1Depuis les années 1970, la réduction des risques de catastrophe fait figure de priorité dans l’agenda des Nations Unies, avec le cadre actuel des directives internationales, qui est le Cadre d’Action de Hyogo pour des Nations et collectivités résilientes 2005‑2015 (CAH). Ces directives s’inscrivent bien dans le cadre conceptuel encadrant la recherche sur les risques, appelé paradigme radical, et centré sur la vulnérabilité. Ce paradigme considère les catastrophes comme ayant des origines quotidiennes socio-économiques et politiques, et met l’accent sur la vulnérabilité, qui dépend largement de l’accès aux ressources des personnes exposées et de leurs moyens d’existence. Leurs comportements sont donc contraints de manière indépendante des aléas [O’Keefe et al. 1976, Hewitt 1983, Anderson & Woodrow 1989, Maskrey 1989, Chester 1993, Wisner et al. 2004]. Les stratégies préconisées au cœur de ce paradigme s’appuient sur des mesures non structurelles de réduction de la vulnérabilité en s’attaquant à ses causes profondes socio-économiques, et prônent une gestion participative des risques, qui permet de valoriser les capacités des populations, reconnues comme n’étant pas de simples victimes impuissantes [Chambers & Conway 1991, Benson & Twigg 2007]. En effet, personne mieux que les communautés vulnérables elles-mêmes, dont la survie et le bien-être sont en jeu, peuvent comprendre les affaires locales, les contraintes et les opportunités, et évaluer leurs propres vulnérabilités et capacités [Chambers & Conway 1991, Chambers 1994, Kafle & Murshed 2006, Benson & Twigg 2007]. Ce type de gestion dit « bottom-up », axé sur les causes profondes de vulnérabilité quotidienne, correspond bien en effet au CAH (axes prioritaires n° 4 et 5). Cependant, à l’échelle des territoires nationaux, les gouvernements locaux peinent bien souvent à appliquer ces directives. Dans la plupart des pays du monde, qui ont pourtant ratifié le CAH, force est de constater que les stratégies de réduction des risques mises en place s’intègrent en effet encore davantage au paradigme dominant aléa-centré. Ce dernier considère les catastrophes comme essentiellement liées à des phénomènes rares et extrêmes « ennemis » contre lesquels il faut livrer une guerre sans merci, en focalisant sur des mesures structurelles visant à contrôler l’aléa et à en limiter l’impact. Bien qu’avec les travaux de l’école de Chicago l’accent ait été mis sur la vulnérabilité des personnes [Kates 1971, Burton 1972, Burton et al. 1978], les gouvernements considèrent encore beaucoup les populations exposées comme des destinataires passifs de leurs politiques, qu’ils leur imposent sans grande concertation. Ce sont principalement (1) des mesures de déplacement des populations pour réduire leur exposition, sans apporter de solutions viables de relogement et d’alternatives économiques durables, ou (2) des campagnes de sensibilisation au risque. Le défaut de perception des personnes exposées aux dangers est en effet considéré par les acteurs institutionnels comme le principal facteur expliquant leur vulnérabilité, tandis que les causes profondes socio-économiques liées à la pauvreté sont bien souvent ignorées [Mercer et al. 2007, Texier, 2009]. Au vu des récentes catastrophes observées dans le monde, aussi bien en contexte développé qu’en développement, force est de constater que cette approche technocratique « top-down » de la réduction des risques focalisée sur l’aléa n’obtient pas les résultats escomptés, et ce malgré les directives internationales, qui manquent de conseils concrets d’application adaptés aux contextes locaux [Heijmans & Victoria 2001, Bankoff 2003, Gaillard 2007, 2009, Gaillard et al. 2010, Texier 2009, ISDR 2009].
2Face à ce constat, et depuis les années 1980, on observe un intérêt grandissant dans des stratégies alternatives, qui essayent de développer une approche plus participative dans la compréhension des risques et la recherche de solutions ancrées dans le développement au quotidien. Le Work Package 5 du programme Européen MIAVITA (7ème PCRD, 2008‑2012), intitulé « Socio‑economic Vulnerability » a eu pour objectif, sur quatre terrains volcaniques, d’analyser la vulnérabilité socio-économique des populations vivant sur les volcans, de développer des méthodes participatives adaptées aux contextes territoriaux visant à mieux évaluer les risques et les causes de vulnérabilité socio-économiques, et de proposer des outils de dialogue pour une réduction des risques intégrée et plus participative. Cet article vise à présenter les résultats obtenus pour le cas du Volcan Fogo, volcan actif dont la dernière éruption a eu lieu en 1995. Le village de Chã das Caldeiras, implanté au cœur de la caldera, a été analysé, et l’équipe de chercheurs a mis en place, avec la population locale et les acteurs institutionnels, une cartographie participative en trois dimensions (CP3D) pour tenter d’instaurer un plan de gestion des risques participatif. Après avoir présenté le contexte géographique de l’étude, physique et anthropique, la méthode de recherche-action sera présentée et les résultats (données issues d’enquêtes réalisées par l’équipe MIAVITA) seront discutés dans une dernière partie qui proposera des perspectives face aux limites de la méthode.
3Le Volcan de Fogo est situé sur l’île du même nom, faisant partie de l’archipel du Cap-Vert, situé au large des côtes sénégalaises. Il s’agit d’un strato‑volcan de point chaud [Ribeiro 1954, Day et al. 1999, 2000], encore en activité (dernières éruptions au xxème siècle : 1951 et 1995 ; 19ème siècle : 4 éruptions en 1816, 1847, 1852 et 1857 ; xviiième siècle : 4 éruptions en 1721‑1725, 1769, 1785 et 1799). Les aléas associés lors de la dernière éruption ont été des retombées de cendres et de ponces, une coulée de lave. Le cœur de la caldera du volcan [Foeken et al. 2007] est occupé par le village de Chã das Caldeiras, composé des hameaux de Portela et Bangaeira (dépendant de la municipalité de Santa Catarina), habités par 697 habitants en 2010 (Fig. 1). Le climat est de type tropical sec, avec une très courte saison des pluies fin août, essentielle à la survie des hommes.
Figure 1 – Les villages de Chã das Caldeiras, au cœur de la caldera du volcan Fogo
4La fertilité des sols volcaniques, le climat et la disponibilité de terres ont motivé les premières familles à venir s’implanter dans la caldera dès 1860 durant la colonisation portugaise. Cette implantation dans un lieu exposé aux aléas volcaniques s’est justifiée par le besoin de terres arables en période de sécheresse et de famine [Ribeiro 1954, Lesourd 1995, Andrade 1996, Madeira Santos et al. 2007]. Ces familles pratiquent une agriculture mixte, à la fois vivrière et marchande, et non irriguée, qui est aujourd’hui florissante relativement au reste de l’île, notamment grâce à la vigne. La production du vinho do Fogo via la coopérative a introduit depuis 1992 des pratiques modernes, créant une opportunité d’exportation du vin aux échelles nationale et internationales, témoin d’une certaine réussite économique.
5La dernière éruption du volcan en 1995 a eu un impact positif en favorisant l’essor du tourisme, devenu la deuxième activité principale dans la caldera. Les activités touristiques pratiquées sont variées : guide, commerces, pensions chez l’habitant ou hôtellerie, artisanat, activité partagée entre adultes et enfants.
6Agriculture et tourisme sont les témoins de la valorisation du potentiel économique du Pico de Fogo, la population s’étant progressivement approprié ce milieu hostile qu’est la caldera en développant une relation ambivalente avec le volcan. En effet, si le volcan est un atout, il est aussi une menace. La coulée de lave de 1995 a occasionné des destructions importantes, telles l’ancienne coopérative vitivinicole, une partie des champs et quelques maisons. Cette éruption est restée gravée dans les mémoires. La population a donc une très bonne conscience du risque et une connaissance des aléas associés (coulées de lave, retombées de cendres et ponces), même si les éruptions passées n’ont fait que deux morts lors des 200 dernières années [Ribeiro 1960]. En fait, nos enquêtes par questionnaires (voir section 3.1) montrent que pour 86 % des familles du village de Chã interrogées, le volcan est considéré davantage comme un ami et une ressource.
7D’autre part, la localisation dans une caldera à 1750 m d’altitude induit un isolement quotidien par rapport aux services publics, tels que les transports, l’adduction d’eau potable, l’électricité.
8Le fonctionnement de ce territoire induit au final deux conséquences en termes de relations entre l’homme et son milieu, qui définissent deux objectifs de gestion : (1) l’enracinement d’une population sur un territoire menacé induit un risque lié au phénomène volcanique, qu’il faut réduire au maximum dans un objectif de protection des personnes et des biens ; (2) son exploitation provoque une pression sur le milieu naturel fragile (paysage volcanique, biodiversité) qui doit être encadrée, régulée, dans un objectif de protection de la nature.
9Les contraintes matérielles sont aussi renforcées par les stratégies de gestion institutionnelles externes, qui tentent de répondre à une double nécessité de protection.
10Premièrement, la protection des hommes face à la menace volcanique se traduit par la création d’une Protection Civile Nationale, menée par l’armée. Depuis 1995, un plan de surveillance du volcan a été mis en place, soutenu par des projets de recherche internationaux. La mesure des émissions de gaz est effectuée tous les mois par une équipe locale du village de Chã, qui est chargée de transmettre les données, traitées à la capitale par le LEC (Laboratoire d’ingénierie civile), soutenu par des équipes de chercheurs des Îles Canaries (Espagne) via le programme de recherche MAKAVOL (Programme de Coopération transnational de l’Union Européenne MAC 2007‑2013 sur la réduction des risques volcaniques en Macaronésie). Un système d’alerte à la population a été mis en place (système de feux tricolores). Cette gestion du risque s’appuie aussi sur de fortes restrictions d’occupation du sol, un impôt spécial, et une stratégie volontaire qui a tenté en 1996 de délocaliser définitivement la population hors de la caldera. L’éruption volcanique de 1995 a ainsi servi de prétexte aux institutions pour forcer les habitants au départ, voulant éliminer leur exposition directe au risque volcanique certes, mais aussi, selon certaines sources (cf. entretiens), dans une démarche de récupération de terres convoitées (valorisation économique et protection intégrale de la nature). Pourtant, face aux difficultés d’accès aux ressources hors caldera, associées à un ancrage identitaire fort, cette tentative a échoué, une grande partie des familles relogées étant retournées habiter dans la caldera. Il s’agit bien là d’une stratégie de gestion des risques globalement aléa-centrée et top-down, même si des programmes comme MIAVITA, WP5, tentent de proposer des outils alternatifs visant à favoriser une gestion plus participative.
11Deuxièmement, face à la nécessité de protéger ce territoire exceptionnel en termes de bio- et géodiversité, un Parc Naturel a été créé en 2003. Bien qu’il puisse représenter une opportunité pour le développement du tourisme, il implique des restrictions fortes d’accès aux ressources pour la communauté : le foncier, l’élevage (e.g., interdiction du pâturage sauvage et obligation d’enfermer les chèvres dans des corrals). Le directeur du Parc, Alexandre Nevsky, s’oppose notamment à la construction d’une nouvelle route qui favoriserait le désenclavement économique et social du village (accès aux soins, à l’éducation, aux commerces) et renforcerait les capacités d’évacuation rapide du village en cas d’éruption.
12Malgré ces restrictions, on observe globalement au Cap‑Vert et à Fogo, une volonté institutionnelle d’appliquer les directives internationales, le gouvernement national ayant ratifié le CAH et les Objectifs d’Aichi pour la biodiversité 2011-2020 (e.g., encourager l’utilisation durable des ressources, renforcer les services écosystémiques, privilégier une planification participative et renforcer les capacités).
13L’imbrication des modes de gestion institutionnels implique, sur ce territoire convoité aux multiples enjeux, de fortes pressions exogènes sur l’agriculture, le bâti, l’élevage, les infrastructures publiques de base. Elles se conjuguent à la forte pression démographique sur un territoire limité spatialement, contraignant fortement le développement local. Ces stratégies institutionnelles ne sont par ailleurs pas sans impact sur les modes de gestion locaux et sur les spécificités socio-économiques de la communauté. Certaines familles ont par exemple accaparé la gestion des structures associatives agricoles, ou travaillent en lien étroit avec le Parc, tandis que d’autres se sont trouvées en difficulté économique face aux restrictions et peinent à se reconvertir. Ces restrictions les poussent bien souvent à adopter des stratégies d’adaptation non durables (coupes illégales, fraudes). De plus, considérés par les institutionnels comme des victimes impuissantes et prédatrices du milieu naturel, les occupants de la caldera se sentent frustrés de voir que leurs savoirs et savoir-faire ne sont pas reconnus ni valorisés. Ainsi, l’accès différentiel aux ressources en lien avec ces restructurations et pressions multiples créé des conflits au sein de la communauté, mais aussi entre acteurs et population, et modifie les jeux de pouvoir sur le territoire. Au final, au lieu du résultat escompté, ces stratégies conduisent à une augmentation de la vulnérabilité des habitants et de la biodiversité.
14Face à ces conflits, et afin de mettre en place un plan de gestion des risques qui permette d’intégrer toute la complexité du fonctionnement du territoire de Fogo, et de favoriser la concertation de l’ensemble des acteurs aux différentes échelles, qu’ils soient internes au territoire en question ou externes, le programme MIAVITA a proposé la mise en place d’un projet de recherche-action (impliquant les chercheurs aux côtés des acteurs de terrain), qui vise à dépasser les conflits présents et à créer un dialogue entre acteurs. Il s’est déroulé en deux phases.
15Un diagnostic territorial a tout d’abord permis de cerner le contexte physique, socio-économique et politique de la caldera volcanique (été 2010 et hiver 2011). Il s’est appuyé sur des enquêtes approfondies de terrain auprès des habitants du village : observations participantes, entretiens avec les personnes ressources, groupes de discussion par groupes sociaux de 4 à 8 participants (guides, agriculteurs, jeunes femmes seules avec enfants, femmes de plus de 45 ans, instituteurs, personnes travaillant dans des pensions) structurés autour d’une hiérarchisation des événements du passé, et de l’élaboration d’un outil dynamique permettant d’évaluer l’accès aux ressources et la dépendance des personnes par rapport aux différents types de ressources. Par ailleurs, le diagnostic s’est appuyé sur une campagne de questionnaires très qualitatifs bien que permettant un traitement quantitatif des données (échantillon de 60 foyers sondés) permettant d’évaluer différents paramètres de vulnérabilité socio-économique et cognitive. Enfin, des entretiens avec les acteurs externes à la communauté ont été réalisés (Protection Civile, LEC, INMG, Parc Naturel, Municipalité, Croix Rouge, observatoire du volcan). Ces enquêtes ont également permis de préparer la phase suivante.
16La Cartographie Participative en 3 dimensions (CP3D) permet de préparer des plans de gestion hybride des risques, qui combinent les savoirs scientifiques émanant des experts et des acteurs institutionnels externes, et les savoirs vernaculaires détenus par les populations locales. Elles se basent sur une évaluation conjointe des aléas et vulnérabilités / capacités et sur des discussions permettant théoriquement de combiner l’approche top‑down et bottom‑up [Gaillard 2007, Gaillard & Maceda 2009]. Cet outil s’inscrit donc bien dans le paradigme radical centré sur la vulnérabilité et dans les grandes directives internationales de Hyogo, qui prônent une plus grande participation du local, tout en s’appuyant sur des bases institutionnelles solides. La CP3D est peu onéreuse (elle a coûté environ 500 euros de matériaux, prix auquel il faut parfois rajouter l’hébergement des acteurs externes), et est réalisée avec des matériaux locaux (à Fogo, elle a été réalisée à partir de carton de récupération, de vieux journaux, de peinture, laine et punaises et de matériaux volcaniques) ; elle a l’avantage de mettre tous les acteurs à égalité devant la construction d’une maquette, elle est simple d’utilisation et n’a pas recours à l’écriture donc n’exclut pas certains groupes défavorisés (comme les femmes de plus de 45 ans à Fogo, qui pour beaucoup n’ont pas eu accès à l’éducation). Elle met en valeur les connaissances locales et scientifiques sur une même cartographie référencée à l’échelle (ici, 1/3800ème, avec des dimensions de 2 mètres sur 2,5 mètres, comprenant la totalité de la caldera), grâce à la superposition d’informations comme des couches thématiques [Rambaldi & Callosa-Tarr 2002]. Elle peut être valorisée au-delà de la communauté par une transformation en SIG, étape que nous n’avons malheureusement pas encore réussi à finaliser (Fig. 2). Il s’agit au final d’un partenariat aux bénéfices trilatéraux entre la communauté (qui obtient une reconnaissance de ses savoirs), les acteurs institutionnels et non institutionnels externes à la communauté (qui obtiennent un consensus et une plus grande opérationnalité de leurs plans de gestion) et le chercheur/médiateur de la CP3D (qui obtient des données inédites cartographiées à l’échelle du foyer, mais aussi de précieuses informations sur les jeux d’acteurs sur les territoires).
Figure 2 – La cartographie Participative en 3 dimensions : de la discussion au SIG
N.B. : le SIG est ici fictif, puisque non réalisé – exemple de digitalisation possible réalisée sous Adobe Illustrator
17Cette CP3D a été réalisée en avril 2011 en plusieurs étapes : (1) organiser un comité d’organisation avec des représentants de la communauté locale et préparer une réunion de lancement ; (2) construire le modèle en 3D de manière participative en utilisant les matériaux locaux ; (3) cartographier les éléments (vulnérabilités, capacités, ressources) ; (4) organiser des discussions sur l’évaluation des risques, leur gestion et terminer sur l’élaboration d’un plan de gestion des risques et des crises (identifier les personnes ressources, les procédures d’alerte et d’évacuation par exemple) ; (5) organiser un comité de suivi qui sera chargé de l’actualisation des données sur la maquette et de la transmission des données aux acteurs institutionnels.
18Au final, la CP3D a permis de mieux comprendre à la fois les vulnérabilités de la population de Chã face au risque volcanique, mais aussi d’identifier ses capacités (Fig. 3) et de récolter des données inédites à l’échelle du foyer.
Figure 3 – Forces et faiblesses de la communauté de Chã das Caldeiras, d’après les données FGD et CP3D MIAVITA
19La vulnérabilité des gens face au risque volcanique apparaît ancrée dans des causes profondes socio-économiques : difficile accès au foncier et précarité agricole hors caldera, terres fertiles et ressources plus riches à l’intérieur de la caldera ce qui explique la détermination des habitants à rester à Chã et de continuer à vivre exposés au risque volcanique. Leur vulnérabilité face à une crise volcanique se traduit par les difficultés d’évacuer par l’unique route, tandis que leurs difficultés à se relever d’une crise s’expliquent par leurs faibles revenus et le fort taux de chômage chez les jeunes (peu d’épargne), l’absence d’une reconnaissance de leur propriété foncière ce qui les empêcherait d’être indemnisés en cas de perte de terrain. Ils ont cependant des ressources qui leur permettent de mieux faire face au risque volcanique, comme la diversification des cultures (résistance au déficit hydrique), les transferts de fonds et équipements légers de la part des proches partis en Europe ou aux États‑Unis, la présence de groupements associatifs et l’entraide au sein de la communauté.
20Ils sont bien préparés au risque volcanique, car ils ont bénéficié d’une simulation grandeur nature d’évacuation en 2007, et disposent d’un système de surveillance et d’alerte performant (données mensuelles d’activité avec relevés de gaz, capteurs sismiques etc. et présence de l’observatoire du volcan dans le village). La mémoire collective du risque volcanique est importante et constitue une ressource. Enfin, ils disposent d’outils et de véhicules qu’ils peuvent mutualiser en cas de crise.
21Concernant l’évaluation du processus participatif dans la réalisation de la CP3D, les résultats sont encourageants également, puisque la population a réellement été impliquée dans l’évaluation de ces éléments : 70 personnes ont participé à la réunion de lancement, et une cinquantaine d’autres sont venues placer des éléments sur la maquette : au total, 75 foyers (60 % de l’ensemble des foyers) et leurs ressources sont répertoriées dans une base de données. Les enfants et les instituteurs étaient largement investis dans l’opération, et un représentant de la Protection Civile de Praia a participé aux deux semaines d’activités en jouant un rôle assumé. Le directeur du Parc Naturel a également participé activement aux discussions. Des groupes de discussion de deux heures ont été menés autour de la maquette pour identifier les ressources locales et les moyens pour réduire efficacement la vulnérabilité. Au final, la CP3D a réussi à initier un début de dialogue entre acteurs externes et communauté.
22L’analyse de cette expérience fait apparaître certaines limites. Ces limites concernent tout d’abord l’outil, qui s’applique mieux aux vulnérabilités et capacités physiques qu’aux dynamiques humaines complexes. La CP3D ne permet pas d’enregistrer facilement les variations temporelles à court terme comme les mouvements de population. Par ailleurs, la faible participation des acteurs institutionnels, venus principalement au début de la maquette et à la fin, soit deux jours en tout (sauf le représentant de la Protection Civile), a discrédité la pertinence et la pérennité de l’outil. Ce défaut de participation peut s’expliquer par une incompréhension au départ des enjeux de la CP3D et par la difficulté pour ces acteurs de l’intégrer dans leurs plans de gestion existants, qui se veulent top‑down, efficaces, bien que peu adaptés à la réalité du terrain. La CP3D est ainsi apparue à leurs yeux davantage comme un frein à ces réalisations, que comme un catalyseur d’informations essentielles. La perception souvent erronée qu’ont les acteurs institutionnels des communautés locales (qu’ils considèrent comme ignorantes et impuissantes à comprendre les enjeux collectifs) les incitent à minimiser les capacités locales et donc à limiter leur intérêt pour un tel outil. Enfin, ce manque d’implication dans un projet participatif qui vise à donner un certain pouvoir aux communautés et à rendre celles-ci actrices de la gestion de leur territoire, peut cacher de la part des acteurs externes une volonté de contrôle d’un territoire convoité (hypothèse qui semble corroborée par plusieurs entretiens avec des acteurs locaux) : ils pourraient donc considérer la concertation comme une perte de pouvoir.
23Deuxième limite, le mois de réalisation n’a pas été suffisant pour arriver jusqu’au stade très important de la planification de la gestion de crise, les discussions étant bien souvent trop courtes. Les gens sont, par contrainte économique, relativement peu disponibles pour passer plusieurs heures à travailler sur la maquette. Les prises de rendez-vous étaient laborieuses et certains groupes de discussion n’ont pu avoir lieu, faute de participants. Les conflits internes à la communauté peuvent aussi expliquer que les discussions n’aient pas été abouties, des tabous subsistant sur certaines questions cruciales telles que l’accès au foncier, la gestion du tourisme parmi le groupe des guides, ou la gestion de la coopérative vitivinicole source de conflits entre agriculteurs. Des conflits avec la municipalité au moment de la CP3D (notamment liés à la destruction récente d’une citerne construite illégalement par un membre de la communauté qui a globalement pris sa défense) ont également freiné la participation de certains habitants en colère contre les autorités locales, qui n’ont pas vu en ce projet une possibilité de solution à ces conflits. Par ailleurs, certains groupes sociaux marginalisés tels que les femmes ou les jeunes sans emploi ont été peu présents lors des discussions : la CP3D a eu tendance à reproduire des inégalités préexistantes [Rodary 2001, Depraz 2008].
24Dernière limite, l’outil n’est durable que s’il est mis à jour régulièrement : or l’étape essentielle de l’organisation d’un comité de suivi n’a pu aboutir. La personne la plus investie durant ce mois de CP3D a déménagé peu de temps après la fin de l’opération, tandis que l’agent en charge de la liaison administrative entre le village de Chã et la municipalité a démissionné. La maquette est donc restée inaccessible et enfermée à la délégation municipale de Chã pendant un an, le temps qu’un remplaçant soit nommé ; de plus, ce nouvel agent de liaison est extérieur au village, ce qui a nécessité un temps long d’intégration avant qu’il ne devienne vraiment efficace pour assurer cette actualisation. Côté institutionnel, c’est le défaut de budget alloué qui a été mis en avant pour justifier le désengagement des acteurs dans le suivi de l’opération sur le long terme. La transformation en SIG a été laissée de côté, faute de compétences techniques et de budget pour initier l’opération, qui aurait pu être portée par le Parc Naturel (qui au final, a été l’acteur le plus intéressé dans cette CP3D).
25Les résultats du programme MIAVITA ont permis de mettre en lumière d’une part que la vulnérabilité des personnes est ancrée au quotidien dans des causes socio-économiques profondes. Une perspective intéressante pour favoriser une plus grande participation serait d’axer une opération participative de CP3D sur les besoins prioritaires des habitants : le risque volcanique n’arrive en effet qu’en 3ème position des problèmes prioritaires des habitants interrogés par questionnaire, derrière les problèmes de violence liée à l’alcoolisme, et les maladies des cultures. Il s’agirait donc de proposer une entrée par l’accès aux ressources et le développement au sens large. La sécurisation des ressources est d’ailleurs une mesure essentielle pour réduire la vulnérabilité [Twigg 2001].
26D’autre part, cette expérience a montré qu’il était essentiel de prendre en compte les particularités des jeux d’acteurs sur le territoire, et la complexité des positions au cœur de la communauté : la population locale est composée de groupes sociaux différenciés en matière de vulnérabilité et de capacités, et de groupes d’opinion différents parmi ces catégories, qu’il s’agit de prendre en compte dans la mise en place d’une gestion participative des risques.
27Ainsi, la réalisation de cette cartographie participative des risques n’est qu’un demi succès au regard de la mise en place d’un plan d’action opérationnel, mais elle a été riche en enseignements et propose des perspectives intéressantes en matière de réduction des risques. Notons que les résultats obtenus sur les autres terrains MIAVITA (Merapi en Indonésie et Kanlaon aux Philippines) ont été différents, mais ces différences sont fortement liées au contexte de réalisation, et une approche comparative doit faire l’objet d’une publication à part entière. Certains éléments communs ressortent cependant. Tout d’abord, la réduction des risques doit être liée au développement au quotidien et doit mettre l’accent sur l’accès aux ressources au sens large, ce qui permettra de réduire les facteurs sous-jacents de vulnérabilité comme le préconise le CAH, et d’aborder le problème sous un angle prioritaire du point de vue de la population locale. Cela devrait garantir une plus grande participation. Ensuite, elle doit passer par un travail de fond et de long terme avec les groupes sociaux marginalisés du pouvoir, qui ne sont pas sans détenir des capacités et des savoirs à valoriser, mais qui sont traditionnellement exclus des débats et manquent de confiance en eux. Une attention toute particulière doit être portée sur la compréhension des conflits sous-jacents qui animent les parties prenantes. Enfin, il apparaît que seule une démarche réellement participative, c’est-à-dire émanant d’une initiative locale, endogène, et encouragée par les acteurs externes tels que le font les chercheurs, ne pourra vraiment provoquer un changement dans les pratiques, initier une dynamique, et remporter l’adhésion et la participation de toutes les parties prenantes du territoire de manière durable, garantissant ainsi sa résilience. Cette dynamique lente et progressive remet en cause la logique actuelle de financement de projet exogène planifié, qui empêche une initialisation émanant des acteurs locaux, et exige des résultats quantifiables, impossibles à obtenir au regard des délais à respecter en termes de changement social.
Nous tenons ici à remercier d’une part toutes les personnes qui ont permis la réalisation de cette recherche et de la CP3D au Cap-Vert (Protection Civile Nationale, INMG, LEC, Parc Naturel de Fogo, Municipalité de Santa Catarina, Croix Rouge Capverdienne, sans oublier évidemment les habitants du village de Chã das Caldeiras) et d’autre part le Programme MIAVITA pour les crédits financiers, ainsi que toute l’équipe recherche qui a permis ces réflexions collectives, à Fogo et sur les autres terrains du programme.