1La convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 en vigueur depuis 1994 fixe les compétences de l’État riverain en mer. Cette convention ratifiée par 164 États distingue les zones où le riverain exerce sa souveraineté (eaux intérieures et mer territoriale), celles où il exerce des compétences exclusives à finalité économique (zone économique exclusive et plateau continental), celle où il dispose de compétences reconnues à l’ensemble des États comme la liberté de navigation et où ne lui est reconnu de compétences exclusives que sur les navires battant son pavillon (Haute mer), enfin la zone internationale des grands fonds marins - patrimoine commun de l’humanité - où l’Autorité internationale créée par la convention de 1982 peut accorder des droits d’exploitation à certains États ou entités. Les zones sous souveraineté sont assimilées au territoire terrestre de l’État par fiction de territorialité du fait de leur adjacence à celui‑ci. On distingue le régime juridique des eaux intérieures de celui de la mer territoriale. Dans les eaux intérieures s’étendant du zéro des cartes jusqu’à la ligne de base qui simplifie le trait de côte, l’État exerce la plénitude de ses compétences mais ayant à faire à des navires (donc à des ensembles juridiquement organisés, juridiquement reconnus et disposant d’une nationalité) certaines compétences lui échappent (en matière civile, disciplinaire, administration du bord). Pour le reste, ses lois s’appliquent à bord pendant le temps de l’escale, la navigation dans cet espace doit être autorisée et l’accès au port n’est libre qu’à titre de réciprocité. Dans tous les cas, l’application des lois de police et de sûreté prime sur la liberté du commerce et des relations internationales. Dans la mer territoriale qui s’étend de la ligne de base jusqu’à 12 milles au delà, l’État riverain exerce là aussi la plénitude de ses compétences, mais afin de faciliter les relations internationales, il est tenu par le libre passage innocent des navires. Ses lois et règlements s’appliquent sur les navires étrangers de passage (douane, sécurité, sûreté, communications, immigration…), mais il ne peut s’opposer à celui-ci s’il est inoffensif. Ceci veut dire qu’un navire battant pavillon d’un État tiers peut traverser la mer territoriale vers les eaux intérieures du riverain, ou bien quitter celles-ci pour rejoindre la Haute mer ou même user du droit de passage latéral à la côte alors même qu’il n’est pas destiné à commercer avec le riverain. Pour jouir de cette liberté, le passage du navire étranger doit être innocent c’est‑à‑dire ne pas porter atteinte aux lois du riverain (pas de commerce illégal, pas de pêche non autorisée, pas d’exploitation des ressources minérales, pas d’émission de radio non autorisée…) et doit respecter ses lois (douanes, immigration, ordre public, organisation de la navigation, sécurité et sûreté). En contrepartie le riverain ne peut entraver le passage innocent sans motif grave et momentané (ordre public, guerre, émeutes). Au delà, jusqu’en 1945 s’étendait la Haute mer, zone de liberté pour tous les États dans le respect des règles du droit international et du libre accès réciproque. Ce schéma sera profondément modifié du fait des découvertes scientifiques de l’après-guerre et surtout grâce à la technologie qui va rendre accessibles les ressources économiques découvertes. On va donc voir se développer des compétences finalisées des États toujours plus loin au cœur des océans réduisant toujours plus la zone de Haute mer [Lucchini & Voelckel 1990-1996].
2On distingue les zones de compétences économiques, les exceptions au régime de la Haute mer et la zone internationale des grands fonds marins.
3Le régime ci-dessus satisfaisait les États riverains ou non de la mer en facilitant la navigation donc le commerce international. La découverte de ressources minérales et fossiles ainsi que la raréfaction des ressources halieutiques allaient changer la perception des États sur le régime de la mer côtière.
4Partant du principe que le plateau continental est le prolongement sous-marin du territoire terrestre de l’État riverain et que les ressources non vivantes sous-marines sont souvent le prolongement de filons terrestres ou originaires des sédiments terrestres, le Président américain H. Truman en 1945 revendiqua l’appartenance aux États-Unis des ressources non vivantes au large des côtes des territoires de cet État. De très nombreux États firent la même revendication et la convention des Nations unies sur le plateau continental du 28 avril 1958 codifia cette coutume. Les ressources non vivantes sur et dans le plateau continental appartenaient à l’État dont il est le prolongement naturel ainsi que les ressources vivantes en contact physique permanent avec le sol. Aucun État ne peut explorer ou exploiter ces ressources si ce n’est le riverain ou un tiers autorisé par lui. La convention de 1982 reprend les mêmes dispositions concernant le plateau continental, mais le concept perdait en grande partie de son intérêt dans la mesure où le nouveau concept de zone économique exclusive permettait au riverain de se réserver (comme nous le verrons infra) l’ensemble des ressources de la colonne d’eau du sol et du sous-sol à 200 milles des lignes de base. Or la plupart des plateaux continentaux ne s’étendent pas jusqu’à cette distance. Cependant quelques États, tels le Canada, l’Australie ou l’Argentine ont soutenu que le concept formulé en 1945 devait perdurer dans la mesure où le riverain pouvait prouver que le plateau prolongeant ses côtes s’étend au-delà de 200 milles. Dans ce cas, les deux concepts devaient se succéder dans l’espace : une ZEE jusqu’à 200 milles et un plateau au delà, jusqu’au rebord de la marge continentale. La convention satisfait cette revendication et fixe la limite externe du plateau au delà de 200 milles au rebord externe de la marge dont le point revendiqué par le riverain sera fixé selon deux critères au choix du revendiquant :
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soit au point où l’épaisseur de la roche sédimentaire représente au moins 1 % de la distance entre le pied du talus et le point revendiqué,
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soit en un point situé à 60 milles au-delà du pied du talus.
5Dans les deux cas la revendication ne pourra dépasser deux critères de distance par rapport aux lignes de base :
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soit 350 milles des lignes de base
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soit 100 milles au large de l’isobathe 2 500 mètres.
6L’État revendiquant peut choisir la solution qui lui est la plus favorable et qu’il pourra prouver. Le dossier constitué par l’État revendiquant sera alors étudié par la Commission des limites du plateau continental de l’ONU (commission composée de 21 experts internationaux créée par l’annexe II jointe au texte de la convention de 1982).
7La France se trouve fort bien pourvue en matière de plateaux étendus au delà de 200 milles, aussi bien à l’ouest du territoire métropolitain qu’au large de ses départements et collectivités d’Outre-mer (mer Celtique, Guyane, TAAF, Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon). Ces dossiers constitués par l’IFREMER lors des campagnes EXTRAPLAC ont été présentés dans les délais à la Commission des limites et sont à l’étude des experts (700 000 km² de fonds océaniques sont en jeu dans des zones potentiellement riches en minéraux ou en hydrocarbures).
8Si le concept de plateau continental satisfaisait pleinement les États pour se réserver l’exploration et l’exploitation des ressources non vivantes sous leur mer côtière, cela ne protégeait en rien les ressources halieutiques de la colonne d’eau surjacente, libres d’accès pour les flottilles internationales au delà de la mer territoriale. Or de très nombreux conflits étaient nés de par le monde pour l’accès aux pêcheries, les riverains prétendant se réserver les ressources proches de leurs côtes et les États pêcheurs prétendant exercer un droit fondamental issu de la liberté des mers et reconnu par le droit international. Pour les jeunes États l’exploration comme l’exploitation des ressources non vivantes étaient hors de leur portée technique et financière, mais par contre, l’exploitation des ressources halieutiques leur était accessible. C’est ainsi que diverses revendications se firent jour dans les années 1960 de la part des États en développement soit pour revendiquer des mers territoriales à 200 milles (latino-américains), soit pour revendiquer des zones de pêche réservées (islandais, africains, asiatiques…). Ces revendications face aux grandes flottes de pêche industrielle de l’Est comme de l’Ouest entraînèrent des contentieux nombreux, voire des conflits (exemple : les trois guerres de la morue Royaume‑Uni/Islande). La communauté internationale n’accepta jamais une mer territoriale supérieure à 12 milles et la Cour internationale de justice en 1974 (affaire Royaume‑Uni c. Islande) reconnut qu’une zone de pêche réservée au-delà de 12 milles n’était pas une norme conforme au droit international. La situation fut débloquée lorsque le représentant du Kenya à la conférence afro-asiatique de 1972 proposa la création d’une zone économique exclusive à 200 milles des lignes de base au sein de laquelle l’exploration, l’exploitation et la gestion de l’ensemble des ressources vivantes ou non vivantes seraient exclusivement faites par le riverain sans que celui‑ci étendît sa souveraineté sur l’espace dans lequel les autres activités légitimes pouvaient être exercées par le reste de la communauté internationale sans porter atteinte aux ressources du riverain. Ce nouveau concept abstrait constituait ainsi un bloc de compétences au profit du riverain sans pour autant limiter la liberté de navigation. Ce concept admis par la communauté internationale fut introduit dans la convention de 1982, dont il est devenu une des dispositions essentielles. L’État du seul fait de sa riveraineté à la mer se voit doté de prérogatives économiques comme jamais auparavant, c’est le triomphe de la riveraineté repoussant les tiers au delà de 200 milles des lignes de base, voire dans les cas de plateau étendu au delà du rebord de la marge continentale dans des zones nettement moins prometteuses en termes économiques. Ainsi le pétrole, le gaz, les principaux minéraux et 90 % des pêcheries mondiales tombaient sous le contrôle exclusif du riverain.
9La Haute mer qui, en droit, représentait l’ensemble de l’océan au-delà des mers territoriales jusqu’à la fin des années 1970 était d’une part repoussée au delà des 200 milles des lignes de base et d’autre part réduite à la colonne d’air et à la colonne d’eau, puisque le sol et le sous-sol sous la haute mer étaient reconnus par la convention de 1982 comme la Zone internationale des grands fonds marins, patrimoine commun de l’humanité, gérée par l’Autorité internationale créée à cet effet dont le siège est à la Jamaïque et qui a pour mission de délivrer des titres d’exploration et des titres miniers pour exploiter les ressources minérales solides, liquides ou gazeuses du sous‑sol et du sol de la Zone et d’en contrôler le commerce. La zone de liberté s’est en conséquence réduite de façon considérable après 1982. Le régime juridique de la Haute mer est un régime de liberté négative, chaque État riverain ou non a le droit de jouir des libertés reconnues par le droit international mais ne peut entraver la liberté des autres États. Chaque État a le droit de faire naviguer son pavillon, mais ne peut intervenir en Haute mer que sur les navires arborant ce pavillon. Aucune action ne doit entraver la liberté des autres États. Aucune action ne doit entraîner une dégradation de l’environnement marin. S’il respecte ces principes, l’État peut exploiter les ressources de la haute mer pour son propre compte dans le respect des termes de la convention de 1982 et en respectant la liberté d’exploitation des autres États. Seule la loi du pavillon s’applique en Haute mer ce qui veut dire que seule la loi de l’État qui a accordé son pavillon à un navire peut s’appliquer sur celui-ci. Si un navire a enfreint cette loi, seul un navire d’État de l’État du pavillon peut arraisonner celui-ci en Haute mer, procéder à une enquête de pavillon, arraisonner ce navire contrevenant et a fortiori le dérouter et le conduire dans un port de l’État du pavillon afin que des suites juridictionnelles soient données à l’affaire. Face à un navire d’un État tiers, le navire d’État ne peut procéder qu’au droit d’approche (vérification du nom du navire de son port d’attache et de sa nationalité). En conséquence, aucun acte de souveraineté (en dehors de la loi du pavillon) ne peut être exercé en Haute mer par un État. Si un État ou un groupe d’États souhaitent limiter une activité en Haute mer, il est nécessaire qu’il ou qu’ils en obtiennent le droit par voie de convention internationale. Ainsi les aires marines protégées de Haute mer actuelles ne peuvent concerner que les États parties aux accords qui les ont créées [Pancracio 2010].
10Pour réprimer des infractions particulièrement graves, il est admis que la loi du pavillon ne s’applique pas et qu’un navire d’État peut procéder à des actes de police sur un navire tiers s’il a de très forts soupçons que celui-ci se livre à une activité illégale jugée particulièrement grave. Ces exceptions sont les suivantes : la lutte contre la piraterie, dans une moindre mesure la lutte contre la traite des esclaves et la lutte contre le trafic de stupéfiants, la poursuite chaude et l’auto‑protection.
11La piraterie qui consiste en des actes de violence non autorisée contre des personnes ou des biens à des fins personnelles en Haute mer, peut être réprimée par un navire d’État de n’importe quel pavillon car le pirate est considéré comme « l’ennemi du genre humain ». Le navire d’État pourra se livrer à des actes de force pour mettre fin à la piraterie, il peut se saisir du navire qui a servi à la piraterie et s’emparer des pirates. Ce sont les tribunaux du capteur qui pourront juger et condamner les pirates. Si ces principes sont largement appliqués de nos jours, au plan de la procédure pénale, la rétention des pirates présumés à bord du navire public pendant le voyage de retour vers l’État du pavillon et la présentation des prévenus devant un juge posent problème au regard de la convention européenne des droits de l’homme.
12L’Acte de Bruxelles du 2 juillet 1890 prohibe le transport d’esclaves par mer et la convention de 1982 fait l’obligation aux États parties de lutter contre la traite à bord des navires battant leur pavillon. Si un navire public a de forts soupçons qu’un navire tiers se livre à la traite, il peut enquêter et si les faits sont avérés arraisonner le navire. Cependant, ce sera à l’État du pavillon de donner la suite judiciaire qui convient. Tout esclave qui se réfugie à bord d’un navire est libre ipso facto.
13En ce qui concerne le trafic de stupéfiants, la répression fait son apparition dans la convention de 1982, mais il ne s’agit pas réellement d’une exception à la loi du pavillon dans la mesure où seul l’État du pavillon peut intervenir en Haute mer et sanctionner les coupables. Il peut seulement demander la coopération d’autres États pour mettre fin au trafic, et tous les États doivent coopérer pour lutter contre ce trafic. Ceci veut dire qu’un navire d’État pour arraisonner un navire tiers soupçonné de trafic de stupéfiants doit obtenir l’autorisation préalable de l’État du pavillon de ce dernier. On ne saurait faire moins.
14Si un navire commet une infraction dans une zone de souveraineté d’un État riverain et qu’il est poursuivi par les forces de police de celui-ci, s’il gagne la Haute mer avant d’être arraisonné, la poursuite doit-elle s’arrêter ? La réponse est négative depuis le xixe siècle car une coutume reconnait le droit de poursuite « chaude », c’est-à-dire que le poursuivant, à condition d’avoir donné l’ordre explicite et sans ambiguïté de stopper au poursuivi, peut continuer sa poursuite en Haute mer. La poursuite doit être continue pour être qualifiée de « chaude ». Cependant le relais d’engins est possible (avion/navire ; vedette/engin hauturier). La poursuite ne s’arrêterait que si le poursuivi pénétrait dans une mer territoriale d’un État tiers. Évidemment, le poursuivant doit avoir de sérieuses raisons de penser que le poursuivi a enfreint la loi de l’État qu’il représente.
15Il s’agit de la règle de l’auto‑protection. Un navire va causer un dommage à l’État riverain ou va enfreindre son ordre public ou sa sécurité : le riverain menacé, qui a connaissance de ces faits, peut-il intervenir de façon préventive en Haute mer pour faire stopper la menace ? Sur le plan militaire la règle de l’auto‑protection a toujours été rejetée par la communauté internationale et ne constitue donc pas une règle de droit international. Cependant de nouvelles menaces ont fait évoluer le droit sur ce point. Le 18 mars 1967, un pétrolier de 120 000 tpl, le Torrey-Canyon, battant pavillon libérien, fait route vers la mer d’Irlande par mer grosse. Il s’échoue sur les récifs des Seven Stones entre les Sorlingues et Lands End. La mer territoriale du Royaume-Uni étant de 3 milles à l’époque, ces récifs couvrants et découvrant étaient situés en Haute mer, aucune souveraineté ne s’y exerçant. Du fait de la loi du pavillon, seul le Libéria pouvait juridiquement intervenir pour tenter d’enrayer la première grande marée noire de l’histoire. Face à l’inaction de cet État, le Royaume‑Uni, menacé par la nappe de pétrole s’échappant des cuves éventrées, décida de réagir en tentant d’enflammer la cargaison avec des bombes incendiaires. La tempête empêcha l’inflammation du pétrole, mais disloqua l’épave et l’ensemble de la cargaison de brut vint polluer les côtes de Cornouailles, puis par dérive les côtes françaises. Des voix s’élevèrent pour condamner le Royaume-Uni du fait du viol de la souveraineté libérienne lors de l’intervention sur l’épave. Cependant, la majorité des États dont la France admirent sans difficulté que dans un pareil cas seule une intervention rapide pouvait éventuellement avoir quelque efficacité et celle-ci ne pouvait provenir que de l’État le plus proche, c’est‑à‑dire de l’État menacé par l’évènement de mer. La nécessité de la prévention et le bon sens ont permis aux États de signer à Bruxelles le 29 novembre 1969 une convention sur l’intervention en Haute mer d’un État menacé de pollution par hydrocarbures. Ce texte représentait une évolution considérable du droit international puisqu’un État pouvait intervenir en Haute mer sur un navire ne battant pas son pavillon et surtout pouvait intervenir sur une simple menace, alors qu’aucun dommage n’était encore survenu. Certes l’État intervenant a l’obligation de prouver la gravité de la menace, il doit avoir demandé à l’État du pavillon d’intervenir, et sa riposte doit être proportionnelle à la menace, mais il peut intervenir de son propre chef en décidant des mesures appropriées. Cette forte évolution du droit de l’environnement marin a été codifiée dans la convention de 1982. Cette convention a depuis été étendue à tous les produits dangereux transportés par mer.
16On aurait pu imaginer un régime juridique uniforme pour l’océan mondial, la souveraineté, les intérêts économiques et les conflits interétatiques l’ont empêché. Lentement élaboré au fil des siècles, la communauté internationale a imposé un régime morcelé, caractérisé par un dégradé juridique des compétences de l’État, très marquées près du rivage et de plus en plus diluées au fur et à mesure que l’on s’éloigne de celui‑ci. Le laxisme des États de libre immatriculation n’exerçant pas leurs compétences sur les navires qu’ils ont immatriculés a fait monter en puissance le rôle de l’État côtier désireux de protéger son littoral et sa mer côtière.