1Le Groupe Dupont fut fondé en 1971 à Avignon lors de deux réunions successives, les 5 juin et 9-10 octobre.
2Le Groupe Dupont est un exemple, à la fin des années 1960, de la convergence dans le monde universitaire d’un faisceau d’insatisfactions à l’origine d’une « révolution » dans la pensée géographique [Cuyala 2014].
3L’augmentation brutale du nombre d’étudiants due aux naissances après la seconde guerre mondiale est à l’origine de l’arrivée nombreuse dans les facultés de jeunes enseignants insatisfaits de la situation des départements de géographie du double point de vue des relations humaines et des recherches liées aux thèses.
4D’une part les pratiques et les exigences mandarinales s’imposaient plus difficilement aux jeunes enseignants qui, après la publication de 2 articles, devenaient vite titulaires d’un poste de maitre-assistant(e) à l’université et non plus, comme avant 1968, assistant(e)s renouvelables chaque année, sans critère officiel, c’est-à-dire au bon gré des professeurs.
5D’autre part, sur le plan scientifique, ces nouveaux enseignants subissaient d’autant plus mal la longueur imposée des thèses de doctorat d’État, de l’ordre de 800-1000 pages qui représentaient en général autour de 10 ans de travail, dont les thèmes de recherches, en général imposés, relevaient d’une géographie traditionnelle, en général monographique et descriptive, telle qu’elle avait été figée pendant les dernières décennies, sans référence à aucun principe ou aucune théorie. De plus ils avaient constaté que ceux qui leur imposaient ces thèses épuisantes en avaient fait, quant à eux, de beaucoup plus courtes et rapides.
6Les deux premières réunions à l’invitation de Jean-Paul Ferrier (Institut de Géographie d’Aix), en accord avec Henri Chamussy (Institut de Géographie Alpine de Grenoble) se sont faites dans la perspective de créer un groupe de géographes qui allait s’atteler à un renouvellement de leurs pratiques géographiques en appliquant objectifs et méthodes de travail de la géographie anglo-saxonne. Il s’agissait alors de s’initier à la pratique de la « géographie quantitative » par opposition à la « géographie qualitative » pratiquée jusqu’alors en France.
7J-P Ferrier avait découvert cette « autre géographie », à travers les travaux menés au Canada par son ami d’études à Nice, Jean-Bernard Racine qui était venu lui en parler longuement à Toulon en août 1969 après son retour en Europe [Jean-Bernard Racine, communication orale 2017]. L’année suivante, Jean Dresch, président des Journées géographiques à cette époque, mit à l’ordre du jour de la réunion générale de celles d’Aix-en-Provence (28/02-02/03/1970) le thème suivant : « Les problèmes de la géographie quantitative » [INTERGEO 1970]. Au cours de cette réunion Bernard Marchand (ancien enseignant à l’Université de Pennsylvanie) fit un exposé sur la « Nouvelle géographie » anglo-saxonne qui fut une découverte quasi générale dans l’auditoire. J-P Ferrier rencontra à cette occasion H. Chamussy ; ils convinrent que les géographes devaient se lancer en France dans des recherches similaires. Pour ce faire, ils programmèrent chez J-P Ferrier une réunion ultérieure [Colette Ferrier, communication orale 2017], au cours de laquelle ils décidèrent de lancer l’idée d’un collectif avec comme objectifs l’initiation à cette nouvelle géographie et la mettre en œuvre dans leurs recherches. Ils s’entendirent sur un projet à lancer lors d’une première réunion à Avignon en se mettant d’accord avec René Grosso sur cette possibilité et sur la date du 5 juin 1971. Une invitation fut diffusée, par lettre signée de J.-P Ferrier et déposée dans les casiers des enseignants, du moins à Aix-en-Provence.
8Le choix, comme lieu de réunion, du centre d’Avignon, qui dépendait à l’époque de l’Université d’Aix, n’était pas neutre. D’une part il n’y avait là aucun professeur susceptible de vouloir influencer d’une façon quelconque le groupe et d’autre part sa localisation quelque peu “centrale” par rapport à la localisation des participants d’origine la rendait relativement facile d’accès.
9La première réunion, le 5 juin 1970, rassembla une quinzaine de géographes des Universités d’Aix, Avignon, Grenoble Marseille, Lyon 2, Montpellier, Nice et Saint-Etienne. Après avoir rappelé le but de la réunion (entrer dans la géographie quantitative), lecture est donnée du programme du C1 de Géographie Quantitative dont Bernard Marchand avait la charge en 1969-1970 à Paris 1. Les participants ont ensuite évoqué un certain nombre de problèmes liés à l’organisation du groupe, ne prenant comme décisions que la liste des responsables par faculté, les élections d’Allan Scott comme président d’honneur, de Daniel Bouzat comme secrétaire et les dates des réunions suivantes, 9 et 10/10, puis tous les samedis, 6/11, 4/12 et 8/1/1971 [communication Michel Vandenbroucke].
10Pour la réunion suivante, fixée au week-end des 9/10 octobre, décisions furent prises de commencer par une initiation aux méthodes statistiques avec leurs bases mathématiques en étudiant individuellement le « Barbut » [Barbut 1967] et les statistiques nécessaires pour les géographes [Delacoudre 1967] et de faire le point sur les articles de géographie quantitative parus dans des revues en français [communication orale Michel Vandenbroucke, 2017]. Le groupe fut ainsi initialement soudé par la volonté commune de renouveler leurs recherches en s’initiant à l’approche des problématiques de la géographie anglo-américaine vue alors sous sa forme quantitative.
11Lors de la seconde réunion (9/10 octobre), les participants, plus nombreux qu’en juin, ont constaté leur impossibilité à respecter le programme ambitieux proposé avant les vacances. Ils convinrent alors de changer de méthode d’accès à la géographie quantitative en s’autoformant collectivement et en suivant des stages. Ils organisèrent pour l’année un programme (aujourd’hui perdu) d’auto-formation en statistiques par étapes thématiques (corrélations, régressions …) à chaque réunion. Ayant appris trop tard l’existence d’un stage de formation à Paris fin 1970, un certain nombre d’entre eux participèrent (ou suscitèrent ?) à un stage national de formation quantitative organisé par l’ORSTOM à Aix-en-Provence en 1971 puis ultérieurement à d’autres stages.
12Le groupe s’était doté d’un président d’honneur en juin qui avait quitté les lieux mais pas d’un président effectif ni de nom. Sa réaction anti-mandarinale excluait qu’un professeur en fut président. Le Centre d’Avignon, qui dépendait de l’Institut de géographie de l’Université d’Aix, n’avait, sur place, aucun professeur titulaire mais deux maîtres-assistants parmi lesquels le « bonhomme » René Grosso qui fut élu unanimement président et mena son mandat à la satisfaction générale. La question du nom du groupe a été réglée dans le même état d’esprit. Il fut refusé de se placer sous la référence d’un grand « ancêtre » quels qu’aient été les mérites reconnus de certains. Dans le silence perplexe qui s’en suivi la plaisanterie « Pont d’Avignon » lancée dans une grande rigolade générale, fut transformée en « Groupe Dupont », nom oh combien anonyme qui fut perçu comme un pied de nez aux autorités universitaires.
13Le « Groupe Dupont » était lancé…
14Le « Groupe Dupont », créé à l’initiative de J-P Ferrier et H. Chamussy en 1970, était bien dans « l’air du temps » des jeunes géographes recrutés en nombre à la fin des années 60 qui étaient décidés à renouveler les méthodes des recherches géographiques françaises et à se dégager du contrôle mandarinal. Composé de participants du grand sud-est de la France, il devint une composante d’un vaste mouvement scientifique de renouvellement des recherches géographiques qui se développa dans les universités françaises au cours des années 70 [Cuyala 2014].