1Le territoire parisien présente de nombreuses spécificités : les densités du tissu urbain et de la population sont particulièrement fortes ; les niveaux de pollution de l’air et de bruit sont élevés (bien qu’en baisse, comme le montrent les mesures d’Airparif1, en corrélation avec la diminution du trafic routier2) ; une partie importante des logements est ancienne, ce qui peut avoir de multiples conséquences, sur l’isolation thermique, acoustique, sur l’exposition au plomb, etc. ; le territoire a également un passé artisanal et industriel important, à l’origine notamment de la pollution des sols ; les espaces verts sont encore relativement peu abondants, avec une moyenne de 3,1 m² d’espaces verts ouverts au public par habitant (hors bois)3, malgré une politique d’extension de la végétation ces dernières années ; les équipements de services et de soins sont nombreux mais leur accessibilité inégale ; le niveau global de richesse est élevé mais la population présente de fortes disparités socioéconomiques et de modes de vie, etc. Autant de facteurs qui peuvent avoir un impact sur la santé et contribuer aux inégalités de santé. Il est d’ailleurs constaté que, si les indicateurs de santé (espérance de vie, mortalité, etc.) pour Paris dans son ensemble indiquent des niveaux relativement favorables en comparaison aux moyennes régionales ou nationales, la situation est très contrastée au sein du territoire, comme le montrent par exemple les données concernant la mortalité prématurée (avant 65 ans) sur la période 2013-2017 (données InTerSanté4).
2Les collectivités territoriales disposent de nombreux leviers pour améliorer la santé et réduire les inégalités de santé (environnementales, sociales et territoriales) dans un contexte de changement climatique. Qu’il s’agisse de missions obligatoires ou facultatives, certaines relèvent du champ de la santé stricto-sensu (protection maternelle et infantile, lutte contre l’habitat insalubre…), tandis que d’autres, beaucoup plus nombreuses, relèvent d’autres champs sectoriels comme par exemple ceux de la propreté, la voirie, l’aménagement, l’urbanisme, les espaces verts, ou encore les services aux enfants et personnes âgées. En accord avec l’ambition affichée par l’OMS de « mettre la santé au cœur de toutes les politiques » (déclaration du Directeur général de l’OMS en novembre 20175), la politique parisienne s’efforce ainsi d’agir sur les différents déterminants de santé dans une mise en œuvre trans-sectorielle de ses actions.
3Par exemple, les projets d’aménagement du territoire, notamment à travers le futur Plan local d’urbanisme bioclimatique, portent des objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, de promotion des mobilités actives et de l’activité physique, de préservation de la biodiversité et de renforcement du lien social. Les politiques de santé parisiennes identifient par ailleurs clairement les actions portant sur l’environnement et l’urbanisme comme des leviers à actionner afin d’améliorer la santé, comme en témoignent les axes stratégiques mis en avant dans le Contrat local de santé de Paris6. De plus, le Plan Paris Santé Environnement (PPSE), adopté en 2015, affiche la double ambition d’améliorer la santé des Parisiens et de réduire les inégalités environnementales, sociales et territoriales de santé en agissant sur les expositions aux pollutions et nuisances, mais aussi sur le cadre de vie, le mode de vie, l’accès aux aménités, etc. L’atteinte de ces objectifs passe notamment par la mise en place d’outils de pilotage, permettant de prioriser, d’orienter et d’évaluer l’action publique.
4Dans ce contexte, deux outils d’aide à la décision permettant de prendre en compte la santé environnementale, et en particulier les situations de cumul d’exposition à des facteurs de risque et de vulnérabilités ont été développés au Service parisien de santé environnementale (SPSE). Le premier est un outil cartographique qui permet d’identifier des inégalités environnementales, sociales et territoriales de santé. Le second est une démarche d’évaluation des impacts sur la santé (EIS) qui peut être appliqué sur un projet urbain ou une politique de la ville, en vue de proposer aux élus des actions opérationnelles pour atténuer les répercussions négatives de ces programmes sur la santé et maximiser leurs avantages pour les groupes de population touchés, notamment les plus vulnérables.
5Les sections qui suivent présentent l’outil cartographique (la méthodologie et les résultats), ainsi qu’un exemple d’EIS initiée sur le projet urbain du secteur « Gare des mines », situé dans le nord-est parisien.
6Le premier outil est une cartographie des inégalités environnementales, sociales et territoriales de santé qui a pour objectif d’identifier les quartiers sur lesquels agir prioritairement pour réduire les inégalités de santé. Pour cela, il a été développé, à une échelle spatiale fine, un indice synthétique permettant de repérer des « zones de fragilité en santé environnementale », c’est-à-dire des secteurs sur lesquels se cumulent un certain nombre de défaveurs relatives aux expositions aux pollutions et nuisances environnementales, aux vulnérabilités de la population et à la carence en aménités urbaines (lieu, équipement ou installation qui apporte un bienfait à la population).
7La méthodologie (sélection des données, construction des indicateurs thématiques et de l’indice synthétique) a été définie dans le cadre d’un comité technique, qui s’est réuni entre septembre 2017 et décembre 2018, composé d’experts institutionnels, universitaires et de producteurs de données : les structures en charge de la surveillance de la qualité de l’air (Airparif) et du bruit (Bruitparif) en Île-de-France, les agences déconcentrées de l’État en charge de la santé (ARS) et de l’environnement (DRIEAT) au niveau de la région Île-de-France, la Caisse Primaire d’assurance maladie (CPAM) de Paris, le Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces (LADYSS, Université Paris Nanterre), l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), l’Institut Paris Région et l’Observatoire régional de santé (ORS) d’Ile-de-France, le Centre antipoison et de toxicovigilance de Paris, ainsi que plusieurs services de la Ville de Paris en charge de la santé environnementale, de l’environnement, de l’habitat, du social et de la résilience. Ce travail a été copiloté par le SPSE et l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur), avec la participation de l’Agence d’écologie urbaine (AEU, Ville de Paris).
8Plusieurs critères ont guidé le choix des indicateurs thématiques : l’existence d’un lien avéré avec la santé, la pertinence de la représentation cartographique, la correspondance avec la réalité de la situation parisienne et les priorités du PPSE, la disponibilité de la donnée à une échelle fine (au maximum à l’échelle du carreau de 200 mètres de côté, retenue comme maille d’agrégation des différents indicateurs) et de façon exhaustive pour l’ensemble du territoire parisien.
9En fonction de ces critères, et suite à un travail itératif entre l’équipe pilote et le comité technique, les indicateurs retenus portent sur :
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des facteurs d’exposition aux nuisances environnementales dont l’impact sur la santé est le plus fort à Paris : la pollution de l’air extérieur, le bruit lié aux transports, l’habitat considéré comme « à risque » et la chaleur urbaine (approchée par la carence en végétation en m2/habitant) ;
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des facteurs de vulnérabilité : liée à l’âge (la fragilité des individus est plus grande aux âges extrêmes), à l’état de santé (l’existence d’une pathologie chronique et/ou grave fragilise également les individus et les rend potentiellement plus sensibles aux nuisances environnementales), et au niveau socioéconomique qui impacte fortement la santé des individus par un ensemble de mécanismes relevant notamment de la qualité du logement, la pénibilité du travail, le mode de vie, l’accès à un environnement de bonne qualité, l’accès à des soins de bonne qualité). Les indicateurs de vulnérabilité de la population portent ainsi sur les jeunes enfants (0-5 ans), les personnes âgées (65 ans et plus), les individus dont la pathologie est prise est charge par le dispositif des affections longue durée (ALD), les ménages à bas revenus, ainsi que les allocataires de la CMU-C ou de l’ACS (aides pour l’accès aux soins attribuées sous condition de ressources) ;
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l’accessibilité aux espaces verts et berges et l’accessibilité à l’offre de médecine générale : deux aménités ayant un impact documenté sur la santé [Whitehead & Dahlgren 1991, OMS 2018, Réseau français des Villes-Santé de l’Organisation mondiale de la santé 2020].
10Un certain nombre de données complémentaires (portant par exemple sur les sols pollués, sur l’offre sportive, commerciale, etc.), présentant un intérêt ont été recensées mais n’ont pas été intégrées dans l’indice synthétique car elles ne répondaient pas à l’ensemble des critères de sélection. Elles permettent de compléter la description des zones d’intérêt.
11Afin de pouvoir ensuite les combiner dans un indice global, tous les indicateurs thématiques ont été exprimés, quelle que soit l’échelle spatiale des données de départ, à la maille du carreau Insee de 200 mètres de côté (échelle la plus fine à laquelle des données socioéconomiques de l’Insee sont disponibles), au besoin après une étape d’agrégation des données. Les carreaux peu peuplés, avec moins de 40 habitants, n’ont pas été pris en compte pour des raisons de fiabilité statistique ; ainsi, sur les 2057 carreaux que compte Paris, 1916 (soit 93 %) ont fait l’objet de l’analyse.
12Par ailleurs, l’ensemble des indicateurs a été exprimé en fonction de la population résidente (les indicateurs environnementaux ne représentent donc pas des niveaux de nuisance environnementale mais l’importance de la population concernée par la nuisance), et en relatif de la moyenne parisienne ; cela permet, d’une part, d’exprimer l’ensemble des indicateurs de façon homogène et, d’autre part, d’identifier les secteurs sur lesquels la population est, plus qu’ailleurs sur le territoire parisien, sujette à des défaveurs. Les résultats sont exprimés à la fois en effectif et en proportion de la population concernée dans le carreau : l’approche en effectif permet d’estimer le nombre de personnes concernées par la défaveur (surexposition, vulnérabilité, moindre accessibilité aux aménités) ; l’approche en proportion (effectif de la population concernée par la défaveur, rapporté à l’effectif total de la population du carreau) complète l’analyse avec les carreaux pouvant être moins densément peuplés mais dont la part d’individus concernés par la défaveur est forte.
13Pour les données disponibles à une échelle spatiale inférieure au carreau (pollution de l’air, bruit, habitat « à risque »), chaque bâtiment s’est vu attribuer un niveau de la nuisance étudiée, ainsi qu’une estimation du nombre de personnes résidant dans le bâtiment à partir des données de la base DensiBâti (Institut Paris Région). Après avoir fixé un seuil correspondant au niveau de nuisance au-delà duquel les immeubles sont considérés en situation de défaveur (par exemple les limites réglementaires pour les polluants atmosphériques), il est obtenu une estimation de la population résidente surexposée ou concernée par une nuisance, immeuble par immeuble. L’agrégation de ces résultats par immeuble à l’échelle du carreau donne une estimation du nombre et de la proportion d’individus concernés par la défaveur pour chaque carreau.
14Les indicateurs ont ensuite été binarisés, c’est-à-dire qu’il a été attribué à chaque carreau, en fonction de la valeur de l’indicateur, un score de 0 ou de 1. Le score de 1 est attribué aux carreaux dans lesquels la situation est la moins favorable au regard de la moyenne parisienne et correspond à une situation de défaveur. Elle a été définie par un ratio minimum de 2 entre la valeur de la variable dans le carreau considéré et la moyenne parisienne (seuil résultant d’un choix collectif sur des critères qualitatifs). Ainsi, dans la plupart des cas, le score de 1 correspond à une surreprésentation de la population concernée par le facteur de défaveur étudié, avec un effectif et/ou une proportion de la population supérieur(e) ou égal(e) à deux fois la moyenne parisienne.
15Les scores binarisés des indicateurs thématiques portant sur la pollution de l’air, le bruit, l’habitat, les enfants âgés de 0 à 5 ans et les personnes de 65 ans et plus (données Insee 2010), les personnes en affection longue durée (données Cpam Paris 2018), les ménages à bas revenus (données Insee 2010), les allocataires de la CMU-C ou de l’ACS (données Cpam 2018) ou encore l’accessibilité aux espaces verts et berges, permettent de repérer les carreaux dans lesquels la population concernée par un « niveau de nuisance élevé ou une défaveur » est surreprésentée (score de 1). Est considéré comme « élevé » un niveau de pollution de l’air correspondant à une valeur de l’indicateur multipolluant, construit à partir de données modélisées de NO2, PM10 et PM2.5 (données Airparif 2012-2016), indiquant un dépassement de la valeur seuil pour au moins un des trois polluants. Pour le bruit, un niveau « élevé » est défini par une valeur de l’indicateur multisource, construit par sommation énergétique de l’indicateur Lden (bruit perçu sur 24 h) pour le bruit routier, ferré et lié à l’héliport et pondéré en fonction de la source pour tenir compte de la gêne plus ou moins forte en fonction du type de bruit (données Bruitparif, 2012-2016), supérieure à 60 dB(A), niveau intermédiaire entre les valeurs réglementaires et les recommandations de l’OMS pour les différentes sources de bruit lié aux transports. Les immeubles « à risque » sont identifiés au moyen d’un indicateur composite (données portant sur les mises en demeure au titre du péril ou du règlement sanitaire, les factures d’eau impayées, la surreprésentation de demandeurs de logement, les diagnostics plomb positifs, etc.) ; cet indicateur, produit annuellement pour le parc privé et décliné ici pour le parc social, permet de repérer les immeubles présentant au moins trois types difficultés (données Ville de Paris, 2017, traitement Apur). La défaveur correspondant à un éloignement des espaces verts (parcs et jardins publics, squares, cimetières) et berges (Seine et canaux) est définie par un temps d’accès à pied supérieur à 5 min (accessibilité réelle selon le filaire des rues, en considérant l’entrée physique des lieux) (données 2018 Ville de Paris, traitement Apur).
16Pour la carence en végétation, le score binarisé indique les carreaux dans lesquels la part de végétation en m² (données de photographie aérienne, Ville de Paris, Aerodata, 2015, traitement Apur) par habitant est inférieure ou égale à la moitié de la moyenne parisienne. Pour l’accessibilité aux médecins généralistes, le score binarisé identifie les carreaux dans lesquels le ratio effectif de population divisé par densité de l’offre est supérieur ou égal à deux fois la médiane parisienne, avec une densité de l’offre calculée par la méthode de la densité de noyau, à partir des données de localisation des généralistes libéraux de secteurs 1 et 2 et des centres de santé (en fonction du volume d’actes de médecine générale réalisés) (données Cpam 2018) ; pour chaque médecin, l’offre qu’il représente est distribuée sur sa zone d’influence (rayon choisi : 1 km) en fonction de la distance (plus l’offre est proche, plus elle a de poids).
17Enfin, l’indice synthétique a été construit par addition des scores binarisés de l’ensemble des indicateurs thématiques.
18Dix indicateurs ont été construits pour couvrir les 3 familles thématiques considérées, à savoir les expositions aux nuisances environnementales, les vulnérabilités de la population et la carence en aménité urbaine. Les scores binarisés des indicateurs permettent de repérer, pour chaque thématique, les carreaux les moins favorisés au regard de la situation moyenne parisienne (score de 1 attribué à ces carreaux) et montrent des géographies différentes selon les indicateurs.
19La population exposée à des niveaux élevés de polluants atmosphériques est surreprésentée (par rapport à la moyenne parisienne) dans des carreaux situés majoritairement rive droite de la Seine (10e, 11e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements), mais aussi dans les 5e et 15e arrondissements côté rive gauche. Pour le bruit lié aux transports ressortent des carreaux situés dans les arrondissements périphériques de la ville. Les secteurs concernés par l’habitat « à risque » sont situés pour l’essentiel dans le quart nord-est parisien (du 17e au 20e arrondissements) ainsi que dans le 13e arrondissement. La carence en végétation par habitant est observée surtout rive droite de la Seine (dans les 2e, 3e, 9e, 10e, 11e, 17e et 18e arrondissement), ainsi que dans le 15e arrondissement rive gauche de la Seine.
20Les jeunes enfants sont surreprésentés dans des carreaux situés principalement dans le nord-est de Paris (10e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements). Les personnes âgées, quant à elles, sont plus présentes dans des arrondissements périphériques en particulier dans les arrondissements de l’ouest (15e, 16e), dans le 12e, 13e, 14e et dans certains quartiers du 17e, 18e, 19e et 20e. Les personnes prises en charge en ALD sont surreprésentées dans des carreaux situés plutôt dans le quart nord-est, du 17e au 20e arrondissements (dans le 12e également dans une moindre mesure), et au sud, dans les 13e et 14e arrondissements essentiellement. La vulnérabilité socioéconomique ressort surtout dans le nord-est de la ville (dans les 17e à 20e arrondissements), le 13e, ainsi que dans le sud des 14e et 15e arrondissements.
21La population habitant à plus de 5 minutes d’un espace vert ou d’une berge est surreprésentée dans les arrondissements du centre et de l’ouest de Paris, ainsi que dans le 14e arrondissement. L’accessibilité à la médecine générale est moins bonne pour les habitants des quartiers périphériques, en particulier dans les 20e, 17e, 18e, 19e, 13e, 15e et 16e arrondissements.
22L’indice synthétique a été construit par addition des scores binarisés de l’ensemble des indicateurs thématiques (Tableau 1). Il fait apparaitre 154 carreaux montrant un cumul d’au moins cinq défaveurs, sur les 1916 carreaux de plus de 40 habitants que compte Paris, soit 8 % du territoire, et 2 carreaux cumulant les 9 facteurs de défaveurs (qui ne sont pas isolés mais situés au milieu d’autres carreaux présentant plusieurs défaveurs).
23La carte de synthèse montre ainsi une dizaine de zones de fragilité en santé environnementale constituées par plusieurs carreaux contigus cumulant au moins 5 défaveurs (Figure 1). Ces zones sont situées plutôt dans les quartiers périphériques de la ville, en majorité sur la rive droite (dans les 10e, 11e, 12e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements), mais également pour quelques-unes sur la rive gauche (13e).
Tableau 1 – Indicateurs thématiques (définis à l’échelle du carreau de 200 mètres de côté) intégrés dans l’indice synthétique
Thématique
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Indicateur thématique (score binarisé égal à 1 indiquant la défaveur)
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Pollutions et nuisances environnementales
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Pollution de l’air : effectif et/ou proportion de la population exposée à des niveaux élevés (indicateur multipolluant montrant un dépassement de la valeur seuil pour au moins un des trois polluants considérés) ≥ 2 fois la moyenne parisienne
Bruit : effectif et/ou proportion de la population exposée à des niveaux élevés de bruit lié aux transports (indicateur multisource ≥ 60 dB(A)) ≥ 2 fois la moyenne parisienne
Habitat : effectif et/ou proportion de la population habitant dans un immeuble « à risque » ≥ 2 fois la moyenne parisienne
Carence en végétation : part de végétation en m² par habitant ≤ 1/2 fois la moyenne parisienne
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Vulnérabilité de la
Population
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Âge : effectif et/ou proportion d’enfants de 0 à 5 ans et/ou de personnes de 65 an et plus ≥ 2 fois la moyenne parisienne
État de santé : effectif et/ou proportion de personnes en Affection longue durée (ALD) ≥ 2 fois la moyenne parisienne
Précarité : effectif et/ou proportion de ménages à bas revenus et/ou d’allocataires d’aides sociales (CMU-C ou ACS) ≥ 2 fois la moyenne parisienne
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Carence en aménité urbaine
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Moindre accessibilité aux espaces verts et berges : effectif et/ou proportion de la population à plus de 5 min à pied de l’entrée d’un espace vert ou d’une berge ≥ 2 fois la moyenne parisienne
Moindre accessibilité à l’offre de médecine générale : nombre d’habitants rapporté à l’offre de médecine générale (libérale et centres de santé) ≥ 2 fois la médiane parisienne
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24La carence en végétation, l’habitat « à risque », la forte présence de populations vulnérables et le bruit sont en situation de cumul dans l’ensemble de ces quartiers (sans concerner nécessairement tous les carreaux du secteur identifié, en particulier pour le bruit). La problématique de la pollution de l’air ressort plus ou moins selon les secteurs identifiés (moins dans les secteurs du 13e). Environ la moitié des quartiers identifiés présente une moindre accessibilité aux espaces verts et aux berges, en particulier pour les quartiers du 18e et du 20e arrondissements. La moindre accessibilité aux soins, telle que définie ici, concerne en particulier les quartiers identifiés dans les 13e, 17e, 18e, 19e et 20e arrondissements.
Figure 1 – Indice synthétique de fragilité en santé environnementale construit par addition des scores binarisés des neuf indicateurs thématiques regroupés en trois classes
Source : données Airparif (2012-2016), Bruitparif (2012-2016), Ville de Paris (2015, 2017 et 2018), Cpam (2018), Insee (2010), traitement Apur
25Les résultats obtenus sont liés aux choix méthodologiques réalisés, notamment la sélection des indicateurs thématiques intégrés à l’indice synthétique et la méthodologie de construction de ces indicateurs. En effet, la caractérisation des inégalités environnementales, dans les études françaises (souvent conduites dans le cadre de plans (nationaux et régionaux) santé environnement [Andrieu-Semmel & Fiard 2014, Gueymard & al. 2016, Leproux & al. 2016, Caudeville & al. 2017, Beaumont & al. 2017, Badin & Anzivino, 2018, Host & al. 2022] ou dans celui de travaux de recherche [Lalloué & al. 2015, Lanier & al. 2020] ou internationale [Shrestha & al. 2016, August & al. 2021], repose généralement sur la définition d’un indice synthétique spatialisé, construit selon des méthodologies qui s’avèrent être très hétérogènes (choix des données, définition des indicateurs, mode d’intégration des indicateurs dans un indice synthétique, etc.), dépendant notamment des objectifs, de l’échelle (région ou agglomération en général), des données disponibles, etc.
26Les choix réalisés ici ont été faits en fonction des problématiques environnementales et sociales les plus pertinentes sur le territoire parisien et pour répondre à l’objectif de la Ville de Paris, à savoir la priorisation des quartiers sur lesquels intervenir pour réduire les inégalités de santé. L’expression des indicateurs en fonction de la population résidente, y compris les indicateurs relatifs aux nuisances environnementales ou à l’accessibilité aux aménités, permet notamment d’identifier les secteurs sur lesquels agir pour la population. La définition d’un indicateur par thématique permet quant à elle d’identifier facilement les problématiques sur lesquelles penser des actions. L’indice synthétique, construit par addition du score binarisé attribué à chaque indicateur thématique, ne prétend pas quantifier le risque mais montre de façon simple les zones de cumul de défaveurs.
27Ces choix méthodologiques entrainent cependant un certain nombre de limites, notamment une possible redondance entre certains indicateurs (par exemple l’indicateur lié à l’habitat « à risque » et celui de la précarité socioéconomique) ; les géographies dessinées ne se superposent cependant pas et, par ailleurs, les éventuelles redondances n’ont pas été jugées problématiques puisque l’outil cartographique a pour objectif d’identifier des zones de cumul de défaveurs (vision politiques publiques) et non d’être utilisé pour étudier les liens entre les différentes variables (vision épidémiologique).
28Une autre limite est celle liée au choix méthodologique de seuils définissant des variables binaires, qui par nature réduit l’appréciation quantitative des différentes situations.
29Par ailleurs, les zones de fragilité en santé environnementale sont identifiées géographiquement à partir du domicile des individus soumis à des nuisances/défaveurs, ce qui ne permet pas de considérer la population non résidente mais présente sur le territoire parisien, et ne représente qu’une approximation de l’exposition des individus résidant à Paris (puisque ceux-ci vont fréquenter différents lieux que leur domicile) ; c’est cependant une approche intéressante, notamment pour les populations les plus fragiles souvent peu mobiles (jeunes enfants, personnes âgées,…) et une façon efficace de cibler les zones sur lesquelles agir prioritairement pour les Parisiens qui y habitent ou viennent y travailler.
30Enfin, les cartes ont été réalisées avec les données disponibles les plus récentes. Certaines datent cependant de plusieurs années et des modifications ont pu intervenir depuis. En ce qui concerne la précarité économique, les chiffres sur les ménages à bas revenus de 2010 ont pu être complétés par des données plus récentes (2018) portant sur les allocataires de la CMU-C ou de l’ACS, aides pour l’accès aux soins attribuées sous condition de ressources. Par ailleurs, par construction, la cartographie produite est une image statique qui ne rend pas compte des évolutions en cours sur le territoire et ne permet pas d’évaluer les dynamiques à l’œuvre sur le terrain.
31Par ailleurs, un outil de visualisation des données (datavisualisation) a également été développé. Il permet de mettre la carte de synthèse ou les indicateurs thématiques en regard d’autres données cartographiées (crèches, écoles, équipements sportifs, etc.), ainsi que de la géographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou des projets urbains, potentiels leviers pour la mise en place d’actions. Il permet également de croiser les données selon les besoins, et de moduler les choix méthodologiques réalisés pour construire les indicateurs (par exemple pour identifier les 10 % des carreaux les plus défavorisés au lieu de l’analyse faite par rapport à un seuil fixé à deux fois la moyenne parisienne).
32L’outil cartographique développé permet de discriminer les carreaux de la zone d’étude les uns par rapport aux autres sur des thématiques de santé pertinentes pour le territoire parisien, en mettant en évidence des secteurs présentant un cumul de défaveurs. Sans résumer les inégalités environnementales, sociales et territoriales à Paris, dont la réalité est plus complexe, il apporte des premiers éléments de diagnostic qui contribuent à identifier certains domaines sur lesquels agir : faire baisser la pollution de l’air ou le bruit, améliorer les conditions d’habitat, augmenter les surfaces végétalisées, favoriser l’accès aux espaces verts…
33Afin de compléter les résultats apportés par l’outil cartographique et apporter une réponse aux limites identifiées, des diagnostics territoriaux partagés sont prévus dans les territoires retenus. Ces diagnostics coconstruits avec les habitants permettront d’identifier plus finement les problématiques et spécificités du quartier étudié (notamment par des données plus qualitatives), ainsi que les difficultés et les forces à partir desquelles il sera possible d’agir et de définir les actions les plus pertinentes à mener.
34Mais d’ores-et-déjà, de nombreuses actions apportant des réponses aux éléments mis en évidence, ont été menées ces dernières années, ou sont en cours, sur les quartiers identifiés (outre les importants programmes de rénovation urbaine sur plusieurs de ces secteurs) : extension ou création de nouveaux espaces verts, végétalisation de murs et de toitures, plantation d’arbres, piétonnisation (rues aux écoles, zones de rencontre, etc.), réalisation de pistes cyclables, transformation des cours d’écoles en cours « oasis », aménagement de promenades sportives/de parcs sportifs, développement de l’agriculture urbaine, de jardins partagés et de vergers/potagers dans les écoles, mise en place de campagnes de sensibilisation à la pollution de l’air, mesures complémentaires de la qualité de l’air dans certains lieux « sensibles » (écoles, etc.), actions de promotion de la santé, etc.
35Enfin, les résultats de l’outil cartographique ont alimenté les portraits de santé récemment réalisés pour chaque arrondissement, ainsi que les diagnostics territoriaux conduits par les équipes municipales en charge d’animer la politique de la ville dans les QPV. La géographie des zones de fragilité en santé environnementale a également été considérée, entre autres données, dans des travaux menés dans le cadre du Plan climat de la Ville (par exemple pour déterminer l’emplacement d’ombrières), pour des actions de sensibilisation à la qualité de l’air, etc. Les résultats présentés par l’outil cartographique alimentent également le diagnostic préliminaire à la révision du plan local d’urbanisme parisien (dans le cadre de la préparation du PLU bioclimatique), en proposant un volet sur les inégalités de santé environnementale. Enfin, ils apportent également des premiers éléments d’orientation pour les évaluations d’impact sur la santé (EIS) réalisées sur des projets de rénovation urbaine.
36L’EIS est un ensemble de moyens, d’outils et de procédures qui visent à identifier et anticiper les impacts potentiels sur la santé d’un projet, d’un plan ou d’un programme [OMS 1999, UIPES 2017]. Elle permet de sensibiliser des acteurs et des décideurs d’autres secteurs que celui de la santé sur le fait que leurs décisions, portant sur la planification ou la mise en œuvre de projet, peuvent avoir un impact sur la santé. Les valeurs d’équité et de justice sociale, l’approche holistique de la santé, la pluralité des données mobilisées et l’utilisation de données probantes guident la méthodologie. L’EIS constitue un outil d’aide à la décision et contribue à la promotion de la prise en compte de l’ensemble des déterminants sociaux-économiques, environnementaux et comportementaux de la santé [OMS 2009] dans toutes les politiques dès leur conception. Il existe plusieurs catégories d’EIS selon la durée, le niveau d’analyse et le degré de participation des usagers.
- 7 EHESP : École des hautes études en santé publique, Plateforme pour les praticiens de l'évaluation d (...)
- 8 PRS: Programme régional de santé, PRSE : Programme Régional de Santé Environnement, CLS : Contrat l (...)
37Le recours aux EIS, en tant qu’outil de promotion de la santé auprès des acteurs locaux et des décideurs, s’est fortement développé en France ces dernières années. L’EIS est aujourd’hui considérée comme une bonne pratique à travers les réseaux de professionnels et a fait l’objet d’un rapport du Haut Conseil de la Santé Publique [HCSP 2018]. Une plateforme de recensement de connaissances et d’outils a également été mise en place par l’EHESP7. Les agences régionales de santé ont valorisé cette démarche auprès des collectivités en l’intégrant dans les documents de planification (PRS, PRSE, CLS8) et en fournissant un appui financier pour sa réalisation. Des programmes divers ont fait l’objet d’EIS comme le développement du réseau de transports publics [HCSP 2018] la mobilité des enfants [Anzivino & al. 2016], la réhabilitation d’un café associatif [Strilka & al., 2018], ou d’un projet d’aménagement [Bordeaux métropole 2018, Legout & Trendel 2019].
38À l’échelle internationale, des EIS sont pratiquées depuis 1970 aux États-Unis, par des opérateurs privés ou publics, et peuvent être intégrées à l’Étude d’Impact sur l’Environnement (EIE) mais la méthodologie reste peu homogène en dépit de la production de guides [Bhatia 2014, Harris 2007] ce qui rend difficile l’analyse de leurs effets [Rhodus 2013]. Dans plusieurs pays européens (France, Danemark, Pays-Bas), les EIS restent une démarche volontaire et non institutionnalisée, à l’inverse du Royaume-Uni où la mise en œuvre d’EIS, développée depuis 20 ans et plaçant participation citoyenne au cœur de sa démarche, peut être exigée légalement [Kemm 2008]. En Suisse, la démarche est institutionnalisée pour deux cantons et la promotion et la réalisation des EIS est surtout associative (Equiterre) ou universitaire (Université de Genève) [Diallo, 2010 ; Cantoreggi & Simos, 2018]. Au Canada, la politique gouvernementale de prévention en santé québécoise va plus loin et l’Institut national de santé du Québec9 développe une évaluation de la pertinence, de la faisabilité et de l’acceptabilité de la pratique de l’EIS afin de réguler les conditions nécessaires à une intégration plus systématique de l’EIS dans les démarches de planification et d’aménagement du territoire [Ministère de la santé et des services sociaux, 2021].
39La participation citoyenne est une des valeurs de l’EIS. Elle vise à aller au-delà d’une consultation réglementaire des citoyens concernés par le projet ou la politique étudié(e), en cherchant à développer particulièrement une participation des groupes de population parmi les plus vulnérables. La consultation pourrait aller jusqu’au pilotage des recommandations par la participation à des instances décisionnelles mais cela n’est pas encore développé en France [Harris 2011]. La participation citoyenne de l’EIS rejoint les enjeux de celle d’un projet urbain, dont il existe différentes formes qui peuvent être développées par des urbanistes. L’information peut se recueillir au plus près des habitants via des réunions publiques sur le site de référence, à travers la maison du projet (réglementaire). Les habitants peuvent également participer aux instances consultatives, comme le conseil citoyen, quand elles existent. Par ailleurs, la mise en place d’ateliers participatifs avec des habitants (adultes ou enfants) permet d’élaborer un diagnostic partagé sur les usages et les attentes. Des outils "d’aller-vers" peuvent également être utilisés pour "toucher les invisibles" (microtrottoir, porte à porte). L’urbanisme transitoire quant à lui est une démarche innovante qui consiste à proposer des installations temporaires sur l’espace public et à en identifier les usages. Elle permet de tester des modes d’utilisation avec les habitants en phase de préfiguration avant et/ou pendant le chantier. Selon les types de sites, les occupants, la localisation géographique, on observe une multitude d’usages qui exprime la diversité des projets d’urbanisme transitoire [IAU 2018]. Certaines recommandations de l’EIS peuvent faire l’objet de préfiguration dans le cadre de l’urbanisme transitoire.
40Le dispositif des marches exploratoires est également un outil intéressant pour favoriser la participation des habitants à un projet urbain et recueillir des informations sur les usages et les attentes. Elles peuvent cibler certains groupes de population et certaines problématiques, comme les marches exploratoires sur le sentiment de sécurité des femmes mises en place par le METRAC (Comité d’action de la région métropolitaine de Toronto) dès 1989, puis largement développées à l’échelle internationale. Ce dispositif genré choisit de s’adresser principalement aux femmes dont la représentation dans les instances telles que les réunions publiques ou les conseils citoyens est souvent faible. La question de la place légitime des unes et des autres dans l’espace public et de la façon de penser les processus d’exclusion en ville est posée par les géographes en évoquant le « droit à la ville », concept dont est à l’origine le philosophe et sociologue Henri Lefebvre [1968] et réactualisé notamment par Purcell [2006]. Ce dernier y questionne le droit de l’habitant, du visiteur occasionnel ou du travailleur non résidant et ses limites spatiales (quartier/ ville/ métropole) pour construire les bases d’un quartier plus inclusif. Ces marches exploratoires partent du constat que les femmes adoptent, dans certains quartiers, des stratégies d’évitement, de contournement, quand elles se sentent en insécurité. Le principe de ces marches est de constituer un groupe de résidentes du secteur d’étude, de les questionner sur leurs parcours habituels, d’identifier les éléments qui sont à la source de leur insécurité : aménagement des espaces publics, occupation de l’espace par des groupes de personnes à certaines heures, etc. Une marche de jour, voire une autre de nuit quand cela est possible, permet de consolider les observations et les attentes pour faire des propositions d’aménagement dans un programme d’actions à court et moyen terme qui seront rassemblées dans un rapport présenté aux élus et aux services de la ville. Ces marches veulent ainsi contribuer à renforcer le pouvoir d’agir des participantes. L’objectif d’intégrer une perspective de genre pour favoriser une meilleure inclusion de la diversité des pratiques et des usages des espaces publics est une transition portée par la Ville de Paris et illustrée par un guide référentiel « Genre & espace public » notamment (2016 et 2021).
41La Ville de Paris a entrepris la réalisation d’une EIS pour accompagner le projet de requalification urbaine du secteur dit « Gare des Mines » situé dans le nord-est parisien (18e arrondissement), celle-ci est en cours de finalisation. Ce secteur, du fait des difficultés socioéconomiques et de cadre de vie, est retenu par le nouveau programme national de renouvellement urbain comme site d’intérêt régional. Le site fait l’objet d’un projet de création de zone d’aménagement concerté qui débutera par la construction d’une Aréna destinée à accueillir certaines compétitions des jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024.
Figure 2 – Le secteur de l’EIS « Gare des Mines », localisé sur l’outil de datavisualisation, compte seulement quatre carreaux, compte tenu de l’absence de population sur le boulevard périphérique
Source : Apur. Ville de Paris
- 10 Le secteur de l’EIS « Gare des Mines », localisé sur l’outil de datavisualisation, compte seulemen (...)
42La première étape de cette démarche consiste en un « diagnostic santé » du secteur et l’outil de datavisualisation décrit précédemment a été mobilisé pour fournir des orientations liminaires, affinées par la suite. Sur l’outil de datavisualisation, le secteur Gare des Mines est représenté par quatre carreaux (Figure 2)10 pour lesquels on constate une surreprésentation de populations avec de faibles revenus et une moindre accessibilité à l’offre de médecine générale, une surexposition à la pollution de l’air et au bruit dans trois carreaux sud et une faible accessibilité aux espaces verts dans le carreau nord. Ces données ont été confirmées par les entretiens et observations de terrains (comme la présence d’un seul médecin – à l’approche de la retraite – dans ce quartier, des cheminements peu qualitatifs vers les espaces verts et éloignés des riverains …) et par les conclusions de l’EIE.
43Le diagnostic des enjeux de santé est ensuite affiné en étudiant des indicateurs quantitatifs (INSEE, données de santé scolaire…) et des données qualitatives (entretiens avec de multiples acteurs du territoire et habitants) donnant lieu à l’identification de groupes de populations vulnérables et d’enjeux de santé spécifiques. Pour l’étude en question, les habitants et professionnels du secteur ont notamment fait part du besoin d’un espace de rencontre et de convivialité, du renforcement de la sécurité en particulier chez les femmes et d’une offre de soin étoffée. À l’issue de l’étape de diagnostic, le déterminant de la cohésion sociale, ainsi que ceux de l’exposition aux nuisances environnementales et de l’offre de soins, déjà pointés par l’outil de datavisualisation, ont été retenus comme prioritaires par le comité de pilotage de l’EIS, associant élus, directions techniques et aménageur. Afin d’appréhender les attentes des résidentes et des usagères du quartier, une marche exploratoire s’adressant principalement aux femmes a été mise en place.
44Cet outil de concertation a permis de favoriser la réappropriation de l’espace public par les femmes à travers la co-construction de l’aménagement de l’espace public à l’aune de leur expertise d’usage. Il a également eu ses limites : des questions sur la constitution du groupe ou l’amélioration de la participation se posent et sont autant de pistes d’amélioration. Entre outre, les participantes ont pu ressentir de la déception sur le délai de mise en œuvre de certaines propositions par exemple. Cependant, à l’issue du projet, le groupe de femmes habitantes a exprimé sa volonté enracinée de faire évoluer la situation du quartier et s’est investi dans d’autres instances décisionnelles du projet urbain. Elles ont également pérennisé leurs rencontres de façon régulière pour la réalisation d’ateliers (autodéfense, cuisine, parentalité, …), ce qui constitue un résultat positif, puisqu’un des objectifs de ce type de démarche est de renforcer le pouvoir d’agir des habitantes.
45Les recommandations de l’EIS sont en cours de finalisation avec les directions techniques de la Ville de Paris et des acteurs clés du territoire. Sur le secteur de Gare des Mines, la mise en œuvre de certaines actions a commencé avant même la finalisation de l’EIS et le début du chantier. En effet, sur la base du diagnostic des enjeux de santé pointant un fort surpoids chez les enfants scolarisés, des acteurs sociaux, de la santé et du milieu scolaire ont rapidement développé des collaborations. Ainsi les centres de loisirs de l’école élémentaire ont intégré la question de l’activité physique et de l’alimentation dans leur projet pédagogique en proposant des activités autour du vélo et des ateliers « cuisine ». L’Atelier santé ville a coordonné la mise en place d’un dispositif d’activité physique adaptée destiné à des enfants préalablement identifiés en surpoids par le service de la santé scolaire, avec le centre de loisirs de l’école et la Direction de la Jeunesse et des Sports (Ville de Paris) qui a mis à disposition un créneau au gymnase local et un éducateur dédié.
46L’exploration transversale des différents enjeux de santé identifiés par l’EIS, l’optimisation des ressources, la mise en place de partenariats réactifs sont favorisées par la proximité de l’équipe EIS avec l’équipe du projet urbain (cheffe de projet urbain, aménageur, équipe de développement local s’il s’agit d’un quartier politique de la ville). Cette association permet de prendre en compte les contraintes calendaires, techniques et financières, les façons de travailler, l’engagement des autres services. Nous avons, par exemple, cherché à développer un langage commun avec les urbanistes et les architectes en proposant des éléments par lesquels l’EIS va alimenter l’EIE, ou en prévoyant une géolocalisation des recommandations sur le plan masse lors du comité de pilotage.
47L’une des particularités des EIS est sa grande flexibilité en termes d’ampleur, de ressources sollicitées et de durée. Elle peut s’appliquer à différentes échelles territoriales. Plus une EIS sera menée de manière prospective, avec des marges de manœuvre dans la programmation, les usages, ou des aspects plus techniques comme la voirie, plus elle aura des opportunités d’influencer réellement la décision et de voir ses recommandations prises en compte. En ce sens une « évaluation » des impacts est une traduction « d’impact assessment » qui aurait mieux pris son sens par le terme « d’analyse » des impacts potentiels sur la santé [Saint-Pierre 2013]. Ainsi pour beaucoup, il ne faudrait pas considérer les EIS uniquement comme une liste d’éléments à prendre en considération, car cela reviendrait à ne pas faire bénéficier le projet de cette occasion d’échanges autour des questions de santé au sens large, et à se priver de la collaboration entre les décideurs et les acteurs du projet urbain.
48L’EIS réalisée dans le 18e arrondissement a permis, en intervenant en amont de la réalisation du projet urbain, d’accompagner et de co-construire le projet de requalification urbaine, en étendant la portée des services de santé au-delà des activités de santé publique classique.
49Afin de lutter contre les inégalités de santé, la Ville de Paris a récemment développé deux outils opérationnels d’aide à la décision qui prennent en compte les différents déterminants de santé, en considérant les situations de multiexposition et les vulnérabilités de la population.
50La cartographie, dont les résultats sont liés aux objectifs qui lui étaient assignés et aux choix méthodologiques posés en conséquence, identifie les secteurs cumulant plusieurs facteurs de défaveur. Elle apporte également des premiers éléments de diagnostic qui peuvent être utilisés, entre autre, dans les EIS.
51L’EIS permet d’anticiper et de caractériser les effets sur la santé d’un projet urbain et la distribution de ces effets entre groupes de population. Elle s’enrichit donc des contributions des différents acteurs et permet de partager une culture commune et d’améliorer les compétences de toutes les parties. Les recommandations de l’EIS s’appuient sur des éléments d’analyse provenant de sources multiples (académiques, benchmark, expertise d’usage des populations, propos d’expert) permettant aux élus de prioriser les actions à mettre en œuvre afin de potentialiser les effets bénéfiques du projet urbain sur la santé. Si certaines recommandations sont reproductibles d’une étude à l’autre, compte tenu des spécificités de chaque EIS (liées à celles du territoire, des populations, du projet, etc.), pour permettre la continuité des apprentissages, il est ainsi important que ces études restent transférables en continuant de rendre public les rapports EIS.
52Ces deux outils, qui considèrent les déterminants de santé de façon large, ont également permis d’améliorer la transversalité au sein des services et avec les partenaires extérieurs impliquant ainsi différents points de vue interdisciplinaires.
Les auteures remercient leurs collègues du SPSE, Kiran RAMGOLAM et Céline LEGOUT, ainsi qu’Émilie MOREAU de l’Atelier parisien d’urbanisme, Paris, France, pour leur participation à ces travaux.