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Villes à système productif industriel et gouvernance territoriale

Industrial cities and territorial governance
Gérard-François Dumont
p. 537-555

Résumés

Les chiffres indiquent un recul considérable de l’emploi industriel en France. La désindustrialisation est certes inégale selon les territoires, notamment parce que deux secteurs industriels, parmi les plus exportateurs, ont été créateurs d’emploi ces dernières années : l’aéronautique et la construction navale. Toutefois, la désindustrialisation est souvent considérée comme fatale, ce qui signifie que les villes industrielles devraient toutes être touchées. Pourtant, il apparaît que les gouvernances territoriales se traduisent par des évolutions fort contrastées face aux mutations industrielles.

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Texte intégral

1L’un des théorèmes possibles du système productif est le suivant : le déclin des activités industrielles que la France a connu ces dernières décennies engendre, dans les villes dont le système productif comporte une forte base industrielle, des effets sur l’emploi. La vérification de la véracité d’un tel théorème, fondé sur une logique classique de cause à conséquence, suppose d’abord de prendre la mesure de ce déclin. Mais la géographie enseigne qu’un phénomène général ne s’applique pas nécessairement de façon égale sur tous les territoires. Il importe donc de se demander si l’intensité du déclin industriel est spatialement variable. Dans ce dessein, nous allons sélectionner deux villes de différentes régions qui se caractérisent par une proportion très élevée d’emplois industriels, environ deux fois supérieure à la moyenne nationale. La comparaison de leur situation et de leur évolution débouchera sur des résultats dont il conviendra de chercher les éléments explicatifs.

1. Déclin général de l’industrie et géographie contrastée

2La désindustrialisation de la France est à la fois reconnue politiquement et mesurable.

1.1. Un déclin politiquement acté…

3Personne ne peut contester qu’en France, le pan industriel du système productif soit en difficulté. D’ailleurs, les dirigeants politiques, de droite comme de gauche, l’ont reconnu en lançant différentes initiatives pour contrarier cette évolution. Par exemple, en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, M. Christian Estrosi, ministre chargé de l’industrie, lance des États généraux de l’industrie, dont un rapport de synthèse est publié le 2 novembre 2009.

4Après l’élection du Président François Hollande, la réalité du déclin industriel de la France et, donc, l’intention d’y remédier sont d’abord affichées dans l’intitulé d’un ministère, celui du redressement productif, créé le 16 mai 2012 dans le cadre du gouvernement du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Ce dernier a commandé un rapport à Louis Gallois intitulé Pacte pour la compétitivité de l’industrie française et qui a été remis le 5 novembre 2012.

5La suppression de l’intitulé « redressement productif » dans le deuxième gouvernement du Premier ministre Manuel Valls peut laisser penser à un changement de cap. Toutefois, le 27 août 2014, dès le lendemain de sa nomination comme ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron s’est engagé à poursuivre le redressement productif de la France. Bref, la désindustrialisation, définie comme la diminution des activités et des emplois industriels sur un territoire, apparaît désormais perçue par les dirigeants politiques comme un aspect des difficultés économiques de la France, perception jugée très tardive par certains auteurs [Artus & Virard 2011]. Il est vrai que les pertes d’emplois industriels, au delà de leur impact social, sont aussi des pertes de compétences et de savoir-faire qui rendent difficile le rebond et le redémarrage d’activités industrielles. Toutefois, cette perception est insuffisante à elle seule pour enrayer le phénomène, comme l’attestent des informations périodiques et des données quantitatives.

6Effectivement, pendant les années marquées par les actes politiques ci-dessus, les médias ont annoncé périodiquement des fermetures de sites industriels qui ont trouvé un large écho, confirmant l’évolution vers une « France sans ses usines ».

1.2. …et statistiquement incontestable : 30 % d’emplois industriels en moins en 23 ans

7Au plan quantitatif, de 1990 à 2013, l’industrie a perdu 30 % de ses effectifs en France métropolitaine, en passant de 4,5 millions en 1990 à un chiffre voisin de 3 millions en 2013. En 23 ans, l’industrie est passée de 32,7 % des emplois salariés des secteurs marchands (industrie, construction et tertiaire) non agricoles en 1990 à seulement 20,2 % en septembre 2013. Il faut certes y ajouter le nombre d’intérimaires employés dans l’industrie, soit 224 000 en 2013, mais le recours à l’intérim, classé dans les emplois de service, et l’externalisation de certaines fonctions vers des entreprises tertiaires à la place d’emplois internes ne peuvent expliquer l’intensité de la baisse des emplois industriels. Les effets de l’externalisation se sont d’ailleurs atténués au cours de la décennie 2010. En revanche, puisque la valeur ajoutée de l’industrie ne diminue pas comme l’emploi, sa stabilité traduit de forts gains de productivité. Mais le déclin de l’industrie française est aussi incontestable en termes comparatifs. En 2011, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée de la France s’est abaissée à 12,5 %, ce qui situe l’Hexagone à la 15e place des pays de la zone euro [Gallois 2012].

Figure 1 – Évolution de l’emploi dans l’industrie en France métropolitaine depuis 1990 (en milliers)

Figure 1 – Évolution de l’emploi dans l’industrie en France métropolitaine depuis 1990 (en milliers)

8Toutefois, la géographie de la désindustrialisation [Poupart & Baude 2014] montre de fortes différences d’intensité selon les territoires français. Entre le début de la crise économique, en 2008, et 2013, l’industrie a perdu près de 335 000 emplois salariés en France (métropole + 4 Dom), soit une baisse de 10,8 % en 5 ans. Mais certains secteurs sont non touchés ou peu touchés : la fabrication des matériels de transport hors automobile, qui comprend notamment l’aéronautique et la construction navale, est le seul secteur industriel créateur d’emplois sur la période 2008-2013 : + 13 810, soit une croissance de + 10,3 %. Dans les industries alimentaire et pharmaceutique, les baisses sont modérées (en deçà de - 4 %). Ces trois secteurs industriels, aéronautique, agroalimentaire et industrie pharmaceutique, qui résistent le mieux à la crise, sont aussi parmi les plus exportateurs.

9En outre, la désindustrialisation entraîne une diminution des activités dans un certain nombre d’autres secteurs. Ainsi, pour 10 emplois industriels perdus, 4 sont supprimés dans les autres secteurs. Cet effet sur les autres secteurs signifie une perte de l’ordre de 134 000 emplois équivalent temps plein. La chute de l’activité manufacturière réduit en effet la demande de services, d’énergie ou de construction émanant de l’industrie. Ces emplois perdus se trouvent presque pour moitié dans les services d’accueil ou d’appui, constitués notamment des agences de placement ou d’intérim, des centres d’appel, des services de nettoyage, des services immobiliers. Les secteurs des transports et du commerce sont également touchés de manière significative.

10Considérant les 321 zones d’emploi des territoires français, seulement 32, soit 10 %, enregistrent une hausse de l’emploi industriel. Il s’agit, d’une part, de quatre (Cherbourg, Toulon, Saint-Nazaire et Toulouse) des 104 pôles industriels de taille significative (au moins 8 000 emplois industriels) et, d’autre part, de 28 autres zones d’emploi, comme Figeac, Oloron Sainte-Marie, Saint-Malo, Sète, ainsi que plusieurs petites zones d’emploi des DOM (Pointe-à-Pitre, Cayenne, Basse-Terre, Réunion Est…) et celles de la Corse.

11Toutefois, de 2008 à 2013, les emplois salariés privés non industriels sont en légère augmentation en France (métropole + 4 Dom) : + 73 000, soit + 0,5 %. Mais ces créations nettes sont loin de compenser arithmétiquement les pertes d’emplois industriels puisqu’elles ne les atténuent que de 20 %. En effet, une partie des secteurs tertiaires auparavant dynamiques a également été touchée par la crise, sans lien direct avec la désindustrialisation : construction, commerce automobile, activités immobilières, publicité, agences de voyage ou commerce de détail.

12Dans ce contexte général de désindustrialisation de la France, et si l’on excepte les seules villes bénéficiant d’une présence significative d’industries aéronautiques, toutes les villes industrielles devraient être en grande difficulté sachant que le recul de l’industrie ne concerne pas que l’industrie, mais l’ensemble de l’économie d’un territoire. Comme les grandes villes auparavant industrielles ont pu bénéficier de la montée des tertiaires marchand ou non marchand qui s’y sont très largement localisés, il apparaît judicieux de considérer des petites villes industrielles privées, a priori, du fait de leur dimension et de leur statut administratif, de toute dynamique tertiaire susceptible de compenser les pertes industrielles.

2. Deux villes à système productif industriel

13Effectivement, toujours hors industries aéronautiques, le crépuscule des petites villes industrielles semble une fatalité. Pour vérifier la véracité de cette hypothèse, examinons deux villes ayant incontestablement un système productif industriel puisque les emplois dans l’industrie y représentent, à la veille de la crise de 2008, un pourcentage environ double de la moyenne nationale, soit, au RP 2006, 30 % pour Pont-à-Mousson et 38,6 % pour Vitré. Ces villes sont sélectionnées, à l’échelle de leur unité urbaine (qui, pour Vitré, ne compte que la commune de Vitré), parce qu’elles ne profitent pas d’avantages spécifiques comme un secteur non marchand significatif car leur statut administratif n’est ni de préfecture ou ni sous-préfecture. L’industrie est donc au cœur de leur économie puisque son importance en fait, compte tenu des emplois induits, le moteur de la richesse locale.

2.1. Des villes a priori très pénalisées

14Pont-à-Mousson et Vitré, villes de Lorraine et de Bretagne dont l’histoire économique et industrielle est fort différente, devraient être, outre la nature industrielle de leur système productif, en net déclin économique pour d’autres raisons. D’abord, elles ne bénéficient ni d’une base d’emplois tertiaires non marchands liée à une fonction publique d’État, ni des emplois induits par l’existence d’une telle base. En deuxième lieu, leur peuplement réduit (entre 17 000 et 25 000 habitants dans leur unité urbaine) limite l’éventail quantitatif et qualitatif de leur marché de l’emploi et de leur marché tout court. Troisième handicap a priori de ces deux villes : leur niveau de peuplement limite aussi leur offre de services, par exemple en matière de loisirs (théâtre, cinémas, etc.), d’infrastructures hospitalières ou d’établissements de formation initiale et continue. Enfin, quatrième handicap supplémentaire pour ces villes : elles semblent se trouver à l’écart des dynamiques propres au processus de métropolisation, donc de « l’exercice de forces centripètes conduisant à la concentration des hommes et des activités » [Dumont 1994].

15Compte tenu de ces caractéristiques, nos deux petites villes industrielles devraient, a priori, accumuler des données négatives : économie résidentielle limitée par la faiblesse de l’emploi de la fonction publique d’État, départ d’entreprises vers des territoires métropolitains offrant des économies d’agglomération et de meilleures connexions, émigration des habitants à la recherche d’emplois correspondant à des métiers non présents dans ces villes ou de meilleures offres urbaines, diminution directe des emplois industriels et des emplois en général, faible capacité à attirer des entreprises, diminution de la population, etc. Ainsi, de nombreux facteurs objectifs laissent supposer non seulement que leur déclin est inévitable, mais qu’il devrait être semblable. Mais que vaut ce raisonnement confronté à la réalité ? Est-il validé ou infirmé ? Pour répondre à cette double question, considérons d’abord leurs atouts et handicaps propres avant de mesurer leurs résultats quantitatifs.

2.2. Un écart important en matière de connexion

16Analysons d’abord la connexion autoroutière. Pont-à-Mousson possède deux bretelles d’accès à l’autoroute A31, principal axe de communication du sillon mosellan d’orientation méridienne, qui permet de rejoindre en moins de 30 minutes Metz ou Nancy. Cette A31 met Pont-à-Mousson à proximité d’un important carrefour autoroutier européen près de Metz, qui permet de rejoindre, vers le nord, la Belgique, le Luxembourg ou l’Allemagne et, vers le sud, l’A6 qui descend vers le couloir rhodanien. Les branches Ouest et Est de cette croix permettent soit de se diriger vers la métropole de l’Union européenne la plus peuplée, Paris, soit vers Strasbourg et les Länder allemands les plus dynamiques, Bade-Wurtemberg et Bavière, et vers le pays de Bâle, lui aussi en bonne santé économique.

17La situation autoroutière de Vitré n’est pas aussi favorable. Certes, la ville se situe à quelques kilomètres au nord de la RN 157, voie rapide, quasi-autoroute mais non exactement une autoroute, qui prolonge vers l’ouest l’autoroute A81. Vitré bénéficie d’une relative proximité avec Rennes (à 37 km), la capitale et la métropole bretonne la plus peuplée et, d’un atout routier vers l’Ouest, la gratuité existant sur tout le réseau breton. En outre, Vitré se situe à une trentaine de minutes l’A84, autoroute reliant Rennes à Caen.

18Toutefois au regard du marché unique européen, Vitré est en périphérie parce qu’éloignée de la dorsale européenne, cette partie la plus dense en activités et en population de l’Europe.

19Au plan ferroviaire, Pont-à-Mousson dispose d’une gare sur la ligne classique, desservie par le TER « Metrolor », qui la relie rapidement aux deux métropoles régionales, Metz (en 20 minutes) et Nancy (en 15 minutes), la ville se trouve aussi à proximité de la Gare TGV Lorraine à Louvigny (à 10 km), qui permet un accès à Roissy-Charles-de-Gaulle en seulement 1 heure et 19 minutes. Cette gare devait être encore plus proche de Pont-à-Mousson, puisqu’elle devait s’installer à Vandières, ce qui aurait permis d’assurer des correspondances avec le réseau TER. Mais, après la victoire du « Non » lors de la consultation du 1er février 2015, Jean-Pierre Masseret, président du Conseil Régional de Lorraine, a annoncé le jeudi 19 février 2015 l’abandon de la construction de cette gare d’interconnexion qui était envisagée à Vandières.

20En dépit de ce recul dommageable pour Pont-à-Mousson, la ville est en situation relativement favorable dans le réseau Railteam des chemins de fer européens [Duchesne 2010] la reliant non seulement à Roissy et Paris mais aux grandes métropoles européennes, notamment allemandes ou suisses, comme Mannheim, Frankfort, Stuttgart, Munich ou Bâle.

21Concernant Vitré, la desserte ferroviaire est satisfaisante en direction de Rennes et de Paris. La ligne TGV Paris-Bretagne compte deux liaisons quotidiennes en semaine, donc la possibilité de faire l’aller-retour pour Paris dans la journée (accessible en 1 heure et 55 minutes). En outre, Vitré dispose de nombreux TER, la reliant assez rapidement à la capitale régionale, Rennes, ou à Laval, en 30 minutes. Il est encore trop tôt pour préciser les conséquences de la ligne à grande vitesse Rennes-Paris qui doit ouvrir en 2017 : des trains iront directement de Laval à Rennes, d’autres desserviront Vitré. Vitré se trouve certes, comme Pont-à-Mousson, sur le réseau européen Railteam, mais, bien entendu, en queue de réseau et, donc, loin des grandes métropoles européennes, d’autant plus que sa liaison ferroviaire aisée avec Paris débouche essentiellement sur cette gare terminus qu’est la gare Montparnasse, même si la destination Massy TGV est possible, avec correspondance au Mans.

22Concernant la desserte aérienne, Pont-à-Mousson bénéficie de l’aéroport régional Metz-Nancy-Lorraine (environ 300 000 passagers par an), à seulement 15 km (soit 15 minutes), qui offre quelques dessertes internationales. Quant à l’aéroport international de Luxembourg-Findel (1,6 million de passagers), dans le Grand-Duché de Luxembourg, il se trouve à une heure de route (un peu moins de 100 kilomètres). En outre, Pont-à-Mousson est bien placé par rapport à Roissy-Charles-de-Gaulle et à ses multiples destinations dans le monde entier. Toutefois, pour les personnes non motorisées, bénéficier de l’aéroport de Roissy suppose près de 3 heures de transports, avec la nécessité de rejoindre Nancy en TER puis la gare Lorraine TGV en autocar. Mais, comme précisé ci-dessus, il faut seulement 1 h 19 pour aller de Lorraine TGV à l’aéroport de Roissy vu que, pour les personnes motorisées, Lorraine TGV est à 12 km de Pont-à-Mousson.

23Vitré n’est nullement dans une position aéroportuaire aussi avantageuse. Certes, Vitré a accès à l’aéroport international de Rennes-Saint-Jacques, qui se trouve à une distance raisonnable de 47 kilomètres (accessible en 40 minutes), mais c’est un aéroport de taille limitée, avec un trafic d’environ un demi-million de passagers, soit environ 150 fois moins que Roissy, sur un nombre réduit de destinations. Les élus de Vitré prêchent d’ailleurs en faveur de la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, entre Rennes et Nantes : ils le considèrent comme vital et soutiennent les élus des régions et métropoles concernées qui veulent cet aéroport. Mais sera-t-il construit ? Et, si oui, bénéficiera-t-il d’un réseau ferré ? Cela n’est nullement prévu à ce jour.

24En matière fluviale, Pont-à-Mousson bénéfice de la Moselle qui relie la ville aux grands réseaux fluviaux du Benelux et de l’Allemagne et, donc, aux grands ports de Rotterdam et d’Amsterdam ou, plus au nord, de Hambourg. De son côté, Vitré est effectivement traversée par un fleuve, la Vilaine, mais qui n’offre aucune possibilité de transport ou de tourisme fluvial dans cette partie amont de son cours. Ainsi, à Pont-à-Mousson, la Moselle est un lien fluvial vers d’autres destinations, notamment la dorsale européenne. À Vitré, la Vilaine ne remplit nullement une telle fonction, et, par son caractère encaissé, crée une sorte de coupure au sein même de la ville.

25Donc, en matière de connexion autoroutière, ferroviaire, aérienne et fluviale, alors que la maille des connexions semble essentielle pour les territoires à l’heure de la globalisation, Vitré est incomparablement moins bien placée que Pont-à-Mousson.

2.3. Deux attractions touristiques comparables

26Au plan de l’attractivité touristique, il est très difficile de hiérarchiser les deux villes. Le potentiel touristique de Pont-à-Mousson compte d’abord deux atouts : son site naturel agréable au bord de la Moselle (verdoyant et entouré de collines) et son riche patrimoine, aussi bien de rive gauche que de rive droite. La ville a gardé un héritage important de son ancien rôle de « ville-couvent », bastion de la foi catholique. Le patrimoine le plus important concerne le domaine religieux, avec comme site phare l’ancienne abbaye des Prémontrés du XVIIIe siècle. Celle-ci est devenue, depuis 1964, un centre culturel et de congrès. Elle abrite à la fois le siège du Centre européen d’art sacré et le Comité Régional du Tourisme de Lorraine. Restaurée à la suite des dommages dus à la Seconde Guerre mondiale, elle offre de vastes proportions, mêlant les éléments baroques et le classicisme, avec l’église Sainte-Marie-Majeure, un cloître, différents bâtiments conventuels, et trois remarquables escaliers. En outre, les deux églises gothiques de Pont-à-Mousson, Saint-Martin et Saint-Laurent, méritent aussi le détour par leur architecture et leurs collections.

27Concernant le patrimoine civil, Pont-à-Mousson peut s’enorgueillir d’une très belle place Duroc avec arcades et maisons Renaissance, dont la maison des sept péchés capitaux, à superbe façade, ainsi que l’hôtel de ville du XVIIIe siècle. Les autres points d’intérêt sont la cour d’honneur de l’ancienne université (aujourd’hui établissement scolaire) et le musée « Au fil du papier », ouvert depuis 1999 dans l’ancien hôtel de la monnaie et dont les collections sont à dominante industrielle : histoire de la ville, collection d’objets en papier mâché, présentation de l’imagerie de Pont-à-Mousson, de la vie religieuse et une salle dédiée aux fonderies. À proximité de la ville, la butte de Mousson, avec les ruines du château et de la chapelle castrale, offre un beau point de vue sur l’agglomération et le sillon mosellan, et se présente comme un lieu de tourisme de mémoire, compte tenu de son rôle stratégique pendant les deux guerres mondiales.

28De son côté, appartenant au réseau « Villes et Pays d’art et d’histoire », Vitré possède une véritable identité historique avec son centre-ville d’aspect médiéval (vieilles rues, maisons à colombage, hôtels particuliers de pierre), le château fort et les remparts, que la ville cherche à valoriser, notamment par son classement au titre des « plus beaux détours de France » [2014]. Sur un promontoire rocheux dominant la Vilaine, le château médiéval, imposant, forme un très bel ensemble architectural. Il se distingue entre une partie touristique, la tour Saint-Laurent (décors, objets divers provenant du château ou de la ville, peintures, point de vue) et la tour de l’Argenterie (cabinet de curiosités avec belle collection d’oiseaux), et l’Hôtel de ville, installé dans le château. À proximité du centre-ville, le musée Saint-Nicolas, créé en 1986, présente une collection d’orfèvrerie religieuse des XIXe et XXe siècles, provenant de toute la France et non seulement de Vitré, dans l’ancienne chapelle gothique à fresques des hôpitaux Saint-Nicolas et Saint-Yves. Sur le territoire communal, à six kilomètres du centre-ville, se trouve un autre site touristique intéressant : le musée du château des Rochers-Sévigné. La résidence bretonne de Madame de Sévigné, d’où elle écrivit près de 270 lettres, est un manoir fortifié qui conserve du mobilier et s’agrémente d’un jardin à la française. Un autre élément attractif de Vitré est la place de la gare. Son aménagement d’ensemble, revu dans les années 2000, permet d’admirer l’originalité architecturale de la gare, classée monument historique depuis 1975, et de l’office du tourisme du Pays de Vitré, réalisation contemporaine accueillante.

29La comparaison de l’attractivité touristique des deux villes doit prendre en compte les observations suivantes : Vitré est aux marches de la Bretagne, grande région touristique, mais non dans ses espaces littoraux et sublittoraux les plus visités. Pont-à-Mousson est dans une région moins touristique mais, pour des Belges, Luxembourgeois, Néerlandais ou des Allemands des Länder rhénans, c’est une ville du Sud, en outre accessible pour la navigation de plaisance sur la Moselle et lieu de halte avec son port de plaisance.

30Au plan de la notoriété, la comparaison semble sans appel. Pont-à-Mousson dispose d’un nom si connu qu’il a été conservé au fil des changements capitalistiques de l’entreprise. Toutefois, il n’est pas sûr que tous ceux qui connaissant la dénomination Pont-à-Mousson sachent qu’il s’agit aussi d’une ville. En revanche, Vitré ne peut se prévaloir d’une telle notoriété. Le bilan des atouts et des handicaps livre un résultat objectif : tout particulièrement en raison de son positionnement géographique en Europe et de ses avantages en matière de connexion dans un monde marqué par les processus de globalisation, internationalisation et mondialisation [Dumont 2015], l’attractivité de Pont-à-Mousson devrait être largement supérieure à celle de Vitré. Les résultats quantitatifs confirment-ils cette conclusion ?

2.4. Des résultats imprévus et très inégaux

31Examinons d’abord l’attractivité mesurée par les évolutions démographiques. Il faut constater pour les deux villes l’absence d’une diminution de la population depuis 1975, contrairement aux dizaines de petites villes industrielles qui ont connu un dépeuplement. Toutefois, depuis 1982, le poids démographique de Pont-à-Mousson est quasiment stagnant, ce qui traduit plutôt une régression, compte tenu de la hausse de la longévité dans le même temps [Dumont 2008]. En revanche, depuis 1975, la croissance démographique de Vitré a été double de la moyenne de la France métropolitaine.

Figure 2 – L’évolution démographique comparée de Pont-à-Mousson, Vitré et de la France métropolitaine

Figure 2 – L’évolution démographique comparée de Pont-à-Mousson, Vitré et de la France métropolitaine

32Comme le taux de croissance démographique de Vitré a été presque aussi fort que celui de l’unité urbaine de Rennes, son importance pourrait s’expliquer par le développement, à Vitré, d’une économie résidentielle pour des actifs travaillant dans la métropole régionale si proche, sachant que Rennes a notamment bénéficié de son installation comme capitale régionale [Dumont 2007], du processus de métropolisation (même s’il n’est pas automatique et reste inégal selon les grandes villes [Dumont 2015]) et de ses aménités, dans une région bénéficiant de la litturbanisation. De son côté, Pont-à-Mousson n’a pas connu une telle ascension démographique, mais cela n’a pas été non plus le cas de sa métropole la plus proche, Nancy, ni de la capitale régionale de la région Lorraine, Metz. Pour savoir si l’essor démographique de Vitré n’est pas un simple effet de para-urbanisation, il convient d’examiner de façon détaillée les indicateurs de l’activité et de l’emploi.

33Comparons pour cela les résultats de la dernière période intercensitaire 2006-2011 qui est, à la fois, la première du nouveau système de recensement [Dumont 2004] et la première à inclure une partie de la période de crise entamée en 2008. La plupart des indicateurs sont favorables à Vitré, d’abord en ce qui concerne le taux d’activité : selon le RP 2011, le rapport des actifs de 15-64 ans dans la population des 15-64 ans est, à Vitré, supérieur de 4,1 points à celui de Pont-à-Mousson. Ce taux d’activité de Vitré est d’ailleurs si favorable (75,5 %) qu’il est supérieur de près de 3 points à la moyenne de la France métropolitaine (72,6 %). Mais, le concept d’actifs, qui dénombre des personnes résidant sur le territoire, inclut les demandeurs d’emplois. Il convient donc de considérer seulement les actifs ayant un emploi en les rapportant à la population des 15-64 ans. L’avantage de Vitré, selon le RP 2011, est alors plus net, avec un taux d’emploi de 67,8 %, supérieur de plus de 6 points à Pont-à-Mousson, et de 4,1 points à moyenne de la France métropolitaine. En conséquence, il n’est pas étonnant que le taux de chômage soit plus faible à Vitré.

34Mais le chômage peut se mesurer de différentes façons et à différentes échelles. Le taux de chômage à Vitré (10,2 % selon le RP 2011), considéré comme le pourcentage des actifs de 15-64 ans au chômage, est inférieur de 2,3 points à celui de Pont-à-Mousson et inférieur de 1,2 à la moyenne de la France métropolitaine. Le chômage peut aussi être comparé à l’échelle des intercommunalités, échelle d’ampleur différente puisque Vitré est une communauté d’agglomération de 65 000 habitants et Pont-à-Mousson une communauté de communes de seulement 25 000 habitants. À ces échelles, selon le RP 2011, Vitré se trouve dans une position remarquable avec 5,5 % de taux de chômage contre 9,7 % à Pont-à-Mousson et 8,9 % en France métropolitaine. L’échelle de la zone d’emploi est une autre mesure géographique du chômage. Dans sa propre zone d’emploi, Vitré compte un taux de chômage de 5,1 %, inférieur de 4 points à celui de la zone d’emploi dans laquelle est inclus Pont-à-Mousson, celle de Nancy. La différence entre le taux de chômage de 5,1 % de la zone d’emploi de Vitré et celui de 10,2 % de la commune (et unité urbaine) de Vitré signifie que nombre de chômeurs sont domiciliés dans la commune-centre de la zone d’emploi.

35Le taux d’emploi concerne des actifs ayant un emploi qui créent de la richesse, quel que soit leur lieu de travail. Il faut donc vérifier si le bon taux d’emploi et le faible taux de chômage de Vitré ne s’expliqueraient pas par la proximité du marché du travail de Rennes. D’où l’importance de considérer l’indicateur de concentration d’emploi, égal au nombre d’emplois dans la zone pour 100 actifs ayant un emploi résidant dans la zone. Ce dernier, toujours selon le RP 2011, est de 181,9 à Vitré contre 106 à Pont-à-Mousson. Il est même supérieur à celui de la commune (et unité urbaine) de Rennes (155,6), ce qui signifie que Vitré est extrêmement attractive en matière d’emplois. À l’échelle de la zone d’emploi de Vitré, l’indicateur est logiquement plus faible (102,5) mais supérieur à celui de la zone d’emploi de Rennes (100,5) comme à la moyenne de la France métropolitaine (98,6), ce qui témoigne de la faible attractivité économique de la France, signifiant que de nombreux actifs habitant en France sont des frontaliers exerçant leur emploi dans un pays étranger, Luxembourg, Allemagne, Suisse ou Monaco. Vitré n’a un indicateur de concentration d’emploi plus faible qu’à l’échelle de sa communauté d’agglomération « Vitré communauté » (96,7), un chiffre toutefois fort élevé sachant qu’il s’agit d’une vaste intercommunalité (692 km2) se trouvant, dans sa partie occidentale, limitrophe de l’agglomération de Rennes.

36En outre, l’unité urbaine de Vitré limite les déplacements domicile-travail puisque le pourcentage d’actifs ayant un emploi et travaillant dans la commune de résidence est de 59,5 %, contre 34 % à Pont-à-Mousson et 25,2 % en France métropolitaine. On pourrait également penser que la situation de l’emploi à Vitré tient à une présence importante d’emplois à dominante publique, relevant de l’administration publique, de l’enseignement, de la santé (fonction publique hospitalière) et de l’action sociale, mais ce n’est pas le cas.

37En examinant désormais quelques évolutions 2006-2011, sachant que l’Insee est avare de données sérielles, un seul chiffre apparaît plus défavorable à Vitré, celui des emplois industriels, qui ont baissé de 8,9 %, contre 3,2 % seulement à Pont-à-Mousson. Toutefois, le total des emplois a augmenté à Vitré très légèrement plus qu’à Pont-à-Mousson, ce qui signifie que la chute plus élevée des emplois industriels a été encore plus compensée par d’autres secteurs d’activité. La diminution de l’emploi industriel à Vitré a surtout eu des effets sur l’emploi salarié, qui n’est qu’en faible augmentation. En revanche, il faut noter la nette hausse de l’emploi non salarié (8,7 %) nettement supérieure à celle de Pont-à-Mousson (1,76 %).

Tableau 1 - Données quantitatives comparées de Pont-à-Mousson et Vitré

Unité urbaine délimitation 2010, et RP 2011, sauf indication contraire

Pont-à-Mousson

Vitré

Petites villes…

Population RP 2011

24 138

17 106

Superficie (km2)

73,3

37,0

Densité RP 2011

330

462

… industrielles

Emplois dans l’industrie RP 2011

2943

4806

Emplois dans l’industrie RP 2006

3039

5376

Évolution des emplois dans l’industrie 2006-2011

-3,16%

-8,91%

% emplois dans l’industrie 2011

29,0%

35,7%

% emplois dans l’industrie 2006

30,0%

38,6%

% emplois dans l’industrie EPCI 2011

27,4%

31,9%

Activité

Actifs de 15 à 64 ans RP 2011

11 168

8374

Taux d’activité (actifs 15-64 ans/population 15-64 ans) %

71,4%

75,5%

Actifs ayant un emploi RP 2011

9604

7517

Taux d’emploi (actifs ayant un emploi/15-64 ans) %

61,4%

67,8%

Chômage

Taux de chômage (au sens du RP)

14%

10,2%

Chômeurs en % des actifs 15-64 ans EPCI

9,7%

5,5%

Taux chômage zone d’emploi 1er trimestre 2014

9,1% (Nancy)

5,1%

Emploi sur le territoire

Emplois RP 2011

10 272

13 806

Emplois RP 2006

10 157

13 648

Évolution des emplois 2006-2011

1,13%

1,16%

Emplois RP 2011 EPCI

11 349

29 881

Emplois RP 2006 EPCI

10 892

28 674

Évolution des emplois 2006-2011 EPCI

4,2%

4,2%

Emplois salariés RP 2011

9461

12 765

Emplois salariés RP 2006

9361

12 690

Évolution des emplois salariés 2006-2011 EPCI

1,07%

0,59%

Emplois non salariés 2011

811

1040

Emplois non salariés 2006

797

957

Évolution des emplois non salariés 2006-2011

1,8%

8,7%

Emplois publics 2006%

29,2%

26,1%

Actifs ayant un emploi travaillant dans la commune de résidence

3283

4518

Actifs ayant un emploi travaillant dans la commune de résidence %

34,0%

59,5%

Attractivité liée à l’emploi

Indicateur de concentration d’emploi UU

106,2

181,9

Indicateur de concentration d’emploi EPCI

110,2

96,7

Indicateur de concentration d’emploi ZE

100,1

102,5

Indicateur de concentration d’emploi UU 2006

108,1

183,2

38L’examen comparé de l’activité et de l’emploi à Vitré et à Pont-à-Mousson dément d’abord le théorème posé dans notre introduction. Il dément ensuite l’analyse des éléments objectifs qui devaient favoriser Pont-à-Mousson. Il convient donc d’aller chercher d’autres facteurs explicatifs, en prenant en compte, au delà de l’analyse du territoire et des données quantitatives, la question de la gouvernance territoriale.

3. La gouvernance territoriale, facteur essentiel de compréhension de l’attractivité de systèmes productifs

39L’analyse de la gouvernance territoriale suppose d’abord de préciser la définition que nous avons proposée : « Sur un territoire, ensemble des règles institutionnelles, des modes de fonctionnement des organes de décision, des procédés de préparation des décisions, des capacités de mise en réseau des différents acteurs institutionnels, politiques, économiques, sociaux ou associatifs, des aptitudes à partager des connaissances et des expertises, des modes de coordination, d’information et d’évaluation, le tout dans le but d’améliorer l’attractivité du territoire au profit de la population » [Dumont 2012].

3.1. Gouvernance à tendance rentière…

40Les critères d’analyse de la gouvernance d’un territoire sont nombreux : examen des relations harmonieuses ou conflictuelles entre les élus ; type centralisateur, consensuel ou subsidiaire de la gouvernance intercommunale ; relations distendues ou synergiques entre les élus et les acteurs économiques et sociaux ; nature des relations avec les pouvoirs publics des échelons supérieurs ; capacité à travailler en équipe des différents acteurs du territoire ; décryptage du projet de territoire, qu’il soit implicite ou explicite ; projet véritablement pensé et partagé ou simple combinaison de bonnes intentions, ou laissant une impression de copié-collé avec d’autres projets de territoires ; existence d’un chef de file et d’hommes ou de femmes de réseaux ; outils de la gouvernance ; gouvernance molle et gouvernance proactive ; capacité de prospective territoriale.

41Selon nos analyses et nos enquêtes, au début des années 2010, la gouvernance de Pont-à-Mousson semble a priori peu stimulée car ayant tendance à correspondre à une logique de rente. L’importance des revenus économiques, directs ou indirects, dus à l’établissement Saint-Gobain PAM semble présenter un frein à la mise en œuvre d’une stratégie volontariste d’attractivité, permettant de développer davantage le tissu économique. Pourtant, des acteurs politiques locaux reconnaissent ne guère posséder d’informations précises sur les perspectives concernant leur établissement de Saint-Gobain PAM. Quant à la mairie de Pont-à-Mousson ou à la communauté de communes du pays de Pont-à-Mousson, elles ne produisent guère d’éléments de communication sur l’économie de l’agglomération.

Photo 1 – Saint-Gobain, le fleuron économique de Pont-à-Mousson (PAM)

Photo 1 – Saint-Gobain, le fleuron économique de Pont-à-Mousson (PAM)

3.2. …ou gouvernance proactive…

42En revanche, Vitré se distingue par une gouvernance territoriale proactive qui met l’accent sur une politique de développement économique favorable à l’emploi, et notamment à l’emploi industriel. En témoignent d’abord les informations disponibles et diffusées concernant le tissu économique local, à travers les différents outils de communication. En deuxième lieu, cette politique marque le terrain par la réalisation de plusieurs zones d’activités à la signalétique homogène, s’inscrivant dans une logique de croissance car attirer de l’emploi suppose – ce qui semble évident, mais ne va pas de soi – de développer des infrastructures nécessaires aux activités industrielles, par exemple en matière d’accessibilité ou d’espaces dédiés [Poupard 2013]. S’y ajoutent, en troisième lieu, des conditions d’accueil appréciées, un des éléments explicatifs des implantations d’entreprises de nature exogène.

43En quatrième lieu, une autre innovation particulièrement réussie, cas unique dans les villes françaises, au moins à l’origine, est la « Maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation professionnelle ». Dans l’optique de fédérer les moyens concernant l’emploi local, il s’agit du regroupement en un seul lieu, et avec un directeur unique, de services liés à l’emploi, à la formation, à l’orientation et du pôle consulaire (CCI, chambre des métiers, chambre d’agriculture), afin d’éviter l’addition de structures administratives éloignées les unes des autres et s’ignorant le plus souvent. La Maison de l’emploi assure le lien entre demandeurs d’emploi et entreprises locales, permettant de mieux répondre aux demandes des entreprises.

Photo 2 – La Maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation professionnelle de Vitré

Photo 2 – La Maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation professionnelle de Vitré

44La gouvernance territoriale de Vitré s’appuie sur trois piliers : une intercommunalité puissante appliquant le principe de subsidiarité, une complémentarité entre la commune-centre et les autres territoires de l’intercommunalité ainsi qu’un fonctionnement ouvert permettant de mettre en synergie les réseaux régionaux et nationaux des acteurs politiques et économiques du territoire.

45Vitré s’impose comme la commune-centre d’un vaste « pays », au sens géographique du terme, qui se concrétise sur le plan politique par une communauté d’agglomération « Vitré Communauté » qui regroupe 36 communes et compte 65 000 habitants. Elle rassemble des communes de quatre cantons dans la délimitation antérieure à la loi de 2013 qui a, au moins, doublé la taille des cantons : Argentré-du-Plessis, Châteaubourg, Vitré-Est et Vitré-Ouest. Vitré se situe au centre de ce territoire. La communauté d’agglomération s’étend à l’ouest, jusqu’à Châteaubourg, qui, selon les critères spatio-économiques de l’Insee, fait pourtant partie de l’espace para-urbain rennais, ce qui atteste de l’attractivité de Vitré. En outre, grâce à sa taille démographique, Vitré a pu opter pour le statut de communauté d’agglomération, qui permet une coopération économique poussée. La commune-centre peut ainsi pleinement exercer sa mission d’entraînement et de tête de réseau d’un vaste territoire, puisqu’elle est parvenue à acquérir un poids économique, ce que l’indice de concentration précisé ci-dessus (181,9) illustre parfaitement. Ce rôle d’entraînement est bien accepté car Vitré Communauté a fait le choix de la subsidiarité.

46Parallèlement, l’agglomération a instauré une innovation concernant sa gestion : les acteurs politiques locaux ont désigné un directeur général unique pour les services de la commune de Vitré et ceux de la communauté d’agglomération Vitré Communauté. Un tel choix est évidemment pertinent d’un point de vue financier mais il l’est encore plus pour mettre en œuvre une complémentarité entre les deux échelons administratifs. En outre, Vitré a œuvré pour l’élargissement du périmètre de l’arrondissement de Fougères, effectif depuis le 1er octobre 2010, afin d’y inclure l’ancien arrondissement de Vitré, supprimé le 10 septembre 1926 et auparavant dans l’arrondissement de Rennes. Ce nouvel arrondissement Fougères-Vitré, regroupant tout l’Est de l’Ille-et-Vilaine, favorise des synergies entre Vitré et Fougères, notamment avec des effets sur la géographie des services publics, comme le maintien du tribunal d’instance de Fougères, qui devait partir à Rennes.

3.3. …misant sur l’industrie

47Même si les chiffres statistiques de l’Insee présentent une diminution du nombre d’emplois industriels à Vitré, diminution à relativiser compte tenu des méthodes du recensement, le pourcentage des emplois dans l’industrie, 35,7 % au RP 2011, est exceptionnel. Ce niveau très élevé s’explique notamment par la volonté de Vitré de garder l’industrie comme socle de son économie. Dans ce dessein, Vitré dispose depuis mars 2014 d’un lieu d’exposition permanent consacré aux entreprises de Vitré communauté, soit 38 entreprises représentant 8 000 salariés.

48Cet Espace Entreprises s’inscrit dans une démarche globale, engagée depuis plusieurs années, de valorisation du tissu économique du bassin vitréen et des métiers industriels, avec des publications comme Jeunes dans l’industrie et des expositions grand public. S’y ajoute la mobilisation des acteurs locaux autour de la formation professionnelle ou la création de l’association « Académie des métiers de l’industrie ».

49La Communauté d’agglomération affiche les objectifs suivants :

  • « Promouvoir le tissu économique local – industriel et des services à l’entreprise – et les caractéristiques du territoire.

  • Communiquer sur les métiers en tension pour trouver les compétences nécessaires au développement des entreprises.

  • Changer l’image de l’industrie. Vitré Communauté est fière de ses emplois industriels ».

50D’où, par exemple, la publication, le 5 novembre 2014, d’un dossier de presse intitulé : « À Vitré, on aime l’industrie et on l’expose ».

Conclusion : le rôle essentiel de la gouvernance territoriale

51La qualité de la gouvernance territoriale, entendue comme la mise en réseau des différents acteurs institutionnels, politiques, économiques et sociaux dans la perspective d’améliorer l’attractivité du territoire, est en effet essentielle. Sous l’effet d’une bonne gouvernance, une ville peut avoir des résultats supérieurs à la moyenne nationale, meilleurs que des villes qui paraissaient a priori en position favorable du fait de leurs atouts objectifs.

52Autrement dit, si tous les territoires considérés bénéficiaient d’une qualité de gouvernance améliorée, leur attractivité en serait accrue. En dépit de politiques nationales – économique, sociale, éducative ou fiscale – dont on peut penser qu’elles ont concouru à la désindustrialisation de la France en étant défavorables à l’innovation et à la compétitivité de l’industrie française, Pont-à-Mousson et Vitré attestent qu’il n’y a pas de fatalité pour que le système productif industriel des territoires meure. Dans un cas, le fait de bénéficier d’une entreprise dont les produits restent attractifs dans le monde entier, comme l’atteste la visite chaque année du centre de présentation des produits de l’entreprise Pont-à-Mousson, à Pont-à-Mousson, par de nombreux professionnels étrangers originaires de plusieurs dizaines de pays, maintient une activité industrielle dont le nombre des emplois directs baisse surtout sous l’effet des progrès de productivité. Mais les insuffisances de gouvernance territoriale ne permettent pas à Pont-à-Mousson une attractivité notable en matière d’emplois ou de population. En revanche, à Vitré, une gouvernance territoriale proactive, écartant toute idée de s’adosser à la facilité qui aurait consisté à déployer une économie résidentielle permise par la proximité de la métropole rennaise, a transformé un territoire délaissé par l’État en un très important pôle d’emploi, avec pour socle un système productif industriel.

53Ainsi, la gouvernance territoriale n’est pas seulement un concept qu’il faudrait utiliser dans des colloques pour faire savant : c’est une réalité de terrain. Le Parlement français qui, depuis 25 ans, a voté presque une loi territoriale par an, a empilé des meccanos institutionnels, chronophages et coûteux, sans que l’on puisse attester que cela ait amélioré les résultats du système productif français, bien au contraire au vu du taux d’emploi national. Il serait souhaitable que la politique nationale œuvre plutôt à promouvoir un environnement encourageant les territoires à mieux s’impliquer dans des gouvernances adaptées à leurs enjeux propres.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 – Évolution de l’emploi dans l’industrie en France métropolitaine depuis 1990 (en milliers)
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Titre Figure 2 – L’évolution démographique comparée de Pont-à-Mousson, Vitré et de la France métropolitaine
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Titre Photo 1 – Saint-Gobain, le fleuron économique de Pont-à-Mousson (PAM)
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Titre Photo 2 – La Maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation professionnelle de Vitré
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Pour citer cet article

Référence papier

Gérard-François Dumont, « Villes à système productif industriel et gouvernance territoriale »Bulletin de l’association de géographes français, 92-4 | 2015, 537-555.

Référence électronique

Gérard-François Dumont, « Villes à système productif industriel et gouvernance territoriale »Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 92-4 | 2015, mis en ligne le 22 janvier 2018, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/1098 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.1098

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Auteur

Gérard-François Dumont

Recteur Gérard-Francois DUMONT, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne–Paris IV, Président de la revue Population & Avenir – Courriel : gerard-francois.dumont[at]wanadoo.fr

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