Bernard Dézert (1925-2023)
Texte intégral
1Bernard Louis-Marie Dézert, professeur de géographie à l’université Paris X - Nanterre, puis à l’université Paris-IV (Paris-Sorbonne), membre du conseil de l’AGF entre 1992 et 2001, nous a quitté le 12 mai 2023 à l’âge de 97 ans.
2Né à St Cloud, ayant fait des études à Versailles, étudiant en géographie à la Sorbonne, professeur certifié puis agrégé de géographie (1958), il a dans un premier temps de sa carrière enseigné dans le secondaire à Versailles, Montbéliard, Oran, St Germain-en-Laye et en classes préparatoires (Louis-le-Grand à Paris) avant de devenir maître-assistant à Nanterre en 1964 alors qu’il préparait sa thèse d’État.
3Il s’est fait connaître dans le monde universitaire comme spécialiste de géographie industrielle avec sa thèse sur La croissance industrielle et urbaine de la porte d’Alsace (1969, dir. J. Beaujeu-Garnier). Grâce à des relations familiales auprès de la direction de Peugeot, ce qui lui ouvrit les portes des grandes firmes de la région, il étudia en détail le rôle de la filière textile et des usines Peugeot et Alsthom sur le tissu urbain et industriel régional et l’emploi dans l’espace Sochaux - Montbéliard - Belfort - Mulhouse, avec un premier article dans le BAGF en 1966 intitulé « Quelques aspects géographiques de la grève des usines de la S. A. Peugeot en avril-juin 1965 », y abordant une géographie sociale de l’industrie, comme en 1989 dans un autre article du BAGF (« Redéploiement industriel et déplacements de main d’œuvre »).
4L’analyse de cette région de passage entre le monde rhénan et l’ensemble Saône-Rhône l’a amené à se tourner aussi vers la géographie des transports, l’étude de la logistique industrielle (BAGF, 1983, « Le comportement des entreprises industrielles et leurs stratégies vis-à-vis des transports internationaux », 1984, « Transports combinés et ferroutage sur les grands axes européens ») et les articulations entre pays européens, comme en témoignent plusieurs ouvrages et des collaborations fréquentes avec Gabriel Wackermann (La nouvelle organisation internationale des échanges, 1991). De 1977 à 1995, d’abord à Nanterre puis à la Sorbonne, il dirigea le DESS « Transports, communications et logistiques des échanges internationaux » et enseigna, parallèlement, à l’Ecole Nationale Supérieure des Transports pendant une quinzaine d’années.
5Il s’est particulièrement intéressé à la désindustrialisation, aux relations ville-industrie (articles de 1983 et 1989 dans Hommes et Terres du Nord avec Pierre Bruyelle), à l’industrialisation des villes portuaires (Cahiers nantais, 1985), à la réaffectation des friches industrielles en région parisienne (Mélanges Beaujeu-Garnier, 1987) et aux effets négatifs de l’industrie et des transports (« Transports et environnement », BAGF 1979, « La lutte contre les déchets et les nuisances industriels », BAGF 1981, « Développement des activités et mesures de lutte contre les nuisances dans l’environnement des grandes agglomérations en France », Geographia Polonica 1984), une thématique alors novatrice.
6Fort logiquement donc, il a co-dirigé de 1986 à 1994, avec son collègue belge Christian Vandermotten, le groupe d’études de l’Union Géographique Internationale « Mutations techniques, adaptations urbaines et environnement régional » étudiant principalement les régions anciennement industralisées d’Europe et d’Amérique du Nord, organisant des colloques et séminaires à Manchester et Liverpool (1990), à Moscou et dans le Donbass (1991), à Washington et Baltimore (lors du congrès UGI 1992) et à La Haye (UGI 1996), ce qui lui permit de côtoyer des collègues d’horizons lointains (États-Unis, Russie, Brésil, Japon, Chine) et de développer des réseaux de recherche sur ses thèmes de prédilection.
7Vieilles régions industrielles donc, mais sans négliger pour autant l’apparition des nouvelles technologies (articles BAGF de 1986 sur « les mutations technologiques et nouvelles activités industrielles » et 1998 sur « les télécommunications et les réseaux métropolitains »).
8Il a également travaillé sur les questions de géographie urbaine, métropolisation et exurbanisation (article de 1991 dans le BAGF) et joué un rôle important avec Jacqueline Beaujeu-Garnier et Jean Bastié dans l’aventure du CREPIF (Centre de Recherche et d’Études sur Paris et l’Île-de-France) et des Cahiers du CREPIF, qui bénéficièrent d’un soutien multiformes de l’équipe municipale parisienne de Jacques Chirac. Il y a publié par exemple des articles sur la Butte Montmartre et le Sacré-Cœur, les activités périurbaines dans les grandes agglomérations américaines, les ZALA (zones d’activité liées aux aéroports) et aérovilles. Il a d’ailleurs coordonné avec J. Beaujeu-Garnier les mélanges offerts à J. Bastié en 1991 sous le titre : La grande ville, enjeu du XXIème siècle.
9En lien étroit avec ces deux éminents collègues, il a longtemps été secrétaire général adjoint de la Société de Géographie à Paris.
- 1 L'association des sociétés de géographie européennes dont la Société de Géographie de Paris était u (...)
10Avec J. Bastié, Bernard Dézert a aussi participé à la création d’EUGEO1, à Rome, en 1994, lors d’une réunion à la Villa Celimontana, siège de la Société italienne de géographie.
11Ses enseignements ont porté principalement sur la géographie industrielle, urbaine et régionale de l’Europe, à Nanterre puis à la Sorbonne, avec une activité soutenue de rédaction de manuels pour les étudiants, en solo (Minerais métalliques et métallurgies de base dans le monde, 1972, Géographie générale et régionale de l’énergie dans le monde, 1973, Les activités, le peuplement, l’habitat liés à la mer, 1974, Activité industrielle et vie humaine en montagne, 1975, La crise mondiale de l’énergie, 1981, La France face à l’ouverture européenne, thèmes transfrontaliers, 1993, L’Europe, géographie historique, sociopolitique et économique, 1998) ou en collaboration avec René Frécaut (L’économie des eaux continentales, 1969), Michel Rochefort et Étienne Dalmasso (Les activités tertiaires, leur rôle dans l’organisation de l’espace, 1976), Christian Verlaque (L’espace industriel, 1978), Jean Bastié (La ville, 1991), Alain Metton et Jean Steinberg (La périurbanisation en France, 1991), Étienne Auphan (L’Europe en mouvement, 2003), Christian Vandermotten (L’identité de l’Europe, 2008).
12Pour lui, l’enseignant universitaire devait d’abord être au service des étudiants et ne pas s’enfermer dans une supériorité intellectuelle méprisante, mais au contraire être à l’écoute et apprendre de ses étudiants, d’où qu’ils viennent. Il tenait ainsi à appuyer les démarches d’étudiants dans des situations personnelles non prévues par les administrations des universités, comme l’inscription en DEA de professeurs du secondaire.
- 2 Une géographie germanophone et germanophile développée autour de plusieurs collègues alsaciens et l (...)
13Arrivé dans le monde universitaire au moment des « craquements » dans les années 1960-70, auteur d’une thèse sans support géomorphologique dominant, il a tiré de son expérience très riche (3 mandats au CNU, 5 ans au jury du Capes et autant à l’Agrégation de géographie, 2 mandats au Conseil du Comité National Français de Géographie…) un article de réflexion sur la géographie en France co-rédigé avec Jean Bastié (publication en 2004 dans Belgéo, revue dirigée par C. Vandermotten), dans lequel ils regrettent la place dominante de la modélisation et de l’économisme et la coupure croissante avec la géographie physique, en souhaitant un renouveau d’une géographie optimiste, résolument pro-européenne2, prenant en compte tous les facteurs naturels, humains, culturels, socio-économiques, politiques et spatiaux, centrée sur l’aménagement du territoire, et qui garderait une place importante dans l’enseignement secondaire en s’appuyant sur des situations concrètes, terre-à-terre, ayant à l’esprit des notions aussi classiques que le site et la situation, trop négligées à leurs yeux par la nouvelle géographie.
14Retraité, Bernard Dézert a longtemps dirigé, à partir de 1995, l’université libre de Saint-Germain-en-Laye, fondée par Michel Péricard en 1989, y organisant des cycles de conférences pour un public plus large que celui des étudiants à qui il avait beaucoup donné en temps et en énergie (cours, manuels, jurys de concours).
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- 4 En témoigne son entretien en vidéo parlant de son approche du métier d’universitaire et de son rapp (...)
15Ses doctorants (18 thèses soutenues de 1986 à 20003, sur des thématiques variées, patrimoine paysager, eau et industrie, transport intermodal, périurbanisation dans des territoires français, africains, nord-américains) garderont l’image d’un conseiller accessible, simple, profondément humain4, chaleureux, enthousiaste et toujours très accueillant dans sa maison en lisière de la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Bien des années après, même diminué physiquement, il maintenait le contact, par lettres et au téléphone. La relation directeur de thèse / doctorant s’était muée en amitié fidèle.
Merci à Jean-Jacques Bavoux et Christian Vandermotten pour leurs informations, qui ont trouvé place dans cet hommage.
Notes
1 L'association des sociétés de géographie européennes dont la Société de Géographie de Paris était un des membres fondateurs, même si ce n'est plus elle qui y représente la France aujourd’hui.
2 Une géographie germanophone et germanophile développée autour de plusieurs collègues alsaciens et lorrains, dont Gabriel Wackermann, et marquée de l’admiration qu’il portait aux travaux de Wolfgang Hartke sur la Sozialbrache (nécrologie de W. Hartke par B. Dézert dans Acta Geographica, 1998). C’est d’ailleurs Gabriel Wackermann qui coordonna en 1996 l’ouvrage jubilaire en hommage à Bernard Dézert, intitulé Nouveaux espaces et Systèmes Urbains, où l’on trouve des contributions de géographes aussi divers que Jean Bastié, Guy Baudelle, Jean-Jacques Bavoux, Pierre Bruyelle, Paul Claval, Gérard-François Dumont, Gabriel Dupuy, André Fischer, Alain Metton, Michel Phlipponneau, Jean-Robert Pitte, André Vigarié mais aussi d’auteurs étrangers, allemands et autrichiens (Wolfgang Brücher, Eckard Oelke, Michaela Paal), anglais (Howard Green, Adam Strange), belges (Bernadette Mérenne-Schoumaker, Christian Vandermotten), polonais (Stanislaw Misztal), portugais (Lucilia Caetano), canadiens (Claude Manzagol), japonais (Toshihide Johchi, Nobuo Takahashi), nigérians (Emmanuel Igah, Olufemi Adeleye), reflétant le rayonnement international des travaux de Bernard Dézert.
3 https://www.theses.fr/026830086
4 En témoigne son entretien en vidéo parlant de son approche du métier d’universitaire et de son rapport à l’Algérie de sa jeunesse, https://www.youtube.com/watch?v=PDAd7qY_U1k
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Crédits | Source : Cliché C. Vandermotten |
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Pour citer cet article
Référence papier
Yves Boquet, « Bernard Dézert (1925-2023) », Bulletin de l’association de géographes français, 100-1 | 2023, 115-118.
Référence électronique
Yves Boquet, « Bernard Dézert (1925-2023) », Bulletin de l’association de géographes français [En ligne], 100-1 | 2023, mis en ligne le 25 juillet 2023, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/bagf/10827 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/bagf.10827
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