1La capacité à structurer le territoire est l’une des préoccupations des urbanistes et aménageurs, lesquels s’interrogent d’autant plus sur la capacité du rail qu’il s’agisse de métro ou de train à créer de l’activité quel que soit le lieu traversé. Dans le cas de l’agglomération capitale des Philippines, le constat de départ est relativement aisé à établir puisque le rapport des Philippins au rail a été longtemps réduit. Un tramway longeait Manila Bay jusqu’à Binondo. Plusieurs lignes de trains de passagers ou de marchandises furent créées à la fin du xixe siècle et au début du xxe : l’une parcourait la grande plaine de Luzon depuis Dagupan au Nord, passait par Manille et gagnait Legazpi dans le Sud‑Est de l’île. Cette ligne est partiellement réhabilitée depuis 5 ans à partir de Manille sans que la gare d’origine, Tutuban, ne soit utilisée ; elle dessert aussi plusieurs stations dans la partie méridionale de l’agglomération. L’utilisation du rail, y compris depuis la mise en service du métro aérien en 1984, n’avait que peu changé les habitudes des Manillais. Le projet de métro aérien fut surimposé à plusieurs territoires et se substituait en quelque sorte au tramway ; il concourrait également à faire de Manille une ville moderne, au cœur du projet du dictateur Ferdinand Marcos.
2Pour ce faire, un organisme public, la Light Railway Transit Authority fut créée le 12 juillet 1980 par un décret (Executive Order (EO) n° 603), complété par l’EO n° 830 de septembre 1982 et l’EO n° 210 du 7 juillet 1987. La LRTA est responsable de la construction, des opérations, de la maintenance et de la location des lignes de métro aux Philippines. En 2017, le LRTA doit s’associer avec le secteur privé pour la réalisation et le fonctionnement des lignes de métro. La première ligne de métro est née à la suite d’une étude de faisabilité réalisée par la Banque Mondiale de 1976 à 1977. Le choix s’est rapidement porté sur la construction d’une ligne surélevée à cause des nombreuses intersections routières nécessaires à l’irrigation du tissu urbain (voie routière et métro se complètent dans le projet de base). Le président de l’époque Ferdinand Marcos créa la LRTA en tant qu’organisme public. A la tête de cette administration fut placée Imelda Marcos, qui dirigeait déjà la Metro Manila Development Authority depuis sa création en 1975.
3Ce projet fut soutenu financièrement par le gouvernement belge qui octroya un prêt sans intérêt au gouvernement philippin. Un consortium européen procura aussi un autre prêt, tout comme les rames de métro, la signalisation, l’alimentation électrique, le soutien technique et la formation des personnels. Le métro ne fut financièrement pas rentable les premières années d’exploitation mais il fut déclaré d’utilité publique. La construction de la ligne débuta en octobre 1981 avec l’aide de deux entreprises (suisse et américaine). Des études pour l’extension de la ligne 1 et la création d’autres lignes furent lancées.
4La ligne de LRT 1 est une ligne de métro aérien longue de 15 km longeant les avenues Taft et Rizal et desservant des lieux phares de l’activité économique et religieuse de l’agglomération : Baclaran, Pasay, Manille jusqu’à Caloocan. C’est la première ligne de ce type mise en service en Asie du Sud- est. La construction dura 3 ans de 1981 à 1984, les travaux demandèrent la construction d’un nouveau pont complètement dédié à la ligne sur la rivière Pasig. La ligne a évolué récemment avec l’extension de la ligne au nord avec deux nouvelles stations opérationnelles en 2010. Une station commune pour réceptionner les lignes LRT et MRT est en projet afin de clore la boucle. Désormais, c’est l’extension de la ligne au sud de Baclaran qui est en projet. Il s’agit d’un rajout de près de 12 km jusqu’à Bacoor. Huit nouvelles stations doivent voir le jour, trois doivent être « intermodales ».
- 1 EDSA : Epifanio De los Santos Avenue : artère routière qui ceinture la ville.
5Depuis 5 ans, le métro est de plus en plus intégré dans le parcours des Manillais dans la ville. Il ne s’agit bien souvent que d’un segment dans un long déplacement, tout comme la ville à laquelle se rajoutent des éléments sans concertation d’ensemble. Encore aujourd’hui, les difficultés rencontrées ne serait-ce que pour l’appel d’offre pour l’extension de la ligne LRT 1 vers le sud de l’agglomération amènent questionnement, tout comme l’impossibilité de créer une station commune permettant de relier les lignes LRT 1 et MRT au niveau de EDSA North. La ligne MRT (Metro Rail Transit) construite plus tard a bénéficié rapidement d’un regain d’intérêt, longeant EDSA1, l’axe le plus encombré de l’agglomération : la ligne de métro a été intégrée rapidement aux projets immobiliers. En 1980, l’aménagement des alentours de la ligne 1 n’avait visiblement pas attiré les promoteurs immobiliers : la ligne aérienne s’était greffée à un espace très densément peuplé, occupé par des institutions universitaires, éducatives, hospitalières, de justice d’où l’impossibilité de refondre dans un laps de temps contraint le bâti. En revanche, plus de trente ans après, la décrépitude des bâtiments résidentiels, des habitations particulières qui, au sol, représentaient une surface non négligeable puisqu’il s’agissait de maison avec jardin incite aux mutations urbaines. De plus en plus d’immeubles à vocation résidentielle et de bureaux ont progressivement vu le jour le long de l’avenue Taft. La tertiarisation de l’espace draine ainsi au cœur du vieux Manille et de Pasay de plus en plus d’actifs et d’étudiants.
6Le contexte démographique des communes situées au cœur de l’agglomération est aussi à prendre en considération. En effet, les communes « centrales » comme Manille et Pasay étaient largement en perte de vitesse depuis une dizaine d’années, perdant des habitants. Le vieux Manille avec les districts de Binondo, Quiapo et Ermita, Paco accusait largement cette perte démographique. Les communes et les districts cités voient depuis 2010 une stabilisation et une légère augmentation de population, les mutations urbaines auxquelles a participé le métro doivent être intégrées dans cette revitalisation du vieux Manille.
- 2 Des incidents de dysfonctionnement se sont récemment multipliés, en particulier sur la ligne 3 MRT (...)
7L’autre élément à prendre en considération est l’utilisation plus soutenue du métro depuis cinq ans du fait de l’augmentation du prix du carburant. Les populations ont ainsi découvert le métro, rapide, sûr, confortable avec l’air conditionné2 et circulant même lors des inondations. Le jeepney, transport collectif populaire se trouve dès lors, plus ou moins délaissé sur certains segments, mais il est toujours emprunté à un moment ou à un autre d’un parcours dans l’agglomération. La marche reste peu utilisée en ville, pour preuve les trottoirs sont étroits, phagocytés par les constructions.
8Dans un souci de précision, notre étude s’est tournée vers la ligne de métro la plus ancienne de l’agglomération. Partant du constat que cette ligne a été surimposée à des espaces, on s’interrogera sur la capacité des populations, utilisateurs, aménageurs ou autres, à créer les nouveaux territoires de transport dans cette ville et en quoi ils sont spécifiques à Manille ?
9Cette étude s’organise autour d’une réflexion sur les liens entre l’infrastructure et un espace urbain dense philippin. On s’interrogera d’abord sur le rapport entre cette infrastructure et la création d’un urbanisme de flux, puis nous verrons que les pratiques mobilitaires des Manillais sont issues d’une sédimentation des usages et enfin nous nous demanderons quelle est la capacité de cette infrastructure à générer des territoires dans un contexte de temporalité décalée.
10Le bilan des entrées et des sorties sur la ligne de métro permet de comprendre les dynamiques territoriales et les stratégies des usagers.
11Les stations de métro ont un trafic passager numériquement très varié. Celles dont la fréquentation approche ou dépasse le million d’entrées et de sorties par mois témoignent de l’attractivité du territoire dans laquelle s’inscrit la station et peut contribuer à accroître son attractivité. Parmi ces dernières, on trouve celles des ruptures de charge, point de jonction aux autres lignes comme EDSA, Doroteo José. Les stations de début et de fin de ligne ne sont pas forcément les plus sollicitées : Baclaran au sud de la ligne malgré l’encombrement des lieux, la station Roosevelt en service depuis 2010 trouve progressivement sa place mais pâtit du manque de connexion directe avec la ligne MRT qui ceinture EDSA. D’autres stations enregistrent une fréquentation quatre fois moins importante : Bambang, Abad Santos, 5th Avenue, elles sont inscrites dans des territoires du nord de Manille actuellement dominés par une baisse de fréquentation de la part des usagers du fait de la décrépitude des activités économiques (nombreux entrepôts défraîchis). Ces territoires éloignés des centres des anciennes communes commencent à voir eux aussi une modification de leur profil urbain : les disponibilités foncières nombreuses contrairement à Binondo, Malate et Ermita font se déplacer les entreprises immobilières vers le nord de Manille. Les stations situées dans les quartiers dominés par des institutions de formation, de soins, de justice etc... voient transiter en moyenne entre 400 et 800 000 personnes par mois. Ces stations sont celles dont les entrées et les sorties sont les plus inégales, des entrées plus faibles témoignant d’une moindre activité résidentielle et des sorties parfois deux fois plus importantes résidant dans l’attractivité des fonctions qui animent ces territoires.
Figure 1 – Trois lignes de métro, deux systèmes d’exploitation
C. Guéguen, janv. 2014
- 3 Kalesa : calèche du vieux centre de Manille dans le périmètre de Binondo et Intramuros.
12Arriver ou quitter la station de métro laquelle est généralement située à un carrefour routier et aux voies perpendiculaires à la ligne de métro est aisé, mais induit une rupture de charge et l’accès à un transport routier : taxi, bus, jeepney ou tricycle si la distance est relativement courte. Dans Binondo, les passagers peuvent aussi emprunter les traditionnelles kalesas3 pour rejoindre leur domicile. Ainsi les transports existant avant la massification du trafic dans le métro persistent et complètent la desserte de Manille et ce, à toute les échelles de la ville... excepté lorsqu’un moyen de transport est interdit (le tricycle est interdit au cœur du CBD de Makati).
13Malgré la rapidité et la fiabilité du métro, la gestion des transports reste laborieuse à l’image des compagnies de transport routier par autocar pour lesquelles il n’existe pas de gares communes : ainsi pour le métro deux entreprises privées gèrent les lignes et ont du mal à s’entendre sur la construction de stations communes. L’octroi des concessions est toutefois accordé par l’Etat philippin qui oblige les entreprises à maintenir des tarifs bas pour rendre ce transport accessible au plus grand nombre. Les investissements conséquents et le potentiel peu élevé de rentabilité du transport n’incite pas les entreprises locales à s’investir dans le projet d’extension de la ligne vers le sud de l’agglomération. La seule possibilité pour ces dernières est de miser sur la multiplication des projets immobiliers situés à proximité des stations de métro, ce qui multiplierait ainsi les formes de spéculation et d’insularité urbaine.
- 4 Ou bien à Cubao (Quezon City), où il faut sortir dans la rue pour aller prendre l’autre ligne au cr (...)
14D’une ligne de métro à l’autre, les correspondances sont loin d’être aisées et marquées par de nombreuses discontinuités qu’il s’agisse de portiques de contrôles de ticket (le système de ticket n’est pas harmonisé) comme c’est le cas pour la jonction entre le MRT et le LRT 1 dans la station EDSA/Taft4. Ou à Cubao (MRT/LRT 2). Pour rejoindre l’autre ligne, il faut emprunter une passerelle extérieure, du fait de l’absence de station commune aux deux lignes. La jonction du terminal Roosevelt à la ligne de MRT pose aussi des problèmes non négligeables. Il faut alors marcher 10 minutes le long d’EDSA ou prendre un jeepney pour rejoindre le centre commercial le plus proche. Les difficultés pour réaliser une jonction entre les lignes LRT 1 et MRT sont multiples. Les rails sont désormais connectés mais deux éléments empêchent la jonction effective qui permettrait pour les passagers de réaliser une boucle autour des points centraux de l’agglomération. Le système de paiement entre les deux lignes doit être harmonisé (les tarifs du MRT bien que privé respectent des tarifs bas comme demandé par le gouvernement afin de favoriser l’accès au plus grand nombre). L’autre aléa est technique : la hauteur des quais doit être harmonisée entre les deux lignes. La guerre entre promoteurs immobiliers pour obtenir la réalisation de la station de métro permettant le transit des passagers n’a fait que ralentir encore plus sa réalisation. En effet, l’entreprise SM Prime cherche à capter le flux de passagers du métro et ainsi aménager un accès direct à son centre commercial SM North comme peut l’avoir déjà le Mall Trinoma à partir de la station North Avenue. La concurrence est d’autant plus vive qu’il y a peu de grands centres commerciaux dans le nord de l’agglomération : SM North fut le premier implanté au début des années 1990 et misait alors uniquement sur le trafic routier.
15Les futurs passagers accèdent à la station par des escaliers, voire des passerelles. Seules les nouvelles stations disposent d’un accès privilégié pour les personnes handicapées. En règle générale, accéder au métro n’est pas très aisé et ce, surtout s’il faut changer de ligne. C’est presqu’un parcours du combattant pour accéder aux portails, voire aux guichets.
16La circulation heurtée, les formes d’urbanisme accolées aux stations de métro contribuent et témoignent d’une insularité urbaine croissante alors que l’on souhaite accentuer la fluidité de la circulation des passagers et ce, à l’échelle de l’agglomération-capitale. Le temps de l’aménagement de la ligne et des alentours fut lui aussi fragmenté, et progressivement des centres commerciaux s’imposent comme des lieux de gares où l’on peut attendre, se divertir, se restaurer avant de s’engager dans son trajet.
17Ces stations de métro protéiformes constituent de nouveaux morceaux de ville et sont en quelque sorte en rupture avec le tissu urbain existant bien qu’il regroupe des services propres à la vie urbaine à l’image du Taft « Metro‑Point ». On assiste à un empilement de projets sans qu’il y ait eu de réelles concertations entre les différents acteurs des lieux. Ces espaces tout comme les quais sont contrôlés par des entreprises privées de sécurité. Ce sont des lieux privés à usage public qui conduisent à redéfinir et réduire l’espace public.
18Pour tous les passagers, l’intention est identique : il s’agit de prendre le métro pour accéder à un autre lieu de la ville. Pourtant la pratique du métro nécessite un apprentissage : l’obtention d’un ticket avant d’accéder au quai nécessite de longues minutes d’attente tout les fouilles de sécurité à l’entrée de la station, et parfois la séparation hommes-femmes etc.. L’accès au quai en lui-même est donc marqué par de multiples ralentissements... L’espace de la station relativement exigu supporte la longueur des queues aux guichets, mais également aux stands de nourriture à emporter, et enfin pour l’accès aux rames...
- 5 DOTC – Department of Transport and Communication
- 6 Manila Bulletin du 14 aôut 2013
19L’espace de la station de métro représente une halte nécessaire au vu de l’importance des effectifs que doit gérer l’administration du métro. Ainsi, le DOTC5, qui gère l’aspect commercial et la communication pour la LRTA, porte un projet de réhabilitation des voies existantes soumises à une forte pression liée à l’accentuation de la fréquentation de la ligne et celle du cadencement. La première étape du projet consiste à assurer la sécurité des passagers d’où la nécessité de réduire la vitesse sur les voies, et de restreindre l’accès aux quais afin de réguler le remplissage des wagons (mesure effective semaine du 20 août 2013)6.
20Les accès aux stations de métro doivent être aussi « fluidifiés » pour les piétons sur les passerelles d’accès ; les vendeurs ambulants autrefois tolérés sont désormais interdits par des agents de sécurité employés par le LRT. Ces derniers assurent également la sécurité sur l’ensemble des quais. Ailleurs, sur d’autres passerelles, ces vendeurs sont associés aux parcours de mobilité et rendent de multiples petits services aux usagers (recharge crédit téléphonique, cigarette à l’unité)
21Les stations de métro s’inscrivent progressivement comme des lieux dans les parcours de mobilité des Manillais par une utilisation plus fréquente voire quotidienne mais aussi parce que le métro reste un transport fiable, rapide et dont les tarifs ne fluctuent pas. L’attente pour accéder aux quais et les arrêts réalisés dans les centres commerciaux attenants en font désormais des gares. La station témoigne ainsi d’une sédimentation des pratiques dans les parcours des Manillais.
22Les stations de métro présentent des profils divers, dans la plupart des cas il s’agit de simples plateformes amenant les passagers au métro ; en revanche au niveau des carrefours et des lieux stratégiques en terme d’échanges routiers, la station de métro se complexifie. Ainsi, la jonction entre la ligne de LRT et MRT localisée sur EDSA n’a pas véritablement donné lieu à une concertation d’ensemble pour créer une plateforme commune. C’est le Metro-Point Mall construit en 2004 par le groupe Ayala, qui fut le premier dans sa catégorie à s’accoler à une station de métro. Cette construction a bénéficié de disponibilité foncière sur la commune de Pasay, dominée par la piètre qualité du bâti à la jonction des voies routières Taft et EDSA. Ce mall fait littéralement office de gare : un lieu d’attente, de services relativement variés destinés aux voyageurs mais correspondant aux besoins des populations des lieux. L’entreprise immobilière Ayala est davantage spécialisée dans les centres commerciaux de luxe et projets immobiliers résidentiels pour classe aisée ; cette entreprise a été une des pionnières du genre puisque la famille Ayala a fait de la commune de Makati un véritable laboratoire d’urbanisme aux Philippines. Le « Metropoint » est aussi adapté à la population qui transite sur la ligne de LRT ; les activités du centre commercial visent particulièrement les jeunes et étudiants qui circulent sur la ligne et qui apprécient les malls comme lieu de loisirs (nombreuses enseignes de fast-food, étage dédié aux jeux vidéo, café internet, vêtements bon marché).
23Les populations du lieu, c’est-à-dire celles qui vivent dans le quartier sont elles aussi visées par quelques activités de loisirs : une salle de Bingo se trouve à l’étage supérieur, tout comme un emplacement dédié aux offices religieux. Certains de ces services sont institutionnels : le service du permis de conduire (LTO, Land Transportation Office) dispose de deux locaux l’un pour le renouvellement du permis de conduire, l’autre pour les examens médicaux, généralement la présence de service public est négociée avec le promoteur immobilier et la municipalité. De nombreuses activités de services de proximité sont présentes : coiffeurs, pharmacie etc... On y trouve également un institut de formation en informatique. Ce lieu tranche avec l’environnement délabré du tissu urbain alentour. Ce centre commercial correspond aux besoins d’une population de passage mais est relativement adapté aux besoins des populations du quartier.
24On pourrait aussi évoquer la manière dont ce mall s’accroche à la station de métro : l’accès au centre commercial semble mieux indiqué que la passerelle menant à la station de LRT ; d’ailleurs c’est le centre commercial qui en a financé l’affichage ! Pourtant, ce mall ainsi que les différentes passerelles constituent à ce jour la forme la plus aboutie de jonction entre les lignes de LRT et du MRT. La station commune entre la nouvelle station Roosevelt (LRT) et celle de MRT est encore en cours de négociation (octobre 2013). Pourtant si « jonction » il y a, les ruptures dans la mobilité sont multiples surtout dans le flux de passagers (portiques de sécurité couplés à une fouille des sacs, canalisation des flux de passagers par système de cordage, séparation homme femme pour contrôle de sécurité ainsi que dans les wagons selon les souhaits des passagers).
- 7 MMDA: Metro Manila Development Authority, en charge de diverses actions de gestion, dont la régulat (...)
25La MMDA7 s’est employée à réaliser des passerelles pour acheminer les piétons quittant la station LRT et MRT, il s’agit d’éviter que le passage piéton n’entrave la circulation automobile au sol, du coup le passage piéton est surélevé au niveau de la station EDSA et permet la redistribution des voyageurs vers d’autres moyens de transports. Les passagers prennent alors bus, jeepneys sur l’artère la plus parcourue de l’agglomération.
26Pour les populations qui viennent du sud, il est peu intéressant de prendre le LRT à moins que le lieu de destination soit à proximité des stations, le LRT constitue une rupture de charge supplémentaire, certains préfèrent prendre un moyen de transport plus direct, bien que par la route le temps de parcours soit un peu plus long. Le temps de parcours dépend aussi de l’heure à laquelle on part, partir tôt en venant du sud de l’agglomération constitue un avantage non négligeable. Aux heures de pointe dans le LRT, l’accès est aussi régulé et le temps d’attente pour accéder aux quais peut se surimposer au temps de transport. Le temps de transport en venant de Cavite pour se rendre au cœur de Manille est compris entre 1h30 et 2h, le tout dépendant aussi de la disponibilité dans les transports en commun. Le principal point de transbordement est le MoA (Mall of Asia) devenu depuis son ouverture en 2004 un point central dans la réorganisation des transports en commun dans cette partie de la ville. L’aménagement de ce centre commercial, pourtant non desservi par le métro, intègre une gare routière ; ce qui constitue aussi un avantage pour les commerçants du centre commercial : tous les passagers sont des consommateurs potentiels.
27Le LRT constitue un aménagement majeur conçu dans les années 1970. Il s’agissait de décongestionner les voies routières Nord-Sud qui drainaient flots de passagers et marchandises sur le boulevard Roxas longeant la baie de Manille et les quartiers intérieurs par l’avenue Taft. C’est l’avenue Taft que suit la ligne de LRT. L’aménagement d’un métro dans la capitale philippine correspond aussi à la volonté du dirigeant de l’époque, Ferdinand Marcos, de faire de Manille une « ville moderne » avec des équipements permettant de valoriser la ville à l’échelle du monde. Ce projet de métro est couplé aux aménagements de grande ampleur réalisés sur le littoral de la baie de Manille avec la densification du tissu urbain dans l’agglomération et la nécessité de créer un axe « rapide » et conséquent pour circuler entre les différentes communes de l’agglomération. EDSA, l’axe semi-circulaire qui contourne Manille par l’est, relie les communes de Pasay, Makati, Mandaluyong, Quezon City et Caloocan.
28C’est un véritable territoire qui s’est créé au pied des stations de métro. En effet, ces dernières sont généralement localisées aux abords des intersections routières de Taft avenue (avenue dont il fallait réduire le trafic). Les transports routiers qui suivent des lignes établies de longue date, captent de par la présence du métro peu de personnes, mais plutôt celles des quartiers alentours, venant des rues adjacentes. La gestion de l’espace routier, loin d’être régulée, laisse apparaître tout un monde au pied des stations de métro, on tente de capter le passant pour lui proposer une course en jeepney, en taxi, en pédicab : des « rabatteurs » payés à la commission tentent de remplir au maximum les jeepneys ; ils crient le nom des destinations et tentent de détourner les passants qui cherchent à accéder au métro. Ce système parfois anarchique, ralentit le trafic routier sur Taft Avenue, mais au vu de la saturation du métro, les jeepneys et les rabatteurs ont encore toute leur utilité bien que les deux systèmes se fassent concurrence !
29Les territoires traversés notamment au niveau du carrefour avec EDSA sont caractérisés par une pauvreté latente, visible, dans ce secteur de la commune de Pasay, aux marges de la commune de Makati. Ainsi la bordure orientale de la commune de Pasay est, pour ainsi dire, en attente de reconversion, où alternent d’anciennes zones industrielles et d’entrepôts, des bidonvilles et un habitat fortement dégradé. La morphologie de cette partie de la ville est héritée des reconstructions des années 1960‑70, la hauteur du bâti est relativement basse. Quelques familles établies dans la rue à proximité de la station de métro mendient ou vendent des bonbons ou cigarettes à l’unité. Pour les services municipaux de Pasay ou pour les agents de la police nationale, tant que ces personnes ne posent pas de problème de sécurité ou ne dérangent pas les passants, il n’est pas question de les faire partir de leur environnement puisque malgré leur situation, c’est de ce territoire et des flux qui le traversent qu’ils vivent.
30À proximité de l’accès à la station est installé un poste de contrôle de la MMDA, chargé de la gestion routière, quelques agents de la police nationale philippine et des employés de la municipalité de Pasay, lesquels ont tous une action de régulation au sol, intervenant pour des troubles liés à la circulation routière mais aussi face aux exactions commises sur les passants (nombreux pickpockets). Ces agents veillent aussi à la légalité des commerces, ils n’empêchent pourtant pas de manière absolue les petits vendeurs installés sur les passerelles, ou un marchand de fruits installé sur le parking d’un hôtel. Cette présence est sans doute négociée avec l’hôtel (location officieuse de l’emplacement). Toute une série de petits métiers gravite autour de la station de métro, ce territoire est celui d’une certaine ou d’une autre multimodalité. Ces derniers empiètent largement sur l’espace public, mais il est difficile aux Philippines d’envisager la rue et ses trottoirs comme un espace public car le piéton a été pendant très longtemps non compris dans les aménagements urbains. Les trottoirs présents certainement à l’origine ont progressivement disparu des rues avec les reconstructions des bâtiments empiétant sur les trottoirs jusqu’à parfois les faire disparaître.
31Le tracé du métro a volontairement suivi la trame viaire et surtout les voies les plus encombrées au début des années 1980 dans l’agglomération. L’avenue Taft qui dessert les communes de Pasay et Manille est particulièrement insérée dans ce dispositif de dédoublement d’accès aux centres de l’agglomération de l’époque. Les intersections routières constituent depuis toujours des lieux de rencontre, de commerce où des places ont été aménagées ; ce sont pour ainsi dire les seuls espaces véritablement publics qui existent dans l’agglomération. Des stations de métro se sont surimposées aux plazas, certaines avaient été entérinées par l’urbanisation espagnole comme dans Binondo : le vieux quartier chinois, d’autres ont été aménagées lors de la période américaine notamment avec l’extension de l’urbanisation sur la rive droite de la rivière Pasig, le long de la baie de Manille.
Figure 2 - Se déplacer à partir de la station Carriedo et Plaza Santa Cruz
C. Guéguen, janv. 2014
32La juxtaposition d’une station de métro renforce ce qui était déjà un aimant répondant aux besoins d’ordre religieux, politique, commercial et récréatif des dirigeants mais aussi de la population [Alarcon 2001] autour desquels étaient dressés les bâtiments du pouvoir municipal et colonial. La place fut également au cœur de la réhabilitation de Manille après les destructions de 1898. Une partie de la mobilité urbaine dans Manille tourne autour des places et la surimposition du métro à certaines d’entre-elles n’a pas pour autant fait disparaître les autres moyens de desserte. Ainsi la station Carriedo qui marque la porte d’entrée dans Binondo, le quartier chinois de Manille, dessert une des plus grandes zones de commerce populaire de l’agglomération (Figure 2 : Se déplacer à partir de la station Carriedo). Cette station dessert non seulement une zone de marché tournée vers la Plaza Miranda et la Plaza Santa Cruz, mais aussi une zone où la résidentialisation est intense depuis 5 ans avec la construction de plusieurs tours d’une quarantaine d’étages mais aussi par la rénovation du bâti ancien (élévation du bâti traditionnel de type accessoria par exemple). La principale artère routière, Rizal Avenue, est particulièrement encombrée, d’où l’accentuation de son accès par le métro mais d’autres moyens de transport sont indispensables pour regagner son domicile ou toute zone d’activités et de marché. Les autres moyens de transport restent indispensables puisqu’il est interdit de prendre le métro avec des paquets volumineux pour des questions de sécurité (attentats). Les pédicabs permettent le transport de paquets sur une distance courte, un peu plus longue avec les tricycles, et des taxis. C’est la station qui attire pour la desserte des lieux de culte combinés au commerce (Black Nazarene de l’église de Quiapo).
33Au pied de la station UN (United Nations), une petite place marque l’intersection entre l’avenue Taft et l’avenue UN (Figure 3 : Ermita transformé par de nouvelles dynamiques mobilitaires). Agrémentée d’arbres et de bancs, elle permet à quiconque de faire une pause dans son parcours dans la ville avant d’accéder à un des bâtiments voisins. Des vendeurs ambulants démarchent les personnes en transit pour des abonnements téléphoniques etc...Des établissements de restauration rapide sont présents. Cette petite place est ainsi intégrée au parcours de mobilité des usagers. faire des photocopies avant de rejoindre un bureau, une formation etc... Malgré la réduction du temps de parcours, la plaza semble toujours être considérée comme une étape dans le parcours urbain des usagers qui doivent malgré tout combiner métro et transport routier pour arriver à destination.
34Ce sont de véritables stratégies urbaines que génèrent les stations de métro auprès des usagers mais aussi des populations issues des territoires traversés qui tentent de capter une partie du flux par des activités de vente formelles ou informelles. Les stratégies sont particulièrement bien représentées au niveau des transports relais lors des ruptures de charge aux pieds des stations de métro ou en fin de ligne. Les moyens de locomotion utilisant la route complètent le dispositif de transport choisi par l’usager du métro, lui permettant de jouer aussi sur le rapport distance/ temps dans cette grande ville soumise aux embouteillages.
Figure 3 – Ermita transformé par de nouvelles dynamiques mobilitaires
C. Guéguen, janv. 2014
35La fréquentation de la ligne de LRT est intense, en semaine elle domine à environ 500 000 voyages par jour, les jours exceptionnels (fêtes religieuses) en particulier, le nombre de voyages s’élève à 600 000. La fréquentation s’est intensifiée depuis 5 ans et l’utilisation du métro est désormais intégrée dans les parcours de mobilité d’une certaine catégorie d’urbains : les étudiants, les professionnels du secteur médical empruntent le métro tous les jours pour se rendre sur leur lieu d’étude ou de travail. L’augmentation du coût des transports traditionnels (jeepney) et la recherche d’un “confort” de voyage ont conduit à intensifier la fréquentation du métro, lequel devient un élément de valorisation de certains secteurs urbains. Le métro achemine les actifs et les futurs actifs désormais familiarisés à ce type de transport urbain. L’arrimage des centres commerciaux aux stations de métro renforce l’effet d’agrégation des hommes et des activités dans certaines portions de ville pourtant parmi les plus paupérisées de l’agglomération. Les flux des passagers intensifient les interactions avec la rue située en contrebas que l’usager empruntera à un moment ou à un autre de son parcours, tout un arsenal de boutiques fixes ou mobiles est développé à cet effet.
36Les activités urbaines s’intensifient, se multiplient et se densifient notamment dans le secteur éducatif à l’image de l’Université Lasalle. Le métro génère un flux quasi continu de 5h du matin à 22 h de populations dans ce secteur de la ville. Sa présence est devenue stratégique et draine avec elle désormais une certaine spéculation : les projets immobiliers n’ont pas coïncidé avec la création du métro, mais le nombre de dents creuses en attente d’extension de surface laisse à penser que les projets vont bon train, qu’il s’agisse d’immeubles résidentiels ou de bureaux. C’est désormais une partie de la vie urbaine qui s’organise le long de la ligne de métro : résidence et lieu de travail sont désormais joignables par le métro. On peut évoquer à l’image de l’escalator urbain de Hong‑Kong la réalisation d’une « architecture liquide » ou « de flux » [Gutierrez & Portefaix 2010] qui correspond à une distribution stratégique des populations se stabilisant dans le secteur traversé par la ligne de métro, travaillant et consommant dans un périmètre plus ou moins élargi. La ligne de métro structure désormais les déplacements des populations ne disposant généralement pas d’une automobile et dont la stratégie de mobilité vise avant tout l’aspect pratique et la rapidité des lieux desservis. Les trajets de ces jeunes professionnels sont bien connus : leur résidence s’inscrit dans un quartier relativement bon marché où les immeubles résidentiels se multiplient comme Malate et leur lieu de travail est localisé généralement dans la commune qualifiée de CBD : Makati et de plus en plus dans le secteur d’Ermita, Malate et sur la baie de Manille où les immeubles de bureaux se multiplient. Preuve que la stratification prend un ton concret dans l’espace, l’accès à certains bureaux proches des stations est réalisé par des passerelles, le passage par la rue n’est ainsi plus une obligation.
37L’évolution du tracé de la ligne LRT, que ce soit pour des projets d’extension ou de jonction doit permettre d’améliorer un transport de « service public » mais opéré par des entrepreneurs du secteur privé. Le métro est un espace privé soumis à un usage public. Le projet d’extension de la ligne LRT fut lancé en 2007 et a généré la création de deux nouvelles stations après l’ancien terminus de Monumento. Ces stations ont été achevées en 2010 mais sans que puisse être créée une station commune assurant la jonction avec la ligne MRT contournant l’agglomération par l’est. Désormais, c’est l’extension de la ligne vers le sud de l’agglomération qui focalise toute l’attention des acteurs de l’urbanisme dans la ville. Au lieu d’être enthousiastes, les entreprises porteuses de projet dénoncent les contraintes inhérentes au cahier des charges imposé par le LRT/DOTC (organismes gouvernementaux en charge du métro et des communications) et notamment la tarification faible imposée par le gouvernement pour permettre aux plus grand nombre d’emprunter ce moyen de transport. Ces entreprises privées regrettent également le manque d’informations concernant les taxes qu’elles devront verser aux 3‑4 communes traversées par cette extension. De plus, le projet même s’il était attribué à une entreprise mettrait du temps à démarrer puisqu’une grande partie des expropriations n’est pas encore effective. Et enfin, le temps du mandat présidentiel semble aussi peser sur le rythme des négociations entre organismes publics et secteur privé. En effet, pour démarrer le projet dans les meilleurs délais, le contrat devrait être signé dans un délai de 3 à 4 mois, sachant qu’un an avant l’échéance d’une élection présidentielle tous les grands projets sont gelés et il faut alors attendre la nouvelle tête de l’exécutif pour réamorcer des négociations.
38À noter que ce projet d’extension vers le sud de l’agglomération fut présent dès l’avènement du métro. D’autres matrices élaborées il y a plus de dix ans concernant les aspects techniques du métro que ce soit pour le cadencement et le taux de remplissage des rames, semblent d’ores et déjà obsolètes avant sa mise en circulation. En effet, les nouveaux territoires traversés par la ligne sont ceux qui ont connu une des plus fortes augmentations de population depuis une décennie. Cette population, issue des classes moyennes, travaillant dans le secteur tertiaire (employés, cadres) a accédé à la propriété individuelle dans une des nombreuses subdivisions résidentielles offertes à un prix abordable et souvent uniquement accessible par l’automobile. C’est cette population qui commence déjà à prendre le métro depuis l’augmentation du coût des carburants. Habitant Cavite ou les alentours de Las Piñas, ces derniers pourraient de manière quasi directe en environ 40‑50 minutes dans un mode de transport agréable gagner leur emploi situé au cœur des bureaux de Manille ou des autres centres de bureaux de la ville. Pour ceux qui habitent au-delà des limites de l’agglomération, la mise en place récente de nouveaux dispositifs routiers restreignant l’accès de Metro-Manila aux autobus des provinces Cavite et Batangas génère de nouvelles contraintes, puisque les passagers doivent reprendre un autre moyen de transport motorisé. Les ruptures de charge ralentissaient déjà le parcours mais cette mesure effective depuis le mois d’août 2013 accentue encore la difficulté de se déplacer pour les personnes les plus éloignées ...ce qui semble problématique puisque peu de zones d’emplois diversifiées existent dans le sud de l’agglomération excepté sur la commune de Muntilunpa dans le quartier d’Alabang.
39Selon Liu Thai Ker (1998) cité par Nihal Perera & Wing-Shing Tang (2013), aménager les villes asiatiques a été réalisé de manière conservatrice, réactionnaire et « par morceaux ». Améliorer les déplacements dans les agglomérations d’Asie du sud-est nécessiterait la démolition et la refonte du bâti et des infrastructures... faire table rase du passé. Les villes d’Asie du Sud-est ont capté des expériences urbanistiques et de transport selon les époques, on songe aux multiples initiatives américaines et celles menées sous l’ère Marcos bien que des plans de circulation d’ensemble aient vu le jour en coopération avec des organismes internationaux. Il semble que pendant longtemps et ce, malgré la mise en service du métro et l’existence des compagnies de bus, ce soit les jeepneys qui aient appliqué un plan de circulation mis en place par la MMDA. Ces jeepneys appartiennent à des indépendants complètement soumis au nombre de passagers transportés et ces derniers n’hésitent donc pas à rendre service (ne pas respecter complètement les lieux d’arrêts imposés) pour maintenir leur clientèle sur des trajets où le métro les concurrence.
40Au-delà des formes et des infrastructures communes aux grandes villes d’Asie, ce sont les stratégies développées par tous les acteurs des transports qui méritent attention et développement puisqu’elles s’inscrivent dans des processus d’accompagnement en palliant le manque de desserte en transport en commun dans l’agglomération mais aussi de contournement voire d’évitement pour capter d’une autre manière le flux de passagers (possibilité de transporter des colis volumineux en jeepneys etc, de louer de manière privative un tricycle « special » pour se rendre dans des lieux mal desservis...)
41L’effet d’entraînement généré par l’utilisation du métro n’efface pas pour autant les poches de pauvreté qui pourtant, par exclusion, et mutation du foncier se recomposent : elles disparaissent dans les secteurs touchés par la construction de nouveaux immeubles, mais par report elles peuvent se densifier comme dans Intramuros par exemple où la législation reste très stricte dans un secteur où les monuments historiques sont nombreux. L’économie informelle participe à ces mutations et occupe une place non négligeable dans les services rendus aux voyageurs (vente de nourriture à emporter à l’extérieur des stations). Excepté les espaces créés ex-nihilo, lesquels ne sont pas forcément bien intégrés dans les circuits de déplacements urbains (cf Mall of Asia), le vieux Manille présente toute une panoplie de possibilités en matière d’accès : le métro propose une autre alternative et par rétroactivité accentue la centralité résidentielle et professionnelle, mais il est à ajouter que dans un périmètre restreint, le dynamisme suscité par le métro doit être associé aux dynamiques propres aux territoires dans lesquels l’infrastructure s’inscrit.
Figure 4 - Centralités et parcours du métro dans Manille
C. Guéguen, janv. 2014
42Par exemple, dans Binondo, le quartier chinois, le métro n’est qu’un des éléments de l’engouement immobilier généré par les flux migratoires chinois. L’effet structurant du métro n’est qu’un des facteurs qui contribuent au dynamisme endogène de ce quartier. Le rôle du métro dans le cas d’Ermita et de Malate est plus flagrant et s’inscrit aussi dans une extension des fonctions tertiaires dans un périmètre moins onéreux et disposant de disponibilités foncières par rapport à Makati.
43Deux types de circulation coexistent sur le tracé de la ligne de métro : une circulation « d’en haut » avec le métro et circulation « d’en bas » avec le jeepney. On peut opposer de manière simpliste ces deux modes de transport en évoquant le degré de sophistication de l’outil technique, le confort, la pollution etc..mais ce qui prime c’est véritablement la porosité intense au niveau des stations de métro. Ces deux modes de circulation sont complémentaires et indispensables dans une ville où finalement le réseau de métro reste embryonnaire et privilégie sur son tracé de dédoubler les axes routiers les plus encombrés. Les stratégies improvisées aux pieds des stations de métro relèvent de l’initiative individuelle et des aménagements ne surviennent qu’après coup (notamment au niveau de l’arrêt des jeepneys). A dire qu’il existe une vi(ll)e d’en haut, vi(ll)e d’en bas, ce serait méconnaître le degré d’initiative et les stratégies déployées par les Manillais pour accroître leur potentiel de mobilité.
44Analyser l’impact du métro dans l’agglomération capitale des Philippines s’avère être complexe. S’intéresser à la ligne la plus ancienne du réseau permet toutefois de différencier les espaces et les stratégies des populations qu’elles soient simple passager, transporteur ou aménageur.
45Comprendre les logiques de circulation débouche plus généralement sur les mobilités à l’échelle de l’agglomération et comment les territoires participent à leurs évolutions. Le métro aérien, avec un certain décalage dans le temps par rapport à d’autres grandes villes du Sud-est asiatique semble participer aux mutations urbaines et ce, dans des communes comme Pasay et Manille dont le profil socio-économique depuis les années 1970’s était en berne. Décentrer en s’intéressant à certains espaces permet d’affiner la réflexion mais aussi de croiser les facteurs qui entraînent le dynamisme de certains quartiers.
46L’imposition de l’infrastructure sur des territoires génère de multiples stratégies que l’on peut observer à différentes échelles du parcours mobilitaire. Ainsi, le choix de la station d’entrée dans le parcours urbain est déterminant et largement pensé en amont afin de gagner en temps et financièrement pour gagner sa destination. Désormais, des stratégies se construisent dans des périmètres plus éloignés, le métro en temps que segment de circulation, est de plus en plus intégré aux parcours des classes moyennes installées dans les provinces résidentielles de Cavite par exemple, mais certains voient dans ce moyen de transport la possibilité d’adopter un mode de vie complètement urbain et désormais basé sur l’usage des transports en commun.
47Au-delà des déplacements dans la ville, c’est à l’organisation de la vie urbaine que le métro contribue. On peut évoquer une stratification des mobilités de quartiers résidentiels aux lieux de travail. C’est toute une jeune génération de jeunes urbains travaillant dans les services (on peut citer les centres d’appel) qui façonne les territoires et pour qui, le métro est la colonne vertébrale de ce dispositif. Ils ont étudié au cœur de Manille et ce sont eux, familiarisés au métro, qui induisent aujourd’hui ces dynamiques nouvelles dans la capitale philippine, alors que la vie urbaine était jusque‑là tournée vers les déplacements entre les périphéries résidentielles et les centres d’activités situés au cœur de l’agglomération. Cette stratification de la vie urbaine permise par un moyen de transport relativement fiable et régulier, « moderne » diront certains, s’inscrit à l’échelle intra‑urbaine, ce qui accentue de ce fait la densification du vieux Manille laquelle se matérialise par la multiplication des immeubles et une certaine reprise démographique. Pourtant, cette tendance à la stratification de la vie urbaine n’empêche pas la porosité des espaces entre la voie routière et le métro, laquelle reste indispensable dans une ville faite de patchworks et relativement décousue en termes de planification urbaine et de gestion des transports.