1Le phénomène de ségrégation résidentielle des classes sociales selon la qualité environnementale des quartiers [Bullar 1995] a été illustré par de nombreuses études [Pedlowski et al. 2002]. L’un des mécanismes possibles de cette forme de différenciation est la migration intra-urbaine des ménages. En effet, pour décrire le déterminisme de cette migration, Brown et Moore [1970] avaient développé un cadre conceptuel qui, déjà, posait l’hypothèse d’un rôle possible des critères environnementaux (tels que « le calme » ou « la beauté ») dans la recherche et la décision d’habiter un nouveau quartier. On peut penser que, depuis 40 ans, la dégradation des conditions environnementales dans nombre de grandes villes du monde n’a fait que rendre plus pertinente cette hypothèse, avec l’idée générale que les habitants qui en ont le désir et les moyens changent de résidence pour fuir les quartiers les plus exposés aux nuisances. Cependant, il nous semble que la réalité d’un tel mouvement doit être vérifiée et que son ampleur doit être réévaluée dans chaque contexte culturel et socio-économique, c’est-à-dire dans chaque pays.
2En amont des phénomènes de mobilité et de ségrégation spatiale, et pour mieux en comprendre les éventuels ressorts, il importe d’examiner le degré de conscience et de connaissance des populations urbaines par rapport à la notion d’environnement, ainsi que la perception qu’elles ont de leurs propres conditions environnementales de résidence. La mise en évidence d’une éventuelle corrélation du degré de sensibilité environnementale avec le niveau d’éducation ou de richesse des répondants peut permettre d’expliquer les différences dans les comportements exprimés par les différents groupes sociaux en matière de choix d’habitat et de mobilité.
- 1 Au Viêt-nam, les limites administratives des grandes agglomérations incluent une vaste zone rurale. (...)
3Sur toutes ces questions, le Viêt‑nam et ses deux métropoles, Hanoi la capitale politique et Hô Chi Minh Ville la « capitale économique », fournit un cas d’étude très intéressant, compte tenu de la phase d’urbanisation rapide qu’il traverse suite à la libéralisation progressive de l’économie mise en œuvre à partir de 1986 (politique du Doi moi ou Renouveau). Au recensement de 2009, soit après l’élargissement de ses limites géographiques décidé par l’administration en 2008, Hanoi comptait 6,5 millions d’habitants, dont 2,6 millions d’urbains (41,0 %). La même année, Hô Chi Minh Ville comptait 7,2 millions d’habitants dont 6,0 millions d’urbains (83,3 %) [Central Population and Housing Census Steering Committee 2010]1. Pour les enjeux urbains contemporains au Viêt‑nam, on se réfèrera à l’ouvrage de Castiglioni et al. [2010].
4L’accroissement naturel de la population est devenu très faible en ville, par suite de la transition démographique, avec la baisse de la fécondité impulsée par une stricte politique de planification familiale. Dans ces conditions, le phénomène migratoire est devenu le facteur essentiel de la croissance urbaine. La migration rurale‑urbaine est impulsée par la concentration des investissements et l’accroissement des disparités économiques entre la ville et la campagne, au bénéfice de la première ; par la diminution également du rôle de « l’enregistrement résidentiel », bien que celui-ci soit légalement toujours en vigueur. Enfin, elle est facilitée par la rémanence d’une forte proportion de population rurale (70,4 % dans l’ensemble du pays), réservoir important de migrants potentiels.
5Cette nouvelle croissance urbaine n’est pas sans générer des problèmes majeurs d’environnement. Ceux‑ci sont généralement plus aigus en milieu urbain du simple fait de la concentration de la population et des activités économiques. Ainsi, les autorités sont en permanence confrontées entre, d’une part, la nécessité d’impulser la croissance économique en facilitant les investissements pour accroître l’emploi et réduire la pauvreté [UNDP 2010] et, d’autre part, la nécessité de protéger l’environnement en déployant de plus en plus de contraintes réglementaires et légales [Gubry 2000].
6Les recherches sur l’environnement, en particulier sur l’environnement urbain, se sont considérablement développées au Viêtnam depuis une vingtaine d’années : maladies parasitaires, pollution de l’air, pollution des sols, maladies générées par la pollution, inondations, trafic routier, bruit, plus récemment changement climatique, etc. Cependant, ces études peuvent être toutes qualifiées de purement « techniques » ; elles se focalisent sur la description de l’évolution des facteurs physiques ou biologiques de l’environnement en cherchant parfois à montrer l’incidence potentielle de ces évolutions sur la santé ou la vie humaine. Très peu d’études ont cherché à prendre en compte le vécu réel de la population en relevant les perceptions et les comportements qu’elle développe vis-à-vis des problèmes environnementaux [NIURP 1996, Gubry et al. 1997, Dang Nguyen Anh et al. 2002]. Or, la population est de plus en plus préoccupée par la dégradation de l’environnement et la pollution, comme en témoignent les nombreux articles de presse, les émissions radio-télévisées et les discours officiels.
- 2 Le projet « Migration, pauvreté et environnement urbain : Hanoi et Hô Chi Minh Ville » était l’un d (...)
7La présente étude vise à prendre la mesure de cette nouvelle sensibilité et le cas échéant à en cerner les premières conséquences − en termes de faits et comportements − dans les deux métropoles que sont Hanoi et Hô Chi Minh Ville. Pour ce faire, nous analysons ici quelques‑uns des résultats du projet « Migration, pauvreté et environnement urbain : Hanoi et Hô Chi Minh Ville »2.
8L’approche mise en œuvre consiste à comparer systématiquement Hanoi et Hô Chi Minh Ville, principalement à partir d’une enquête ménage portant sur tous les problèmes d’environnement urbain, qui sont mis en relation avec le statut migratoire et le niveau de vie.
- 3 En zone périphérique, les îlots portent les noms de tô nhân dân à Hô Chi Minh Ville et thôn ou xom (...)
- 4 L’analyse porte sur les « migrants récents », ceux qui se sont installés dans leur lieu de résidenc (...)
9Les travaux préliminaires ont conduit à élaborer un plan de sondage à deux degrés. Au premier degré, on a tiré un échantillon d’îlots ou tô dân phô3 profitant du fait que l’espace est « îloté » à un niveau très fin et que le responsable d’îlot connaît en principe les chefs de ménage de son îlot. Au second degré, on a tiré un échantillon de ménages sur la liste des chefs de ménage préalablement établie dans les îlots sélectionnés. Un taux d’échantillonnage plus élevé a été appliqué aux ménages migrants afin de disposer d’un échantillon de migrants de taille suffisante ; un redressement pour corriger cette surreprésentation a été réalisé a posteriori pour certaines analyses4. À chacun des degrés, l’échantillon est en pratique géographiquement stratifié dans la mesure où les îlots d’un côté, les ménages de l’autre se suivent sensiblement sur les listes selon l’ordre de proximité géographique. Le but était d’arriver à un échantillon de 1 000 ménages à Hanoi et 1 500 ménages à Hô Chi Minh Ville.
10Ce plan de sondage est novateur, dans la mesure où jusqu’à présent on tirait généralement au premier degré les unités immédiatement inférieures aux arrondissements : phuong (dans les arrondissements urbains) ou xa (dans les arrondissements ruraux), ce qui génère un effet de grappe considérable (ces unités ont de 3 000 à 4 000 ménages chacune), ce qui n’est pas le cas des îlots (de l’ordre de 40 à 150 ménages). Au second degré, on prenait les listes disponibles au niveau de l’administration. L’exhaustivité est ici meilleure dans la mesure où les listes des ménages ont été établies indépendamment des listes existantes auprès du responsable d’îlot qui ne comprennent, quand elles sont bien tenues, que les personnes ayant fait une démarche pour régulariser leur situation administrative en ville.
- 5 La méthodologie de cette enquête est identique à celle mise en œuvre pour l’enquête sur les mobilit (...)
11Un programme informatique spécifique a été élaboré par un spécialiste de l’INSEE pour d’une part tirer les îlots sur la liste des îlots de chaque ville simplement à partir du nombre d’îlots par phuong/xa, d’autre part les ménages sur la liste des ménages établie lors de la première étape dans les îlots sélectionnés, à partir du nombre de ménages par îlot5.
- 6 Le questionnaire complet est téléchargeable sur le site de l’UMR 201 : http://umr-developpementsoci (...)
12L’enquête ménage a été réalisée en juin‑juillet 2007 dans les deux villes. Finalement, l’échantillon comprend 1 000 ménages avec 3 983 individus à Hanoi, 1 500 ménages avec 6 592 individus à Hô Chi Minh Ville. Un volet du questionnaire a porté sur les problèmes d’environnement : connaissance de la notion d’environnement, caractéristiques objectives de l’environnement immédiat du ménage et de l’environnement du quartier, perception de la situation de dégradation de l’environnement6.
13Si l’on examine le protocole d’échantillonnage et d’enquête qui a été déployé, on voit que l’échantillon de personnes répondant à ces questions sur l’environnement ne constitue pas un échantillon aléatoire de la population adulte des villes considérées, puisque les répondants sont, dans 94,8 % des cas, l’une des personnes positionnées au premier ou deuxième rang de la liste des membres dressée pour chaque ménage de l’échantillon. C’est pourquoi certaines catégories de personnes, telles que les personnes malades, déficientes ou bien occupant des rangs secondaires dans les ménages, n’ont que très rarement été répondants de l’enquête, se trouvant par conséquent sous-représentés dans l’échantillon et dans les résultats des analyses, au contraire des hommes et des femmes d’âge adulte ayant statut de “chef de ménage”, de “conjoint(e) de chef de ménage”. Cependant, un tel biais d’échantillonnage s’exerce à l’échelle infra‑groupe. Il n’affecte pas la représentation des groupes sociaux ni des groupes professionnels et n’empêche pas la participation à l’échantillon de tous les groupes d’âges adultes, extrema exclus (quasi-absence de très vieilles personnes).
14L’unité statistique considérée ici est le « répondant » (la personne répondant au questionnaire), c’est-à-dire un adulte (très généralement le chef de ménage ou bien son conjoint) qui était l’interlocuteur de l’enquêteur au moment du passage de ce dernier. Parmi les variables qui sont traitées ici, certaines sont relatives à la personne répondante, ce sont par exemple : le sexe, l’âge, le revenu salarié, le niveau d’éducation et tout ce qui décrit le niveau de connaissance et la perception de l’environnement. Mais d’autres variables sont relatives à des objets plus larges qui entourent la personne répondante : son ménage, son habitation dans son ensemble, ou encore son quartier. Par exemple, des informations ont été collectées sur les biens durables du ménage de la personne, d’autres sont relatives à l’équipement de l’habitat, d’autres encore aux caractéristiques environnementales du quartier. Cependant, dans tous les cas, les variables sont considérées comme descripteurs de la personne répondante – c’est-à-dire d’un seul individu par ménage enquêté – et ce sont les caractéristiques de cette personne, de son ménage, de son habitat et de son environnement qui font l’objet des analyses.
15Un pré-filtrage pour éliminer les ménages résidant dans un arrondissement rural a été réalisé ce qui a conduit à réduire l’échantillon analysé à 802 ménages pour Hanoi et 1 318 ménages pour Hô Chi Minh Ville, soit 2 120 ménages au total.
16Dans le cadre d’une démarche d’exploration descriptive du corpus de données, une analyse a été faite sur un jeu limité de variables descriptives (Tabl. 1), considérées comme pertinentes pour procurer un aperçu des principales tendances structurant l’ensemble des ménages. La méthode utilisée est l’Analyse des Correspondances Multiples ACM [Lebart et al. 2006]. Avant soumission à cette analyse, l’ensemble du lot de données a été divisé en deux sous-lots : les 1 293 ménages non-migrants d’une part, et les 827 ménages migrants d’autre part. Cette option est destinée à faciliter l’interprétation des plans factoriels obtenus pour chacun des sous-lots (Fig. 1 & Fig. 2).
Tableau 1 – Liste des variables utilisées pour les analyses factorielles ACM
17Il est difficile de traiter les réponses libres formulées par le répondant face à des questions générales portant sur la conscience ou la connaissance de l’environnement. L’approche choisie a donc été de construire des indices synthétiques (ou indices composites) représentant de telles dimensions à partir des réponses binaires apportées à des questions plus élémentaires. Pour cette construction, nous avons utilisé différents sous-ensembles de réponses tirées du questionnaire, ces réponses pouvant être tantôt des réponses à choix binaire, tantôt des réponses sur des échelles qualitatives ordonnées. Par exemple, pour construire un ‘indice de connaissance et conscience par rapport à l'environnement’, nous avons interrogé les répondants sur la signification de 20 notions en regard du concept d’environnement et nous avons aussi posé une question sur leur degré de préoccupation personnelle par rapport à ce thème.
18Chaque indice composite a ainsi été calculé par addition de valeurs 1 ou 0 appliquées aux modalités des réponses obtenues. Les indices synthétiques produits sont au nombre de quatre :
-
Indice de connaissance et conscience par rapport à l'environnement (IEK pour ‘Index of Environmental Knowledge’)
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Indice de perception de la dégradation de l'environnement (IPED pour ‘Index of Perception of the Environment Degradation’)
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Indice de mauvaises conditions environnementales d'habitation (IBHEC pour ‘Index of Bad Housing Environmental Conditions’)
-
Indice de mauvaises conditions environnementales de quartier (IBSEC pour ‘Index of Bad Surroundings Environmental Conditions’)
19Ces quatre indices se présentent sous forme de scores quantitatifs qui vont jouer, tour à tour, le rôle de variable dépendante pour les analyses menées à l’aide du modèle linéaire. Des corrélations de Pearson entre les indices composites ont été calculées et testées, dans tous les cas où cela pouvait faire sens. Des comparaisons de moyennes d’indices en regard des deux modalités de la variable ville (Hanoi vs Hô Chi Minh Ville) ont également été effectuées.
20Chacun des quatre indices composites (IBHEC, IBSEC, IEK, IPED) a ensuite fait l’objet d’une analyse par modèle linéaire. Pour les deux indices de conditions environnementales objectives (IBHEC et IBSEC), neuf variables sont utilisées (V1 à V9, cf. tableau 2) alors que pour les indices de connaissance de l’environnement et de perception de dégradation l’environnement (IEK et IPED), la totalité des 15 variables sont utilisées, incluant les variables V10 à V15 qui décrivent la présence d’éléments de l’environnement à proximité de la résidence du répondant (tableau 2).
21Précisons qu’aucune variable prise en compte dans la construction d’un indice composite n’est réutilisée comme facteur explicatif du même indice, ce qui prévient tout risque d’effet de circularité dans l’interprétation des résultats.
22Pour chaque série d’analyse, le score d’indice composite (c’est‑à‑dire la variable dépendante Y) est traité comme une variable quantitative alors que les modalités des variables V1, ..., Vn. sont considérées comme des facteurs qualitatifs. Les coefficients du modèle Y = f(V1, V2, … ,Vn) sont estimés à l’aide de la procédure de régression linéaire sur variables qualitatives du logiciel SPSS©. Seuls les effets significatifs au seuil de 5 % (p < 0,05) sont retenus et commentés. La valeur du coefficient n’est utilisée que pour repérer l’orientation de l’effet (positif ou négatif) sur l’évolution de l’indice.
Tableau 2 – Variables et modalités utilisées comme facteurs explicatifs dans les analyses par modèle linéaire
N°
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Nom de la variable
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Modalités considérées
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V1
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Genre
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Homme ; Femme
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V2
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Groupe d’âge
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Moins de 35 ans ; 36 à 45 ; 46 à 59 ; 60 ans et plus
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V3
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Migrant
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Installé depuis moins de … ans ; Installé depuis plus de …. ans
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V4
|
Niveau d’éducation scolaire
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0-4 ans de scolarité ; 5 à 9 ans de scolarité ; 9 à 11 ans de scolarité ; 12 ans et plus (études supérieures)
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V5
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Niveau de qualification professionnelle
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Non qualifié ; Technicien ; Hautes études
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V6
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Activité
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Actif ; Non actif
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V7
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Niveau de richesse*
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Pauvre ; Moyen ; Riche
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V8
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Localisation dans
l’agglomération
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Dans le Centre ; En périphérie
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V9
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Ville
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Hanoi ; Hô Chi Minh Ville
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V10
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Proximité usine
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Oui ; Non
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V11
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Proximité dépôts d’ordure
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Oui ; Non
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V12
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Proximité d’une grande voie ferroviaire
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Oui ; Non
|
V13
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Proximité étang ou rivière
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Oui ; Non
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V14
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Proximité champ ou bois
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Oui ; Non
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V15
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Proximité parc aménagé
|
Oui ; Non
|
* Le niveau de richesse est lui-même un indice semi-quantitatif composite créé à partir de plusieurs réponses sur des éléments objectifs correspondants à l’équipement du ménage (Gubry et al., 2008).
23L’analyse des correspondances multiples (ACM) réalisée sur le groupe « non-migrants » (voir Fig. 1 montrant la projection des variables dans le plan F1‑F2) fait apparaître un système d’axe F1‑F2 très équilibré (respectivement 31,65 et 31,38 % de l’inertie totale). Ce plan F1‑F2 est compliqué à analyser puisque les deux axes F1 et F2 semblent participer conjointement à la définition de la dimension richesse-pauvreté, celle-ci s’étirant selon une diagonale Sud‑ouest vers Nord‑est. Les modalités indicatrices de pauvreté se retrouvent bien (pas de WC, cuisine avec combustible traditionnel, pas d’égout, inondations), mais il apparaît aussi la modalité ‘non-propriétaire’ qui semble venir s’associer dans le cas présent à la pauvreté, ce qui peut se comprendre puisqu’on considère ici des personnes installées depuis 5 ans ou plus.
24Perpendiculairement à cette première diagonale, il reste à analyser le nuage s’étirant du cadran Nord-ouest (supérieur gauche) vers le Sud-est (inférieur droit). Il semble que cet axe soit lié à la sensibilité et à une certaine insatisfaction par rapport à l’environnement, avec une accentuation sur les composantes peu tangibles de l’environnement (air, bruit, insécurité). On observe une forte association des villes à ce second axe, les gens de Hanoi étant plus sensibles et moins satisfaits de leur environnement que ceux de HCMV.
25L’analyse des correspondances multiples (ACM) réalisée spécifiquement sur le groupe « migrants » (Fig. 2) fait apparaître un premier axe F1 très fort (52,8 % de l’inertie) qui représente très nettement la dimension richesse-pauvreté, avec la richesse sortant au pôle Ouest ou gauche (sur la figure présentée) et la pauvreté à droite. Certaines variables, comme le fait de déclarer « avoir migré pour des raisons (entre autres) d’environnement » et le fait de déclarer que l’on a « pu trouver un environnement effectivement meilleur grâce à la migration », sont très spécifiques de la richesse. Au contraire, le fait de cuisiner avec un combustible traditionnel, de subir des inondations, d’être dépourvu de robinet (eau courante) dans la maison, d’avoir migré en provenance de la province, et plus encore, de ne pas avoir un logement avec évacuation vers l’égout et avec WC, sont très étroitement associés à l’autre extrémité (droite) de l’axe, c’est-à-dire à la pauvreté.
26Le second axe (vertical F2) ne représente que 12,9 % d’inertie, et son interprétation est plus difficile : il semble opposer (vers le haut) des personnes qui, plutôt âgées et ayant un niveau scolaire faible, éprouvent une certaine indifférence vis‑à‑vis des problèmes environnementaux, à des personnes (vers le bas) dotées de niveaux d’éducation plus élevés, qui sont plus jeunes et pas encore propriétaires et qui expriment une forte insatisfaction par rapport à des aspects peu tangibles de l’environnement tels que le bruit, l’insécurité et la qualité de l’air, sans nécessairement résider dans des conditions objectivement difficiles si l’on considère leur accès à l’eau ou aux équipements sanitaires.
27Il est à noter que les modalités de la variable supplémentaire « City » (HCMV et Hanoi) sont assez bien séparées par ce second axe : HCMV apparaissant plutôt du côté de « l’indifférence par rapport à l’environnement » et Hanoi du côté de « l’insatisfaction ».
28L’analyse par le modèle linéaire montre qu’un faible niveau d’éducation, un état de pauvreté ainsi que, dans une moindre mesure, un âge élevé du répondant (≥ 60 ans) et une localisation dans la partie périphérique de la ville, sont des facteurs qui sont associés de manière significative à une situation « mauvaise » concernant l’environnement immédiat et la qualité d’habitation. Un niveau professionnel élevé chez le répondant constitue au contraire un facteur qui est associé à de meilleures conditions environnementales d’habitation. Enfin, il existe un effet significatif « Hô Chi Minh Ville » vs « Hanoi », qui montre que, de façon globale, l’habitation est de moins bonne qualité à Hô Chi Minh Ville.
29L’analyse par le modèle linéaire (Tabl. 3) montre que le fait d’être actif, d’avoir un niveau d’éducation élevé (plus de 12 années de scolarisation), d’être assez jeune (35‑44 ans), de résider dans la partie centrale de la ville et enfin d’être migrant (installé depuis moins de 5 ans et demi sur son lieu actuel de résidence) sont des facteurs qui sont associés à de bonnes conditions d’environnement de quartier. Globalement, le fait d’être résident à Hô Chi Minh Ville (vs Hanoi) est également associé à de meilleures conditions objectives d’environnement de quartier.
Figure 1 : Analyse factorielle ACM sur les 1293 ménages « non migrants » des 2 villes, sur un jeu de 15 variables représentant 34 modalités (cf. Tabl. 1)
Figure 2 : Analyse factorielle ACM sur les 827 ménages « migrants » des 2 villes, sur un jeu de 19 variables représentant 42 modalités (cf. Tabl. 1)
Tableau 3 : Résultats de trois analyses par modèle linéaire concernant l’indice IBSEC de mauvaises conditions environnementales de quartier.
30Le facteur qui apparaît le plus fortement associé à de fortes valeurs d’IEK (indice de connaissance et de conscience par rapport à l’environnement) est le niveau d’éducation. Sur l’ensemble de l’échantillon, cet effet positif du niveau d’éducation apparaît pour toutes les modalités correspondant à « 5‑9 ans de scolarisation » ; il va croissant avec les niveaux supérieurs d’éducation (« 9‑11 ans » et « 12 ans et + » de scolarisation).
31Mais l’analyse distinguant les deux villes montre que cette relation est surtout marquée à Hô Chi Minh Ville alors qu’elle est moins bien détectée à Hanoi. Dans cette dernière ville, l’impact positif du niveau d’éducation sur l’indice IEK n’apparaît que pour le niveau de scolarité le plus élevé (« 12 ans et + »). On peut relier cela au fait que l’IEK est, de façon générale, plus élevé à Hanoi, avec de moindres contrastes entre les groupes sociaux.
32Réciproquement, le modèle identifie des modalités de facteurs qui sont associées à de faibles valeurs de l’indice IEK. Il s’agit en premier lieu de l’état de « pauvreté » (une modalité de la variable « niveau de richesse »), qui est associé à un faible IEK, ce qui apparaît distinctement à Hanoi et de façon encore plus nette à Hô Chi Minh Ville. Enfin, on notera que le fait de déclarer l’environnement de quartier comme étant « sans élément particulier » est associé dans les deux villes à un faible IEK, mais il pourrait s’agir dans ce cas d’une simple confirmation de la faible capacité de la personne à se représenter la notion d’environnement.
33L’indice IPED est particulièrement intéressant lorsqu’on l’analyse en creux, c'est-à-dire dans le sens des anomalies négatives qui correspondent à un faible ressenti de la dégradation environnementale. En adoptant ce point de vue, on remarque que trois types de facteurs contribuent à ce faible ressenti :
-
Les facteurs de l’environnement eux-mêmes, particulièrement ceux relatifs à l’environnement de quartier et des environs lorsqu’ils décrivent une absence de nuisance (pas d’usine, pas de grande route ou voie ferrée, pas de dépôt d’ordures proche du lieu de résidence) ou au contraire la présence d’éléments de qualité environnementale (bois, champs, parc aménagés).
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Le fait de résider à Hô Chi Minh Ville plutôt qu’à Hanoi diminue la sensibilité à l’environnement. Ce facteur de localité reste toujours significatif même lorsque les variables qui lui sont liées et qui pourraient être directement actives (niveau d’éducation par exemple) sont prises en compte par ailleurs dans le modèle. Ceci suggère qu’il existe entre les populations des deux villes une véritable différence de la relation à l’environnement, ce qui pourrait s’expliquer par leur histoire, mais aussi par des facteurs culturels (non traités dans la présente étude).
-
Le fait d’être en statut de « migrant » est un facteur qui joue significativement (p < 0,0002) en faveur d’une appréciation moins négative de l’état de dégradation de l’environnement.
34L’indice IPED (indice de perception des dégradations de l’environnement) apparaît corrélé de façon faible mais significative (r = 0,18 ; p < 0,001) à l’indice IEK (connaissance et conscience par rapport à la notion d’environnement), ce qui peut être expliqué par une condition logique de nécessité : on ne peut pas ressentir une dégradation de l’environnement si l’on n’a pas conscience et connaissance de ce qu’est l’environnement.
35Par ailleurs, l’indice IPED est fortement associé (r = 0,52 ; p < 0,001) à l’indice IBSEC sur les mauvaises conditions environnementales de quartier, ce qui tend à confirmer une part importante d’objectivité dans le ressenti de l’environnement. Au contraire, l’indice IPED ne montre pas de corrélation claire avec l’indice de mauvaises conditions environnementales d’habitat (IBHEC).
36À travers l’examen des corrélations observées entre les différents indices (notamment IPED, IBSEC et IBHEC), il apparaît que la notion d’environnement, telle que perçue par les répondants, se réfère en premier lieu à l’environnement de quartier et très peu à l’environnement de l’habitat, ce qui méritait d’être vérifié.
37En second lieu, l’étude confirme le fait majeur, déjà admis par la littérature scientifique, selon lequel la sensibilité à l’environnement est très dépendante du niveau d’éducation, et que cette sensibilité peut au contraire être fortement atténuée en cas de statut de pauvreté.
38Il est plus remarquable de constater que l’étude fait apparaître assez peu d’association entre la qualité d’environnement de quartier (valeur « en creux » de IBSEC) et les critères habituels de différenciation des classes sociales (richesse/pauvreté, niveau d’emploi, niveau de scolarisation), si l’on excepte le cas du niveau d’étude le plus élevé qui montre effectivement un évitement des mauvaises conditions environnementales de quartier. Ceci tend à montrer que la ségrégation sociale spatiale sur la base des facteurs de qualité d’environnement de quartier ne constituerait pas une situation déjà installée dans les deux grandes métropoles du Viêt-nam, mais que ce serait plutôt un phénomène en cours d’émergence. En effet, certains résultats montrent, notamment à Hô Chi Minh Ville, une association entre la condition de « migrant », c’est-à-dire de résident récemment installé, et le fait de disposer d’une bonne qualité d’environnement de quartier. Ceci est corroboré par le fait que les personnes de statut « migrant » ont en moyenne un avis plus favorable sur l’état de leur environnement (p < 0,0002). Or cela ne peut pas être expliqué par une moindre sensibilité à la question environnementale puisque les migrants ont un indice de conscience de l’environnement qui est comparable à celui des non-migrants.
39Le fait que les migrants jouissent d’un environnement plutôt meilleur pourrait sembler paradoxal à première vue, mais cela s’explique si l’on tient compte de la signification du terme de « migrant » dans le jeu de données. Les migrants dont il est question ici représentent en quelque sorte une population « sélectionnée » dans la mesure où il s’agit de personnes ayant changé de résidence selon les définitions internationales utilisées au Viêt-nam (séjour de plus de 6 mois sur place ou souhait de rester pour plus de 6 mois) ; il s’agit des migrants du secteur formel (excluant donc ceux qui font partie de la « population flottante »), ainsi que des anciens étudiants restés en ville après leurs études, des conjoints de résidents en ville ayant migré depuis la campagne… toutes catégories dont il y a tout lieu de penser qu’elles sont en moyenne plus aisées que le reste de la population urbaine. Il existe d’ailleurs, sur l’ensemble des données de l’enquête, une association positive, certes ténue en intensité (phi = 0,087) mais significative (p < 0,001) du fait du nombre de données, entre le statut de migrant et le niveau de richesse.
40Comme d’autres résultats montrent l’existence, dans les deux villes, d’une tendance à l’évitement des quartiers à mauvaise qualité environnementale chez les répondants assez jeunes (35‑44 ans) et/ou ayant un niveau d’étude élevé, on peut conclure qu’un processus de mobilité résidentielle sensible aux critères environnementaux, conformément au modèle de Brown et Moore (1970), est effectivement en train de se dessiner dans les villes du Viêt‑nam.