1Les petites villes connaissent actuellement un regain d’intérêt tant sur les plans médiatiques, politiques et scientifiques. Depuis 2018, les crises sociale et sanitaire qui se sont succédé semblent avoir mis en lumière cette catégorie de l’organisation territoriale qualifiée auparavant de ville secondaire voire de tiers espace [Vanier 2000]. Bien que la crise sanitaire ait fait apparaître la petite ville comme une alternative à l’hyperurbanisation, la crise sociale en a aussi souligné les limites. Finalement, cette image paradoxale de la petite ville, entre ville providence [Fleury 2021] et oubliée de la République [Estèbe 2018], a ravivé les débats sur sa place dans l’armature urbaine [Fol 2020]. Ce contexte laisse l’opportunité aux géographes d’objectiver la question de l’exode urbain (cf. l’étude « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles », lancée en 2021) et plus largement de renouveler les connaissances scientifiques sur les petites villes. Quant aux décideurs publics, la mise en lumière des petites villes les invite à définir des politiques publiques adaptées à leurs spécificités. Néanmoins, l’action politique et la recherche ne partagent pas les mêmes temporalités. La recherche se construit sur un temps long, alors que l’action politique semble répondre de plus en plus aux injonctions de l’immédiateté [Bouquet 2011]. Ainsi la concordance entre ces deux sphères paraît difficile à mettre en œuvre alors que cela contribuerait à enrichir le renouvellement des programmes d’actions publiques. D’ailleurs, des chercheurs remarquent que certaines politiques publiques éprouvées dans les grandes villes se retrouvent dupliquées à l’échelle des petites villes [Edouard 2014]. Nous pouvons citer l’exemple du programme d’action publique « Petites Villes de Demain », présenté comme la déclinaison avouée du programme Action Cœur de Ville à destination des villes moyennes. Ce constat interroge plus largement la question du modèle urbain néolibéral [Pinson 2020] et notamment celle du standard métropolitain basé sur la compétitivité, l’attractivité, la métropolisation et l’excellence [Bouba-Olga & Grossetti 2015, 2018]. Ce référentiel entrepreneurial se décline dans les politiques d’aménagement urbain, conduites par les élus locaux sur leur territoire alors qu’il n’est pas forcément transposable dans toutes les situations [Fol 2020]. En ce sens, la petite ville semble alors envisagée par les élus locaux comme une « mini-métropole », c’est-à-dire comme un espace de reproduction potentielle du modèle de la métropole à plus petite échelle.
2Dans un contexte de renouvellement des politiques publiques à destination des petites villes, nous nous interrogeons sur la capacité des acteurs des petites villes à proposer une alternative à ce modèle métropolitain. Leur est-il possible d’échapper aux référentiels urbains de la compétitivité et de l’attractivité ? Si les décideurs publics rencontrent des difficultés à appréhender autrement l’espace urbain, l’usager peut-il jouer un rôle dans ces transitions ? Ainsi, la méthode ascendante de la fabrique urbaine partant du territoire cible incarné par l’usager vers les politiques publiques serait-elle plus adaptée que la méthode descendante appliquée actuellement, partant des politiques publiques vers le territoire cible ? Nous émettons l’hypothèse que le modèle actuel appliqué aux petites villes correspond à un modèle entrepreneurial et que la place de l’usager dans la définition du projet urbain pourrait favoriser une fabrique urbaine adaptée aux besoins locaux. Nous avons expérimenté ce questionnement à l’échelle de la rénovation des centres-villes de quatre petites villes, Coutras (33), Loudun (86), Saint-Jean-d’Angély (17) et Saint-Jean-de-Liversay (17), situées dans la région Nouvelle-Aquitaine. Dans une première partie, nous mettrons en perspective la littérature scientifique existante qui défend l’idée d’un modèle métropolitain dominant dans les politiques publiques. Nous vérifierons dans quelle mesure le mythe CAME peut apparaitre dans les politiques publiques visant les petites villes et dans une autre mesure, le modèle fantasmé de la mini-métropole peut émerger. Dans une deuxième partie nous interrogerons ce modèle à travers le prisme de l’expression des usagers. Les résultats de ce travail empirique conduiront à explorer la capacité des populations à être source d’innovation sociale en sortant des sentiers classiques de la rénovation des centres.
3Les politiques publiques territoriales ont pour objectif de soutenir la croissance économique des territoires en renforçant leur attractivité et leur compétitivité. Ce parti pris entrepreneurial de l’aménagement des territoires repose sur l’idée que les villes doivent atteindre une taille critique pour rivaliser à l’échelle mondiale. Ainsi, la discrimination par la taille des politiques publiques a souvent été reprochée par certains chercheurs puisque, à l’évidence, aider les territoires les plus attractifs participe aussi à accroître les écarts avec ceux qui sont en difficulté et qui ne sont pas soutenus identiquement. Cela illustre le principe de « l’arrosage là où c’est déjà mouillé » [Reigner 2021], dont l’une des justifications repose sur les effets d’un ruissellement attendu au bénéfice des autres territoires. Les crises sociales et sanitaires semblent remettre en question ce principe a priori vertueux et ont fait apparaître la face sombre des métropoles au point, pour certains, de les désigner comme inhospitalières [Brugère 2021] ou même barbares [Faburel 2019]. Les petites villes et les territoires moins denses tirent parti involontairement de ce revirement, ravivant l’intérêt pour ces « objets réels non identifiés » [Brunet 1997]. Dans ce contexte, et sans attendre les analyses et résultats des travaux scientifiques, des décideurs publics se sont emparés de ces nouveaux enjeux en orientant instantanément leurs politiques de soutien vers ces territoires apparaissant soudainement plus désirables.
4À cette fin, cette première partie sera l’occasion d’interroger les politiques publiques sur leur capacité à renouveler leur modèle de développement urbain. En l’occurrence, nous prendrons l’exemple des petites villes et du renouveau des politiques publiques en leur faveur. Il s’agira, à partir de la grille d’analyse CAME, de situer ces politiques publiques et de déterminer leur capacité à produire une contre-proposition territoriale [Grondeau 2022].
5La petite ville et plus largement les espaces peu denses apparaissent actuellement comme une alternative à l’hyperurbanisation. Cependant, relancée par l’intérêt grandissant porté à ces catégories urbaines, leur place dans l’armature territoriale française fait débat [Fol 2020]. En effet, la catégorie « petite ville » ne fait pas consensus dans la recherche en géographie. Selon certains travaux, elle peut être définie par le nombre d’habitants [Laborie 1979, Edouard 2008, Taulelle, 2010], par ses équipements [Jousseaume & Talandier 2016] ou par sa situation géographique [Mainet 2008]. Par exemple, Hélène Mainet distingue les petites villes intégrées comprenant les petites villes de banlieue et les petites villes périurbaines, des petites villes isolées [Mainet 2008]. Cependant, ces approches présentent des limites puisqu’elles renseignent peu, finalement, sur leurs spécificités territoriales et leurs réalités sociales [Lussault 2021]. D’ailleurs, la connaissance limitée des petites villes semble freiner l’émergence de politiques publiques adaptées. Cela entretient une représentation schizophrénique de la petite ville [Taulelle 2010] partagée entre un imaginaire positif construit autour de la qualité de vie et un imaginaire négatif en partie cristallisé autour de la désindustrialisation. Cet état de tension cognitif [Allmang 2013] renforce, en quelque sorte, la place que l’on accorde au récit métropolitain s’appuyant sur des critères économiques mesurables et rassurants [Bouba-Olga & Michel Grossetti 2015, 2018]. Pourtant l’intérêt nouveau des politiques publiques pour les petites villes n’est-il pas propice à l’émergence d’un autre « idéal » urbain ?
6Le développement urbain repose sur une vision économique de l’aménagement de l’espace. Ce modèle de développement a pu s’imposer grâce à ses principes potentiellement reproductibles puisque mesurables quantitativement. Desjardins et Estèbe font le constat que les stratégies d’aménagement territorial des villes petites et moyennes « s’appuient sur une stratégie de marché » visant, par exemple, une plus grande densité pour le maintien des services publics [Desjardins & Estèbe 2019].
7De leur côté, les chercheurs Bouba-Olga et Grossetti ont déterminé quatre dimensions principales du capitalisme urbain : la compétitivité, l’attractivité, la métropolisation et l’excellence, détaillées dans le tableau ci-dessous. Bien que leurs travaux de recherche interpellent sur les limites de ce modèle et l’analyse alternative possible (Tableau 1), il semble encore se reproduire dans les politiques publiques visant les territoires non métropolitains.
8Nous retrouvons sa déclinaison à travers plusieurs exemples de politiques publiques élaborées à l’origine pour des grandes et moyennes villes. Tout d’abord, nous pouvons citer les pôles de compétitivité lancés en 2004 qui donneront naissance aux pôles d’excellence rurale fin 2005. Les mêmes objectifs sont poursuivis. Ils reposent sur deux piliers indissociables : le développement de projets économiques innovants et ceux favorisant la création d’emplois. Précédemment, la DATAR, en partenariat avec la Caisse des Dépôts et Consignations, avait lancé un appel à projet « petite ville en espace rural » soutenant l’ingénierie territoriale dans un but de développement économique pour favoriser l’attractivité territoriale. En l’occurrence, le maire de Villerouge-Termenès, bénéficiaire du dispositif, en souligna les limites en s’interrogeant sur « Comment rompre avec les poncifs de l’action économique locale ? ». Son retour sur expériences remet en cause le modèle CAME que les politiques publiques tendent à appliquer sur tous les territoires sans tenir compte de leurs spécificités : « C’est le paradoxe de cet élu, soit il réalise qu’il n’y a pas d’économie sur son territoire, soit il réalise que l’économie de son territoire n’est pas celle que l’on connaît traditionnellement. Ainsi agir sur l’économie au plus près des territoires est peut-être avant tout conforter, aider à développer l’économie réellement présente. L’installation d’un centre de formation, d’une entreprise d’insertion, sur le canton de Mouthoumet, dans l’Aude, a nettement plus d’impacts directs et indirects que la poursuite d’un chimérique pôle d’excellence rurale. » [Andrieux 2005].
Tableau 1 – Quelle alternative à la CAME ?
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Analyse CAME
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Analyse alternative
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Dimension
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Proposition
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Préconisation
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Proposition
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Préconisation
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Compétitivité
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L’approfondissement de la mondialisation conduit à un accroissement de la concurrence territoriale
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Il convient de soutenir les territoires les plus performants pour assurer la création de richesses et d’emplois
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Les territoires sont traversés par des processus socio-économiques, ils participent à des systèmes multi-échelles
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Il convient d’entrer par les processus, d’identifier les interdépendances et de favoriser les démarches coopératives aux échelles pertinentes (réponses multi-acteurs et multi-échelles le plus souvent)
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Attractivité
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Pour assurer la compétitivité des territoires, l’enjeu est d’attirer les talents, les créatifs, les startups
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Il convient de développer les soft factors qui les attirent, de favoriser la mobilité vers ces territoires, éventuellement en l’accompagnant d’incitations financières
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La mobilité des personnes et des entreprises est largement surestimée, et lorsqu’on l’observe, elle s’explique par des logiques familiales, des relations sociales ou relevant des structures des marchés du travail
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Les politiques d’attractivité s’apparentent à une course aux armements, il convient d’investir dans les services utiles à l’ensemble de la population présente, de développer des politiques d’accueil des migrants, qualifiés ou non, sans se limiter aux plus reconnus
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Métropolisation
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Les territoires les plus compétitifs et les plus attractifs sont désormais les métropoles, les politiques d’aménagement de l’ensemble des territoires ne sont ni pertinentes, ni soutenables
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Il convient de soutenir les métropoles, les autres territoires devant s’inscrire en complémentarité ou être dédommagés grâce au surplus de richesses créées (« théorie » du ruissellement)
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L’avantage métropolitain n’est pas avéré, on observe une diversité de dynamiques sans lien significatif avec la taille ou la densité des territoires
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La focalisation sur les métropoles peut accentuer les processus de ségrégation socio-spatiale, il convient de soutenir les opportunités de création de richesses qui existent sur de nombreux territoires
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Excellence
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L’économie est dominée par des logiques selon lesquelles winners take all et les leaders créent les activités et les emplois
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Il convient de focaliser les investissements sur les personnes, les entreprises, les territoires excellents et d’éviter le saupoudrage
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« L’excellence » est par nature non anticipable et les personnes ou organisations repérées comme « excellentes » par divers indicateurs sont la partie la plus visible d’un travail collectif. Focaliser sur les talents d’hier ne dit rien des talents de demain, couper une « élite » de sa « base » c’est la conduire à s’étioler
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Il convient de soutenir la diversité des initiatives pour alimenter le jeu (inévitable) d’essais/erreurs et qu’émergent les projets qui se révèleront les plus pertinents pour l’avenir
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Source : Olivier Bouba-Olga & Michel Grossetti, 2018
9Cependant, ce modus operandi présenterait des signes de faiblesse. En effet, depuis 2017 avec la création du ministère de la Cohésion des territoires, les politiques publiques semblent être orientées vers des dispositifs de soutien à l’aménagement « adaptables » à chaque configuration territoriale, qualifiées de « cousues main ». Aussi, les discours politiques marquent une rupture dans l’approche du développement territorial des territoires peu denses : « Il y a une idée que je combats, l’innovation serait dans les villes et les métropoles, non elle est sur tous les territoires, l’innovation est partout aussi bien dans la ruralité profonde et proche de l’urbanité d’une métropole ou d’une grande ville. » (Discours de la ministre Jacqueline Gourault lors du congrès des maires de France, le 20/11/2019). Enfin, issue du Grand Débat National du début 2019 en réponse aux mouvements des gilets jaunes, la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, réaffirme l’ambition de différencier l’action publique en fonction des spécificités territoriales.
10Le discours politique semble opérer un changement dans les derniers dispositifs de rénovation urbaine des petites et moyennes villes. Bien que le programme « Petites Villes de Demain » (PVD) soit la déclinaison assumée du « Plan Action cœur de Ville » appliqué à 222 villes moyennes en France, nous relevons un changement dans le choix des termes utilisés pour présenter les objectifs de ce programme. Les éléments de discours marquent une rupture, comme en témoigne la page internet principale : « Améliorer la qualité de vie dans les petites centralités et les territoires ruraux alentours, par des trajectoires dynamiques et engagées dans la transition écologique ». En effet, la « qualité de vie » est un indicateur qui peut être à la fois mesurable quantitativement et qualitativement. De plus la « transition écologique » fait écho au développement durable. Enfin, les « trajectoires dynamiques » ne visent pas spécifiquement l’économie, ce qui laisse la place à d’autres formes d’activités qui peuvent être classées comme dynamiques. Ainsi, il semble que l’alternative proposée par Bouba-Olga et Grossetti puisse trouver ancrage dans ce dispositif.
11Néanmoins, la volonté de faire autrement semble s’arrêter aux grands principes. En effet, l’accès au dispositif PVD repose sur la mise en compétition des territoires via les appels à projet, illustrant une forme de gouvernementalité néolibérale. En l’occurrence, les villes éligibles sont sélectionnées selon leur centralité et leur pouvoir d’attraction. Cette centralité est caractérisée par des critères exclusivement quantitatifs permettant d’opérer une hiérarchisation territoriale à partir de critères homogènes. Dans cette logique, les petites villes qui ne sont pas qualifiées de « centralité » à l’aune de cette méthode ne pourront candidater au dispositif. De plus, sélectionner les villes à partir du critère de la centralité induit une mise en concurrence des territoires. À l’échelle d’une intercommunalité, cela se traduit par la course aux équipements des municipalités, étant donné que la méthode s’appuie sur la base permanente des équipements de l’INSEE. Cette situation peut générer des déséquilibres entre les besoins réels de la population et le nombre et la diversité des équipements. En ce sens, les politiques publiques de soutien aux petites villes dont l’éligibilité s’appuie sur des critères quantitatifs mesurant l’attractivité territoriale entretiennent la mise en compétition des petites villes et in fine la poursuite du mythe de la mini métropole.
12D’ailleurs, si l’on observe les dispositifs de soutien à l’échelle des centres-villes des petites villes, nous observons que le capitalisme urbain reste persistant dans la revitalisation des centres-villes des petites villes [Grondeau 2022].
13L’altermétropolisation suggère qu’il existe des alternatives à la fabrique urbaine basée sur la compétitivité et l’attractivité. Selon Grondeau, l’altermétropolisation consiste à « produire le territoire différemment et à différentes échelles » [Grondeau 2022]. L’auteur souligne que cette nouvelle voie est rendue possible notamment par la participation citoyenne, laquelle selon lui est un des moteurs de l’innovation sociale et urbaine. De son côté, Bourdin qualifie la participation citoyenne d’expertise d’usage. Pour lui, les usagers peuvent jouer le rôle de « tiers expert » dans la mesure où ils participent à la définition du projet de transformation de l’espace conjointement aux côtés des élus et des techniciens urbanistes [Bourdin 2019]. Il n’est pas sans rappeler que dès 1998, la nouvelle charte d’Athènes a intégré « une approche de l’urbanisme centrée sur le citoyen, exprimant les besoins fondamentaux de l’homme pour la vie en ville » (Nouvelle charte d’Athènes, 1998). La mise en pratique de la participation citoyenne dans la fabrique urbaine, à l’échelle locale, semble moins évidente. Elle s’est institutionnalisée au fur et à mesure pour lui donner un cadre et un caractère impératif afin d’obliger les élus à partager le projet urbain (Code de l’urbanisme, art. L103-2). Néanmoins, la participation citoyenne se retrouve la plus souvent réduite à une simple consultation citoyenne pouvant prendre la forme de réunions publiques ou d’enquêtes publiques. De plus, la participation citoyenne n’est pas toujours représentative des habitants et interroge sur la prise en compte de la diversité des publics éloignés [Scognamiglio & Carrel 2022].
14Malgré certaines limites, la participation citoyenne est encouragée dans les programmes d’action publique aux échelles nationale et régionale (Petites Villes de Demain, appel à manifestation d’intérêt centre-bourg…). Cela oblige les élus locaux à réserver aux habitants des espaces de discussion et de réflexion. Cette nouvelle donne dans les politiques publiques d’aménagement apporte une reconnaissance à l’expertise d’usage et à ses apports potentiels.
15Dans cette perspective, la deuxième partie de notre démonstration sera l’occasion d’explorer la capacité des populations à renverser l’ordre établi et à être force de « contre-proposition territoriale » [Grondeau 2022].
16L’étude de la rénovation des centres-villes des petites villes est l’opportunité d’interroger l’existence ou non d’un modèle urbain entrepreneurial. Nous confronterons ces premiers résultats avec les apports de la participation habitante que nous avons questionnés à l’aide d’un jeu de reconstruction spatiale. Ainsi, nous nous demanderons si les usagers peuvent être source d’une contre-proposition territoriale, permettant d’envisager la rénovation des centres-villes différemment.
17Nos recherches empiriques se concentrent sur la région Nouvelle-Aquitaine et s’appuient sur l’étude de quatre communes dont la population est inférieure à 10 000 habitants.
18Plusieurs raisons ont motivé le choix de la région Nouvelle-Aquitaine. Tout d’abord, elle présente des caractéristiques singulières en matière d’armature territoriale puisqu’elle repose sur un réseau important de communes de petite taille. En effet, 98,4 % des communes ont une population inférieure à 10 000 habitants, concentrant 65,47 % de la population néo-aquitaine (Tableau 2). De plus, la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est un des axes prioritaires de la politique contractuelle régionale (délibérations du 10/04/2017 et du 26/03/2018). Cette politique s’est traduite par la redéfinition des missions du centre de ressources régional « Pays et Quartiers Nouvelle-Aquitaine » dont une des priorités est la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. S’en est suivi le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt régional « Revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs », en avril 2019, à destination des communes centres des petits et moyens pôles urbains présentant des signes de dévitalisation résidentielle.
Tableau 2 – Répartition des communes par strate démographique en Nouvelle-Aquitaine
Strates démographiques (nombre d’habitants)
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Nombre de communes
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Répartition
en %
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Part de la population par strate démographique en %
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Inférieures ou égales à 500
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2226
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51,6 %
|
9 %
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Entre 501 et 1000
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952
|
22,1 %
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11 %
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Entre 1001 et 2000
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599
|
13,9 %
|
14 %
|
Entre 2001 et 5000
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355
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8,2 %
|
18 %
|
Entre 5001 et 10 000
|
112
|
2,6 %
|
13 %
|
Entre 10 000 et 20 000
|
35
|
0,8 %
|
8 %
|
Entre 20 000 et 30 000
|
16
|
0,4 %
|
7 %
|
Entre 30 000 et 50 000
|
9
|
0,2 %
|
5 %
|
Entre 50 000 et 70 000
|
3
|
0,1 %
|
3 %
|
Au-delà de 70000
|
6
|
0,1 %
|
12 %
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Total général
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4313
|
100,0 %
|
100 %
|
Source : Texier, d’après l’Insee, statistiques locales, référentiel géographique : France par commune, population légale 2017
19À cet effet, nous avons retenu quatre communes, lesquelles, par leurs caractéristiques, forment deux groupes homogènes. Le premier groupe comprend Loudun et Saint-Jean-d’Angély. Ces dernières sont deux villes de centralité hors influence des pôles présentant une population communale en déclin alors que la population intercommunale progresse légèrement (Tableau 3). Le deuxième groupe de villes réunit Coutras et Saint-Jean-de-Liversay. Elles sont situées respectivement dans l’aire d’attraction de Libourne et dans celle de La Rochelle. Elles sont qualifiées de « communes de la couronne » (aire d’attraction des villes, Insee, 2020), se distinguant par une forte croissance démographique (Tableau 3).
Tableau 3 – Portrait synthétique des quatre villes d’étude
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Coutras
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Loudun
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Saint-Jean-d’Angély (SJDA)
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Saint-Jean-de-Liversay (SJDL)
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Niveau de centres d’équipements et de services (ANCT, 2020)
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Niveau 2
Centre intermédiaire d’équipements et de services
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Niveau 3
Centre structurant d’équipements et de services
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Niveau 3
Centre structurant d’équipements et de services
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Niveau 1
Centre local d’équipements et de services
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Nombre d’habitants
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8 582
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6 740
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6 976
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2 891
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Dynamique démographique de la commune sur une période de 10 ans (de 2008 à 2018)
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↗ En croissance (8,6 %)
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↘ En déclin
(-5,7 %)
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↘ En déclin
(-8,5 %)
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↗ En forte croissance (+28,7 %)
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Morphologie urbaine du centre-ville
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Centre-ville rue
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Centre-ville en demi-lune, au pied de l’ancien château
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Centre-ville carré, développé à partir de l’abbaye
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Centre-bourg carrefour
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Nature de l’EPCI
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Communauté d’agglomération du libournais
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Communauté de communes du loudunais
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Communauté de communes Vals de Saintonge
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Communauté de communes Aunis Atlantique
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Dynamique démographique de l’intercommunalité sur une période de 10 ans (de 2008 à 2018)
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↗ En croissance (8 %)
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↗ En légère croissance
(+0,3 %)
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↗ En légère croissance
(+0,3 %)
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↗ En forte croissance (+22 %)
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Conception : E. Texier, d’après l’Insee, RP 2008, RP 2018
20Notre démarche empirique a été réalisée entre 2020 et 2021. Elle s’appuie sur des méthodes mixtes alliant les outils d’études qualitatives aux outils d’études quantitatives. Nous avons exploré le point de vue des acteurs publics à partir d’entretiens semi-directifs et de recherches documentaires issues des comptes-rendus municipaux et des documents de planification urbaine.
21Pour solliciter l’avis des usagers, nous avons utilisé deux méthodes complémentaires permettant de croiser les résultats. En premier lieu, nous avons diffusé une enquête par questionnaire en ligne dans chaque commune d’étude, laquelle a généré 757 retours exploitables. De plus, nous avons organisé des ateliers collectifs de reconstruction spatiale [Ramadier & al. 2017], animés dans trois communes sur les quatre étudiées (contrainte liée à la crise sanitaire). Cet atelier mobilise un plateau de jeu composé de cubes en bois et de ficelles. Il est organisé en groupe de discussion de huit personnes maximum. La consigne donnée aux participants était, dans une première phase, de reconstruire la ville collectivement (Figure 1) et, dans une deuxième phase, d’apporter des améliorations à la ville.
Figure 1 – Photos des ateliers de reconstruction spatiale (Phase n°1 : reconstruire la ville)
Source : E. Texier
- 1 Les services publics renvoient à quatre fonctions principales : l’ordre et la régulation, la protec (...)
22L’objectif scientifique était de mieux comprendre les représentations socio-cognitives de la ville et d’évaluer la place accordée au centre-ville à chaque phase du jeu. Ce jeu a permis de hiérarchiser les fonctions urbaines pour chaque échelle (ville et centre-ville) en fonction des objets urbains positionnés sur le plateau de jeu. Pour le traitement des données, les pièces de bois ont été référencées et classées en cinq catégories : les commerces/services de centre-ville (a) ; les commerces/services périphériques (b), les lieux culturels privés, patrimoniaux, de loisir, espaces naturels (c), les services publics1, infrastructures, réseaux (d) ; le logement/l’habitat (e). Nous avons classé ces cinq catégories dans les quatre fonctions urbaines principales : « les échanges » pour les commerces et services, « le récréatif » pour les lieux culturels privés, patrimoniaux, de loisir et les espaces naturels, « le politique » pour les services publics, infrastructures et transports et la fonction « habiter » qui renvoie au logement (Figure 2).
Figure 2 – Schéma des quatre fonctions urbaines du centre-ville et de leur contenu
Conception : E. Texier
23Les interactions dans le groupe ont fait émerger des propositions collectives qui pourraient être rendues opérationnelles du fait de leur cohérence.
24La présentation des résultats de l’étude se divise en deux parties. La première partie interroge la place du modèle urbain entrepreneurial dans l’action publique urbaine appliquée dans les petites villes d’étude et de leurs centres. La deuxième partie traite des résultats obtenus lors des ateliers de reconstruction spatiale et des enquêtes par questionnaire, interrogeant les pratiques et les représentations des usagers des petites villes d’étude. Nous confronterons ces deux résultats afin d’en dégager les concordances ou les écarts.
25À partir des entretiens et des ressources documentaires, il semble que les acteurs publics s’inscrivent dans le modèle urbain dominant CAME. La course à l’attractivité s’affirme notamment à l’aide d’outils marketing tels que la marque de territoire, révélant une « mise en scène du dynamisme économique de la ville » [Girardin 2020]. Saint-Jean-d’Angély et Loudun (Figure 3) sont concernées. Les objectifs annoncés de leurs marques incarnent la mise en compétition des territoires puisqu’elles ont pour objectif de renforcer l’attractivité et la différenciation territoriales : « La marque constitue le symbole de l’identité et des valeurs du territoire et s’appuie sur notre volonté d’en construire une image positive afin d’augmenter notre attractivité économique, résidentielle et touristique » (Manager de centre-ville à Loudun, 2020).
Figure 3 – Marque de territoire de la communauté de communes du pays loudunais
Source : Communauté de Communes du Pays Loudunais (CCPL)
26Aussi, les managers de centre-ville participent à la diffusion du modèle dominant s’appuyant sur certaines croyances : « J’ai un œil neuf car je suis extérieur à Loudun, je suis de Poitiers et ma ville coup de cœur est La Rochelle. Je sais à quoi ressemble un peu une ville dynamique ou du moins une ville supérieure. » (Manager de centre-ville à Loudun, 2020).
27À l’échelle du centre-ville, les acteurs publics suivent une logique entrepreneuriale en déployant un arsenal d’outils pour permettre la réintroduction de nouvelles activités économiques et le maintien des commerces existants. La ville de Coutras a récemment créé une agence publique de soutien aux commerces de proximité et à l’artisanat (ARTICOM). Trois villes sur les quatre étudiées ont recruté des managers de commerce de centre-ville et proposent des boutiques à l’essai. L’ensemble des communes étudiées ont financé des études économiques de leur territoire incluant le centre-ville.
28Les projets ou actions de revitalisation de chaque commune d’étude sont essentiellement centrés sur la fonction économique, synonyme pour les élus d’attractivité territoriale. L’implantation d’une nouvelle activité économique donne lieu d’ailleurs à une médiatisation pour apporter les preuves de réussite de cette politique entrepreneuriale (Figure 4). Cependant, nous faisons le constat que cela participe à mettre les espaces intra-urbains en compétition, en l’occurrence le centre-ville avec la périphérie.
Figure 4 – Extrait d’un post sur les réseaux sociaux diffusé sur la page du maire de Coutras en date du 10/06/2022
Source : capture d’écran, page facebook « Jérôme Cosnard », maire de Coutras, 2022
29Ainsi, cette croyance est retranscrite dans l’action publique et traduit une forme de fatalité du capitalisme urbain [Grondeau 2022] dans le sens où il semble difficile pour l’élu de sortir de ce modèle. Le capitalisme prend ancrage dans les choix politiques de développement qui attendent des retombées économiques immédiates (emplois, recettes fiscales) sans tenir compte des effets sur l’aménagement de l’espace à plus long terme (impacts sur les activités commerciales du centre-ville, artificialisation des sols…). De plus, le capitalisme urbain se manifeste dans la mise en compétition des espaces entre eux, e.g. périphérie commerciale et centre-ville. A fortiori, réduire le centre-ville à un espace marchand où la fonction économique polarise une grande partie des dispositifs publics de soutien aux dépens des autres fonctions urbaines peut être associé aux principes du capitalisme urbain. La fonction économique de la ville et la fonction économique du centre-ville en tant qu’instrument de pouvoir politique semblent alors assimilées, au même titre, au capitalisme urbain.
30Ce constat invite à réfléchir sur les possibilités de développement de nouvelles formes d’innovation à partir de la participation citoyenne. Dans le paragraphe suivant, nous souhaitons vérifier notre deuxième hypothèse qui consiste à supposer que la participation citoyenne à l’action publique urbaine permet de penser autrement les territoires.
31Les résultats des enquêtes par questionnaire et des ateliers de reconstruction spatiale ont permis de mettre en évidence une hiérarchisation des fonctions urbaines différente.
32Tout d’abord, la ville se révèle être incarnée spontanément par son ancrage historique et patrimonial et non par sa dimension économique. La première pièce posée sur le plateau de jeu, pour deux villes sur trois, représente un objet urbain à haute valeur identitaire s’appuyant sur l’existence du patrimoine bâti ancien (Tableau 4).
Tableau 4 – Résultats obtenus lors de la 1ère pièce posée sur le plateau de jeu par ville et par atelier - Atelier de reconstruction spatiale, phase 1
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Loudun
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SJDA
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SJDL
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Atelier 1
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Atelier 2
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Atelier 3
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Atelier 1
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Atelier 1
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Atelier 2
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1ère pièce posée
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Tour Carrée
« C’est l’image de la ville ! »
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Tour Carrée
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Gare
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Deux tours de l’abbatiale « Pour moi la ville c’est ça »
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Restaurant Le comptoir Toqué
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Restaurant Le comptoir Toqué
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Conception : E. Texier
33La phase de reconstruction des villes a révélé une première hiérarchisation des fonctions urbaines (Tableau 5), la fonction économique arrivant en troisième position dans les représentations socio-cognitives de la ville. À l’échelle du centre-ville, la hiérarchisation des fonctions urbaines donne une préférence à la dimension récréative, la fonction économique étant en deuxième position.
Tableau 5 – Ventilation des résultats de la phase 1 selon les fonctions urbaines
Échelle « ville »
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Échelle « centre-ville »
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Total
|
%
|
|
Total
|
%
|
Se récréer (c)
|
70
|
39 %
|
Se récréer (c)
|
40
|
49 %
|
Organiser (d)
|
67
|
37 %
|
Echanger (a et b)
|
24
|
30 %
|
Échanger (a et b)
|
41
|
23 %
|
Organiser (d)
|
17
|
21 %
|
Habiter (e)
|
1
|
1 %
|
Habiter (e)
|
0
|
0 %
|
|
179
|
100 %
|
|
81
|
100 %
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Conception : E. Texier
34La phase d’amélioration de la ville a donné lieu à des propositions concrètes de renouvellement de la ville et de son centre-ville qui reposent essentiellement sur le renforcement de la fonction « organiser » (Tableau 6). La fonction économique n’apparaît pas comme étant une priorité dans les représentations socio-cognitives des participants.
Tableau 6 – Ventilation des résultats de la phase 2 selon les fonctions urbaines – Echelle « ville »
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Total
|
%
|
Organiser (d)
|
24
|
44 %
|
Se récréer (c )
|
17
|
31 %
|
Echanger (a et b)
|
14
|
25 %
|
Habiter (e)
|
0
|
0 %
|
|
55
|
100 %
|
Conception : E. Texier
35Si l’on s’intéresse spécifiquement aux améliorations opérées aux centres-villes étudiés, nous remarquons qu’un triptyque se dégage des résultats où le poids des fonctions urbaines est équivalent dans la représentation socio-cognitive des participants (Tableau 7). Ce résultat est particulièrement intéressant car il tend d’une part à rééquilibrer l’articulation des fonctions urbaines entre elles en considérant qu’elles ont la même importance dans la restauration des centres-villes des petites villes. D’autre part, il permet de réaffirmer leur multifonctionnalité.
Tableau 7 – Ventilation des résultats de la phase 2 selon les fonctions urbaines – Échelle « centre-ville »
Ventilation "améliorations" par fonction urbaine
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SJDA
|
Loudun
|
SJDL
|
Total
|
%
|
Services publics/équipements (administrer)
|
3
|
6
|
4
|
13
|
35 %
|
Lieux récréatifs (se récréer)
|
5
|
4
|
4
|
13
|
35 %
|
Commerces de centre-ville (échanger)
|
1
|
4
|
6
|
11
|
30 %
|
Total
|
9
|
14
|
14
|
37
|
100 %
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Conception : E. Texier
36Les résultats des enquêtes par questionnaire corroborent les conclusions tirées des ateliers (Tableau 8). En effet, lors de la question ouverte posée sur les améliorations attendues en centre-ville, la fonction dominante porte sur la fonction récréative (cadre de vie / ambiance urbaine), puis la fonction économique et ensuite la fonction « organiser ». Il est aussi intéressant de souligner que le classement des propositions dans les fonctions urbaines respectives devait parfois faire l’objet d’arbitrage. Par exemple, il faut savoir que le marché a été classé à la fois dans la fonction « échanger » et la fonction « se recréer ». Cela souligne la grande porosité des fonctions urbaines et leur interdépendance. À l’aune de l’acteur public, il s’agirait alors d’agir sur l’ensemble des fonctions urbaines pour amorcer une réelle transition des centres-villes des petites villes.
Tableau 8 – Propositions d’amélioration classées par thème, citées par les répondants de l’enquête par questionnaire « usagers »
Classement des propositions par thème
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Classement par fonction urbaine
|
Total
|
%
|
Cadre de vie / ambiance urbaine
|
Se récréer
|
221
|
47 %
|
Offres commerciales et de services plus variées / lutte contre la vacance commerciale
|
Echanger
|
171
|
37%
|
Amélioration accès centre-ville (mobilité active / stationnement / transport public / sens de circulation)
|
Organiser
|
75
|
16 %
|
|
Total
|
467
|
100 %
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Conception : E. Texier
37Les résultats de l’étude empirique ont mis en relief les positions contradictoires entre les acteurs publics et les usagers. Seuls ces derniers ont exprimé une forme de renouveau pour les centres-villes des petites villes. Ces résultats questionnent la revitalisation des centres-villes des petites villes fondée principalement sur la dimension entrepreneuriale renvoyant à la fonction économique présentée dans nos résultats.
38Bien que de plus en plus contesté, le modèle urbain entrepreneurial persiste dans les politiques publiques d’aménagement et dans les choix de renouvellement urbain opérés par les acteurs publics. Malgré les tentatives récentes d’adapter les programmes d’action publique aux spécificités des territoires non métropolitains, leurs conditions d’accès s’appuient sur des indicateurs essentiellement quantitatifs, lesquels opèrent une hiérarchisation des villes candidates et in fine leur mise en compétition.
39Nos travaux empiriques ont mis en relief une double contradiction dans l’action publique urbaine à l’échelle des petites villes d’étude. La première contradiction apparaît entre les attentes exprimées par les usagers et les choix opérés par les élus. En effet, alors que les usagers semblent apporter des améliorations aux espaces urbains en s’appuyant davantage sur leurs pratiques et expériences de la ville, les acteurs publics, eux, envisagent la rénovation urbaine selon une idéologie dominante de compétitivité et d’attractivité. La deuxième contradiction en lien avec la première se manifeste dans la posture de l’élu. Il semble « militer » contre la dévitalisation commerciale du centre-ville, laquelle serait assimilée davantage à un acte de résistance qu’à la manifestation du capitalisme urbain : « on a envie de redynamiser le centre-ville, qui fait partie de nos priorités. […] Ce qui nous fait mal dans le commerce de centre-ville, ce sont effectivement les grandes surfaces car il n’y a pas de problème de stationnement. C’est difficile de lutter. » (Maire de Loudun, 2020). Cependant, cette posture s’oppose au soutien apporté par l’élu visant l’implantation de nouvelles activités économiques en périphérie. Cette dissonance dans la posture politique peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Indépendamment de la taille de la commune, les élus souhaitent le plus souvent assurer leur réélection et fondent la réussite de leur mandat sur l’implantation ou le développement d’activités économiques créatrices d’emplois et de recettes fiscales. Et plus spécifiquement pour les petites villes, les élus « ont l’impression de défier le modèle établi du « tout métropole » quand une activité fait le choix d’investir dans leur petite ville. » [Texier 2022].
40Ces résultats soulignent alors l’importance de la participation citoyenne dans sa capacité à proposer une voie alternative à la rénovation des centres-villes des petites villes. Ils précisent certains caractères de l’altermétropolisation, dans le sens où sortir des modèles dominants n’est pas une démarche spontanée laquelle semble encore plus délicate pour l’élu confronté à un dilemme. Elle doit être issue d’une volonté de penser autrement l’urbain en allant à contre-courant des gimmicks urbains comme pouvait le préconiser Macario : « maintenir l’attractivité du centre-ville suppose une volonté des usagers de partager quelque chose en commun, une communauté d’intérêts » [Macario 2012].
41Enfin, ils interrogent plus largement sur la gouvernance territoriale des centres-villes des petites villes suggérant de sortir des logiques de concurrence pour intégrer des logiques de coopération entre les acteurs publics et privés et ce à différentes échelles.