1Le long de la diagonale aride sud-américaine, parmi le chapelet d’oasis installées sur les cônes de déjection des rivières andines de part et d’autre de la Cordillère des Andes, la dépression piémontaise du Cuyo en Argentine accueille une demi-douzaine de ces espaces irrigués à haute valeur culturelle et économique. En effet, outre la place historique que revêt la culture de l’eau et de l’irrigation dans ce semi-désert, les vins argentins les plus connus et les plus exportés sont produits dans les méga-oasis du Cuyo : vignobles de Calingasta, Tulum, Mendoza, Valle de Uco ou de San Rafaël (Fig. 1). Or, dans ce milieu où les précipitations avoisinent les 200 mm annuels, les oasis doivent partager une ressource en eau, forcément limitée, avec d’autres secteurs fortement consommateurs. De fait, la situation de carrefour entre la route de piémont et la route reliant Buenos Aires à Santiago du Chili, la présence de minerais et de pétrole en secteur de piémont, et la forte valeur ajoutée des vignobles, ont permis le développement de villes (jusqu’à 1 million d’hab. à Mendoza) et d’industries agro-alimentaires et énergétiques, secteurs logiquement hydrovores.
Figure 1 – Les oasis du Cuyo
2Un des enjeux pour les oasis et les villes-oasis du Cuyo argentin est donc d’arriver à maintenir un niveau de développement sur le long terme, en optimisant la distribution de l’eau, dans un contexte de réchauffement climatique qui a déjà fait remonter la limite pluie-neige dans les Andes (dont l’altitude s’échelonne entre 1000 m au niveau de la précordillère et 6962 m au Mont Aconcagua), accélérant la fonte et l’évaporation de l’eau, quelle que soit sa forme (liquide, neige, glace).
3Les travaux sur la gestion des pénuries à Mendoza [Salomon & Prat 2004, David 2009, Lavie 2009, Lavie & Beltrando 2013] ont largement démontré le rôle de la mauvaise gestion des eaux, en particulier à Mendoza. Le recours à des infrastructures hydrauliques de grande ampleur qui détournent la plus grande part des volumes écoulés vers les espaces de consommation, a permis le développement de ces espaces anthropisés, créant une fausse impression de richesse en eau. Et même si nous sommes persuadés que la gestion de la pénurie par l’offre et non par la demande consiste à se mettre des œillères, une bonne connaissance de l’offre en eau reste un préalable à une gestion adaptée.
4Ce contexte scientifique exposé, nous avons réalisé un état des lieux des connaissances sur le bilan hydrologique des bassins versants du Cuyo. Les études étant plus fournies dans la province de Mendoza, nous avons laissé de côté la province de San Juan pour laquelle nous n’avions pas d’information sur les ressources souterraines. De même, dans la province de Mendoza, peu de travaux ont été publiés sur le río Grande au sud, nous l’avons donc également sorti de notre zone‑test.
5Restent donc les bassins versants des ríos Mendoza, Tunuyán, Diamante et Atuel, qui alimentent trois grandes oasis (Fig. 1) : l’Oasis Nord (dite de Mendoza et de San Martín), irriguée par le río Mendoza et l’aval du río Tunuyán, l’Oasis Centre (dite Valle de Uco), alimentée par pompage dans l’aquifère et un peu par détournement des eaux de l’amont du río Tunuyán, et l’Oasis Sud (dite San Rafaël-General Alveral), qui prélève ses volumes dans les ríos Diamante et Atuel.
6L’Oasis Nord, avec ses plus d’un million d’habitants (notamment dans le Gran Mendoza), une industrie de pointe et une surface irriguée de plus de 2000 km2, est celle qui revêt l’enjeu le plus important. Elle dispose d’un aquifère libre en amont, à l’ouest (dans laquelle les plus importantes bodega puisent), qui devient semi-confiné à l’est où se trouvent les secteurs agricoles les plus précaires (eau et sols salins) [Hernandez & Martinis 2006, Llop 2002]. Dans l’oasis Nord, la dérivation des eaux superficielles représente les 2/3 des volumes d’eau utilisés.
7L’Oasis Centre prélève avant tout dans un aquifère libre afin de laisser les eaux superficielles à la partie de l’Oasis Nord irriguée par le río Tunuyán. Pour autant, l’aquifère est bloqué en aval par un anticlinal souterrain puis superficiel, qui crée une zone d’exsurgence en entonnoir. L’eau souterraine vient donc alimenter le río Tunuyán. On imagine dès lors que les pompages dans l’aquifère par l’Oasis Centre délestent automatiquement l’Oasis Nord des volumes d’eau [Chambouleyron et al . 2002]. L’Oasis Sud dispose elle aussi d’un aquifère mais la plupart des zones irriguées utilisent de l’eau détournée des ríos Diamante et Atuel [Hernandez & Martinis 2006].
8Pour autant, si ces oasis ont des stratégies d’approvisionnement en eau différentes, les aquifères sont tous alimentés par infiltration depuis les cours d’eau, en amont et dans la partie haute des cônes de déjection [Chambouleyron et al . 2002, Llop 2002, Hernandez & Martinis 2006].
9L’enjeu est donc le même pour ces trois oasis : estimer au mieux les volumes écoulés par les cours d’eau au sortir de la Cordillère, soit au sommet des cônes de déjection des rivières afin d’anticiper l’aléa de sécheresse potamologique, et mieux gérer le risque de pénurie en eau pour l’oasis.
10Le bassin d’alimentation de ces quatre rivières est situé dans les Andes, depuis la ligne de crête utilisée comme frontière avec le Chili (env. 5000 m), jusqu’à une ligne – difficile à évaluer – en amont de laquelle les précipitations sont de l’ordre de 350 mm annuels, sous forme neigeuse et où les températures estivales restent relativement fraîches (maximum de janvier : 6°C), et en aval de laquelle il pleut rarement (200 mm), sous forme liquide et avec des températures élevées [Capitanelli 1972, Bustos 1977]. Il y a donc dans ces bassins hydrographiques un secteur d’alimentation où le bilan hydrologique est excédentaire (précipitations > évapotranspiration), et un bassin d’utilisation où le bilan hydrologique est déficitaire (évapotranspiration > précipitations). Les études sur l’englacement des Andes mendocines [Lleiva 1999 et 2002, Cossart et al . 2008 et 2010 entre autres] montrent que la fusion des glaciers est une ressource à long terme. Pour autant, elle ne représente que 10 % des volumes d’eau écoulés annuellement. Paradoxalement, l’étude de l’influence de la neige annuelle est moins aboutie, alors qu’elle participe le plus aux écoulements superficiels et à la recharge des aquifères, à hauteur de 85 % des volumes [Abraham et al . 2007].
11Ayant en tête les lacunes dans le suivi des neiges annuelles et leur rôle dans l’écoulement à court et moyen termes, nous avons ici cherché à évaluer l’impact des variations saisonnières de la couverture neigeuse sur les débits.
12Cette étude, qui s’appuie à la fois sur un suivi de la surface enneigée par télédétection à un pas de temps de 8 jours et sur une base de données des débits journaliers, propose une évaluation de la relation neige-écoulement combinant deux échelles temporelles : celle d’une année hydrologique et celle de la décennie 2001‑2012. Après une description des séries temporelles des débits, nous calculerons et expliquerons les corrélations entre les variations interannuelles de plusieurs descripteurs du manteau neigeux et celles des débits. Sur la base de ces résultats, nous proposerons ensuite une stratégie simple de prévision précoce des débits.
13Les radiomètres optiques à large fauchée tels que MODIS, SPOT-VEGETATION ou NOAA-AVHRR permettent l’observation de la presque intégralité de la surface terrestre à un pas de temps quasi‑quotidien. Ces capteurs spatiaux permettent notamment de suivre les variations saisonnières et interannuelles de la végétation [Delbart et al . 2008] ou du couvert neigeux de manière synoptique sur de vastes espaces [Salomonson & Appel 2004, Immerzeel et al . 2009, Paudel & Andersen 2011]. Nous utilisons ici le jeu de données MOD10A2 [Hall et al. 2006] qui fournit l’extension du manteau neigeux à une résolution spatiale de 500 m, dérivé des observations du capteur MODIS du satellite TERRA, qui sont acquises le matin tous les jours à la même heure (10h30 à l’Équateur) puisque réalisées en trajectoire descendante d’une orbite quasi-polaire héliosynchrone. La résolution temporelle est de 8 jours : les observations du capteur sont disponibles tous les jours, mais seule la moins affectée par les nuages dans cette période de huit jours est utilisée, ce choix pouvant varier d’un pixel à l’autre. Les données sont disponibles gratuitement environ 10 jours après leur acquisition, par « tuiles » correspondant à des régions de 1200 km X 1200 km. Nous utilisons la tuile référencée h12, v12, dont nous extrayons une sous-région de coordonnées 69°‑70°O et 32°‑35°S pour laquelle nous estimons la surface enneigée à chaque date [Goma 2013].
14La détection de la surface neigeuse est fondée sur le contraste des réponses radiométriques de la neige dans le domaine spectral du visible où elle réfléchit beaucoup, et le domaine moyen infrarouge dans lequel elle réfléchit peu. Elle passe par le calcul de l’indice de différence normalisée de la neige (NDSI), égal à la différence normalisée des réflectances dans les bandes spectrales du vert/jaune et de la bande moyen-infrarouge. Cet indice prend des valeurs fortes lorsque la couverture neigeuse dans le pixel est importante et faible dans le cas contraire. Il décroît pendant la fonte du manteau neigeux et croît pendant sa mise en place.
15Les données relatives aux écoulements sont issues d’une base de données en ligne du sous-secrétariat aux ressources en eau de la Nation. Les différents organismes de gestion des ressources laissent leurs données à la disposition du sous-secrétariat national, comme le DGI (Departamento General de Irrigación / département général d’irrigation) de la province de Mendoza, qui opère un suivi permanent des débits des rivières.
16Parmi les paramètres disponibles, nous avons choisi les débits quotidiens moyens en m3/s, puisque la série est complète ; les données sont disponibles quotidiennement depuis les décennies 1930 ou 1950 selon les cours d’eau, jusqu’en juin 2012. Ils sont relevés à midi pour trois des rios, et à minuit pour le Diamante. Seules manquent quatre journées en 2001 pour le río Tunuyán.
17Enfin, cherchant à évaluer les débits naturels et non régulés par les nombreux barrages, pour chacun des quatre cours d’eau, nous avons choisi les stations de jaugeage qui sont juste en amont des premiers aménagements hydrauliques :
-
Sur le río Mendoza : la station Guido (32°54’55,00’’S-69°14’16,00’’O) située à l’entrée du lac de barrage de Potrerillos
-
Sur le río Tunuyán : la station Valle de Uco (33°46’35,50’’S-69°16’21,10’’O) au niveau du barrage de dérivation du même nom.
-
Sur le río Diamante : la station Jaula (34°40’06,09’’S-69°18’58,60’’O) à l’entrée du lac de barrage Agua del toro
-
Sur le río Atuel : la station Angostura (35°05’58,60’’S-68°52’25,80’’O) à l’entrée du lac de barrage El Nihuil.
18L’objectif de l’étude est d’expliquer les variations saisonnières et interannuelles des débits par celles de la surface du manteau neigeux. Pour ce faire, nous calculons les corrélations entre des séries de 11 ans de descripteurs du manteau neigeux d’une part, et des descripteurs des débits de chaque rivière d’autre part. Ainsi la corrélation a-t-elle été calculée entre :
– le débit moyen pendant la période de crue (de septembre à avril) et
-
la surface enneigée moyenne annuelle,
-
la surface enneigée moyenne de chaque mois,
-
la surface enneigée moyenne de chaque période de 8 jours (pas de temps des données satellite),
– les mêmes calculs, en remplaçant le débit moyen par le débit maximum,
–entre le débit en moyenne mensuelle et la surface enneigée moyenne au même mois,
– entre les débits moyens en septembre-avril et la durée d’enneigement. Cette durée est calculée pour différents seuils de surface : nous estimons le nombre de jours pour lesquels l’enneigement dépasse, par exemple, 10 000 km2 dans notre région d’étude.
19Notons que le seuil de significativité à 1 % pour les corrélations calculées est de 0,735. Enfin, nous commenterons les variations interannuelles du débit d’étiage en relation avec celles des surfaces enneigées.
20Les écoulements des rios andins étant constitués à 85 % des eaux de fonte des neiges annuelles, à 10 % de la fusion des glaciers et à 5 % des précipitations pluvieuses [Abraham et al. 2007], les régimes hydrologiques sont donc tout logiquement nivo-glaciaires. À l’échelle d’une saison, on trouve donc une opposition de phase entre les courbes de la couverture du manteau neigeux et celles des débits, elles-mêmes en relatif parallélisme (Fig. 2).
21De 2001-2002 à 2008-2009, les régimes sont marqués par une première onde de crue assez limitée au printemps, soit lors de la première semaine d’octobre, pour une durée de 15 à 30 jours. Une diminution du flux est alors notable pour une semaine, puis une deuxième onde, plus forte et plus longue, s’observe. Il s’agit là de la fonte-fusion nivo-glaciaire. La crue dure environ 4 à 10 semaines selon les années. Le mode annuel a lieu entre le 16 décembre et le 13 janvier, à une journée près pour chacune des quatre rivières.
Figure 2 – Surface enneigée dans la région d’étude et débit journalier des quatre rivières de 2001 à 2012
22À partir de l’été 2009-2010, les années sèches, qui jusque-là étaient exceptionnelles (comme en 2003‑2004), se succèdent. La situation change ; d’abord, en termes de volumes : par exemple, le module calculé sur 2001-2012 du río Mendoza est de 50 m3/s, tandis que le module brut de 2011 n’est que de 28 m3/s. Surtout, le comportement temporel des rivières évolue. Si les ondes de printemps restent visibles, l’onde d’été est extrêmement faible et ne présente plus la même périodicité qu’auparavant, à tel point qu’en 2009‑2010 le mode du Diamante a lieu le 26/12 alors que celui de l’Atuel est le 29/01. En 2010‑2011, les modes du Tunuyán et Diamante ont lieu le 26/12, celui de l’Atuel le 25/01 et celui du Mendoza le 07/02. De fait, même si nous manquons de recul pour pousser plus loin cette analyse, on observe un glissement d’un régime nivo-glaciaire vers un régime nival.
23Puis, logiquement, la décrue commence, plus linéaire que la crue, mais un tout petit peu plus lente. Elle prend fin entre début mars et fin avril. La période de basses eaux démarre alors. Elle n’est pas marquée par un seuil temporellement marqué comme l’est le mode des hautes eaux, mais par une longue période d’étiage d’environ 5 mois, de mai à septembre.
24Le río Atuel a un comportement différent des rivières septentrionales : sa plus grande fourniture en hiver rend son régime moins contrasté. Il a d’ailleurs très vite été équipé d’un barrage de retenue, afin de garder ces volumes hivernaux, utilisés au printemps dans l’oasis de General Alvear (Oasis Sud).
25Plus étonnant, il montre des pics de crue en pleine période de rétention nivale. Ces modes peuvent avoir lieu avant l’onde de crue annuelle (fin août 2001 et 2002), juste après (avril 2004, mai 2008) ou en plein milieu de l’hiver (juin/juillet 2007 et 2008). Même si l’amplitude n’est pas comparable, on observe ces petites ondes en hiver sur le río Diamante également, mais pas dans les deux autres rivières.
26Le comportement de l’Atuel en dehors des crues annuelles est alors assez erratique. Il est difficile, sans accès à des données de climatologie, de répondre à cette question. Pour autant deux hypothèses peuvent être formulées : 1) des précipitations orageuses typiques de climats continentaux lorsque ces crues ont lieu à l’automne, 2) une fonte accélérée des neiges fraîches les jours de fort effet de foehn. Le foehn mendocino, appelé zonda, provoque des amplitudes thermiques importantes, notamment lorsqu’il souffle en hiver : la température des basses couches de l’atmosphère peut augmenter de 30 à 40 °C en quelques heures. Cette hypothèse nous semble la plus plausible étant donné que les événements d’augmentation des débits sont toujours concomitants aux fontes rapides du manteau neigeux.
27Nous nous intéressons ici au débit moyen pendant la période de crue, pris comme le débit moyen en septembre-avril. Ce débit moyen est, pour les quatre rivières, fortement corrélé à la surface du couvert neigeux en septembre et en octobre, et à celui de décembre excepté pour le río Mendoza (Tabl. 1, Fig. 3). En revanche, les variations interannuelles du débit moyen sont faiblement corrélées à la surface de neige avant septembre. La surface enneigée au début de la période de la fonte est donc le principal déterminant du débit moyen pendant la période de crue.
Tableau 1 – Corrélation entre le débit moyen de septembre à avril et la surface enneigée à différentes périodes de l’année
Corrélation entre le débit moyen de septembre à avril et la couverture neigeuse moyenne annuelle
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|
Mendoza
|
Tunuyán
|
Diamante
|
Atuel
|
|
0,8570
|
0,9307
|
0,8950
|
0,8840
|
Corrélation entre le débit moyen de septembre à avril et la couverture neigeuse mensuelle moyenne
|
Janvier ou février
|
< 0,3
|
Mars
|
0,59
|
0,67
|
0,58
|
0,55
|
Avril, mai ou juin
|
<0,45
|
Juillet ou août
|
De 0,46 à 0,63
|
Septembre
|
0,85
|
0,88
|
0,83
|
0,78
|
Octobre
|
0,86
|
0,89
|
0,85
|
0,82
|
Novembre
|
0,43
|
0,59
|
0,70
|
0,69
|
Décembre
|
0,67
|
0,81
|
0,90
|
0,82
|
Corrélation entre le débit moyen de septembre à avril et la couverture neigeuse par période de 8 jours
|
Période du 13/09 au 20/09
|
0,86
|
0,89
|
0,81
|
0,79
|
Autres périodes du 21 septembre au 22 octobre
|
De 0,71 à 0,83
|
Période du 23/10 au 30/10
|
0,83
|
0,91
|
0,87
|
0,85
|
Période du 31/10 au 7 /11
|
0,87
|
0,93
|
0,92
|
0,89
|
28Notons que des niveaux de corrélation très proches de ceux présentés dans le Tabl. 1 ont été trouvés entre les surfaces enneigées et le débit maximum, et non plus moyen. Ceci est cohérent avec le fait que les variations interannuelles du débit maximal annuel sont fortement corrélées avec le débit moyen de crue (0,81 pour le Tunuyán, 0,93 pour le Mendoza, 0,91 pour le Diamante et 0,95 pour l’Atuel).
29Cependant nous privilégions l’analyse du débit moyen, puisqu’il dépend directement de la quantité de neige disponible en début de période de fonte (représentée ici par la surface enneigée), alors que le débit maximal dépend à la fois de cette même surface mais également des variations de la vitesse de fonte, liée aux variations de température.
30Si le débit moyen de crue est corrélé à la surface enneigée au début de la période de fonte, le débit mensuel est faiblement expliqué par l’enneigement au même mois, sauf en décembre pour trois des rivières (Tabl. 2). En particulier, pour le Diamante, le débit moyen en décembre est également corrélé avec la surface enneigée du même mois : la surface enneigée en décembre explique directement le débit du même mois, ce qui n’est pas vrai pour les autres mois. Décembre est proche de la fin de la période de fonte ; de fait, la surface enneigée de ce mois d’une année à l’autre est très variable. Ainsi, l’écart‑type de la surface enneigée en décembre sur nos années d’étude représente 42 % de la moyenne sur la même période, ce qui en fait le mois le plus variable en termes d’enneigement. S’il reste beaucoup de neige en décembre pendant la fin de la fonte, le débit du même mois est important, mais dans le cas contraire le débit est faible. Ceci s’accompagne comme on l’a vu d’une forte corrélation entre l’enneigement en décembre et le débit moyen pendant la crue. Deux hypothèses, non exclusives l’une de l’autre, peuvent expliquer cela. La première est que les variations interannuelles du débit de décembre impactent fortement le débit moyen de crue. Selon cette première hypothèse, il existe un lien de causalité de l’enneigement de décembre vers le débit moyen de crue du Diamante, via le débit de décembre. La deuxième est que l’enneigement de décembre est directement dépendant de l’enneigement des mois précédents. Ainsi le débit moyen de crue est piloté par l’enneigement au début de la période de fonte, en septembre, et en parallèle l’enneigement en septembre explique également l’enneigement de décembre.
Tableau 2 – Corrélations entre les débits moyens mensuels et la surface enneigée moyenne au même mois
Figure 3 – Couverture moyenne en septembre et débit moyen pendant la période de crue suivante (septembre-avril)
31Ces résultats sont cohérents avec les très fortes corrélations trouvées entre la durée de l’enneigement et les débits moyens pendant la crue (Tabl. 3, Fig. 4). Cette durée est calculée pour différents seuils de surface : nous estimons le nombre de jours pour lesquels l’enneigement dépasse, par exemple, 10 000 km2 dans notre région d’étude.
Tableau 3 – Corrélation entre la durée d’enneigement (estimée en jours) et le débit moyen de septembre-avril, pour différents seuils de surface enneigée
|
|
Débit moyen en septembre-avril
|
Durée de la période pour laquelle l’enneigement est supérieur à :
|
Mendoza
|
Tunuyán
|
Diamante
|
Atuel
|
5000 km2
|
0,63
|
0,75
|
0,77
|
0,70
|
6000 km2
|
0,71
|
0,81
|
0,79
|
0,74
|
8000 km2
|
0,78
|
0,89
|
0,86
|
0,84
|
10000 km2
|
0,93
|
0,93
|
0,84
|
0,87
|
12000 km2
|
0,87
|
0,93
|
0,86
|
0,87
|
14000 km2
|
0,82
|
0,84
|
0,80
|
0,82
|
16000 km2
|
0,52
|
0,65
|
0,51
|
0,50
|
18000 km2
|
0,68
|
0,81
|
0,84
|
0,78
|
32Nous constatons une forte corrélation entre le débit moyen en septembre-avril et le nombre de jours pour lesquels la surface enneigée est supérieure à 10 000 km2, et presque aussi forte à 12 000 km2, pour les quatre rivières. Les variations de la durée annuelle d’enneigement peuvent traduire des variations de la temporalité du début ou de la fin de l’enneigement. Cependant, les résultats précédents ont montré que l’enneigement en décembre est corrélé avec le débit moyen. Ainsi, la durée d’enneigement est un bon indicateur du débit moyen pendant la crue, mais ce sont surtout les variations à la fin de la période hivernale qui expliquent ce débit estival.
Figure 4 – Durée d’un enneigement supérieur à 10 000 km2 dans notre zone d’étude, et débit moyen pendant la période de crue suivant
33Dernièrement, les variations interannuelles du débit pendant l’étiage, pris comme le débit moyen de juin à août, suivent en partie les variations interannuelles du manteau neigeux de l’année civile précédente (Fig. 5) : le débit d’étiage le plus important est trouvé en 2006, soit l’année suivant la surface enneigée maximum ; le débit d’étiage le plus faible a lieu en 2011, soit l’année suivant le plus faible enneigement. La baisse des surfaces enneigées entre 2002 et 2003 est suivie par une baisse du débit d’étiage entre 2003 et 2004. On retrouve donc une allure générale des débits d’étiage en phase – avec un certain temps de latence – avec ceux des surfaces enneigées.
Figure 5 – Enneigement annuel moyen et débit à l’étiage (moyenne de juin à août).
34À travers ces analyses, il apparaît que le débit moyen – et donc le débit total – pendant la crue dépend fortement de la surface enneigée au début de la période de fonte. Ce résultat confirme le caractère nivo-glaciaire des quatre rivières, mais avec une forte tendance à un glissement vers un régime nival. Il indique aussi que la connaissance des surfaces enneigées est un indicateur efficace du volume de l’écoulement, malgré l’existence de fortes pentes qui potentiellement affectent l’estimation des surfaces enneigées. La connaissance de l’épaisseur de neige pourrait améliorer ces résultats. Par exemple, d’autres formes de télédétection, telles la télédétection micro-onde passive [Grippa et al. 2005], peuvent fournir cette épaisseur, mais à des résolutions spatiales plus basses (10 km). Cependant, il apparaît que la télédétection optique fournit ici une information qui explique une large part de la variance interannuelle des débits. De plus, il est possible que les corrélations seraient plus élevées si nous avions estimé les surfaces enneigées à l’échelle des bassins versants, et non pas à l’échelle d’un vaste rectangle recouvrant les quatre bassins versants.
35Ces fortes corrélations offrent de réelles perspectives de prévision précoce des débits moyens et du risque de pénurie d’eau. Les données MOD10A2 sont disponibles environ dix jours après l’acquisition des données brutes par le satellite. La forte corrélation entre la surface neigeuse en septembre et le débit moyen pendant la période de crue suivante rend possible une estimation dès la fin septembre du débit moyen pendant la période septembre-avril, à partir de l’image correspondant à la période allant du 13/09 au 20/09. Une prévision plus précise pourra être fournie plus tardivement, à partir des données satellite de la première période de novembre, en raison de corrélation plus forte pour cette date.
36Cette prévision relativement précoce est extrêmement simple à mettre en œuvre : concrètement elle consiste à appliquer une relation linéaire à la surface enneigée estimée à partir d’une unique image téléchargeable gratuitement, découpée selon les coordonnées données plus haut. Pour le río Mendoza et pour l’image du 13‑20 septembre, cette relation linéaire s’écrit :
Débit moyen pour septembre-avril prévu fin septembre
= 0,0046 x Surface Enneigée + 0,17
37Le débit moyen prévu étant exprimé en m3/s et la surface enneigée en km2. L’étude des résidus de la relation linéaire révèle une erreur absolue moyenne sur cette prévision réalisable fin septembre de 9 m3/s, pour un débit moyen septembre-avril moyenné sur les 12 ans d’observations de 62,4 m3/s, soit 14,4 % d’erreur moyenne.
38La pénurie en eau dans la province de Mendoza a toujours été moins naturelle que structurelle. Elle est consécutive à une inadéquation de la demande toujours plus importante, face à une offre qui décroît. Les infrastructures hydrauliques ont permis pour un temps d’adapter l’offre à la demande, mais la baisse des précipitations neigeuses et la hausse des températures depuis 2008 a mis à mal la stratégie de gestion de la pénurie, fondée sur un système d’infrastructures hydrauliques qui assure une redistribution dans le temps et l’espace de la ressource.
39La prise de conscience fut tardive, et même si on observe clairement une baisse des gaspillages, une gestion intégrée doit absolument être initiée. Elle passera : 1) par une nouvelle législation de la gestion de l’eau qui n’a jamais été amendée depuis près d’un siècle (1916) malgré les chevauchements et les lacunes dans les responsabilités collectives ; 2) par une poursuite des mesures visant à limiter les gaspillages ; 3) par une meilleure prise en compte des aléas hydro‑climatiques qui conditionnent l’offre en eau.
40Ce troisième axe, celui de l’évaluation de l’offre en eau, est l’objet de cette étude. Notre méthode, fondée sur une observation des relations entre couverture neigeuse et débits de crue, a démontré que la mesure des surfaces enneigées en septembre est suffisante pour évaluer les débits des cours d’eau entre septembre et avril, et ce pour les quatre rivières étudiées. Elle revêt l’avantage d’être gratuite puisque les données sont disponibles en ligne, et ce, 10 jours après la prise de vue. Cependant le modèle étant construit sur une relation statistique établie pendant une période où l’enneigement en septembre a varié de 6000 à 18000 km2, son utilisation hors de cette gamme de surface pour prévoir les variations de débit est incertaine. Il n’est donc pas possible de définir la validité du modèle pour des conditions climatiques différentes de celles de la période utilisée ici.
41Notre méthodologie s’est avérée fructueuse puisqu’elle montre que la surface enneigée en fin de période hivernale conditionne les débits en période estivale, malgré la présence de forts dénivelés et donc inclinaisons qui nous semblaient pourtant un fort biais de départ, et malgré l’absence de prise en compte de l’épaisseur du manteau neigeux. Pour autant, nous n’en sommes qu’à la première étape de ce travail. Il nous semble en effet important, afin de donner une méthode clé en main aux gestionnaires, de l’affiner en utilisant comme filtre la surface de chacun des quatre bassin-versants séparément.