- 1 « Rangoon » était l'appellation officielle coloniale en anglais alors que le toponyme est devenu « (...)
- 2 Le nom du pays a été changé en « Myanmar » également en 1989.
- 3 Ce chiffre est une estimation donnée par le Yangon City Development Committee en 2013. Le prochain (...)
1Yangon1, capitale politique de la Birmanie2 de 1853 à 2007, conserve, depuis, sa primauté économique et démographique (cf. figure 1). Elle concentre 6 millions d’habitants soit un 1/10e environ de la population nationale3 et plus de la moitié des activités économiques et industrielles du pays. Longtemps associé à la dictature, longue de plus de 60 ans, son nom est aujourd’hui synonyme de paradis pour les investisseurs internationaux. L’ouverture économique, corollaire d’une libéralisation politique en marche depuis 2011, a induit un développement urbain sans précédent. Durant les 60 dernières années, la ville a connu un « déclin urbain » [Tainturier 2010], conséquence d’un entretien minimal. L’absence de grands bouleversements urbains a d’un même mouvement protégé le patrimoine historique. Yangon, « un musée architectural vivant » [Association of Myanmar Architects 2012], est aujourd’hui devenu un grand chantier de constructions et de destructions que les autorités ne maîtrisent pas totalement. Un plan d’urbanisme est en cours d’élaboration pour répondre au mieux aux principaux problèmes que rencontre l’ancienne capitale : la densification du centre-ville (le Central Business District) et une crise foncière, l’unidirectionnalité des flux routiers périphéries-centre et la congestion de la circulation, la destruction partielle du patrimoine immobilier historique, la vétusté du réseau électrique inadapté, et l’insuffisance de la distribution d’eau.
- 4 L'auteur a vécu deux années à Yangon de fin 2007 à début 2010
2Du fait de la transition économique que connaît le Myanmar, les formes de territorialité traditionnelle de Yangon laissent-elles progressivement place à une ville moderne, asiatique et internationale, qui a encore des défis à relever pour être intégrée dans la hiérarchie métropolitaine régionale ? Les études de terrain et les entretiens que l’auteur a menés4 auprès des habitants, des agents de la municipalité, des promoteurs immobiliers, des architectes et chefs d’entreprise vivant et/ou travaillant à Yangon, ont permis de comprendre les nouveaux défis auxquels est confrontée la ville, d’interroger les réponses données par les autorités et d’analyser les tendances et perspectives de développement de Yangon à moyen terme.
Figure 1 – Le site de Yangon sur le territoire birman
Conception et réalisation : Marion Sabrié, 2012.
3Ayant peu de règles éditées et légiférées à ce jour, les nouvelles constructions semblent anarchiques à Yangon tant du point de vue stylistique que du paysage urbain. L’hétérogénéité est la règle : un important parc immobilier délabré cohabite avec des oasis de modernité – gratte-ciels et résidences de luxe. Sous le régime dictatorial, la municipalité s’activait peu contre la détérioration de l’habitat. La mauvaise situation sanitaire est en grande partie due aux faibles investissements dans le domaine public. Depuis 2011, malgré l’anarchie encore apparente, les autorités travaillent de concert avec les experts internationaux, à l’élaboration d’un plan d’urbanisme pour réhabiliter les bâtiments historiques de la ville, construire de nouveaux ensembles qui respectent les bâtiments coloniaux et religieux de la ville et relever les défis urbains que connaît Yangon.
4La désorganisation, à la fois dans l’aménagement urbain et sur le plan stylistique, est en grande partie due d’un côté à l’absence d’une solide législation et d’un plan d’urbanisme à l’échelle de la ville qui intégrerait le réseau routier et de l’autre, à l’enthousiasme que suscite l’ouverture économique du Myanmar chez les promoteurs immobiliers nationaux et internationaux.
5Le passage très médiatisé d’un système politique dictatorial à un gouvernement « civil » birman, plus démocratique, a eu pour répercussions un changement d’attitude et de politique de la scène internationale à l’égard du Myanmar. Les sanctions, instaurées après le coup d’état de 1962, ont été en grande partie levées, permettant aux investisseurs internationaux de profiter des potentialités économiques qu’offre le pays et d’endiguer le monopole économique chinois. Le passage progressif à une économie de marché libéralise également les investissements immobiliers. L’image intensément véhiculée par les médias d’une opportunité économique sans précédent s’est matérialisée par un afflux de personnes et de capitaux. La hausse, au sein de l’économie informelle, encore très importante au Myanmar, reste cependant une inconnue.
6Les différents gouvernements dictatoriaux avaient auparavant mis en place des politiques de grands travaux. La politique urbaine demeurait cependant une préoccupation secondaire. Les dirigeants sont aujourd’hui confrontés à une densification démographique importante dans le centre-ville et à d’autres problèmes urbains. Les investisseurs économiques et immobiliers apportent une logique fragmentaire : chacun crée ou a créé son activité ou son lotissement. Cette multiplication du nombre d’opérateurs, et de leurs capacités de production, renforce(nt) l’hétérogénéité urbaine. L’anarchie urbaine est en partie contrôlée par l’obtention des permis de construire que délivrent les autorités municipales. Il est cependant peu évident pour la municipalité de s’opposer à de grands investisseurs. Elle peut seulement réguler les modalités d’implantation et architecturales de ces derniers [Myanmar Times 2013].
7Malgré le déclassement de capitale politique de Yangon au profit de Nay Pyi Taw en 2005 où sont désormais censés se trouver les sièges sociaux d’entreprises, toutes les entreprises importantes possèdent dans les faits deux bureaux : l’ancien à Yangon et un second plus récent dans la nouvelle capitale. Les dirigeants souhaitent que Nay Pyi Taw joue un rôle géopolitique important, mais tiennent à réguler sa démographie, alors que Yangon continue à gagner de la population.
- 5 Selon les entretiens de l'auteur de 2009 à 2013.
- 6 Le taux de natalité en 2012 est de 19,11‰ [CIA World Fact Book 2012].
8L’exode rural vers l’ancienne capitale est continu et malgré l’absence de recensement, se serait intensifié depuis 20105, attestant de l’attrait économique durable de Yangon (fig. 2). Sa croissance démographique est due à l’exode rural et à un taux de natalité important6 – bien que la transition démographique soit déjà entamée, à l’immigration internationale et au retour d’une partie des travailleurs birmans émigrés, consécutivement aux changements politiques.
- 7 Selon l'entretien de l'auteur avec U Toe Aung, directeur adjoint du Planning and Land Administratio (...)
9Le centre-ville, cosmopolite, est une des zones traditionnelles d’immigration où sont encore installés des secteurs économiques et industriels qui nécessitent une main d’œuvre nombreuse. Cependant, du fait de l’importante immigration, les prix du centre-ville augmentent et les logements sont de plus en plus difficiles à trouver. Du fait de la lente production de logements, la demande est plus de trois fois supérieure à l’offre : elle s’élève à 23 000 logements contre 7 000 logements proposés7. La croissance démographique de la ville et l’insuffisance du parc immobilier provoquent une crise du logement. La flambée des prix d’achat et des loyers est une pression au départ que subit notamment la population aux revenus limités.
10Les nouveaux migrants peu aisés s’installent dans les quartiers périphériques et le centre-ville de Yangon connaît peu à peu un phénomène de gentrification. Les habitats collectifs avec un faible nombre d’étages appartiennent au paysage urbain depuis longtemps alors que ceux avec un grand nombre d’étages sont des constructions récentes – datant de moins de 10 ans. Une majeure partie des travailleurs des quartiers périphériques vient travailler en centre-ville, ce qui rend la circulation routière dense, compte-tenu du réseau qui n’est pas encore adapté au grand nombre récent de véhicules. La pression foncière, induite par l’adaptation de Yangon aux exigences de l’internationalisation sur le développement urbain, intensifie les problèmes sociaux – comme l’accès au logement et aux équipements, ainsi que le transport jusqu’au lieu de travail.
Figure 2 – Carte n° 2 – La densité urbaine de Yangon
Conception et réalisation : Marion Sabrié, 2012
11En réaction à l’afflux de nouveaux habitants et à l’importation massive de nouveaux véhicules, la circulation routière se densifie, la vitesse de circulation est réduite et certains secteurs sont saturés. La nouvelle législation, mise en place depuis juin 2012, est plus favorable à l’importation de véhicules. Le parc automobile a augmenté de 30 % entre septembre 2011 et juillet 2012. Auparavant, le coût d’un véhicule était démesuré du fait de taxes d’importation prohibitives. Le marché automobile s’est agrandi depuis. La congestion de la circulation routière est particulièrement forte à Yangon qui est le point d’entrée des importations automobiles via le port en eaux profondes de Thilawa. Ce sont notamment des voitures en provenance de Chine, à faible coût de fabrication et à faible prix d’achat. La majeure partie des commerces et des centres décisionnels étant située dans le centre-ville, les flux sont unidirectionnels : le matin, le réseau est dense du nord vers le sud – où se trouve le centre-ville, et le soir, la migration pendulaire est inversée. La congestion de la circulation routière est donc également due au faible développement du réseau de transport municipal : il y a beaucoup de lignes nord-sud, périphéries-centre, mais peu de lignes transversales de direction ouest-est. De plus, le réseau routier n’est pas aménagé pour un trafic important : la largeur des axes routiers est insuffisante et la gestion de la circulation est inadaptée (fig. 3). Le réseau ferroviaire intra‑urbain est également vétuste et très limité.
12Les équipements pour l’alimentation en eau et en électricité, ainsi que le réseau sanitaire et d’assainissement, sont aussi déficients. En 2014, la majeure partie des quartiers de la ville – qui représente plus de la moitié des besoins nationaux en électricité – n’a pas accès à 24/24 heures d’électricité et le bruit ronronnant des générateurs est quotidien dans les quartiers aisés, les hôtels internationaux, les magasins et les usines. Comme la production est hydroélectrique, les coupures de courant sont particulièrement fréquentes durant la saison sèche, d’octobre à juin. Cette insuffisance du réseau électrique est aussi un élément décourageant l’implantation d’entreprises sur le territoire birman. L’alimentation en eau est également insuffisante avec une consommation potentielle de la ville de 160 millions de galons dont seulement 65 % est assuré par la municipalité. Des projets sont menés pour diversifier l’approvisionnement – qui repose essentiellement sur les puits – et pour remédier à la pénurie d’eau comme le pompage de la rivière Kokkowa pour alimenter le quartier de Hlaing Thayar ou bien le projet de barrage Lagunbyin pour ravitailler en eau les quartiers de Dagon Est, Sud et Nord [Eleven Media 2013]. Les autorités, aidées d’experts internationaux, travaillent à l’amélioration des conditions de vie dans les domaines précités : l’accès au logement et aux services, l’alimentation en électricité, la distribution d’eau et l’assainissement et l’amélioration du réseau routier et de la circulation.
Figure 3 – Carte n° 3 – L’agglomération de Yangon et ses infrastructures
Conception et réalisation : Marion Sabrié, 2012
13Les autorités, gouvernementale et municipale, essayent de trouver des solutions aux problèmes urbains que rencontre Yangon. Ces solutions sont d’autant plus pressées que la métropole est sous le feu des projecteurs internationaux. Elle se modernise et se mondialise : le nouvel afflux financier et humain est concomitant à la circulation des connaissances et des modèles urbains. La démarche comparative avec les autres métropoles asiatiques et mondiales enrichit la réflexion, mais la présence de nombreux acteurs – experts en urbanisme, architectes, promoteurs immobiliers et fonctionnaires internationaux spécialisés – est source d’actions déconnectées, voire contradictoires.
14L’effort de reconstruction de la ville est en marche avec la volonté affichée des autorités de se servir des métropoles voisines comme modèles, comme Singapour, de la métropolisation planifiée. L’aide des experts internationaux participe à l’élaboration progressive d’un schéma directeur de la ville qui intégrerait le logement, les services et le réseau routier. Une agglomération en forte croissance démographique, comme l’est Yangon, génère des besoins en infrastructures – voirie, eau, électricité, en équipements – espaces verts et récréatifs – et en services – éducation, santé et commerce. La lenteur de la mise en place à Yangon s’explique par les problèmes d’expertise, de financement et de coordination.
15Quatre instances gouvernementales et municipales sont traditionnellement en charge de la gestion de la politique urbaine : le ministère du Plan national et du développement économique, le ministère de la Construction, le gouvernement de la région de Yangon et la municipalité de Yangon, le Yangon City Development Comittee (YCDC). Chacun d’entre eux gère des programmes et des plans différents et leurs actions restaient peu coordonnées jusqu’à récemment. Soixante ans de dictature n’ont pas favorisé la transparence politique, bien au contraire. La municipalité n’implique pas les habitants de Yangon dans la réflexion sur leur environnement urbain : il n’y a pas eu ni sondage populaire ni de référendum. Le plan d’urbanisme est élaboré et mis en place par les autorités qui consultent quelques experts internationaux. L’approbation gouvernementale de ces consultations est rendue possible par l’ouverture démocratique récente.
16La mise en place du Yangon Land Use and Building Height Zone Plan, par l’action conjointe du YCDC, de l’agence japonaise de développement Japan International Cooperation Agency (JICA), des différents ministères précités, du Yangon Heritage Trust (YHT) et d’experts internationaux du bâtiment, est une grande avancée. Ce plan définit des zones – 11 au total et quatre prioritaires – dans Yangon où des restrictions sur la hauteur autorisée des constructions sont établies. C’est la première initiative prenant en compte l’agglomération dans son ensemble tout en tenant compte des spécificités historiques et architecturales de chaque quartier. L’agence JICA, secondée par le programme des Nations Unies pour les établissements humains (UN‑Habitat), prépare un plan d’urbanisme qui s’étalera sur une durée de 30 ans pour régler les problèmes urbains actuels et anticiper les défis à plus long terme. Financé par JICA avec un premier montant de 200 millions de dollars américains pour les cinq premières années, ce schéma se focalise sur quatre secteurs prioritaires : l’amélioration du réseau ferroviaire intra-urbain et du réseau routier – élargissement des artères principales et fluidité de la circulation, du réseau électricité – une production proportionnelle aux besoins humains et industriels et des solutions face aux pertes dues à la vétusté des installations – et le développement d’un système d’assainissement [JICA 2014]. D’autres organisations œuvrent également en faveur de la préservation du patrimoine historique.
17La crise foncière, la densité du bâti du centre-ville, la forte demande en logements, la hausse démographique, l’agrandissement du parc hôtelier de la ville sont autant de facteurs de pression sur les bâtiments historiques. De nombreux bâtiments anciens, vétustes et dont la capacité d’accueil était limitée, ont été détruits au profit de la construction de nouveaux bâtiments. Le concept de conservation du patrimoine, idée exogène au Myanmar dans lequel une majeure partie de la population préfère le neuf et le moderne à l’ancien, et sa rénovation s’est développé parmi les élites qui l’ont relayé au sein d’une grande partie de la population. Cependant, la conservation du patrimoine relève encore du défi car elle nécessite un important financement pour être aux normes de sécurité et de confort actuel et un savoir-faire technique. Le gouvernement réfléchit à des solutions innovatrices lorsque les financements nécessaires à la reconversion ne sont pas disponibles comme la location à des entreprises qui effectueraient la rénovation ou à la destruction partielle des bâtiments tout en conservant les façades.
- 8 Les bâtiments administratifs coloniaux, utilisés par le pouvoir jusqu'à son déménagement à Nay Pyi (...)
18Le soutien à ces initiatives de conservation relève de la société civile. Le Yangon Heritage Trust (YHT), organisation créée en mai 2012, veille à prévenir la destruction des bâtiments historiques, administratifs8 et religieux. Les destructions ont commencé dès 1988, avec les prémisses de l’ouverture économique. En réaction, en 1996, la municipalité a établi une liste de 189 bâtiments à protéger prioritairement. En 1998, est votée la première loi Protection and Preservation of Cultural Heritage Regions Law, mais cette dernière n’est pas véritablement appliquée. Aidé par l’Association of Myanmar Architects, le YHY continue l’inventaire des bâtiments et participe à l’élaboration d’un code de construction des bâtiments nationaux pour une homogénéisation des constructions et un respect de l’ancien. En mai 2013, quatre zones prioritaires ont été définies, conjointement avec les autorités, pour assurer leur protection : les espaces verts et les espaces publics, le quartier de la pagode Shwedagon, le centre-ville et les aires résidentielles à faible densité démographique. La législation tend à être de plus en plus respectée et la distinction entre patrimoine et modernité est moins nette qu’auparavant : certains bâtiments historiques ont été rénovés pour remplir de nouvelles fonctions, économiques ou administratives. L’hôtel Strand, le bar 50th Street, le restaurant House of Memories sont autant d’exemples réussis de rénovation respectueuse et de rentabilité économique, réalisés par des capitaux privés.
19Les nouvelles règles de conservation de l’ancien visent aussi à protéger la perspective urbaine historique de la nouvelle verticalisation, qui est un des signes d’internationalisation de la ville. La visibilité des pagodes, notamment Sule et Shwedagon, décroît au rythme auquel se multiplie les gratte-ciels. L’importance de ces lieux de culte, confortée par la ferveur toujours actuelle des Bamars, renforce le souci de leur protection. Symbole de la ville, la pagode Shwedagon a longtemps été la construction distinguable, visible au loin par les bateaux étrangers qui se rendaient au Myanmar en remontant l’estuaire de l’Irrawaddy [Symes 1880].
- 9 On les distingue par un commerce situé au rez-de-chaussée et un logement à l'étage.
20Les organisations, relevant de la société civile et œuvrant à la protection du patrimoine, sont constituées par les Bamars. Les quartiers ethniques, attestant du passé cosmopolite de la ville, ne sont alors pas considérés comme patrimoine historique pour des raisons politiques. Cependant, les maisons traditionnelles chinoises9, situées à Thayoktan, entre la 10e et la 25e rue, sont encore visibles dans le paysage urbain.
21Dans l’internationalisation récente de son environnement urbain, les mutations, exponentielles jusqu’à présent, sont des facteurs de modernité. Ces dernières ne résolvent pas pour autant les problèmes urbains et sont aussi la source de nombreux défis. Deux changements dans l’urbanisme de Yangon sont particulièrement significatifs : la conception de la ville comme un Grand Yangon qui inclue les quartiers périphériques et une spécialisation fonctionnelle des quartiers.
- 10 Elle est l’équivalent du réseau express régional (RER) francilien.
22Yangon ne se conçoit plus sans tenir compte de sa périphérie. La Circular line10, la ligne ferroviaire qui relie les quartiers périphériques au centre-ville, apparaît comme le symbole du Grand Yangon. La rénovation de la ligne intra-urbaine vise à raccourcir les déplacements quotidiens et pendulaires et à rapprocher les périphéries du centre. Son agrandissement n’est cependant pas prévu à ce jour.
23Des villes nouvelles ont été bâties, à la périphérie de Yangon, dans les années 1960 et 1990, afin de diminuer la densité urbaine du centre-ville et de sécuriser les emprises gouvernementales qui s’y trouvaient. Le tissu urbain est devenu continu entre Shwepyitha et Yangon dès 1986. Autrefois espaces peu peuplés et en friches, les villes nouvelles ont intégré le tissu urbain [Lubeigt 1986] et sont devenus des espaces non négligeables concentrant des projets économiques et des projets de développement urbain, résidentiels et industriels. L’intégration sur le plan économique est cependant plus longue pour les quartiers les plus périphériques vers lesquels migrent les populations les moins aisées. Du fait d’une circulation routière ralentie et dense, leurs habitants peinent à venir travailler dans des quartiers plus centraux. Ces déplacements pendulaires sont moins importants depuis l’installation progressive de 14 zones industrielles en périphérie. En 2009, 4300 usines employaient plus de 150 000 ouvriers [Kraase et al. 2006] et ce chiffre a augmenté depuis, n’enrayant toutefois pas totalement les importants déplacements périphéries‑centre.
24Afin de répondre à la nouvelle croissance urbaine, l’agence japonaise JICA, qui travaille au sein de la municipalité, a proposé d’étendre l’aire urbaine de 160 km2. Elle remplit aujourd’hui à 90 % des fonctions résidentielles alors que 6 % seulement est dédié au secteur industriel. Cela reste insuffisant face à la crise foncière. Yangon est construite sur un site de confluence : au sud, le fleuve Yangon longe le centre-ville colonial, en damier. À l’ouest, son étalement est limité par la rivière Hlaing Thayar et à l’est, par la rivière Bago. Son urbanisation semble aujourd’hui possible dans deux seules directions : au nord de l’agglomération, qui n’est pas géographiquement limité par le cours d’une rivière, et au sud. Pour rejoindre Dala, il faut traverser le fleuve Yangon et au sud-est, la rivière Bago est franchie par un pont qui relie le quartier de Thaketha à Kyauktan et à Thilawa où se trouve le port en eaux profondes dont l’activité économique se multiplie. À Dala, du fait de l’absence d’eau, le développement est à ce jour limité alors que sur la rive de Kyauktan, grâce à la présence de Thilawa, de nombreux quartiers résidentiels se développent pour assurer un logement à la main d’œuvre que nécessite l’expansion du port et de ses activités économiques.
25Le centre-ville colonial remplit des fonctions majoritairement résidentielles, puis commerciales et administratives et enfin portuaires. Les quartiers de Thaketha et de Hlaingthaya sont majoritairement résidentiels comme Bahan, composé de maisons individuelles entourées de jardins, qui est habité par une population aisée d’expatriés, de chefs d’entreprises ou de personnes proches du pouvoir. Thilawa, à une quinzaine de kilomètres au sud de Yangon, abrite un port en eaux profondes et l’ensemble du trafic portuaire y sera potentiellement déplacé dans les prochaines décennies.
26Les projets urbains sont nombreux et hétérogènes. Les autorités, notamment la municipalité, essayent de concentrer leurs efforts sur les problèmes les plus urgents comme l’alimentation en eau, la distribution en électricité et la congestion du réseau routier. C’est pour résoudre ce dernier défi qu’elles envisagent de dédoubler le centre-ville. L’aménagement de Yangon, au même titre que son ouverture économique, est médiatisé. L’agglomération est un laboratoire de l’urbain au Myanmar qui doit conserver son attrait pour la population locale comme pour les investisseurs internationaux.
- 11 Comme son nom l'indique en birman.
27La construction d’un nouveau centre-ville apparaît être une solution pour réduire la densité urbaine et pour dévier une partie des flux de transports qui convergent de la périphérie vers le centre-ville actuel. En coopération avec la municipalité, l’agence JICA a proposé la création d’un nouveau centre dans le quartier de Shi Mile, situé à 13 km du centre-ville11. Le second centre serait un quartier commerçant dont les habitations seraient exclues [JICA 2014]. Le dédoublement du centre-ville permettrait de réduire les flux unidirectionnels nord-sud. Cependant, un des risques de cette politique est l’affaiblissement de la puissance économique de la ville du fait de l’éclatement géographique de ses activités et infrastructures.
28Un autre quartier d’affaires viendrait dédoubler celui du Central Business District : le long de l’avenue Pyay et, dans une moindre mesure, de l’avenue Kaba Aye. Durant les cinq dernières années, les premiers gratte-ciels sont apparus le long des deux avenues qui sont les deux axes principaux entre le nord et le sud. Quelques voies perpendiculaires permettent de passer de l’une à l’autre afin de désengorger le trafic routier. La construction de bâtiments, comportant jusqu’à 20 étages, est autorisée le long de ces axes contre seulement six étages dans le centre-ville actuel : ce qui montre la volonté de délocaliser une partie du centre d’affaires au nord du centre-ville actuel et de le préserver. Un autre centre d’affaires, situé plus au nord, permettrait de relier l’aéroport plus facilement. De plus, un nouvel aéroport international de Yangon est en cours de construction au sud de Bago, ville située à 70 km au nord-est, facteur potentiel de la venue d’un plus grand nombre d’investisseurs et de touristes.
29Yangon fait figure de porte d’entrée dans le pays et de vitrine nationale. Elle possède l’aéroport international du pays au nombre d’entrées le plus élevé et le port national le plus important. Le paysage urbain évolue du fait de la venue massive d’investisseurs et ses modifications en attirent encore davantage. Un faible niveau d’infrastructures et une insuffisante distribution en électricité et en eau peut se révéler être un frein à leur venue. Un cadre urbain et environnemental de qualité ainsi que la présence d’une main d’œuvre logée à proximité est déterminant pour maintenir l’attractivité de la ville.
- 12 Le « réseau vert et bleu » est un concept apparu au sommet de la Terre de Rio en 1992 qui signifie (...)
30Dans cette optique, le gouvernement municipal a proposé la création d’une Green and Blue Zone12 pour aménager la rive fluviale. Jusqu’en 2013, seules les jetées Pansodan et Botahdaung sont utilisées par les habitants comme espace récréatif : pour les promenades, les sports de plein air et les pique-niques en famille. La municipalité souhaite dédier davantage d’espaces à ces activités en instaurant une promenade de 8 m de large et de 5 km de long sur les rives de la rivière Hlaing. Ce nouvel espace serait à la fois à l’usage des habitants de Yangon et permettrait de donner une image verte et agréable de la ville pour les investisseurs [Kyaw 2013]. Investir davantage le port de Thilawa à la place de celui du centre-ville permettrait de libérer des espaces pour en faire des parcs publics ou d’autres lieux sur la rive du fleuve Yangon. Cependant, la récente rénovation et les nouveaux équipements portuaires réalisés en 2011 par des compagnies privées, retardent le projet de délocalisation.
- 13 Hanoï et Bangkok dépassent les 6 millions d'habitants et Phnom Penh en possède 1,5 millions.
- 14 578 km_ contre 1 568 km_ pour Bangkok, 3 345 pour Hanoï et 678 pour Phnom Penh.
31Yangon est une métropole en devenir. Elle connaît une internationalisation de la production urbaine, lente mais certaine, tant sur le plan des experts consultés, des modèles comparés que des investisseurs. Elle possède une population nombreuse comparativement aux autres grandes villes du Sud‑Est asiatique13 sur un territoire d’une superficie moyenne14, mais qui tend à s’agrandir. L’internationalisation croissante de sa production urbaine et de son mode de vie lui confère une place de métropole régionale modeste. Elle demeure en partie tributaire des capitaux extérieurs pour son développement, malgré les riches ressources naturelles de son arrière-pays. Son intégration dans le réseau de villes régionales se fait progressivement, notamment par la construction de routes transasiatiques : elle est reliée à Kunming dans la province du Yunnan, le sera dans les prochaines années à Bangkok, via Myawaddy, et à la côte orientale vietnamienne. Les corridors économiques en construction améliorent l’accessibilité de Yangon de et vers son arrière-pays et permettent d’intensifier les relations économiques et commerciales avec les pays voisins [Fau et al. 2013]. La nouvelle autoroute entre Yangon et Mandalay contribue également à mieux définir le tracé des corridors qui, pour l’instant, ont peu de conséquences urbaines à l’échelle de Yangon, mais il est prévu qu’ils soient amenés à prendre de l’importance dans les prochaines décennies.
32Un nouvel urbanisme à la birmane se définit, intégrant à la fois la conservation du patrimoine historique et la modernité internationale. À ce jour, les populations minoritaires ne bénéficient pas encore d’une protection de leur patrimoine comparable à celle des Bamars, majoritaires sur le territoire national. Le plan d’urbanisme exprime les idées des élites et non celles du peuple. Une grande partie de ce dernier vit sous le seuil de pauvreté et ne considère pas l’urbanisme comme la priorité, mais plutôt espère davantage une bonne distribution en électricité et une alimentation en eau adaptée à la croissance actuelle de la ville. Le développement urbain favorise le développement économique : la transition urbaine est parallèle à l’ouverture économique. Une meilleure politique et gestion urbaine peut apporter aux habitants un meilleur cadre de vie, mais demeure un défi pour la municipalité. La priorité est d’amoindrir la crise de l’urbanisme, et notamment du logement, de Yangon avant qu’elle ne se propage davantage.
33L’urbanisme de Yangon est orienté par les acteurs exogènes qui jouent un rôle majeur dans la politique urbaine comme l’agence japonaise JICA qui participe à la formation d’experts birmans et à l’élaboration d’un plan d’urbanisme au sein du YCDC. La ville s’affirme progressivement comme un modèle urbain pour les autres villes du pays et deviendra, dans les prochaines décennies, la première métropole du pays. Cette agglomération dont la dimension est encore modeste, reliée par des voies qui deviendront un jour de potentiels corridors économiques, s’intégrera, de par son internationalisation et son développement économique et urbain, dans le réseau de villes régionales, notamment celles du Grand Mékong.