Synthèse, Conclusions et Perspectives
Texte intégral
1La thématique choisie par l’Association de Géographes Français, Les territoires français à l’épreuve des mutations industrielles, a permis de revisiter la problématique de la géographie économique et plus spécifiquement celle de la géographie industrielle, problématique qui avait été un peu délaissée par les géographes français depuis la crise des années 1970. Fallait-il encore étudier l’industrie lorsque le monde occidental semblait s’inscrire dans une société post-industrielle ? Mais le sujet semble retrouver de l’intérêt aujourd’hui, tant auprès des responsables politiques qui plaident pour une réindustrialisation de l’Europe, que de certains jeunes chercheurs qui voient dans ce domaine un champ ouvert à de nombreuses investigations.
2En fait, se focaliser sur la géographie de l’industrie permet sans aucun doute de s’interroger sur les grandes mutations qui ont frappé depuis cinquante ans à la fois nos espaces de vie et beaucoup de territoires du monde, et ce à différentes échelles. Par ailleurs, cela conduit à s’interroger sur l’évolution de notre discipline et sur ses pratiques. Quelles spécificités aux travaux des géographes, quels apports à la compréhension des grands processus économiques et sociaux contemporains ?
3En effet, les recherches géographiques ne se contentent pas d’observer les mutations, de les décrire et de les mesurer. Elles cherchent à les expliquer à l’aide de quelques concepts qui constituent en quelque sorte des clés de lecture de ces processus. Et ces concepts ont bien été présents, aussi bien dans les communications de cette journée du 31 janvier 2015, que dans les textes sélectionnés de ce numéro thématique du Bulletin de l’Association de Géographes Français (BAGF).
4Le premier de ces concepts est celui de système productif, bien documenté par les travaux de Laurent Carroué. Ce concept permet de passer de l’analyse d’une activité, d’un secteur industriel comme l’automobile (Dalila Messaoudi), à un système intégrant à la fois l’économie, la société et le territoire. L’analyse par fonctions, qui est au cœur du dispositif, facilite en effet la prise en compte de l’industrie dans toute sa diversité, depuis la conception du produit jusqu’à sa distribution, ce qui implique des moyens économiques différents, des qualifications du personnel différentes, mais aussi des espaces différents, les besoins en localisation différant sensiblement selon ces fonctions, d’où la montée en puissance de la disjonction fonctionnelle et les fortes recompositions spatiales que l’on observe un peu partout.
5Le second et le troisième concept, délocalisations / relocalisations, sont étroitement associés. Ils s’attachent principalement au mouvement des entreprises, ou de certains de leurs établissements, dans l’espace en s’intéressant au sens du mouvement : du point initial vers des points périphériques et de ces points périphériques vers l’espace initial. Si les délocalisations se sont multipliées au cours de ces dernières années, les relocalisations d’activité sont encore peu nombreuses, mais fortement médiatisées comme l’a montré l’exposé de François Bost.
6Les trois concepts suivants traduisent également des changements, mais au niveau cette fois des territoires. Ils permettent d’analyser des dynamiques territoriales s’inscrivant le plus souvent dans la durée, confortant ainsi l’idée que les géographes s’intéressent davantage à des changements sur des temps longs, à de grandes périodes dans les processus (à l’exemple du propos de Jacques Malézieux), plutôt qu’à des crises ou points d’inflexion de ces changements comme le font davantage les économistes. Ces trois concepts sont désindustrialisation, métropolisation et mondialisation / globalisation.
7Le premier (désindustrialisation) cherche à traduire le recul de la fonction industrielle et, par voie de conséquence, du monde ouvrier et de ses structures organisationnelles. Il permet de se pencher aussi sur la multiplication d’espaces abandonnés (les friches) et sur les importants problèmes sociaux engendrés par cette désindustrialisation, problèmes d’autant plus sensibles que les pertes d’emplois n’ont pratiquement jamais été compensées par l’arrivée de nouvelles activités.
8Le deuxième (métropolisation) s’attache à décrire et à comprendre la reconcentration des activités de pointe et de commandement dans les grandes villes, processus aujourd’hui bien connu en particulier en France à partir de l’exemple de Paris ou de quelques grandes métropoles comme Lyon ou Toulouse.
9Le troisième (mondialisation / globalisation) a aussi été bien étudié, mais surtout dans une optique de contrainte pour le monde développé alors que, comme le démontre Raymond Woessner, c’est également une opportunité pour certaines firmes et pour certains territoires, ce qui permet à cet auteur de proposer un classement des territoires en quatre types : « hostiles » et « has been » dans le cas d’une mondialisation contrainte et « suivistes » et « archétypes » dans le cas où la mondialisation est une opportunité.
10D’autres concepts ont encore été activés pour rendre compte des dynamiques territoriales évoquées : l’innovation, la gouvernance et le capital humain. Mais dans ce cas, il ne s’agit plus de concepts géographiques, mais bien de concepts partagés avec d’autres spécialistes, même si les géographes leur donnent une dimension davantage spatiale. Cela se remarque particulièrement dans les travaux d’Antoine Grandclément sur les impacts spatiaux des politiques d’innovation, de François Bost sur le rôle de l’innovation dans les relocalisations, de Gérard-François Dumont sur la gouvernance proactive, ou encore de Sophie Deraëve sur le capital humain. Toutes ces recherches confortent l’intérêt des géographes pour les acteurs, leurs stratégies et leurs politiques, et la volonté de nombreux chercheurs de rechercher au-delà des traditionnels avantages comparatifs (ressources naturelles, aides des pouvoirs publics), le rôle des ressources territoriales qui sont à la fois des savoir-faire, des vouloir-faire, mais aussi, comme le démontre très bien Edith Fagnoni, les perceptions ou l’identité que l’on a ou que l’on n’a pas, ou que l’on veut se donner en valorisant par exemple son patrimoine industriel.
11Au-delà des concepts, la question-clé de nos travaux fut bien sûr celle du rôle des territoires dans les processus d’industrialisation ou de désindustrialisation. Mais de quels territoires parlons-nous ? Un territoire administratif, un territoire de flux ? André Fischer nous a interpellés sur ce sujet à la fin de son exposé et en cette matière la question de la pertinence du territoire comme celle de son échelle est fondamentale. Toute recherche géographique se réalise d’ailleurs à une certaine échelle. Pour les travaux de géographie industrielle, les échelles les plus fréquentes sont souvent des échelles intermédiaires, à savoir les villes ou les régions, voire le pays, mais rarement le monde ou un espace industriel particulier, par exemple celui d’une grande entreprise. Ces études de cas sont intéressantes car elles permettent de bien documenter le sujet, mais il ne faut pas s’y enfermer ; d’où l’intérêt d’études comparatives et surtout de la confrontation de résultats obtenus à différentes échelles.
12Les sujets de recherche en géographie industrielle ne manquent donc pas. De nouvelles thématiques émergent. On peut penser par exemple à l’économie circulaire et à la transition énergétique qui ont une forte dimension territoriale. Il y a donc place pour de nouveaux chercheurs et pour de nouvelles recherches. Mais au-delà des questions à traiter, un point semble poser souvent problème : celui des données disponibles ou à collecter. Et en ce domaine, il faut être très vigilant en s’interrogeant sur la pertinence de ces données et sur les traitements que l’on choisit. Il faut aussi essayer de combiner des données quantitatives avec des données qualitatives, souvent plus difficiles encore à collecter et à traiter.
13Quant à la transposition didactique des travaux de géographie industrielle, c’est également un exercice difficile car les manuels ont souvent tendance à conforter les images du passé (Colette Renard-Grandmontagne). De surcroît, travailler sur ces phénomènes souvent complexes et éloignés du quotidien des élèves du secondaire n’est guère aisé, surtout si on se limite à les cartographier (Caroline Leininger-Frézal).
14Bernadette Mérenne-Schoumaker, très sensible aux questions de transcription didactique, rappelle alors : « Je voudrais à ce propos remercier les organisateurs d’avoir placé en dernier lieu la question de la géographie scolaire car elle force tous les chercheurs à s’interroger sur ce qui est essentiel dans leurs travaux et qui mérite dès lors d’être abordé dès le secondaire en vue de la formation de tous les citoyens. C’est certainement un exercice difficile pour beaucoup d’universitaires et qui rappelle que s’investir en didactique de sa discipline est plus exigeant que certains auraient tendance à le croire. Pourtant, c’est à ce prix que chaque discipline peut affirmer son rôle social et construire son avenir ».
Pour citer cet article
Référence papier
Bernadette Mérenne-Schoumaker, « Synthèse, Conclusions et Perspectives », Bulletin de l’association de géographes français, 92-4 | 2015, 600-603.
Référence électronique
Bernadette Mérenne-Schoumaker, « Synthèse, Conclusions et Perspectives », Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 92-4 | 2015, mis en ligne le 22 janvier 2018, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/1131 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.1131
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