1La relation événement sportif et exploitation commerciale est devenue désormais habituelle. Elle s’entend comme une co-construction. En géographie, elle alimente les problématiques liées au développement et à la dynamique des territoires, elle enrichit le concept d’« événement spatial » [EPEES 2000]. L’exploitation commerciale s’entend de plus en plus comme le support à la valorisation de l’événement. Le sport, et en particulier les grands événements, tels les Jeux Olympiques, les tournois de tennis, les coupes du monde de football, les courses cyclistes, les golf cup, les marathons,..., interrogent les territoires à différentes échelles et selon différents calendriers, voire temporalités. L’organisation d’un méga-événement sportif constitue une opportunité pour la ville hôte, la région, voire pour le pays entier [Junod 2007]. Cette approche corrobore les travaux de Jean-Pierre Augustin [2011] positionnant le sport comme un attracteur d’organisation sociale et un intermédiaire de la mondialisation.
2Le sport a ses définitions [Defrance 2011] allant de pratiques hédonistes, libres, improvisées, non encadrées, à des pratiques compétitives fortement contrôlées par des instances ministérielles et sportives. L’INSEE définit en 1986 le sport comme « Toute activité physique régulière dont le principal but ou le seul but est la pratique corporelle ». Cette approche ne renvoie pas uniquement à la pratique sportive, mais de manière plus large elle traite de la pratique physique, celle-ci englobe la pratique sportive. Dans le prolongement de cette définition la Charte européenne du sport (24 septembre 1992) insiste sur les objectifs « d’expression ou d’amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l’obtention de résultats en compétition de tous niveaux ». Ainsi, les pratiques corporelles peuvent prendre différentes formes, l’une d’entre-elles étant normalisée, encadrée, compétitive et institutionnalisée : le sport. Cet article traite d’un type de sport - le cyclisme - institutionnalisé dans sa pratique par l’Union Cycliste Internationale (UCI) qui en définit les règles et le calendrier, au sein de laquelle s’inscrit le Tour de France, mobilisant à côté de la définition de l’INSEE, celle du CNOSF1 en 1994 « Est défini comme sport, la seule pratique compétitive, licenciée, c’est-à-dire engagée dans l’institution qui fixe les règles du jeu et définit l’éthique sur laquelle celui-ci doit impérativement reposer ». Cette définition précise que la pratique sportive est une pratique codifiée, soumise à règlement et régulée par une institution. Le respect et l’accord des règles et des codes propres à chaque sport permettent à ses pratiquants de s’affronter lors de compétitions. En fonction de l’enjeu, des participants ou de l’aspect original de la compétition, ces rencontres peuvent se transformer en événements. Les grandes courses relèvent de ces caractéristiques. Elles alimentent l’audience des médias, en particulier l’audience télévisuelle2. En effet, en prenant comme indicateur l’audience télévisuelle d’un événement, le sport apparaît comme « le » sujet qui intéresse les Français3 : en effet, les dix audiences françaises les plus importantes sont des diffusions de rencontres sportives. Les grands événements sportifs attirent athlètes, spectateurs (habitants et touristes) et médias, lesquels, en diffusant images et commentaires, s’assurent de fortes parts d’audiences et des retombées économiques conséquentes. Pour assurer aux Français l’accès aux événements sportifs les plus importants, 22 compétitions sont classées comme « événement sportif d’importance majeure en France », garantissant leur diffusion sur un service de télévision en accès libre. Parmi ces épreuves, deux d’entre elles sont des épreuves cyclistes : Paris-Roubaix et le Tour de France.
- 4 Le Tour de France a été créé dans un contexte de développement du sport cycliste sous la double imp (...)
3Ces événements dépassent de plus en plus le cadre purement sportif, pour prendre un rôle sociétal. L’événement est autant une démonstration festive, un hommage rendu à un objet donné, que l’inauguration d’une cospatialité entre populations résidentielles, visiteurs et touristes [Fagnoni & Lageiste 2009]. En se diversifiant, ces événements initialement uniquement sportifs, destinés à nourrir la passion du spectateur venu se divertir, quittent peu à peu leur cadre pour devenir des marques, influencés par des enjeux économiques. En effet, tout événement rassembleur et capteur de public génère une économie. De plus en plus visible et fréquemment décrié, le business de l’événement sportif est devenu une raison de son existence. Nous observerons ce phénomène à travers la plus vieille course cycliste française par étapes, créée en 1903 à l’initiative du journal L’Auto, le Tour de France4.
4À la fois « monument » du calendrier cycliste international et vitrine du patrimoine français, le Tour de France est aujourd’hui le premier événement sportif annuel mondial. Il est devenu une véritable « marque », alimentant en géographie la relation marque(s) et territoire(s). Quelles sont les différentes dynamiques commerciales de l’événement ? Quels bénéfices pour la marque, ses partenaires et ses investisseurs ?
5Sport roi jusqu’au milieu du XXème siècle, le cyclisme s’est développé grâce à l’aide importante de la presse [Boniface 2014]. Caractérisées par leur itinérance, les courses cyclistes sur route avaient l’avantage journalistique de ne pouvoir être vues en intégralité par les spectateurs. L’épreuve ne s’appréciait pleinement qu’à travers le récit qu’on en trouvait dans la presse [Calvet 1980].
- 5 Le Tour de France est la première épreuve cycliste mondiale.
- 6 Kubler/Koblet, Coppi/Bartali, Anquetil/Poulidor.
- 7 Yvette Horner sur la Caravane du Tour de France de 1952 à 1963 [Laborde 1994] ou encore Line Renaud (...)
- 8 Yvette Horner, « Mon Tour de France », YouTube.
6Destiné à lancer les ventes du journal L’Auto [Borg 2010], en difficulté depuis sa création en 1900, le Tour de France s’est imposé en moins d’un siècle comme un « Monument » français à part entière. Reposant aujourd’hui sur trois piliers : sportif, touristique et social, le Tour de France est devenu progressivement un formidable levier de promotion politique et commerciale. Depuis plus d’un siècle, au fil des éditions, le TDF se dessine, selon une discontinuité spatiale, sur le territoire français, les villes s’organisent alors en réseau. Ce tracé, quasi immuable durant la première moitié du XXème siècle du Tour, effectue à partir de 1910 un chemin de ronde du territoire national. Aujourd’hui, le TDF participe au rayonnement culturel français et à son image d’excellence5. Il s’est imposé au bénéfice de sa concomitance avec la période des vacances estivales puis de l’instauration des congés payés à partir de 1936, le TDF parvient à réunir les foules et mobiliser les téléspectateurs. Les exploits de champions d’exception (Gaul, Bobet, Bahamontes...), les traces laissées dans la mémoire collective par leurs rivalités légendaires6 [Loudcher & Aceti 2009], le défilé de la caravane publicitaire à partir de 1930 et la présence en son sein de nombreuses vedettes de musique populaire7, qui inspire les artistes à raconter les aventures vécues le long des routes du Tour de France8. Ces nombreux atouts ont imposé le TDF comme un événement populaire, festif et rassembleur, aujourd’hui pratiqué, pour une journée, une semaine ou dans son intégralité par des touristes venant du monde entier. La gratuité du spectacle rend l’événement attractif pour les publics, permettant au TDF de se transformer en une formidable vitrine commerciale pour la France. Partenaires de la course, sponsors d’équipes, annonceurs présents sur le bord des routes, collectivités territoriales et organisateurs bénéficient de l’exposition médiatique dont jouit l’événement pour faire leur promotion en associant leur image à la course.
- 9 Winamax, site web de jeux et de paris en ligne.
7À partir de 1952, avec l’arrivée de la télévision sur le TDF, c’est désormais la France qui peut se montrer. Diffusé en mondovision, le TDF devient la plus belle et la plus regardée des cartes postales de France : d’après un sondage réalisé par l’Institut Odoxa pour Winamax9 et RTL en 2016, 50 % des spectateurs regardent la course pour en apprécier les paysages. La diffusion de l’épreuve devient alors un reportage sur la France long de trois semaines, jusqu’à faire passer pour certains l’aspect sportif au second plan. L’exposition médiatique et la notoriété de l’épreuve sportive font de l’événement une place de choix pour les annonceurs donnant à la course des couleurs de « galerie commerçante » tout au long de son parcours. La relation commerce(s) et loisir(s), voire tourisme est désormais explicite. Grâce à cette renommée mondiale, la marque TDF se décline et se vend dans le monde entier.
- 10 Amaury Sport Organisation est une entreprise créatrice et organisatrice d’événements sportifs inter (...)
8Ces dynamiques commerciales du Tour de France, à travers les partenaires et la marque « Tour de France », sont à interroger, tout comme les retombées sportives, culturelles, touristiques et politiques qu’offre le Tour. Dans le cadre d’une analyse plus approfondie, des analyses fines permettraient de s’interroger, d’une part, sur les retombées commerciales pour l’acteur principal du Tour de France, à savoir le groupe A.S.O.10 et le journal L’Équipe, et, d’autre part, sur les différents niveaux ou degrés du tourisme : des coureurs et acteurs du Tour, aux cyclistes, que l’on peut qualifier de touristes-sportifs, qui suivent le Tour de France et refont les étapes, et aux simples touristes attirés par l’ambiance Tour de France d’une ou plusieurs étape(s).
9Initiant cette réflexion sur la partie la plus visible de l’événement ludo-commercial qu’est le Tour de France, cette observation présente dans un premier temps l’acteur principal de ce marketing publicitaire, à savoir la Caravane du Tour, c’est-à-dire le convoi de véhicules, souvent insolites et décorés, à caractère publicitaire précédent le passage des coureurs. Elle se poursuit par le rôle joué par le Tour de France dans la promotion touristique des territoires français, pour enfin, analyser la place qu’il incarne dans l’image représentative de la France.
10Cette réflexion renvoie à la mise en œuvre d’une ambiance et à une socialisation forte autour du Tour, elle renforce la fonction d’échange social, dimension à part entière du commerce. Elle sous-tend la notion d’expérience événementielle et corrobore les nouvelles problématiques dans le champ de la recherche en tourisme et loisirs, basées sur l’expérience ou le « vivre » une expérience mémorable [Fagnoni 2017].
11Méthodologiquement, plusieurs sources d’information ont été privilégiées : l’image de la France véhiculée par le Tour de France à travers ses diffusions télévisées, à travers un corpus d’articles, mobilisés tout au long de cet article, et la rencontre avec des acteurs de la commercialisation de produits « Tour de France » comme Maxence Barbier, Chargé de Relation Clients - Licences chez A.S.O. en 2016 et 2017, mais également la rencontre de vendeurs de souvenirs, notamment sur la rue de Rivoli, lieu de passage de la dernière étape du Tour de France, et sur la place Saint-André-des-Arts, située au cœur du Quartier Latin à Paris, lieu touristique par excellence de la capitale, mais non connoté TDF, où les souvenirs portant la marque TDF sont cependant présents dans toutes les échoppes, ainsi que la rencontre d’un bouquiniste du quai Saint-Michel spécialisé dans les ouvrages sportifs en général et le cyclisme en particulier.
- 11 letour.fr – la caravane
- 12 Pour l’année 2015 - « Spectateurs sur le bord de la route », Tour de France 2016 Chiffres Clés, Le (...)
12Créée pour pallier l’absence de sponsors de marque sur le Tour à partir de 1930, la Caravane publicitaire rencontre rapidement une forte adhésion des publics. Aujourd’hui composée de plus de 150 véhicules, la Caravane se présente comme une scénographie marchande, elle distribue environ 14 millions d’objets publicitaires11 durant les trois semaines que dure le Tour. Elle touche un public estimé entre 10 et 12 millions de spectateurs12 présents sur les bords des routes. Le Tour de France est devenu un véritable espace de consommation pour les marques.
- 13 Sondage Opinion Way pour Mozoo, « Les Français et la publicité sur Internet », octobre 2014.
- 14 Xavier Foucaud, journaliste, « Le business du Tour de France », emarketing.fr, 4/8/2015, http://www (...)
13Par ailleurs, cet événement s’entend comme une communication plus douce, vécue en direct de la course, qu’une campagne de publicité plus offensive sur Internet par exemple, jugée gênante par plus de trois français sur quatre13. Avec cette pratique de communication, le public vient à l’annonceur en se rendant sur la route du Tour, et l’opération promotionnelle se déroule dans un esprit festif et d’échange avec le public. Pour les marques, les bénéfices de l’opération semblent intéressants. Un communiqué de l’Agence France Presse révélait en 2015 un « gain de parts de marché de 1,5 points en juillet » pour certains des annonceurs présents sur la caravane, un succès dû à la présence d’un public familial, ciblé par les annonceurs présents dans cette caravane. Si les retombées sont intéressantes pour les marques, la présence de celles-ci sur la caravane se négocierait autour des 250 000 €14 par an pour la période du Tour. La rencontre avec le public, le côté festif de l’événement, la scénographie de la marque et la compétition entre annonceurs sont autant d’éléments qui rapprochent l’événement d’une opération qualifiable de « street marketing ». En revanche, le coût du ticket d’entrée sur la Caravane pour l’annonceur et l’institutionnalisation du défilé éloignent cette démarche de la définition des techniques de « guérilla marketing » [Levinson 1984], la rendant plus proche par son budget d’une campagne de promotion traditionnelle.
- 15 Antoine Grenapin, journaliste, « Tour de France : pour les villes étapes, combien ça coûte ? », Le (...)
14Si le spectacle reste gratuit, la présence sur le Tour représente bel et bien un coût également pour les annonceurs, ainsi que pour les villes étapes, d’arrivée et de départ. Le coût s’élève à 70 000 € pour le départ d’une étape, 90 000 € pour l’arrivée et autour de 150 000 € pour l’arrivée et le départ15. Ces recettes, additionnées à celles des droits de diffusion pour la télévision, représentent la majorité des revenus pour la société du Tour de France [Mignot 2014].
- 16 Un Tour de France royal : au XVIème siècle, Catherine de Médicis fait entreprendre - pendant presqu (...)
15Le 19 janvier 1903, à la une du journal L’Auto, est annoncé le lancement du premier TDF cycliste, étalé sur près de trois semaines. Le parallèle avec les emblématiques grandes routes ou plus précisément « grands tours » [Fumey 2006] est intéressant, comme le Grand Tour de France de Charles IX16, à la symbolique politique plus prononcée, ou « le Grand Tour » [Boutier 2004] considéré comme le voyage initiatique pour parfaire l’éducation du jeune aristocrate anglais à partir du XVIIIème siècle, que l’on dépeint aujourd’hui comme légataire du tourisme moderne [Boyer 2005]. Implicitement liées à l’idée de voyage, les routes [Marcotte & Bourdeau 2015], ici françaises, sont devenues le terrain d’expression de cette épreuve cycliste. Par ailleurs il est intéressant de rappeler qu’elles répondent aussi, tout comme le sport en général, à la nécessité de transmettre les valeurs de la IIIème République [Arnaud 1987].
16Circuit sportif, le Tour de France s’est en moins d’un siècle installé dans le paysage français. Événement festif et rassembleur, il revendique aujourd’hui le long des routes qu’il emprunte chaque mois de juillet, la présence de 12 à 15 millions de spectateurs17. Itinérant, il va à la rencontre des Français et permet à ses suiveurs et à ses spectateurs de parcourir la France, au gré de l’itinéraire sélectionné par l’organisateur (cf. figure 1, qui montre l’exemple de l’itinéraire du Tour de France, édition 2018). Ce format est une aubaine pour les professionnels du tourisme. Bien que la décision de l’itinéraire ne leur revienne pas, il ne leur reste plus qu’à gérer la « logistique » qui transportera leurs clients au gré de l’épreuve. Aujourd’hui certains tour opérateurs proposent des circuits touristiques possédant le label « Tour de France ». Centrés sur l’édition à venir, ou permettant aux touristes de gravir les haut lieux du TDF, ces voyagistes, offrent de nombreuses formules permettant une immersion dans la plus grande épreuve sportive française.
17Le TDF renvoie à une géographie touristique « mobile », impactant sur la logistique et requérant une aptitude à déplacer avec lui un cortège que les territoires traversés et les étapes élues se doivent d’accueillir.
Figure 1 – Le parcours du Tour de France 2018
Source : ASO – Léo Castoldi
- 18 Exemple du Tour 2016 dans la Manche : Le conseil départemental de la Manche a annoncé en octobre 20 (...)
- 19 Trivago.fr – le Tour « booste » le tourisme
18En plus du « village » du Tour se déplaçant officiellement - employés du TDF, cyclistes, personnels, journalistes, …- la réception et l’organisation de l’étape du Tour représentent une aubaine économique touristique pour les villes qui la reçoivent. Les 15 000 participants représentent potentiellement autant de nuitées consommées dans les villes et aux alentours du départ et de l’arrivée. Cette attractivité fait du TDF un événement français itinérant à dimension mondiale, il attire dans des villes de toutes tailles et aux renommées diverses, des masses de public ponctuelles. Caravaniers/cyclistes venus suivre le TDF en intégralité, ou simples touristes présents dans la région lors du passage du Tour, curieux de découvrir la plus grande course cycliste lors d’une ou plusieurs étapes, les raisons qui poussent les spectateurs sur le bord des routes sont nombreuses18. Dans une enquête menée en juin 2016 par le comparateur d’hôtel Trivago.fr19, la consommation d’une nuitée durant le passage du Tour dans une ville faisait grimper la note d’une chambre d’hôtel de 24 % en moyenne.
- 20 L’Équipe, 21 mars 2017.
19Cette institutionnalisation du Tour repose principalement sur l’acteur essentiel depuis 1992, Amaury Sport Organisation (A.S.O.), qui s’inscrit dans une réelle politique de développement et de mondialisation du cyclisme. L’objectif est de développer une stratégie visant à toucher et à rassembler le public le plus large possible autour de l’événement. Cherchant à se diversifier, la société du Tour lance en 1993, « l’étape du Tour ». Elle se base sur les épreuves type « Gran Fondo » lancée en Italie en 1970. Inspirée des épreuves grand public comme le sont les marathons ou les rallyes automobiles, l’étape du Tour fait partie de ce que l’on appelle « les cyclosportives ». Aujourd’hui, l’organisateur revendique un peloton de 15 000 participants réunis sur une épreuve amateur reprenant le parcours d’une étape du Tour de France de l’année d’organisation. Le principe connaît rapidement un franc succès. À partir des années 2000, l’organisateur est contraint de limiter le nombre de participants pour des raisons de sécurité. Bien que l’épreuve soit ouverte à tous, sa renommée fait déplacer, comme pour les grands marathons, des coureurs professionnels : Dimitri Champion (champion de France de cyclisme sur route en 2009) ou Thierry Bourguignon (sept participations au Tour de France) ont notamment remporté l’épreuve. Aujourd’hui cette cyclosportive a fait des émules. En effet, depuis 2017 quatorze épreuves organisées par A.S.O. revendiquent le nom « d’étape by le Tour » sur les cinq continents. Bien que ces épreuves ne puissent pas proposer un parcours d’étape du Tour de France, l’organisation compense ce handicap en exportant son savoir-faire en matière d’organisation. D’anciens coureurs du Tour comme Andy Schleck20, vainqueur du Tour en 2011, sont également présents sur ces étapes afin de recréer cette atmosphère « Tour de France » recherchée par les participants.
- 21 Organisation non gouvernementale, fondée en 1996, spécialisée dans la chirurgie cardiaque pédiatriq (...)
20Depuis 2003 est également organisée sur la route d’un des contre-la-montre du Tour de France, l’étape du cœur Mécénat Chirurgie Cardiaque21, rassemblant plusieurs célébrités issues de divers milieux, pour parcourir l’étape dans le but de rassembler des fonds pour guérir dix enfants atteints de malformations cardiaques. Toujours dans cette optique de capitaliser autour du Tour, de diversifier les événements et de rassembler un public toujours plus large, le Tour tend à se « généraliser ».
- 22 Courses d'un jour du calendrier de l’Union Cycliste Internationale (UCI) masculin qui possèdent leu (...)
21En effet, épreuve visant toujours plus à s’internationaliser, l’A.S.O. crée depuis 2013 de plus en plus d’épreuves franchisées « Tour de France ». En plus des épreuves « Étape by le Tour » destinées au grand public, la course française se décline aujourd’hui également en « Tour de France criterium » et en « Course by le Tour ». Celles-ci sont destinées à promouvoir le cyclisme en Asie en offrant au public asiatique la possibilité d’approcher les champions de juillet. Ces criteriums (deux depuis 2017) sont l’occasion d’exporter la scénographie « Tour de France » en Asie. Depuis 2014 est créée en prologue de l’arrivée finale du Tour de France sur les Champs-Élysées la « course by le Tour », épreuve professionnelle féminine. En la plaçant avant l’arrivée des athlètes masculins, l’organisateur offre au cyclisme féminin une mise en valeur, dont elle ne jouit que trop rarement, lors des championnats du monde, ou d’autres épreuves se disputant le même jour que leurs homologues masculins (Strade Bianche, Flèche Wallonne, Tour des Flandres...)22.
- 23 En l’absence de Jeux Olympiques et de Coupe du Monde de Football.
- 24 Cf note 2.
- 25 Réalisateur sur le Tour pour France Télévision.
22Lors des années impaires23, le Tour de France est le premier événement sportif télévisuel mondial. France Télévision produit les images de la course grâce à cinq motos et deux hélicoptères, les diffuse et les distribue aux télévisions du monde entier24. Ces diffusions permettent de promouvoir le territoire français. La retransmission en mondovision du Tour de France participe au développement de l’image touristique de la France. Diffusé dans 190 pays, le Tour est, comme l’indique Jean Maurice Hogue25, une occasion de « montrer » la France. Il permet d’en faire la promotion lorsque « les coureurs traversent Versailles, [c’est] pour que nous montrions le parc et le château ». 2000 journalistes accrédités reçoivent un « book » distribué par l’organisateur du Tour. Ce livre de route donne des indications, fournies par les collectivités, sur les lieux d’intérêt situés à proximité du parcours. Grâce à ces informations, les journalistes deviennent des « ambassadeurs » de la France.
23Directement liés au Tour, des investisseurs privés misent également depuis longtemps sur la vague « Tour de France » en organisant des critériums une fois le Tour terminé. Après la course, des promoteurs investissent sur les champions de juillet pour faire des événements, payants cette fois. Sur des circuits courts, ces courses rapides, non officielles et souvent arrangées, relèvent plus du spectacle que d’une véritable épreuve sportive. Elles permettent aux spectateurs d’approcher les coureurs en vue durant le mois de juillet. En attirant des coureurs renommés, en les rémunérant, les promoteurs s’assurent la venue d’un public nombreux, prêt à payer son ticket d’entrée sur le circuit.
24Le Tour de France, événement estival, est également une marque qui se retrouve tout au long de l’année, sous diverses formes. En s’imposant de plus en plus comme une marque, le Tour de France s’oriente vers des loisirs payants (méga-événement : l’étape du Tour), mais également vers des loisirs commerciaux (jeux vidéo, pièces de collection, bandes dessinées, films du Tour...). Les produits du Tour de France les plus visibles et les plus symboliques restent les souvenirs « Tour de France ». Les produits « Tour de France » sont présents - à Paris notamment - dans de nombreux commerces voire « bazaristes » touristiques à savoir des « lieux dans lesquels les touristes peuvent retrouver les produits considérés comme emblématiques du lieu visité » [Lemarchand 2007], contribuant à fabriquer l’événement Tour de France comme un objet touristique de premier plan.
25Le TDF, véritable fête populaire et familiale, s’adresse à tous les publics. Il est devenu un outil de promotion politique, servant aux collectivités pour la promotion de leurs territoires, il est également perçu comme un « cadeau » fait par les élus à la population de leurs communes. Pour illustrer l’impact que peut avoir le Tour sur la renommée d’un itinéraire touristique, Françoise Breuillaud-Sottas a publié en 2016 un ouvrage sur la Route des Alpes, dans lequel elle identifie le Tour de France comme l’un des éléments fondateurs de la renommée de cette route touristique : « D’innombrables sportifs [...] ont sillonné la Route des Alpes et ce sont les grandes compétitions sportives, plus particulièrement le Tour de France cycliste, qui, en lui conférant une vraie notoriété populaire, l’ont définitivement ancrée dans l’imaginaire collectif ».
26Riche d’une histoire centrée sur le vieux continent, le cyclisme s’est épanoui mais également meurtri le long des routes qu’il a empruntées. De nombreux monuments à la gloire de champions cyclistes jalonnent les routes de France ; ils sont recensés par le site internet « mémoire du cyclisme »26. Ce sont des pèlerinages que de nombreux passionnés de cyclisme effectuent, au même titre que des lieux dont l’histoire est fortement liée au Tour, à l’exemple de l’ascension mythique de l’Alpe d’Huez. La montée de l’Alpe d’Huez est constituée de 21 virages : 14 km sur 1120 m de dénivelé. La presse indiquait en 2016, que « grâce au Tour de France, « l’Alpe » a une renommée mondiale, des cyclistes de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud et de Corée partent régulièrement à l’assaut des 21 virages »27.
- 28 societe.com 208 895 700 € de CA en 2015 pour A.S.O.
27Le Tour de France propose l’un des derniers spectacles gratuits : le défi pour l’organisation est de capitaliser sur un événement gratuit, de le pérenniser et de dégager des recettes. En place dans le calendrier sportif international et dans le calendrier civil français, le Tour de France est un événement rentable, en témoigne le chiffre d’affaires de la société organisatrice de l’évènement A.S.O.28. Pour rentabiliser son organisation, A.S.O. vend au secteur public (villes, agglomérations...) et privé (sponsor, investisseurs...) l’autorisation de faire leur promotion et d’associer leur image à celle du Tour ainsi qu’à certains diffuseurs, le droit de retransmettre l’épreuve [Mignot 2014].
- 29 Vingt-neuf fois arrivée d’étapes depuis 1952.
28Parmi les produits « Tour de France », plusieurs catégories peuvent être identifiées : les produits officiels du Tour de France, les produits d’inspiration Tour de France (reprenant les couleurs du Tour par exemple), et les produits reprenant le discours ou participant à l’imaginaire « Tour de France ». Deux exemples illustrent cette dernière catégorie. Le premier est le lancement de la bière brassée dans la station de l’Alpe d’Huez « 21 ». Le nom de cette bière s’inspire directement de la route reliant le Bourg d’Oisans à la station de sports d’hiver, rendue célèbre par le Tour29. Le second exemple est la soirée de lancement de la saison estivale 2013 de l’établissement Via Notte, considéré comme la plus grande discothèque à ciel ouvert en Europe, situé à Porto Vecchio, intitulée « Le Grand Départ » en référence au départ du Tour de France qui a lieu cette même année sur l’Île de Beauté.
- 30 Chargé de Relation Clients - Licences chez A.S.O.
29Enfin, d’après Maxence Barbier30 et le site Internet d’A.S.O., les produits dérivés de la société représentent un total de 2 millions de pièces vendues dans le monde ; aucun chiffre n’a été communiqué pour les seuls produits du Tour de France, environ 30 % de ces ventes se déroulent via le web, toutefois sans une indication précise sur les destinations d’envoi.
30Sur la route du Tour, les produits sont vendus dans des boutiques officielles itinérantes présentes à la fois au départ et à l’arrivée des étapes, et en vente « flash » sur la route du Tour par des véhicules présents dans la Caravane. La vente de produits sur les routes du Tour s’adresse exclusivement aux spectateurs. Parallèlement, la présence de produits « Tour de France » dans les magasins de souvenirs touristiques s’adresse à un panel plus large de touristes. Pour ce « merchandising », le mois de la compétition est un mois crucial pour les ventes, représentant entre 60 à 70 % des ventes annuelles et totalisant plus de 100 000 clients sur les routes du Tour.
31Ce constat est partagé par les revendeurs officiels des produits « Tour de France ». Bien que présents toute l’année dans leurs boutiques, les produits du Tour sont surtout demandés durant le mois de la course. Véritable « hit » durant l’été, la proportion de produits dérivés liés au Tour augmente au mois de juillet et explose le jour de l’arrivée sur les Champs-Élysées, représentant jusqu’à 90 % des ventes pour les vendeurs de la rue de Rivoli. Des amateurs de cyclisme et des touristes du monde entier sont présents pour l’arrivée à Paris (Colombiens, Norvégiens, Japonais...).
32D’après les vendeurs de souvenirs de la rue de Rivoli et de la place Saint-André-des-Arts, durant le Tour, le public demandeur de produits dérivés est plus varié. A contrario, pendant le reste de l’année, les produits « Tour de France » sont surtout demandés par un public homogène principalement anglophone (Américains, Australiens, Britanniques...). Le marché des produits dérivés accompagne l’expérience touristique et l’expérience de l’événement. Il « fait référence à un produit issu d’une oeuvre ou d’une marque » [Kergueno-Le Rolland 2017]. Ce marché des produits dérivés est devenu un enjeu majeur de marketing.
33Symbole fort pour les amateurs de cyclisme du monde entier, le Tour de France est un ensemble de lieux reliés par la course sur un tracé proche de 3500 km. Cet article a permis de montrer qu’il s’imposait de plus en plus comme une marque. Événement phare du sport français, sa médiatisation permet aux territoires de se mettre en valeur et de s’exposer aux yeux du monde. L’arrivée de nouveaux médias et la volonté du public d’être toujours plus immergé dans l’événement changent le rapport du spectateur au passage du Tour, jusque-là caractérisé par une longue attente, pour quelques minutes de spectacle. Le Tour peut aujourd’hui être suivi de partout. L’événement phare de la saison cycliste a opéré une réelle mutation depuis sa création en 1903 pour s’imposer désormais comme une marque, à la fois gage de qualité et de réussite, y participer est toujours un « graal » auquel aspire la majorité des cyclistes. Malgré ce tournant « entrepreneurial », il reste un événement ancré dans la tradition, populaire et accessible, qui existe par son public et par la ferveur qu’il a su entretenir jusqu’ici autour de l’événement. Il est rendu possible par le partenariat qui perdure entre l’organisation du Tour et les élus français et européens. Dans un milieu sportif de plus en plus concurrentiel et tourné vers le business qu’il génère, l’organisation du Tour semble avoir trouvé la recette pour ne pas faire payer la note aux spectateurs. Revendiquant un bénéfice pour les territoires et les annonceurs qui investissent dans le Tour, la formule permet à l’organisation de soigner son public.
34Les problématiques posées autour de la pérennité, de l’adaptation, modification, modernisation, transformation, évolution, innovation, du renouvellement ... se retrouvent autour de l’événement et de l’industrie « Tour de France ». Dans un monde de plus en plus polarisé, le Tour de France concentre une grande partie de l’attention médiatique et populaire du cyclisme, aux dépens d’autres épreuves du calendrier cycliste. Bien que d’autres épreuves souhaitent réduire leur retard en revendiquant et en communiquant sur leurs spécificités – à l’exemple du « Giro d’Italia », dont le discours repose sur « la course la plus dure du monde, dans le plus beau pays du monde » –, l’écart reste important. La mesure digitale annonce deux fois plus de pages visitées sur le site du Tour, ainsi que de fans sur Facebook et cinq fois plus de « followers » sur Twitter, confirmant que la communauté Tour de France reste la première communauté cycliste au monde.
35Entre ces deux grands tours, la course à la primauté pousse l’épreuve italienne, en 2009 pour son centenaire, à confier la réalisation de son maillot de leader aux créateurs italiens Dolce & Gabbana, couronnant cet équipement jusque-là exclusivement destiné pour un usage sportif, comme un objet de mode. Quatre ans plus tard, en 2013, c’est cette fois le Tour de France qui lance un maillot en édition limitée pour la 100ème édition du Tour de France : objet collector, le maillot n’est vendu que dans cinq points de ventes, en France, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne et en Australie. Cette même année, l’épreuve italienne continue son tour des créateurs en confiant la réalisation du maillot de leader au couturier britannique Paul Smith. Ce schéma se répète avec le lancement de nouvelles courses et la conquête de nouveaux marchés, au Moyen Orient notamment. Au lancement du « Dubaï Tour » en 2014, c’est la maison italienne Versace qui est choisie pour dessiner le maillot du leader de l’épreuve.
36De l’ancrage spatial lors de la couse in situ, ces évolutions montrent parallèlement l’existence d’un événement de plus en plus détaché de ses racines populaires, mettant ces mutations en débat : les critiques concernant le Tour et les nouvelles grosses équipes du circuit professionnel se multiplient, pointant un cyclisme s’éloignant progressivement de son public, avec des champions moins accessibles qu’auparavant, tant sur le Tour que sur d’autres épreuves moins prestigieuses.
37Toutefois, si le Tour de France est devenu un événement sportif et économique sans conteste, il est aussi - en raison des suspicions croissantes de dopage31 - confronté à l’envers de ce sport business. En se multipliant, ces suspicions risqueraient de provoquer un intérêt moindre pour l’événement sportif lui-même, et par contre coup des retours inférieurs sur investissement des sponsors et des villes [Lê-Germain & Leca 2005, Lentillon-Kaestner 2008].