1La Polynésie française est un vaste territoire situé au centre du Pacifique sud, composé de cinq archipels et de 121 îles. Les terres émergées représentent moins de 3500 km2 dispersés sur un espace de près de 5,5 millions de km2 de Zone Économique Exclusive. La physiographie des îles se répartit en îles hautes (édifices volcaniques ceinturés ou non de récifs coralliens, atolls soulevés) et îles basses (atolls), la plupart de ces derniers constituant l’archipel des Tuamotu. Depuis 2004, la Polynésie française est un Pays d’Outre-Mer doté d’une certaine autonomie au sein de la République française. Tahiti, l’île principale, concentre les deux tiers de la population totale, estimée à 267 000 habitants (ISPF 2010), ainsi que l’essentiel des pouvoirs politiques locaux (Assemblée territoriale) et étatique (Haut-Commissariat de la République) et économiques.
2Les cyclones constituent un des principaux risques naturels affectant le territoire avec les tsunamis, les mouvements de terrain et les crues. L’aléa cyclonique est plus fort à l’ouest du territoire, notamment dans l’archipel des Australes où Larrue & Chiron [2010] estiment à 6‑7 ans la fréquence événementielle. Dans le Pacifique sud, les cyclones sont généralement confinés à l’ouest du méridien 150°W mais trouvent des conditions favorables à une migration plus à l’est lors des épisodes El Niño [Terry & Etienne 2010] et peuvent alors affecter les îles de la Société et les Tuamotu. Deux crises cycloniques majeures ont affecté ces archipels à la fin du xxe siècle : celle de 1982‑1983 (5 cyclones tropicaux, 1 dépression tropicale) et celle de 1997‑1998 (5 CT, 4 DT). Contrairement aux tsunamis, les cyclones sont des événements rares dans l’archipel des Marquises en raison de plusieurs facteurs limitant : la présence d’eaux plus fraîches qui inhibent la cyclogenèse [Terry 2007] et la position de la ZCPS (Zone de Convergence du Pacifique Sud) à quelques centaines de kilomètres au sud-ouest de l’archipel. En période d’El Niño, la ZCPS se décale vers le nord-est en arrosant copieusement les Marquises en pluies, et elle donne naissance aux futurs cyclones qui peuvent influencer les archipels du Pacifique sud.
3La météorologie est une science récente qui n’a véritablement émergé qu’au début du xxe siècle sous l’impulsion du norvégien Jacob Bjerknes [Godske & Bjerknes 1957]. Le développement de l’informatique a permis l’émergence de nouvelles méthodes de prévision basées sur des modèles numériques qui font appel aux technologies les plus modernes dans de nombreux domaines (télédétection, etc.). L’augmentation de la puissance de calcul et l’apport des données satellitaires a permis d’intégrer une somme croissante d’informations sur le système terres-mers-atmosphère. Ce travail de modélisation, d’observation et de mesure a permis de réaliser de substantiels progrès en termes de prévision [Coiffier 2000]. Bien qu’il implique de travailler à l’échelon mondial, le dispositif actuel de prévision est marqué par de très fortes inégalités spatiales. Les moyens alloués à ce travail par les grands centres de prévision varient considérablement d’une région à l’autre ce qui affecte directement la qualité des prévisions.
- 1 Les modèles « opérationnels » produisent des résultats dans des temps suffisamment courts pour perm (...)
4Malgré les progrès récents, les puissances de calculs demeurent encore insuffisantes pour obtenir une prévision détaillée de l’état de l’atmosphère à l’échelle mondiale. Afin d’appréhender les phénomènes de petite échelle tels que les orages, les précipitations orographiques, ou les accélérations localisées des vents, les centres de prévision ont donc développé des modèles « régionaux » aux mailles plus fines [Bouttier 2007]. Ceux-ci s’enchâssent dans les modèles d’échelle supérieure et sont enrichis d’observations effectuées localement (échos radars, mesures effectuées par les avions de ligne…) pour fournir des informations plus précises pour des échéances relativement limitées. Lorsqu’ils sont dits « opérationnels1 » [Jolivet 2008], ces modèles à mailles fines et aires limitées apportent souvent des précisions déterminantes pour les prévisionnistes chargés de réaliser des prévisions détaillées dans des situations synoptiques extrêmes.
5À partir des données fournies par GFS (Global Forecasting System) dont la résolution était de 55 km environ à l’échelle mondiale en 2010, les Américains ont ainsi mis au point (entre autres) les modèles NAM (North American Mesoscale) dont la maille horizontale varie de 12 à 3 km selon les zones et WRF (Weather Research and Forecasting) dont la résolution peut atteindre moins de 8 km dans certaines versions. Les ingénieurs de Météo France ont suivi une voie comparable en développant trois modèles principaux. Le modèle global ARPEGE a une maille horizontale variable de 15 km au centre (sur la France), mais de plus en plus large à mesure que l’on s’éloigne de la métropole (proche de 80 km au Sud‑Ouest de la Polynésie Française selon [Montroty 2008]). Le modèle intermédiaire ALADIN (prévision à 48 h) a une maille fixe de 10 km et couvre l’Europe occidentale alors que le modèle AROME ne couvre que la France pour des échéances limitées à 30 h, mais dispose d’une maille particulièrement fine (2,5 km).
6La mise en place de ces modèles à mailles fines et le maintien du réseau d’observation permettant de les alimenter et de les optimiser représente un coût très élevé. Pour tenter de combler les inégalités spatiales de prévisions résultant de ce système à échelles multiples, certains de ces modèles à mailles fines peuvent être utilisés par des organismes indépendants et être temporairement positionnés sur des régions habituellement non couvertes. Cela permet d’apporter des prévisions détaillées, opérationnelles ou non, sur des phénomènes particuliers relevant de la protection civile, d’activités économiques ou de la recherche scientifique. Cette tentative d’homogénéisation spatiale de la qualité des prévisions, par le développement de modèles à aires limitées mobiles reste néanmoins peu satisfaisante pour la protection des populations menacées par des phénomènes météorologiques extrêmes. En effet, si l’efficacité de ces modèles tient en partie à la finesse de leurs mailles, la qualité des prévisions fournies est également étroitement liée à la qualité des modèles à mailles intermédiaires dans lesquels ils s’emboitent et surtout à l’apport d’observations variées dans et à proximité de la zone de prévision. L’intégration et le traitement de ces données supplémentaires récoltées localement apporte une plus-value déterminante pour ces modèles à haute résolution [Montroty 2008] dans la mesure où ils permettent de corriger les erreurs de prévision du modèle « parent ». Les modèles à mailles fines dotés de zones de couverture mobiles sont donc d’un intérêt très limité dans les régions où les outils de mesure destinés à connaître l’état initial de l’atmosphère sont peu nombreux et où les bases de données géoréférencées (reliefs, couverture végétale…) sont inexistantes, imprécises ou périmées.
- 2 De nombreux autres modèles à mailles fines non opérationnels destinés à la recherche sur les cyclon (...)
- 3 Geophysical Fluid Dynamics Laboratory (https://www.gfdl.noaa.gov/operational-hurricane-forecasting/(...)
- 4 Non Hydrostatic Mesoscale Model.
- 5 Modèle haute résolution en 3D développé par l’université de Princeton pour la prévision des cyclone (...)
- 6 Selon Braun [2002] cité par Jolivet [2008], une résolution horizontale de 1 à 2 km serait nécessair (...)
7La Polynésie française et ses alentours apparaissent à bien des égards comme le « parent pauvre » du système de prévision mondial malgré l’existence de plusieurs types d’aléas météorologiques représentant des risques majeurs pour les populations insulaires (cyclones, crues éclair). En dépit d’un haut niveau de vulnérabilité, le Pacifique Sud tropical est donc, et de loin, la zone cyclonique habitée la plus mal couverte par les modèles de prévision numérique. Alors que l’hémisphère Nord bénéficie des avancées significatives [Dodla et al. 2011] que procurent les modèles à mailles fines opérationnels parfois spécifiquement2 élaborés pour la prévision cyclonique tels que le modèle HRWF [Gopalakrishnan et al. 2010], GFDL3, NMM4 et POM5 , l’Océanie insulaire souffre d’une couverture beaucoup plus grossière. Dans le reste de l’hémisphère Sud, l’Océan Indien est en revanche correctement couvert par le modèle opérationnel Aladin-Réunion mis en place par Météo France en 2006 [Faure et al. 2008] et l’extrémité occidentale du Pacifique Sud profite des différents modèles à mailles fines australiens. Lorsqu’elle est couplée avec un système d’observation performant, la modélisation à haute résolution apporte pourtant un bénéfice incontestable6 à la prévision des cyclones, que ce soit en termes de trajectoires, d’intensité ou d’interactions des systèmes avec les reliefs [Dodla et al. 2011, Jolivet 2008]. Ne profitant pas (ou très tardivement) de ces différentes avancées, la prévision en Polynésie française reste largement tributaire des modèles globaux à mailles larges.
- 7 L’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) a attribué le suivi des cyclones à différents centres (...)
- 8 Instruments de mesure de différents paramètres météorologiques (vent, température etc.) réunis dans (...)
- 9 http://www.hko.gov.hk/aviat/outreach/observation/27th/airobs.htm
- 10 Les Nouvelles de Tahiti, 30 décembre 2009 : « Pas de cyclone, mais de la pluie », par Benoît Duquet
8À l’instar des moyens alloués à la prévision, le dispositif mis en place pour l’observation des phénomènes cycloniques varie aussi énormément d’une région à l’autre. Le bassin cyclonique de l’Atlantique Nord sous la responsabilité du CMRS7 de Miami bénéficie des investissements les plus importants avec la réalisation d’observations au cœur des cyclones par des avions de reconnaissances depuis le milieu des années 1970 (complétées par l’utilisation des « dropwind sondes8 » depuis 1982 [Aberson et al. 2006]) et par la mise en place de tout l’éventail connu de systèmes d’observation à distance tels que les radars Doppler [Lewis et al. 2011] ou l’imagerie micro‑ondes. Ces nouveaux outils ont révolutionné la connaissance, la prévision et le suivi en temps réel des cyclones tropicaux [Jolivet 2008]. Avec quelques années de retard, leur utilisation se généralise à l’ensemble des bassins cycloniques avec par exemple la mise en place de radars Doppler sur l’Océan Indien (Nord et Sud) et le financement des premières reconnaissances aériennes en Asie orientale (Hong-Kong Observatory9). En marge de ces révolutions technologiques, le réseau d’observation du Pacifique Sud apparaît comme particulièrement sous-dimensionné. En effet, alors que la Polynésie française occupe une surface presque équivalente à l’Europe (4,8 M km2 de Z.E.E.), il n’existe qu’une poignée de stations de mesure capables de transmettre régulièrement des informations aux modèles et aux prévisionnistes. La Polynésie française possède par ailleurs seulement huit stations automatiques. Cela est d’autant plus gênant que les observations provenant du reste du Pacifique Sud sont quasiment inexistantes, aggravant in fine la méconnaissance de l’atmosphère dans cette partie du monde. En raison de ces carences, les prévisions à moyen terme sont déficientes : ainsi, si les services polynésiens de Météo France estimaient, en octobre 2009, à 32 % le risque d’observer un cyclone dans l’espace polynésien en début d’année 2010, les prévisions furent abaissées à 18 % à la fin du mois de décembre 200910.
- 11 Source : entretien réalisé auprès de Victoire Laurent au centre de Météo France de Faa’a en septemb (...)
9Pendant le cyclone Oli, le modèle européen ECMWF était celui qui proposait la maille la plus précise puisque celle-ci avait été abaissée de 27 km à 16 km pour l’atmosphère et de 40 km à 28 km pour la simulation de la houle en janvier 2010. Malgré les lacunes des prévisions numériques dans le Pacifique Sud et en dépit de la rareté des phénomènes cycloniques en Polynésie française, les choix et analyses des prévisionnistes de Météo France ont permis de délivrer des prévisions à court terme très satisfaisantes en matière de trajectoire. Forts des conseils prodigués par le centre de Météo France de l’île de la Réunion11 plus habitué à analyser ce type de phénomène, ils se basèrent essentiellement sur les cartes du modèle européen ECMWF qui délivra des prévisions de qualité supérieures à celles fournies par le modèle américain GFS. D’une manière générale néanmoins, et en accord avec les analyses qui soulignent l’amélioration sensible de la prévision des cyclones tropicaux, l’ensemble des grands modèles globaux obtinrent de très bons résultats en termes de trajectoire et de chronologie pour l’évolution du cyclone Oli. La prévision de l’intensification du système par les modèles fut en revanche beaucoup moins précise, ce qui correspond à une faiblesse « classique » des modèles qui pourrait néanmoins avoir été aggravée par l’absence de modèles à mailles fines [Dodla et al. 2011, Jolivet 2008]. Enfin, en dépit de ces « bons » résultats, le caractère orographique des précipitations et l’influence du relief sur la force et la direction des vents n’ont pu être reproduits de façon satisfaisante alors même que les îles hautes polynésiennes se caractérisent (en dehors des Tuamotu) par des reliefs vigoureux qui dessinent toute une mosaïque de microclimats à l’échelle de chaque île.
10Des conditions favorables à une cyclogenèse importante sur le Pacifique central sont apparues au début de l’année 2010 en raison d’un indice d’oscillation australe (IOA)12 négatif et de l’arrivée à maturité d’un épisode El Niño d’intensité modérée à forte13. Un certain nombre de dépressions tropicales nées au large des Fidji ont alors régulièrement voyagé à l’est de l’antiméridien vers les îles Cook et la Polynésie française, atteignant le stade de tempêtes tropicales (Nisha, Pat) ou celui de cyclones (Oli). Les trajectoires habituelles (situation neutre ou La Niña) prévoient une déviation assez rapide de la trace vers le sud avant l’arrivée sur le territoire de la Polynésie Française (secteur occidental des îles Cook), en relation avec le col barométrique séparant les deux grands centres d’action anticycloniques de l’île de Pâques et de Kermadec.
11À la fin janvier 2010, des amas nuageux convectifs commencent à s’organiser en dépression tropicale au Nord des Samoa. Le 1er février, le système passe au stade de dépression tropicale modérée (DT) et est officiellement nommé Oli. Il est alors au nord des îles Cook, à plus de 1500 km de Tahiti, et les vents moyens sur une minute s’établissent autour de 65 km/h. La DT Oli conserve une trajectoire WNW‑ESE pendant de nombreux jours, amorçant sa descente vers le Sud, selon une trajectoire rectiligne NW‑SE (Fig. 1), seulement à l’approche des Îles sous‑le‑vent (Mopelia, Bellinghausen, Bora-Bora). Elle se renforce alors, atteint le stade de cyclone tropical et passe à 300 km de Moorea et Tahiti dans la nuit du 3 au 4 février (vents moyens : 148 km/h) puis a suivi dès lors une trajectoire sud-est qui l’a amené directement sur Tubuai, au cœur de l’archipel des Australes. Entre Tahiti et Tubuai, le cyclone s’est très vite renforcé passant du niveau 2 au niveau 4 (échelle de Saffir-Simpson) en six heures. Malgré l’absence de mesures au cœur du système, l’interprétation des images satellites IR par la méthode de Dvorak permet d’estimer que la pression minimale du système a probablement atteint les 925 hPa environ en pleine mer (6,0 Dvorak) quelques heures avant de frapper Tubuai (vents moyens estimés à 212 km/h), ce qui fait de Oli un des cinq plus puissants cyclones connus en Polynésie française depuis les années 1970. Lorsque l’œil est passé au‑dessus de Tubuai, le matin du 5 février, le système était cependant en phase de dégénérescence et était redescendu au niveau 2 (vents moyens : 144 km/h, rafales à 170 km/h). La station Météo France de Tubuai qui cessa temporairement d’émettre au plus fort du cyclone enregistra une rafale maximum de 169 km/h à 3h10 locale et une pression minimale de 955,8 hPa à 5h locale. Si le bilan humain a été très limité sur l’ensemble de la Polynésie (aucun mort, quelques blessés), les dommages matériels ont été évalués par le Territoire à environ 68 millions € (8,1 milliards de francs Pacifique). En termes de pertes économiques, Tubuai a été moins touchée que Bora-Bora dont les bungalows sur pilotis des hôtels de luxe ont particulièrement souffert, mais 504 bâtiments (habitations ou bâtiments publics) sur les 700 que compte l’île ont été plus moins ou moins affectés : 115 maisons ont été totalement détruites, les autres ayant subi des dégâts plus mineurs (toiture partiellement arrachée, murs fendus). L’archipel de la Société a également enregistré de nombreux dégâts environnementaux étudiés par ailleurs [Étienne 2012].
Figure 1 – Trajectoire du cyclone Oli en Polynésie française
12La trajectoire suivie par la dépression tropicale Oli a amené les autorités du Pays14 à enclencher progressivement, au fil des prévisions de Météo‑France, les systèmes d’alerte et de prévention. Le 1er février à 8 h, le niveau de « mise en garde cyclonique » est engagé par le Haut-Commissariat de la République pour les îles de la Société et les Australes du nord signifiant qu’une « menace existe pour les prochaines 72 h ». Les prévisions de trajectoire et le renforcement de la dépression qui passe au stade de cyclone tropical entraînent le passage au niveau de « pré‑alerte cyclonique » (code orange) le 2 février à 8 h annonçant « un danger dans un délai inférieur à 48 h ». Une cellule de crise est alors mise en place au Haut-Commissariat pour coordonner les moyens de secours, rester en contact avec les communes et rappeler les consignes de sécurité à la population15. Le 3 février, l’« alerte cyclonique » (code rouge) est déclenchée, « le danger devenant imminent dans les 12 à 18 h » : à 7 h pour les Îles-sous-le-Vent, à 18 h pour les Îles-du-Vent. Le cyclone oblique vers le sud avant d’atteindre Bora-Bora et se dirige alors directement sur la partie centrale des Australes. L’alerte rouge est alors levée à Tahiti à midi le 4 février (phase de sauvegarde : « des dangers indirects subsistent »). Aux Australes, qui sont dans l’axe des prévisions de trajectoire, l’alerte rouge est déclenchée jeudi 4 février à 0h30. L’œil du cyclone passe finalement sur l’île de Tubuai entre 4 et 5 h le matin du 5 février. Des bulletins d’alerte ont été publiés de manière fréquente, relayés par les médias locaux et mis en ligne sur le site web officiel du Haut-Commissariat. Ce site a d’ailleurs connu des pointes de fréquentation au plus fort de l’événement entraînant son indisponibilité.
13À l’échelon territorial, le Haut‑Commissariat, en charge de la sécurité civile via la Direction de la Défense et de la Protection Civile, demande aux habitants les plus menacés d’évacuer les zones à risques (bordure littorale, atoll). Localement, le tavana (maire) et la police municipale sont chargés de faire respecter ces consignes. Quelques cas isolés de refus d’évacuation ont été observés sur deux des îles les plus occidentales du Territoire (et donc les plus proches de la trajectoire prévue du cyclone) : à Mopelia, 3 des 8 habitants ont choisi de rester tandis qu’à Scilly ce sont les 32 habitants de l’atoll (30 adultes et 2 enfants) qui ont déclaré « se sentir plus en sécurité dans leurs fare [maison] pilotis que partout ailleurs dans les Raromatai [Îles‑sous‑le‑Vent] ». Le Pays avait pourtant envoyé un navire, le Tahiti Nui VI, et l’Armée de l’air un hélicoptère Super Puma pour transférer la population vers Bora-Bora. Hormis ces cas particuliers, l’ordre de confinement a été largement respecté par la population, notamment à Tahiti, ce qui tranche nettement avec l’alerte tsunami du 29 septembre 2009 où la réaction de la population avait été à l’opposé des recommandations habituelles (saturation des lignes téléphoniques, embouteillages le long de la route du front de mer). La chronologie de l’alerte a cependant été favorable à ce civisme remarquable puisque le confinement de la population durant la phase d’alerte cyclonique (code rouge) correspondait à la nuit et que la population a été préparée à son éventualité plusieurs jours en avance, contrairement à l’alerte tsunami survenue subitement le matin du 29 septembre à 10 h.
14L’événement cyclonique Oli s’est soldé par une crise sociétale importante, notamment à Tubuai, qui a mobilisé toutes les forces du pays pendant plusieurs semaines : pont aérien dirigé par le Haut-Commissariat, pont maritime par le Pays, renforts terrestres pour rétablir les voies de communication et les réseaux électriques et téléphoniques.
- 16 Maison en bois de conception para-cyclonique conçue par la Mission Territoriale pour la Reconstruct (...)
15Le Territoire dispose via l’Office Polynésien de l’Habitat et le Fonds de Développement des Archipels de 140 kits de maison MTR16 en réserve. Trente fare ont donc été débloqués en urgence, acheminés par les navires territoriaux Tahiti Nui I et Tahiti Nui VIII à Tubuai et attribués à des familles défavorisées ayant perdu leur habitation. Mais l’installation de ces maisons ne peut se faire que si les habitants bénéficiaires prouvent qu’ils sont propriétaires des terrains ; or l’indivision qui touche un grand nombre de terres en Polynésie complique la situation car les bénéficiaires doivent obtenir l’autorisation de tous les copropriétaires. Souvent, ces derniers refusent, voyant là un moyen de récupérer « leurs » terres. La commission d’attribution des maisons MTR se voit alors contrainte d’attribuer le fare à une autre famille. L’indivision concerne 70 % des maisons entièrement détruites à Tubuai. La municipalité ne disposant pas de terrains communaux, le Territoire a donc octroyé trois hectares afin de réaliser trente lots. Ces terrains sont situés à plus de 100 mètres du trait de côte et seront affectés prioritairement aux familles préalablement installées sur le littoral. Cependant, certaines familles se sont montrées réticentes face à cette délocalisation forcée de l’habitat au-delà de la bande côtière de sécurité.
16Cette situation n’est pas inédite : le 10 septembre 2005, un phénomène de houle australe exceptionnel a affecté la Polynésie française. A Bora-Bora par exemple, la houle avait détruit cinq maisons individuelles et inondé plus d’une centaine de fare hôteliers. Cinq ans plus tard, trente-cinq maisons MTR affectées sont toujours en attente d’installation car les bénéficiaires n’ont pas encore réglé leur problème d’indivision. En effet, une caractéristique majeure du foncier polynésien est que « la sortie de l’indivision à l’amiable devant le notaire est l’exception, tandis que le partage judiciaire apparaît comme la règle. » [Bambridge 2009].
17Du point de vue de la sécurité civile, il est à noter que Tubuai est la première commune de Polynésie française à s’être dotée d’un Plan Communal de Sauvegarde. Le processus a été enclenché en 2008 et le PCS a été livré en janvier 2010, quelques semaines avant le passage du cyclone Oli. Il n’a été approuvé par le Maire que le 6 septembre 2010.
18Les dégâts enregistrés par l’habitat côtier couplés à une nécessité de reconstruction rapide se sont traduits par l’apparition de pratiques délictueuses individuelles telles que la construction d’ouvrages de défense côtiers par les particuliers (gabions à Tubuai), l’extraction de sables ou de graviers coralliens sur les plages (observée à Huahine et Tubuai). À Tubuai, le prélèvement de sable de plage dans le secteur de Mataura a aggravé l’érosion constatée après le passage du cyclone Oli [Etienne 2012] alors même que les plages non soumises à cette extraction avaient retrouvé leur état pré-cyclonique en l’espace de huit mois. Cependant, il a également été observé une recrudescence des plantations spontanées de lys de mer (Crinium asiaticum) par les particuliers le long des limites littorales des propriétés, celle‑ci étant justifiée par l’action protectrice traditionnellement reconnue de cette plante et réaffirmée de manière empirique lors de l’épisode Oli.
19Les crises cycloniques marquent durablement la géomorphologie des littoraux du Pacifique Sud [Terry 2007] et peuvent provoquer des bouleversements sociétaux importants auxquels les Petits États Insulaires ont souvent du mal à faire face seuls. Conséquence indirecte du cyclone Oli, l’imbroglio du droit foncier, omniprésent en Polynésie française [Bambridge 2009], est réapparu au lendemain de la catastrophe ayant affecté Tubuai. Le géographe, s’il n’est pas directement aménageur ou gestionnaire, peut (doit) aider à préparer les plans de contingence des risques associés aux crises du géosystème. Certes, comme le soulignait Fernand Braudel [in Veyret 2001, p. 28], il ne faut pas se concentrer uniquement sur « les catastrophes et leur histoire véhémente, redoutée, dont les coups sinistres restent fichés dans la mémoire des hommes », mais le géographe doit néanmoins considérer la question, son meilleur atout et sa spécificité étant « d’explorer le rapport du social avec le naturel » [Bertrand & Bertrand 2002]. En Polynésie française, la période d’observation météorologique reste courte et insuffisante pour proposer des fréquences cycloniques suffisamment fiables et utiles à une correcte prévision des risques naturels (PPR). Les modèles et leur résolution spatiale restent encore inadaptés à une prévision à moyen terme équivalente aux autres bassins cycloniques de la planète et l’implantation de stations d’observation dédiées apparaît comme un enjeu majeur. Pour pallier ces déficiences, les efforts doivent aussi être maintenus dans la reconstitution de l’histoire cyclonique à travers l’analyse couplée des archives géologiques et historiques.
Les auteurs adressent leurs plus vifs remerciements à l’Université de la Polynésie française, à Météo‑France (antenne de Polynésie), à Wilson « Wipa » Doom ainsi qu’aux deux relecteurs anonymes pour leurs remarques judicieuses. Cet article est une contribution au programme RINALPOF, contrat de projet État‑Territoire 2011-2013.