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Les espaces périurbains : une marge urbaine à soigner ou une nouvelle banalité territoriale ?

Peri-urban spaces: an urban margin to be treated or a new territorial banality?
Xavier Desjardins
p. 489-501

Résumés

La question des espaces périurbains fait l’objet d’une forte attention politique et médiatique. En effet, ces espaces concentrent un certain nombre d’inquiétudes sur la cohésion sociale et d’appréhensions liées aux effets environnementaux des modes de vie contemporains. Ces espaces sont parfois considérés comme des marges, non seulement parce qu’ils se situent « au bord » (soit « à la marge ») des agglomérations, mais aussi parce qu’ils seraient caractérisés par trois processus : une marginalité sociale subie, des caractéristiques propres qui renforcent cette marginalité sociale et enfin, un écart grandissant face à une nouvelle norme environnementale. Pour les urbanistes, faut-il considérer les espaces périurbains comme une marginalité à résorber ou faut-il y voir des lieux à valoriser pour l’épanouissement d’une autre urbanité ?

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Texte intégral

1Les espaces périurbains font actuellement l’objet d’une déferlante de livres, colloques, rencontres et autres séminaires [Cary & Fol 2016]. Pourquoi ces espaces intéressent-ils tant ? Parce qu’il apparaît à de nombreux auteurs que se jouent, dans les périphéries des grandes villes, la réussite ou au contraire l’échec d’ambitions aussi diverses que celles d’assurer la cohésion sociale, de réduire les déplacements automobiles, de préserver la qualité des paysages ou encore de conserver des terres suffisantes pour satisfaire les besoins alimentaires. Objets d’intérêt, ces espaces sont également l’objet de passions et de regards très idéologiques. Eric Charmes et Jean-François Léger [Charmes & Léger 2009] ont bien mis en évidence ce débat. Pour certains, ces nouveaux espaces urbains seraient le territoire de l’individualisme, matérialisé par la maison individuelle isolée, et du laisser-faire économique, symbolisé par les « boîtes à chaussure » commerciales. Pour d’autres, ces espaces sont des lieux de l’invention d’une urbanité nouvelle : si la densité et la diversité dans la proximité sont les marques de la ville historique, de nouvelles urbanités s’y inventeraient grâce à l’automobile et aux nouvelles technologies de l’information et la communication.

2Que sont les espaces périurbains ? Les définitions sont relativement fluctuantes. Selon l’étymologie, ce mot qui mélange grec et latin, signifie les espaces autour (péri), de la ville (urbs). Dans le langage commun et dans l’imaginaire collectif, est périurbain, tout ce qui est éloigné des centres-villes et où l’on rencontre des supermarchés ceinturés de vastes espaces de stationnement automobile et de nombreux pavillons. Pour l’institut statistique national, les espaces périurbains sont définis de deux manières : par la forme tout d’abord (ils sont disjoints de l’agglomération) et par les relations fonctionnelles (en l’espèce, le pourcentage de personnes qui habitent une commune hors de l’agglomération mais qui travaillent dans le pôle urbain ou une commune elle-même attirée par ce pôle urbain). Dans le cadre de cet article, nous nous référons d’abord à cette définition statistique. Cette définition statistique insiste sur la dépendance à l’emploi de ces espaces autour des villes. Pour autant, ces espaces autour des villes sont-ils toujours des marges ? S’ils sont bien aux marges de la ville, puisque situés en bordure des agglomérations, ne constituent-ils pas aujourd’hui les figures de l’ordinaire urbain ? Autrement dit, sont-ils une marginalité territoriale à soigner ou un des lieux d’invention d’une nouvelle banalité urbaine ?

3Pour répondre à cette question, nous aborderons tout d’abord les spécificités du périurbain « à la française ». Si tous les pays anciennement industrialisés ont connu des dynamiques similaires de desserrement urbain à l’heure de banalisation du chemin de fer puis de l’automobile, un certain nombre de singularités françaises s’explique par des choix anciens en matière d’aménagement du territoire. Dans un deuxième temps, nous discuterons du caractère marginal de ces espaces. Dans un troisième temps, nous pourrons discuter les contours des projets territoriaux pour ces espaces en fonction de cette appréhension de leur caractère marginal : faut-il les considérer comme des marges à « normaliser » ou une forme nouvelle d’urbanité à valoriser ?

1. Les espaces périurbains français : quelles spécificités ?

4Avant de discuter du caractère marginal ou non de ces espaces, présentons de manière synthétique quelques caractéristiques des espaces périurbains français.

1.1. Le desserrement urbain : un processus universel

5La périurbanisation (c’est-à-dire la croissance des communes autour des grandes agglomérations) est le fruit du processus de desserrement des villes. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’extension spatiale des villes était limitée par le recours presque exclusif à la marche à pied comme mode de déplacements [Wiel, 1999]. L’arrivée du chemin de fer, puis, quelques décennies plus tard, de l’automobile, a radicalement changé les principes d’organisation des espaces urbains. Alors que la proximité était imposée, la vitesse accroît les possibilités de mise à distance entre les choses et entre les gens. La vitesse permet de se mettre à distance de son travail et de certains groupes sociaux. Elle multiplie les choix possibles pour l’accès aux commerces, aux services et aux emplois. Le développement périurbain est l’aspect le plus visible d’une transformation de l’ensemble des espaces urbains sous l’effet de la vitesse devenu accessible au plus grand nombre. En une heure et en ville, un citadin à pied parcourt environ trois kilomètres, l’usager des chemins de fer une quinzaine, l’automobiliste trente [Desjardins, 2014].

1.2. Une périurbanisation française très émiettée

6Qu’est-ce que le périurbain ? Les instituts statistiques des différents pays ont des définitions très diverses [Bretagnolle, 2015]. L’institut statistique national français définit le périurbain selon un double critère :

  • un critère de dépendance aux emplois d’un pôle urbain. Depuis 1997 [Le Jeannic & al. 1997], l’INSEE définit comme périurbain l’ensemble des communes qui envoient 40 % de ses actifs vers un pôle urbain regroupant au moins 1500 emplois ou une commune elle-même attirée par ce pôle. Ce processus itératif permet de délimiter une couronne périurbaine ;

  • une commune doit aussi satisfaire un critère paysager : sa zone bâtie principale, celle où se concentre l’essentiel de sa population, doit être séparée de l’agglomération du pôle urbain par une bande non bâtie d’au moins 200 mètres. La discontinuité avec l’agglomération principale est donc un élément essentiel de la définition du périurbain.

7Une commune peut devenir « périurbaine » sans constructions nouvelles : un village sans construction neuve dont les actifs seraient nombreux à travailler dans un pôle voisin pourrait statistiquement devenir périurbain. Cela renseigne sur une réalité périurbaine : ce n’est pas seulement l’extension de la « tache urbaine » ou l’augmentation des zones pavillonnaires, c’est aussi l’extension de « bassins de vie urbains » qui agrègent de plus en plus larges zones rurales.

8Les espaces périurbains sont donc bien, comme le dit Eric Charmes [2011], une « ville émiettée » : c’est la discontinuité du bâti qui la caractérise. Cet émiettement de la croissance périurbaine est également renforcé par les mécanismes de décision en matière d’urbanisme.

1.3. Les étapes de la périurbanisation

9Si un même processus global se repère partout en Europe et en Amérique du Nord, le processus de périurbanisation a des temporalités spécifiques [Queva, 2015]. Le desserrement urbain est plus précoce aux États-Unis qu’en Europe. En 1960 aux États-Unis, près de 80 % des ménages possèdent une automobile contre moins de 40 % en France. En France, après la seconde guerre mondiale, la forte croissance démographique de la population française a d’abord alimenté l’extension continue et la densification des pôles urbains.

10C’est à partir des années 1960, alors que se termine l’exode rural, que le mouvement de croissance des entités urbanisées commence à se manifester au-delà de ces périmètres agglomérés. Cette tendance à un développement urbain plus diffus est d’abord apparue en région parisienne, avant de se diffuser dans l’ensemble du réseau urbain français [Le Jeannic, 1997]. À l’échelle nationale, c’est entre 1975 et 1990 que le mouvement de périurbanisation résidentielle est le plus important. Il devient alors emblématique des modalités de la croissance urbaine.

11L’accession à la propriété, soutenue à partir des années 1960, est renforcée par la réforme de 1977 des aides au logement. Depuis 1977, le renforcement des aides à la personne a fait des « consommateurs de logement », c’est-à-dire des ménages, les principaux guides du marché immobilier. Les migrations résidentielles des centres urbains vers les périphéries dominent alors très largement, faisant de la périurbanisation un mouvement d’ « exode urbain » [Merlin, 2009].

12Depuis 1990, les taux de croissance de la population des villes-centres, des banlieues et des couronnes périurbaines tendent à se rapprocher. La périurbanisation se poursuit à un rythme inférieur à celui des années antérieures (1 % dans les années 1990, 1,3 % en 1999) et la croissance démographique des villes-centres et des banlieues reprend depuis 1999 avec, respectivement, une croissance de 0,3 % et 0,6 % par an. Le mouvement de périurbanisation s’est considérablement diversifié, puisque les migrations des centres urbains vers les communes périurbaines ne représentent désormais plus qu’un quart de l’ensemble des flux migratoires [Dodier, 2012]. Les déménagements au sein même des espaces périurbains prennent progressivement de plus en plus d’importance. C’est le signe d’une maturité du périurbain.

2. Les espaces périurbains sont-ils des marges ?

13Les espaces périurbains sont un beau « terrain » d’analyse pour faire jouer la « palette » des usages possibles de la notion de « marge ». En effet, dans le sens premier de la « marge » comme « bord » d’un territoire (comme la « marge » d’une feuille, qui est à la fois le côté de la copie, mais aussi ce lieu du pouvoir de l’enseignant !), le caractère marginal du périurbain ne fait aucun doute : il est « au bord » de la ville. Mais dans un sens géographique plus riche, la notion de marge renvoie à celle d’écart à une « norme » ou à un « centre ».

14Trois questions spécifiques se posent pour le périurbain :

  • Est-il un espace socialement « marginal » ? Sa composition sociale et culturelle la met-il dans une situation de « marginalité » ?

  • Est-ce un espace qui « marginalise » socialement les individus ? Autrement dit, est-il producteur de marginalités sociales en raison de ces caractéristiques de fonctionnement ?

  • Est-ce un espace qui s’oppose à une nouvelle norme environnementale, donc une marge à « normaliser » ?

2.1. Les espaces périurbains : des marges sociales ?

15La situation sociale dans les espaces périurbains a fait l’objet d’une attention soutenue. En 2014, Christophe Guilluy a édité un ouvrage La France périphérique qui a rencontré un large écho médiatique et politique. Que montre-t-il ? Il distingue la France métropolitaine du reste. Soulignons-le tout de suite : sa définition de la France périphérique dépasse très largement ce qui est entendu comme « périurbain » par les géographes. Toutefois, il nous semble important de rappeler ce débat qui a beaucoup marqué l’attention médiatique.

16Pour C. Guilluy, la France métropolitaine est définie comme la zone d’influence des 25 plus grandes villes de France (cette zone d’influence des grandes villes est définie grosso modo comme les aires urbaines amputées des parties socialement les plus fragiles de leur couronne périurbaine). Or, en dehors de ces espaces, une France dite « périphérique » regroupe 34 millions d’habitants et cumule davantage de difficultés sociales (selon des indicateurs liés au chômage, à la précarité et à la part des ouvriers et employés) que les grandes villes. Le sous-titre de son ouvrage éclaire son propos : Comment on a sacrifié les classes populaires.

17L’auteur montre que les difficultés sociales sont massives en zones périurbaines et rurales, c’est-à-dire loin des « banlieues » et « quartiers populaires » qui symbolisent pour beaucoup les difficultés territoriales. Il y a donc explicitement la volonté dans son ouvrage d’étalonner la « marginalité » des territoires pour souligner que les « territoires périurbains » seraient davantage « marginaux » que les territoires dits de « banlieue », termes souvent utilisés pour désigner les quartiers d’habitat populaire des agglomérations urbaines. Ce propos et le débat qui l’accompagne ont-ils une incidence sur les politiques publiques ? Indirecte peut-être avec le regroupement en 2012 au sein d’un Commissariat général à l’égalité des territoires de la « délégation interministérielle à la Ville » et de la « Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale ». Villes et campagnes, banlieues populaires et zones rurales isolées, sont toutes deux l’objet de la même sollicitude placée sous le vocable d’égalité des territoires.

18Pour autant, cette lecture binaire du territoire a fait l’objet de nombreuses critiques. Tout d’abord, les travaux de nombreux économistes ont montré que les territoires « hors métropoles » étaient loin d’être oubliés [Davezies, 2010]. Les flux « invisibles » de la circulation monétaire engendrés par les mécanismes de solidarité nationale sont très favorables aux zones rurales et périurbaines. L’Ile de France redistribue aujourd’hui vers la province, via les budgets de l’État et de la Sécurité sociale, de l’ordre de 10 % de son produit intérieur brut.

19Ensuite, beaucoup critiquent cette opposition entre « deux France ». Elle apparaît peu réaliste sur les plans des pratiques (les mobilités résidentielles et quotidiennes sont massives entre les métropoles et leurs pourtours !), mais surtout elle ne prend pas en compte l’extraordinaire diversité sociale du périurbain ! La dynamique périurbaine est indiscutablement marquée par le différentiel de prix fonciers entre les centres urbains et les lointaines périphéries urbaines. Comme les logements sont moins chers à mesure de l’éloignement des centres urbains, la composition sociale se modifie. Autour de Nancy, selon les données de l’INSEE, en 2012, on compte un cadre pour deux ouvriers et employés dans un rayon de cinq kilomètres du centre-ville, mais moins d’un cadre pour cinq ouvriers et employés au-delà de quinze kilomètres. Si cette logique centre-périphérie se retrouve dans la plupart des agglomérations, elle ne résume pas à elle seule la géographie sociale. Ainsi, en Ile-de-France, Martine Berger [Berger 2004] a bien montré cette diversité entre les communes aisées près du parc naturel de Chevreuse et les communes périurbaines populaires autour de Mantes-la-Jolie dans le département des Yvelines.

20Enfin, cette vision binaire apparaît peu opérante sur le plan des politiques publiques. L’enjeu est moins d’opposer que d’assurer les complémentarités entre métropoles et leurs « arrière-pays » (pour le tourisme, l’alimentation, la diffusion du dynamisme économique, etc.). La concurrence des « plaintes » entre « France périphérique » et « quartiers populaires » ne semble pas très convaincante [Behar, 2014]. L’enjeu en termes de politiques publiques n’est pas tant de mesurer le niveau relatif de difficultés que de trouver des leviers qui répondent à des problèmes différents, notamment les discriminations pour les habitants de nombreux quartiers populaires [Jaillet & Vanier 2016]. Bref, le débat autour de cette notion de « marginalité sociale » du périurbain est intéressant en ce qu’il montre deux lectures possibles de la notion de « marge ».

21Pour les uns, il s’agit de mesurer un écart à une norme et de réclamer une attention d’autant plus grande que l’écart est grand. Pour les autres, il s’agit d’appréhender la « marge » comme un élément d’un fonctionnement socio-territorial plus global et non de simplement mesurer l’écart mais surtout de définir la place spécifique que chaque portion du territoire occupe dans un système plus global pour trouver pour chacun d’entre eux des réponses adaptées.

2.2. Les espaces périurbains renforcent-ils les processus de la marginalisation sociale ?

22Les difficultés de mobilité dans les espaces périurbains sont particulièrement nombreuses : celles-ci ne contribuent-elles pas à marginaliser certaines populations ?

23Les transformations de l’espace permises par la vitesse transforment radicalement l’équation de mobilité [Beaucire, 2011] : la dispersion des ressources territoriales contraint à de longs déplacements. Les espaces périurbains sont donc marqués par des déplacements particulièrement nombreux et de distances parcourues plus élevées que dans les agglomérations urbaines. A l’échelle nationale, et selon les données de l’enquête nationale sur les transports et les déplacements [Armoogum et al., 2010], le nombre de déplacements locaux a un peu diminué entre 1982 et 1994 puis est resté stable. En revanche, la portée des déplacements a beaucoup augmenté. En moyenne, un Français parcourt plus de 25 kilomètres par jour en 2008 pour la mobilité locale contre 17,4 en 1982. L’accroissement des distances parcourues en automobile est particulièrement notable pour les habitants des couronnes périurbaines : selon que l’on vit dans une zone bien desservie et bien équipée, ou que l’on vit dans une zone peu dense et dépendante de l’automobile pour la plupart des activités, les consommations d’énergie pour la mobilité varie dans un rapport de 1 à 3 pour des personnes comparables en termes de niveau de vie et d’âge [Orfeuil, Massot, 2007]. La part la plus importante des écarts constatés s’explique par des différences de distance que les personnes ont à parcourir pour réaliser leurs activités quotidiennes. Une part minoritaire mais significative tient aux différences d’usage des modes de transport, puisque les habitants des centres urbains réalisent une part plus importante de leurs déplacements à pied ou en transport en commun.

24Aussi, ceux qui sont exclus, durablement ou temporairement, de l’usage des transports les plus rapides, peuvent –ils difficilement accéder aux ressources territoriales, notamment hors des espaces desservis fréquemment par des transports collectifs. Ce tel système territorial se révèle donc fortement dépendant des transports motorisés et d’une énergie peu chère et abondante. Il est exclusif pour ceux qui ne peuvent bénéficier de ces moyens de transport. Sylvie Fol [Fol 2009] a bien montré comment les plus pauvres pouvaient connaître des difficultés particulièrement fortes en raison de leur difficulté à se déplacer dans la grande couronne parisienne. Elle note que les ressources locales, à savoir la présence de nombreux réseaux d’interconnaissance dans la proximité, permet d’atténuer ces difficultés de mobilité.

25En cas de difficultés temporaires liées au chômage par exemple ou lors de période de hausse du prix du carburant, des situations de difficulté à l’accès aux équipements et services se rencontrent plus fréquemment [Motte-Baumvol, 2008]. Le fait d’habiter dans une zone périurbaine rend ainsi plus difficile le retour à l’emploi [Gobillon, Selod, 2007].

26Les problèmes de mobilité du périurbain sont ainsi assez intenses et peuvent renforcer les processus d’exclusion sociale. Une organisation du périurbain moins dépendante de l’automobile aurait pu être envisagée pour amoindrir ces difficultés [Desjardins, 2017].

2.3. En marge d’une nouvelle norme environnementale ?

27Les espaces périurbains sont souvent mis au ban de la « norme territoriale » en raison de leur bilan environnemental particulièrement peu flatteur. Les espaces périurbains seraient les « mauvais élèves » du développement durable en raison de deux caractéristiques principales : la forte consommation de sol et d’énergie.

28Pour l’énergie, nous l’avons vu précédemment, le niveau élevé de recours automobile fait que le « bilan carbone » des espaces périurbains n’est guère brillant. Toutefois, il ne faut pas noircir le tableau : dans tous les types d’espace, on note un accroissement de la longueur des déplacements. Ainsi, Benoit Conti [Conti 2016] montre-t-il que les « périurbains » qui travaillent dans leur aire urbaine représentent 15 % des actifs et 24 % des émissions de gaz à effet de serre. De leur côté, les inter-urbains, c’est-à-dire ceux qui vont d’une aire urbaine à une autre, regroupent 9 % des actifs et 29 % des émissions … Plus que la périurbanisation des résidences, c’est l’augmentation généralisée des distances entre domicile et travail qui est donc l’élément clé de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

29Autre caractéristique du périurbain : sa faible densité et donc, l’excessive consommation de sol que requiert son développement. L’expression d’un « département français consommé tous les dix ans par l’urbanisation » est souvent prononcée. Qu’en est-il réellement ? Selon les données de Corine Land Cover [CGDD, 2015], l’artificialisation des sols progresse. En 2012, les territoires artificialisés représentent 6 % de la superficie métropolitaine, soit environ 3 millions d’hectares. Entre 2000 et 2006, les territoires artificialisés ont augmenté de 221 000 hectares, puis de 87 000 hectares entre 2006 et 2012. Au cours de cette dernière période, 87 % des terrains artificialisés sont pris sur des territoires agricoles.

30Les « zones pavillonnaires » sont souvent montrées du doigt comme cause première de cette consommation de terres agricoles. En réalité, la consommation de sol par l’urbanisation est, pour les trois quarts, imputable aux infrastructures et aux zones d’activités économiques et commerciales. Autrement dit, c’est bien pour le fonctionnement global du système territorial (et non pour la satisfaction des seuls « périurbains ») que les terres agricoles se réduisent ainsi fortement.

31Enfin, si l’on prend l’ensemble des composantes de la « transition environnementale », notamment dans le domaine énergétique et alimentaire, il apparaît alors que les espaces périurbains, par leur faible densité et la proximité d’exploitations agricoles, sont des lieux où peuvent facilement se déployer les réseaux d’énergie renouvelable et les circuits courts alimentaires. Il apparaît donc assez impropre de souligner à l’excès le caractère incompatible ou contradictoire du périurbain avec l’émergence de nouvelles normes sociales à propos de l’environnement.

3. Quel projet pour les espaces périurbains ?

32Deux options d’aménagement du territoire se présentent pour les espaces périurbains : la première est de tenter de transformer les marges en des « centres » ou en de « vraies villes ». La seconde est de regarder dans les marges ce qui constitue un modèle urbain particulier à mettre en valeur.

3.1. Réduire l’écart à la norme territoriale ?

33Quelles sont actuellement les politiques d’urbanisme en faveur des marges urbaines ?

34Si l’on veut résumer à grands traits les politiques d’urbanisme poursuivies depuis deux décennies, disons que l’objectif poursuivi est de doter des périphéries urbaines de deux attributs de la ville « historique » : la densité et la proximité. Depuis la loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000, le mot d’ordre des politiques d’urbanisme est la « la lutte contre l’étalement urbain ». Pourquoi ce mot d’ordre ? Parce qu’il faut limiter la consommation de sol, pour le maintien de terres agricoles et naturelles, mais aussi parce qu’il convient de créer une certaine densité pour aboutir à de « vraies villes ».

35Pour réussir cet objectif, le législateur propose une nouvelle échelle d’action locale : les groupements intercommunaux. Les premières lois de décentralisation de 1982 et de 1983 ont transféré les compétences d’urbanisme aux communes. Les communes sont alors chargées d’élaborer des plans d’occupation des sols, directement opposables aux demandeurs de permis de construire. Les communes ne se sont guère empressées de coopérer et ont réalisé des plans d’occupation des sols selon leurs intérêts propres. Le développement périurbain a ainsi été très peu organisé. La loi Solidarité et renouvellement urbains de 2000 vise à y remédier en transformant les plans d’occupation des sols en plans locaux d’urbanisme ainsi que les schémas directeurs en schémas de cohérence territoriale. Progressivement, le législateur va renforcer le caractère intercommunal des documents d’urbanisme.

36Cette politique peut-elle aboutir ? Quelle sera l’effectivité du transfert aux intercommunalités de la compétence d’urbanisme ? Cela va-t-il vraiment renforcer une urbanisation plus compacte ? Beaucoup s’interrogent sur les effets d’une politique d’urbanisation guidée par les documents d’urbanisme, quand les ressorts de la périurbanisation et de l’étalement urbain (à savoir le différentiel de prix foncier entre centres urbains et zones périurbaines ainsi qu’un usage facilité de l’automobile) sont toujours présents.

37Plus fondamentalement, ne faut-il pas changer d’optique ? Ne peut-on pas envisager autrement les marges urbaines et les voir moins comme une anomalie à résorber qu’une opportunité à saisir ?

3.2. Valoriser une nouvelle urbanité ?

38De nombreux chercheurs et de nombreux praticiens de l’urbanisme ont proposé de nouvelles notions pour penser les « périphéries urbaines ». Leur point commun est de ne plus chercher à souligner les espaces périurbains comme des espaces « dégradés », ni tout à fait des campagnes, ni tout à fait des villes.

39En Allemagne par exemple, les travaux de T. Sieverts sur l’entre-ville (Zwischenstadt) visent à valoriser l’idée d’un potentiel de ces espaces. En 2001, T. Sieverts, architecte et urbaniste, publie l’ouvrage Zwischenstadt, zwischen Ort und Welt, Raum und Zeit, Stadt und Land. Cet ouvrage est traduit trois ans plus tard en français (Entre-ville : une lecture de la Zwischenstadt, 2004). Les analyses de Sieverts s’inscrivent au départ dans un contexte spécifique – celui de la Ruhr et de la région Rhin-Main, marquées par une urbanisation forte, l’industrialisation et, comme dans le reste de l’Allemagne, par une opinion sensibilisée aux enjeux écologiques. Mais ces spécificités se voient, selon l’auteur, largement nuancées au regard de tendances plus globales qui s’associeraient à une désagrégation de la ville historique européenne compacte dans un paysage de plus en plus urbanisé. La Zwischenstadt correspond à l’émergence de nouvelles formes urbaines à la périphérie des villes, souvent dénigrées mais correspondant à une part croissante de l’espace et de la population des pays développés. Trois dimensions s’y associent : « une dimension spatiale au sens d’une interpénétration de l’espace bâti et du paysage ouvert, une dimension économique au sens de la coexistence d’une économie agissant localement et d’une économie opérant sur le plan mondial, et une dimension historique au sens où ce territoire urbain encore si jeune, qui existe seulement depuis quelques décennies et se trouve dans un état transitoire, évolue vers une nouvelle forme urbaine que nous ne pouvons pas encore connaître » [Bonzani et al., 2011].

40En France également, une nouvelle notion apparaît, à partir des travaux de Martin Vanier [2000], universitaire géographe, élu local et consultant : la notion de « tiers espace ». La notion avait d’abord été employée par Jean Viard en 1990 pour désigner la « nature domestiquée » telle qu’elle est valorisée depuis la fin du XIXe siècle dans de grands parcs.

41Le sens donné par Martin Vanier diffère : « Le tiers espace […] désigne un espace hybride, complexe, partagé entre villes et campagnes, relevant de logiques qui sont à la fois urbaines et rurales, autrement dit ni strictement les unes, ni strictement les autres. Ces logiques habitantes, sociales, économiques, techniques, etc., ne peuvent être prises en compte exclusivement au nom de la ville ou au nom de la campagne, et par leur système d’action respectif : là où la société périurbaine mélange à dessein les composantes urbaines et rurales de son épanouissement, il est très vraisemblable que l’action collective, et en son sein l’action publique, doivent trouver leur efficacité dans le même mélange, autrement dit dans l’interterritorialité ». Le type d’espace correspondant est flou, non définissable statistiquement. Ce vocable a moins pour but de définir une nouvelle catégorie d’espace que de refléter un nouveau processus d’urbanisation qui se généralise. On comprend donc la référence au « Tiers-État » qui selon la célèbre formule de Sieyès : « Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien ».

42L’objectif de Martin Vanier est donc de décrire un nouveau processus d’urbanisation plus que de chercher une nouvelle définition des périphéries urbaines. En dépassant la notion de périurbain, l’enjeu est de donner un contenu positif aux espaces de densités intermédiaires : il s’agit de détecter une réalité particulière de cette forme d’urbain, non de le définir d’abord par la dépendance à la ville.

43Pourquoi cet enjeu du changement de regard est-il important ? Il vise non à nier les difficultés particulières que connaissent ces espaces et que nous avons rappelées dans la deuxième partie, mais à dépasser une lecture négative de ces espaces et à repenser leurs aménagements en conciliant les objectifs collectifs avec la prise en compte des qualités que les habitants reconnaissent à cette espace : une forme inédite de conciliation de la ville et de la nature, un mode de vie combinant qualité du logement et vie collective choisie.

Conclusion

44Le développement des espaces périurbains met à mal les notions qui, dans notre imaginaire, organise la ville européenne dans la longue durée [Beaucire & Desjardins 2015] : la densité, la proximité et la présence d’espace public. Dans les espaces périurbains, la densité est faible, la proximité est celle de l’automobile et les espaces publics sont divers, parfois semi-privatisés, quelquefois de nature plus que « de ville ». Faut-il céder à la nostalgie d’un passé idéalisé ou considérer autrement ces espaces, non pour céder à une démagogie qui consisterait à vanter le présent, mais pour porter un regard lucide qui seul peut permettre de penser efficacement le devenir de ces périphéries urbaines ? Selon la manière dont on définit le caractère marginal des espaces périurbains, selon que l’on entende leur caractère marginal comme un écart à une norme ou comme une situation particulière dans un système territorial plus vaste, on choisira l’une ou l’autre voie.

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Bibliographie

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Beaucire, F. (2011) – « Ville, mobilité, transport : les équations de l’accessibilité », in L. Cailly & M. Vanier, La France, une géographie urbaine, Paris, Armand Colin, pp. 235-254

Beaucire, F. & Desjardins, X. (2015), Les notions de l’’urbanisme par l’usage, Paris, Publications de la Sorbonne, 120 p.

Behar, D. (2014) – « Fracture : le frisson qui rassure », Huffington Post, 15 décembre 2014

Berger, M. (2004) – Les périurbains de Paris, de la ville dense à la métropole éclatée ?, Paris, CNRS Editions, 317 p.

Bonzani, S., Füzesséry, S. & Sieverts, T. (2011) – « Entre ville et campagne, l’avenir de nos métropoles », Métropolitiques [http://www.metropolitiques.eu/Entre-ville-et-campagne-l-avenir.html]

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Pour citer cet article

Référence papier

Xavier Desjardins, « Les espaces périurbains : une marge urbaine à soigner ou une nouvelle banalité territoriale ? »Bulletin de l’association de géographes français, 94-3 | 2017, 489-501.

Référence électronique

Xavier Desjardins, « Les espaces périurbains : une marge urbaine à soigner ou une nouvelle banalité territoriale ? »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 94-3 | 2017, mis en ligne le 20 octobre 2018, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/2154 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.2154

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Auteur

Xavier Desjardins

Professeur, UFR de Géographie et aménagement, Université Paris-Sorbonne, UMR ENeC – Courriel : xavier.desjardins[at]paris-sorbonne.fr

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