Navigation – Plan du site

AccueilNuméros100-2Durabilité, urbanité et mixité da...

Durabilité, urbanité et mixité dans les opérations d’intérêt national (OIN) : les exemples d’Euroméditerranée (Marseille) et de l’Écovallée Plaine du Var (Nice)

Ustainability, urbanity and diversity in operations of national interest (OIN): The examples of euroméditerranée (Marseille) and the Écovallée Plaine du Var (Nice))
Alexandre Grondeau
p. 219-234

Résumés

Dans cet article, nous souhaitons examiner la place de la durabilité, de l’urbanité et de la mixité dans les grands projets urbains français labélisés opérations d’intérêt national (OIN). Grâce à un certain nombre d’études de terrain et d’enquêtes réalisées à Marseille et à Nice, au sein des OIN Euroméditerranée et Écovallée Plaine du Var, nous questionnerons leur réalité et leurs différents impacts territoriaux.

Haut de page

Texte intégral

1Depuis les années 1960, en France, les opérations d’intérêt national (OIN) apparaissent comme un moteur important des politiques d’aménagement du territoire dites « compétitives ». Centrée autour d’objectifs de compétitivité, de durabilité territoriales et de mixité, la production de ces grands projets urbains est présentée comme déterminante dans la concurrence à laquelle se livrent lesvilles du monde entier tout autant que dans la recherche de bien-être urbain et de qualité de vie locale, souvent assimilés un peu rapidement aux notions d’urbanité et de mixité sociale.

2Dans cet article, nous souhaitons examiner la place de la durabilité, de l’urbanité et de la mixité dans ces opérations d’aménagement, et la réalité de leur émergence et/ou de leur existence. Dans bien des cas en effet, l’utilisation des termes durabilité, urbanité et mixité peut apparaître comme un outil de marketing territorial permettant d’occulter un certain nombre de difficultés sociales et de transformations sociologiques engendrées par ces grands projets urbains.

3Pour ce faire, nous étudierons deux projets emblématiques des OIN que sont l’Écovallée Plaine du Var, au cœur de la métropole de Nice, et l’Écocité Euroméditerannée, situé sur le front de mer marseillais. Grâce à plusieurs études et enquêtes de terrain menées sur ces OIN et auprès des populations des quartiers aménagés et-ou réaménagés (en 2014, 2019 et 2022 à Nice ; et en 2017, 2018 et 2020 à Marseille), nous tenterons d’appréhender au mieux les réalités de la durabilité, de la mixité et de l’urbanité revendiquées par ces deux grands projets urbains.

1. Compétitivité, durabilité et renouvellement urbain au cœur des OIN labellisées

4Les opérations d’intérêt national sont des grands projets urbains de régénération de quartiers en crise, ou en déprise, jugés prioritaires par le gouvernement français soucieux d’inscrire les métropoles concernées par ces OIN dans une compétition territoriale internationale guidée par la recherche de compétitivité [Ardinat 2013, Grondeau 2022]. Marqués par la désindustrialisation, la nouvelle division internationale du travail, les délocalisations, et le chômage de masse, les pays occidentaux ont tenté de lutter contre une certaine forme de déclassement métropolitain au moyen de politiques d’aménagement du territoire ambitieuses considérant la requalification du bâti, l’amélioration du cadre de vie pour la vie des cadres et des populations urbaines, l’encouragement de la mixité fonctionnelle et sociale, le développement local, l’urbanité et la durabilité comme des ressorts importants de cette recherche de compétitivité.

5À l’origine, les OIN se sont incarnées dans l’aménagement du quartier des affaires de La Défense, à Paris en 1958, puis dans la création des villes nouvelles, en particulier franciliennes, dans les années 1970. Envisagées par l’État comme un outil de planification territoriale efficace, les premières OIN sont une tentative de reconstruire la ville sur elle-même en la dotant de différentes centralités et équipements permettant de sortir des limites classiques du fonctionnalisme urbain. Ces premières expériences connaîtront des succès mitigés, en particulier dans leur capacité à instaurer de la mixité et de l’urbanité [Burgel 1993, Dumont 2010, Morel-Journel & Pinson, 2010].

  • 1 Onze OIN ont été lancées entre 1987 et 2017.

6Dans les années 1990, dans un contexte de mondialisation et de métropolisation exacerbées, une seconde vague d’OIN1 est lancée par l’État français qui souhaite toujours favoriser sa vision planificatrice, mais en prenant en compte cette fois de manière plus importante l’échelle locale, malgré un certain nombre de difficultés qui y sont rencontrées en matière d’aménagement de grands projets urbains comme la longue durée de leurs mises en place, l’insuffisance de ressources financières locales ou des concurrences politiques jugées sclérosantes. Sous l’effet des lois de décentralisation instaurées dans les années 1980, les collectivités territoriales vont ainsi initier et/ou participer à la mise en place de ces nouvelles formes de gouvernance territoriale portant des opérations de requalification et de planification urbaines débouchant sur la co-construction de véritables projets territoriaux, tout en restant sous le contrôle attentif des gouvernements successifs. C’est tout le paradoxe de cette deuxième phase d’initiation des OIN que d’y observer une volonté de recentralisation gouvernementale grâce à la possibilité laissée à l’État de délivrer des permis de construire, de réviser des plans locaux d’urbanisme, de définir le périmètre des zones d’aménagement concerté, au moment même où les grandes villes françaises souhaitent plus que jamais affirmer leurs ambitions locales et une certaine forme d’indépendance politique. Pour reprendre l’analyse de Gilles Pinson, les OIN-EPA s’apparentent à des « créations et des bras armés de l’État ayant pour vocation de prendre en charge l’urbanisation de portion de territoires en lieu et place des gouvernements urbains. » [Pinson 2020].

7Le choix d’implantation des OIN se réalise préférentiellement dans des portions de villes en crise, ou en difficulté, ce qui fait de ces grands projets territoriaux des outils majeurs de la régénération urbaine portée par les pouvoirs publics. Grâce aux OIN, l’État va ainsi pouvoir renforcer sa vision planificatrice en s’alignant notamment sur les grandes stratégies urbaines européennes cherchant à favoriser la compétitivité urbaine grâce à l’innovation, le développement durable, la culture et le marketing territorial. C’est ainsi que de nombreuses OIN (Euratlantique à Bordeaux, Paris Saclay par exemple) vont être labellisées « Écocité », devenant par là même, dans l’esprit du gouvernement, de véritables laboratoires de l’expérimentation de la fabrique de la ville durable française2 et du retour de la nature en ville [Emelianoff 2007]. L’innovation technologique, en particulier issue des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), et les politiques de smart city servent alors de leviers au développement de l’aménagement durable en étant censé favoriser la gestion sobre de l’énergie et l’économie circulaire [Bourdin & Torre 2023] des ressources, les mobilités et les transports doux et collectifs, la construction responsable de bâtiments autonomes [Voiron 2015].

8À ce souci d’encourager la durabilité urbaine s’ajoutent la volonté de développer la mixité fonctionnelle et sociale, la lutte contre l’étalement urbain grâce à la promotion de la densité urbaine et de la ville compacte, tout en valorisant et mettant en scène les portions de villes labellisées OIN. La dotation en équipements et en événements culturels est envisagée comme un moyen de transformer l’image de quartiers paupérisés et déqualifiés et de leur redonner une certaine qualité de vie en les rattachant aux autres portions de la ville compétitive, de la ville qui gagne dans la mondialisation.

9La promotion d’un aménagement du territoire durable apparaît donc clairement comme constitutive des OIN, et sans étudier de manière exhaustive l’ensemble de ces projets, nous proposons de questionner la réalité de ces politiques et projets durables de territoire, et certains de leurs impacts, dans deux OIN françaises emblématiques : Euroméditerranée à Marseille et l’Ecovallée Plaine du Var à Nice. Dans ces deux opérations, si l’objectif de durabilité est assumé, les situations à l’origine sont différentes.

10Euromediterrannée s’inscrit dans un contexte de requalification d’un front de mer-centre urbain marseillais marqué par de multiples crises et le déclin du complexe industrialo-portuaire. Incarnée par la multiplication de friches urbaines et la précarisation de quartiers autrefois industriels, dès 1995, l’OIN a comme ambition de requalifier plus de 310 hectares en favorisant l’aménagement d’un nouveau centre d’affaires autour de La Joliette, d’une zone commerciale touristique (les Terrasses du Port, les Docks), de nombreux logements dans le quartier d’Arenc, d’un pôle culturel (la Cité de la Méditerranée avec comme lieu emblématique le Mucem - Musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée), la requalification des quartiers de la friche de la Belle de Mai et de la gare Saint-Charles. Le coût de la régénération urbaine du front de mer phocéen est estimé à 7 milliards d’euros, dont plus d’un milliard fut à la charge des pouvoirs publics, pour des résultats revendiquant plus de mille entreprises et vingt mille emplois créés. En 2007, un second périmètre appelé Euroméditerranée 2 et plus tourné vers les quartiers nord de la ville est labellisé Écocité dans le cadre du plan gouvernemental « Ville Durable » avec comme ambition affichée de créer « un territoire d’innovation et d’expérimentation de l’aménagement urbaine (où l’on peut) tester, déployer et valoriser les services et technologies innovantes de la ville durable méditerranéenne »3.

11L’Écovallée Plaine du Var est une zone périphérique située à l’ouest de la métropole niçoise, qui s’étend de l’aéroport au sud jusqu’aux communes de Carros, Gilette et Gattières au nord. Véritable corridor fluvial et agricole (où l’on retrouve différentes cultures maraîchères et une appellation d’origine protégée - AOP), traversé par un axe autoroutier et peuplé de plus de 120 000 habitants, la plaine du Var a longtemps été considérée comme un espace à l’aménagement désordonné, peu attractif pour ne pas dire répulsif, en tout cas pas à la hauteur d’une entrée de ville comme celle espérée par les maires successifs de la capitale de la Côte d’Azur. En 2007, l’OIN est apparue aux pouvoirs publics comme une opportunité de revaloriser ce territoire en friche à de nombreux endroits et développer une entrée de métropole homogénéisée, harmonisée autour des activités innovantes (technopole urbain Nice-Meridia), d’un quartier des affaires (Grand Arénas), d’équipements sportifs et culturels de dimension internationale (stade Allianz Riviera, Zénith) et des grands principes de la smart city (Nice intègre le « top 15 » du classement Juniper des smart city mondiale à la fin des années 2010). L’ambition déclarée de l’actuel maire de Nice est de faire de sa ville une ville verte, durable, intelligente et attractive.

12Malgré ces différences d’origine, nous allons voir que les deux OIN ont en commun ce référentiel urbain à la durabilité, à l’amélioration de la qualité de vie, à la lutte contre les pollutions et la protection de l’environnement, et nous allons le questionner à travers un certain nombre de réalisations.

2. De grandes ambitions mais une durabilité inachevée

13La création de l’OIN Écovallée Plaine du Var a été actée en 2008 dans un contexte politique particulier puisque le gouvernement français avait lancé l’année précédente le Grenelle de l’Environnement. Celui-ci avait pour mission de proposer un certain nombre de transformations dans le pays allant dans le sens d’un développement plus durable et d’une prise en compte des préoccupations de préservation de l’environnement et de lutte contre les pollutions en tout genre. Dans ce contexte, la création de l’OIN Écovallée Plaine du Var a été pensée comme une application des principes de ville durable associée à une éco-exemplarité revendiquée.

14Pilotée par un établissement public d’aménagement (EPA), dont le conseil d’administration est composé de trois types d’acteurs (représentants de l’État, des collectivités locales, et des institutions partenaires), l’OIN s’est vue attribuer différentes missions économiques et urbaines, où la durabilité et l’innovation sont appelées à jouer un rôle déterminant. Ainsi, les objectifs de la création de plus de 40 000 emplois comme de différents pôles urbains ont été pensés, dans le premier cas, comme appartenant pour une part importante aux secteurs des écotechnologies et, dans le second cas, comme devant intégrer une haute qualité environnementale. Il s’agit de l’aménagement d’un parc d’activités (Nice Méridia) dédiés aux activités liées à la santé et la lutte contre les pollutions, de la préservation de l’environnement symbolisé par l’implantation de l’Institut méditerranéen du risque et du développement durable (IMREDD), de la création d’une pépinière d’entreprises et d’un campus universitaire dédiés. La fabrique et la production de deux écoquartiers (sur les communes de Saint-Jeannet et Gattières) et la labellisation Écocité d’une zone de 3 000 hectares au sud de l’OIN renforcent la perspective durable de l’Écovallée. Dans ces espaces, économie et/ou sobriété énergétiques, utilisation des énergies renouvelables, mobilité douce, optimisation du trafic automobile, gestion autonome des ressources en eau, surveillance de la qualité de l’air, gestion des déchets, végétalisation urbaine, protection des zones naturelles et des zones agricoles, construction à haute qualité environnementale (HQE) ont été et sont encore favorisé pour assurer la soutenabilité du grand projet urbain. Il est intéressant de noter ici que la durabilité de l’Écovallée est, dans les faits, prioritairement envisagée par ses ordonnateurs et ses gestionnaires dans son rapport à l’environnement et à sa préservation, et dans son rapport au développement économique et son positionnement sur des activités en lien avec des préoccupations écologiques. La dimension sociale de la durabilité reste un peu en retrait du projet, cantonnée à l’avènement hypothétique d’une mixité et d’une urbanité que nous étudierons dans la partie suivante, mais envisagée comme devant découler « naturellement » des préoccupations environnementales et économiques de l’OIN et de leurs dimensions technologiques.

15Pour favoriser leurs aspirations et réaliser leurs ambitions de durabilité urbaine, le choix de la municipalité de Nice et de la métropole Nice Côte d’Azur a été se positionner très tôt en matière de gestion urbaine et de sa montée en gamme technologique. La politique dite de smart city a été priorisée par Christian Estrosi, maire de la ville (depuis 2008) et président de la métropole (depuis sa création en 2012), et ancien ministre en charge de l’aménagement du territoire (2005-2007), qui en fait un projet de ville autant qu’un horizon urbain. De cette notion de smart city, C. Estrosi « retient deux traits fondamentaux : premièrement, elle va permettre d’assurer et d’accélérer la transition écologique ; nous allons progressivement rentrer dans l’ère du post-carbone. Deuxièmement, de nouveaux usages vont faciliter la vie quotidienne, notamment les déplacements urbains. » À partir de 2011, plusieurs projets municipaux illustrent ce parti pris et sont hébergés au Smart Innovation Center, un bâtiment situé au cœur de l’OIN Écovallée : création du centre d’excellence smart city (Centrex) qui permet un pilotage transversal et une gouvernance territoriale, des projets de Monitoring urbain environnemental (MUE) et Monitoring urbain santé environnemental (MUSE), installation et location d’un réseau de vélos et de voitures en libre-service (Vélo Bleu et Auto Bleue).

16Le projet MUE, par exemple, est un système technologique de collecte et de mesure de données fondé sur un réseau de plus de trois mille capteurs installés dans la partie sud de l’Écovallée, sur 160 hectares. Grâce à ces capteurs, sont récoltées des informations concernant la qualité de l’eau et de l’air, le niveau des pollutions (même sonore), l’intensité du trafic autoroutier, la gestion des déchets, la consommation d’énergie. Les premiers résultats sont encourageants puisque, grâce au projet MUE, la métropole explique avoir économisé autour d’un million d’euros par an, sur trois ans, grâce, entre autres, à des économies d’énergie en matière d’éclairage, et a réussi à optimiser sa collecte des déchets.

17Dans un contexte sociétal où la préservation de l’environnement apparaît comme une priorité des Français, la municipalité et la métropole de Nice cherchent régulièrement à mettre en avant ces résultats positifs découlant de leur stratégie territoriale « technologico-durable ». Ainsi, dès 2011, elles ont été lauréates du « Smarter City Challenge » lancé par IBM, et récompensant le dynamisme technologique des villes du monde entier. En 2016, grâce à son réseau solaire énergétique smart, la ville Nice a obtenu le label national Initiative d’excellence, et en 2018, la capitale azuréenne a remporté le prix « Smart City et croissance verte » décerné par BFM Business.

18Ces réussites médiatisées et observables dans le périmètre de l’OIN ne doivent pas cacher cependant la difficulté qu’elles ont à se généraliser au reste du territoire azuréen. Nous avons analysé par ailleurs la répartition des équipements smart niçois et l’avons cartographiée [Grondeau 2022]. Force est de constater qu’on observe à Nice une concentration des équipements smart (carte 1).

Carte 1 – La géographie des équipements de la métropole Nice Côte d’Azur considérés comme relevant d’une logique de smart city

Carte 1 – La géographie des équipements de la métropole Nice Côte d’Azur considérés comme relevant d’une logique de smart city

Source : Grondeau 2022

19L’action du Centrex et les résultats des projets MUE et MUSE restent ainsi cantonnés à des espaces réduits de la ville de Nice, a fortiori de la métropole qui, avec ses 51 communes, compte 1 480 km2 et s’étend jusqu’à l’extrême nord du département des Alpes-Maritimes. Et si les quartiers touristiques sont concernés par certains équipements smart, les quartiers populaires, en particulier au Nord et à l’est de la ville sont très peu concernés. Au-delà de l’observation d’une priorisation des dimensions environnementales et économiques de la durabilité niçoise, nous constatons donc une différenciation territoriale concernant la localisation des équipements smart de la ville. Il existe au moins deux lectures de cette situation donnée à un moment T : l’expérience durable et smart de l’OIN a vocation à concerner l’ensemble de la ville et de la métropole et elle est encore dans une phase de test et d’incubation ; ou cette expérimentation urbaine durable et smart participe d’une fragmentation urbaine s’accélérant au fil des cycles économiques et des révolutions technologiques. Il est difficile de se prononcer aujourd’hui à ce sujet, même si les annonces d’équipements smart et durable dans les quartiers populaires niçois restent rares. L’avenir permettra donc de mesurer si le souci environnemental et durable de l’OIN aura été un véritable moteur d’une reconstruction différente de la ville sur elle-même ou s’il sera resté un relais de croissance classique d’un capitalisme immobilier trouvant dans la référence écologique une justification à son développement.

20La dimension urbaine durable est également une composante importante de la première phase de l’OIN Euromediterranée. Lancé en 1995, le grand projet de régénération urbaine du front de mer marseillais se revendique très vite comme relevant de la volonté d’aménager la « ville durable méditerranéenne »4 associant les modes de vie et le climat local spécifiques aux solutions classiques portées par la durabilité urbaine : ville dense plutôt que diffuse, mobilités douces et mixités fonctionnelle et sociale, architecture durable et valorisation des espaces naturels (eau et espaces verts) en ville. Cette conception locale de la ville durable participe de la montée en gamme de la qualité de vie espérée de l’OIN [Hagel 2013] qui « expérimente une approche low cost/easy tech qui s’appuie sur une conception bioclimatique des constructions et des aménagements publics » [Hébert 2015]. La nouvelle skyline phocéenne, construite sur le principe de la densification urbaine, est symbolisée par les tours CMA-CGM (2011), la Marseillaise (2018) et prochainement par les tours de la Porte bleue et du quartier d’Arenc, toutes labellisées à haute qualité environnementale et qui sont ou seront dotées de réseaux électriques smart permettant de gérer au mieux la production et leur consommation d’électricité.

21Malgré un certain nombre de critiques et de réserves quant à la réussite sociourbaine du grand projet urbain phocéen [Maisetti 2014, Vignau & Grondeau 2021], les responsables de l’OIN Euroméditerranée, regroupés au sein de l’EPAEM (établissement public d’aménagement Euroméditerranée) et d’un conseil d’administration qui réunit représentants de l’État, représentants des collectivités, représentant du grand port maritime et personnalité qualifiée nommée par le Premier Ministre, ont décidé de voter en 2010 une extension à l’OIN de 170 hectares, dans la continuité nord de la phase 1 de l’OIN. Il s’agira dans ce projet de créer des logements pour près de 30 000 habitants et de participer à la création de 20 000 emplois, là où l’on comptait au moment de son lancement un peu plus de trois mille habitants. Portée par des politiques publiques de smart city, la référence à la ville durable est au cœur, pour ne pas dire constitutive, du projet appelé Euroméditerranée 2 [Kaplan & Marcou 2009] qui accueillera plusieurs écoquartiers, un parc de logements (de 14 000 habitations neuves), des bureaux, des commerces, ainsi que deux parcs (Aygalades et Bougainville) pour un total de 18 hectares d’espaces verts en plein cœur de ville.

Carte 2 – Les périmètres de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée 1 (lancé en 1995) et Euroméditerranée 2 (2010, extension de 170 hectares)

Carte 2 – Les périmètres de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée 1 (lancé en 1995) et Euroméditerranée 2 (2010, extension de 170 hectares)

22À Marseille, la labellisation Écocité de la phase 2 de l’OIN Euroméditerranée apparaît également après le Grenelle de l’Environnement de 2007. Elle s’inscrit dans la double référence à la durabilité urbaine et à la Méditerranée de la phase 1, qu’elle renforce grâce à un projet urbain qui explique privilégier « la transition urbaine par les usages et par l’humain plutôt que par le bâti ». Derrière ce slogan qui se veut structurant, les dirigeants de l’EPAEM font le pari de la technologie et de la smart city au service de la préservation de l’environnement, de l’attractivité économique et d’une certaine qualité de vie. Celle-ci s’illustre par exemple avec la mise en oeuvre des deux écoquartiers Smartseille et Les Fabriques. Aménagé en 2016, l’îlot Allard de 2,7 hectares, connu sous le nom de Smartseille, est présenté comme emblématique de l’urbanisme et de l’urbanité durables, bien que ces concepts ne soient pas encore stabilisés d’un point de vue scientifique [Lecoquierre 2018], a fortiori quand ils se revendiquent méditerranéens. Mêlant mixité fonctionnelle (bureaux, logements, équipements scolaires) et sociale (logements sociaux, en accession, habitat intergénérationnel), haute qualité environnementale, et plateforme d’échange et de partage (permettant de faciliter les nouveaux usages urbains), Smartseille est censé incarner le cadre de vie durable et intelligent de la société post-carbone.

23La recherche d’attractivité économique d’Euromediterrannée 2 est illustrée par le concours Med’Innovant qui récompense des start-up locales travaillant à la résolution de problèmes urbains liés à la durabilité des territoires méditerranéens. Un certain nombre de défis orientent les activités récompensées vers les domaines des bâtiments innovants, des besoins en énergie, de la place de l’eau dans la ville ou de l’économie circulaire. L’implantation du plus grand Makerspace du sud-est de la France, dans l’écoquartier Les Fabriques, est également présentée comme un avantage comparatif de l’OIN. Sa superficie de 3 500 m2 est totalement dédiée aux acteurs de l’innovation technologique et du numérique, de l’artisanat, de l’art, grâce à des espaces de co-working dédiés, un FabLab et différents services indispensables au développement de ces activités.

24Enfin, le souci de la préservation de l’environnement de l’Écocité Euromediterrannée se retrouve notamment dans l’aménagement d’espaces verts et le développement de nouveaux modèles de consommation énergétique. L’exemple du parc Bougainville, première étape de l’opération de renaturation d’un ancien site industriel devenu insalubre, montre la volonté des aménageurs de combler les carences en espaces publics verts des quartiers populaires nord de Marseille. L’emploi de la Thalassothermie constitue une autre tentative d’utilisation d’énergie propre et renouvelable alimentant les bâtiments de l’Écocité.

25Dans l’ensemble de ces expériences, nous retrouvons le constat opéré dans l’Écovallée Plaine du Var : la concentration des expérimentations durables dans l’OIN et leur difficile porosité et longue diffusion dans les quartiers populaires voisins. De même on observe dans Euroméditerrannée 2, une priorisation des équipements urbains durables autour de la préservation de l’environnement et de la recherche d’attractivité économique, même si la présence des quartiers Nord, en grande difficulté sociale, oblige les promoteurs à insister sur la qualité du cadre de vie. Nous allons voir à présent que cette recherche d’urbanité et de mieux vivre-ensemble se heurte à un certain nombre de difficultés.

3. Mixité sociale et urbanité inabouties. Des grands discours pour des réalités encore problématiques

26Si l’argument social est apparu quelque peu en retrait des politiques de durabilité urbaine des deux OIN étudiés, cette dimension n’en demeure pas moins importante dans les discours et les ambitions de l’Écovallée Plaine du Var et de Euroméditerranée, et ce d’autant plus que ces deux opérations intègrent ou jouxtent des quartiers très pauvres dans leur périmètre. Pour évaluer une partie des résultats sociaux des OIN, nous avons pris le parti d’interroger des zones caractérisées par la faiblesse du niveau de vie de leurs habitants et leur intégration au projet de montée en gamme durable et territorial.

  • 5 Ces études ont été menées lors de plusieurs enquêtes de terrain dont la dernière a été financée en (...)
  • 6 Pour l’examen de ce phénomène à l’échelle plus large des unités urbaines de Marseille et Nice, voir (...)

27Dans l’Écovallée Plaine du Var, nous avons choisi d’étudier particulièrement l’intégration du quartier des Moulins, situé au cœur de l’OIN, dans un périmètre ZUS (zone urbaine sensible) et faisant partie des PRU (projet de rénovation urbaine) de l’ANRU (Agence Nationale de la Rénovation Urbaine)5. Construit dans les années 1960-1970 sur un bidonville, le quartier des Moulins a, dès l’origine, accueilli une population ouvrière et immigrée, et est rapidement devenu un territoire qualifié de QPV (quartier prioritaire de la politique de la ville), caractérisé par la précarité6 et le chômage. Pour mesurer sa nécessaire intégration sociale au reste de l’OIN, et en particulier à la technopole urbaine Nice Méridia, il suffit de comparer le taux de bas revenus déclarés (70 % de la population des Moulins, 27,8 % dans l’ensemble de l’OIN), la médiane des revenus disponibles comprise entre 8 810 et 12 000€ (pour 21 000€ en moyenne sur le territoire de l’Écovallée), et un pourcentage élevé de familles monoparentales de l’OIN dans le quartier des Moulins.

28Cette précarité s’ajoute à un enclavement urbain du quartier des Moulins favorisé par la proximité de l’autoroute et de grandes avenues urbaines et la différenciation des urbanismes (sous forme de barres HLM aux Moulins et la construction de bâtiments modernes et végétalisés pour certains, à Nice Méridia). L’OIN tente de participer au désenclavement du quartier grâce à l’amélioration de son accessibilité obtenue grâce à la construction des nouvelles lignes 2 et 3 du tramway. La ligne 2 qui relie respectivement le port, localisé à l’est de la ville, à l’aéroport situé à l’ouest, et la ligne 3 dessert toute la plaine du Var jusqu’au stade de l’Allianz Riviera.

29En termes de qualités urbaines, la redéfinition de la trame urbaine, l’augmentation de la surface d’espaces verts et la réhabilitation et la destruction de logements favorisent, dans l’esprit des aménageurs, l’ouverture du quartier et sa porosité aux quartiers voisins dont Nice Méridia. L’amélioration du cadre de vie est associée à une valorisation de l’offre commerciale et des clauses d’insertion dans les marchés publics réservent un certain nombre d’emplois aux habitants des Moulins. Des ateliers participatifs et des réunions publiques sont également organisés afin de mobiliser et d’inclure les populations locales dans les transformations urbaines en cours.

30Malgré ces tentatives, 55 % de la population des Moulins interrogées déclarent ne pas connaître le projet Écovallée (contre 71 % des résidents-usagers interrogés à Nice Méridia). Par ailleurs, plus du tiers des habitants des Moulins jugent l’OIN inutile, chiffre à nuancer par le fait que 70 % des habitants des Moulins interrogés disent que les travaux de renouvellement urbain donnent une image plus positive du quartier. Concernant les interactions entre le quartier QPV des Moulins et la technopole urbaine Nice Méridia, elles restent faibles pour deux zones distantes de quelques mètres d’une rue à traverser. 38 % des habitants des Moulins interrogés expliquent ne pas aller et ne pas pratiquer le quartier Nice Méridia (parce qu’ils n’aiment pas le quartier à 51 %, et parce que l’offre en commerces et services est jugée insuffisante) ; ils sont donc 62 % à le pratiquer mais, pour plus de la moitié, de manière rare ou occasionnelle. Du côté des résidents et des usagers de Nice Méridia interrogés, 62 % disent ne pas aller ni pratiquer le quartier des Moulins (à 81 % ils n’aiment pas le quartier, à 69 % à cause d’une offre de commerces et de services insuffisante et à 36 % avec le sentiment de ne pas y être à leur place). Malgré ces chiffres, 98 % des répondants ne s’estiment ne pas avoir été victimes d’incivilités ou d’insécurité aux Moulins. Quand on demande aux habitants des Moulins s’ils connaissent des personnes habitant et/ou travaillant à Nice Méridia, ils sont 72 % à expliquer que non, et dans le sens inverse, 75 % des résidents-usagers de Nice Méridia disent ne pas connaître d’habitants des Moulins.

31Les discussions formelles et informelles avec les populations locales confirment cet état de fait et constatent des stratégies d’évitement de part et d’autre des populations des deux quartiers voisins. 15 ans après le lancement de l’OIN Ecovallée Plaine du Var, il apparaît que l’intégration des populations précaires du quartier des Moulins au quartier voisin Nice Méridia reste faible. Les tentatives de casser la fragmentation urbaine par une transformation de la trame urbaine et la réhabilitation-reconstruction des deux quartiers ne semblent pas avoir agi fortement sur les barrières psychologiques et les a priori existant entre les populations en présence.

32À Marseille, au sein de l’OIN Euroméditerranée, nous avons montré par ailleurs qu’il existait également une intégration inaboutie de l’équipement culturel Friche de la Belle de Mai vis-à-vis des populations pauvres du troisième arrondissement de la ville, et ce malgré des tentatives régulières de leur ouvrir les lieux [Vignau 2020, Grondeau & Vignau 2021]. À partir d’enquêtes réalisées en 2019 auprès des habitants du quartier de la Belle de Mai, la moitié de la population interrogée n’avait jamais visité la friche culturelle emblématique de l’OIN, et seulement 21 % avaient participé à un événement s’y étant déroulé dans les six mois précédant notre enquête. 73 % considéraient également que l’équipement culturel n’avait pas d’impacts économiques sur le quartier, ni touristiques (61 %), et n’offrait pas de possibilités d’emploi aux habitants locaux (69 %). Du côté des « Frichistes » (personnes travaillant à la friche de la Belle de Mai), seulement 5 % expliquaient résider dans le troisième arrondissement marseillais.

33Nous avons également identifié un certain nombre « d’oubliés » de la régénération urbaine MP13 [Vignau & Grondeau 2018] montrant qu’au fur et à mesure que la phase 1 de l’OIN avait été développée, des transformations sociologiques étaient notables dans le périmètre d’Euroméditerranée : baisse du nombre d’ouvriers, augmentation du nombre de cadres, inadéquation entre les offres d’emploi proposées dans le périmètre de l’OIN et les qualifications des personnes y résidant. Dans ce contexte, l’événement Capitale européenne de la culture (Marseille-Provence 2013) n’a fait que renforcer la fragmentation urbaine observée au sein du grand projet urbain en occultant les quartiers les plus pauvres, alors que c’est leurs potentiels développement et réhabilitation qui avaient justifié le gain de la labellisation européenne.

  • 7 Cette enquête a été réalisée avec le soutien de l’observatoire du développement local de la région (...)

34À cela, nous pouvons ajouter que l’urbanité de l’OIN reste très largement à développer dans de nombreux quartiers de l’OIN, malgré une volonté affichée des pouvoirs publics de la favoriser. Nous entendons ici l’urbanité comme le potentiel d’une ville ou d’un quartier à créer du lien social, ou dit autrement, la capacité de la matérialité urbaine, l’urbs, à générer de la civitas, une atmosphère et un progrès social et citadin. À partir d’un travail de terrain d’une enquête population menée en 2019 et 2020 dans le périmètre d’Euroméditerranée phase 1 et 2, nous avons essayé d’identifier les dimensions matérielles (configuration spatiale, fonctions) et immatérielle (animation et événements culturels, de loisirs) en les confrontant aux ressentis des populations résidentes et usagères de l’OIN.7

35Du point de vue de la matérialité, l’urbanité de l’OIN, que l’on peut analyser grâce à la densité urbaine, les mixités fonctionnelle et sociale, les mobilités ou la présence d’espaces publics, est très différente en fonction des arrondissements de localisation. Le deuxième arrondissement de Marseille, qui accueille notamment le parc d’Arenc et La Joliette, possède une densité de 4 742 habitants/km2 quand le troisième arrondissement (celui de la friche de la Belle de Mai) culmine à 20 017 habitants/km2 et le quinzième (où se situe une grande partie de la phase 2 de l’OIN Euroméditerranée) à 4 680 habitants/km2. Ces différences s’expliquent par l’histoire sociourbaine des arrondissements, les deuxième et quinzième ayant été le lieu d’implantation de nombreux entrepôts et usines de production du complexe industrialo-portuaire marseillais quand le troisième était plutôt dédié aux logements des populations ouvrières locales. Au niveau démographique, des différences existent également entre le quartier de La Joliette (situé en bord de mer à proximité de la Cité de la Méditerranée qui a concentré les grands équipements culturels de l’opération Marseille Provence 2013 capitale européenne de la culture) qui compte une proportion élevée de cadres quand la Belle de Mai et le périmètre de la phase 2 de l’OIN se caractérisent plutôt par leurs populations précaires. En termes de mobilité, logiquement, les quartiers proches du centre (la Joliette, Arenc) bénéficient d’une bonne desserte des transports en commun et leurs populations utilisent peu la voiture, pratiquant plus la marche que les populations des quartiers excentrés du nord de Marseille (Euroméditerranée 2). Exception faite, toutefois, du quartier de la Belle de Mai situé à proximité de la Gare TGV Saint-Charles et de l’hypercentre phocéen, mais très mal desservi par les transports en commun, ce que les habitants ne comprennent pas autrement qu’avec le sentiment d’être les « laissés pour compte » de l’OIN.

36D’un point de vue fonctionnel, la mixité des équipements publics, des commerces et des services est également différenciée en fonction de la localisation des quartiers d’Euroméditerranée. Pour ne prendre que trois exemples emblématiques de l’OIN, la ZAC de La Joliette (22 hectares) possède 120 000 m2 de surface de bureaux, 34 000 m2 dédiés aux commerces et aux services et 48 000 m2 d’équipements publics et privés. Dans la ZAC de la Cité de la Méditerranée (60 hectares), les bureaux couvrent 132 000 m2, les commerces et services 36 000 m2, et les équipements, 98 000 m2. Enfin, dans l’îlot Smartseille, 22 900 m2 concernent les bureaux, 1 650 m2 les commerces et services et les équipements sont très peu présents.

37Il ressort de ces éléments matériels une diversité des situations découlant des histoires particulières des quartiers de l’OIN et des ambitions et réalisations des aménageurs, mais il est difficile, dans ce contexte, de parler d’un seul et même territoire homogène, ce qui se confirme quand on travaille sur l’animation et l’atmosphère d’Euroméditerranée. Si la Cité de la Méditerranée possède de nombreux équipements culturels, les habitants de l’OIN résidant dans les quartiers les plus précaires interrogés les pratiquent peu, à l’instar de ce que nous avions observé pour la Friche de la Belle de Mai. Les résidents du quartier de La Joliette, en revanche plus aisés, et habitant à proximité, sont satisfaits de l’offre locale culturelle et de loisirs de leur quartier.

38On retrouve ces différences dans les ressentis des populations résidentes et usagères de l’OIN vis-à-vis de leurs quartiers de résidence et/ou de travail. La majorité des habitants et des usagers de La Joliette, par exemple, estime que l’urbanité de leur quartier est bonne et importante. Ils pensent néanmoins que le quartier pourrait être encore mieux doté en équipements de loisirs et de lieux de sociabilisation. Plus au nord, autour de l’îlot Allard Smartseille, la majorité des résidents pense que le degré d’urbanité du quartier est moyen (46,9 %), voire faible (18,4 %), ce que confirment les usagers de Smartseille qui estiment qu’il est moyen (35,1 %) ou faible (22,8 %). Cette différence s’explique en grande partie par le fait que la phase 2 d’Euroméditerranée est encore en cours d’aménagement, que les populations résidentes sont encore majoritairement pauvres et qu’elles ont le sentiment de ne pas profiter, ou peu, de la montée en gamme urbaine affichée par l’OIN.

39Au final, parler d’une réussite globale en matière d’urbanité de l’OIN Euroméditerranée paraît exagéré. Il existe trop d’écart entre les différents quartiers et le ressenti de leurs populations composant l’OIN pour affirmer une telle chose. Les contextes urbains locaux ainsi que le niveau de vie des populations jouent à plein dans l’appréhension de la notion d’urbanité par les habitants et les usagers d’Euroméditerranée.

Conclusion

  • 8 Cela n’est pas sans laisser penser à la question du soi-disant ruissellement des métropoles [Guieys (...)

40Dans cet article, nous avons voulu examiner la place de la durabilité, de l’urbanité et de la mixité dans les OIN pour mesurer les différences qui pouvaient exister entre les ambitions et la présentation des résultats par les aménageurs et les gestionnaires de ces grands projets urbains et un certain nombre d’impacts et de ressentis par les populations, moins positifs. Nous avons ainsi pu constater que si la montée en gamme technologique et environnementale est effective dans le périmètre des grands projets urbains, elle a du mal à se diffuser8 au reste des territoires voisins et métropolitains, et que la dimension sociale de la durabilité est la moins développée par rapport aux dimensions économiques et écologiques.

41En matière de mixité et d’urbanité, les constats réalisés montrent également un écart entre les ambitions affichées par les gestionnaires des OIN et les résultats obtenus, comme si la mixité sociale était une « impossible équation » [Léger 2022]. La transformation de l’urbs et de la matérialité urbaine ne suffit pas à effacer les barrières immatérielles, socio-psychologiques, qui maintiennent une fragmentation urbaine importante au sein même de ces OIN entre des nouveaux quartiers durables et smart, peuplés par des populations plus aisées que celles d’anciens quartiers industriels ou labellisé « politique de la ville » parfois distants de quelques mètres, mais caractérisés par une pauvreté et un chômage importants.

42Ces paradoxes, ces contradictions sociourbaines, posent la question fondamentale en aménagement du territoire et en urbanisme de la capacité collective des promoteurs et des pouvoirs publics à reconstruire la ville sur elle-même, quand elle est pauvre, insalubre et enclavée, dans une logique de durabilité, au profit des populations autochtones, et non pas essentiellement au profit de populations extérieures à ces quartiers, plus diplômées, plus aisées, plus intégrées.

Haut de page

Bibliographie

Ardinat, G. (2013) – Géographie de la compétitivité, Paris, Presses Universitaires de France, 226 p.

Bourdin, S. & Torre, A. (2023) – « L’économie circulaire, nouveau levier de développement et de transition écologique pour les territoires », Population & Avenir, n° 763, mai-juin, pp. 4-7 et 20. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/popav.763.0014

Burgel, G. (1993) – La ville aujourd’hui, Paris, Éditions Hachette, 224 p.

Emelianoff, C. (2007) – « La ville durable : l’hypothèse d’un tournant urbanistique en Europe. » L’Information géographique, vol. 71, n° 3, pp. 48-65, https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-l-information-geographique-2007-3-page-48.htm.

Dumont, G.-F. (dir.) (2010) – La France en villes, Paris, Armand Colin, Sedes, CNED, 354 p.

Dumont, G.-F. (2011) – Géographie urbaine de l’exclusion, Paris, L’Harmattan, 268 p.

Grondeau, A. (2022) - Altermétropolisation, une autre vi (ll) e est possible, Aix-en-Provence, La Lune sur le Toit, 339 p.

Grondeau, A. & Vignau, M. (2021) – « Arts, culture and neoliberalism : instrumentalization and resistances through the case of Marseille », in T. Tunali (dir.), Art and Gentrification in the Changing Neoliberal Landscape, Londres, Routledge.

Guieysse, J.-A. & Rebour, T. (2022) – « Le « ruissellement » des métropoles sur les territoires. Mythe ou réalité ? », Population & Avenir, n° 759, septembre-octobre, pp. 4-7 et 20. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/popav.759.0004

Hagel, Z. (2013) – Ville durable : des concepts aux réalisations, les coulisses d’une fabrique urbaine. Marseille ou l’exemple d’une ville méditerranéenne, Thèse de Géographie. Aix-Marseille Université, 498 p.

Hébert, F. (2015) – Villes en transition. L’expérience partagée des écocités, Marseille, Éditions Parenthèses, 249 p.

Kaplan, D. & Marcou, T. (2009) – La ville 2.0, plateforme d’innovation ouverte, Limoges, FYP éditions, 104 p.

Lecoquierre, M. (2018) – « Urbanités et citadinités », in E. Dorier (dir), L’urbanisation du monde, Dossier de la Documentation Photographique, Paris, DILA, La Documentation Française, CNRS Editions, n° 8125, sept-oct 2018, pp. 44-45.

Léger, J.-F. (2022) – « La mixité sociale et armature urbaine : l’impossible équation », in G.-F. Dumont (dir), Populations, peuplement et territoires en France, Paris, Armand Colin, pp. 225-244. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/arco.dumon.2022.01

Maisetti, N. (2014) – Opération culturelle et Pouvoirs urbains – Instrumentalisation économique de la culture et luttes autour de Marseille-Provence Capitale européenne de la culture 2013, Paris, L’Harmattan, 139 p.

Morel-Journel. C. & Pinson. G, (2010) – « Néo-management et/ou néolibéralisme des politiques urbaines : analyse de l’outil EPA et de son acclimatation stéphanoise », in J.-M. Guénod (dir), Desseins de villes : un retour de l’État aménageur ?, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 23 p., https://www.academia.edu/12099705/Néo_management_et_ou_néolibéralisme_des_politiques_urbaines_analyse_de_l_outil_EPA_et_de_son_acclimatation_stéphanoise

Pinson, G. (2020) – La ville néolibérale, Paris, Presses Universitaires de France, 157 p.

Vignau, M. (2020) – « La créativité des territoires via la culture. L’exemple d’une région française », Population & Avenir, n° 750, novembre-décembre, pp 4-8 et 20. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/popav.750.0004

Vignau, M. & Grondeau, A. (2018) – « Marketing territorial et politique de labélisation culturelle : Entre transformations socio-urbaines et contestations, l’exemple de Marseille-Provence 2013 « capitale européenne de la culture » », in CIST 2018 - Représenter les territoires / Representing territories, Collège international des sciences territoriales (CIST), pp. 272-277.

Voiron. C (2015) – « Une ville « résiliente » ? Quid de l’innovation dans la marche vers la durabilité urbaine », in I. Hajek & P. Hamman (dir.), La gouvernance de la ville durable entre déclin et réinventions – Une comparaison Nord-Sud, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, pp. 267-277.

Haut de page

Notes

1 Onze OIN ont été lancées entre 1987 et 2017.

2 https://www.ecocites.logement.gouv.fr/IMG/pdf/diagonal_no_200_dossier_entier_cle7abd74.pdf

3 https://www.euromediterranee.fr/missions

4 https://www.euromediterranee.fr/actualites/quest-ce-quune-ville-durable-mediterraneenne

5 Ces études ont été menées lors de plusieurs enquêtes de terrain dont la dernière a été financée en 2022 par l’institut SoMuM et réalisée en collaboration avec Tiffany Aubert à partir d’un échantillon représentatif de la population du quartier des Moulins (207 personnes interrogées pour un taux d’erreur de 6,7% pour un niveau de confiance de 95%) et de Nice Méridia (107 résidents et usagers interrogés pour un total de 333 logements construits). Six responsables de commerces (trois à Nice Méridia, trois aux Moulins) et six représentants de la société civile (associations de locataires, de quartiers, maison du projet des Moulins...) ont été interrogés sous forme d’entretiens semi-directifs.

6 Pour l’examen de ce phénomène à l’échelle plus large des unités urbaines de Marseille et Nice, voir Dumont 2011.

7 Cette enquête a été réalisée avec le soutien de l’observatoire du développement local de la région Sud-Paca, auprès d’un échantillon des populations résidents dans les 2ème, 3ème et 15ème arrondissements de Marseille, les arrondissements appartenant au périmètre de l’OIN. Au final, 307 résidents de l’OIN et 321 usagers d’Euroméditerranée ont été interrogés pour une marge d’erreur de 5,59% dans le premier cas et de 5,47%, dans le second cas, permettant d’atteindre un niveau de confiance de 95%.

8 Cela n’est pas sans laisser penser à la question du soi-disant ruissellement des métropoles [Guieysse & Rebour 2022].

Haut de page

Table des illustrations

Titre Carte 1 – La géographie des équipements de la métropole Nice Côte d’Azur considérés comme relevant d’une logique de smart city
Crédits Source : Grondeau 2022
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/docannexe/image/11035/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 297k
Titre Carte 2 – Les périmètres de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée 1 (lancé en 1995) et Euroméditerranée 2 (2010, extension de 170 hectares)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/docannexe/image/11035/img-2.png
Fichier image/png, 2,5M
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Alexandre Grondeau, « Durabilité, urbanité et mixité dans les opérations d’intérêt national (OIN) : les exemples d’Euroméditerranée (Marseille) et de l’Écovallée Plaine du Var (Nice) »Bulletin de l’association de géographes français, 100-2 | 2023, 219-234.

Référence électronique

Alexandre Grondeau, « Durabilité, urbanité et mixité dans les opérations d’intérêt national (OIN) : les exemples d’Euroméditerranée (Marseille) et de l’Écovallée Plaine du Var (Nice) »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 100-2 | 2023, mis en ligne le 29 juillet 2023, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/11035 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.11035

Haut de page

Auteur

Alexandre Grondeau

Professeur des Universités, AMU-CNRS, Directeur adjoint du Laboratoire TELEMMe, UMR 7303, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme l’Horloge, 5 Rue Château de l’Horloge, 13090 Aix-en-Provence – Courriel : alexandre.grondeau[at]univ-amu.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search