1Au-delà des débats sur le concept de compétitivité [Delaplace 2011], la politique des pôles de compétitivité lancée au milieu des années 2000 marque le retour de l’industrie dans le débat politique, avant même le thème récent du redressement productif [Bost 2015]. Cette politique a donc concentré l’attention [Cohen 2007, Plunket & Torre 2009] malgré des financements publics somme toute modestes, laissant dans l’ombre la politique du Grand Emprunt, dite aussi des Investissements d’Avenir, lancée en 2009. Or, les Investissements d’Avenir (IdA) approfondissent par bien des aspects les transformations introduites par les pôles, tout en mobilisant des moyens bien plus importants (plus de 47 milliards d’euros à ce jour). Par l’étendue de leur champ d’action, ils se révèlent aussi être un outil politique extrêmement puissant qui transforme l’organisation de la recherche publique, le fonctionnement des politiques de soutien à l’innovation ou les relations entre recherche publique et entreprises [Lachmann 2010]. Ce relatif silence tient bien sûr à la jeunesse de cette politique puisqu’au 31 décembre 2014, seuls 33 milliards d’euros avaient déjà été engagés. Il n’est de fait pas question de prétendre proposer une évaluation de cette politique. Il semble en revanche possible d’analyser à travers la mise en œuvre de cette politique les transformations de l’intervention de l’État dans le champ de l’innovation et la façon dont elles affectent les hiérarchies territoriales à l’échelle nationale, mais aussi l’organisation du tissu industriel et scientifique à l’échelle locale et régionale.
2La première partie de cet article montre comment les Investissements d’Avenir s’inscrivent dans un mouvement plus large de retour des politiques industrielles. La deuxième partie s’appuie sur l’exemple de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour analyser les transformations des coopérations entre recherche et industrie à l’échelle régionale. La dernière partie montre enfin l’impact de cette politique sur les hiérarchies territoriales à plus petite échelle.
3Les pôles de compétitivité créés en 2005 répondent au double constat fait par de nombreux rapports au début des années 2000 de désindustrialisation et de décrochage scientifique pour la France [Mustar & Larédo 2002]. En promouvant l’innovation, source espérée de compétitivité, ces politiques font du renforcement des liens entre la recherche publique et l’industrie un levier majeur [Grossetti & Lozego 2003]. Le rapport de Christian Blanc définit par exemple le pôle compétitivité comme « l’addition d’un cluster et d’une base scientifique ou la synergie d’un pôle d’excellence et d’un tissu d’industries » [Blanc 2004]. Ainsi, de la même manière que les politiques industrielles ont connu un renouvellement majeur dans la première moitié des années 2000 [Branciard & Verdier 2003], la recherche et l’université ont fait l’objet de réformes importantes à la suite du plan Université 2000 dans les années 1990 [Mérindol 2010], puis de la création de l’ANR et de la LRU en 2005 [Fridenson 2010]. La volonté du plan Campus de concentrer les moyens sur les pôles universitaires les plus dynamiques fait par exemple écho à la concentration des financements sur un petit nombre de pôles de compétitivité [Grandclement 2015]. L’excellence fait figure de pendant académique de la compétitivité [Delaplace 2011]. En 2009, les Investissements d’Avenir révèlent la résurgence de questionnements étonnamment similaires à ceux qui avaient donné naissance aux pôles de compétitivité. À la suite du rapport de la commission dirigée par A. Juppé et M. Rocard, il a été décidé de financer des investissements d’avenir pour un montant de 35 milliards d’euros issus pour partie d’un emprunt auprès des marchés et pour partie des remboursements du plan de soutien aux banques [Juppé & Rocard 2009].
4Tout comme les pôles de compétitivité, les IdA révèlent tout d’abord une transformation des formes d’intervention de l’État. Si ces deux politiques marquent le retour d’un certain volontarisme dans le champ des politiques industrielles et d’innovation, l’État entend n’être qu’un État incitateur, rompant ainsi avec le modèle interventionniste des Trente Glorieuses [Cohen 2007]. L’État définit des priorités et alloue des financements, mais c’est aux acteurs locaux et régionaux (laboratoires, entreprises et collectivités territoriales) qu’il appartient de construire des projets collectifs. Le recours généralisé à des appels à projets en est le symbole, même s’il a aussi été interprété comme une forme de recentralisation du pilotage des politiques industrielles et d’innovation [Epstein 2005]. En effet, l’État, via une série d’agences de moyens et de guichets, nouveaux ou existants, décide seul de la sélection des projets candidats et de la répartition des financements.
5Dans le cadre du Grand Emprunt, 5 axes stratégiques ont été définis : (I) l’enseignement supérieur et la formation, (II) la recherche, (III) les filières industrielles et les PME, (IV) le développement durable et (V) le numérique. Les thématiques retenues et les objectifs des Investissements d’Avenir sont somme toute assez classiques, comme le montre la figure 1. L’enseignement supérieur et la recherche obtiennent la part la plus importante avec 11 milliards d’euros. La répartition des fonds entre les différents secteurs confirme toutefois le retour de l’État dans le champ industriel via des politiques de filières qu’on croyait disparues. Ainsi 6,5 milliards d’euros sont investis dans les technologies du futur : 2,8 milliards concernent l’industrie (dont 1,4 milliard pour l’aéronautique et 800 millions pour le nucléaire), 1,24 milliard pour le développement durable, 820 millions pour la santé (dont les biotechnologies) et seulement 590 millions pour le numérique. Le changement de majorité politique en 2012 ne semble pas avoir constitué une rupture majeure dans la politique des IdA, ni dans ses objectifs, ni dans ses modalités. À la suite de la promotion de l’idée de redressement productif, il a même contribué à renforcer encore l’intervention publique dans le champ industriel sous la forme de grands programmes (les 34 plans sectoriels de la « nouvelle France industrielle »). Ce néocolbertisme se heurte toutefois aux difficultés des finances publiques, conduisant à puiser dans les fonds des IdA et les 12 milliards supplémentaires votés par le gouvernement Ayrault pour financer le redressement productif (Fig. 1).
Figure 1 – Les cinq axes stratégiques des Investissements d’Avenir
Source : MESR – Réalisation A. Grandclément
6Derrière ces grandes priorités, les IdA témoignent d’une créativité institutionnelle et politique assez inédite par le temps resserré dans lequel elle a eu lieu et par le nombre d’outils nouveaux mis en œuvre. Ils ont ainsi donné lieu à une trentaine d’appels à projets auxquels s’ajoutent une dizaine de nouveaux outils ou dispositifs créés au niveau national [Grandclément 2012]. Toutefois, ces multiples appels à projets ne fonctionnement pas de manière indépendante. Ils sont au contraire emboités, hiérarchisés et mis en réseau, dessinant un paysage structuré par des logiques fortes. Si l’enseignement supérieur fait l’objet d’un axe spécifique, ses acteurs sont en fait impliqués dans la plupart des appels à projets sous la forme de collaborations recherche / industrie. Dans le cadre du Grand Emprunt, l’État agit tous azimuts et sur un temps très court, quitte à mélanger des logiques diverses [Cohen 2007]. Chaque appel à projet définit des niveaux d’échelle et des modèles spatiaux différents, privilégiant alternativement logiques de site d’une part et logiques de réseau d’autre part. Les Initiatives d’Excellence dédiées aux universités (Idex) correspondent à un modèle polarisé et visent à faire émerger des rassemblements d’acteurs localisés. A contrario, certains appels à projets, comme les Instituts Carnot, concernent l’ensemble d’une filière ou promeuvent un fonctionnement en réseau à plus petite échelle. Les pôles de compétitivité combinaient déjà ces deux logiques puisqu’ils doivent tout à la fois s’appuyer sur la proximité géographique pour créer de nouvelles synergies entre industrie et recherche « dans un territoire donné », et favoriser l’insertion des acteurs régionaux dans des réseaux d’envergure nationale ou internationale.
7Dans le champ de l’économie verte, la création des Instituts d’excellence pour des énergies décarbonées (IEED) illustre cette hésitation. Le cahier des charges insiste avec force sur la concentration géographique des moyens et des acteurs, mais il introduit la possibilité de tisser des partenariats avec des équipes de recherche publiques ou privées implantées sur d’autres sites ou d’y associer des sites d’essais éloignés. Les pôles de compétitivité de PACA revendiquent ainsi des participations dans plusieurs IEED alors qu’aucun n’a été labellisé dans la région. Le pôle Mer PACA est impliqué en tant que co-porteur des IEED Frances Energies Marines (dans le domaine des énergies marines renouvelables) localisé à Brest et Greenstars (autour des bioalgues) dans le Languedoc, dont les porteurs principaux sont respectivement le pôle Mer Bretagne et le pôle Trimatec. La moitié des IEED comptent même plus de deux pôles, ce qui confirme l’importance de liens à distance. Il ne faut en outre pas ignorer le rôle des entreprises et notamment des grands groupes dans les projets des IdA. Treize entreprises et laboratoires sont impliqués dans au moins deux IEED et cinq (CNRS, EDF, GDF SUEZ, IFP Energies Nouvelles et Rhodia) dans trois IEED. Comme l’écrivent P. Lefèbvre et F. Pallez, « la multi-appartenance à des réseaux et les organisations matricielles est devenue la règle » [Lefèbvre & Pallez 2008]. L’attention doit donc se concentrer sur les intersections entre toutes ces structures et sur les opportunités qu’elles offrent aux acteurs.
8Les IdA font des pôles de compétitivité un des pivots des politiques d’innovation. Outre des appels à projets qui leur sont spécifiquement dédiés, les pôles ont en effet vocation à labelliser les projets déposés par d’autres acteurs. Le soutien d’un pôle de compétitivité constituait un critère favorable pour des appels à projets tels que les Laboratoires d’Excellence (Labex) et était indispensable pour les IEED. Ce mode de fonctionnement vise bien sûr à assurer la complémentarité des outils créés par les IdA avec les pôles de compétitivité. Les pôles possèdent ainsi une position centrale dans la construction des projets candidats aux IdA. Ils apparaissent sur le papier à la fois comme des pilotes et des coordinateurs, voire des arbitres des initiatives locales.
- 1 Entreprises de taille intermédiaire (soit les entreprises comptant entre 250 et 5 000 employés).
9Selon les secteurs, les pôles n’ont toutefois pas joué le même rôle. Dans le secteur de l’aéronautique ou de l’automobile, et de manière générale dans le cadre des politiques ciblant des filières, la sélection des projets et l’attribution de financement a pris des formes qui rappellent fortement les politiques industrielles sectorielles de type grands projets colbertistes (l’aéronef du futur, le navire du futur, la voiture du futur, etc.), mêlant avances remboursables pour les programmes à finalité commerciale et subventions pour les démonstrateurs technologiques. Les grandes entreprises ont dans ce contexte joué un rôle majeur, même si les pôles ont participé et ont porté les succès obtenus à leur crédit. Le cas du pôle aéronautique Pégase en PACA et de l’entreprise Eurocopter en est un exemple flagrant. L’aéronautique et l’espace ont reçu deux milliards d’euros et ont été parmi les premiers à obtenir ces fonds. Eurocopter est le chef de file du programme « Hélicoptère du Futur » et ses partenaires industriels tels que Turboméca, Sagem ou Thalès. Ce programme a été doté de 550 millions d’euros, dont 315 millions pour Eurocopter et le futur hélicoptère dit X4. Parallèlement, Eurocopter a chargé le pôle Pégase d’associer les PME et ETI1 à ce programme pour mobiliser leurs ressources et leurs compétences aux côtés des grands donneurs d’ordre et les faire bénéficier des retombées en terme de sous-traitance. Eurobiomed, autre pôle marseillais, a adopté une stratégie similaire dans le domaine médical. Il est notamment un des acteurs impliqués dans l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) POLMIT spécialisé dans les maladies infectieuses et tropicales, doté par l’État de 72 millions d’euros.
10Les pôles ont enfin de manière plus classique labellisé des projets portés directement par la recherche publique régionale. Optitec a ainsi soutenu les trois Laboratoires d’Excellence finalement retenus en PACA dans le domaine de la photonique : Ganex à Sophia-Antipolis et à Montpellier, Focus à Château-Gombert et OCEVU autour de deux laboratoires du campus marseillais de Luminy. L’encadré 1, qui présente quelques-uns des projets portés ou soutenus par le pôle Capénergies dans le domaine des énergies ou génératrices de gaz à effet de serre, confirme la diversité des formes d’implication des pôles dans le cadre des Investissements d’Avenir.
Encadré 1 – Capénergies et les Investissements d’Avenir : quelques projets parmi ceux labellisés par le pôle
- Instituts d’excellence sur les énergies décarbonées : 2 IEED retenus. FRANCE ENERGIES MARINES à Brest (Bretagne) a pour vocation de stimuler la compétitivité française de la filière des énergies marines renouvelables (dotation de 34,3 millions d’euros) ; GEODENERGIES à Orléans (Centre) vise à développer, diffuser et valoriser les géo-technologies indispensables au déploiement économique des énergies décarbonées (dotation de 15,9 millions d’euros).
- Démonstrateurs dans le domaine de l’énergie : 6 projets retenus suite aux appels à manifestation d’intérêt, représentant un budget total de 102 millions d’euros.
VERTIWIND (18 M€) a pour objectif le développement et la mise en œuvre d’un concept innovant d’éolienne flottante à axe vertical.
ESPADON (6 M€) vise à développer une conduite d’eau froide fiable et économique pour la production d’énergie thermique des mers.
NICE GRID (30 M€) ambitionne de mettre en fonctionnement un démonstrateur de réseau de distribution électrique intelligent de portée mondiale sur la plaine du Var.
MILLENER (30 M€) veut développer un réseau électrique intelligent capable de maîtriser la demande des particuliers et améliorer l’insertion des énergies renouvelables dans les îles de Corse, Guadeloupe et La Réunion.
REFLEXE (7 M€) vise à piloter un nouveau réseau électrique intégrant différentes sources de consommation, de production et de stockage de l’électricité.
MICROSOL (11 M€) a pour but de développer des microcentrales électriques solaires thermodynamiques fonctionnant 24/24h en utilisant un stockage d’énergie thermique.
- Equipements d’excellence :
DURASOL couvre une étude du vieillissement accéléré des composants et systèmes solaires photovoltaïques et thermiques et des corrélations climatiques via des plateformes multi-sites.
- Laboratoires d’excellence : 2 LABEX retenus suite à l’appel à projets. MEC (3 M€) pour « Mécanique et Complexité », a pour champ thématique la mécanique au sens large. ICOME2 (6,8M€) pour « Matériaux Multi-échelles pour l’Énergie et l’Environnement » porte entre autres sur l’étude des propriétés des matériaux utilisés dans le développement de nouvelles batteries ou des piles à combustible.
- Eco-cités : 2 projets présentés (un projet Réseau de froid sur Nice Côte d’Azur et un projet Ilot de démonstration sur Marseille-Euroméditerranée).
11Plus largement, les IdA ont induit un processus accéléré de réorganisation des formes d’organisation collectives et des coopérations entre industrie et recherche à l’échelle des régions. Les acteurs académiques cherchent autant que les grands groupes à peser dans ces nouvelles structures. C’est le cas des grands organismes de recherche nationaux que sont par exemple le CNRS et le CEA, mais aussi de manière croissante des universités. Issue de la fusion des trois universités de la métropole aixo-marseillaise, l’université d’Aix-Marseille a ainsi entrepris de renforcer sa présence dans les organes de gouvernance des pôles, mais aussi d’en modifier la nature. Elle souhaite notamment être représentée comme institution au conseil d’administration des pôles pour porter une politique d’établissement et peser sur les décisions. La recherche d’une masse critique susceptible de permettre à l’université et ses composantes de répondre aux injonctions d’excellence se traduit donc par la mise en place d’une stratégie de rayonnement à l’échelle régionale.
12Le montage des projets se déroule en outre à l’échelle régionale dans un contexte de multiplication des initiatives autour d’acteurs de différentes natures. Aucun IEED n’a par exemple été retenu par l’État en PACA, malgré plusieurs projets successifs. Lors d’un premier appel à projet IEED, le pôle Capénergies n’a pas déposé de projet propre du fait de difficultés liées à un changement de sa direction. Il lui a été présenté à cette période un projet d’IEED (sur la récupération des rejets thermiques et des déchets) monté par des laboratoires de l’université d’Aix-Marseille. Ce projet a été décliné par le pôle du fait de délais trop courts et d’une démarche jugée maladroite quant à l’implication des industriels. Lors de la seconde vague de labellisation, le pôle a souhaité à son tour monter un projet portant sur un de ses axes stratégiques, autour du stockage de l’énergie et des réseaux intelligents. Il a sollicité l’université qui n’a pas donné suite, ce que certains ont attribué au refus des industriels de laisser l’université porter le projet. Une solution alternative consistant à confier ce portage à une grande entreprise qui aurait apporté des fonds a été reçue favorablement par les industriels, mais elle s’est heurtée au critère de rentabilité à 5 ans fixé par l’État. Les entreprises sollicitées ont affirmé ne pas avoir les moyens de financer cette rentabilité à 5 ans. Par la suite, ce projet a été recyclé par l’entreprise Areva qui a présenté seule un dossier dans le cadre d’un autre appel à projet autour du stockage de l’énergie. Cet exemple parmi d’autres montre la complexité des jeux d’acteurs et la non-concordance de leurs intérêts et de leurs temporalités.
13Les pôles de compétitivité, puis les Investissements d’Avenir ont donc provoqué une refonte majeure des formes d’organisation collective entre industriels et acteurs académiques à l’échelle locale et régionale. À plus petite échelle, c’est aussi la question de leur impact en matière d’aménagement du territoire qui se pose.
14Il est délicat de proposer une analyse des impacts des Investissements d’Avenir alors que les appels à projets continuent de se succéder et que les projets et les structures créés et/ou financés commencent à peine à se mettre en place. De nouveaux appels à projets ont par exemple été ouverts pour les universités (Idex et I-Sites pour les pôles de moindre envergure). Il nous semble toutefois que l’observation des résultats des différents processus d’évaluation témoigne de processus importants, notamment par leur impact sur la géographie scientifique et de l’innovation. On a déjà évoqué l’affirmation d’un pilotage fort par l’État, notamment sous la forme d’une résurgence de politiques sectorielles. Il faut désormais en observer l’impact en termes d’aménagement du territoire et de recompositions des hiérarchies territoriales.
15Les résultats des appels à projets dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur permettent de saisir des hiérarchies scientifiques et universitaires classiques. La carte des Labex montre une large couverture territoriale à l’échelle nationale qui témoigne en fait du mouvement de création de pôles universitaires dans les années 1980 et 1990. Les universités et antennes universitaires de taille plus modeste et les villes moyennes (Angers, Limoges, Le Havre, Compiègne, etc.) ont ainsi obtenu des Labex, même si on observe une concentration plus forte dans les territoires métropolitains. La carte des Equipements d’Excellence – beaucoup mieux dotés financièrement – dessine une géographie beaucoup plus sélective et fait une place beaucoup plus large aux grandes métropoles (Paris, Strasbourg, Marseille, Lyon, Bordeaux et Toulouse). Certaines métropoles régionales comme Nantes, Nice et dans une moindre mesure Toulouse, ont obtenu un nombre très modeste de ces équipements. On observe d’ailleurs des spécialisations à l’image de la santé pour Strasbourg ou des nanotechnologies pour Grenoble. Le creusement des hiérarchies est plus flagrant encore si l’on observe les résultats des Idex qui avaient, il est vrai, vocation à distinguer un nombre réduit de pôles d’excellence. Seules cinq villes se partagent les 7,7 milliards d’euros des 8 Initiatives d’Excellence (avant la seconde vague d’Idex en cours). Hors de la région francilienne [Baron & Berroir, 2007], seuls quatre Idex ont été attribuées à Bordeaux, Toulouse, Aix-Marseille et Strasbourg. Le Nord et l’Ouest ont été ignorés de même que de manière plus surprenante, Lyon et Rhône-Alpes.
16La confrontation des dotations distribuées à la dépense intérieure de recherche et de développement (DIRD) révèle les distorsions de la géographie industrielle et du potentiel scientifique à l’échelle des régions. Mais elle met également en lumière les succès obtenus par certaines d’entre elles (figure 2). On peut distinguer parmi ces dernières l’impact de l’adéquation de spécialisations régionales avec les choix sectoriels de l’État à l’image de la région Aquitaine avec l’aéronautique et de l’Alsace autour des écotechnologies et du domaine de la santé. Le cas plus surprenant d’autres régions présentant un ratio favorable (Picardie, Champagne-Ardenne) traduit au contraire les effets des Investissements d’Avenir en termes d’aménagement du territoire. La domination francilienne se trouve d’ailleurs nuancée. La part importante des fonds attribués à l’enseignement supérieur et à la recherche d’une part et à certaines filières d’autre part explique cette modification du classement des régions lorsqu’on utilise des valeurs pondérées. La géographie universitaire a en partie guidé la répartition des fonds et participe donc à compenser la logique de concentration et de compétitivité au profit d’une logique plus proche de l’aménagement du territoire au sens redistributif du terme (Fig. 2).
Figure 2 – Les régions françaises et les Investissements d’Avenir, un outil d’aménagement du territoire
Source : MESR (2012), OST (rapport biannuel 2010). Réalisation A. Grandclément
17La concentration des fonds publics dans les différents appels à projets des Investissements d’Avenir, de même que les effets de cette politique sur les hiérarchies territoriales questionnent enfin la marge de manœuvre des collectivités et des acteurs locaux, ainsi que les stratégies à mettre en œuvre pour s’y inscrire au mieux. La combinaison des critères de compétitivité ou d’excellence et de masse critique introduit souvent un hiatus avec les maillages politiques, scientifiques et universitaires. La capacité des acteurs à répondre seuls avec succès à ces appels à projets est notamment mise en cause aux échelons inférieurs et intermédiaires des hiérarchies urbaines. Le cas de la région Provence Alpes-Côte d’Azur en est un bon exemple [Garnier 2012]. Le profil assez généraliste du tissu scientifique et industriel (de nombreux domaines de compétence, mais pas de spécialisation affirmée) se révèle être une difficulté au vu de la grille sectorielle appliquée par les IdA. De la même manière, la structure urbaine du territoire régional et la bipolarisation Aix-Marseille / Nice-Sophia-Antipolis peut constituer une difficulté. On a déjà évoqué le cas de l’IEED porté par l’université d’Aix-Marseille. De la même manière, deux projets d’instituts de recherche technologique ont été présentés à l’échelle régionale, l’un porté par l’université de Nice et l’autre par l’université d’Aix-Marseille. Aucun n’a finalement été retenu, faute d’une taille suffisante et du fait de cette concurrence. La question des solutions possibles pour les universités ou les métropoles de taille intermédiaire est donc un défi épineux [Auneau 2009, Moro 2006]. Le choix de fonctionnements politiques tels que ceux des IdA semble en effet contraindre ces acteurs à collaborer et à se mettre en réseau sous peine de ne pouvoir accéder aux fonds publics accordés par l’État [Fache 2009]. Cet enjeu s’était déjà posé aux universités qui se sont pour nombre d’entre elles engagées dans des processus de rapprochement ou de fusion.
18Les collectivités se trouvent elles aussi impliquées dans la politique des IdA dans la mesure où elles sont sollicitées pour cofinancer les projets présentés, mais aussi dans les choix qu’elles doivent faire à la suite des résultats des appels à projets. Elles doivent en fait répondre à la fois aux demandes des projets retenus, qui réclament des financements complémentaires, et à celles des perdants qui se trouvent privés des fonds de l’État. Comme dans le cas des pôles de compétitivité, l’alternative entre la concentration des moyens sur les plus forts et une approche plus redistributrice se décline à plusieurs échelles avec la difficulté pour les collectivités d’être tributaires des choix de l’État. Bien que doté de 72 millions d’euros par les IdA, l’Infectiopôle marseillais (IHU Polmit) a ainsi sollicité la communauté d’agglomération Marseille-Provence-Métropole pour obtenir des financements complémentaires. À l’inverse, l’université d’Aix-Marseille a dû réfléchir à la façon d’intégrer les laboratoires qui n’ont pas obtenu de fonds du grand emprunt. Enfin, l’implication de laboratoires, d’entreprises ou de pôles dans des projets extérieurs à la région et dont le pilotage est assuré par des acteurs extrarégionaux n’est pas rare. Seuls deux des cinq Équipements d’Excellence aixois et marseillais retenus lors de la première vague de labellisation ont un pilotage provençal. Les collectivités territoriales sont alors sollicitées pour financer des projets dont une partie parfois importante des acteurs sont implantés hors de leur territoire. La multiplication, à l’initiative de l’État, de ces structures en réseaux interroge les outils et les politiques économiques traditionnels des collectivités.
19La politique des IdA et les modalités politiques de sa mise en œuvre ont donc un impact important sur les hiérarchies métropolitaines. La mise en avant du critère de la masse critique et la concentration des moyens sur un nombre réduit de dispositifs pourrait en effet tendre à figer les hiérarchies territoriales en privilégiant les territoires dotés d’un tissu scientifique et productif bien constitué. Comme dans le cas des pôles de compétitivité, se pose la question de la prise en compte des trajectoires des territoires et des systèmes productifs, notamment des secteurs et territoires émergents. Il est vrai que les IdA accordent des fonds à des domaines dits d’avenir, mais de manière plus modeste et dans une approche thématique plus que territoriale.
20La volonté de concentrer les financements publics sur les territoires disposant d’une masse critique suffisante et l’incitation à fonctionner en réseau le cas échéant est une autre rupture majeure. Elle pose la question de la capacité des acteurs scientifiques et industriels et des collectivités territoriales à s’organiser pour répondre aux critères fixés par l’État. L’enjeu est aussi pour les collectivités de construire de nouvelles politiques de développement économique, leur permettant à la fois de soutenir les structures en réseau sélectionnés par l’État et d’accompagner les territoires locaux qui en sont exclus.