1L’expression « développement durable » est empreinte, en raison du choix de son premier terme, des théories économiques sous-jacentes aux modèles qui ont prévalu à partir du XVIIIe siècle. Ces théories sont donc à rappeler avant de proposer la survenue de cette expression « développement durable ». Quatre dimensions de la géographie seront ensuite considérées pour exposer les enjeux de la transformation des activités humaines en vue de leur durabilité et leur nécessaire adéquation territoriale.
2En France, l’école physiocratique, première grande école économique, s’est développée avec, pour maître à penser, François Quesnay (1694-1774). La physiocratie signifie le « gouvernement de la nature ». Les physiocrates se sont définis comme des « philosophes économistes » pour lesquels l’État n’a pas à intervenir dans la sphère économique puisque l’économie est, selon eux, gouvernée par des lois naturelles analogues aux lois physiques, des lois valables en tout temps et en tout lieu. Cette universalité mettait toutes les populations sur un pied d’égalité en termes de développement lorsque la « liberté du commerce » et la « liberté de l’industrie » sont respectées.
3En 1776, la publication du livre d’Adam Smith The Wealth of Nations, dans lequel il positionna le sol, le travail et le capital au cœur de la production et comme essentiels à l’accumulation de la richesse nationale, concourut à une définition de l’économie classique selon laquelle un marché auto-régulé s’ajusterait pour satisfaire les besoins économiques des populations. L’intérêt personnel individuel agirait collectivement comme une « main invisible » pour corriger le marché et garantir que l’utilité soit maximisée.
4En réponse à la crise économique de 1929, l’anglais John Maynard Keynes publia en 1936 ses réflexions dans le livre Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Selon la théorie économique classique, en période de récession, la chute des prix et des salaires permet de rééquilibrer le système et, donc, les forces du marché peuvent suivre leur cours sans intervention de l’État. Mais Keynes suggéra le contraire : la consommation diminuerait si les salaires des ménages étaient réduits en raison de la baisse des prix. Par conséquent, il prône l’intervention des gouvernements qui doivent, en cas de besoin, augmenter les dépenses totales afin de stimuler l’économie. Une telle réponse keynésienne a été mise en pratique pendant la pandémie Covid-19 en 2020-2021 en France avec le « quoi qu’il en coûte ».
5Publié aux États-Unis en 1942 et traduit en français en 1951, l’ouvrage essentiel de Schumpeter Capitalisme, Socialisme et Démocratie diffuse l’idée d’un processus continuellement à l’œuvre qui produit la création de nouvelles activités économiques de façon simultanée à la disparition de secteurs d’activité : une « destruction créatrice » pour alimenter un développement et une croissance toujours plus forts au profit des populations.
6Mais ces modèles économiques n’ont pas pris en considération les effets possibles des activités humaines sur les équilibres de l’écosystème terrestre. En fonction des types d’activités et de la façon dont elles s’exercent, des pressions sur l’environnement peuvent être exessives au risque de devenir difficilement réversibles. D’où l’idée d’une nouvelle ère géologique caractérisée par l’homme comme principale source de changement sur Terre : l’Anthropocène. Et l’avènement de la recherche d’un type de développement, appelée le développement durable, nécessaire pour éviter de compromettre les conditions d’existence de certaines espèces vivantes aujourd’hui et demain, dont les populations humaines.
7C’est dans ce contexte que le « Sommet de la Terre » réuni à Rio de Janeiro en 1982 sous l’égide des Nations Unis,, définit les trois piliers du développement durable :
-
le progrès économique,
-
le bien-être social,
-
et la protection de l’environnement.
8Le développement durable est un développement répondant aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ; il veut concilier, sur chaque territoire [Grenouillet 2008], l’écologique, l’économique et le social et établir un cercle vertueux entre ces trois pôles, ce qui signifie un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable [Degron 2023].
9En conséquence, la durabilité se définit comme les conditions d’exercice des activités humaines qui répondent aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. La durabilité renvoie à la soutenabilité (sustainability) des activités humaines et peut être utilisée comme une clé pour concevoir ou évaluer les pratiques et veiller à les rendre effectivement durables.
10Les spécificités géographiques des territoires sont déterminantes quant aux choix de durabilité. Pour le comprendre, la pédagogie de la durabilité appelle l’examen d’angles variés [Dumont, Froment & Vodisek 2018] qui relèvent pourtant tous de la question du développement durable. Aussi, pour bien en prendre la mesure, examinons, selon quatre dimensions de la géographie, les enjeux des politiques publiques en matière d’environnement pour apporter des solutions durables.
11La géographie de la population étudie la distribution de la population selon les territoires à la surface du globe et les évolutions de cette répartition [Dumont 2022]. Sur tout territoire, même si la densité de la population est faible, la présence d’habitants, qui y résident de façon permanente ou de façon temporaire pour des raisons professionnelles, touristiques ou autres, signifie des activités humaines.
12L’impact de ces activités contribue à des modifications de l’environnement dont certaines peuvent avoir des effets sur les évolutions climatiques. Ainsi les activités humaines ont une incidence sur :
-
l’aménagement des territoires en fonction des choix de localisation des habitants et des activités et des choix effectués en termes d’occupation des sols, par exemple selon l’intensité du souci de sobriété foncière ou son absence comme dans de nombreux plans d’occupation des sols des années 1980 ou 1990 ;
-
les aménités (air, eau, potentiel cultivable, potentiel forestier…) gratuitement offertes par la nature, dont le caractère plus ou moins agréable selon les territoires dépend de la façon dont s’exercent les activités humaines, par exemple les types de processus de production de biens et de services et la façon dont les sociétés humaines gèrent et entretiennent leur territoire [voir pour l’exemple des forêts : Barbiche & Bisimwa, 2020] ;
-
le solde migratoire à la fois des natifs comme des personnes nées à l’étranger ; sur un territoire donné, certaines activités peuvent être attractives car offrant des possibilités d’emploi ou un cadre de vie jugé agréable, alors que d’autres, par exemple, ne correspondant plus à des besoins, peuvent devenir répulsives sauf à avoir trouvé d’autres motifs d’attractivité, évitant à une partie de leur population le désir d’émigrer ;
-
des activités humaines ont aussi des effets sur le solde naturel des populations, ne serait-ce qu’en raison de leurs conséquences sur l’espérance de vie, dont l’une des raisons de leur variété selon les territoires tient aux activités économiques, phénomène particulièrement attesté dans la partie nord-est de la France au moins pendant l’ère industrielle avec une longévité de la population moindre que la moyenne de l’Hexagone sous l’effet d’un système productif engendrant alors nombre de pollutions et comptant des métiers à forte pénibilité dans les activités industrielles et minières.
13L’évolution de la géographie de la population de la France sera fonction de la capacité à préserver les conditions d’exercice des activités, afin qu’elles puissent s’adapter ou perdurer au sein de chaque territoire en fonction des évolutions climatiques et des besoins évolutifs des populations. Ainsi, des territoires pourraient connaître des phénomènes de répulsion ou d’attraction migratoire en fonction des conséquences des changements climatiques les concernant et de leur capacité d’adaptation à ces changements [Dumont 2023].
14Sous l’angle de la géographie de la population, la durabilité suppose de favoriser des conditions satisfaisant les populations, d’où dépendront les évolutions du peuplement, ce qui nécessite de considérer également la géographie politique.
15Rappelons que la géographie politique désigne tout ce qui concerne les rivalités de pouvoirs ou d’influence sur des territoires et sur les populations qui y vivent. Or l’analyse conduit à différencier la géographie politique externe et la géographie politique interne, même s’il y a des interactions entre elles. La géographie politique externe concerne les relations de pouvoir et les rapports de force, diplomatiques ou armés, entre des États ou des acteurs géopolitiques qui pèsent sur ces relations de pouvoir. La géographie politique interne d’un État s’intéresse aux rapports de pouvoir à l’intérieur des frontières d’un État, que ces derniers s’expriment pacifiquement, par exemple à l’occasion d’élections, ou non, en raison de violences, de conflits, de guerres civiles, de guérillas, de luttes politiques, ethniques ou religieuses.
16Or la question de la durabilité est également liée aux questions de géographie politique. D’abord, la gouvernance de la France et celle de ses territoires ne sont pas indépendantes de phénomènes globaux, qui relèvent de ce qui est appelé dans la littérature la « durabilité forte » lorsque les enjeux sont planétaires (réchauffement climatique…).
17Par exemple, la pandémie Covid-19 a incontestablement ralenti des mesures prises dans le but de durabilité puisque la priorité a dû être donnée à la lutte contre cette pandémie, quitte à retarder – par exemple en raison des confinements - des changements prévus pour aller vers davantage de durabilité. Autre exemple, la guerre d’Ukraine déclenchée le 24 février 2022 s’est révélée un facteur négatif pour la durabilité, l’arrêt des exportations en Europe d’hydrocarbures russes ayant signifié à la fois des importations plus polluantes dans leur mode de production (gaz de schiste) ou dans leurs transports (car ne s’effectuant pas par des gazoducs ou oléoducs) et la réouverture de centrales à charbon en France et surtout en Allemagne (engendrant par vent d’Est des pollutions supplémentaires en France).
18Ensuite, concernant l’objectif du développement durable, en France, le cadre législatif que la gouvernance de l’État et des collectivités territoriales doivent respecter dans un but de durabilité locale, relevant d’enjeux locaux que la littérature appelle parfois la « durabilité faible », est important.
19Ainsi, au niveau territorial, le contenu et les modalités d’élaboration d’une planification stratégique environnementale découlent du Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) et sont définis par le Code de l’environnement, et notamment ses articles L229-26 et R229-51 à R229-56.
20Le cadre du PCAET découle pour l’essentiel de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, notamment son article 188, avec des modifications législatives plus ou moins importantes par des lois successives : loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages nt évolution ; loi de 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) ; loi de 2019 d’orientation des mobilités (LOM) ; loi également de 2019 énergie-climat ; loi de 2020 anti-gaspillage pour une économie circulaire ; lois de 2021 « solidarité et inégalité », « climat et résilience » et « environnement et numérique » ; et loi de 2023 d’accélération des énergies renouvelables.
21L’élaboration d’un PCAET est obligatoire pour toute intercommunalité à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants (EPCI “obligés”), et est également proposée aux intercommunalités plus petites (on parle alors de PCAET volontaire). Depuis 2021, il est même possible, sous certaines conditions, pour un Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT) de tenir lieu de PCAET.
22En dépit de l’importance de ces textes législatifs, les réponses à la durabilité ne sont pas automatiques en termes de calendrier et d’espace. D’une part, les territoires de France métropolitaine ont, tout du moins jusqu’à présent, été relativement épargnés par bon nombre de forts dérèglements environnementaux connus par d’autres pays (accès à l’eau, terres incultes, ville à déplacer…). Mais des évènements d’une ampleur insoupçonnée (déplacement du front de mer ou d’une berge, température extrême, grêlons de la taille d’une balle de tennis, inondations, sécheresses…), ayant un impact croissant sur les activités, jusqu’à en rendre non viables certaines, pourraient subvenir.
23La question de la bonne échelle géopolitique pour répondre à ces événements et satisfaire la durabilité ne peut être déterminée a priori, mais dépend de la qualité des gouvernances. Par exemple, personne n’avait anticipé que, face à la pandémie Covid-19, c’est l’échelon communal qui s’est révélé le plus efficace pour répondre aux besoins des populations, même si cet échelon a souvent agi en partenariat avec d’autres collectivités territoriales de même échelon ou supérieur. Selon cet exemple, le rôle des collectivités territoriales pour la durabilité est essentiel [Pissaloux 2017].
24La géographie de l’aménagement étudie la façon dont les territoires sont aménagés et dont leur aménagement évolue en se posant toujours la question géographique essentielle : pourquoi y a-t-il un habitat dense ici et dispersé là ? Pourquoi les populations ont-elles aménagé des vignobles ici ? Pourquoi les populations ont créé une grande ville à telle confluence (Lyon) et seulement une petite ville à telle autre (Conflans-Sainte-Honorine) ? Pourquoi a-t-on localisé telle ville nouvelle ici ? Pourquoi les populations ont-elles aménagé une forêt ici ? Et, bien entendu, les évolutions de la géographie du peuplement ont des effets sur la géographie de l’aménagement.
25Or, l’aménagement des territoires français s’est trouvé largement modifié depuis la Seconde Guerre mondiale sous l’effet de différents processus ; émigration rurale, désindustrialisation, montée du tertiaire, héliotropisme positif (c’est-à-dire attirance par des territoires ayant davantage d’ensoleillement), litturbanisation… Les évolutions des modes de vie, par exemple la généralisation du télétravail suite aux confinements mis en œuvre pendant la pandémie Covid-19, ont modifié les attentes en matière de lieu de vie et les dynamiques spatiales, ce que l’on perçoit, à défaut de l’existence en France de registres municipaux de population, dans l’évolution de la géographie des naissances. En outre, les changements climatiques sont de nature à mettre en cause les deux importants processus d’héliotropisme positif et d’urbanisation [Dumont 2022], en encourageant un héliotropisme négatif (donc la répulsion de territoires dont le fort ensoleillement se traduit par des périodes caniculaires longues et répétitives) et une émigration urbaine plus intense que celle déjà constatée, en termes de migrations internes, pour l’agglomération de Paris ces dernières décennies.
26L’autre élément qui vient influencer la géographie de l’aménagement tient à l’évolution de la législation et, plus particulièrement, à la loi Climat et résilience de 2021 énonçant l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN), soit un objectif contraignant de sobriété foncière [Barrier & Dumont 2023], selon une démarche pluriannuelle organisée en deux étapes :
-
de 2021 à 2031, le rythme d’artificialisation des espaces naturels agricoles et forestiers doit être divisé par deux par rapport au rythme de consommation réelle de ces espaces observé sur les dix années précédentes,
-
dans un deuxième temps, à horizon 2050, la France doit atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette des sols.
27La question de la durabilité se trouve en conséquence dans un contexte complexe où se combinent les souhaits des populations sur le choix de leur lieu de résidence en partie lié aux évolutions climatiques, et la législation dont on ne sait si sa mise en œuvre vise à accompagner les souhaits des populations ou, au contraire, à les contrarier, et le contexte environnemental futur qui, non seulement, n’est pas globalement connu (quel sera l’augmentation du niveau de la mer en France, des crues, des températures… ?) d’autant qu’il ne dépend pas que des Français, mais dont les diversités territoriales futures restent à préciser.
28Or, la régulation des aménagements sur les territoires pourra avoir un effet d’accompagnement des transformations rendues nécessaires ou d’amplification des phénomènes si les anticipations ne comprennent pas une approche holistique des enjeux de durabilité (par exemple, le renforcement de l’artificialisation des sols dans des zones de forte augmentation de l’intensité des pluies).
29Quoi qu’il en soit, une géographie durable de l’aménagement suppose des réponses adaptées aux spécificités des territoires, ce qui signifie, par exemple, que ces réponses ne peuvent être les mêmes pour des territoires continentaux et pour des territoires littoraux [Doré 2023].
30La géographie de l’aménagement n’est évidemment pas indépendante de la géographie économique, ou géographie des systèmes productifs, donc de la répartition spatiale des activités économiques qui impliquent des aménagements.
31Sous l’angle économique, les territoires français se caractérisent par de très fortes diversités :
-
des territoires gagnants, neutres ou perdants du développement local [Rieutort 2021, Dumont, 2018] ;
-
des dynamiques d’emplois très contrastées, voire contrariées [Zaninetti 2018] ;
-
dans la fabrique urbaine (et indirectement des modes de vie), des mécanismes ou modèles économiques, juridiques et techniques prépondérants, avec un foncier qui reste la principale source de volatilité et d’inflation des marchés immobiliers [Emont & Dumont 2018].
32Par exemple sur nombre de marchés du logement, l’accroissement des prix, supérieur à celui de l’inflation (corrélée aux revenus des ménages) constaté au moins depuis les années 2010, contribue à une éviction par le prix des populations natives. Des quartiers/immeubles ou constructions sont ainsi improprement qualifiés de durables [Pancrazio 2011], même si le bâtiment est efficace énergétiquement. En effet, si l’efficacité environnementale de logements va de pair avec un prix engendrant des phénomènes d’exclusions des populations locales, cela n’a rien de durable.
33En revanche, la géographie économique des territoires peut évoluer vers davantage de durabilité par exemple en fonction des décisions favorisant l’économie circulaire [Bourdin & Torre 2023] ou les circuits courts [Callois 2022].
34Tous les pays éprouvent des difficultés à s’orienter vers le développement durable [Gay & Landriève 2018]. Les concepts de villes technologiques de type Smart city montrent leurs limites, comme dans le passé les villes nouvelles, telles Cergy-Pontoise ou Saint-Quentin en Yvelines [Dumont 2010] ; l’enjeu pour les pays urbanisés tel la France est avant tout dans une évolution des modes d’habiter au sein d’un cadre largement bâti. Les éléments de co-construction de modes de vie attirants tout en étant durables sont encore peu mis en œuvre. Toutefois, outre certaines communes françaises, d’autres pays présentent des exemples de la capacité à faire évoluer une ville et son territoire en définissant une stratégie, une méthodologie opérationnelle et l’usage d’outils efficients à la hauteur des enjeux [Pancrazio 2021]. Certes, des réalisations réussies ne sont jamais exactement transposables d’un territoire à un autre sans changements ou adaptations significatifs aux réalités du lieu.
35Pour construire et partager la vision de la durabilité, une importance significative est donnée aux indicateurs destinés à objectiver le champ des possibles. Or, un biais important figure dans les indicateurs de développement durable fournis par l’Insee qui sont pourtant des éléments clés de la mesure des politiques publiques. En effet, le système français s’oriente vers des territoires neutres au regard des émissions de gaz à effet de serre, sans réelle mesure de l’empreinte qui tiendrait également compte des importations venant de l’extérieur des frontières [Degron 2023], ni des autres dimensions, par exemple celle de la gestion des limites planétaires pour assurer de conditions de vies adaptées aux espèces vivantes, dont la nôtre, nécessaires à des territoires gouvernables.
36Rappelons le propos du président de la République française Georges Pompidou, le 28 février 1970 à Chicago, l’année qui précéda la création en France d’un ministère de l’environnement : « L’emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte le risque de destruction de la nature elle-même […] La nature apparaît de moins en moins comme la puissance redoutable que l’homme du début de ce siècle s’acharnait encore à maîtriser, mais comme un cadre précieux et fragile qu’il importe de protéger pour que la Terre demeure habitable à l’homme ».
37En pratique, ce ministère visa à répondre à l’inquiétude de l’opinion relative à la pollution, aux nuisances d’origine industrielle et à son souhait de préserver les espaces naturels. Son champ de compétences direct concerna les établissements dangereux et insalubres, la chasse et de la pêche, les parcs nationaux, la protection des monuments et des sites naturels, sans qu’un corps d’inspection spécifique ne soit jamais créé. Comme généralement en France, la politique conduite par le ministère de l’environnement et ses successeurs n’a pas fait l’objet d’une évaluation détaillée, ni nationale, ni locale, aux regards des enjeux assignés.
38Or, pour assurer l’adaptation aux territoires et répondre aux préoccupations des populations, les gouvernances territoriales doivent évoluer. Mais, la France, après une période de décentralisation, s’est largement recentralisée au fil de multiples changements réglementaires, minorant la libre administration des collectivités territoriales et donc les marges d’innovation et d’action des collectivités territoriales [Dumont 2020].
39Pourtant, une approche collaborative, interdisciplinaire et territoriale peut être un vecteur d’efficience :
-
la Suisse, avec une densité de population double de celle de la France et en réalité beaucoup plus élevée si l’on considère que l’habitat au-dessus de 2000 mètres n’est guère à envisager, a dénombré un taux de décès à la Covid-19 moindre en proportion d’environ un tiers ; par ailleurs, selon les chiffres du Fonds Monétaire International, l’économie s’y est contractée en pleine pandémie de seulement 2,9 % (contre une moyenne mondiale de 4,9 % et 12,8 % pour la France),
-
les engagements des villes en matière de durabilité ne peuvent être menés sans lien avec les transitions rurales [Rieutort 2023].
40En outre, la définition de la transition écologique à mener ne doit pas être restrictive, ni dans ses échelles géographiques, ni dans ses thèmes. Par exemple, il convient de ne pas s’attacher qu’aux seules métropoles, comme peut le laisser subodorer la loi climat et résilience qui semble implicitement considérer surtout les friches urbaines offrant du foncier disponible et omettre le faible potentiel de friches dans les autres territoires. De même, il ne faut pas s’attacher qu’aux seules actions directes permettant de lutter contre les changements climatiques.
41Il convient aussi de considérer tout ce qui relève d’actions indirectes favorables permettant de viser le développement durable, comme la qualité de l’éducation y compris à l’environnement, à la santé ou à la bonne nutrition qui doit concerner toutes les populations pour ne pas créer de plus fortes injustices sociales.
42Pour que les populations s’orientent et bénéficient [Pancrazio 2020] de saines et pérennes conditions de vie, le développement durable sur les territoires est impératif. Au-delà du cadre général qu’il appartient à l’État de définir, et sans doute de clarifier lorsque l’on considère la profusion de lois votées en France ces dernières années, il faut des réponses systémiques adaptées à chaque territoire, ce qui appelle à une collaboration et des marges d’action pour la gouvernance territoriale, afin que les populations vivent dans un écosystème terrestre apprécié et une réelle durabilité.