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La dialectique patrimoine/modernité, support de la ressource territoriale

Édith Fagnoni
p. 117-126

Texte intégral

1Dans un contexte de changement d’échelles et de concurrence généralisée entre les territoires, la question de l’ancrage territorial associée à celle de l’innovation et de la création apparaissent comme des moteurs essentiels du développement/redéveloppement territorial au regard de la compétitivité accrue. Les villes et les territoires s’exposent, il s’en suit une médiatisation croissante et constante depuis la seconde partie des années 2000. C’est ainsi que la part de la culture, du patrimoine et du tourisme se trouve confrontée au prisme de l’aménagement et de la géographie. Il en ressort une synergie entre ces trois termes qui s’entendent comme une co-construction dans les processus de développement des territoires. Ces objets sont de plus en plus mobilisés par les acteurs du développement/redéveloppement territorial, ils alimentent la notion de ressource territoriale. Cette notion de ressource territoriale permet de nommer, de reconnaître, d’identifier ce qui fait la force des territoires. La ressource territoriale est une ressource pour laquelle, le contexte socio‑spatial contribue directement à la valeur de ce qui est produit, et renvoie ‑ au fond - à la question simple de ce qui fait territoire. Aussi, il importe de rappeler que le territoire est un espace délimité, approprié, représenté, c’est un construit social où les processus et les héritages historiques jouent un rôle déterminant ; ce construit social résulte d’un processus de coordination des acteurs [Debarbieux 2003, Di Méo 1998]. En effet, le territoire ne saurait se construire sans une mobilisation des acteurs et sans une mise en œuvre des ressources territoriales qui sont activées (ou révélées) mais aussi créées, pour une dynamique renouvelée du territoire. Croiser culture, patrimoine et tourisme permet de rappeler qu’il s’agit d’une caractéristique construite d’un territoire, dans une optique de développement. La ressource territoriale renvoie donc à une intentionnalité des acteurs concernés, en même temps qu’au substrat idéologique du territoire.

2Cet objet intentionnellement construit peut l’être sur des composantes matérielles (données matérielles, faune, flore, patrimoine, …) et/ou sur des idées ou plutôt des valeurs (des valeurs comme l’authenticité, la profondeur historique, …). Une ressource est dite territoriale lorsqu’elle émerge, se structure et se réalise avec et par la territorialisation : comment la reconnaître, quel est le processus de son activation et que produit ce type de ressource ? La ressource territoriale offre donc des attributs comparables à ceux du territoire ; elle est également totalement immergée dans la dimension temporelle : la ressource territoriale naît, est opératoire, voire meurt.

3Dans la lignée de la géographie comme science territoriale ayant vocation à rendre compte des différentes modalités de construction des territoires et de leurs interrelations sur un espace donné, les travaux présentés dans ce numéro thématique reposent sur la cohabitation entre stratégie de patrimonialisation alimentant une « culture de la conservation » et stratégie d’innovation renvoyant à la « culture de la création ». Cette cohabitation nourrit une sorte « d’observatoire » permettant d’approcher les processus de construction territoriale et conforte l’idée que le territoire culturel se définit comme une forme d’enracinement et d’attachement aux lieux, selon un principe culturel d’identification.

4La ressource territoriale est donc questionnée ou requestionnée au travers du prisme de la mémoire et/ou du projet, de la création. Les problématiques de l’intégration du passé dans le présent marquent un tournant situant les territoires entre « mémoire », qui assure la reproduction en tenant compte des identités, et « projet », qui, outre le fait de fixer des ambitions, des finalités, assure la production [Fagnoni 2002, 2005, 2011].

1. Stratégie de patrimonialisation, vers une « culture de la conservation »

5Un certain nombre de contributions porte sur des territoires essentiellement en quête de reconversion ; ils alimentent la « fabrique du patrimoine », devenu un référent de l’ancrage des territoires. L’observation des démarches de développement local met en évidence une forte utilisation des objets patrimoniaux dans la construction des projets de territoire.

6À la fois naturel et culturel, matériel et immatériel, l’extension typologique du patrimoine s’accompagne aussi d’une extraordinaire diffusion géographique qui touche à l’heure actuelle plus du tiers des pays du monde. Face à la dégradation, à la destruction volontaire ou accidentelle qui menace en permanence ces tissus urbains hérités, le souci de les sauvegarder a gommé les frontières entre les continents et les nations et a abouti à la constitution de biens patrimoniaux appartenant à l’humanité toute entière et placés sous sa responsabilité. Si bien qu’un label est devenu signe d’identification et l’UNESCO se présente comme l’acteur mondialisant du patrimoine.

7Le tropisme patrimonial est-il devenu le référent du développement et de l’ancrage des territoires ? Ce phénomène de dilatation du patrimoine, impliquant des variations d’échelles spatiales, intéresse de plus en plus le géographe [Veschambre 2007]. Patrimonialiser, c’est mettre à part, opérer un classement, constater une mutation de fonction et d’usage, souligner la conscience d’une valeur qui n’est plus vécue dans la reproduction de la société mais qui est décrétée dans la protection de traces, de témoins, de monuments [Veschambre 2008].

8La patrimonialisation est un processus de reconnaissance et de mise en valeur d’édifices, d’espaces hérités, d’objets et de pratiques : pour ceux qui se les approprient, il s’agit d’une forme d’inscription dans l’espace et dans le temps, facteur de valorisation et de légitimation. La loi reconnaît en effet une grande diversité d’objets et de biens patrimoniaux. De fait, le patrimoine représente un support matériel privilégié d’inscription dans l’espace et dans le temps, de construction mémorielle et identitaire, de visibilité et de légitimité pour les groupes sociaux qui y sont associés. Le patrimoine constitue le support privilégié de construction de la mémoire collective qui permet d’inscrire des références identitaires dans la durée, par‑delà les ruptures, les crises, les mutations. Mais l’explosion du patrimoine nécessite une réflexion sur la sélectivité, car il induit un impact sur la valeur des lieux, par son fort marquage identitaire : « Les hommes ont besoin du témoignage d’autres hommes et chaque époque puise dans celles qui l’ont précédé et les émotions qui lui permettront de créer et fabriquer » [Greffe 1999, p. 28].

9Le lien entre patrimoine et développement est devenu omniprésent et consensuel dans les politiques de construction ou reconstruction des territoires, avec pour corollaire les enjeux de mise en valeur qui renvoient le plus souvent au tourisme, envisagé tout à la fois comme vecteur de médiation culturelle pour les locaux, les visiteurs et les touristes, et comme facteur économique, à partir du moment où la culture est devenue objet de consommation. Le patrimoine est à la fois valeur refuge, référence et mémoire, mais il est aussi un vecteur politique, économique et d’aménagement, mettant en jeu des intérêts considérables, si bien qu’à toutes les échelles, le patrimoine est devenu un objet de communication voire de socialisation renvoyant aux problématiques identitaires. La patrimonialisation est désormais un outil incontournable des politiques du territoire. Ce rapport entre les territoires et leurs constructions identitaires se positionne donc comme un support mémoriel, outil de développement et de communication. En effet, plus que jamais, l’attractivité des territoires est conditionnée par l’offre patrimoniale et, en retour, les espaces et les objets patrimonialisés sont refaçonnés par cette dynamique. Dans quelle mesure la patrimonialisation, qu’elle résulte d’une construction sociale et/ou d’une action politique, joue-t-elle le rôle d’une matrice produisant et structurant des territoires ? Quels sont les indicateurs permettant d’évaluer les impacts des courants actuels de la patrimonialisation sur nos sociétés ? La patrimonialisation est-elle réellement en passe de redéfinir les critères d’attractivité des territoires ? Quels sont les nouveaux rapports entretenus par les sociétés avec les espaces mis en patrimoine ? L’ère du « tout-patrimoine » est-elle en train de remodeler les facettes de l’attractivité touristique en contexte urbain ?

2. Stratégie d’innovation renvoyant à la « culture de la création »

10Parallèlement à la problématique du recyclage des territoires, le besoin apparaît d’un nouveau mode de développement qui se veut innovant, créatif et visible renvoyant à la métamorphose du lieu. L’actualité récente de l’inauguration à Londres du plus haut gratte-ciel d’Europe, sur la rive Sud de la Tamise dans l’arrondissement de Southwark face à la City, illustre ce propos : le Shard (l’« éclat de verre »). On parle d’une gigantesque épine de verre de 310 m qui ambitionne d’attirer 1 million de visiteurs par an (inaugurée le 5 juillet 2012, son ouverture au public date du 1er février 2013). Plus qu’un gratte‑ciel, ce geste architectural signé Renzo Piano, architecte du Centre-Pompidou à Paris, semble se présenter comme le symbole du nouveau Londres tentaculaire. Aux dires de son concepteur, c’est une « petite ville verticale » de 12 000 personnes, avec une mixité fonctionnelle : un hôtel cinq étoiles, des restaurants de luxe, 600 000 m2 de bureaux et des commerces.

11Aussi, conjointement à la politique et à la stratégie de restauration du patrimoine, qui ambitionnent des labels d’excellence (UNESCO), les grands projets urbains se multiplient avec le même souci de reconnaissance et d’identification territoriale, ils alimentent la fabrique de la ville. Ils se veulent innovants, et optent pour un urbanisme créatif, iconique, encourageant la promotion d’une image de marque [Gravari-Barbas 2009]. La créativité est aujourd’hui placée au cœur des stratégies de renouveau des villes et des territoires, à la fois comme facteur d’attractivité du cadre de vie, générateur de développement économique et d’évolution sociale. Les capacités de créer et d’innover sont devenues indispensables au progrès économique et social. À titre d’exemple, après avoir célébré le dialogue interculturel en 2008, l’Union européenne a fait de 2009 l’Année européenne de la Créativité et de l’Innovation, renvoyant ainsi à de multiples entrées.

12Les sciences du territoire qui étudient les dimensions multiples du développement territorial s’intéressent, depuis le milieu des années 1990, à la notion de « ville créative » qui s’est progressivement immiscée dans le débat sur la recomposition des modes de gouvernement et de développement des territoires urbains. La créativité tend à séduire de plus en plus de décideurs politiques locaux et de professionnels de l’aménagement. Les maires des grandes villes affirment tous que leur préoccupation première est de développer l’attractivité de leur cité, notamment en faisant de leur ville un lieu propice à la créativité. À la fois objet de recherche et enjeu politique, la réflexion sur la ville créative tend à être articulée d’un côté entre sa politisation ‑ les responsables politiques utilisent la créativité comme objet de construction d’un projet urbain ‑ et de l’autre, entre l’analyse et la compréhension de son influence sur l’action collective, celle-ci influençant les habitants et les visiteurs. Partout, les grands projets urbains et en particulier culturels se multiplient. Cette notion de ville créative renvoie à une approche de cultural planning ou processus de planification culturelle, fondée sur une dimension territoriale et non sectorielle de l’action publique. La créativité comme projet de ville, la créativité comme ressource urbaine intéresse ainsi de plus en plus le géographe car, occasion de repenser la maîtrise de l’évolution d’un espace, elle alimente le modelage/remodelage urbain. L’approche culturelle des politiques urbaines, reposant essentiellement sur l’innovation, alimente cette construction des territoires urbains.

13Les nouveaux équipements culturels occupent une place de plus en plus singulière dans la créativité urbaine et dans le développement des villes [Gravari-Barbas 2013]. La culture constitue à la fois un instrument et un support de valorisation spatiale. « La Culture s’impose progressivement comme le business des villes » [Zukin 1995]. Elle permet d’aborder la question de la « régénération culturelle » dans le processus de renouvellement urbain. La culture est-elle une manière de réinventer le développement local ? Pour se renouveler et se démarquer, les villes cherchent à se procurer une architecture médiatique, une signature forte, une audace architecturale, une icône [Jencks 1977, 2005] sur laquelle appuyer leur personnalité et qui les inscrira dans les villes de l’avenir. Il en ressort que toutes les villes et en particulier les métropoles se veulent créatives et attractives [Florida 2002].

14Dans l’optique du renouvellement urbain et territorial, la prise en compte des projets urbains innovants afin de saisir les intentions des réalisations urbanistiques et architecturales qui feront la ville et les territoires de demain, devient essentielle.

15Les articles présentés dans ce numéro thématique consacré à la ressource territoriale entre patrimoine et création mobilisent des thématiques et des exemples variés, interrogent plusieurs échelles et renvoient à tous les milieux. Ils explicitent cette recherche de lien et de transversalité entre passé et futur, cette articulation entre mémoire et projet. Dans une dimension d’ouverture, ce lien passe par le tourisme-loisirs qui s’appuie à la fois sur une attractivité inscrite, héritée et sur une attractivité construite, innovante voire iconique, confirmant un changement d’attitude et un changement d’échelle dans les projets de développement.

3. Le tourisme-loisirs, vecteur d’ouverture

16Le tourisme est devenu, d’une part, une puissante machine à produire des patrimoines de plus en plus nombreux et de plus en plus diversifiés. Il invite à étudier la fabrique touristique du patrimoine en revisitant la question patrimoniale dans le contexte du changement d’échelle impulsé par les mobilités touristiques internationales et le phénomène généralisé de la mondialisation, et d’autre part, le tourisme est co‑producteur des territoires de projet, qui s’entendent à la fois comme des révélateurs des processus de développement et comme des activateurs de nouveaux modèles de développement territorial.

17La multiplication des lieux investis par le tourisme est liée à l’augmentation du temps libre et à ses nouvelles modalités de consommation avec pour conséquence une intensification et une diversification des mobilités récréatives entraînant une confusion des lieux et des temps. Loisir et tourisme se trouvent souvent associés renvoyant à l’approche globale de la récréation. Il en ressort que le tourisme est « potentiellement » partout. Le tourisme-loisirs alimente la question du changement d’échelle, de l’ouverture, de l’attractivité et du rayonnement des territoires.

18Mais au cœur de ce constat, c’est l’avenir des territoires qui est en jeu et qui renvoie à la nécessité d’articuler projet urbain/territorial, projet culturel et projet touristique. Interroger la mobilité touristique c’est considérer les transformations sociales et spatiales qu’elle produit. Quels lieux et quels territoires les touristes investissent-ils ? Il s’agit de comprendre et d’analyser ‑ à différentes échelles - la diversité des relations que le tourisme tisse entre les territoires. De l’investissement à la production des lieux, la relation tourisme-loisirs est au centre de la dialectique articulée entre patrimoine et modernité : le tourisme-loisirs investit les lieux, villes et territoires, il les transforme (les phénomènes touristiques entrent en interaction avec les dynamiques urbaines contemporaines), voire invente de nouveaux lieux.

19S’intéresser aux liens complexes qui se nouent entre mobilités touristiques, lieux urbains, renouvellement urbain et territorial, et urbanité, mais aussi production de nouveaux territoires, c’est soulever un nombre important des grands enjeux qui animent aujourd’hui la géographie, passant de l’aménagement des espaces publics à la production des imaginaires géographiques, des jeux d’acteurs à la ville durable.

20Ces questionnements s’inscrivent dans la mouvance de la réversibilité des territoires, qui a tendance à devenir un outil de la production de la ville et des territoires et qui est encore peu questionnée en géographie.

21Conservation/patrimonialisation et création/innovation s’entendent comme des référentiels urbains et territoriaux relevant du processus de mutation. Les stratégies de renouvellement territorial posent le problème en termes de réversibilité des territoires, renvoyant à la notion d’action et d’articulation entre temps et espace et elles se situent à l’interface entre les domaines de la décision politique, de l’urbanisme et de la géographie, voire d’autres sciences sociales. Le temps n’est certes pas réversible, il n’en est pas de même pour l’espace.

22La dialectique patrimoine/modernité est au centre de ce nouvel « art d’accommoder les territoires ». Le changement d’échelles induit dans les questions d’aménagement des territoires, tout comme les situations de crise s’entendent comme des éléments déclencheurs dans les processus de renouvelabilité des territoires. À propos des terrains en crise, bien, évidemment la crise n’est certes pas la même partout mais elle s’entend comme un déclencheur : crise de la mine, crise de l’industrie traditionnelle, plus globalement crise économique, crise du pétrole, crise politique ... Chaque crise est différente, mais elle renvoie à la conscience d’un territoire. L’objet de cette publication est d’arriver à mieux comprendre comment cette conscience du territoire s’affirme pour produire des objets, des lieux qui mettent en place des processus de création.

23En cherchant à construire le tourisme-loisirs comme objet géographique et à le positionner entre processus de conservation/patrimonialisation et processus de création/innovation, la géographie est au cœur de la mise ou remise en désir des lieux.

4. Des contributions variées

24La diversité des articles présentés dans ce numéro s’entend comme une contribution aux réflexions en cours portant sur la notion de ressource territoriale. Ces contributions devraient permettre d’avancer dans une meilleure connaissance des ressources proprement territoriales et des mécanismes divers de révélation, émergence, bifurcation, valorisation, innovation, création de ces ressources. À travers les différentes problématiques abordées, les exemples analysés touchant à des milieux divers et renvoyant à des échelles variées (de la rue au quartier à la métropole ou à des territoires plus spécifiques (forêt, truffière, ...), l’objectif de ce numéro thématique est de comprendre comment les notions clés mobilisées - à savoir culture, patrimoine, création et tourisme - se relient dans les dynamiques territoriales et les dynamiques paysagères, révélatrices de contextes sociétaux propres, car il convient de rappeler que le projet de territoire est une déclinaison locale d’un projet de société [Bédard 2009].

  • Cécile Renard part du constat d’une instrumentation de l’architecture « signée » et légitimée à l’échelle internationale qui marque l’entrée de l’architecture dans l’économie compétitive et le système global. Trois exemples permettent de mobiliser la question de l’architecture comme indicateur de globalisation des territoires : Barcelone, Berlin et Rome.

  • Jean-Michel Tobelem, à travers l’observation des stratégies de développement du tourisme culturel conduites au Moyen-Orient, offre l’occasion de s’interroger sur une reconfiguration du paradigme muséal et sur le rôle (ou l’instrumentalisation) des musées dans la construction de nouvelles destinations à vocation internationale. L’auteur présente une comparaison entre les stratégies conduites respectivement à Abou Dhabi et à Doha, laquelle permet de mettre en lumière des points de convergence (vision globale, création de grands équipements, rôle du tourisme, politique d’image), mais également des différences (planification, valorisation du patrimoine local, branding) dans les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre.

  • L’article présenté par Géraldine Djament-Tran travaille une figure patrimoniale de la globalisation, la friche industrielle reconvertie par la « créativité », sur la base d’une comparaison entre deux quartiers péricentraux, Plaine Commune en banlieue parisienne et le quartier romain Ostiense. Il présente la déclinaison de tous les standards de la « créativité » et s’interroge sur la contribution incertaine et sélective de la culture à la régénération urbaine et à la construction du polycentrisme métropolitain. Il souligne l’ambivalence des relations entre la « créativité » et la patrimonialisation, pour conclure aux interférences croissantes entre le régime d’urbanité métropolitain et un régime « post-patrimonial ».

  • Le texte d’Anna Geppert et Emmanuelle Lorenzi introduit la notion de patrimoine du quotidien renvoyant à des identités locales fortes. En montrant la complémentarité des dispositifs de protection français, l’article explicite - à partir de l’exemple troyen - la nécessité d’une adaptation des méthodes de l’urbanisme. Cette contribution montre ensuite les questions que cette patrimonialisation de l’urbanisme pose aux villes européennes.

  • Anne-Cécile Mermet analyse la créativité par le prisme du commerce. Cet article tente de cerner la dimension créative du quartier du Marais à Paris en questionnant le lien entre un héritage artisanal (orfèvrerie, bijouterie, confection) et la concentration de « créateurs ». Il analyse l’évolution fonctionnelle de ce territoire urbain en se demandant si, d’un quartier artisanal de production, le Marais ne serait pas plus devenu aujourd’hui une vitrine qu’un véritable lieu de création.

  • Entre « iconographie » et « mouvement », l’article de Bertrand Pleven envisage les représentations cinématographiques comme un observatoire des constructions territoriales et de la fabrique de l’urbanité. L’auteur rappelle que la métropole parisienne est un espace profondément travaillé par les cinéastes qui participent indéniablement au façonnement des territorialités urbaines. Mais Paris est-il encore cinématographique ? S’emparer de cette question en géographe amène l’auteur à réfléchir sur le processus de symbolisation de la métropole parisienne. La créativité est interrogée selon deux entrées : la première interroge la capacité au renouvellement de l’iconographie parisienne par les cinéastes, la seconde la manière dont la ville renouvelée est mise en image et en fiction.

  • À partir de l’exemple de la forêt de Fontainebleau, l’article de Micheline Hotyat pose la double question de la fréquentation touristique devenue intensive de la forêt et parallèlement de sa nécessaire protection. En effet, la forêt de Fontainebleau connait depuis le XIXe siècle une fréquentation touristique soutenue grâce à sa proximité avec la capitale et à sa diversité paysagère qui a attiré autant les peintres de Barbizon que les parisiens avides de plein air. Les peintres de Barbizon, fervents défenseurs des chênes majestueux, ont obtenu en 1861 que plus de mille hectares de forêt reviennent à la « nature » et soient appelés « Séries Artistiques ». Mais, comment ces espaces protégés jusqu’à nos jours ont-ils évolué et quels paysages offrent-ils aujourd’hui ? Comment ouvrir la forêt au grand public et protéger un tel milieu sensible ? Au cours de ces siècles, comment les gestionnaires ont-ils concilié production de bois et accueil du public ?

  • La contribution de Catherine Carré analyse la potentialité et récente prise en compte patrimoniale par les collectivités territoriales de leurs réseaux d’eau et d’assainissement. Confrontées à la nécessité d’augmenter la facture d’eau pour financer son renouvellement, les collectivités mettent de plus en plus en avant des équipements ignorés jusque là ; elles en font désormais un des lieux de visite lors des journées du patrimoine. L’article insiste sur ces réseaux qui pointent ainsi un « drôle » de tourisme, une fréquentation locale, dans la construction d’une légitimation des services publics par les habitants. Pour autant, les communes dites touristiques, doivent aussi imaginer un financement spécifique de leurs réseaux pour l’ajuster aux variations de la demande en période touristique.

  • Entre économie du luxe ou sauvegarde de patrimoine, l’article de Mathias Faurie traduit les difficultés liées à la reconnaissance patrimoniale d’un patrimoine particulier : la truffe de Bourgogne. La production de truffes s’effondre inexorablement depuis un siècle en France. À partir des années 1970, les avancées sur les plans agronomiques et l’accompagnement de la filière par un programme de subventions ont suscité des espoirs mais n’ont pas suffit à inverser cette tendance et l’offre reste inférieure à la demande. L’auteur montre que de produit de luxe, la truffe est devenue patrimoine menacé et incarne dans de nombreuses régions un certain renouveau aux contours tant économiques qu’identitaires, et participe ainsi à la recomposition des territoires ruraux. L’auteur montre néanmoins que cette mise en patrimoine de la truffe semble parallèlement constituer un frein à l’innovation : le marquage du territoire pourrait nuire à l’adaptabilité de la trufficulture devant les transformations climatiques globales actuelles et à venir.

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Pour citer cet article

Référence papier

Édith Fagnoni, « La dialectique patrimoine/modernité, support de la ressource territoriale »Bulletin de l’association de géographes français, 90-2 | 2013, 117-126.

Référence électronique

Édith Fagnoni, « La dialectique patrimoine/modernité, support de la ressource territoriale »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 90-2 | 2013, mis en ligne le 22 janvier 2018, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/2267 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.2267

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Auteur

Édith Fagnoni

Edith Fagnoni est Maître de Conférences en Géographie habilitée à diriger des recherches. Elle exerce ses fonctions d’enseignant-chercheur à l’Université Paris Sorbonne-Paris IV (IUFM) et est directrice adjointe de l’EIREST (Équipe Interdisciplinaire de REcherches Sur le Tourisme) de l’Université Paris1 Panthéon-Sorbonne. Courriel : e.fagnoni[at]wanadoo.fr

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