1L’étude des systèmes productifs porte sur des échelles de plus en plus variées. Longtemps attentive à l’échelle régionale, elle accorde une importance croissante au rôle des villes. Ce renouvellement participe d’une meilleure prise en compte des processus de métropolisation et des mécanismes d’interdépendance entre l’évolution des systèmes urbains et des systèmes productifs [Bost 2015, Baudelle & Fache 2015]. Les travaux qui questionnent les dispositions des villes à innover et à trouver leur place dans le contexte de mondialisation s’intéressent particulièrement aux métropoles, qu’il s’agisse des « Global Cities » de Saskia Sassen dans le contexte international, ou en France, des agglomérations les plus importantes (Paris, Lyon, Marseille, Lille...).
2Dans ce contexte, les « villes intermédiaires » françaises constituent une entrée encore peu abordée par la littérature scientifique, tant comme catégorie d’analyse qu’en termes de productions monographiques. En marge des métropoles et des grandes villes, elles sont confrontées à une situation particulièrement délicate. En effet, elles sont inscrites dans des trajectoires industrielles difficiles à infléchir, alors qu’elles doivent moderniser leur système productif pour faire face à une forte concurrence entre les territoires. Si l’injonction généralisée de l’innovation et les politiques dédiées leur ouvrent quelques perspectives, elles sont trop petites pour tenir le même rôle que les métropoles. Mais elles sont également trop grandes pour se contenter d’une trajectoire similaire à celle des villes moyennes, d’autant plus que ces dernières misent principalement sur leur cadre de vie pour assurer leur attractivité.
3Dans un premier temps, cet article présente la situation des villes intermédiaires à l’aune des mutations des systèmes productifs, puis s’intéresse aux dispositifs qu’elles mobilisent à l’appui de l’innovation. Nous abordons ainsi la territorialisation variable de ces dispositifs comme un facteur de différenciation de l’insertion des villes intermédiaires dans l’économie de la connaissance.
4Au cœur de l’organisation territoriale française, les villes intermédiaires occupent une situation d’entre-deux dont les contours nécessitent d’être précisés. Comprises dans des aires urbaines de 200 000 à 500 000 habitants, elles renvoient d’abord à un « entre-deux démographique » entre les grandes villes (aires urbaines supérieures à 500 000 hab.) et les villes moyennes (aires urbaines entre 20 000 et 200 000 hab.). Selon ce critère de population, on peut décompter 30 villes françaises, constituant un large éventail allant de La Rochelle à Tours. La question des seuils est toujours problématique - et souvent trompeuse - dès lors qu’on cherche à identifier des catégories de villes. En cela, ce découpage ne constitue en rien un cadre rigide, mais participe d’une réflexion plus large sur l’évolution des hiérarchies urbaines (cf. Carte 1).
Carte 1 - Les trente villes intermédiaires étudiées
Source IGN 2012
- 1 Pour la justification du découpage des catégories, lire Deraëve S. (2014) - « Stratégies territoria (...)
5La contribution des villes intermédiaires à la croissance économique et urbaine nationale est difficile à appréhender. De même, si toutes les villes sont concernées à des degrés variables par la métropolisation, il n’est pas évident de mettre à jour les articulations entre rythme de croissance, tailles de villes et développement économique et industriel. Pour certains auteurs, les dynamiques de la métropolisation seraient d’ailleurs plutôt indifférentes à la taille des villes [Baudelle & Tallec 2008]. Sur la période 1998-2008, les taux de croissance démographique des grandes villes (+ 2,17 %), des villes intermédiaires (1,53 %) et des petites villes (+ 1 %) [Deraëve 2014] renvoient à une logique hiérarchique : les villes intermédiaires correspondent à un « entre-deux territorial » entre les grandes villes qui sont plus dynamiques et les villes moyennes plus en peine sur le plan démographique. Cependant, ces différentes catégories ont des taux de croissance qui restent proches1, ce qui invite à nuancer les conséquences de la métropolisation sur la déstabilisation des systèmes urbains.
6Les villes intermédiaires peuvent aussi être définies comme un « entre-deux fonctionnel » : elles occupent généralement une position secondaire dans le système urbain dans lequel elles s’insèrent et possèdent des fonctions stratégiques importantes sans pour autant tenir le rôle de métropole régionale. Davantage que l’effet-taille, leur développement dépend fortement de leur insertion dans la diffusion régionale des trajectoires métropolitaines. Certaines seraient fortement satellisées au sein de leur système urbain, alors que d’autres se maintiendraient sous une influence plus lointaine [Nadou 2010]. Les enjeux des villes intermédiaires se saisissent donc dans un cadre systémique et dans l’observation des rapports d’interdépendance avec la métropole voisine et des relations avec l’hinterland régional. Au final, les villes intermédiaires traitées comme catégorie urbaine fournissent un cadre intéressant pour l’étude des articulations des systèmes productifs et des systèmes urbains.
7Malgré les discours parfois très alarmistes sur la désindustrialisation et les drames sociaux qu’engendrent régulièrement les fermetures de sites de production, l’industrie conserve un rôle structurant dans l’organisation du système productif français. En généralisant, la moitié nord de la France serait plus industrielle et plus productive, plus autonome en matière de création de revenus, et la moitié sud plus dépendante de la circulation et de la captation de revenus créés ailleurs [Davezies 2010, Baudelle & Fache 2015]. On peut préciser cette première géographie de la France productive à l’aune des villes intermédiaires. Dans le contexte de faible croissance démographique et économique, leur système productif les situe-t-elles plus proches des métropoles, ces espaces décisionnels, creusets de l’innovation et connectés à de vastes réseaux d’échanges internationaux ? Ou plus proches des villes moyennes, lieux historiques de la concentration des fonctions de production et d’exécution ?
8L’évolution des villes tend à suivre le sillon tracé par les cycles d’innovation antérieurs [Paulus 2004], et laisse peu de place à l’hypothèse d’une transformation radicale des systèmes urbains et productifs. Ainsi les grandes villes continuent à concentrer et à voir émerger en premier lieu les activités phares en termes d’innovation et d’économie de la connaissance. Si les processus de diffusion hiérarchique de l’innovation dans le système de villes se maintiennent - voire se renforcent au profit des plus grandes - les villes intermédiaires ne constituent cependant pas une catégorie homogène. Elles sont inscrites dans des trajectoires variables, sur lesquelles pèsent fortement les héritages historiques et industriels, reflet d’une géographie régionale plus classique. Ainsi, les villes intermédiaires tendent à être plus tertiaires à l’ouest de la France, plus industrielles au nord et à l’est, davantage tournées vers l’économie résidentielle dans le sud.
9Afin de mieux cerner la complexification des systèmes productifs, la géographie économique a renouvelé ses angles d’analyse et mobilise de nouveaux indicateurs permettant de dépasser les approches sectorielles classiques. À titre d’exemple, les cadres des fonctions métropolitaines (CFM) renseignent sur l’emploi présent sur le territoire, dans une approche transversale aux différents secteurs d’activités. Cette approche est censée mettre en lumière la teneur en « emplois stratégiques » d’un territoire, témoignant d’un développement métropolitain. Cinq profils de CFM ont été identifiés : commerce inter-entreprises, conception-recherche, culture-loisirs, gestion, prestations intellectuelles. Bien entendu, ces indicateurs nécessitent une manipulation prudente et un recul critique quant à leur construction. Cependant, ils permettent de préciser la situation d’entre-deux des villes intermédiaires qui comptent en moyenne 7,2 % de CFM, entre les grandes villes (11,1 %) et les villes moyennes (5,6 %). La fonction « conception-recherche », regroupant les emplois relatifs à la conception, la recherche et l’innovation (hors enseignants-chercheurs), distingue principalement les villes intermédiaires (1,3 % de l’emploi total) des villes moyennes (0,8 %), mais loin derrière les grandes villes (2,7 %) [Deraëve 2014].
10De leur côté, les indicateurs de la sphère présentielle (activités de production de biens et de services consommés sur place par des résidents ou des touristes) et de la sphère non présentielle (biens et services consommés hors de la zone de production) proposés par l’INSEE en 2010 sont inspirés des travaux de Laurent Davezies sur l’économie résidentielle. Ces indicateurs permettent de spatialiser les mutations économiques et de mesurer l’ouverture et la performance des systèmes productifs locaux sur la base de leurs exportations. Le tableau 1 souligne la forte croissance de l’emploi présentiel dans toutes les catégories (moins pour Paris, sans surprise). Il dessine également une ligne de partage remarquable : d’un côté, se trouvent l’aire urbaine de Paris et les grandes villes, enregistrant une croissance forte de l’emploi non présentiel et par conséquent une ouverture importante de leurs systèmes productifs locaux. De l’autre côté, les villes intermédiaires et les villes moyennes sont pénalisées par des destructions importantes des emplois des fonctions de production et d’exportation, et au final subissent un repli relatif au sein du processus de métropolisation.
Tableau 1 – L’ouverture des systèmes productifs locaux par catégorie de villes (en millions et en %)
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Aire urbaine de Paris
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Grandes villes
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Villes
intermédiaires
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Villes moyennes
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Emploi total 2009
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5,8 m
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6,2 m
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3,8 m
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5,4 m
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Part dans l’emploi total national 2009
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21,9 %
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23,6 %
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14,5 %
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20,4 %
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Évolution emploi total 1975-2009
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+ 21 %
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+ 41 %
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+ 30 %
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+ 27 %
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Emploi présentiel 2009
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3,6 m
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4,1 m
|
2,6 m
|
3,6 m
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Part dans l’emploi présentiel national 2009
|
21,5 %
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23,7 %
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15,1 %
|
21,1 %
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Évolution emploi présentiel 1975-2009
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+ 35 %
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+ 66,8 %
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+ 62 %
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+ 58,8 %
|
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Emploi non-présentiel 2009
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2,1 m
|
2,1 m
|
1,2 m
|
1,7 m
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Part dans l’emploi non-présentiel national 2009
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12,6 %
|
23,5 %
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13,5 %
|
19,2 %
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Évolution emploi non-présentiel 1975-2009
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+ 1,5 %
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+ 8,7 %
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-8,3 %
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-16,6 %
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Source : INSEE, 2010
11Pour ne pas décrocher dans un contexte concurrentiel fort et pour moderniser leurs économies locales, les villes sont poussées à l’interventionnisme économique [Demazière 2005]. La tâche n’a rien d’aisé, car elles sont sous l’influence de mécanismes macroéconomiques et politiques qu’elles ne peuvent pas toujours maîtriser. Malgré tout, la mobilisation des acteurs institutionnels et économiques et la définition d’une stratégie territoriale sont des déterminants indispensables pour que le territoire puisse faire évoluer sa trajectoire économique ou industrielle.
12Dans les villes intermédiaires, les dispositifs d’appui à l’innovation mis en œuvre sont parfois le fruit d’initiatives « bottom up » adaptées aux spécificités locales, mais relèvent plus généralement de la reproduction par mimétisme de projets éprouvés par ailleurs, ou de réponses aux appels à projets lancés par l’État ou par l’Europe.
13Les villes intermédiaires sont amenées à définir des stratégies territoriales pour améliorer leur attractivité, tout en étant un acteur secondaire du développement économique dans l’organisation territoriale française. À l’image de toutes les villes, elles ne disposent pas des compétences nécessaires : les étapes successives de la décentralisation ont installé les régions comme chefs de file des compétences en économie, innovation et en matière d’enseignement supérieur et de recherche (ESR). Par ailleurs, la contractualisation région / agglomération sur des projets économiques est difficile à mettre en œuvre, souvent freinée par des oppositions politiques ou des rivalités territoriales héritées de longue date.
- 2 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmati (...)
- 3 Bordeaux, Grenoble, Lille, Nantes, Nice, Rennes, Rouen, Strasbourg et Toulouse.
14Un élément de distinction est à noter : alors que de leur côté, les petites et moyennes villes avaient été la cible des politiques publiques territoriales spécifiques dans les années 1980 [Béhar 2011], les villes intermédiaires n’ont jamais bénéficié d’une vision stratégique de la part de l’État qui privilégie aujourd’hui les métropoles et les grandes villes françaises. En effet, la loi MAPTAM du 14 janvier 20142 (qui précise les compétences de Paris, Lyon et Marseille, et instaure neuf métropoles)3 offre davantage de compétences économiques à ces dernières, notamment à travers la participation au co-pilotage des pôles de compétitivité (préfiguration d’un désengagement financier de l’État) et la participation au capital des sociétés d’accélération du transfert de technologie. La loi renforce dans une moindre mesure les pouvoirs des communautés urbaines : comme pour les métropoles, elle étend les compétences en matière de promotion du tourisme, de soutien aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche, enfin aux programmes de recherche.
15La majorité des villes intermédiaires s’inscrivent quant à elles dans le cadre de communautés d’agglomération. La confusion sur la délimitation de leur périmètre d’actions en termes de développement économique et d’innovation a entraîné des interprétations variables par les présidents et les équipes communautaires concernant les actions à mener dans ces domaines. La loi MAPTAM tend à clarifier la situation en privant les communautés d’agglomération d’une partie des compétences où elles pouvaient intervenir ponctuellement, comme le soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche ou encore le tourisme.
16En définitive, la loi semble freiner le renforcement stratégique des villes intermédiaires, du moins en apparence. En effet, elle prévoit également, non sans ambiguïté, la possibilité d’un élargissement et d’une démultiplication du statut de « métropole ». Ainsi les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) situés au cœur d’une zone d’emplois de plus de 400 000 habitants pourraient se transformer en métropole sous certaines conditions (chef-lieu, fonctions de commandement stratégiques de l’État, par exemple). Des villes intermédiaires comme Brest, Caen, Dijon, Metz ou Mulhouse pourraient ainsi briguer ce statut, avec lequel viendrait davantage de pouvoir de décision sur les orientations économiques.
17Pour complexifier davantage ce tableau, l’adoption en mars 2015 de la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), instaurant le passage de 22 à 13 régions en janvier 2016, et la réaffirmation de la Région comme chef de file de l’innovation et du développement économique, risque d’affaiblir davantage les marges de manœuvre des villes intermédiaires. Certaines d’entre elles vont perdre leur statut de chef-lieu et, par la même occasion, des fonctions de commandement vont être déménagées ou centralisées. C’est notamment le cas pour la grande région qui réunira la Champagne-Ardenne, la Lorraine et l’Alsace. Les villes intermédiaires comme Reims, Metz et Nancy vont devoir jouer finement pour constituer des pôles urbains d’équilibre à la future capitale, Strasbourg, afin de s’impliquer dans le pilotage des outils publics d’accompagnement du développement économique et de l’innovation.
18Parallèlement au contexte de réforme territoriale, les villes intermédiaires sont aussi également moins favorisées que les plus grandes villes par les politiques visant le renforcement de la compétitivité nationale. La carte ci-après (cf. Carte 2) représente la localisation de différents dispositifs des politiques publiques qui visent, à des degrés différents, à valoriser la matière grise et à favoriser l’émergence de l’innovation technologique. L’intention de cette carte n’est pas de mesurer l’impact des dispositifs sur les populations et sur les territoires visés, mais d’illustrer l’appropriation de politiques publiques territoriales à l’appui de l’innovation en fonction des villes d’une part, et d’autre part de souligner les situations contrastées des villes intermédiaires. Cette territorialisation variable nous semble être un facteur important de différenciation des villes intermédiaires dans l’économie de la connaissance.
19Les trois dispositifs (1- Pôles de compétitivité, 2- Opérations campus, 3- Labex) renvoient directement à des objectifs d’innovation technologique et de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons également choisi de faire figurer les métropoles créées par la loi MAPTAM pour observer les écarts possible entre la vocation « métropolitaine » de villes désignées par la loi et la présence des dispositifs dédiés à l’économie de la connaissance. Quelques détails permettent de préciser le rôle et l’ampleur des dispositifs présentés.
-
La localisation des 71 sièges des pôles de compétitivité définis par l’État en 2004. Présentée comme une politique industrielle, la politique des pôles entend mobiliser les acteurs autour de la notion d’écosystème, rassemblant autour d’une thématique et d’un territoire identifiés, entreprises, laboratoires de recherche et établissements de formation. Au 1er janvier 2014, le montant total des projets collaboratifs portés au sein des pôles s’élevait à 5,8 milliards d’euros de dépenses R&D, dont 1,4 milliards d’euros alloués par l’État et 900 millions d’euros par les collectivités impliquées.
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Les sites universitaires profitant des « opérations campus ». Lancées en 2008, celles-ci visaient à créer des campus d’excellence sur des sites universitaires déjà regroupés en PRES, en leur attribuant des dotations exceptionnelles à travers des projets de réaménagement : plus de 3 millions d’euros d’investissement ont ainsi été programmés dans le cadre du grand emprunt. Par la suite, le dispositif s’est élargi, devenant une politique à deux vitesses. D’un côté, les campus des métropoles et grandes villes recevant les enveloppes les plus conséquentes : Plateau de Saclay (850 M€), Paris (700 M€), Lyon (525 M€), Marseille (500 M€), Condorcet / Paris (450 M€), Strasbourg (375 M€), Toulouse (350 M€) et, de l’autre, les campus plus modestes parmi lesquels figurent certaines villes intermédiaires : Metz-Nancy (100 M€), Clermont-Ferrand (30 M€), Le Havre (20 M€), Dijon (20 M€), Valenciennes (20 M€).
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- 4 http ://www.gouvernement.fr/les-investissements-d-avenir
Les laboratoires d’excellence (LABEX) labellisés en 2010, lors de la première vague des programmes d’investissements d’avenir (35 Mds€). Les Labex sont destinés à créer un continuum d’action allant de la recherche fondamentale à l’innovation industrielle4 ; en finançant la recherche collaborative sur des thématiques spécifiques : SHS, biologie et santé, science de l’environnement et de l’univers, numérique, énergie, nanotechnologie. Là encore, la carte des Labex dessine une hiérarchie métropolitaine assez nette. Les « laboratoires d’excellence » se concentrent majoritairement dans les plus grandes villes, à quelques exceptions près pour les villes intermédiaires et même plus petites. La carte des Idex (initiative d’excellence) montrerait par ailleurs une concentration encore plus forte dans les niveaux supérieurs de la hiérarchie urbaine [Grandclément 2011].
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Les métropoles instaurées par la loi MAPTAM (janvier 2014), dont le contexte de création et les implications pour les villes intermédiaires ont été exposées précédemment (cf. 2.1.).
Carte 2 – Dispositifs à l’appui de l’économie de la connaissance dans les villes intermédiaires
Source : DATAR 2014, enseignementsup-recherche.gouv.fr 2014, vie-publique.fr
20Notons que sur le plan méthodologique, cette proposition cartographique comprend de nombreuses limites : elle donne une vision partielle et figée des dispositifs, alors qu’une des conditions d’éligibilité repose souvent sur la mise en réseau des différents partenaires appartenant à différents espaces géographiques. Elle superpose des dispositifs dont les liens et articulations existent sans être évidents, et nécessiteraient d’être examinés. Malgré cela, la carte permet de faire ressortir différents éléments d’analyse concernant l’impact territorial des politiques d’innovation dans les villes intermédiaires, et la manière dont ces processus questionnent l’évolution des hiérarchies au sein des systèmes urbains.
21Les trois dispositifs cartographiés (Pôles de compétitivité, Labex, Opérations campus) reflètent la généralisation de l’appel à projets comme mode de territorialisation des politiques publiques. Cette méthode cherche à financer prioritairement les acteurs prêts à se mobiliser autour d’un projet, afin d’optimiser les chances de réussite et d’ancrage local. Elle est également fortement discriminante dans la mesure où elle renforce nécessairement la concurrence entre les territoires. La carte illustre la logique hiérarchique décroissante de ces dispositifs qui bénéficient principalement aux plus grandes villes, concentrant de fait les moyens de l’action publique territoriale dans une dynamique cumulative, au détriment des villes de rang inférieur. En effet, les choix d’attribution des financements de l’innovation semblent maintenir fortement les hiérarchies centre / périphérie. Ces mécanismes maintiennent donc mécaniquement les villes en marge des métropoles dans une position secondaire.
22Les villes intermédiaires cherchent pourtant à s’imposer dans ces appels à projets, qui donnent accès à des financements conséquents, à se créer une image de « métropole innovante » et permettent d’espérer des retombées concrètes en termes de création d’emplois et d’entreprises pour le territoire. Toutes n’ont pas la même capacité de mobilisation institutionnelle pour s’organiser et bénéficier des dispositifs lancés par l’État. Les acteurs institutionnels et privés des villes intermédiaires ne sont pas nécessairement rodés à ces appels à projets, ou ne peuvent prétendre aux exigences d’ouverture internationale requises. L’exemple rémois est emblématique de cette difficulté à exister dans le panorama français de l’innovation (renvoi carte 2), bien qu’il s’agisse du centre économique de la Champagne-Ardenne. D’autres villes intermédiaires n’ont guère mieux réussi à accueillir ces dispositifs (Le Mans, Amiens, Poitiers, Bayonne, etc.), alors que d’autres en cumulent davantage, les rapprochant des profils des grandes villes (Caen, Nancy, Le Havre, Orléans, etc.). Enfin, pour les villes intermédiaires, détenir ces dispositifs répond souvent à une volonté de rattrapage économique ou de « faire comme » la métropole ou la ville concurrente. Dans cette perspective, la question de la standardisation des dispositifs d’accompagnement de l’innovation, souvent empruntés aux métropoles, est particulièrement problématique, au risque de créer, soit des structures d’accompagnement s’apparentant à des coquilles vides, soit des inadéquations contre-productives entre les dispositifs mis en œuvre et les besoins réels du territoire.
23Malgré la décentralisation et l’accroissement théorique de l’autonomie des collectivités, des dispositifs comme les pôles de compétitivité, les investissements d’avenir ou les opérations campus rappellent que l’État est encore bien présent au niveau local. Les besoins de mise en réseau des acteurs et des territoires pour développer l’innovation complexifient les logiques territoriales, renforcent l’enchevêtrement d’objectifs parfois contradictoires et accroissent potentiellement les tensions entre uniformité des politiques et objectifs de différenciation des stratégies urbaines.
24Cependant, ces tendances ne doivent pas occulter la diversité des situations des villes intermédiaires et des réponses qu’elles fournissent. Dans tous les cas, les villes intermédiaires restent très dépendantes des aléas extérieurs et de la vision territoriale de l’État. Elles maîtrisent d’autant moins l’élaboration de stratégies métropolitaines fondées sur l’innovation qu’elles n’ont qu’une marge de manœuvre limitée. Les dispositifs d’appui à l’innovation sont lourds à mettre en place et à animer, et les ressources tant financières qu’humaines sont limitées, ce qui explique une relative inertie des dispositifs existants. Cette situation est d’autant plus problématique que l’innovation demande une forte flexibilité et une évolutivité permanente difficiles à faire coïncider avec le cadre souvent rigide des structures d’accompagnement.
25Entrer dans l’étude des systèmes productifs par les villes intermédiaires permet d’élargir les analyses sur les systèmes urbains. La métropolisation et les profondes mutations économiques et industrielles contemporaines mettent les villes intermédiaires en situation de bifurcation, où les stratégies mises en œuvre peuvent soit les engager vers une trajectoire métropolitaine (garantissant ainsi une certaine attractivité), soit les maintenir dans une trajectoire de ville moyenne, au risque de ne plus pouvoir retenir les jeunes, les entreprises et de faire face à un appauvrissement à différentes facettes. Évidemment, des études de cas plus approfondies sont à mener pour souligner, au-delà de l’identification de tendances générales, la grande diversité des situations des villes intermédiaires.
26Quoi qu’il en soit, les évolutions politiques récentes ne laissent guère envisager un renforcement des pouvoirs et du champ d’action des villes intermédiaires : la vision de l’État continue à imposer une logique hiérarchique forte, les cantonnant à des villes secondaires, à l’ombre des métropoles.
27Malgré tout, les villes intermédiaires trouvent dans les dispositifs proposés par l’État quelques perspectives métropolitaines pour s’intégrer dans l’économie de la connaissance et moderniser leur système productif, sous condition d’une territorialisation et d’un ancrage local efficace. Il ne faut pas non plus invalider le rôle des politiques « top-down », car elles permettent - dans une certaine mesure - aux acteurs économiques et institutionnels des villes intermédiaires de se mobiliser quand la capacité d’action collective locale est faible.
28Au final, si les analyses présentées peuvent paraitre sévères sur les ambitions stratégiques des villes intermédiaires, il faut aussi nuancer ce point de vue : ces dernières n’ont jamais autant essayé de prendre en main et d’infléchir leur trajectoire de développement. Ce gain en autonomie implique sûrement quelques tâtonnements.