1Depuis les années 2000, la taille des porte-conteneurs a évolué de manière exponentielle passant d’une capacité de transport maximale de 8 000 conteneurs EVP (Équivalent Vingt Pieds – unité de mesure standardisée pour les conteneurs maritimes) en 2000 à 24 000 EVP de nos jours. Sous l’impulsion de la Chine, le développement économique et surtout industriel de l’Asie orientale a placé cette zone géographique au centre des échanges mondiaux particulièrement pour les flux conteneurisés. Les grands armements ont adapté leurs offres, sur la route Asie-Europe ou Asie Amérique du Nord sans passage par le canal de Panama qui imposait ses dimensions [Frémont 2005]. Du côté de l’ingénierie navale, la taille maximale des porte-conteneurs n’est désormais plus imposée que par les infrastructures portuaires (tirant d’eau, longueur des quais, capacité des portiques, ...) qui peinent à suivre cette évolution des navires. Depuis 30 ans, le transport maritime conteneurisé a donc connu un développement très rapide induisant d’importantes évolutions dans les organisations maritimes et les stratégies des opérateurs (compagnies maritimes spécialisées dans le transport conteneurisé).
2Les choix stratégiques des opérateurs majeurs de porte-conteneurs de nouvelles générations (Global Carriers) seront analysés sous l’angle de leurs propres escales, mais aussi en fonction de celles réalisées par leurs concurrents, alliés ou partenaires et pour lesquelles nous distinguerons différentes catégories de taille : New-Panamax, Post New-Panamax, Triple E et Megamax 24.
3Le propos de cet article cherche à voir si les grandes aires de marché localisées (consommation, distribution, assemblage, production …) sont effectivement prises en compte dans les stratégies d’escales [Frémont & Soppé 2005]. Pour ce faire, il développe les trois questionnements suivants :
-
Y-a-t-il eu une prise en compte prioritaire par les opérateurs globaux, de la répartition géographique des grandes aires de marché à desservir ? Si ces dernières apparaissaient faiblement considérées, cela traduirait-il un jeu concurrentiel accru entre les Global carriers ?
-
Peut-on alors observer un renouvellement généralisé et dominant ou au contraire un bouleversement localisé et relatif dans le jeu concurrentiel entre Global carriers ?
-
Enfin, peut-on qualifier les stratégies portuaires des grands armements de positionnement faiblement spatialisées voir a-spatialisées ?
4Après la présentation du cadre de l’étude, de la méthode suivie et des données traitées, nous aborderons les mutations des choix d’escale portuaires, à la lumière de la théorie des graphes appliquée aux réseaux maritimes et aux stratégies des grands opérateurs, couplée à une analyse multivariée élémentaire.
5Les très grands navires porte-conteneurs (ULCC : Ultra Large Container Ships) permettent aux armements de réaliser des économies d’échelle (Fig. 1) [Frémont 2007].
Figure 1 – Catégories de porte-conteneurs
Réalisation : Ronan Kerbiriou, Février 2021
6Cette course au gigantisme a entrainé une situation de surcapacité après 2014 dans les échanges entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord, exacerbant une guerre des prix pour gagner des parts de marché. Dans ce nouvel environnement, les compagnies maritimes ont été amenées à constituer des alliances afin d’assurer de meilleurs taux de remplissage (Fig. 2).
Figure 2 – Alliances maritimes des opérateurs de porte-conteneurs
Réalisation : Ronan Kerbiriou, février 2021.
7Toutes n’ont pas pu résister à cette situation, conduisant à des opérations de fusions et de rachats. Entre 2015 et 2020, nous sommes passés de 16 opérateurs organisés en 4 alliances à 9 opérateurs en 3 alliances (2M, Ocean Alliance et The Alliance.) concentrant plus de 20 millions d’EVP de capacité de transport, soit 80 % de la capacité totale de la flotte mondiale. Cela n’a pas été sans conséquence pour les principaux ports du monde fortement dépendants de leurs offres.
8Sur les 313 navires en service au 31 décembre 2020 (Tableau 1), 312 sont opérés par des armements maritimes membres d’une alliance. Seule la compagnie israélienne, ZIM, n’appartenant pas à une alliance possède un seul navire des catégories précédemment identifiées avec le "ZENITH LUMOS" de 15 000 EVP. Ocean Alliance compte 118 navires, contre 115 pour 2M et 80 pour The Alliance (Fig. 3). Il s’agit donc d’une situation de marché oligopolistique. Le poids de ces alliances inquiète les chargeurs qui s’estiment victimes d’accords tarifaires défavorables [Kerbiriou & Serry 2021].
Tableau 1 – Statistiques générales des grands armements conteneurisés
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2016
|
2018
|
2020
|
Nombre de navires géants
|
173
|
254
|
313
|
Nombre d’opérateurs
|
9
|
10
|
12
|
Nombre de ports
|
68
|
86
|
113
|
Nombre d’escales
|
10 418
|
14 443
|
15 820
|
Source : IHS maritime, janvier 2021
Figure 3 – Navires en service par alliances (31/12/2020)
Source : IHS maritime, janvier 2021.
9Concernant les navires en construction (Fig. 4), la situation est similaire. Sur les 81 navires en chantier au 31 décembre 2020, 67 sont destinés aux opérateurs d’une alliance, 8 à ZIM et 14 à des opérateurs non identifiés.
Figure 4 – Navires en service par opérateurs (31/12/2020)
Source : IHS maritime, janvier 2021
10Pour tenir compte de cette situation évolutive, il est apparu nécessaire de disposer d’une information stable qui permettent une approche comparative sur la période cruciale 2015 – 2020 durant laquelle des mutations importantes ont été observées sur les escales des porte-conteneurs géants (ULCC).
11Le présent travail repose sur une base de données construite à partir des données de l’IHS (https://maritime.ihs.com/) contrôlée par la Lloyd’s qui assure plus de 80 % des navires marchands dans le monde. A travers cette plateforme et via un abonnement, il est possible d’accéder à l’ensemble des informations d’identification et techniques de la flotte maritime mondiale. Dans le cadre de cet article, nous avons essentiellement travaillé sur les dernières générations de porte-conteneurs ; les New-Panamax, les post-New-Panamax, les triple E et les Megamax 24 (Fig. 1).
12L’IHS propose également un autre module sur les mouvements des navires en s’appuyant sur les signaux AIS (Automatic identification System), un système de localisation utilisé à bord des navires pour fournir des informations sur la situation du trafic environnant et complète le radar maritime en tant que dispositif d’évitement des collisions. Les dispositifs AIS sont obligatoires sur tous les grands navires selon la Convention SOLAS de l’OMI et présentent ainsi une source d’informations particulièrement utile pour la recherche [Serry & al. 2018]. En effet, les messages AIS comportent de nombreuses informations permettant d’identifier et de localiser les navires en route et en escale. Ils sont très utiles pour la connaissance fine du trafic maritime et permettent de constituer la base solide de l’analyse de l’organisation des réseaux maritimes.
13Dans cette dernière perspective, nous avons utilisé différentes méthodes d’analyses issues de la théorie des graphes ainsi qu’une approche multivariée élémentaire. Nous avons privilégié la méthode des flux dominants apparentée à celles des régions nodales [Nystuen & Dacey 1961], méthode qui a l’avantage d’être simple d’utilisation et facilement compréhensible par un lecteur non averti, tout en permettant de faire ressortir la structure profonde du réseau maritime étudié. Le principe est de définir un seuil et de conserver toutes les relations supérieures à celui-ci. Le logiciel R et le package « I graph » qui sont libres d’accès, ont été utilisés pour la réalisation des graphes construits à partir des matrices d’incidence aux sommets (tableaux qui dénombrent pour chaque sommet représentant un port d’escale, les liaisons maritimes observées entrantes et sortantes vers les autres sommets) [Stathopulos 1997].
14Conjointement à l’utilisation d’outils et mesures issus de la théorie des graphes [Ducruet & Berli 2021], nous proposons, dans un second temps, une analyse portant directement sur les escales portuaires effectuées par les navires géants ou motherships opérant les services majeurs des lignes maritimes conteneurisées. Nous prendrons comme référence les données des années 2016, 2018 et 2020, trois années marquées par une stabilisation des alliances. Chaque tableau annuel a été construit en répartissant les capacités totales offertes en EVP par opérateur sur chacune des escales portuaires. Ce tableau annuel a été élaboré directement à partir de la matrice d’incidence aux sommets dont les cellules (cases) contiennent les capacités de transport agrégées des liaisons interportuaires (en EVP) entre deux escales successives assurées par les géants des mers. Chaque tableau annuel peut alors être considéré comme un tableau de croisement simultané de deux variables dans lequel il est possible de rechercher une éventuelle interaction entre deux variables données en ligne et en colonne. Ainsi, pour déterminer si « elles agissent l’une sur l’autre », nous avons mesuré les écarts entre leur distribution observée et leur distribution théorique (qui traduit une situation d’indépendance statistique) que nous avons reportés dans un tableau d’écart par année de référence (cf. 3.3.). Dans notre application où les escales portuaires sont pondérées en EVP pour chacun des opérateurs, nous ne prendrons en considération que les écarts extrêmes mesurés entre les deux distributions, ce qui fait ressortir un petit nombre d’escales. Ce sont donc celles qui sont fortement sur-sollicitées ou bien fortement sous- sollicitées par les opérateurs (au sein de leurs alliances) dans leurs positionnements relatifs et stratégiques pour leur flotte d’ULCC (cf. 3.3.).
15Nous avons choisi pour analyser les représentations sagittales des graphes des circulations mondiales des navires géants (Fig. 5) d’utiliser un corps de mesures globales de réseau de transport, mises au point à partir des travaux de Claude Berge [Berge 1958] et développées par Karl Kansky [Kansky 1963]. Ces représentations graphiques privilégient les liaisons interportuaires sans aucune prise en compte de leurs localisations géographiques. Les circulations ont été segmentées par souci de simplification, en ne retenant que les liaisons interportuaires directes [Joly 1999], c’est-à-dire les liaisons sans transit, dont la capacité totale transportée, entre deux escales, une fois agrégée, demeurait supérieure au seuil de 1 000 000 d’EVP. Il est possible de justifier ce seuil qui correspond à la prise en compte de plus de 40 % de la capacité mondiale de transport (Tableau 2). Il est clair que le réseau considéré n’est alors qu’un sous - réseau partiel du réseau global de circulation maritime, puisque plus de 90 % des escales portuaires ne sont pas prises en compte, du fait du seuil retenu [Ducruet & al. 2009].
Figure 5 – Représentations sagittales des graphes associés aux circulations maritimes conteneurisées
Réalisation : Auteurs, Janvier 2023
Tableau 2 – Statistiques des escales et leurs liaisons interportuaires en 2016, 2018 et 2020.
16Le tableau 3 présente une synthèse des résultats obtenus concernant les mesures globales de réseau.
Tableau 3 – Les 9 mesures globales de réseau (théorie des graphes)
Calcul de µ
|
2016
|
2018
|
2020
|
E
|
35
|
45
|
63
|
V
|
22
|
29
|
34
|
P
|
1
|
4
|
2
|
µ = e-v+p
|
14
|
20
|
31
|
|
|
|
|
Mesures Globales de structure de graphe
|
2016
|
2018
|
2020
|
Α
|
0,07
|
0,05
|
0,06
|
Transitivité
|
0,24
|
0,39
|
0,37
|
Γ
|
0,152
|
0,111
|
0,112
|
Δ
|
8
|
8
|
10
|
Β
|
1,59
|
1,55
|
1,85
|
Η
|
1 944 907
|
2 088 936
|
1 943 621
|
ϴ
|
3 094 170
|
3 241 453
|
3 601 417
|
Réalisation : Auteurs, Janvier 2023
17La première mesure globale de connexité, le nombre cyclomatique µ (possibilités de cheminement et de communication à l’intérieur d’un réseau) informe sur la continuité des liaisons entre les escales sans les préciser. µ représente le nombre maximum de cycles indépendants d’un réseau et est égal à e – v + p où e est le nombre de liaisons interportuaires directes, v est le nombre de ports sélectionnés et p, le nombre de composantes connexes (lorsque p = 1, le graphe représentant le réseau est constitué d’un seul tenant, le réseau est alors connexe et solidarise l’espace desservi) [Stathopulos 1997].
18L’évolution de la valeur µ montre sur la période 2016-2020 un renforcement des connexions portuaires qui a doublé avec une croissance de 50 % tous les 2 ans. Cependant ce nombre n’a de signification directement intelligible que par comparaison avec une situation idéale (c’est-à-dire un réseau maximal dont le graphe associé serait totalement connecté).
19L’indice α (qui permet de quantifier la connectivité d’un réseau) en complément de µ, est un indicateur du treillage du réseau en termes d’escales alternatives offertes pour acheminer les conteneurs. Il évalue le nombre de cycles indépendants existants, relativement au nombre maximal de cycles indépendants. Il apparaît qu’il n’existe qu’une minorité de ports (autour de 6 % du total) qui pourraient constituer soit un noyau unique, soit un noyau multiple avec deux cœurs de réseau distincts (Fig. 6) présents sur toute la période et qui appartiennent à plusieurs cycles. Ces cycles permettent une alternative pour l’acheminement des conteneurs entre deux escales.
20Par ailleurs, le coefficient global de transitivité (qui établit la probabilité que deux ports quelconques soient reliés sachant qu’ils disposent d’un port voisin en commun) montre sur la période, une augmentation des cycles triangulaires (courts) de 24 à 37 % pour 6 % des ports d’escales concernés. Ainsi, lorsque l’alternative cyclique existe, elle ne repose bien souvent que sur des cycles triangulaires donc des organisations minimales ou limitées d’escales, les plus simples et efficaces possibles. Le treillage du réseau des circulations mondiales des ULCC apparaît peu resserré. Sa connectivité est faible, au sens où elle dépend de la faible multiplicité des cheminements (en termes de séquences finies d’escales portuaires successives), unissant tous les ports deux à deux au sein du réseau. L’évaluation du nombre d’alternatives possibles dans ce système mondial tel que mesuré par ces deux indices montre une structure d’ensemble peu solidarisée par des cycles, par des alternatives, ce qui sera corroboré par la distribution des différentes escales portuaires qu’elles soient terminales (origines ou destinations des services), d’intersection (escales ou ports - relais) ou encore d’articulation (pivots ou hubs de transbordement potentiel).
21L’indice γ (quantité de liaisons directes dans le réseau) est un indicateur de treillage du réseau mais cette fois-ci en termes de liaisons directes sans escales intermédiaires et est donc un indice simple de connectivité [Chesnais 1981]. Il mesure l’importance des relations directes entre les différents ports et cela indépendamment des relations indirectes qui utilisent plusieurs escales intermédiaires pour relier deux ports. C’est le rapport entre le nombre total de relations interportuaires existantes dans l’ensemble du réseau et le nombre maximum de relations théoriquement réalisables dans un réseau « complet connexe » ayant le même nombre de ports.
22Seulement 15,2 % des 22 ports pour l’année 2016 (et 11 % pour les deux autres années) sont reliés 2 à 2 en une et une seule touchée relativement au réseau complet connexe. La circulation mondiale des géants des mers montre une structure d’ensemble peu solidarisée par les relations directes et par les alternatives circulatoires. Ce résultat, mis en parallèle avec la constance d’une composante connexe principale, montre l’existence d’un noyau constitué d’un petit ensemble de ports (6 %) n’appartenant qu’à un nombre relativement restreint de cycles alternatifs, où le transbordement de conteneurs est pratiqué largement. Il montre aussi une forte spécialisation distributive des ports en tant qu’escales terminales, d’intersection ou encore d’articulation. Il s’agit bien d’un réseau international de circulation maritime dans lequel les touchées par transbordement se renforcent et sont largement majoritaires par rapport aux touchées directes à l’intercontinental (services maritimes directs).
23L’interprétation combinée de ces quatre premières mesures globales de structure de réseau permet de caractériser l’augmentation généralisée des escales qui forment la trame des circulations des ULCC avec : plus de cycles courts (triangulaires), moins de liaisons directes et donc plus d’escales intermédiaires qui génèrent plus de transbordements.
24Le diamètre d’un graphe δ est une mesure globale de sa structure, qui fournit pour chaque couple de sommets, une appréciation de l’écartement le plus élevé existant en son sein. C’est « la plus grande longueur des plus courtes chaînes entre tous les couples de sommets d’un graphe donné ». La valeur maximale de cet écartement est donc appelée diamètre du graphe. Il est ici mesuré de faible valeur : 8 pour les années 2016 et 2018 et 10 pour 2020. Plus le diamètre du graphe est faible (ce qui est observé sur la période indépendamment des distances interportuaires de navigations maritimes), plus les échanges entre les escales sont efficaces ce qui affirme la cohésion globale du réseau des circulations maritimes conteneurisées sur la période (cohésion déjà observée dans les années 1990 [Slack 1994]).
25Enfin, l’indice β est un indice simple de connectivité qui mesure la complexité du graphe (un graphe ayant un nombre de sommets est d’autant plus complexe qu’il possède un nombre élevé de relations directes reliant ses sommets). Dans notre étude, ce sont bien les trois états successifs 2016,2018 & 2020 d’un même système de circulations maritimes, dont le réseau est une traduction instantanée, qui sont analysés. Il est vrai que le nombre de ports pris en compte (de 22 à 34) augmente d’une période à l’autre. Il en ressort néanmoins que globalement les ports du réseau possèdent en moyenne un peu moins de 2 mises en relations directes distinctes avec d’autres ports. Une majorité de ports ont une fonction simple de points d’intersection (ports relais) avec presque 2 relations interportuaires distinctes, ou encore de ports d’origine ou de destination finale.
26Pour affiner l’indice β, il est possible d’établir deux nouveaux indices pondérés à l’aide des valuations exprimées en EVP :
271 - l’indice η qui rapporte la capacité transportée totale des liaisons interportuaires directes (qui une fois agrégées, demeuraient supérieures au seuil choisi de 1000 000 d’EVP) au nombre total de liaisons directes (selon le même seuil. On obtient ainsi une évaluation du poids moyen des liaisons interportuaires autour de 2 millions d’EVP transportés / liaison maritime directe pour le sous - réseau partiel du réseau global où plus de 90 % des escales portuaires ne sont pas prises en compte sur l’ensemble de la période 2016 à 2020 (soit près de 6 fois plus que ce qui est observable sur l’ensemble de la flotte) qui traduit le maintien d’une très forte concentration des capacités transportées sur un nombre limité de séquences d’escales ;
282 – l’indice ϴ qui mesure la capacité portuaire moyenne de traitement des trafics conteneurisés maritimes en rapportant la capacité transportée totale des liaisons interportuaires directes (qui une fois agrégées, demeuraient supérieures au seuil choisi du million d’EVP) au nombre total de ports (selon le même seuil). On obtient l’évaluation de la capacité portuaire moyenne de traitement des trafics de plus de 3 millions d’EVP transportés / port pour le sous - réseau partiel du réseau global où pourtant, plus de 90 % des escales portuaires ne sont pas prises en compte sur l’ensemble de la période (soit plus de 1.23 fois plus que ce qui est observable sur la totalité des ports du réseau global). Ce qui traduit le maintien d’une très forte polarisation des capacités de traitement des trafics sur un nombre très limité d’escales portuaires choisies par les opérateurs. Un club relativement restreint de ports se sont ainsi dotés de considérables capacités de traitement des trafics où se jouerait la concurrence entre les alliances regroupant les Global Carriers…
29L’observation conjointe des 3 représentations sagittales des graphes orientés (Fig. 5) vient renforcer les premiers résultats obtenus à partir des mesures globales et apporte des éléments d’analyse complémentaires. On y retrouve les différentes catégories fonctionnelles d’escales, qu’elles soient initiales ou terminales (origines ou destinations), d’intersection (escales transitoires ou ports - relais) ou encore d’articulation (pivots ou hubs).
30Sont ainsi représentées ponctuellement sur chacun des graphes, 4 catégories distinctes de ports :
-
Les ports-pivots, qui jouent un rôle essentiel de hub où se localisent les croisements de lignes maritimes et où sont effectuées les opérations de transbordement d’un navire à un autre.
-
Les ports O/D pour qualifier les ports d’origine ou de destination des lignes qui constituent les extrémités visibles sur les représentations (en début ou en fin de service ou de ligne).
-
Les ports-relais qui jouent un rôle d’escale intermédiaire entre 2 ports successifs au sein d’une ligne [Joly 1999].
-
Les ports-nouveaux entrants qui apparaissent à partir de 2018 (certains ports « disparaissent » d’une année à l’autre).
31Par ailleurs, les liaisons directes dénombrées dans le tableau 2 sont aussi représentées sur chacun des graphes orientés par des traits continus fléchés (arcs) (Fig. 5). Plusieurs configurations apparaissent : des séquences orientées d’arcs d’escale en escale, des allers et retours simples entre deux ports, des circuits plus ou moins développés dont les escales se succèdent (les plus élémentaires étant triangulaires), des cycles constitués de ports et d’arcs dessinant une configuration fermée mais dans laquelle l’orientation contraire de certains arcs ne permet pas le cheminement d’une escale aux autres. Enfin, on observe à partir de 2018, des composantes secondaires (par leur nombre de ports) isolées de la composante principale (qui regroupe la majorité des ports). Ces différentes composantes constituent les composantes connexes de chacun des graphes présentés et sont aussi dénombrées (p) dans le tableau 3.
32Sur les 3 années de référence, le nombre de ports-pivots croît sensiblement, passant de 9 à 14 (Tableau 4). Ces ports-pivots constituent deux cœurs de réseau denses [Nystuen & Dacey 1961] où les alternatives possibles de cheminements interportuaires sont nombreuses. Dans ces cœurs, on observe la présence de cycles et circuits. Autour d’eux, gravitent à la fois les ports relais, les ports O/D et les ports nouveaux entrants. On retrouve donc sur la période deux cœurs, regroupant un certain nombre de ports pivots fortement connectés entre eux [Brocard & al. 1995], relativement stables d’une année à l’autre et desservis par une majorité d’alliances (sans pour autant caractériser les stratégies déployées par les principales alliances maritimes). L’un des deux cœurs est localisé sur la rangée Nord-Ouest Europe (autour de 3 pivots : Maasvlakte/Rotterdam, Hambourg et Anvers) et l’autre beaucoup plus étendu géographiquement et plus important, en Extrême-Orient / Sud-Est asiatique (autour de 8 pivots : Busan, Hong-Kong, Qingdao, Ningbo, Singapour (Pasir-Panjang), Tianjin dès 2018, Xiamen, Yangshan et Yantian). À noter l’arrivée du nouvel entrant Nansha en 2020 directement en position de port pivot majeur en Asie.
Tableau 4 – Caractéristiques fonctionnelles des ports à conteneurs en 2016, 2018 & 2020
|
2016
|
2018
|
2020
|
Relais
|
Anvers / Bremerhaven / Dayao-Bay / Felixstowe / Hong-Kong / Jebel-Ali /
|
Felixstowe / Gênes / Hambourg / Tanjung-Pelepas / Xiamen
|
Felixstowe / Jebel-Ali / Kaohsiung / Khalifa-Port / King-Abdullah / Laem-Chabang / Le Pirée / Port-Said / Salalah / Tanjung-Pelepas
|
O/D
|
King-Abdullah / Le Havre / Le Pirée / Tangjung-Pelepas / Tianjin / Westport / Wilhelmshaven
|
Le Havre / Bremerhaven / Chiwan / Colombo / Dayao-Bay / Marseille / King-Abdullah / Jebel-Ali / La Spezia / Le Pirée / Salalah / Southampton / Tanger-Med / Wilhelmshaven
|
Barcelone / Bremerhaven / Chiwan / Colombo / Dayao-Bay / Le Havre / London_Gateway / Mawan /Valence / Southamton
|
Hub / Pivot
|
Busan / Hambourg / Maasvlakte / Ningbo / Yangshan / Singapour / Xiamen / Yangshan / Yantian
|
Anvers / Busan / Hong-Kong / Maasvlakte / Ningbo / Singapour / Qingdao / Tianjin / Yangshan / Yantian
|
Anvers / Busan / Cai-Mep / Hambourg / Hong-Kong / Maasvlakte / Nansha / Ningbo / Singapour / Qingdao / Tianjin / Xiamen /Yangshan / Yantian
|
Réalisation : Auteurs, Janvier 2023
33Les ports intermédiaires ou ports-relais, quant à eux, passent de 6 (2016) à 5 (2018) puis à 10 en 2020, dont 4 sont aussi des ports nouveaux entrants directement intégrés dans des circuits de plus en plus longs : Laem Chabang, Kaohsiung, Khalifa Port, Port Said (Fig. 10). A noter le positionnement de Tanjung Pelepas qui joue son rôle initial de relais entre les 2 noyaux asiatique et européen dès 2018, renforcé en 2020 par Le Pirée. Enfin, les ports O/D progressent de 7 à 14 puis baissent à 10 en 2020. Ils sont en position périphérique par rapport aux deux cœurs et s’intègrent lors de leur entrée dans le système de circulation (2018) dans les composantes isolées avant de se retrouver insérés (2020) dans des circuits d’escales qui viennent renforcer la connexité (diminution des composantes connexes) et la connectivité générale (augmentation des cycles et circuits, densification du cœur asiatique). L’évolution de la configuration des représentations sagittales est donc en adéquation avec les principaux résultats fournis par les 9 mesures de structures globales présentées précédemment (Tableau 3).
Figure 6 – Représentations des cœurs de réseau au sein des graphes de circulations maritimes conteneurisées
Réalisation : Auteurs, anvier 2023
34Les trois tableaux annuels établis à partir des matrices d’incidence aux sommets ont permis de construire respectivement 3 tableaux d’écarts annuels (cf. 2e partie). On peut y vérifier « si le comportement de chaque cellule est conforme à celui de l’ensemble des cellules » et formuler ainsi, des écarts entre la réalité observée et une situation théorique de conformité, construite à partir de sommes marginales en ligne et en colonnes (indépendance statistique théorique généralisée des opérateurs par rapport à leurs choix d’escales et inversement). Dans ces tableaux d’écarts annuels, on ne conserve que les valeurs extrêmes qui ne concernent qu’un petit nombre d’escales (Tableau 5). De cette façon, on ne prend en compte que les ports qui apparaissent comme fortement sous-sollicités (escales partiellement délaissées par certains opérateurs relativement à la situation théorique) ou sur-sollicités (escales partiellement renforcées par certains opérateurs relativement à la situation théorique). Il est ainsi possible d’approcher leurs positionnements stratégiques communs lorsqu’ils sont regroupés au sein d’alliances maritimes.
Tableau 5 – Evolution du positionnement stratégique des alliances en termes d’escales portuaires 2016, 2018 & 2020 -
Alliance / Escale
|
Positionnement stratégique des alliances 2016
|
2016
|
Sur sollicitation (renforcement)
|
Sous sollicitation (relâchement)
|
2M
|
Bremerhaven / Chiwan / King-Abdullah / Singapour / Busan / Yanjung-Pelepas
|
Westport (Malaisie) / Maasvlakte / Hambourg / Yantian
|
Ocean Three
|
Le Havre
|
Singapour
|
G6
|
Singapour / Westport (Malaisie)
|
Felixstowe / Singapour / Yangshan
|
CKYHE
|
Le Pirée / Tanjung-Pelepas / Westport (Malaisie) / Maasvlakte
|
Qingdao / Singapour / Tanjung-Pelepas
|
|
|
|
Alliance / Escale
|
Positionnement stratégique des alliances 2018
|
2018
|
Sur-sollicitation (renforcement)
|
Sous-sollicitation (relâchement)
|
2M
|
Bremerhaven / Gioia-Tauro / King-Abdullah / Barcelone / Marsaxlokk / Tanjung-Pelepas
|
Singapour / Maasvlakte / Le Pirée / Hambourg / Hong-Kong
|
Ocean Alliance
|
Nansha / Le Pirée / Southampton / Colombo / Felixstowe / Le Havre / Yangshan / Colombo / Kaoshiung / Felixstowe
|
Busan / Hong-Kong / Singapour / Bremerhaven / Le Havre
|
The Alliance
|
Southampton / Hong-Kong / Jeddah / Kaoshiung / Singapour / Hambourg
|
Singapour / Maasvlakte / Tanjung-Pelepas / Felixstowe
|
|
|
|
Alliance / Escale
|
Positionnement stratégique des alliances 2020
|
2020
|
Sur-sollicitation (renforcement)
|
Sous-sollicitation (relâchement)
|
2M
|
Bremerhaven / King Abdullah Port / Tanjung-Pelepas / Tanger-Med / Tianjin / Dayaowan / Salalah / Yangshan / Port-Said / Gioia-Tauro
|
Singapour/ Maasslakte / Hong-Kong / Le Pirée / Kaoshiung / Hambourg
|
Ocean Alliance
|
Kaohsiung / Le Havre / Nansha / Southampton / Zeebrugge / Le Pirée / Westport (Malaisie) / Algéciras / Khalifa-Port / Colombo / Tanjung-Pelepas /Maasvlakte / Taipei
|
Tanjung-Pelepas / Singapour / Hambourg / Le Pirée / Hong-Kong / Busan
|
The Alliance
|
Kaohsiung / Southampton / Singapour / Hong-Kong / Jeddah
|
Tanjung-Pelepas / Ningbo / Yangshan
|
Réalisation : Auteurs, Février 2023
Figure 7 – Représentations du positionnement stratégique des alliances en termes d’escales portuaires 2016, 2018 & 2020
Réalisation : Auteurs, Février 2023
35Le schéma (Fig. 7) s’interprète comme une synthèse des analyses précédemment développées. Pour chaque année étudiée, nous avons classé les ports en fonction des sur-sollicitations (dans les cercles) et des sous-sollicitations (dans les rectangles) par chaque alliance. On voit ainsi se répartir le positionnement des ports en fonction des offres de service qui y sont proposées. Certains ports se retrouvent ainsi à l’intersection de différentes zones pouvant ainsi être à la fois sur-sollicités par deux alliances (dans deux cercles) ou encore être sur-sollicités par une alliance et sous-sollicités par une autre (dans un cercle et dans un rectangle).
36Il est alors possible de discerner quatre configurations stratégiques en matière de choix d’escale pour l’ensemble des alliances (Tableau 5) :
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Le premier positionnement consiste au sein d’une même alliance réunissant plusieurs opérateurs, à choisir de renforcer une escale donnée tout en la délaissant partiellement (par exemple : G6 & CKYE en 2016) ! D’un côté des opérateurs se positionnent sur un port donné tandis que d’autres délaissent partiellement ce port. Il s’agit d’un choix stratégique de répartition rationnalisée et complémentaire des escales entre les opérateurs au sein d’une même alliance maritime (qui évite ou limite les doublons). Ce choix stratégique permet d’optimiser les lignes maritimes et les escales. Cette situation ne revient que rarement. En 2020, seule l’alliance Ocean Alliance propose ce cas avec le port de Tanjung-Pelepas. La compagnie Evergreen y propose une sur sollicitation alors que dans le même temps CMA-CGM et COSCO sont en sous sollicitation. On peut supposer que Evergreen fait bénéficier à ses partenaires de ses offres de service dans ce port. Cette situation est constatée en 2016 au sein de l’alliance G6 avec le port de Singapour ou encore en 2018 pour Ocean Alliance avec le port du Havre.
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Le deuxième positionnement stratégique concerne au moins deux alliances qui renforcent leur capacité sur la ou les mêmes escales (par exemple : Ocean Alliance et The Alliance en 2020). Il s’agit d’un choix concurrentiel qui établit et fixe géographiquement dans certains ports, une très forte compétition entre alliances maritimes. La desserte conjointe d’un même marché souvent associé à un « cœur de réseau » y est alors jugée prioritaire par plusieurs opérateurs (polarisation forte). On peut citer Pasir-Panjang (Singapour) en 2020 qui est stratégique à la fois pour 2M et pour The Alliance. Mais il y a certaines escales qui sont des ports relais ou d’O/D dans le réseau qui pourtant sont sur sollicitées (exemple de Southampton et de Kaoshiung en 2020). Cela reflète le fait qu’un opérateur de l’alliance profite d’une situation de marché pour connecter ce port à ses propres services maritimes. L’offre de service dans ces ports est dépendante et dominée par un nombre réduit d’opérateurs.
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Le troisième positionnement concerne plusieurs alliances à la fois qui semblent délaisser certaines escales en limitant, voir en réduisant leur offre de capacité (voir 2M & The Alliance en 2018). Il s’agit alors d’un choix stratégique fort, de modification de l’accès portuaire à un marché donné ou encore à un choix de délaissement ou retrait partiel ou encore d’un basculement progressif vers un abandon, un renoncement à certains marchés géographiquement identifiés… Dans notre analyse, on observe que des ports cœur de réseau sont délaissés au sein d’une alliance donnée, comme par exemple, Ningbo pour The Alliance en 2020 ou Busan pour Ocean Alliance en 2018. Des choix stratégiques de positionnement dans des hubs différents sont ainsi, mis en évidence. Le choix des ports-pivot (hubs) évolue et diffère d’une alliance à une autre.
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Enfin, le quatrième et dernier positionnement stratégique est le plus fréquent, il concerne au moins deux alliances maritimes. Lorsqu’une alliance donnée se positionne en force sur certains ports en les sur-sollicitant en termes d’offre de capacité, là où les autres alliances s’en écartent en limitant leur offre sur ces mêmes ports, ou en s’en retirant partiellement (par exemple : 2M & The Alliance en 2020). On peut alors observer un partage des marchés entre plusieurs alliances construit sur une complémentarité opérationnelle réelle entre opérateurs regroupés au sein des alliances. En 2020, le port de Yangshan est à la fois sur sollicité par 2M et sous sollicité par The Alliance ou encore Pasir-Panjang (Singapour) qui est sur sollicité à la fois par The Alliance et 2M et sous sollicité par Ocean Alliance. Ce cas de figure fait ressortir des choix stratégiques spécifiques en termes d’opportunités offertes pour une compagnie maritime globalisée de s’implanter dans un port d’escale donné en tenant compte de la place laissée libre par les autres partenaires de l’alliance.
37Au cours des trois années étudiées qui font suite à une réorganisation des alliances, on observe que les choix stratégiques au sein des alliances fluctuent énormément. Les ports sur- ou sous-sollicités dans une alliance vont évoluer au cours des années et peuvent voir changer leurs rôles relativement aux choix opérés par les membres des alliances. Les membres vont donc adapter régulièrement leurs services maritimes en fonction des opportunités de marché. Il est intéressant de relever qu’à aucun moment, on retrouve un port qui soit sur- sollicité par toutes les alliances en même temps ! Cela laisse supposer qu’aucun port maritime au monde ne bénéficie d’une situation géographique et stratégique incontournable et à desservir prioritairement. Les membres des alliances vont donc majoritairement opérer leurs choix d’escales à l’échelle d’un marché régional et non pas à l’échelle plus fine, d’un port.
38Des analyses précédentes peuvent être mis en avant certains points saillants :
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On observe sur la période 2016-2020, un doublement globalisé des connexions portuaires sur l’ensemble de la période avec une croissance de +50 % tous les deux ans.
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Il existe une minorité de ports (autour de 6 % du total), constituant un vaste ensemble géographique de deux cœurs de circulations régionalisées : l’un asiatique et l’autre européen (forme de « bi-centralité » au sein des circulations mondialisées).
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Sur chacune des trois années, au sein de ces deux cœurs, se développent des cycles (et des circuits d’escales successives) qui offrent ainsi une alternative pour des flux de conteneurs des grandes aires de marché localisées (consommation, distribution, assemblage, production …). La prise en compte par les opérateurs de la géographie des grandes aires de marché à desservir reste donc bien réelle mais avec un nombre élevé de degrés de liberté au sein de ces deux cœurs.
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Lorsque l’alternative cyclique existe, elle ne repose bien souvent que sur des cycles triangulaires donc des organisations limitées d’escales portuaires capables de recevoir les ULCC [Francou 2016], qui demeurent les plus simples et les plus efficaces à opérer. Cette donnée témoigne d’un jeu concurrentiel acharné entre Global carriers qui ne semble pas être dépendant de caractéristiques portuaires spatialisées (géolocalisées au sein d’une rangée portuaire parfaitement identifiée). Une relative volatilité demeure dans les choix d’escales des opérateurs [Lemarchand & Joly 2009] qui induit une approche peu contrainte a-spatialisée. Dans une approche concurrentielle a-spatialisée, les caractéristiques géographiques (la localisation des escales portuaires) passent au second plan, ne sont pas directement prises en compte par les opérateurs et ne constituent pas de limite à leurs stratégies.
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Globalement et en dehors des cœurs, le treillage du réseau mondial se maintient de manière lâche, peu resserré ; sa connectivité est donc faible. L’évaluation du nombre total d’alternatives possibles montre une structure d’ensemble peu solidarisée par des circuits. En effet, seulement 15,2 % des ports en 2016 (et 11 % pour 2018 et 2020) sont reliés deux à deux, de manière directe. La circulation mondiale des géants des mers (ULCC) montre une structure d’ensemble encore une fois lâche et peu solidarisée par les relations directes.
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On a vu qu’il existe deux cœurs de circulations régionalisées où le transbordement de conteneurs est pratiqué. D’autre part, il existe aussi une spécialisation fonctionnelle des ports en tant qu’escales portuaires terminales (ports O/D), escales d’intersection (ports relais) ou encore escales d’articulation (ports pivots). Il s’agit bien d’un réseau mondial de circulation dans lequel les transbordements se renforcent et sont largement majoritaires relativement aux touchées directes - sans transit - à l’échelle intercontinentale (services maritimes intercontinentaux directs). Ainsi, on observe une augmentation du nombre d’escales formant la trame des circulations des navires géants. On y trouve des services avec plus de cycles courts (triangulaires), moins de liaisons directes et donc plus d’escales intermédiaires.
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En complément, un faible diamètre est mesuré pour les graphes, (calculé indépendamment des distances de navigation). Les échanges entre les escales y sont donc rendus plus efficaces ce qui affirme la cohésion globale du réseau sur la période.
39Nous avons pu discerner quatre configurations stratégiques pour l’ensemble des alliances sur les trois années (Cf. 3.3.). Elles se traduisent :
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en termes de répartition géographique rationnalisée des escales au sein d’une alliance (cas rare),
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en termes de concurrence localisée sur certains ports où se joue une très forte compétition entre certains opérateurs issus de diverses alliances qui les sur- sollicitent,
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en termes de retrait partiel ou d’abandon progressif de certains ports [Francou 2016] conduisant à une modification de l’accès maritime à certains marchés sur la période pouvant aller jusqu’à un renoncement,
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ou bien encore en termes de répartition rationnalisée des ports d’escale entre diverses alliances (et donc de partage des marchés) fondée sur une complémentarité opérationnelle réelle entre les opérateurs (cas fréquent).
40Même si une majorité de ports conservent une fonction d’intermédiaire, ports-relais et ports terminaux O/D, on observe le maintien d’une très forte concentration des capacités transportées sur un nombre limité de séquences de ports pour alimenter « les cœurs ». Conjointement, on observe aussi le maintien d’une très forte polarisation des hautes capacités de traitement des trafics sur un nombre très limité d’escales des ULCC. Il existe donc un noyau bicéphale relativement restreint de ports qui se sont dotés de capacités considérables de traitement des trafics. Ce club fixe une partie non négligeable de la concurrence entre les alliances maritimes. Pour renforcer l’hypothèse initiale d’un bouleversement majeur dans le jeu concurrentiel faisant rage entre alliances, l’annonce publique récente (début février 2023) de l’arrêt définitif de l’alliance maritime 2M courant 2025, semble témoigner d’une stratégie qui restera mondialisée mais qui abandonnera brutalement toute approche commune et rationalisée dans la répartition des escales au sein d’une des trois alliances majeures. On peut assister à la fin du partage raisonné de la desserte des marchés, jusque-là, fondée sur une complémentarité opérationnelle entre les opérateurs d’une même alliance. La nouvelle configuration des stratégies d’escales qui sera bientôt déployée, pourrait apparaitre à l’avenir sans lien direct avec la géographie de la globalisation des échanges maritimes, et donc, ce qui mérite d’être souligné, faiblement spatialisée voire a-spatialisée.