1La propagation rapide du virus SARS-CoV-2 qui s’est, en quelques semaines, répandu sur l’ensemble de la planète, a suscité une crise sanitaire majeure qui a mis en évidence la faible résilience des systèmes de soin des sociétés occidentales, persuadées d’avoir maîtrisé le risque infectieux. « La pandémie a rappelé que la santé d’une humanité pleinement consciente de l’importance vitale de son environnement [suppose que] les systèmes économiques n’ont de sens et d’avenir qu’encastrés dans la biosphère, qui leur a donné la vie, les nourrit et les emportera dans sa chute si elle devait advenir » [Laurent 2020]. Cette crise sanitaire récente s’est conjuguée avec la crise climatique, crises environnementales profondes qui constituent une menace existentielle, interrogeant comme jamais auparavant les fondements mêmes des fonctionnements collectifs. Le logement et l’urbanisme jouent des rôles essentiels dans la gestion de ces nouveaux risques et menaces. Ils représentent avec les dimensions d’échange et de mobilité qui leur sont consubstantielles un des volets majeurs de « l’habiter ». Cette notion, très vaste, est revisitée par les crises actuelles qui imposent un nouveau cadre de pensée vers une ville durable, sobre, inclusive, résiliente, numérique, végétalisée, etc… Autant de qualificatifs qui montrent l’ampleur de la tâche à accomplir dont une analyse est proposée dans cette contribution à travers le prisme du logement sur lequel la pandémie, les confinements successifs, les épisodes caniculaires et d’autres manifestations sensibles du bouleversement du climat ont attiré l’attention.
2La vitesse de propagation du virus et la croissance exponentielle du nombre de décès ont eu pour conséquence le recours à la solution extrême de l’assignation à résidence qu’ont constituée les divers confinements, et donc un mouvement de repli sur le « chez soi » renvoyant, pour ceux qui en avaient la possibilité, l’espace de sociabilité et d’échange qu’est la ville au monde ubiquiste et virtuel de l’Internet mondial et des échanges numériques. Le logement, très souvent partagé, y a pris toute son importance, ayant toujours constitué, au fil des âges, une protection vis-à-vis des intempéries et des maladies selon les principes souvent oubliés de la bioclimatologie. La lutte contre l’effet de serre responsable du changement climatique remet cependant en cause, dans une certaine mesure, cette fonction de protection contre le froid ou la chaleur si elle se traduit par une forte consommation d’énergies fossiles. Comment concilier le bien-être des habitants avec la maîtrise du changement climatique et les interrogations qu’il soulève en matière de consommation énergétique et de prix à payer pour accéder au confort thermique ? L’adaptation aux caprices du climat, la lutte contre ses dérives, la prise en compte de la pollution à l’intérieur des logements et la pandémie récente ont mis en évidence la contribution du logement aux inégalités de santé dans une conjonction inédite.
3Raisonner sur l’existant et le long terme est nécessaire pour orienter les choix relatifs aux modes d’habiter la ville dont le renouvellement est très lent. Une première alerte, caractérisée par une campagne de communication gouvernementale intitulée « La chasse au gaspi », avait été déclenchée lors du second choc pétrolier en 1979. Tous les efforts effectués à cette époque ont vite été oubliés lorsque les prix de l’énergie ont à nouveau baissé. Si la France avait respecté les objectifs proposés lors du Grenelle de l’Environnement en 2009 (baisse de 38 % des consommations d’énergie dans les bâtiments et 400 000 rénovations lourdes par an), elle aurait pu être indépendante du gaz russe dès 2020. L’avertissement a été négligé et s’il a donné lieu à la prescription de normes environnementales, celles-ci ont rapidement été considérées comme des contraintes favorisant la hausse des prix du logement. Elles n’ont pas permis de conjuguer une vision prospective de la qualité environnementale avec une véritable transformation de la notion d’habiter la ville bien au-delà des normes.
4Ainsi la qualité de l’habitat, objet séculaire d’une lutte contre l’insalubrité, demande à être revisitée, dans un contexte géopolitique difficile, sous la triple exigence, parfois contradictoire, des effets du changement climatique, de la crise énergétique et de la pandémie. Elle influence directement la santé des habitants et le « bien-être » en ville, conditions essentielles pour engager une nécessaire transformation collective.
- 1 Par exemple, lors d’épisodes de canicule extrême, des dispositifs permettent de limiter les hausses (...)
5L’habitat joue un rôle essentiel dans le cadre des politiques climatiques puisqu’il peut offrir, dans certaines conditions1, une protection contre les aléas en permettant aux habitants de faire face à un certain nombre de conditions extrêmes. Toutefois, le secteur du bâtiment est aussi un gros émetteur de gaz à effet de serre en raison de l’énergie dépensée pour le chauffage et pour exercer diverses activités essentielles (cuisine, travail, loisirs…).
6C’est à travers la protection efficace des vêtements et du logement que les individus ont progressivement acquis les moyens de faire face aux aléas de la météorologie. Le logement a pu jouer un rôle de protection vis-à-vis des intempéries en servant d’abri. L’habitat traditionnel s’est adapté aux conditions topoclimatiques des lieux en utilisant les matériaux locaux isolants, en jouant sur la taille des ouvertures ou la forme des toits. Mais pour profiter des avantages offerts par la modernisation de la construction et des modes de chauffage, l’habitat a été standardisé ; il s’est affranchi des caractéristiques du milieu par une artificialisation rendue possible par les technologies modernes. Cette manière de construire est en train d’évoluer au profit d’une meilleure intelligence avec les matériaux et les données locales. Les constructions en pisé ou en bois, matériaux isolants, se développent ainsi qu’une nouvelle ingénierie de la rénovation répondant à la fois aux exigences d’économies d’énergie et des canicules estivales sans oublier de prendre en compte la prévention d’autres intempéries éventuelles.
- 2 Selon les directives de l’OMS de 1980, l’intervalle de température entre 18°8 et 24,8° dans les log (...)
7Les études effectuées sur la mortalité observée lors de la canicule de 2003 ont mis en évidence le rôle des conditions de logement et celle des liens sociaux. Les analyses réalisées sur les conditions environnementales qui ont favorisé le grand nombre de décès en ville ont permis de tirer des enseignements pour mieux adapter les logements aux canicules ultérieures. Des appartements mal isolés, situés sous les toits, ont rendu la chaleur insupportable aux personnes, souvent seules, qui n’ont pas été aidées et encouragées à boire et à sortir pour se rafraîchir. Au cours de l’épisode caniculaire de 2003, la ville de Paris a enregistré 1067 décès en excès [Canouï-Poitrine 2006]. Le risque de mortalité a été multiplié par quatre dans les logements situés dans les étages supérieurs des immeubles : les appartements les plus élevés sont moins isolés, plus sensibles au soleil et moins aérés. Une corrélation a également été établie entre les jours de forte chaleur et l’occurrence de suicides [Lehmann 2022]. En effet, en dehors d’une certaine zone de confort2, les écarts thermiques excessifs dans un logement ont des effets délétères sur la santé des habitants [Ezratty 2009, Ezratty & Ormandy 2015]. Même s’il est difficile de documenter toutes les situations individuelles et d’estimer quelles sont les conditions de confort dans les différents logements, les variations saisonnières de la mortalité avec des pointes en hiver et pendant les vagues de chaleur en témoignent. Les individus, surtout les plus vulnérables, enfants et personnes âgées, passent plus de 80 % de leur temps à l’intérieur, spécialement au cours des jours présentant des températures extrêmes, peu favorables aux activités de plein air.
8À la fin des années 1970, « la chasse au gaspi » avait pour objectif d’assurer par le logement la protection contre le froid de l’hiver au détriment, bien souvent, de la ventilation, générant ainsi des problèmes liés à la pollution intérieure. Actuellement, en raison du réchauffement du climat, les modes de construction essaient de rendre la chaleur d’été supportable à l’intérieur. Les grandes baies vitrées qui avaient été multipliées pour capter la chaleur solaire de l’hiver sont l’objet d’aménagements pour éviter que la pièce ne se transforme en serre chaude l’été.
- 3 Canicules à venir : des étés à 50 degrés en France ? https://bonpote.com/canicules-a-venir-des-etes (...)
9Selon Météo-France3, à la fin de ce siècle, les canicules pourraient être non seulement bien plus fréquentes qu’aujourd’hui mais aussi beaucoup plus sévères et plus longues, avec une période d’occurrence étendue de la fin mai au début du mois d’octobre. Sans réduction massive des émissions de gaz à effet de serre, il y a 3 chances sur 4 pour que le nombre annuel de jours de vague de chaleur passe alors de 5 à 25 jours selon les régions par rapport à la période 1976-2005.
- 4 https://www.climat-en-questions.fr/reponse/mecanismes-devolution/etudes-detection-attribution-par-a (...)
10Aurélien Ribes, par les études effectuées sur l’origine de ces événements extrêmes4, peut affirmer qu’en l’absence d’émissions de gaz à effet de serre liés aux activités humaines, la canicule survenue en France en juillet 2019 ne se serait sans doute jamais produite. Ainsi, une température excédentaire de 2,1° serait attribuable aux activités humaines développées depuis la révolution industrielle.
11Ainsi, le logement, pour maintenir une zone de confort thermique et hygrométrique favorable à la santé humaine, consomme de l’énergie mais répond aussi à des enjeux sanitaires incontournables. Le mode de chauffage et l’isolation des bâtiments avec le corollaire indispensable que représente la ventilation sont essentiels pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre (GES) et les polluants de l’atmosphère.
12Le secteur résidentiel tertiaire représente 18 % des émissions françaises totales de GES. L’habitat constitue donc un enjeu fort dans la maîtrise des gaz à effet de serre en raison de la forte consommation énergétique nécessaire pour maintenir des températures adaptées au bien-être aussi bien en été qu’en hiver. Le recours à des volumes plus importants d’énergies fossiles pour le chauffage se traduit par une augmentation des émissions de CO2 mais aussi des émissions de polluants toxiques qui, selon le mode de chauffage adopté, pénalisent les populations, en particulier en contexte urbain.
13Une isolation thermique efficace permet de diminuer la facture énergétique et donc les émissions de gaz à effet de serre aussi bien dans le cas du chauffage l’hiver que pour éviter la climatisation l’été. En cas de défaillance de la ventilation (cf. ci-dessous), complément indispensable de l’isolation thermique, celle-ci aboutit au confinement de l’air et, faute d’aération, l’humidité augmente et les polluants de l’air intérieur s’accumulent.
- 5 Journal de l’Environnement - http://www.journaldelenvironnement.net/article/pollution-de-l-air-inte (...)
- 6 Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire : https://www.anses.fr/fr/system/files/AUT-Ra-CoutA (...)
14Multiforme, elle est mal comprise et fait souvent l’objet de déni ou d’ignorance. Cette pollution invisible, liée aux activités et au comportement des occupants, met en cause certains éléments de confort intérieur (brûle-parfum, feu à l’âtre…). À l’échelle mondiale, la pollution de l’air intérieur est la première cause de mortalité féminine5 en raison de l’utilisation de la biomasse pour le chauffage et la cuisson des aliments avec des braséros ou des foyers ouverts dans des espaces intérieurs sans ventilation. En France, les modes de cuisson sont plus performants mais le risque de pollution est toujours présent car les sources d’émission de polluants intérieurs sont multiples, même en étant très vigilant sur la qualité des produits utilisés : ameublement, matériaux, vapeurs de cuisson… L’ANSES6 estime, en se fondant sur les concentrations mesurées de 6 polluants dans les logements, que 20 000 décès par an sont imputables à une mauvaise qualité de l’air intérieur. L’aménagement plus compact des appartements se traduit par la disparition des cuisines fermées ; ainsi, les émissions liées à la cuisson se diffusent dans l’ensemble du logement.
- 7 La ventilation naturelle par tirage thermique par conduits ou par grilles hautes et basses est une (...)
15Une installation de ventilation fonctionnelle, respectant les débits d’air extraits réglementés par le RSD (règlement sanitaire départemental) dans les pièces humides des logements, est un élément essentiel de la salubrité des logements isolés (extraction de l’air vicié, de l’humidité, des odeurs). Par l’aspiration mécanique de l’air dans les pièces humides, le système de ventilation7 permet d’introduire dans les pièces principales, par dépression grâce à des entrées d’air situées en haut des fenêtres, de l’air extérieur (dit « air neuf ») pour diluer et extraire les différents polluants intérieurs. L’intensité de cet apport d’air neuf est caractérisée par le taux de renouvellement d’air. La ventilation des logements fait l’objet d’un règlement datant de 1982 ; il a permis la généralisation de la VMC (ventilation mécanique contrôlée) simple flux par extraction d’air vicié. La mesure du CO2 émis par la respiration humaine est utilisable comme indicateur de l’apport d’air neuf dans un espace clos occupé sans processus de combustion. La valeur de 800 ppm est un seuil qui, en cas de dépassement, doit conduire à agir en termes d’aération et/ou de réduction du nombre de personnes présentes. Avec la lutte contre le Covid-19, les capteurs de CO2, à un coût abordable, se sont multipliés. Toutefois, l’ANSES estime que ceux-ci n’offrent qu’« une vision partielle de la qualité de l’air que l’on respire » car, s’ils peuvent donner des indications sur le renouvellement de l’air par apport d’air neuf, ils n’apportent pas d’informations sur les niveaux des polluants ni sur la nature des virus ou autres agents infectieux présents dans l’air intérieur. La ventilation mécanique ou naturelle et l’aération des maisons par ouverture régulière des ouvrants (fenêtres et portes) restent les meilleures pratiques pour assurer la salubrité de l’air intérieur, d’où l’intérêt d’appartements dits traversants permettant de faire circuler l’air. Cependant, dans les logements anciens, des opérations de réhabilitation mal conduites ou des circuits de ventilation mal conçus et mal entretenus peuvent avoir pour conséquence l’accumulation de polluants et l’augmentation de l’humidité intérieure avec l’apparition de moisissures qui favorisent les allergies et l’asthme.
- 8 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/277348.pdf
16L’isolation et l’ensemble des travaux de réhabilitation apportés aux logements constituent les meilleurs atouts pour économiser l’énergie. Il s’agit d’un vaste chantier qui nécessite des investissements considérables, de l’ordre de plusieurs centaines de milliards d’euros, et qui se heurte à de nombreuses difficultés, dont un rapport du HCC (Haut Conseil pour le climat) s’est fait l’écho8. La priorité a été accordée à la lutte contre les « passoires thermiques » à travers la mission confiée à l’ONPE (observatoire national de la précarité énergétique). Dans ces logements, qui sont parfois spacieux et agréables, le confort thermique s’obtient au prix d’une forte consommation d’énergie et donc d’une facture énergétique élevée. Selon un indice de performance énergétique, 12 % des logements sont thermiquement inefficaces [Ezratty 2009]. Sur les 30 millions de résidences principales que compte la France métropolitaine au 1er janvier 2022, environ 5,2 millions de logements, soit 17 % du parc, seraient des passoires énergétiques (étiquettes F et G du DPE (Diagnostic de Performance Énergétique)). Paris, avec un grand nombre de constructions anciennes, est le territoire le plus défavorisé, avec 265 000 logements locatifs privés classés « E », « F » ou « G », représentant les deux tiers du parc locatif privé parisien. Des ménages se trouvent ainsi dans l’incapacité de mener à bien des opérations de rénovation thermique car ils se heurtent à des problèmes techniques ou à l’insuffisance des ressources financières. Ils sont alors susceptibles de développer des maladies liées à la précarité énergétique : troubles respiratoires, cardiaques et mentaux.
- 9 https://uk-air.defra.gov.uk/assets/documents/reports/cat11/1708081027_170807_AQEG_Biomass_report.pd
17Il convient de diminuer au maximum l’utilisation de combustibles fossiles qui dégagent à la fois du CO2 et des polluants toxiques. Un chauffage mal réglé ou un foyer ouvert génèrent des particules fines et des gaz toxiques dangereux pour les habitants. L’alternative apportée par la biomasse et le bois sous toutes ses formes n’est pas sans poser problème comme le montrent de nombreuses études faisant état d’émission de particules fines issues de la combustion de biomasse dans l’air [Defra9, 2017]. Selon la nouvelle réglementation thermique (RT2020), les pompes à chaleur, bien que consommant de l’électricité, paraissent constituer la meilleure alternative pour remplacer les combustibles fossiles. Cependant, comme pour l’ensemble des travaux de rénovation, en dépit des aides partielles, l’amélioration des performances du mode de chauffage n’est pas accessible à toutes les bourses.
Figure 1 – Prospectus issus d’une campagne d’information
Source : https://www.mumsforlungs.org/our-campaigns/wood-burning
- 10 En l’absence d’apport d’air neuf suffisant pour diluer les particules virales en suspension dans l’ (...)
18Le recours à la climatisation pour des raisons sanitaires est une solution qu’il vaut mieux éviter puisque ces systèmes peuvent contribuer, sous certaines conditions10, à la propagation des agents infectieux et que, en 2020, la climatisation a été estimée responsable de près de 5 % des émissions de GES produites par le secteur du bâtiment. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) (2018), climatiseurs et ventilateurs représentent aujourd’hui 10 % de la consommation mondiale d’électricité.
19À travers le logement, la santé est au cœur de la lutte contre les excès du climat puisqu’une mauvaise gestion de l’énergie et une mauvaise adaptation des pratiques peuvent avoir des conséquences sanitaires délétères depuis la crise d’asthme jusqu’à la létalité pour les personnes les plus vulnérables. Les enjeux climatiques relèvent bien de la transformation de la manière d’habiter la ville et donc de l’environnement dans son ensemble et non pas seulement de considérations techniques ou énergétiques ni de considérations purement individuelles.
20La brusque irruption du virus dans la population a contribué à révéler l’importance des conditions de logement ainsi que leur extrême diversité. Les fonctions attribuées au logement ont été substantiellement modifiées par les contraintes de la pandémie : protégeant de la transmission du virus dans les espaces clos en l’absence de masque, il est aussi devenu potentiellement à risque en raison de la transmission du virus liée à la promiscuité et/ou l’air confiné des locaux.
21Le confinement ou l’isolement imposé à la population dans l’espace domestique a brusquement assigné au logement de nouvelles fonctions auxquelles il n’était pas préparé. Il est devenu du jour au lendemain un espace de travail, un lieu de pratiques sportives, de scolarisation pour les enfants, de regroupement familial… Il faut aussi évoquer l’isolement à domicile des personnes infectées (malades avec une infection peu sévère ou sujets contacts) pour limiter la saturation des urgences hospitalières et des services de soins, ce qui a conduit à une cohabitation compliquée dans les familles11. D’où le lien constaté entre le type de logement et la manière dont le confinement a été vécu : 44 % des personnes qui disent avoir « bien » vécu le confinement (absence de ressenti d’isolement ou de solitude) vivaient dans des maisons individuelles contre 33 % dans des appartements dotés d’espaces extérieurs et 20 % dans des appartements sans espaces extérieurs12. Cet événement exceptionnel, imposé par l’impréparation du pays, a montré combien l’isolement et l’absence de liens sociaux peuvent être perturbants même dans des conditions de logement satisfaisantes. On peut espérer que la vulnérabilité constatée de la société devrait permettre de mieux anticiper les prochaines crises et d’accélérer la mise en œuvre des transformations indispensables pour faire face au changement climatique.
22Le confinement, en modifiant les habitudes de mobilité professionnelle, a eu une influence durable en particulier sur la progression du télétravail, qui modifie la fonction de l’habitat, transformé ainsi en espace de travail. Les conséquences de ces changements de pratiques, très variées, sont encore mal évaluées : utilisation des résidences secondaires, aménagement d’une pièce supplémentaire, modification des habitudes alimentaires et de celles concernant le chauffage, etc.
- 13 Selon la définition de l'OCDE, un logement suroccupé (overcrowded accomodation) est celui qui a moi (...)
- 14 « Vivre à l’étroit en Ile de France » Cahier de l’Institut Paris Région, juin 2022. https://www.ins (...)
23De nombreux travaux de recherche ont progressivement permis d’élucider les mécanismes de transmission du virus dans l’air ambiant et mis en avant le rôle joué par les espaces intérieurs dans sa propagation : l’existence de cas groupés (clusters) correspondait à des rassemblements dans des lieux clos : églises, restaurants, réunions de famille, transport, etc… 60 % du différentiel de mortalité entre les municipalités riches et pauvres s’explique par l’exposition à la pollution atmosphérique mais aussi par les mauvaises conditions de logement et la présence de personnes âgées présentant des pathologies supplémentaires (co-morbidité) au sein de logements sur-occupés [Brandily 2020]. La notion de suroccupation13 affecte 9,9 % de la population française et inclut de nombreux logements dans des régions où les loyers sont élevés comme dans la région parisienne. 64 % des quartiers newyorkais les plus contaminés par la Covid-19 présentent les niveaux de suroccupation les plus importants. Outre la transmission de la charge virale, cette suroccupation a pu augmenter la pollution à l’intérieur des locaux et donc la vulnérabilité des personnes plus âgées. D’après les données du recensement de la population de 2018 (RP 2018), les situations de suroccupation sont assez fréquentes en Île-de-France, plus de deux fois supérieures à la moyenne nationale : près de 2,7 millions de personnes sont concernées, soit 22,4 % de la population francilienne : 17,3 % (représentant 2 076 000 personnes) vivent en suroccupation modérée et 5,1 % (représentant 613 000 personnes) en suroccupation accentuée [Institut Paris Région14, juin 2022].
24C’est la charge virale expulsée par la respiration, la parole, les cris, le chant, la toux, les éternuements des personnes infectées par le virus SARS-CoV-2, agent infectieux responsable du Covid-19, qui est à l’origine de sa transmission.
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Après l’émission d’un jet d’air humide, chaud et turbulent, les gouttelettes de salive et de mucus peuvent se déshydrater au contact de l’air ambiant et conduire à la formation de résidus secs d’un diamètre environ deux à quatre fois inférieur à la taille de la gouttelette initiale.
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Les grosses gouttelettes (supérieures à 100 µm sont projetées ou sédimentées sur les surfaces alentour (y compris les muqueuses après inhalation par une personne à proximité) ; toutefois, le virus a une durée de vie courte sur les surfaces et sa transmission par cette voie est considérée comme moins importante, hormis les gouttelettes fraîchement émises ;
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Les gouttelettes de diamètre compris entre environ 50 µm et 100 µm sont entraînées dans le flux d’émission mais du fait de leur poids se déposent rapidement sur les surfaces alentour ; toutefois, ces particules virales peuvent être inhalées par une personne qui se trouverait à proximité (à une distance inférieure à 1-2 m).
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Les gouttelettes de diamètre inférieur à environ 50 µm sèchent très rapidement et forment des résidus secs qui peuvent être transportés à plus longue distance et inhalés par d’autres personnes [Squinazi 2022].
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Il semblerait que les gouttes les plus favorables à la transmission et donc les plus contagieuses soient celles de taille intermédiaire, entre 40 et 100 microns [Merhi 2022]
25Ainsi la contamination peut être importante dans les espaces clos non ou mal aérés/ventilés puisque les aérosols peuvent s’y concentrer. L’exposition aux aérosols viraux dépend de la taille de la pièce, de l’hygrométrie, des flux d’air et des conditions de renouvellement d’air dans la pièce.
- 15 On ne connaît pas toutefois la dose minimale infectieuse du virus SARS-CoV-2
26D’où l’importance d’un plan régulier d’aération et/ou d’une ventilation fonctionnelle et efficace pour prévenir la transmission par aérosols. En effet, ceux-ci se « diluent » dans l’air et sont évacués par les flux d’air ; moins leur concentration est élevée, moins le risque de contagion est grand15. Les salles de réunion insuffisamment aérées et/ou ventilées peuvent constituer des lieux de contamination suite à la présence d’une personne porteuse du virus…
27L’épidémiologiste André Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, affirme, selon les études les plus récentes, que « 95 % des contaminations surviennent dans des lieux clos mal ventilés », ce qui ne dispense pas du port de masque mais confère un rôle essentiel à l’aération et à la ventilation qui restent les pratiques fondamentales pour renouveler l’air des locaux par apport d’air neuf (cf. ci-dessus).
28Les dispositifs mobiles d’épuration d’air intérieur ne peuvent se substituer à une aération/ventilation du local où ils sont installés car ils ne permettent pas un apport d’air neuf extérieur pour réduire les niveaux de CO2. Les performances inégales des épurateurs par filtration doivent être évaluées en configuration réelle d’utilisation dans une pièce occupée, en étudiant l’homogénéité de la réduction des particules fines (APPA16). Quant aux autres systèmes d’épuration, par traitement physico-chimique des polluants intérieurs, ils nécessitent des études approfondies pour s’assurer de l’absence d’émission de sous-produits, potentiellement toxiques (ozone, formaldéhyde).
29La distance respectée entre les individus a son importance. Les anthropologues distinguent plusieurs formes de distances interindividuelles : la distance intime (entre 15 et 45 cm), la distance personnelle pour les conversations privées (entre 45 et 135 cm), la distance sociale (entre 1,20 et 3,70 m) au cours d’interactions avec des amis et des collègues de travail et la distance publique (supérieure à 3,70 m), difficile à respecter dans un groupe.
30Le port d’un masque efficace, respirant et bien ajusté, dès l’âge de 6 ans dans tous les établissements recevant du public, en espace clos, est conseillé durant les vagues épidémiques. Cette mesure permet de bloquer une grande partie des gouttelettes dès leur émission et d’éviter qu’elles forment des résidus secs pouvant se disperser dans les environnements intérieurs (réduction de la contamination à la source). Le masque protège également, dans une certaine mesure suivant son type, celui qui le porte d’une partie des aérosols viraux éventuellement présents dans l’air.
31Le nettoyage régulier des surfaces et objets fréquemment touchés à l’aide d’un détergent (tensio-actifs) qui détruit l’enveloppe du virus portant les récepteurs viraux et de fait inactive le virus. L’utilisation d’un produit désinfectant virucide n’est pas utile.
32Le lavage régulier des mains à l’eau et au savon (ou l’utilisation d’un produit hydro-alcoolique en l’absence de point d’eau).
33Le respect des gestes barrières en phase épidémique : ne pas se serrer les mains, ne pas s’embrasser, éternuer dans son coude, utiliser un mouchoir en papier à jeter dans une poubelle, etc.
34Néanmoins, dans les familles, le port du masque et la distanciation physique sont difficiles à observer ; la meilleure solution pour limiter la propagation du virus est le renouvellement de l’air plus ou moins important en fonction du volume de la pièce et du nombre de personnes présentes. Les appartements les plus grands, traversants, bien aérés, bien équipés, situés dans un quartier peu pollué sont les plus épargnés. Ils sont particulièrement recherchés s’ils bénéficient d’un balcon ou d’un accès sur une cour intérieure en raison de l’opportunité qu’ils offrent pour sortir de l’espace confiné, mais sont-ils accessibles à tous ?
35Les caractéristiques techniques du logement, lieu de l’intime et de la vie quotidienne, sont interrogées par les grands bouleversements environnementaux qui se manifestent à toutes les échelles. Mais les réponses techniques sont insuffisantes ; elles posent la question de la responsabilité collective devant leur inégale accessibilité mais aussi devant la pertinence des solutions adoptées dans un monde qui bouge et dans des villes en expansion.
36Les interrogations sur le logement que font peser ces crises globales ne peuvent avoir de réponses uniquement locales et d’ordre technique. Dans un contexte d’incertitude, la pertinence des normes collectives et des outils de planification sur le bâti pose question alors que, par ailleurs, il est le lieu d’aspirations affectives et patrimoniales. Les impacts brutaux de la guerre en Ukraine sur l’approvisionnement énergétique font ressortir implacablement les conséquences délétères du déni en matière de dépendance aux énergies fossiles et à ses implications, et de la persistance de leur consommation.
37La conjugaison entre bien commun et aspirations individuelles est souvent conflictuelle.
38La mise en œuvre de la transition écologique doit être accompagnée pour faire coïncider au mieux les aspirations au confort individuel et les enjeux environnementaux collectifs de sobriété, d’équité et de justice sociale.
39Il est possible d’accepter l’inconfort lié à la chaleur caniculaire pendant une courte période pour éviter d’avoir recours à la climatisation. De même, en cas de Covid-19, l’isolement peut être accepté pendant plusieurs jours pour éviter la propagation du virus. Le refus de « l’effet rebond » à l’issue des travaux d’isolation ou de l’achat d’un véhicule moins polluant est une contribution à l’effort collectif. L’expérience prouve en effet que la marge accrue de confort apportée par les transformations peut annuler le bénéfice environnemental escompté du fait de l’extension des usages.
40L’aération indispensable du logement est en contradiction avec le confort et les économies d’énergie. Il est possible d’arrêter la ventilation lors de l’inoccupation des locaux et de favoriser régulièrement l’aération au cours de la journée (quelques minutes suffisent) pour renouveler l’air du logement et éviter l‘accumulation de CO2.
41L’affect des habitants peut contrarier l’application des recommandations. Les conseillers en environnement intérieur qui interviennent dans les logements des personnes présentant des pathologies respiratoires rencontrent des refus quand il s’agit de se séparer de son animal de compagnie, de renoncer aux parfums ou au feu à l’âtre… D’où cette opposition ressentie au cours de la pandémie entre la vie biologique et « la vraie vie ». La préservation de la vie biologique passe par une vie très normée, privée de liberté. Jean-Pierre Dupuy (2021) s’est élevé contre cette réticence à accepter les contraintes collectives nécessaires pour sauver la vie et toute la richesse que comporte la vie biologique.
42Ainsi, l’accompagnement, au sein d’une véritable gouvernance, est indispensable pour conseiller les habitants sur les modalités et l’urgence de la transformation écologique qui se joue dans tous les secteurs de la vie et à tous les niveaux de décision.
43Les analyses effectuées au cours des canicules de 2003 à Paris ou de 1995 à Chicago ont montré l’importance des facteurs sociaux collectifs pour prendre en charge les personnes les plus isolées et les plus vulnérables. Le plan canicule mis en place en France comporte un volet social important. Le HCSP (Haut Conseil en santé publique)17 a émis des recommandations aux collectivités pour prendre en charge le risque lié aux canicules. Les investigations effectuées par Eric Klinenberg [2017] ont apporté un éclairage sur les facteurs expliquant les 739 décès enregistrés à Chicago en 1995. L’auteur a mis en évidence des différences socio/spatiales significatives, faisant en particulier apparaitre, en comparant deux quartiers défavorisés présentant a priori des caractéristiques identiques, une mortalité plus faible dans celui où la vie sociale (associations, églises, commerces) était plus dense par rapport à celui où les individus étaient isolés et sans ressources collectives du fait d’une infrastructure sociale dégradée.
44Le logement n’est pas une bulle isolée, sa qualité est tributaire des opportunités offertes par la ville aux habitants pour tisser des liens et s’intégrer dans différents réseaux de sociabilité. Selon Sabine Barles (2010), en raison de l’urgence des questions environnementales, les fondements de l’aménagement urbain ont évolué, il ne s’agit plus uniquement de se protéger des aléas climatiques ou sanitaires inévitables : « Il s’agit alors de prendre en compte les trois temps de l’événement climatique extrême et des risques qui y sont associés : avant, pendant, après – puisque le risque n’est pas évitable – en ne donnant plus le primat aux mesures structurelles issues de la technologie lourde, en aménageant la ville non contre la nature, mais avec la nature » [Barles 2010].
45L’écosystème urbain ne fonctionne pas en circuit fermé, il participe de la nature environnante. Plutôt que de représenter une coupure par rapport à la végétation, la ville s’ouvre à la biodiversité et redécouvre les bienfaits de la nature dans ses murs avec des effets sanitaires positifs puisque, parmi d’autres bénéfices, la présence de végétation, avec des espèces choisies à bon escient, diminue la pollution de l’atmosphère et les pathologies associées.
46La situation du logement dans un quartier où la densité du bâti est modérée avec des espaces verts, bien couvert par Internet et à proximité de services et de transports en commun, est aussi un facteur favorable à la qualité de vie. La proximité d’un espace vert a été très appréciée bien que, à la faveur d’un contresens sanitaire, son accès ait été interdit durant les premiers confinements.
47Les quartiers les moins pollués [Veronesi 2022] sont aussi, selon l’exemple italien, plus favorables à la santé.
48La pollution à l’intérieur des locaux dépend en partie des efforts effectués pour améliorer la qualité de l’air en ville puisque l’aération recommandée se traduit par une entrée d’air extérieur dans le logement. Or, la multiplication des canicules contribue, en été, à la formation de niveaux élevés d’ozone, polluant irritant.
49L’existence même des canicules est liée à la formation d’un îlot de chaleur urbain lorsque la ville, très minérale, n’est pas rafraîchie par la présence de végétation et d’espaces verts. L’introduction massive de la flore et de la faune dans la ville a non seulement une fonction rafraîchissante mais elle purifie l’air en permettant aux polluants de se déposer tout en favorisant les continuités végétales et la biodiversité [Graham 2016]. Elle permet également de lutter contre l’imperméabilisation des sols et donc d’éviter le ruissellement des eaux.
50Ces aménagements n’agissent que sur le long terme. Un certain mouvement d’attractivité de la campagne tend à se poursuivre sans que l’on puisse véritablement évoquer un « exode urbain », mais il encourage une réflexion impérieuse sur la forme urbaine, sur les conséquences territoriales du télétravail, sur la qualité de vie en ville.
51La métropole, de fragile [Faytre 2022] serait-elle devenue répulsive ? La pandémie, avec le confinement et les possibilités offertes par le télétravail, a posé la question de l’attrait du périurbain ou de la campagne qui présentent, par certains aspects et pour de multiples raisons, une meilleure qualité de vie.
- 18 Selon une étude menée par IDHEAL6, les T4 réalisés avant 2010 sont en moyenne près de 10m² plus gra (...)
52Le télétravail, quand il est possible, permet d’économiser le temps passé dans les transports en commun, devenus des lieux de contamination potentielle. La ville, soumise aux risques liés à la chaleur et à la promiscuité, aurait perdu de son attrait au moins pour certaines classes d’âge [Faburel,2018]. Dans un contexte de montée des prix et pour répondre aux évolutions de la démographie, les surfaces moyennes des appartements neufs sont en contraction constante18. Comme évoqué précédemment, la suroccupation des logements est un fléau qui caractérise les centres villes et les quartiers occupés par des logements sociaux.
53Ainsi, les choix d’aménagement urbain sont délicats, ils peuvent générer des contradictions.
54Il s’agit de lutter contre l’étalement urbain en favorisant des densités plus fortes – tout en évitant la formation d’îlots de chaleur –, et des lieux propices à la proximité physique des habitants comme les zones d’activités regroupant de multiples fonctions (emplois, équipements, commerces, transports en commun).
55Faire entrer la nature dans la ville devient une préoccupation croissante tout en évitant d’attirer les nuisibles et les espèces allergènes. En raison de la multiplicité des canicules, planter des arbres n’est pas sans risque [Lenoir 2022]19, si les espèces ne résistent pas au stress thermique ou hydrique.
56Réduire la mobilité motorisée dans les centres villes par la mise en place de ZFEm (zones à faible émission mobilité) ou le chauffage au bois individuel améliore la qualité de l’air urbain mais suppose une forte solidarité territoriale car les contraintes liées à ces dispositifs pèsent plus lourdement sur les habitants de la périphérie. L’interdiction des vignettes crit’air 3 dans les ZFEm pose de gros problèmes aux conducteurs de ces véhicules n’ayant pas les moyens d’acheter une voiture plus récente (le marché de l’occasion a fortement augmenté), contribuant à accroître les inégalités sociales et territoriales. De même, l’utilisation du vélo et la marche sont en train de révolutionner la circulation dans les centres villes au prix d’une certaine désaffection pour les transports en commun, susceptible de pénaliser les habitants des périphéries. Comment améliorer la qualité de l’air sans compliquer la vie quotidienne de certains ? Seuls des aménagements alternatifs pertinents peuvent contribuer à résoudre cette contradiction.
57La ville inclusive
58Les aménagements destinés à améliorer la résilience des villes et la qualité de vie des citadins génèrent des inégalités que les mesures environnementales peuvent aggraver. Le lien entre qualité de vie dans certains quartiers et prix du foncier peut constituer un effet pervers s’il est entretenu par le marketing territorial et par un détournement de l’écologie au profit des nantis.
59La prise en compte des aménités offertes par le quartier et la ville se conjugue avec les caractéristiques du logement pour définir des choix qui ne sont pas à la portée de tous. Les politiques nationales mises en œuvre en matière de logement et les normes adoptées (RE2020) posent la question de l’accès pour tous aux logements de qualité, qui sont les plus sains.
60Les politiques de logement social, qui ont beaucoup amélioré la salubrité des logements, doivent intégrer d’autres critères pour répondre aux grands enjeux environnementaux. La question de la justice climatique s’impose dans l’attribution des logements car les individus les plus riches sont ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre et polluent le plus. Mais, paradoxalement, ce sont aussi eux qui ont les moyens de s’adapter et d’adopter des mesures de prévention en accédant aux logements de bonne qualité.
61L’accès à la climatisation est apparu comme un facteur d’inégalité sociale pendant les canicules aux Etats-Unis [0’Neill 2005]. Les grands programmes de rénovation énergétique des bâtiments, fondés sur des aides publiques ou des avantages fiscaux, bénéficient avant tout aux propriétaires de bâtiments qui sont rarement les plus défectueux ou insalubres, et dont ils améliorent la valeur.
62En dépit des aides affectées à la rénovation énergétique des logements, le montant du « reste à charge » représente parfois plus de 50 % du montant de la facture totale ; il est donc difficile à mobiliser. De telle sorte que la rénovation des logements contribue à amplifier les inégalités puisque les ménages qui ne peuvent entreprendre de travaux pour des raisons financières sont pénalisés par une facture énergétique en constante augmentation.
- 20 Source CRÉDOC (2010), enquête “Conditions de vie et aspirations des Français”, janvier, in CGDD ( (...)
63Les ménages dont les revenus sont inférieurs à 19 000 € par an ne constituent que 19 % de la population réalisant des travaux (toutes performances confondues), alors qu’ils représentent 25 % de la population française. Selon le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie)20, la propension à investir dans un dispositif économe en énergie augmente significativement avec le revenu mais reste faible.
64Les revenus moyens et les plus faibles privilégient la solution consistant à diminuer leur consommation et donc leur confort selon les mécanismes de la précarité énergétique (cf. ci-dessus). La part de la consommation énergétique des ménages (appelé taux d’effort énergétique) est plus élevée lorsque les revenus sont bas. Ce sont alors les plus précaires qui sont les plus touchés par les hausses de prix des énergies fossiles, ce qui pose la question de la mise en œuvre d’une taxe carbone même si son efficacité pour diminuer la consommation est avérée [Boyce, 2020].
65L’importance de la gouvernance
66Si le logement est le lieu d’un investissement affectif et patrimonial intime, il s’inscrit dans une gestion environnementale collective qui pose une question majeure de gouvernance.
67Les élus, avec l’aide des associations, peuvent veiller à respecter la transversalité qui permet d’éviter les fausses solutions trop sectorielles et de limiter les effets pervers. « Politiques sociales, accès au logement, urbanisme et aménagement, rénovation énergétique : de nombreuses politiques se focalisent sur les logements avec des approches et objectifs divergents. A la croisée des dimensions sociales (précarité énergétique et hausse des prix), sanitaires (insalubrité, privation de chauffage et santé publique), économiques et écologiques (transition et adaptation aux impacts du réchauffement climatique), les enjeux climat-énergie devront être intégrés de façon transversale dans ces politiques, en identifiant non seulement les synergies mais également les points de friction et arbitrages nécessaires » [Rüdinger, 2022]21.
68Les différentes crises ont mis l’accent sur l’importance de la solidarité et du lien social qui se manifestent à travers de nombreuses initiatives des habitants.
69Les transformations écologiques ne s’imposent pas par décret, elles s’expérimentent à travers des collectifs ou des associations plus créatifs que la rigidité des plans imposés par l’administration. Des guides existent22, encore faut-il être au courant et appartenir à des circuits au sein desquels l’information circule. La gestion collective de la transition (transformation) écologique peut réduire les inégalités potentielles en multipliant les liens sociaux. Elle s’appuie sur des données scientifiques et des innovations indispensables pour s’adapter et trouver des systèmes préventifs efficaces dans un monde imprévisible comme le montre le chaos géopolitique actuel.
70Dans cette perspective, le logement et la ville sont au cœur des choix stratégiques locaux et globaux.
71Devant cette révolution environnementale, les politiques du logement ne peuvent satisfaire uniquement des considérations économiques et urbanistiques en oubliant d’intégrer les transformations plus larges de la société qui impliquent une forte adhésion individuelle et collective. Ainsi, en abordant, pour le logement, l’adaptation au changement climatique à travers le seul prisme technologique imposé par la réduction de la consommation énergétique, la réponse devient un simple exercice de réhabilitation thermique qui ignore la multiplicité des enjeux et les aspirations plus profondes des habitants.
72La ville ne peut plus être pensée comme un îlot artificialisé, imperméable et isolé, elle accueille la végétation et essaie de réguler au mieux la flore et la faune en respectant le vivant sans le dominer. Le choix de l’artificialisation et de l’évitement des aléas naturels (climat, zoonose…) n’est plus de mise.
73Le regard dominateur de l’humanité vis-à-vis de la nature est amené à changer : le défi actuel consiste à inventer des modes d’habiter permettant de vivre avec la canicule et les aléas du climat ou même les virus et les nuisibles. Ce regard solidaire impose la lutte contre les inégalités qui devient urgente car il n’est pas pensable que les populations les plus précaires soient condamnées, à travers leur logement, à voir leur santé pénalisée.
74Cependant, pour satisfaire les exigences de l’urbanisme et de l’habitat favorables à la santé pour tous, les moyens à mettre en œuvre sont immenses et supposent une organisation qui dépasse les initiatives locales. Mettre la santé au cœur des politiques d’aménagement, c’est intervenir à différentes échelles car la solidarité planétaire (propagation du virus, maîtrise des GES) intervient dans le choix de l’habitat et du logement. Ainsi, l’intégration des enjeux environnementaux dans l’habitat non seulement élargit les critères hygiénistes introduits dans la construction mais s’appuie aussi sur les opportunités offertes par le contexte local en termes d’accompagnement et de gouvernance.