant plus malaisée pour la truffe que les quantités échangées restent toujours nimbées de mystère.
8Les fêtes de la truffe en France sont des événements annuels qui sont concentrés spatialement (sur quelques départements) et sur quelques week-ends durant la saison hivernale, peu ou faiblement touristique, dans des lieux ordinaires, principalement dans des petites communes de quelques centaines ou quelques milliers d’habitants (Fig.1). Elles correspondent à un type de tourisme événementiel, participant au développement de territoires ruraux [Piriou & al. 2017].
Figure 1 – Nombre d’habitants en 2015 dans les communes qui organisent des fêtes de la truffe
La plupart des fêtes sont consacrées à la truffe noire dite « du Périgord » (tuber melanosporum), qui est la plus renommée en France et qui est récoltée entre décembre et mars. Ces fêtes ont historiquement été implantées dans des lieux où se tiennent des marchés hebdomadaires de gros ou de détails de la truffe dans les régions de production (Fig.2)
9Les fêtes sont principalement organisées durant la saison de production de la truffe noire (melanosporum), sur une période de l’année qui est moins touristique (Fig. 3). Il s’agit d’événements annuels, et non d’événements hebdomadaires comme les marchés aux truffes entre décembre et mars.
Figure 2 – Les foires et fêtes autour de la truffe en 2017
Source : V. Marcilhac – Cartes et Données – Articque, 01-2018
Figure 3 – Répartition des fêtes de la truffe au cours de l’année
On observe sur ce graphique une concentration temporelle sur quelques week-ends en décembre, janvier, février. D’où une visibilité de ces événements organisés principalement dans des lieux ordinaires (non touristiques ou en saison basse pour le tourisme). Ces fêtes de la truffe ont une durée limitée le plus souvent à une seule journée (Fig.4).
Figure 4 – La durée des fêtes de la truffe en 2017
10Les associations (souvent appelées « syndicats », alors que les trufficulteurs sont le plus souvent des amateurs, qui cultivent les truffes pour leurs loisirs) de producteurs jouent un rôle central et moteur dans l’organisation de ces fêtes de la truffe. Sur les 29 fêtes de la truffe répertoriées, seules 5 ne sont pas organisées ou co-organisées par une association de producteurs. Dans les 5 cas n’impliquant pas des associations de producteurs, ce sont les municipalités et communautés de communes, les offices de tourisme, les comités des fêtes et des associations culturelles et commerçantes qui sont organisateurs ou co-organisateurs.
11Or les associations de producteurs et leurs adhérents, très actives dans l’organisation des fêtes de la truffe, s’impliquent en revanche beaucoup moins dans le développement de l’agritourisme truffier [Marcilhac 2016] pour différentes raisons :
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d’une part, une grande partie des truffières existantes ne sont pas déclarées fiscalement comme telles, mais simplement comme des terrains boisés ou des terrains en friche, et les trufficulteurs sont rarement des professionnels qui vivent de leur activité de production truffière ;
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d’autre part, le développement d’une activité touristique sur leur truffière amène les trufficulteurs à être davantage exposés au risque de vol de truffes, qui est l’une de leurs préoccupations majeures ;
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enfin les producteurs de truffes n’ont pas besoin de développer la vente directe pour écouler leur production, car l’offre est inférieure à la demande.
12Ceux qui développent l’agritourisme truffier sont majoritairement des vignerons qui ont diversifié leur activité avec la création de chambres d’hôtes et qui ont également planté ou hérité d’une truffière sur leur exploitation. L’agritourisme truffier leur donne l’opportunité de développer l’accueil de visiteurs sur la période hivernale et d’augmenter la vente directe de leurs diverses productions.
13Contrairement à l’agritourisme truffier qui relève d’une initiative individuelle, les fêtes de la truffe s’inscrivent dans une dynamique collective. Les différentes activités proposées (défilés de confréries, messe aux truffes, séance de cavage avec le chien truffier, l’organisation de repas truffés, etc…) durant les fêtes de la truffe contribuent à entretenir la réputation gastronomique et le mystère autour de ce produit d’exception (Fig.5). Elles participent également au sentiment d’appartenance des habitants à leur territoire [Di Méo 2002]. Comme l’écrivent Jacinthe Bessière, Élise Mognard et Laurence Tibère [2016], « en mangeant les nourritures des territoires visités, le touriste opère une rencontre intime avec les cultures locales, qu’il « incorpore » à la fois physiquement et symboliquement ».
Figure 5 – Programme de la fête de la truffe à Lalbenque en 2017
14Les fêtes de la truffe connaissent un essor important depuis le milieu des années 2000 à l’initiative des groupements de producteurs (Fig. 6). Ces événements permettent de développer une activité touristique en saison basse et dans des lieux ordinaires qui à l’occasion d’un événement festif annuel autour de ce produit d’exception attirent des centaines et des milliers de touristes.
15Aujourd’hui, avec la multiplication des fêtes autour de la truffe, on voit des liens s’établir entre associations de producteurs, collectivités territoriales, et acteurs du tourisme. L’Aude et l’Hérault sont les départements les plus dynamiques dans l’organisation de ces événements (Fig. 7), avec la structuration d’un réseau de fêtes « tournantes » sur plusieurs communes. Paradoxalement, les deux principaux départements de production truffière en France (Vaucluse et Drôme) sont moins dynamiques dans le développement de ce type de tourisme événementiel. Ce paradoxe peut s’en doute s’expliquer par le fait que l’Aude et l’Hérault sont à la fois des départements plus touristiques (avec un tourisme de masse sur le littoral méditerranéen et un tourisme plus diffus dans l’arrière-pays) et plus viticoles que les principaux départements de production truffière. Comme nous avons pu le montrer au sujet de l’agritourisme truffier dans le Vaucluse, ce sont les vignerons trufficulteurs qui sont les plus investis dans la valorisation touristique de la truffe en hiver, en parallèle avec le tourisme vitivinicole en période estivale.
Figure 6 – Ancienneté des fêtes de la truffe
Source : V. Marcilhac – Cartes et Données – Articque, 01-2018
Figure 7 – Répartition des fêtes de la truffe par département en 2017
16Ces fêtes de la truffe revêtent un enjeu identitaire et patrimonial pour les lieux de ces manifestations et le territoire environnant. C’est particulièrement le cas dans les petites communes où se tiennent durant toute la saison de production les marchés hebdomadaires les plus importants, comme Richerenches ou Lalbenque. L’animation de ces lieux ordinaires durant la saison trufficole est rythmée par les marchés aux truffes et la fête aux truffes est l’une des principales manifestations culturelles durant la période hivernale. La réputation de ce produit rare et cher attire dans ces lieux ordinaires des centaines de touristes, ce qui participe à la construction d’une identité alimentaire locale autour de ce produit.
17Les fêtes de la truffe correspondent surtout à une forme de tourisme culturel, visant à répondre à une attente des « touristes mangeurs » pour mieux connaître ce produit de réputation gastronomique, qui reste du fait de sa rareté et de son prix, très méconnu. Elles s’inscrivent également dans une forme de tourisme rural, la truffe étant associée à une découverte des traditions rurales ancrées localement ou régionalement. Elle peut ainsi être un vecteur de développement du tourisme rural, en étant associée à la découverte d’autres productions agricoles ou artisanales locales et régionales. Ces fêtes de la truffe revêtent ainsi des enjeux de développement territorial fondé sur la valorisation touristique et économique de productions traditionnelles locales et régionales.
18Pour pérenniser les fêtes de la truffe, il convient de renforcer la coordination entre les associations de producteurs, les offices de tourisme et les partenariats avec les collectivités territoriales. Comme le soulignait déjà la Fédération française des trufficulteurs en 2001, ces dernières « ont un rôle de sensibilisation à jouer car elles sont directement intéressées par les retombées locales des activités liées à la truffe ». L’absence d’une véritable coordination à l’échelle nationale pour le développement de ce type de tourisme événementiel autour de la truffe explique en partie qu’il soit moins développé en France qu’en Italie, où l’association nationale des Cités de la truffe (Associazione Nazionale Città del tartufo) met en place depuis une vingtaine d’années des campagnes d’information et de communication autour des événements touristiques liés aux truffes (notamment autour de la truffe blanche ou de la truffe noire). Force est de constater qu’en Italie, les manifestations organisées pour célébrer les différentes variétés de truffes sont beaucoup plus nombreuses qu’en France [Marcilhac 2006] et beaucoup plus ancrées dans l’histoire locale : la foire de la truffe d’Alba (dans le Piémont) est organisée depuis 1929, et cet événement est devenu « la fête nationale de la truffe » en Italie en 1963. En France, cette « fête nationale de la truffe » a existé de manière éphémère entre 2003 et 2009.
19La France rattrape un peu son retard par rapport à l’Italie dans la valorisation touristique de ce produit d’exception qu’est la truffe à travers l’essor récent et rapide d’un tourisme événementiel, mais il n’y a toujours pas en France de « fête nationale » (malgré des tentatives avortées à la fin des années 2000) ou de « foire internationale » de la truffe contrairement ce que nous observons en Italie et en Espagne.
20Quant au cochon, la France paraît aussi relativement à la traîne si l’on compare ses festivités à la vitalité des Sagra della Porchetta en Italie ou même des Schweinefeste en Allemagne. Mais la comparaison s’arrête là avec la truffe car les produits du cochon, même lorsqu’ils sont distingués par une appellation d’origine, ne sont ni aussi rares ni aussi chers.
21Le graphique Ventilation des 230 fêtes par produit (Fig. 8) révèle une très nette domination de la fête du cochon et de la fête du boudin. A elles deux, ces fêtes représentent près des deux-tiers des 230 manifestations recensées autour du cochon en 2017. Ces fêtes puisent leur origine dans les rendez-vous annuels des éleveurs qui étaient l’occasion à la fois d’achat de porcelets à élever et de vente de viande, donc d’abattage des porcs de l’année [Pastoureau 2009].
Figure 8 – Ventilation des 230 fêtes par produit issu du cochon en 2017
22On peut prendre pour exemple la traditionnelle foire aux cochons à Champigny-sur-Marne (94), qui remonte à 1563 (édit de Charles IX) et correspondait, en novembre, à la foire pendant laquelle les paysans s’échangeaient, vendaient ou achetaient des bêtes sur pied. Aujourd’hui, autant à cause de l’évolution des réalités du monde agricole que des règles d’hygiène qui interdisent en ville la présence d’animaux vivants, la foire garde son nom mais on n’y voit plus guère que trois petits cochons mascottes et la manifestation est surtout devenue le paradis des chineurs. Si la brocante est très souvent une activité associée à ces foires, le cas de Champigny, très urbain (plus de 76 000 hab.) est évidemment un cas extrême et nombreux sont encore les villages français qui continuent, à travers la confection sur place et la consommation de produits du cochon de perpétuer ce qui était autrefois une pratique courante dans nos campagnes, inviter famille, voisins et amis pour tuer et transformer le cochon en charcuterie. En ce temps-là, cela revêtait aussi une dimension économique dans le sens où cette charcuterie était ensuite consommée tout au long de l’année.
23La réglementation interdit bien évidemment la mise à mort du cochon sur le champ de foire mais la manifestation garde parfois dans son appellation le souvenir de ce moment si commun autrefois. Le produit (en l’occurrence tous les morceaux du cochon) peut bien avoir disparu ou bien avoir évolué (la mise à mort du cochon n’a plus lieu sur place), son évocation reste une occasion festive. C’est par exemple le cas de la « Tumbera di Rennu » (Corse). La tumbera signifie la tuaison du cochon et donnait aux villageois l’occasion de se retrouver autour de la confection du sangui (boudin) et autre figatelli (saucisse), tâche confiée aux femmes du village. En Lozère, on appelait cela la « Tuade du cochon » (Chastanier, 48). Dans le Quercy, « Granda Fèsta Porcala » (Montclar-de-Quercy). Dans le Nord, on trouve les « pourchiaunades », du patois pourchio qui veut dire cochon (Emerchicourt, 59). Dans les Pyrénées, il s’agit de la « Pourcailhade » (Trie-sur-Baïse, 65) ou de la « Pèlère » (Arzacq-Arraziguet, 64), comprendre le pêle-cochon ou le tue-cochon, ce moment de l’hiver où parents, voisins et amis se réunissaient pour tuer, vider et découper le cochon de la maison.
24Au mieux, certains villages se livrent à une reconstitution de la mise à mort du cochon (Besse-et-Saint-Anastaise, 63). A Arzacq-Arraziguet (64), on tente de coller davantage à la tradition : « l’animal, star du jour, après avoir été endormi, puis saigné dans une ferme voisine, sera conduit au hall des sports où une équipe d’experts la pèlera dans la "meit" traditionnelle. Ensuite la bête sera vidée et découpée devant le public. ».
25L’origine paysanne de ces rendez-vous se lit donc encore aujourd’hui dans leur saisonnalité, même si la tuade et les activités commerçantes liées n’est plus systématiquement pratiquée. Deux périodes sont privilégiées : octobre-novembre et janvier-février, sauf pour le cas particulier des fêtes des andouilles et andouillettes, beaucoup moins saisonnières, comme le montre les graphiques (Fig. 9, 10 et 11).
Figure 9 – Répartition mensuelle des 80 fêtes et foires au cochon en 2017
Figure 10 – Répartition mensuelle des 57 fêtes et foires au boudin en 2017
Figure 11 – Répartition mensuelle et des 31 fêtes de l’andouille et de l’andouillette en 2017
26À Saint-Lary-Soulan (65) ou à Besse-et-Saint-Anastaise (63) ou bien encore à Saint-Symphorien (48), la fête du cochon a lieu tous les ans lors du week-end le plus proche de la saint Antoine (le 17 janvier). L’éleveur amenait le porc destiné à la vente à la saint Antoine et repartait avec deux porcelets à engraisser afin qu’ils soient prêts pour le 17 janvier de l’année suivante. De là vient aussi l’habitude des concours de course de gorets, porcelets, comme par exemple à La Jumellière (49) où neuf gorets font un cent mètres et le public peut miser sur les gorets et les plus chanceux remporter un lot. Il s’agissait autrefois de juger de la vigueur et donc de la bonne santé des animaux. Quant aux nombreux concours d’imitation du cri de cochon (les « championnats de France » de la discipline sont organisés à la Trie-sur-Baïse depuis 1975), ils correspondent sans doute à une volonté d’ « exorciser » les plaintes du cochon mis à mort souvent perçues comme humaines (un cochon pleure comme un bébé). Tout le reste est du registre de la grivoiserie ou des paillarderies : concours de lancer de queue de cochon, concours (mixte) du plus gros mangeur de boudin, élection de miss boudin.
27La saint Cochon (Bourg-en-Bresse, 01 ; Besse-et-Saint-Anastaise, 63), aussi parfois appelée saint Boudin, est encore parfois le nom donné à la fête. Les dates et les pratiques sont variables selon les régions, mais se situent en général entre novembre et avril.
28Ces dates de saison froide sont la preuve qu’il s’agit davantage d’une volonté de perpétuer une tradition campagnarde locale que de dynamiser le tourisme estival dans les villages, même si cela n’empêche évidemment pas de fortes fréquentations (4000 participants à Arzacq-Arraziguet, 64, pour seulement 1093 habitants). On peut dès lors se demander si on a vraiment à faire à un processus de « touristification » de lieux ordinaires.
29Même si le rapport avec les fêtes agricoles traditionnelles du cochon et du boudin est évident, les fêtes de produits plus spécifiques comme l’andouille, l’andouillette (tous les autres produits présentent des valeurs trop faibles pour qu’il en soit tiré une analyse quantitative) révèlent des caractéristiques et notamment une saisonnalité différentes. A l’exception de Troyes pour l’andouillette et de Vire, Guémené et le Val-d’Ajol pour l’andouille, toutes les autres fêtes ne s’appuient pas sur un produit du terroir local mais sur ce que le produit générique représente de promesse de convivialité. La preuve en est que celui-ci peut être remplacé par un autre, au gré de telle ou telle édition. Par exemple, la fête des andouilles à Bèze (21), le 15 août, est devenue depuis quelques années celle de… la paëlla ! Il est vrai que la fête s’appelait fête des andouilles et des cornichons et qu’il s’agissait (depuis une quarantaine d’années tout de même !), selon le maire du village, de « couper avec l’époque où la fête des andouilles a dérivé et est tombée dans le ridicule. » Rien à voir donc avec la fête d’un produit local et authentique comme peut l’être l’andouille du Val-d’Ajol (88), qui ne bénéficie pas encore d’une AOP mais est déjà une marque déposée (depuis 1984) et se targue d’être fêtée chaque année en vertu d’une ordonnance de Louis-Philippe du 6 août 1831.
30La pierre de touche est donc l’existence ou non d’une confrérie ou d’un syndicat de producteurs ou les deux. Parfois, la fête est organisée par un groupement d’éleveurs qui cherchent à valoriser localement leur production et qui profitent de la tendance aux circuits courts et aux produits labellisés. C’est le cas par exemple dans le village de Mayrac (46), où a lieu une fête du cochon depuis 2007 organisée par le « Comité Porcin du Lot » qui a fait le choix d’une production d’un porc de qualité reconnue, que ce soit avec le Label Rouge « Porcs au Grain du Sud-Ouest » ou en salaisons avec les IGP Jambon de Bayonne et IGP Lacaune. Il est légitime de se demander si cette dynamique de reconnaissance d’une spécificité qualitative, explique la dimension touristique plus affirmée ou bien si c’est l’inverse. Bien souvent, il n’existe pas une telle organisation et la fête et sa tradition remonte au bon vouloir d’un comité des fêtes et du charcutier de la commune. Ainsi, à Cramoisy (60), pour sauver La fête communale dite "à l’andouille", le boucher habituel ayant pris sa retraite en 2009, la commune a racheté la recette traditionnelle pour la confier à un traiteur de Chantilly qui en assure depuis la fabrication. Ailleurs, le départ du boucher signe la fin de la fête ou sa reconversion.
31Cinq andouilles et leur fête respective méritent donc vraiment d’entrer dans la catégorie des produits extraordinaires pour des lieux ordinaires : La Docte Insigne et Gourmande Confrérie des Taste-Andouilles et Gandoyaux du Val-d’Ajol date de 1965, la confrérie des Chevaliers du Goûte-andouille de Jargeau (45) de 1971, la Confrérie des goustiers de l’andouille à Guémené-sur-Scorff (56) de 1994, la Confrérie des Chevaliers de la bonne Andouille d’Aire-sur-la-Lys (62) de 1981, La Confréries des faiseurs d’andouille de Charlieu (42) ne date que de 1997, créée par neuf bouchers charcutiers charliendins, afin de promouvoir la fameuse spécialité charcutière locale.
32Pour l’andouillette, la situation est un peu différente puisque celle-ci n’est pas défendue seulement par des confréries locales mais par une association. L’Association amicale des amateurs d’andouillette authentique (AAAAA) a été fondée dans les années 1960 sur l’impulsion de cinq chroniqueurs gastronomes amateurs de bonne charcuterie parmi lesquels figurent Francis Amunateguy et Robert J. Courtine, chroniqueur célèbre du quotidien Le Monde, sous le pseudonyme de La Reynière. Depuis, l’AAAAA parraine plusieurs fêtes de l’andouillette en France, comme celle de Clamecy (58). Aussi étonnant que cela paraisse, point de confrérie de l’andouillette à Troyes. Ni fête spécifique. Celle-ci a lieu à une vingtaine de kilomètres de là, dans la petite localité de Piney (1500 habitants), en mai… depuis 2016 seulement ! Une à Arras, mais depuis 1997 seulement. Et un cas exceptionnel d’une confrérie sans fête associée : la Confrérie Gastronomique Andouillette au Layon à Saint-Georges-sur-Loire (49).
33Faut-il incriminer le fait que l’andouille comme l’andouillette ne plaisent pas à tout le monde et que leur « popularité gastronomique », à l’heure où la population mange de moins en moins d’abats, est moindre ? Par rapport au boudin, qui peut être fabriqué par tout le monde, y compris telle ou telle association, club du troisième âge ou amicale des sapeurs-pompiers, l’andouillette suppose le savoir-faire d’un professionnel et pour cette raison se prête moins bien à l’émergence de fêtes. Nous parlons bien évidemment du boudin noir (une seule foire au boudin blanc, à Rethel (08), spécialité qui bénéficie d’une IGP).
34L’analyse des dates de création des foires et fêtes autour d’un produit lié au cochon est délicate. D’abord par manque d’information. Malgré une relance téléphonique de chaque site, l’information n’est disponible que pour 133 manifestations sur 229. Il n’est pas déraisonnable néanmoins de considérer que les 96 données manquantes correspondent généralement à des manifestations assez récentes car, lorsque la fête est ancienne les affiches annonçant l’événement ou les articles les racontant font toujours état du quantième. Ainsi, par exemple, Vire a-t-elle vécu en 2017 sa 29e foire à l’andouille et le Val-d’Ajol (88) sa 52e.
35On constate que le mouvement commence dans les années 1960 pour les plus anciennes créations. Ensuite, le rythme s’accélère dans la décennie 1980 (22 fêtes créées entre 1980 et 1990) et reste fort dans les trois suivantes (29 créations entre 1991 et 2000, 23 de 2001 à 2010 et 28 de 2011 et 2018). Bien sûr cela ne veut pas dire que les traditions ne sont pas plus anciennes. Il s’agit souvent de renaissances plus que de création, comme les organisateurs le soulignent d’ailleurs. Par exemple, l’association Pélère en Soubestre annonce la première "Fête du Cochon" à Arzacq le 16 mars en disant : « Festoyons autour du cochon, le 16 mars 2013 "La pélère" va revivre, sur la place d’Arzacq ! »
36Une étude de la carte produits par produits (Fig. 12) fait apparaître de grands anciens (le boudin, les andouilles) et des petits nouveaux (le saucisson). La presse s’est fait l’écho de l’arrivée à Vanosc en 2018 d’une première mondiale : le concours du meilleur saucisson [Pitte 1995]. René-Louis Thomas, ancien journaliste installé en Ardèche depuis plus de 40 ans, crée en 2015 avec quatre amis, l’Académie ardéchoise des amateurs de saucisson (l’A3S). « L’idée [du concours] est venue presque en gag et on s’est aperçu, grâce à des recherches de Philippe Rebergue, que personne ne l’avait fait », explique-t-il. « On veut faire au saucisson ce qui est fait pour le vin au concours des Grands Vins de France de Mâcon », explique le recteur de l’Académie.
37Comme pour la truffe, le mouvement nous apparaît donc plutôt en extension, même s’il a commencé plus tôt et malgré quelques essoufflements ici ou là. Il n’est pas innocent de relever que, si les manifestations qui se targuent d’être les plus anciennes ont souvent lieu dans des grandes villes, qui ont un patrimoine historique et donc un potentiel touristique important, les nouvelles foires, à l’exception de Hayange dont nous reparlerons, sont toutes dans de petits villages (943 habitants à Vanosc) et dans des zones de tourisme diffus.
38En observant la carte (Fig. 12), on remarque souvent qu’autour d’un lieu connu pour une manifestation ancienne et qui attire du monde, on trouve en quelque sorte des copies qui, à des dates un peu décalées, proposent des manifestations sur le même thème, mais plus modestes. C’est le cas par exemple du festival du jambonneau à Dessenheim, créé en 2007 et qui anime le bourg à la fin septembre, à 35 km de Guémar qui pour sa part fête le jambon autour du 20 août depuis 1989. Sans qu’il soit toujours bien facile de savoir qui a commencé, on observe des grappes de fêtes sur le même thème.
39Dans le Grand Est et toujours pour le jambon/jambonneau, on observe que Puttelange, Oudrenne, Distroff et Bazoncourt sont toutes situées dans un rayon de 25 km.
Figure 12 – L’ancienneté des foires et fêtes liées à un produit du cochon
Source : V. Moriniaux – Cartes et Données – Articque, 01-2018
40Et, contrairement à la truffe, la question n’est pas ici la source de la matière première, et, à l’exception de produits bien spécifiques comme les rillettes/rillons/rillauds, ce n’est pas non plus une question de savoir-faire ou de recette ancestrale. Il faut plutôt invoquer la volonté pour les communes d’appliquer « une recette qui marche », pour un public en quelques sorte captif puisque habitué. C’est comme cela que s’explique la grosse nébuleuse des foires au boudin en région lyonnaise et beaujolaise, jusqu’en Dauphiné. La moitié des manifestations autour du boudin noir ont lieu là.
41Ces manifestations apparaissent menacées par trois éléments : la commercialisation excessive qui conduit à une distension du lien entre produit gastronomique et foire, la critique venue des cercles végétariens et végans qui perturbent les manifestations les plus importantes et rend prudents les acteurs des plus petites et enfin, l’instrumentalisation politique sur fond de rejet de l’islam.
42À Mortagne-au-Perche (61), qui organise chaque année en mars depuis le début des années 1960, sous la houlette de la confrérie du gouste-boudin, le plus grand événement français sur ce thème (20 000 visiteurs en 2016 pour une commune d’à peine 4 000 habitants), avec concours international du meilleur boudin noir, démonstrations de cuisine et concours du plus gros mangeur de boudin, la foire-exposition réunissant plus de 150 exposants et la fête foraine ont peu à peu pris le pas sur l’événement gastronomique et une critique sévère demande « où est le boudin ? » et ne compte que 5 stands de charcutiers vendant du boudin noir.
« On arrive enfin sur la foire, que dis-je, le sanctuaire, la Mecque du boudin noir. On ne s’en rend pas compte immédiatement. À l’entrée, sont garées des dizaines de voitures, utilitaires et monospaces à vendre. Sous la grisaille et le vent froid, la foule nous emporte entre les stands de nougats, de saucissons, de graviers, de toitures, de rillettes de poisson, de marbreries funéraires, de râpes à légumes et de pinces à linge « de fabrication française ». Partout, des bonimenteurs s’époumonent (…) Bref, en terme (sic) de diversité de l’offre, rien à dire, la Foire au boudin c’est LA référence. Dans la salle polyvalente, la petite patinoire est pleine et le cours de zumba, animé par une danseuse affublée d’un masque de cochon, remporte l’adhésion des enfants. La file d’attente est longue également sur le stand McDonald’s qui propose de tourner une « roue de la fortune » pour gagner des hamburgers, des frites ou des desserts. Mais ça ne nous fait pas tellement envie. Le restaurant officiel non plus. De toute façon, leur plat du jour, c’est la queue de veau. Quand on ressort, on ne sait plus ce qu’on fait là ni ce qu’on est venu voir. « Ah, si, le boudin noir ! » s’écrie l’un de nous. On cherche donc les stands de charcutiers. Il n’y en a que cinq, amassés au centre de l’esplanade, et les dégustations proposées ne sont pas nombreuses. »
43Extrait de « Foire au Boudin 2016 : une édition en demi-teinte » https://magazine.laruchequiditoui.fr/foire-boudin-2016-cru-decevant/ (site consulté le 20 janvier 2018)
44Et l’exemple n’est pas isolé. La raison se trouve dans la disparition des professionnels, comme le montre le cas de Naintré, qui organise depuis 1972 une foire aux boudins, également en mars (10 000 visiteurs pour un peu moins de 6 000 habitants). Un reportage de France 3 régions montrait que lors de la dernière édition, il n’y avait que 4 vendeurs de boudin, parce que les professionnels se sont de plus en plus rares. « À Naintré, nous avons 6 000 habitants, mais il n’y a plus de boucher. Tout en découle » explique André Morgeau, qui organisait autrefois l’événement.
45Les maires se disent tous attachés au fait de garder ces traditions festives dans leur ville ou village mais il faut reconnaître que, si on met à part les quelques foires qui peuvent s’appuyer sur un produit protégé et reconnu (il est à noter qu’il y a à ce sujet de graves lacunes : aucune AOP ou IGP ne protège l’andouille de Guéméné, de Jargeau ou encore celle de Vire par exemple) et donc sur un réseau de fabricants professionnels, l’essentiel des manifestations reposent maintenant sur des producteurs occasionnels bénévoles (souvent bouchers-charcutiers à la retraite). On peut légitimement se demander si ce mouvement, né dans les années 1970-1980, va perdurer longtemps. Nombreux sont les articles qui disent que les bénévoles vieillissent et cherchent désespérément à passer la main.
46Depuis 552 ans, la ville de Bayonne organise la Foire qui porte son nom durant la semaine sainte et se prolonge le dimanche de Pâques. Elle débute le jeudi de Pâques dès 8h du matin, par le concours du meilleur jambon fermier. Les jambons primés sont vendus aux enchères à l’issue du concours. Cette manifestation qui est un des grands moments touristiques de la région en dehors de la feria estivale, est depuis quelques années la cible des mouvements végétariens et végans.
47En octobre 2017, l’affaire a défrayé la chronique : « des élus de Dreux suppriment le cochon d’une affiche de fête pour ne pas choquer les musulmans ». Il s’agissait de la foire saint Denis. Quand le politiquement correct ne menace pas une manifestation existante, c’est au contraire la provocation politique qui instrumentalise la tradition des fêtes du cochon en France pour créer le buzz. C’est ainsi qu’à Hayange (57), le maire FN Fabien Engelmann, pourtant lui-même végétarien, organise dès son élection en 2014 une fête du cochon, pour bien marquer le changement politique dans ces terres ouvrières, qui ont connu une forte immigration maghrébine dans les années 1960 en lien avec l’activité sidérurgique. « Cette grande manifestation familiale permet de renouer avec les traditions lorraines qui ont toujours mis en avant cet animal sympathique et incontournable de nos campagnes et de nos assiettes. (…) Notre ami sera décliné sous toutes ses formes, cuit à la broche sous vos yeux, en porchetta, en jarrets, en travers, en saucisses, en pâtés… », pouvait-on lire sur l’invitation parue alors sur le site internet de la ville. Dans le même temps, Fabien Engelmann s’en prenait à une boucherie halal de la ville.
48Au terme de cette étude, il apparaît que les fêtes de la truffe et celles des produits du cochon (les deux produits ne sont d’ailleurs jamais associés alors que les premiers mois d’hiver, janvier et février seraient propices aux deux) connaissent des logiques, bien que communes en apparence (même engouement à la même époque), divergentes en réalité : alors que les fêtes de la truffe se multiplient depuis les années 1980, celles liées à un produit du cochon, souvent plus anciennes, ont plutôt tendance à stagner et recherchent un nouveau souffle. La truffe est popularisée, comme en témoigne le doublement de sa production en vingt ans, tandis qu’andouilles, andouillettes et boudin noir ne sont déjà plus dans l’air du temps, sous l’effet de la méfiance accrue des consommateurs à l’égard des abats depuis la crise de la vache folle, et de la peur de réactions identitaires de la part des populations non-consommatrices de porc pour des raisons religieuses (islam) ou idéologiques (végétarianisme et véganisme).
49Produit d’exception pour des lieux ordinaires, la truffe participe pleinement à l’essor d’un marketing territorial touristique qui multiplie les routes gastro-œnotouristiques qui dynamisent la fréquentation des arrière-pays des grandes destinations touristiques (vallée du Lot, littoral méditerranéen). Produit plus ordinaire, aux notables exceptions des andouilles, andouillette (pourtant non protégées par une IGP ou AOP) et rillettes (tout récemment protégées par quelques IGP), les spécialités charcutières de porc ont souvent été à l’origine des grandes foires et fêtes et ont fait partie du « folklore » des fêtes qui se sont maintenues ou qui se sont (re-)créées. Mais elles n’ont plus suffisamment la cote pour suffire, à elles seules, à dynamiser la fréquentation de lieux ordinaires. L’exemple de la fête du boudin de Mortagne-au-Perche montre bien que le boudin n’est plus central dans les festivités.