1La question des risques naturels dans les Pays du Sud revient périodiquement dans l’actualité, surtout en raison des conséquences meurtrières que sont venues rappeler des catastrophes récentes, comme le typhon Haiyan en novembre 2013, responsable de la plus grave catastrophe naturelle de l’histoire des Philippines. À l’heure où le spectre des changements climatiques pourrait augmenter la fréquence des aléas d’origine hydro‑météorologique, les risques dans les Suds se sont récemment accrus, face à la forte croissance démographique et à l’absence généralisée de planification urbaine et environnementale, augmentant sans cesse la vulnérabilité des sociétés. Alors que la plupart des pays du Nord ont mis en place des politiques et programmes de prévision, protection et prévention des risques naturels, la perception et la gestion des risques sont souvent bien différentes dans les pays du Sud. Parfois, le risque y est considéré encore comme une fatalité. En réalité, dans la plupart des cas, se pose le problème de la gouvernance territoriale, ou de la volonté commune des acteurs à mettre en place une vraie stratégie locale ou nationale de réduction des risques. Les communications rassemblées dans ce numéro thématique traitent d’exemples concrets et variés de risques naturels dans les Suds, pris sur quatre continents différents (Afrique, Asie, Amérique du Sud et Océanie), abordés principalement à travers le prisme de la gestion du risque.
2De nombreuses initiatives, issues de programmes collectifs de recherche-action ou d’études scientifiques ponctuelles, ont cherché à cartographier les risques naturels à l’échelle mondiale [e.g., André 2004, Dilley et al. 2005, Beck et al. 2012]. De telles études visent à comparer le niveau d’exposition des pays aux aléas naturels et, par conséquent, à identifier ceux qui sont les plus enclins à encourir des pertes humaines et économiques importantes. Seuls les risques dits « majeurs » sont généralement retenus dans ce type d’études, c’est-à-dire les risques naturels qui, en cas de catastrophe, sont susceptibles de causer de nombreuses victimes et pertes en vie humaine, ainsi qu’un coût important en dégâts matériels. Sept principaux risques naturels sont concernés : séismes, tsunamis, éruptions volcaniques, inondations, mouvements de terrain, cyclones et sécheresses. De toutes ces études, il ressort que les pays au Nord comme au Sud sont exposés à des aléas naturels à peu près comparables en nombre, en type et en intensité, qui sont à l’origine de catastrophes majeures : les cyclones frappent aussi bien des pays développés, comme les États‑Unis (Katrina, 2005), que des pays en développement, comme le Bengladesh [Sidr 2007] ou les Philippines (Haiyan/Yolanda en 2013) ; les risques sismiques, volcaniques et de tsunami concernent autant le Japon que l’Indonésie ; enfin, les inondations et les glissements de terrain sont un risque naturel majeur en France comme au Brésil, et d’une façon générale dans toutes les montagnes du monde, notamment asiatiques [Badakhshan 2014].
3En revanche, l’évaluation de la vulnérabilité face aux risques naturels révèle dans tous les cas de fortes disparités Nord-Sud, quelle que soit la méthodologie utilisée (Fig. 1). En effet, l’impact des catastrophes naturelles, en termes de pertes de PIB et de décès, est beaucoup plus lourd dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu élevé. Selon l’Association Internationale du Développement (IDA), sur la période 1991-2005, 98 % des personnes touchées par des catastrophes naturelles à l’échelle mondiale vivaient dans les pays en développement, et près de neuf décès sur dix (attribuables à ces catastrophes) sont survenus dans ces pays [Banque Mondiale 2008]. Une telle concentration du nombre de victimes dans les pays du Sud révèle à la fois une forte vulnérabilité sociale et une faible préparation des autorités et des populations face aux phénomènes naturels dangereux. Évidemment, les pays riches comme les États‑Unis ou le Japon se classent avant les pays pauvres en termes de dommages économiques, en raison d’une valeur des biens assurés plus élevée [André 2004]. Toutefois, lorsque les chiffres sont rapportés en proportion du PIB, les pays du Sud ont un plus haut niveau de vulnérabilité structurelle en termes d’impacts économiques [Banque Mondiale 2008]. À titre d’exemple, l’ouragan Sandy qui a frappé la côte nord-est des États‑Unis en 2012 a coûté environ 50 milliards de dollars, ce qui en fait la deuxième catastrophe naturelle la plus chère de l’histoire après Katrina, alors qu’elle n’a représenté que 0,3 % du PIB américain. Par comparaison, les dommages et pertes économiques suite au séisme en Haïti survenu en 2010 sont estimés à environ 8 milliards de dollars, ce qui équivaut à 120 % du PIB du pays ! Même quand l’impact national est relativement faible, particulièrement au sein des pays à vastes territoires, l’impact local peut être considérable, sur un plan social et économique [Banque Mondiale 2008]. Par exemple, l’Indonésie a subi une réduction de la croissance de son PIB de 0,1 à 0,4 % suite au tsunami de 2004, ce qui peut paraître négligeable, mais le bilan approché des destructions dans la province d’Aceh, la plus proche de l’épicentre du séisme, équivaut à 97 % de son PIB.
Figure 1 – Carte d’estimation du niveau de risque par pays réalisée par croisement du niveau d’exposition aux aléas et du niveau de vulnérabilité
Redessiné d’après Beck et al. 2012
4En définitive, de réelles inégalités face aux risques existent entre Nords et Suds et demeurent avant tout conditionnées par un niveau de développement inférieur et une vulnérabilité d’ordre social plus importante dans les pays du Sud. A l’heure où le spectre des changements climatiques pourrait augmenter la fréquence des aléas d’origine hydro-météorologique, cette situation devrait encore s’accentuer, en raison d’une urbanisation croissante (et souvent non contrôlée) et d’une dégradation constante de l’environnement, conjuguées à la forte croissance démographique qui caractérise les pays du Sud. Pour faire face aux menaces accrues que représentent ces risques pour les populations et le développement économique des pays qui sont touchés, les stratégies de gestion et de réduction des risques diffèrent notablement, entre pays du Nord et pays du Sud, mais aussi entre pays du Sud.
5Alors que la plupart des Pays du Nord ont mis en place des politiques et programmes de prévision, protection et prévention des risques naturels, la perception et la gestion des risques sont souvent bien différentes dans les pays du Sud et varient en fonction de leur niveau de développement. Ceci nous permet d’opposer schématiquement :
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des pays émergents, déjà en partie structurés autour de politiques et programmes de prévision, prévention et/ou protection contre les risques : tel est le cas du Brésil, où la loi 12.608 du 10 avril 2012 a officiellement institué une « politique nationale de protection et de défense civile » (Política Nacional de Proteção e Defesa Civil), incluant la mise en place de systèmes d’information et de surveillance (monitoramento) des catastrophes. Cette initiative de l’Etat a été suivie par le lancement en 2013 d’un plan national de gestion et de réponse aux désastres naturels (Plano Nacional de Gestão de Riscos e Resposta a Desastres Naturais) qui comprend quatre volets : prévention, cartographie, surveillance et alerte. Une telle prise de conscience récente de l’État brésilien trouve son origine dans un événement « fondateur » tout aussi récent : la catastrophe de janvier 2011 dans l’État de Rio de Janeiro (glissements de terrain et inondations ayant causé plus de 1500 morts), considérée comme la pire catastrophe naturelle de l’histoire du Brésil [Bétard et al. 2014, ce volume].
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des pays en développement parmi les plus pauvres de la planète, peu structurés en matière de gestion des risques et sans véritable politique ou programme de prévision, prévention et/ou protection contre les risques. Pays enclavé de l’Himalaya entre l’Inde et la Chine, le Népal appartient sans conteste à cette catégorie [Fort 2014, ce volume]. Considéré comme l’un des pays les plus pauvres du monde et parmi les moins avancés en termes de développement économique, le Népal peine à mettre en œuvre une stratégie nationale de gestion des risques naturels, alors que la montagne népalaise est particulièrement sujette à des aléas (séismes, mouvements de terrain, inondations…) d’une amplitude souvent exceptionnelle. En l’absence de véritable stratégie nationale, les populations de ces pays pauvres mettent souvent en place des stratégies locales et des moyens empiriques de gestion des risques, à l’échelle des individus et des communautés [Aubry 2003].
6Face aux risques, les réponses des sociétés, en termes de prévention, de mesures de protection, varient beaucoup selon les choix politiques et selon les moyens déployés par les autorités ou les communautés locales. Deux approches de gestion du risque se distinguent :
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une gestion technique du risque : s’apparentant à un moyen de « lutte », ce type de gestion est souvent basé sur une approche technocratique dite top-down de la réduction des risques, aléa-centrée, qui se focalise essentiellement sur des mesures structurelles visant à contrôler les phénomènes naturels dangereux et à en limiter l’impact. Des exemples concrets de gestion technique sont la construction de digues et de gabions pour se protéger des inondations [Magalhães 2014, ce volume], la mise en place de mesures antisismiques pour se protéger des tremblements de terre, etc. Dans tous les cas, de telles mesures structurelles renvoient à la notion de résistance, c’est-à-dire la capacité à résister face à un événement non souhaité.
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une gestion sociale du risque : s’appuyant sur des mesures non structurelles de réduction des risques, ce type de gestion est basé sur une approche sociale dite bottom-up, axé sur les causes profondes socio‑économiques de vulnérabilité quotidienne, et prône une gestion participative des risques permettant de valoriser les savoirs vernaculaires des populations. Une telle gestion aura tendance à favoriser les mesures préventives (éducation à l’environnement et aux risques), les démarches d’accompagnement impliquant les habitants et les acteurs locaux [Bertrand et al. 2014., ce volume ; Texier-Texeira et al 2014., ce volume], la gestion de la phase d’alerte [Canavesio et al. 2014, ce volume], etc. Dans tous les cas, de telles mesures (non structurelles) renvoient à la notion de résilience, c’est-à-dire la capacité adaptative à récupérer un fonctionnement normal suite aux conséquences d’un événement non souhaité.
7Au vu des récentes catastrophes survenues dans de nombreux pays du Sud, force est de constater que les approches structurelles top-down, actuellement les plus nombreuses, sont rarement efficaces pour lutter contre les aléas naturels et réduire les risques pour les sociétés, fortement vulnérables, en raison surtout de l’absence de concertation et d’une prise en compte insuffisante des contextes locaux. Dans ces pays, il apparaît surtout nécessaire de développer une culture du risque, notamment en direction des enfants, mais également auprès des populations néo-urbaines issues d’un exode rural récent et qui ne connaissent pas les risques potentiels de leur nouvel environnement. Ceci est particulièrement vrai pour les événements de basse fréquence / forte magnitude qui sont aussi les plus dangereux. Trop peu de démarches encore vont dans le sens d’une gestion raisonnée et durable des risques (dans la durée comme au sens économique, en privilégiant une gestion peu onéreuse), un mode de gestion sans doute plus adapté au contexte des pays du Sud.
- 1 Séance organisée à Paris le 14 décembre 2013
8Les thématiques des communications scientifiques retenues pour cette séance de l’AGF1 reflètent assez bien la diversité des situations et des stratégies en matière de gestion des risques dans les Suds, grâce à des exemples pris dans des pays très différents répartis sur quatre continents (Amérique du Sud, Afrique, Asie, Océanie).
Figure 2 – Localisation des terrains étudiés dans les articles qui composent ce numéro thématique
9À travers l’exemple de l’Himalaya du Népal, M. Fort montre d’abord comment la prise en compte du passé et du présent d’une part, du local et du global d’autre part, est plus que jamais indispensable à une bonne appréhension des risques. Alors que les structures de gestion gouvernementales sont très centralisées et concernent surtout les villes, avec des mesures essentiellement structurelles (top‑down), les actions financées par l’aide étrangère et les ONGs agissent souvent à l’échelle des communautés villageoises tout en raisonnant à l’échelle de la chaîne himalayenne. De la même manière, dans le Nord-Est du Brésil, la gestion du risque d’inondation est souvent réduite à une gestion post-crise où les mesures structurelles décidées par l’État et la municipalité prédominent largement. Dans un tel contexte, A. Magalhães montre l’intérêt d’une méthode d’enquête par questionnaire auprès de la population, dont la perception du risque et des solutions possibles s’avère souvent très pertinente. Une telle approche, de type bottom-up, pourrait être une des bases de l’élaboration de programmes de prévention et de gestion des risques naturels adaptés au contexte économique et socio‑éducatif, et conformes aux attentes de la population comme aux politiques en cours de mise en place au niveau fédéral (voir supra). F. Bétard et al. proposent quant à eux une méthode rapide et peu coûteuse de cartographie de la susceptibilité aux glissements appliquée à la région de Nova Friburgo (arrière-pays de Rio) – l’une des plus touchées par la catastrophe de janvier 2011 – en utilisant une approche probabiliste basée sur un modèle d’analyse bivariée (théorie de l’évidence). Dans une perspective d’aide à la décision, un tel travail apparaît comme un préalable indispensable à l’évaluation et à la cartographie des risques, pouvant déboucher sur l’élaboration des futurs plans de prévention.
10Malgré le renforcement récent du cadre juridique et réglementaire de la gestion des risques au Brésil, F. Bertrand et al. montrent cependant les difficultés d’une gestion territoriale du risque autour de la Baie d’Antonina (Sudeste). L’expérimentation d’une démarche d’apprentissage collectif, initié par une modélisation d’accompagnement appliquée au risque d’envasement, a révélé les ambiguïtés de perception des différents acteurs conjuguées à une localisation aléatoire des événements pluvieux extrêmes, déclencheurs de mouvements de terrain et de laves torrentielles fortement contributifs à l’envasement de la baie. Dans un contexte très différent, P. Texier‑Texeira et al. privilégient également la démarche d’accompagnement en développant un outil original destiné à une gestion intégrée des risques volcaniques : la Cartographie Participative en 3 dimensions (CP3D). Appliqué au cas du Fogo (Cap‑Vert), cet outil doit permettre aux différents acteurs de la gestion des risques, de l’échelle nationale à l’échelle locale (la population), de partager savoirs et compétences pour mieux évaluer les risques et ses différentes composantes, en croisant les approches top-down et bottom-up pour mettre en place un plan de gestion participatif de réduction des risques. Si l’intérêt d’une telle méthode est clairement démontré, les auteurs en dressent aussi les limites et la complexité de mise en œuvre. Ainsi, dans leur analyse de la gestion du risque cyclonique dans les îles du Pacifique Sud (Polynésie française), R. Canavesio et al. montrent que la gestion post‑crise, après le passage du cyclone Oli en 2010, a révélé des logiques souvent contraires, entre les actions des autorités et celles des insulaires. Les difficultés d’une gestion locale concertée s’ajoutent aux contraintes techniques qui empêchent actuellement une prévision efficace et précise de l’aléa cyclonique dans cette partie du monde, en raison d’une mauvaise couverture par les modèles météorologiques de prévision numérique à haute résolution.
11Dans les régions arides et semi-arides des pays du Sud, les risques climatiques (notamment les sécheresses) sont l’une des principales menaces pour les populations qui y vivent, à l’heure où les changements climatiques pourraient fortement bouleverser la géographie des précipitations. Dans les oasis de la diagonale aride sud-américaine (province de Mendoza), N. Delbart et al. proposent une méthode basée sur la télédétection permettant d’anticiper le risque de pénurie en eau sur le piémont andin argentin. La méthode, fondée sur une observation des relations entre couverture neigeuse et débits de crue, est gratuite et simple à mettre en place, et pourrait servir de façon pratique aux gestionnaires dans une période de grande incertitude climatique et socio-économique. Un autre indicateur, celui de la turbidité de l’eau, est utilisé par E. Robert pour évaluer les risques environnementaux et sanitaires au Burkina Faso, en contexte de climat soudanien. L’étude révèle des eaux fortement turbides dans les cours d’eau, synonymes d’érosion accélérée et de dégradation du milieu, avec ses conséquences sur la qualité des eaux et, par voie de conséquence, sur la santé humaine (pollution, augmentation des virus et des bactéries, etc.). Pour viser une gestion intégrée, ce type d’approche nécessite d’être complété par l’étude des vulnérabilités sociales et sanitaires, via l’analyse des pratiques et des usages des populations locales.
12Enfin, deux articles mettent plus particulièrement l’accent sur les paradoxes existants entre les grands projets de développement économique et la gestion durable des risques dans les pays du Sud. Dans le cadre du développement touristique de la région de Sfax (Tunisie), la presqu’île de Sidi Fonkhal (archipel de Kerkennah) a été choisie pour accueillir un complexe touristique d’envergure internationale. À travers une étude croisant enquête par questionnaire et quantification du recul des côtes, L. Etienne montre tout le paradoxe de la durabilité d’un tel projet de développement, en contexte de forte vulnérabilité côtière (recul rapide du littoral, risque de submersion marine) aggravé par l’élévation récente et future du niveau de la mer. Dans le nord du Maroc, c’est le développement du grand complexe portuaire « Tanger-Méditerranée » qui met à mal à la fois les dynamiques naturelles et la vie des populations locales soumises à de nouveaux risques dans l’arrière-pays. En effet, l’étude menée par M. Pateau révèle notamment que la construction du complexe portuaire a engendré le stockage d’énormes quantités de déblais dans l’arrière-pays montagneux, en même temps que de nouvelles populations sont venues s’y installer, du fait de l’attractivité économique naissante de la région. Les dépôts de déblais sont devenus le siège d’instabilités gravitaires (glissements de terrain) menaçant les nouvelles habitations mais aussi les parcelles agricoles. Ces exemples viennent rappeler la nécessité de mieux prendre en compte les contraintes environnementales dans la réalisation de grands projets, qui demeurent nécessaires au développement des pays du Sud, afin d’assurer leur durabilité sociale, économique et, si possible, écologique.