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Le retour de la Terreur

Guerre future ou passé qui ne passe pas ? Quand L’An 330 (Maurice Spronck, 1894) remet les compteurs révolutionnaires à zéro : Les socialistes au pouvoir (Hippolyte Verly, 1898) ou Tintin au pays des soviets

Laure Lévêque
p. 37-67

Résumés

Le gros demi-siècle qui précède la Grande Guerre voit fleurir toute une production de textes d’anticipation à plus ou moins grande portée qui fantasment des conflits ravageurs, internes et/ou externes, qui vont jusqu’à déchaîner l’apocalypse dans une France alors enfoncée dans la crise. Crise militaire avec l’humiliante défaite de 1870 qui révèle au grand jour le retard, tactique et matériel, de l’armée française, posant la question de l’indépendance nationale. Crise politique avec la récurrence d’attentats anarchistes particulièrement sanglants. Crise sociale avec la paupérisation des classes populaires, séduites par le socialisme, structuré en Internationale à compter de 1864. Cette situation explosive, où d’aucuns puisent des raisons d’espérer dans l’avènement du Grand Soir quand d’autres flétrissent la chienlit démocratique, réactive le rapport à l’héritage révolutionnaire et à ses leçons, ce dont témoignent contradictoirement les fictions du temps.

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Texte intégral

  • 1 Le projet, qui date de 1832, commence à être mis en œuvre en 1833. On lira avec profit Pierre Franc (...)

1À peine la Révolution française a-t-elle éclaté qu’elle entraîne dans son sillage le spectre de la guerre : conflits avec l’étranger quand les puissances coalisées de l’Europe monarchique combattent les armes à la main l’idée républicaine et les virtualités émancipatrices qu’elle contient ; luttes intestines quand la guerre civile s’installe entre Blancs et Bleus. Deux modalités qui déclinent et interprètent sur le terrain des opérations militaires une âpre bataille d’idées qui est bien loin de prendre fin lorsque, en 1799, la Révolution est proclamée « achevée » au lendemain de Brumaire, et pas davantage lorsque, revenu sur le trône de ses pères, Louis XVIII octroiera, en juin 1814, une Charte d’inspiration consensuelle dans sa vocation à (ré)concilier la monarchie restaurée, désormais constitutionnelle, avec la préservation de l’état de fait sorti de la Révolution, notamment pour ce qui a trait à l’égalité civile et à la propriété. Pas plus que les gestes symboliquement forts d’apaisement décidés par la monarchie de Juillet n’allaient suffire à assurer la concorde, en dépit d’une politique volontariste de consensus qui, sous l’impulsion d’un Louis-Philippe qui, encore duc de Chartres, avait porté les armes françaises à Valmy et à Jemmapes, allait culminer en décembre 1840 avec le retour des cendres de l’Empereur, escortées par le prince de Joinville, propre fils du roi, confirmant la consécration à Versailles, puis l’inauguration, en 1837, d’un Musée historique dédié « À toutes les gloires de la France »1, coagulant dans la personne du roi-citoyen mémoire dynastique et héritage révolutionnaire après que le régime eut d’emblée repris pour étendard la bannière tricolore et, adoubé par La Fayette, eut fait choix de célébrer dans le 14 Juillet les « vainqueurs de la Bastille » et, derrière eux, une Révolution présentable.

  • 2 Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, publiées à titre posthume en 1818.
  • 3 Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, 1847-53.
  • 4 Thierry Mignet, Histoire de la Révolution française de 1789 jusqu’en 1814, 1824.
  • 5 Adolphe Thiers, Histoire de la Révolution française, (10 vol.), 1823-27.
  • 6 François Guizot, Du gouvernement représentatif et de l’état actuel de la France, 1816 ; Essais sur (...)
  • 7 Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856.
  • 8 Louis Blanc, Histoire de la Révolution française (12 vol.), 1847-52, puis 1857-70.
  • 9 Alphonse Esquiros, Histoire des Montagnards, 1847.
  • 10 Edgar Quinet, La Révolution (3 vol.), 1865.
  • 11 Joseph de Maistre, Considérations sur la France, 1797.
  • 12 Louis de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, 1796.
  • 13 Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1797-1803.
  • 14 Gérard Gengembre, La Contre-Révolution ou l’histoire désespérante. Histoire des idées politiques, P (...)
  • 15 Elle est prononcée à la Chambre des députés le 29 janvier 1891 où l’on discute de la censure qui fr (...)

2Témoignent de la violence de ces affrontements idéologiques les combats pour l’histoire, pour le dire avec Lucien Febvre, autour de l’historiographie de la période révolutionnaire et des leçons de la Révolution, depuis les études pionnières de madame de Staël2 et d’Augustin Thierry jusqu’aux travaux de Michelet3, monument qui devait servir de soubassement à la vulgate accréditée du récit national, en passant par ceux de Barante, Mignet4, Thiers5, Guizot6 ou Tocqueville7, Louis Blanc8, Esquiros9 ou Quinet10... L’interprétation de l’événement révolutionnaire fait l’objet d’une polarisation maximale depuis les lectures critiques de contre-révolutionnaires issus des milieux catholiques et royalistes qui s’imposent, dès 1790, avec les Réflexions sur la Révolution française de Burke, suivi en France même par Joseph de Maistre11, Louis de Bonald12 ou l’abbé Barruel13, adeptes de cette « histoire désespérante » indexée sur une eschatologie punitive dont Gérard Gengembre a étudié les ressorts14, lectures auxquelles les tenants de l’école libérale substituent d’autres lisibilités, moins immanentes, mettant l’accent sur un déterminisme historique dont la compréhension s’éclaire à la lumière de l’inexorable montée des bourgeoisies, pressées de mettre en adéquation pays réel et pays légal, quand les lectures d’inspiration jacobine insistent, elles, sur la solidarité organique des différentes phases du cours révolutionnaire, comme le résumera la fameuse formule de Clemenceau : « la Révolution est un bloc, un bloc dont on ne peut rien distraire »15. Rien, et, partant, pas 1793, dont la violence s’impose comme un abcès de fixation dans l’appréhension de la Révolution, comme un clivage majeur dans l’usage public qui en est fait. Expression des antagonismes de classe qui se manifestent dès lors que les intérêts fractionnistes de la bourgeoisie font éclater un Tiers-État que Sieyès pensait encore comme une unité à la veille de la Révolution, laissant à la seconde de ses composantes – le peuple, frustré dans ses droits – l’arme de la violence pour imposer l’égalité par la force.

3La mise en œuvre de ces données référentielles allait alimenter un conflit mémoriel majeur qui n’a cessé de rebondir tout au long du XIXe siècle, les options privilégiées – 1789 ou 1793, révolution libérale ou révolution terroriste, Gironde ou Montagne, liberté ou égalité... – engageant des enjeux tant politiques et institutionnels – autour de la nature du régime – que sociaux – autour des classes auxquelles doit être confiée la conduite des affaires – que je voudrais suivre à partir de trois romans, ce qu’on appelle le roman national n’appartenant évidemment pas qu’aux historiens :

  • 16 Maurice Spronck, L’An 330 de la République (XXIIe siècle de l’ère chrétienne), Paris, Léon Chailley (...)

4        ̶ ̶ L’An 330 de la République (XXIIe siècle de l’ère chrétienne) de Maurice Spronck, 189416 ;

  • 17 Hippolyte Verly, Les Socialistes au pouvoir. Simple histoire à la portée de tout le monde. Version (...)

5        ̶ ̶ Les Socialistes au pouvoir d’Hippolyte Verly, 189817 ;

  • 18 Émile Pataud et Émile Pouget, Comment nous ferons la Révolution, Paris, Tallandier, 1909. Nos référ (...)

6        ̶ ̶ Comment nous ferons la Révolution d’Émile Pataud et Émile Pouget, 190918.

7Trois romans situés à un bon siècle de distance de l’épicentre révolutionnaire de 89 et qui sont le fait d’auteurs venus d’horizons idéologiques sensiblement différents :

8        ̶ ̶ Les deux premiers sont clairement situés à droite de l’échiquier politique.
Le parcours de Maurice Spronck (1861-1821) le mène de l’Association Nationale Républicaine à la Ligue des Patriotes de Déroulède puis à l’Action française, dont il est l’un des fondateurs, tout en demeurant républicain. Malgré son antiparlementarisme résolu, il siègera comme député de 1902 à 1919, sous les étiquettes successives d’« Action libérale », « Républicain progressiste » et « Fédération républicaine »19.
Moins radical, Hippolyte Verly (1838-1916) n’en est pas moins lui aussi républicain20 et adversaire décidé de la Sociale et de la chienlit qui va avec : comme tel, cet admirateur de l’ordre applaudit Thiers et la répression qu’il déchaîne sur les Communards.

9        ̶ ̶ Les deux derniers se classent, eux, à gauche, Émile Pataud (1869-1935) et Émile Pouget (1860-1931) appartenant l’un et l’autre à la mouvance de l’anarcho-syndicalisme. Du moins au moment de la publication du texte, les positions personnelles ayant beaucoup évolué, entre patriotisme et internationalisme, entre militarisme et pacifisme, dans un contexte français polarisé par le revanchisme, comme en témoigne le parcours d’un Gustave Hervé, passé du socialisme national au national-socialisme.

10Pourtant, nonobstant la différence de couleur politique des auteurs, les textes accusent des convergences manifestes qu’il faut bien rapporter à un passé qui ne passe pas. Ne serait-ce que parce qu’il continue de servir d’horizon référentiel à partir duquel penser le présent. Et l’avenir.

  • 21 Et même pour le troisième, dont la version originale s’intitulait Le Triomphe du socialisme : journ (...)

11On mesure le poids de la référence révolutionnaire dès le titre même pour au moins deux d’entre eux21. Singulièrement pour le roman de Spronck, qui s’ouvre le 16 Messidor An 313, en 2105. Le comput révolutionnaire perdure, quand bien même, dans la fiction comme dans l’ordre du réel, on a connu « divers régimes, monarchiques ou césariens », une courte « seconde république », 80 années d’incertitude politique, qui mènent, bon an mal an, au temps de l’écriture. Mais c’est vrai aussi de Comment nous ferons la Révolution, titre que les auteurs déclarent leur avoir été imposé par l’éditeur, quand eux entendaient intituler l’ouvrage Comment nous avons fait la Révolution, désignant comme centrale la question du sens de l’histoire, à tous les sens du terme, précisément.

12Il est interrogé à travers des prospectives – puisque chacun de ces trois textes imagine une projection à plus ou moins long terme : en une « année 19.. » (R, 1) manifestement pas trop déportée dans l’avenir chez Pataud et Pouget, comme aussi chez Verly qui lève le rideau sur « La fête du 1er mai 19** », qui « célèbre l’anniversaire de l’avènement de la Démocratie sociale internationale » (SP, 5), quand Spronck voit plus loin en situant sa dystopie au XXIIe siècle – qui lient l’hypothétique devenir présenté à une logique historique dont les racines plongent explicitement dans le terreau révolutionnaire.

13En cette fin de XIXe siècle acquis aux doctrines historicistes d’un Hegel, retravaillées au bénéfice du messianisme révolutionnaire français par un Michelet qui lit l’événement comme une épiphanie inauguratrice de temps nouveaux, ces trois anticipations dissonent fortement, lors même que la Troisième République, en recherche de consensus national, a engagé un processus de réconciliation des mémoires autour d’un récit national dont l’exposition universelle de 1889 à Paris, dédiée à la célébration grandiose du centenaire, assure à la Révolution une place à la fois principale et principielle.

  • 22 « L’Histoire, Thierry l’appelait narration et M. Guizot analyse : je l’ai nommée résurrection », Ju (...)
  • 23 Aussi le narrateur de 330 d’avancer : « La Convention marque une date dans l’Histoire ; elle ne fai (...)

14Or ce sont ces prémisses qui se voient récuser par nos fictions. Si l’histoire est résurrection, selon la formule de Michelet22, entée sur le passé, elle est aussi hantée par lui, comme encombrée de spectres qui plombent sa marche. C’est patent dans chacun de ces textes qui découvrent, avant même qu’Aragon ne le dise, qu’un beau jour l’avenir s’appelle le passé. Tout autant que résurrection, dès lors, à l’heure où rien ne semble devoir arrêter le progrès, l’histoire est régression. Et Spronck d’accuser : « La Révolution française avait préparé tout ; en réalité, elle ne fonda rien. À une noblesse héréditaire, elle substitua une aristocratie de l’argent ; à une oppression, une autre oppression non moins lourde. Jamais elle ne se décida à comprendre qu’une société reste infailliblement réduite à l’impuissance tant qu’elle n’a pas secoué des entraves comme la religion, la patrie, la propriété ou la famille » (330, 28)23. La référence à la religion reprend la thèse défendue par Quinet dans son ouvrage controversé de 1865, La Révolution. Quant à la propriété, à la famille, et même à la patrie, Les Socialistes au pouvoir vont se charger de compléter le tableau. Et de même les deux Émile, qui font chorus avec le réactionnaire Spronck pour défendre qu’« Au point de vue politique, l’horizon n’était pas moins sombre qu’au point de vue économique. La République avait perdu son attirance d’antan. Elle avait déçu tous les espoirs. Au lieu de devenir ce que, sous l’Empire, on avait rêvé qu’elle serait – un régime social, ébauche d’un monde nouveau –, elle était ce que la structure de la société rendait inévitable : un gouvernement faisant, comme ses prédécesseurs, les affaires de la classe possédante, de la Bourgeoisie » (R, 7).

  • 24 Victor Hugo, Les Misérables, A. et G. Rosa éd., Paris, Laffont, Bouquins, 1985 p. 656.

15En somme, c’est l’épineuse question de l’achèvement de la Révolution qui est posée – a-t-on été trop loin, version libérale-girondine, ou pas assez, version montagnarde confirmée par 1830, 1848 et 1871 ? –, celle-là même qu’affrontait Hugo dans les Misérables, et qu’il tranchait : « Qui arrête les révolutions à mi-côte ? La bourgeoisie. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie est l’intérêt arrivé à satisfaction. Hier c’était l’appétit, aujourd’hui c’est la plénitude, demain ce sera la satiété »24.

  • 25 « C’est une œuvre prodigieuse [les mémoires d’outre-tombe]. Il porte sur l’avenir un regard profond (...)

16Ce demain où l’on doit forcément raser gratis que sondent précisément nos textes où réactionnaires comme révolutionnaires retrouvent les analyses de Hugo. Les véritables fauteurs de chienlit y sont désignés et Spronck oriente vers les bénéficiaires de la Révolution, les bourgeois ventrus, opportunistes sans boussole qui n’ont d’idéologie que celle du profit. Et c’est à la fin du XIXe siècle qu’intervient la bascule : « L’état politique et moral de l’Europe ne [...] fournissait pas un terrain défavorable vers la fin du Ier siècle de l’ère républicaine ; dans ces sociétés qui se prétendaient toutes plus ou moins démocratiques, [...] les classes dites dirigeantes ne possédaient elles-mêmes aucun principe directeur et ne connaissaient guère que leur intérêt égoïste et immédiat ; d’autre part, avec la diffusion de l’instruction, avec la liberté de la presse, les classes dirigées s’émancipaient peu à peu des vieilles tutelles par où on les maintenait jadis » (330, 31-32). L’écho est plus que sensible à l’avertissement donné par Chateaubriand en explicit des Mémoires d’outre-tombe – ces pages où il anticipe la communauté des moyens de production, ce qui fera dire à de Gaulle qu’il avait tout prévu, même les bolcheviks25, qu’il intitule justement « L’Avenir du monde » et qui lèvent le voile sur une guerre sociale dont 1848 allait se charger de préciser les contours – à qui serait tenté d’interpréter pro domo les principes émancipateurs et égalitaristes proclamés en 1789.

  • 26 Significativement, le champ lexical de la guerre est omniprésent : « guerre sociale », ouvriers en (...)

17Et, de fait, telle est la situation à la fin du XIXe siècle (ou, si l’on préfère, à la fin du Ier siècle de l’ère républicaine) : « D’année en année », les classes dominées « réclamaient plus impérieusement leur part de bien-être et de jouissances ; elles menaçaient de recourir à la force pour obtenir justice ; en dépit de leur pauvreté et des entraves légales qui les enchaînaient ; elles syndiquaient leurs aspirations disséminées et arrivaient à s’organiser pour la lutte » (330, 32). L’action collective arrache conquête sociale après conquête sociale : le règne de l’humanité commence, qui passe par la ré-« organisation du travail » et « l’abolition du capital » (330, 46) ou, pour le dire avec Verly, par « l’effondrement du régime pourri du capitalisme » et par son corollaire, le « succès de la juste cause des travailleurs, des opprimés, des exploités » (SP, 6). Chez Pataud et Pouget, ce succès passe par une grève générale, qui sonne le début de la « guerre sociale »26. D’abord limitée, les provocations patronales signent la contagion du mouvement, devenu unitaire, à Paris et en province. « Partout, partout », « les heurts entre le travail et le capital s’épanouissaient en conflits violents » (R, 11) avant que des morts à Paris ne précipitent les événements.

18Évidemment, les bienfaits de « la Sociale » ne séduisent pas tous les citoyens, à commencer par les bourgeois, qui organisent la fuite des capitaux avant la leur propre : « Chaque jour des milliers d’émigrants passent la frontière, fuyant en Allemagne, en Suisse, en Espagne, et d’autres milliers s’embarquent dans les ports sur des navires étrangers pour gagner l’Angleterre ou l’Amérique. La Belgique, la Hollande et l’Italie leur sont fermées, la Révolution sociale y ayant triomphé comme en France » (SP, 13). Ce sera pire encore une fois commencées les réformes : « On émigre en masse. Banquiers, industriels, commerçants, ingénieurs, architectes, chimistes, professeurs, médecins, pharmaciens, contremaîtres, et même ouvriers spécialistes, tous ceux qui occupaient des situations avantageuses dans l’ancienne société, semblent atteints de la folie de la fuite » (SP, 82).

  • 27 Cf. Zeev Sternhell, Les anti-Lumières : du XVIIIe siècle à la guerre froide, Paris, Fayard, « L’esp (...)

19Comme en 1789, et comme en 1848, la contagion de la révolte rallume les vieilles querelles et ramène un courant que Zeev Sternhell a caractérisé comme relevant des Anti-Lumières27. C’est que la révolution retentit au dehors, provoquant de nouvelles coalitions : « Chez les nations latines, la royauté avait été jetée à bas », Espagnols et Italiens sont en pointe, mais les Anglo-saxons sont plus hésitants. Si les relations diplomatiques sont rompues avec les États, les contacts sont poursuivis entre les peuples (R, 244-245). L’Allemagne prend la tête de la coalition anti-révolution. Comme en 1792, dont la grande ombre s’étend partout sur l’intrigue. Et l’Angleterre lui emboîte le pas (R, 245) en une nouvelle ligue des Pitt et Cobourg : « l’histoire se recommençait : Strasbourg répétait Coblentz ! La bourgeoisie du vingtième siècle singeait les aristocrates du dix-huitième et pastichait l’armée de Condé ! » (R, 256).

20Nouvelle cinquième colonne, les représentants du grand capital, trusteurs de la métallurgie et des mines, grands financiers, parlementaires déconfits, dynastes de la république passent la frontière et rejoignent l’Allemagne : « pour les nouveaux émigrés, l’idée de patrie était éliminée par l’idée de classe », « aussi les capitalistes français trouvaient-ils normal d’en appeler à l’Allemagne capitaliste, contre la France ouvrière » (R, 246).

  • 28 À commencer par les domestiques qui servent le Premier-Délégué, contraint à la démission.

21À l’intérieur, un train de réformes s’attaque aux inégalités. Non sans tâtonnements : « on expérimenta [...] les panacées diverses des anciennes écoles socialistes : fixation par l’État du taux des salaires, interventions du pouvoir central dans les rapports entre patrons et ouvriers, limitation de la journée de travail à huit heures, reprise et exploitation par la collectivité de tous les biens individuels, suppression de l’héritage » (330, 46-47). Ces mêmes panacées que Verly développe pour son compte dans le XXe siècle où il situe son roman. La stricte application du programme collectiviste y restaure les inégalités28 et crée une nomenklatura en tout point semblable à celle de « l’ancien régime ». Les responsables, soucieux de conserver leur poste, ne sont que des démagogues et les vrais soutiens idéologiques du régime se heurtent au mur de la médiocrité et de l’indifférence. L’égalité des salaires, censée découler de l’égalité, ruine l’émulation et tarit les capacités. Le manque de conscience socialiste débouche sur la médiocrité du service au public, sur la baisse de la productivité, sur des détournements de marchandises, sur une corruption généralisée. L’armée, qui devait être licenciée, a été reconduite eu égard aux nécessités de basse police et ses effectifs ont été portés à 400.000 puis à 800.000 hommes. Le déficit public se creuse d’un milliard chaque mois : la production est en berne, les stocks inexistants, sauf pour les produits pour lesquels n’existe pas de demande. « La pratique vient de démontrer que la force de production d’un État socialisé est trois fois moindre que celle d’un État non socialisé. De douze milliards, notre production française est tombée à quatre milliards par an. Tout compte fait, il se trouve que nous perdons un milliard par mois ; c’est-à-dire qu’en six mois la France a perdu une somme égale à la rançon qu’elle a dû payer à l’Allemagne après les désastres de 1870 » (SP, 136). Chez Verly comme chez Spronck, démonstration en est faite : « Ces [...] réformes ruinèrent rapidement non seulement la grande féodalité financière mais aussi jusqu’aux plus modestes des capitalistes » en même temps qu’elles mettent grandement à mal « la fortune publique » (330, 47).

  • 29 Chez Verly, dont l’anticipation porte moins loin, la journée de travail s’en tient à 8h. Mais l’éga (...)

22Mais les progrès de la science justifient d’ignorer ce signal d’alarme : appuyés sur les miracles de la fée électricité et les potentialités de la chimie, ils vont jusqu’à rendre l’agriculture inutile dans un monde qui a résolu les problèmes de production et fait de la France un pays de cocagne. Dans ce monde parfait, la journée de 8 heures29 n’a plus de sens aussi se réduit-elle à 6, puis à 4, puis à 2. Même évolution chez Pataud et Pouget où, si la journée de travail en reste à 8h, le temps de vie consacré au labeur est arrêté entre 18 et 50 ans maximum, avec pour objectif la retraite à 45 ans ! Avant qu’une solution en tout point économique ne soit trouvée : « À la fin, on jugea plus simple, pour ces corvées [la maintenance des moyens de production] d’entretenir collectivement un certain nombre d’ouvriers chinois » (330, 49). Par prudence, s’agissant d’étrangers, chaque commune se prémunit contre eux par l’entretien d’« une milice de mercenaires musulmans, campés en dehors de la ville, soumis à une discipline très stricte, et toujours disponibles dans le cas peu probable de troubles intérieurs ou extérieurs » (330, 50).

23Aussi les citoyens peuvent-ils consacrer tout leur loisir aux travaux de l’esprit : dans cette société dont les élites sont « exclusivement voué[e]s aux travaux de l’intelligence et déshabitué[e]s depuis longtemps des exercices physiques », chacun, passé 25 ou 30 ans, use d’un fauteuil roulant qu’il ne quitte guère que pour dormir (330, 15-16). Aussi l’obésité frappe-t-elle cette société développée, plébiscitée par ceux qui la composent, qui se félicitent de jouir de « la beauté de la science », du « progrès de l’humanité » et du « bonheur de vivre au IVe siècle de l’ère républicaine » (330, 24).

  • 30 Johann Valentin Embser, L’Idolâtrie de ce siècle philosophique. Première idole, la paix perpétuelle(...)
  • 31 Le progrès a étendu son manteau sur la République, pays de cocagne où règne l’abondance, qu’éclaire (...)
  • 32 « Toute la masse croupirait dans une léthargie continuelle, une partie mourrait de faim, l’autre se (...)
  • 33 Hegel, Principes de la philosophie du droit, chap. III, 2, § 324, 1821.

24Spronck épouse là la doctrine réactionnaire d’un Johann Valentin Embser, qui décapait en 1779 L’idolâtrie de ce siècle philosophique30, récusant une société de l’abondance31 où la paix est regardée comme nuisible parce qu’émolliente, elle ruine les vertus viriles et ouvre la voie à la dégénération32. Spronck se retrouve bien plutôt sur les positions d’un Hegel, défendant que « le mouvement des vents protège les lacs de la pourriture à laquelle ils seraient réduits par un repos durable, comme les peuples par une paix durable ou même éternelle »33.

  • 34 Voir les propos très sévères d’Henri Guillemin, qui n’hésite pas à dire que le « gouvernement de dé (...)
  • 35 La liberté fait figure de valeur dissolvante et les citoyens s’opposent « avec l’acrimonie venimeus (...)
  • 36 Mais Spronck comme Verly ne manquent pas une occasion de flétrir la Commune : « La proclamation seu (...)

25De fait, ce sont les idéaux – et, même, l’idéalisme – des Lumières et de la Révolution qui sont ici visés et font l’objet d’une lecture réactionnaire bien attestée. Le progrès a accouché d’une humanité dégénérée, physiquement atrophiée, pervertie par les excès de l’intellectualisme. Le meilleur des mondes engendre le tædium vitae : les suicides se multiplient. Or, il y a déjà un excédent des décès sur les naissances qui met en péril la survie sociale. L’oisiveté amène aussi la généralisation des paradis artificiels : alcool ou opium, que la chimie met à la portée de tous. Et si les pouvoirs publics s’en inquiètent, ils se refusent à empiéter sur la liberté individuelle. Les progrès de la médecine sont tels que, bien que l’accouchement sans douleur existe, les jeunes filles, seulement préoccupées de carpe diem, optent par égoïsme pour l’ablation de l’utérus. Aussi peut-on légitimement former les « pronostics les plus sombres sur l’avenir des races européennes » (330, 57). La fraternité fait prévaloir un universalisme abstrait négateur des identités comme l’a montré l’expérience de la Commune : « En allumant la guerre civile devant ceux qu’on appelait alors les étrangers ou les ennemis, le gouvernement insurrectionnel parisien nia la patrie et affirma la fraternité universelle » (330, 30). Et tant pis pour qui penserait à plutôt taxer le gouvernement de Défense nationale d’intelligence avec l’ennemi34. D’autant que souffle un esprit pacifiste qui alimente l’internationalisme, moqué à travers les congrès de la paix. Quant à la liberté, elle est l’étendard de l’individualisme, ferment de dissolution sociale35. Aussi n’est-il pas surprenant, dans cette Europe décadente, d’assister au détricotage des États-nations et au retour à la commune, cette cellule où Augustin Thierry voyait le premier pas vers la liberté, emblème ici – avec ou sans majuscule36 – de la marche rétrograde de l’histoire. La patrie n’est plus qu’un vain mot, l’idée de nation s’est peu à peu effacée, réduite à une simple extension géographique quand d’abord les provinces, puis les communes, ont repris leur autonomie. En 205, elles se sont affranchies de toute tutelle aussi chacune a désormais ses lois propres, sa constitution politique, son personnel et son budget. Dès lors, tout mécanisme de solidarité se voit empêcher, quand le messianisme révolutionnaire n’est pas autre chose qu’un retour au Moyen Âge, à un isolationnisme de clocher qui fait fi de la sécurité collective.

26Or, pendant que l’Europe s’amollit dans les délices de Capoue, comme dans la fameuse Invasion noire du capitaine Danrit, contemporaine (1894), « l’Islam, à côté d’elle, s’éten[d], envahissant l’Afrique entière d’une part, absorbant d’autre part l’Asie jusque dans l’Inde et l’extrême Orient. Ignorant, pauvre, fanatique et barbare, il n’en constituait pas moins une force, et l’on eut tort de ne pas voir qu’il pourrait devenir un danger pour le repos du monde » (330, 83). D’autant qu’avant même de démanteler l’État-nation pour revenir aux franchises communales, l’Europe avait renoncé à la colonisation, trop coûteuse en or et en sang (330, 83). Aussi « Un jour vint que les États barbaresques [...] retombèrent au pouvoir de leurs anciens possesseurs arabes ». Les puissances se montrent incapables de dépasser une approche comptable et d’accepter la responsabilité historique et morale qui incombe aux civilisations avancées, aussi « Tout le monde se félicita d’un événement qui délivrait la France d’une continuelle occasion de dépenses, de tracas et d’ennuis » (330, 84).

27La décroissance démographique des nations européennes devait servir de garantie aux musulmans qu’aucune politique d’agression ne serait menée contre eux. Aussi c’est au mépris du droit des gens qu’ils ont envahi l’Europe, fanatisés par des « marabouts qui prêch[ent] la guerre sainte » et par « le souvenir des khalifats d’Espagne » (330, 86) ! Pourtant, dans un premier temps, les Arabes se contentent d’être « maîtres de l’Afrique » et ne cherchent pas à franchir la Méditerranée, sinon à l’occasion de quelques raids, sur les côtes.

28Sporadiques, ces coups de main n’inquiètent pas les Européens. Fors quelques Cassandre qui « faisaient valoir que la dislocation des nationalités avait entraîné la suppression presque complète de toute marine et de toute artillerie sérieuse » (330, 87), ce qui peut augurer de difficultés, en cas de conflit. Mais l’opinion publique ne s’en émeut pas, convaincue que les États barbaresques ne s’arment que pour faire pièce aux Sahariens et aux Soudanais et nul ne croit possible une agression contre l’Europe (330, 88). « Aussi fut-ce avec beaucoup d’étonnement que, dans le courant de floréal 300 (2092 de l’ère chrétienne), on apprit la nouvelle d’un débarquement des Maures en Andalousie » (330, 88-89). Le débarquement des troupes unies du Maroc et de l’Algérie a supposé des préparatifs qui ne sont pas passés inaperçus de ceux qu’ils pouvaient menacer, lesquels ont préféré ne s’apercevoir de rien : au lieu de mobiliser pour parer aux attaques que tout laisse prévoir, les communes – regroupées en fédération – s’empoignent sur des questions de mode de scrutin. Finalement, elles tombent d’accord pour tenter une démarche conciliatrice auprès de sa majesté chérifienne ainsi que pour s’adresser à la solidarité européenne et mobiliser. Mais les recrues sont peu pressées de se battre, quand bien même on agite pour elle le « salut commun » et les flatte par avance d’être les « héroïques défenseurs de la grande patrie humanitaire » (330, 97). « Ces divers moyens de persuasion les laissaient froids. Ils répondaient par la célèbre parole qu’écrivit jadis un des premiers apôtres de l’émancipation sociale, député au parlement de la Troisième République française : “la patrie est là où on se trouve bien” » (330, 97), désignant sans ambiguïté la cible de l’ouvrage et oubliant au passage que la citation vient de plus haut : ubi bene, ubi patria. Or, on n’est pas bien dans un pays où on risque de se faire casser la tête aussi le projet de mobilisation est-il abandonné (330, 97). L’appel à la solidarité européenne n’a pas plus de succès s’agissant de secourir des Andalous unanimement jalousés pour l’heureuse situation de leur pays. Avant l’heure, Spronck dénonce les lâchetés et les reculades qui présideront aux compromissions de Munich et se range du côté d’un Churchill, dénonçant la politique à courte vue de ceux qui veulent la paix à tout prix : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». La commune d’Orléans fait toutefois un geste, qui envoie généreusement deux « délégués spéciaux qui prodiguèrent aux habitants de bonnes paroles et les félicitèrent chaudement de se dévouer ainsi pour la cause de la civilisation » dans chacune des communes les plus menacées (330, 98-99). Mais nonobstant ces belles paroles, les Andalous seront abandonnés à leur sort sur le modèle de la division catégorielle théorisée par le pasteur Niemöller : « Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. /Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. /Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. /Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ». Et tous ne sont pas Andalous.

29À peine les hostilités déclenchées, les actes de reddition se multiplient. Cadix est seule à résister. Elle le paiera cher : pillée à fond, ses habitants seront vendus comme esclaves outre Méditerranée. « Simple promenade militaire », la campagne vire à la conversion : en cas de conversion des communes à l’islam et de reconnaissance de son autorité, le sultan laisse aux citoyens la vie, la liberté et leurs biens. En cas de refus, ils doivent se replier au-delà de la sierra Morena. Les Andalous choisissent l’exode et s’exilent de par l’Europe : « En moins de deux mois, les derniers vestiges de toute une grande famille humaine avaient été balayés de la surface du monde » (330, 105).

30Pour mieux montrer les défaillances dans la gestion européenne de la crise, Spronck contient d’abord l’invasion aux limites de la seule Andalousie. L’Europe est perplexe, habituée à se regarder comme supérieure, « elle n’avait envisagé qu’avec dédain l’hypothèse d’une agression étrangère ». D’abord ébranlée, elle se rassure trop aisément : « Le calme revint le jour où elle acquit l’assurance de ne pas voir les Maures porter leurs conquêtes au-delà de l’Andalousie » (330, 106) et la crise n’alimente plus que les spéculations des « diverses écoles de théoriciens politiques » (330, 106). Il en existe deux types : « ceux qui avaient eu peur et qui étaient rassurés ; ceux qui également avaient eu peur, mais qui ne se rassuraient pas » (330, 106). Qui sont évidemment les plus lucides. Les seconds favorisent la naissance d’une Ligue contre la paix qui défend la reconstitution d’armées permanentes. Dans cette Europe démoralisée, le mouvement « ne détermina jamais que d’innombrables polémiques, purement oratoires » et « mourut faute d’adhérents » (330, 108). Néanmoins, le voisinage des Maures suscitant quelque inquiétude en Espagne, 322 villes « se syndiquèrent dans le but de fonder une société nouvelle [...] qui se chargerait de civiliser les populations islamiques et de leur prouver que tous les hommes sont frères, libres et égaux » (330, 109). Mais l’entreprise philanthropique se heurte à la mauvaise volonté des fonctionnaires mahométans. Certains passent néanmoins la frontière pour entamer des conférences : ils menacent de finir lapidés, après quoi la justice des cadis les condamne encore à différents châtiments qui vont de la bastonnade à la mutilation. Les Missions modernes connaissent dès lors le même sort que la Ligue contre la paix : simple prétexte à banquets et à discours, elles meurent de leur belle mort.

31Au reste, 4 ans se sont écoulés depuis les événements de 300 : « L’Europe était lasse de l’agitation factice entretenue autour de cette histoire déjà ancienne ; elle demandait qu’on la laissât tranquille et qu’on ne lui parlât plus ni de l’Andalousie, ni des Andalous, ni d’Allah ni de son prophète » (330, 112).

  • 37 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, surtitrée La Guerre au XXe siècle, I : La mobilisation africain (...)

32C’est là se montrer bien peu avisée, d’autant qu’en 302, le sultan du Maroc mort, lui succède son fils Ibrahim III, « terrible manieur d’hommes » (330, 115). C’est lui le « véritable autocrate d’Orient » qui va « prendre le commandement des croyants et les mener à la guerre sainte » (330, 117) : « durant vingt-sept années, il remua l’Islam jusqu’à ce qu’il en eut centralisé entre ses mains les forces éparses [...]. Il avait refait ses armements selon les données de la science moderne », levé régulièrement l’impôt, relevé l’administration publique. « Quand il se jugea maître d’un instrument solide, il le tourna contre les États voisins ; et alors commencèrent cette série de meurtrières campagnes et ce formidable assemblage d’alliances politiques, qui devaient aboutir à une sorte de confédération des peuples africains, sous la suprématie du Maroc » (330, 119). Comme « Abd-ul M’hamed, sultan détrôné de Constantinople par les intrigues anglaises »37 chez Danrit, qui s’appuie sur le fanatisme religieux pour diriger une croisade anti-coloniale, « Non content de cette autorité temporelle sans contrôle, le Chérif » Ibrahim III « sut y joindre encore le mirage d’une prétendue mission religieuse » (330, 119). Détenteur de la puissance temporelle et des charismes spirituels, « Il fut à la fois le pape infaillible et le césar vainqueur de cinq cents millions d’hommes fanatiques et belliqueux » (330, 120).

  • 38 Voir son essai polémique, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, dont la versi (...)

33Pour un Spronck convaincu, avant même que Samuel Hutington ne l’eut théorisé, de l’inéluctabilité du choc des civilisations38, la parabole est transparente : « Pour quiconque a pénétré la marche de l’histoire [...] l’apparition d’Ibrahim-el-Kébir n’est pas un phénomène inexplicable. On aurait pu pressentir le conquérant, dès longtemps avant la conquête [...]. Entre l’Orient et l’Occident, la lutte n’avait été qu’interrompue depuis les Croisades » (330, 120-121).

34Elle reprend en 329. Le sultan multiplie les provocations qui, malgré la veulerie d’Occidentaux bien décidés à avaler toutes les couleuvres, finissent par rendre la confrontation inévitable. Encore une fois, les causes de la faillite sont désignées, qui résident dans les valeurs humanistes : la « faute » de l’Europe « fut de croire à la justice, au droit et à la raison » (330, 122) quand seule la force devrait prévaloir, comme l’a bien compris le camp adverse, dont la préparation logistique est impressionnante, chez Danrit comme chez Spronck.

35Au printemps 329, l’Europe récolte les fruits de sa stratégie attentiste : l’Espagne est envahie, un débarquement a lieu au Sud de l’Italie et en Provence. L’Asie se précipite sur la Russie et les Balkans. « Ce ne fut pas une guerre ; l’Asie et l’Afrique barbares débordaient à la fois sur l’Europe » (330, 124). « Dès le premier choc, celle-ci plia » (330, 124). Forcément, puisqu’elle s’est défaite de toute armée, qu’il n’y a plus d’État, donc plus de fonction régalienne et que son organisation politique l’a ramenée au Moyen Âge, avec « quelques centaines de mille de petites organisations municipales, hors d’état de s’entendre en deux ou trois semaines pour combiner une action commune » (330, 124).

36La situation est d’autant plus désespérée que l’Europe, « en « répanda[nt] sa civilisation chez les races voisines » (330, 125) lorsqu’elle était encore puissance coloniale, leur a aussi livré sa technologie, dont elles usent maintenant contre elle. À l’hiver 329, la coalition a atteint le Dniepr, occupe la vallée du Danube, la Lombardie, le littoral méditerranéen français et l’Espagne (330, 125-126) et n’attend que la belle saison pour poursuivre l’offensive. Les milices musulmanes, cheval de Troie que seul un aveuglement criminel avait pu faire prendre pour un préservatif, ont tourné casaque. La guerre civile menace. La défense, aux abois, en est réduite à exhumer dans les bibliothèques des moyens de résister. Des dictatures se déclarent un peu partout. Trop tard pour que ces régimes autoritaires puissent sauver la situation mais Spronck leur fait crédit d’avoir « s[u] au moins poursuivre et contraindre les réfractaires, improviser les différents services, pourvoir aux mesures les plus urgentes et mettre une cohésion vague dans le chaos des initiatives individuelles » (330, 128). Dont acte, même si la formule est moins unanimement positive que chez Danrit qui confie les destins de la France au maréchal d’Arc, troublante préfiguration de Pétain en même temps que dernier descendant de la Pucelle dont le souvenir revit aussi chez Spronck à Orléans où une statue de Jeanne, inconsidérément déboulonnée au début du texte, continue d’incarner les « plus vieilles et [l]es plus stupides superstitions abolies » : « le respect de l’autorité gouvernementale, la croyance en Dieu [...] l’idolâtrie patriotique, le culte des légendes militaires » (330, 6). Pourtant, si ses vœux le portent vers un pouvoir fort, autorité sacrée gardée par le militarisme, Spronck s’arrête au seuil de la dictature : « Leur œuvre serait intégralement digne d’éloges, si elle n’était due à une autorité dont on chercherait en vain l’origine régulière » (330, 128). Aussi n’y aura-t-il pas chez lui de sauveur de la France, capable, comme chez Danrit, en un ultime sursaut, d’en revenir aux saines valeurs :

  • 39 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, op. cit., III : Fin de l’islam devant Paris, p. 306-307.

les régimes précédents avaient donné au peuple une liberté sans limites, et de cette liberté poussée à l’excès étaient nés tant de maux que les patriotes clairvoyants avaient été effrayés eux-mêmes de leur conquête [...]. Et devant ce débordement de liberté se traduisant chaque jour par des scandales nouveaux, tous ceux qui aimaient leur pays s’étaient écriés : « Donnons-nous un maître, un maître honnête qui fasse rentrer sous terre tous ces corrupteurs et ces corrompus et qui protège la liberté contre ses propres excès ». Et des écrivains courageux avaient écrit : « Un peuple qui ne respecte plus aucune autorité est un peuple fini ! qu’on nous rende l’autorité ! »39.

37Et faute de s’être donné un maître, il n’y aura pas de coup d’arrêt à l’invasion comme chez Danrit à Soissons, liée à la mémoire de Clovis, premier des rois chrétiens. Aussi au printemps 330, l’invasion s’est répandue en Pologne, en Bohême, elle tient l’Ouest français et, bientôt, la vallée du Rhône.

  • 40 Celui de Barrès comprendra Les Déracinés (1897), L’Appel au soldat (1900), Leurs Figures (1902).

38En l’absence d’officiers, le commandement est confié à un conseil de 20 membres et les opérations de défense au biographe de Charlemagne et de Napoléon, qui a une expérience livresque de la guerre et conduit son armée à la déroute. Partout, c’est la panique. « La ruine d’une armée entière n’était rien, comparée à ce désastre des dernières énergies survivantes » (330, 132). Les termes résonnent éloquemment avec la trilogie de Barrès, dont la genèse est contemporaine, signifiant sans doute possible que ce qui est à mal, c’est le roman de l’énergie nationale40. Faute d’avoir su garder les bastions, de l’Est et d’ailleurs.

39Dès lors, c’est le retour des anciens âges : « des épidémies disparues depuis des siècles, le typhus, la variole, la peste » refont leur apparition, tuant d’ailleurs indifféremment vainqueurs et vaincus. À cette différence que, « chez les envahisseurs, les vides se comblaient continuellement par des afflux d’immigrants nouveaux » (330, 133). Désespérés, les vaincus s’ôtent la vie : « Le suicide en commun fut la dernière élégance macabre de cette grande société agonisante » (330, 134) en de grands holocaustes. Si bien que quand les forces musulmanes arrivent devant Orléans, la ville n’est déjà plus que cendres. Le monde est désormais sous la férule d’Ibrahim III, qui n’a épargné que les cantons suisses et l’Écosse. La translation imperii s’est effectuée, ainsi que l’énonce le nouveau calife dans sa proclamation finale : « j’abaisserai dans la poussière cette race de chétifs et d’énervés et je partagerai les riches royaumes qu’ils détenaient entre les forts et les braves ; je réduirai à l’oubli l’enseignement pervers dont ils se faisaient gloire » (330, 138). Avant que le narrateur reprenne la parole : « Une morale grossière, sanctionnée dans la croyance en Dieu, remplace la délicate tolérance scientifique de jadis »...

  • 41 Le rôle pris par la garde nationale aux côtés des Communards a conduit à la dissolution de ce corps (...)

40C’est une morale sensiblement différente que délivre le roman de Pataud et Pouget, utopie syndicale qui inverse la lecture antihumaniste de Spronck. Dans ce roman davantage circonscrit au champ politique franco-français, la seule mention des peuples coloniaux concerne les troupes algériennes auxquelles le gouvernement regrette de ne pouvoir faire appel contre les grévistes, quand les Arabes, incorporés, « auraient savouré la joie de venger leur race sur les parias de France » (R, 60). Juin 1848 avait pourtant montré qu’en fait de soldats de la coloniale, les moins brutaux contre ces parias qu’étaient les ouvriers n’avaient pas été les Français, qui importent la violence des procédés de répression de la colonie à Paris, où de nombreux « Africains », au premier chef Cavaignac, Lamoricière et Changarnier, anciens de l’Algérie, sabrent ceux qu’on appelle les « Bédouins de la métropole ». Au demeurant, dans le roman ces troupes sont casernées en Algérie, bloquées par la grève générale qui paralyse le pays. Mais c’est bien l’armée, comme aussi chez Verly, on l’a vu, qui polarise la réflexion, quand sa composition a été profondément modifiée sous la Révolution avec levées en masse et conscription et que l’histoire récente de la garde nationale41 et de la garde républicaine invite à réfléchir au rôle d’un instrument idéologique d’État et à son articulation avec des milices citoyennes capables d’échapper à leur organisme de tutelle pour fraterniser avec les ennemis de l’intérieur qu’elles sont censées écraser.

41Or telle est bien la situation qu’envisage le roman, dans ce Paris qui, à lui seul, compte autant de grévistes – 600.000 – que l’armée comprend de soldats, interdisant au gouvernement de faire donner l’armée, dont les effectifs ne sont « pas inépuisable[s] » (R, 59). D’autant qu’il faut également tenir le front en province. Aussi les autorités tentent-elles d’affréter des trains militaires pour acheminer des troupes depuis l’Est. Mais les cheminots les bloquent. Or, pour assurer la bonne marche d’un pays paralysé par la grève générale, les soldats ont été employés comme « boulangers, électriciens, gaziers, cheminots, wattmen, télégraphistes, postiers, balayeurs... » (R, 59). Envoyés sur les chantiers, dans les magasins, dans les usines, ce sont « des milliers et des milliers d’hommes [...] retranchés de leur fonction guerrière » (R, 59). « Ainsi, à peine la guerre sociale était-elle engagée que l’armée, unique rempart du capitalisme, se trouvait débordée » (R, 61), faute de combattants. Faute aussi d’adhésion à la mission qui lui est confiée : « elle doutait de la justice de sa fonction » (R, 61). La « propagande antimilitariste » (R, 61) a fait son office mais, surtout, les vraies solidarités de classe se sont fait jour. Le peuple s’est éclairé et « sen[t] grandir en lui une puissance sociale qui éliminerait la force militaire, gouvernementale et capitaliste à son déclin » (R, 8), or les soldats, sinon les officiers, sortent bien des rangs du peuple.

42Dès lors, « il n’y a plus d’espoir que la crise s’atténue, ni qu’elle soit conjurée grâce à des palliatifs ou des demi-mesures. Toute conciliation est devenue impossible. La guerre de classe est déclarée et elle s’annonce farouche, implacable. Les ennemis sont face à face et nulle paix n’est à prévoir, hormis quand l’un des deux adversaires sera terrassé, écrasé, broyé » (R, 64). La peur sociale fait dévisser la Bourse et c’est le krach. Pour conjurer la crise, Paris passe sous « occupation militaire » (R, 68).

43Mais le manque de subsistance, que ne peuvent suffire à pallier les caisses de solidarité, ne va-t-il pas faire plier les grévistes et les ramener à l’usine ou à l’atelier ? (R, 70). Les miséreux, absolument dépourvus de tout, ne vont-il pas s’enrôler comme mercenaires au service des patrons ? « Et alors, la guerre de classes ne risquerait-elle pas de dériver en guerre fratricide – pauvres diables contre pauvres diables : chômeurs contre grévistes ? » (R, 70).

  • 42 Voir supra.

44Ce serait là la version de Spronck, s’il s’intéressait au peuple autrement que comme corps de la nation. C’est la version de Verly, qui exploite les contradictions d’une idéologie émancipatrice affrontée à des dérives liberticides et dont Les socialistes au pouvoir, patronnés par le drapeau rouge qui a remplacé les trois-couleurs, « vieil emblème de la tyrannie bourgeoise et des guerres fratricides » (SP, 5), prend des allures de Tintin au pays des soviets. Lorsque le roman s’ouvre, ce 1er mai 19** où l’on célèbre l’anniversaire de l’avènement de la Démocratie sociale internationale, les élections viennent de porter au Parlement 453 députés socialistes (SP, 5), du « parti socialiste-collectiviste » (SP, 15), qui s’attaquent à une forêt d’abus et de privilèges : plus de président de la République (mais un Premier-Délégué, en hommage à la Commune, SP, 12) ni de Sénat. La « réorganisation sociale » est en marche (SP, 6). Sur le modèle qu’a offert la Commune en 1871. Faisant chorus avec Spronck pour faire grief à la Révolution de ce « qu’une société reste infailliblement réduite à l’impuissance tant qu’elle n’a pas secoué des entraves comme la religion, la patrie, la propriété ou la famille »42, des mesures drastiques sont prises en la matière. La famille est abolie, au bénéfice de la nation. Les enfants sont séparés de leurs parents et confiés à des « élevages » et les vieillards placés dans des hospices. Ces établissements sont montés à partir de meubles saisis chez les particuliers, à qui n’est laissé que le nécessaire. Partout prévalent des impératifs de nécessité publique, sans considération pour les raisons privées. Aussi François, le fils du narrateur, typographe, est-il nommé à Lille, loin de sa bien-aimée. Chez les voisins, le mari est muté à Lyon et la femme à Rochefort. C’est que « le mariage n’est plus une association légale mais une relation essentiellement temporaire et privée, ainsi que le grand Bebel l’a expliqué dans son livre sur La Femme » (SP, 37). Disciplinée, la famille de Joseph, le narrateur, sincère sectateur des idées socialistes, obtempère : leur vieux père est arraché à l’affection des siens, relégué dans un hospice où il perd tout goût pour la vie ; leur plus jeune fille doit rejoindre un établissement où le manque de soins la tuera, sa mère en devenant folle de douleur.

45Mais la dégradation dépasse la famille du narrateur et l’arrivée d’élections législatives permet de constater à quel point la société civile est divisée sur la politique menée. Ces élections opposent des Réformistes, qui réclament la journée de 6 heures, des rations alimentaires doubles et de meilleures conditions de logement, des Libertaires qui protestent contre les atteintes à la liberté, contre la dissolution de la famille et l’ingérence de l’État dans les affaires privées, des Féministes, des Jeunes « qui reprochent au gouvernement d’être pire que les anciennes tyrannies, d’avoir confisqué la Révolution, et qui exigent la journée de quatre heures, le roulement périodique de toutes les professions, y compris les plus hautes fonctions publiques, un mois de vacances avec voyage gratuit par an pour tout le monde » (SP, 120). Mais l’opposition ne peut se faire entendre, l’État disposant du seul organe de presse maintenu (le Journal officiel) et tenant tous les lieux publics où tenir des meetings.

46François, le fils aîné, fuyant cette société totalitaire, réussit à gagner New York, d’où il formule un jugement sans appel sur la France socialiste : « Dans une nation dont les citoyens sont dépourvus de toute liberté individuelle, de toute initiative, de toute émulation, par le fait des institutions politiques elles-mêmes, la virilité des caractères s’atrophie inévitablement » (SP, 128-129). Aussi les Français sont-ils devenus des soldats dans une caserne ou des détenus dans une prison. De là une explosion du nombre de suicides, que commente un médecin : « Les restrictions apportées à la liberté personnelle, l’étroite prison morale dans laquelle l’individu se trouve enfermé par l’organisation socialiste de la production et de la consommation, la notion de la perpétuité de cette existence terne et moutonnière qu’aucune initiative ni aucun effort de volonté ne peuvent améliorer, ont diminué dans une telle proportion le charme de la vie qu’un certain nombre de citoyens en sont arrivés à considérer le suicide comme le seul moyen d’échapper à une destinée intolérable pour eux » (SP, 138).

47Pendant que la famille de Joseph se décompose à Paris, à New York, le jeune ménage de François et d’Aline fait son trou dans une société qui reconnaît le mérite personnel et ne brime pas l’entreprise et reçoit le loyer du rêve américain. A contrario, Paris s’enfonce dans le cauchemar et la fuite en avant et le constat d’échec que le Premier-Délégué est bien forcé de consentir devant la Convention nationale ne conduit pas à une remise en cause de cette Nouvelle Politique Économique mais à demander à la population de nouveaux sacrifices : entrer dans la carrière de 14 à 75 ans et non plus de 20 à 60, journée de 12 heures au lieu de 8, instauration des châtiments corporels pour infraction à la législation sur le travail, diminution des rations journalières, limitation du nombre des naissances...

48La révolte gronde, notamment chez les ouvriers métallurgistes (une corporation de 300.000 membres), qui s’étaient flattés de « form[er] l’avant-garde de l’armée révolutionnaire et prétendent maintenant avoir été honteusement trompés dans l’accomplissement des promesses que la Démocratie sociale leur avait faites » (SP, 141). Autour d’eux, la solidarité se fait, d’autant que la désaffection entoure l’action du gouvernement. Les voilà bientôt rejoints par les mineurs, qui se mettent en grève. Et qui sait si l’armée ne fera pas cause commune avec eux ? Et céder aux revendications corporatistes mettrait fin à l’égalité et ruinerait toute l’œuvre de la révolution sociale. Alors, la menace de l’étranger s’en mêle, quand l’Angleterre et l’Allemagne réclament de la France le paiement de sa dette commerciale ou quelque cession territoriale. Or la France n’a plus d’encaisse métallique.

49La France est épuisée, « Les temps sont venus et les faits sont accomplis. La flotte anglaise bloque Le Havre et les Allemands sont en France ! » (SP, 152). Ils progressent comme en 1870 à l’Est (Nancy, Metz) alors qu’une deuxième armée a pénétré par la Belgique socialiste et menace Lille et Maubeuge, à cours d’approvisionnements. D’autant qu’au ministère de la guerre, des serins ont fait un autodafé des archives et des plans de mobilisation.

50Or le gouvernement ne peut compter sur l’adhésion de la population car « L’enthousiasme seul peut engendrer des miracles pareils à ceux de 1792 » et que « la France d’aujourd’hui est terriblement loin de ces jours de foi, de flamme et de gloire » (SP, 154)... « Est-ce que vous vous figurez par hasard, me disait tout à l’heure un de mes voisins, que je consentirais à risquer ma peau pour soutenir un gouvernement qui a fait de la France un dépôt de mendicité ? » (SP, 154), est bien forcé de rapporter Joseph qui ne peut dissimuler que les plus violents contre ce gouvernement sont les ouvriers. Le gouvernement n’ayant pas fait droit à leurs prétentions et leur ayant coupé tout moyen de subsistance comptant ainsi les forcer à la reddition, une solidarité se recrée. « C’est une insurrection en règle qui commence » (SP, 156), « la guerre civile » (SP, 158). À Paris, les insurgés tiennent la Rive gauche. Lyon et Lille sont pour eux, une partie de la Bretagne et les régions viticoles. Une partie de la troupe, aussi pendant que, face à l’ennemi de l’extérieur, les armées se débandent.

51Ainsi se clôt le roman, comme Joseph, enfin prêt à renier ses illusions après que les siens auront été décimés et à gagner à son tour le Nouveau monde, fait son auto-critique : « Ici tout est chaos. Aux frontières, des défaites sanglantes ; à l’intérieur, la guerre civile ou la tyrannie idiote et féroce » (SP, 166). En somme, ô liberté, que de crimes on commet en ton nom.

52L’intrigue ménage bien des points communs avec celle de Pataud et Pouget et les vicissitudes mises en scène montrent bien que l’interprétation de la Révolution fait problème, y compris chez ceux qui, comme les deux Émile, adhèrent à ses principes mais mesurent l’écart avec l’application qui en est faite. Chez eux, « les jours de foi, de flamme et de gloire » de 1792 demeurent suffisamment porteurs pour galvaniser les énergies et le retour vers le passé est patent : « il se produisit dans la classe ouvrière les mêmes phénomènes d’inspiration spontanée qui marquèrent l’aurore de la révolution de 1789 à 1793 » (R, 71). Mais ce sont ses conquêtes sociales plutôt que politiques qui sont mises en avant. On procède à des réquisitions pour assurer la subsistance, puis à des distributions gratuites. Les syndicats constituent des commissions d’approvisionnement, la solidarité s’organise.

53Alors le gouvernement proclame l’état de siège (R, 83). Mais l’armée le lâche si bien que ne lui reste que la police et la magistrature. Il est déterminé à forcer sa chance – « On amènerait des canons et des mitrailleuses dans les rues s’il le fallait – mais on en finirait avec la grève générale ! Pour commencer, on occuperait militairement la Confédération [CGT], la Bourse du Travail, les salles de réunions, les coopératives » et, à la « moindre résistance », « on donnerait l’assaut ! » (R, 85) –, mais les grévistes ont préparé leur défense et se sont armés. Un régiment de ligne est envoyé contre eux. L’affrontement doit avoir lieu place de la Nation, devant le monument de Dalou, illustre Communard : le « “Triomphe de la République” allait donc être le témoin de la débâcle de la république bourgeoise » (R, 91) : « la revanche de 1871 » (R, 92). Mais l’affrontement n’aura pas lieu : au grand dam des officiers, les soldats mettent « crosse en l’air » (R, 93) et fraternisent avec les grévistes.

54Poussant leur avantage, les grévistes occupent l’Hôtel de Ville, la préfecture de police, les Palais de justice, les ministères, l’Élysée, la place Vendôme et le Palais Bourbon (R, 95).

55Les Socialistes, sans comprendre que, dès qu’ils sont sortis de l’opposition, ils se sont compromis comme les autres partis en prêtant la main aux pratiques de l’État godillot : « gabegie, trafic des influences, pillerie du trésor public »… (R, 8) et que cette trahison a « parachevé la ruine des illusions populaires » (R, 7), tentent leur chance : « leur rêve était d’acheminer la révolution par les voies étatiques, de la continuer et de la parfaire à coups de lois et de décrets. Ils songeaient à revivre le passé et s’exclamaient “proclamons la Commune !” » (R, 99). Ils sont hués aux cris de « Non ! Non ! Pas de Commune ! Plus de parlementarisme ! Vive la Révolution ! Vive la Confédération du travail ! » (R, 99).

  • 43 Voir, dès 1887, Marius Maurice Devèze, La Crise du parlementarisme, Paris, G. Ficker, 1887.

56Si la relève d’une France moralement exsangue par le syndicalisme est une spécificité du roman de Pataud et Pouget, le rejet sans appel du parlementarisme43, avec son système des accommodements, son verbiage dilatoire, son immobilisme foncier, est une constante de tous ces textes, par-delà les clivages droite / gauche : « il éclatait aux yeux des moins prévenus que le parlementarisme avait au cœur des germes morbides, dissolvant les bons vouloirs, putréfiant les consciences » (R, 7).

  • 44 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, op. cit., III : Fin de l’islam devant Paris, p. 307.

57À droite, la solution est autoritaire : elle consiste à balayer des institutions pourries pour concentrer le pouvoir entre les mains d’un homme fort et décidé tel le maréchal d’Arc de Danrit qui sait remettre le pays en phase avec les vraies valeurs, de la « vraie liberté, de celle qui, basée sur le respect réciproque des droits et des devoirs, n’aboutit ni à l’intolérance ni à l’anarchie »44.

  • 45 La dernière épopée se divise en deux volume : Le Monde noir. Roman sur l’avenir des sociétés humain (...)
  • 46 Marcel Barrière, La dernière épopée. Le Monde noir. Roman sur l’avenir des sociétés humaines, Paris (...)
  • 47 Marcel Barrière, Ibid., Introduction à la dernière épopée, p. v.
  • 48 Ibid., p. xv.
  • 49 Ibid., p. vi.
  • 50 Ibid., p. vii-viii.
  • 51 Ibid., p. viii-ix.

58Chez Marcel Barrière, dont la fibre, pour être plus républicaine, s’accorde au mieux au nationalisme à tendance populiste de Danrit, singulièrement dans cette dernière épopée, anté-histoire de la dernière guerre45 où la France s’appuie sur son empire pour prendre la tête d’une nouvelle Europe menacée à la fois par les forces réactionnaires toujours promptes à faire pièce à la Grande Nation et par la chienlit des égalitaristes à tout crin, l’avisé Fouché-Lahache, à l’onomastique éloquente, sait en parlementaire matois, manœuvrer au mieux les élites déliquescentes d’un pays où « aucun effort de démocratie sincère n’était parvenu à changer les mœurs qui restaient la caricature de celles des temps monarchiques »46 : coteries, médiocratie, clientélisme, gabegie, arbitraire. Dans cette fiction où Barrière imagine, concentrés sur cinquante années pour la commodité narrative de la démonstration, des événements qui demanderaient quatre ou cinq siècles pour se produire dans le réel, il s’attache à la guerre sans fin entre les principes révolutionnaires incarnés dans le « peuple-roi »47 et les forces réactionnaires dont « l’Allemagne féodale »48 est la tête-de-pont. Si bien qu’au-delà de Sedan, « qui marque l’origine d’une France décadente »49, « Malgré notre défaite, la Révolution, source de tout progrès social contemporain, reste le grand cauchemar du kaiser. De là vient la constance de son inimitié pour nous, inimitié qui ne prendra fin, semble-t-il, que de deux manières : ou par l’anéantissement de la France ou par le renversement des Hohenzollern, suivi de la proclamation de la république des États-Unis d’Allemagne »50. L’enjeu de cette confrontation, qui mobilise deux continents, n’est que masqué par les questions de Lebensraum, profondément, il s’agit de « tuer l’idéal français, de chercher à étouffer la sympathie de tous les peuples pour les sentiments libéraux qui émanent de notre pays et de lui seul »51.

  • 52 Ibid., p. xiv.

59S’il joue des accents de la décadence chers aux nationalistes et du roman de l’énergie nationale en berne, Barrière reste arrimé à l’idéal révolutionnaire républicain dans une dialectique qui montre combien sont alors poreuses les frontières idéologiques, quand il peut avancer que « la Révolution ne s’est jamais achevée et que sa marche fut, jusqu’à ce jour, entravée par des réactions de tout ordre »52. Aussi son Fouché-Lahache, homme providentiel, peut-il réaliser la synthèse entre le maréchal d’Arc et Les socialistes au pouvoir :

  • 53 Ibid., p. 204-205.

Après quelques années de vie publique, le sentiment qu’il avait acquis de la nécessité de gouverner les hommes, joint à son expérience des différentes méthodes de gouvernement, lui avait démontré le peu d’influence du socialisme international sur l’organisation propre à chaque pays, aussi bien que l’impossibilité d’acclimater en France la tyrannie du collectivisme intégral. Convaincu néanmoins qu’il fallait instituer [...] une sauvegarde des travailleurs contre l’oppression patronale, et qu’aucune réforme en ce sens n’était à espérer de l’initiative même du capital, il avait gardé l’étiquette du socialisme à laquelle il devait sa fortune politique ; et, en attendant que la majorité parlementaire émanât du parti ouvrier, son moyen de hâter la solution voulue consistait à faire trembler les oisifs et les riches sous des menaces de révolution et de guerre de classes53.

  • 54 Voir Danielle Tartakowsky, Joël Biard, La Grange-aux-Belles, maison des syndicats, 1906-1989, Paris (...)

60S’il ne s’agissait de calcul politique, on pourrait reconnaître dans cet homme d’État le « leader de l’extrême gauche » des Socialistes au pouvoir, à l’heure de l’auto-critique : « Les temps sont révolus [...] nous, les parlementaires socialistes, reconnaissons-le : notre rôle est fini. [...] Place à la classe ouvrière » (R, 100-101). Les forces d’entraînement social se sont déplacées de l’Élysée, de la place Beauvau et de l’Hôtel de Ville vers la Bourse du Travail et la rue Grange-aux-Belles (R, 101), qui abrite la Maison des syndicats54.

  • 55 Marcel Barrière, Le Monde noir, op. cit., p. 208.
  • 56 Ibid., p. 209.
  • 57 Y compris par le dévoiement de la représentation. Aussi la question du mandat impératif, qui avait (...)
  • 58 Marcel Barrière, Le Monde noir, op. cit., p. 209.

61Avec le syndicalisme, c’en est fini du système des partis, qui ont « disparu dans la tourmente, sombré avec l’État » (R, 159). C’en est fini aussi d’un parlementarisme à bout de souffle, unanimement condamné, de Pataud/Pouget à Danrit ou à Barrière, qui se réjouit que « de démêlé en démêlé, tandis que s’embrouillaient dans les contradictions, dans les malentendus, dans les rivalités de personnes, toutes les idées de conservation et de progrès, le monde parlementaire en vi[enne] au bord du fossé chaotique creusé entre les réalités finissantes de l’ordre ancien et les abstractions du nouveau prêtes à se concréter »55 et que « tous les hauts personnages de l’État [soient] sommés de choisir entre le socialisme réformateur et la contre-révolution »56. Car là est la véritable ligne de partage, à condition de pouvoir – et ce à droite comme à gauche – réinterpréter la Révolution. C’est ce qu’accomplissent Pataud et Pouget en achevant de donner au peuple une place confisquée par les successives captations bourgeoises57. C’est ce que réalise Barrière avec ses élections « qui n’eurent lieu qu’entre républicains : les uns partisans d’une réaction, les autres, révolutionnaires qui avaient brisé le cadre étroit de leurs ancêtres de 89 »58.

  • 59 Ibid., p. 214-215.

62Avec le parlementarisme, l’État centralisé, militarisé a été jeté à bas. Il faut maintenant « remettre la machine sociale en marche » tout en se défendant, les guerres fratricides renaissant à l’infini, contre « les obstinés partisans de l’étatisme socialiste » (R, 104). Veiller à « ne pas retomber dans les errements de 1871 » (R, 105) qui a respecté « les millions » de la Banque de France, qui ont servi « à alimenter la répression versaillaise » (R, 105). Aussi les insurgés prennent-ils possession de la Banque de France, de la Caisse des dépôts et consignations, des grands établissements financiers (R, 106) comme le fera, chez Barrière, le Conseil municipal de Paris, « reconstitua[nt] officieusement les cadres de la Commune » et opérant une « mise sous séquestre analogue à celle qui avait servi aux jacobins pour consommer le dépouillement des églises »59.

  • 60 De fait, la révolution gagne aussi la province, où elle a l’appui de la paysannerie, comme en 1789- (...)

63Vrais gardiens de ce qu’on appelle aujourd’hui les communs, leur utopie « allait se trouver entre la cité nouvelle et les communes du Moyen-Âge, au sein desquels avait germé un rudimentaire communisme » (R, 109) dont ils récupèrent la tradition, contre Spronck, ouvrant sur un communisme au visage bien plus humain que chez Verly60.

  • 61 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, III, op. cit., p. 99.

64Mais la peur sociale commande les vieux réflexes anti-Lumières et l’intervention étrangère menace. À l’intérieur, des sortes d’États généraux sont lancés sous la forme d’un « Congrès général de tous les syndicats », deuxième « consultation populaire » « depuis le nouveau régime » (R, 246). Si tous les délégués haïssent la guerre, « torrent de barbarie qui risquait de ravager la belle harmonie naissante » (R, 247) et son cortège de maux, il faut défendre la révolution. Mais comment ? Pour ne pas renouer avec « l’ancien régime », la défense ne sera pas confiée à une « armée régulière » mais à une forme aiguë de guerre de guérilla, partant du principe que la fin justifie en la circonstance de nier « le droit des gens » (R, 248). En somme, plus on pourra frapper fort, plus la guerre aura chance d’être courte. Gautier, l’homme dont la science seconde la volonté du maréchal d’Arc, l’avait déjà théorisé chez Danrit : « puisque la guerre était une nécessité historique que, ni les conseils, ni le sentiment de leur propre intérêt n’empêcheraient les peuples de s’y jeter à corps perdu au premier signal, il rêva quelque chose de plus extraordinaire encore. Il voulut la rendre impossible par l’horreur même des maux qu’elle engendrerait. Il se rappela alors qu’avant d’être agronome, journaliste, conférencier, il avait été chimiste »61.

  • 62 C’est la thèse défendue dans la nouvelle de Jules Verne La Journée d’un journaliste américain en 28 (...)

65D’autres s’en souviennent aussi et, chez Gustave Le Rouge comme chez Pataud/Pouget, des bataillons de scientifiques travaillent à mettre au point des méthodes inédites de défense et d’agression. L’une des commissions chargée de préparer le pays à la guerre se concentre ainsi sur les ondes hertziennes, mettant à profit les travaux de Gustave Lebon qui prévoient d’utiliser les ondes électriques, dirigées sur des arsenaux, en guise de détonateur. Des appareils de « radio-détonation » sont donc mis au point (R, 250). Des torpilles air-sol à dispositif sophistiqué de guidage sont développées sur le modèle des torpilles sous-marines. Une flotte de bombardiers est constituée. Une autre commission se penche sur les possibilités chimiques et microbiennes. On doit en attendre « des résultats plus terrifiants encore : il s’agissait d’infecter les armées d’invasion [...], de leur inoculer la peste, le typhus, le choléra » (R, 251) en même temps que l’on fabrique des sérums pour se prémunir contre la réciproque. Il est prévu de contaminer les points d’eau, de diffuser depuis les airs des bacilles terrifiants, des bombes à fragmentation (R, 251). Ces procédés, connus dès longtemps et susceptibles d’assurer la victoire, n’avaient pas été employés jusqu’ici car ils devaient rendre la guerre impossible62 (R, 252) or, la guerre, ou plutôt sa menace, fait office, pour les gouvernements, d’instrument de domination, justifiant l’entretien de forces armées « qui, sous prétexte de protéger la frontière, ne menaçaient, en réalité, que le peuple et ne protégeaient que la classe dirigeante » (R, 252).

66Dans l’esprit des soldats de l’An II, la résistance va donc s’organiser : « rien que par l’action d’une infime minorité – ils allaient rendre leurs frontières inviolables » (R, 252).

67Le chapitre XXVII s’intitule « La dernière guerre ». Trois corps d’armée pénètrent « simultanément sur le territoire français » au Nord et à l’Est. Ils sont formés de soldats allemands, autrichiens, anglais, cosaques, appuyés par quelques bataillons venus des Balkans et du Nord. Aucune armée ne leur barre la route, mais ils doivent composer avec un terrain rendu impraticable, des « rivières chargées de produits chimiques nauséeux et nocifs » (R, 256). Cette guerre « étrange », sans ennemi, démoralise l’envahisseur (R, 257), déjà attaqué par les maladies. Une batterie d’aéros diffuse des tracts en diverses langues : un ultimatum invitant à battre en retraite, sous peine de déchaîner le chaos. Faute d’être entendu, « des bombes asphyxiantes, emplies d’acide prussique et de subtils poisons », « Un ouragan de fer et de feu » « portant partout l’épouvante et la mort » sont déchaînés (R, 259). Les armées ennemies se replient sans demander leur reste. Et il en va de même sur mer, où la flotte ennemie est décimée par l’arme télé-électrique.

68Le dénouement vérifie la dualité affichée du titre : Comment nous ferons la Révolution rejoint Comment nous avons fait la Révolution, quand « Mieux qu’au soir de Valmy furent alors de circonstance les paroles prophétiques de Goethe : “ici commence pour l’histoire une ère nouvelle” » (R, 261).

69Cette ère nouvelle dont tous ces textes n’imaginent l’aurore – ou le grand soir – qu’au terme d’un cataclysme régénérateur, la gamme réformatrice parcourue par ces républicains au chevet d’une patrie qu’ils sentent en danger, entre révolution nationale et révolution sociale, les laissant d’accord avec Sade pour dire : « Français, encore un effort »...

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Bibliographie

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Verly Hippolyte. Les Socialistes au pouvoir. Simple histoire à la portée de tout le monde. Version nouvelle du « Triomphe du socialisme ». Paris : Librairie H. Le Soudier, 1898.

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Notes

1 Le projet, qui date de 1832, commence à être mis en œuvre en 1833. On lira avec profit Pierre Francastel, La Création du musée historique de Versailles et la transformation du palais (1832-1848) d’après les documents inédits, Versailles, Léon Bernard, 1930.

2 Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, publiées à titre posthume en 1818.

3 Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, 1847-53.

4 Thierry Mignet, Histoire de la Révolution française de 1789 jusqu’en 1814, 1824.

5 Adolphe Thiers, Histoire de la Révolution française, (10 vol.), 1823-27.

6 François Guizot, Du gouvernement représentatif et de l’état actuel de la France, 1816 ; Essais sur l’histoire de France, 1823.

7 Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856.

8 Louis Blanc, Histoire de la Révolution française (12 vol.), 1847-52, puis 1857-70.

9 Alphonse Esquiros, Histoire des Montagnards, 1847.

10 Edgar Quinet, La Révolution (3 vol.), 1865.

11 Joseph de Maistre, Considérations sur la France, 1797.

12 Louis de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, 1796.

13 Augustin Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1797-1803.

14 Gérard Gengembre, La Contre-Révolution ou l’histoire désespérante. Histoire des idées politiques, Paris, Imago, 1989.

15 Elle est prononcée à la Chambre des députés le 29 janvier 1891 où l’on discute de la censure qui frappe Thermidor, pièce de Victorien Sardou qui s’attaque violemment à la figure de Robespierre, déboulonné au profit de Danton, ravivant les clivages mémoriels qui travaillent le champ politique français. Cf. Marion Pouffary, « 1891, l’affaire Thermidor », Histoire, Économie & Société, 2009-2, p. 87-108.

16 Maurice Spronck, L’An 330 de la République (XXIIe siècle de l’ère chrétienne), Paris, Léon Chailley, 1894.

17 Hippolyte Verly, Les Socialistes au pouvoir. Simple histoire à la portée de tout le monde. Version nouvelle du « Triomphe du socialisme », Paris, Librairie H. Le Soudier, 1898.

18 Émile Pataud et Émile Pouget, Comment nous ferons la Révolution, Paris, Tallandier, 1909. Nos références aux textes, données entre parenthèses, iront toutes à ces trois éditions abrégées 330, SP et R.

19 http://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/6900

20 Il a combattu le plébiscite du 8 mai 1870 visant à conforter le régime impérial.

21 Et même pour le troisième, dont la version originale s’intitulait Le Triomphe du socialisme : journal d’un ouvrier révolutionnaire (1897).

22 « L’Histoire, Thierry l’appelait narration et M. Guizot analyse : je l’ai nommée résurrection », Jules Michelet, Le Peuple, Paris, Librairie Chamerot et Lauwereyns, 1866 [1846], p. XXXI. Il y revient dans la préface de 1869 à l’Histoire de France : « J’ai défini l’histoire Résurrection », Préface à l’Histoire de France, in Introduction à l’Histoire universelle. Tableau de la France. Préface à l’Histoire de France, op. cit., p. 180.

23 Aussi le narrateur de 330 d’avancer : « La Convention marque une date dans l’Histoire ; elle ne fait pas avancer d’une ligne le bien-être de l’espèce ici-bas » (330, 28).

24 Victor Hugo, Les Misérables, A. et G. Rosa éd., Paris, Laffont, Bouquins, 1985 p. 656.

25 « C’est une œuvre prodigieuse [les mémoires d’outre-tombe]. Il porte sur l’avenir un regard profond. En fait, il a presque tout vu [...] y compris les bolcheviks », propos recueillis par Claude Guy, aide de camp du général, En écoutant de Gaulle. Journal 1946-49, Paris, Grasset, 1949, pp. 202 (13 janvier 1947) et 335 (24 octobre 1947). Cité par Jacques Lecarme, « Ministres autobiographes », in Chateaubriand mémorialiste. Colloque du cent cinquantenaire (1848-1998), op. cit, p. 291.

26 Significativement, le champ lexical de la guerre est omniprésent : « guerre sociale », ouvriers en ordre de « bataille », « conflit », « heurts », « lutte », « combat »...

27 Cf. Zeev Sternhell, Les anti-Lumières : du XVIIIe siècle à la guerre froide, Paris, Fayard, « L’espace du politique », 2006.

28 À commencer par les domestiques qui servent le Premier-Délégué, contraint à la démission.

29 Chez Verly, dont l’anticipation porte moins loin, la journée de travail s’en tient à 8h. Mais l’égalité s’applique à tous, sans distinction de sexe : on travaille de 20 à 60 ans, l’État prenant en charge le premier et le troisième âges.

30 Johann Valentin Embser, L’Idolâtrie de ce siècle philosophique. Première idole, la paix perpétuelle, ouvrage traduit de l’allemand, Mannheim, chez C. F. Schwan, Libraire de la Cour, 1779.

31 Le progrès a étendu son manteau sur la République, pays de cocagne où règne l’abondance, qu’éclaire l’électricité, qui maîtrise « la locomotion aérienne » (330, 12) et qui connaît même la civilisation des loisirs, quand « chaque habitant possède un théâtrophone » (330, 11).

32 « Toute la masse croupirait dans une léthargie continuelle, une partie mourrait de faim, l’autre serait dévorée par la mollesse et par les débauches, et le reste mènerait une vie purement végétale, si une guerre ne venait remuer quelquefois la masse croupissante », Johann Valentin Embser, L’Idolâtrie de ce siècle philosophique. Première idole, la paix perpétuelle, op. cit., p. 219.

33 Hegel, Principes de la philosophie du droit, chap. III, 2, § 324, 1821.

34 Voir les propos très sévères d’Henri Guillemin, qui n’hésite pas à dire que le « gouvernement de défense nationale » est en réalité « un gouvernement de défense sociale » qui « s’intéress[e] beaucoup moins à la menace des Prussiens qu’à la menace sociale », comme, dit-il, les Girondins sous la Révolution, 1789-1792. 1792-1794. Les deux révolutions françaises, Bats, Utovie, 2013.

35 La liberté fait figure de valeur dissolvante et les citoyens s’opposent « avec l’acrimonie venimeuse qui convient à des hommes libres » (330, 5).

36 Mais Spronck comme Verly ne manquent pas une occasion de flétrir la Commune : « La proclamation seule de la Commune de Paris eût suffi à payer les milliers de cadavres semés sur les champs de bataille ; elle était la première réalisation matérielle de l’idée qui plus tard a dominé la terre ; elle allait créer pour l’avenir un symbole aux réformateurs sociaux » (330, 29-30).

37 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, surtitrée La Guerre au XXe siècle, I : La mobilisation africaine, Paris, Flammarion, 1913, p. 11.

38 Voir son essai polémique, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, dont la version originale est parue en 1996.

39 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, op. cit., III : Fin de l’islam devant Paris, p. 306-307.

40 Celui de Barrès comprendra Les Déracinés (1897), L’Appel au soldat (1900), Leurs Figures (1902).

41 Le rôle pris par la garde nationale aux côtés des Communards a conduit à la dissolution de ce corps partout en France le 25 août 1871, l’article 6 de la loi du 27 juillet 1872 portant que « tout corps organisé en armes et soumis aux lois militaires, fait partie de l’armée et relève du ministère de la guerre ».

42 Voir supra.

43 Voir, dès 1887, Marius Maurice Devèze, La Crise du parlementarisme, Paris, G. Ficker, 1887.

44 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, op. cit., III : Fin de l’islam devant Paris, p. 307.

45 La dernière épopée se divise en deux volume : Le Monde noir. Roman sur l’avenir des sociétés humaines (1909) et La nouvelle Europe, anté-histoire de la dernière guerre (1911), deux réalités conçues en diptyque. Rendant compte de la publication du Monde noir, le Larousse mensuel illustré de 1910 la replace dans son projet d’heptalogie : « Le Monde noir est un des épisodes de l’œuvre considérable a laquelle le romancier Marcel Barrière a consacré le principal effort de sa carrière littéraire : une heptalogie, où se trouvera résumée et symbolisée en quelques figures toute l’évolution politique, sociale et morale qui se dessine et se prépare en France dans le temps présent. Œuvre singulièrement périlleuse puisqu’elle anticipe sur un avenir que nul ne peut prétendre apercevoir clairement. [...] Ce qui nous manque, selon Marcel Barrière, c’est la volonté d’être forts et d’agir par les voies de la force quand il sera nécessaire de faire respecter le droit, notre droit comme le droit des autres », vol. 1, p. 580.

46 Marcel Barrière, La dernière épopée. Le Monde noir. Roman sur l’avenir des sociétés humaines, Paris, Lemerre, 1909, p. 201.

47 Marcel Barrière, Ibid., Introduction à la dernière épopée, p. v.

48 Ibid., p. xv.

49 Ibid., p. vi.

50 Ibid., p. vii-viii.

51 Ibid., p. viii-ix.

52 Ibid., p. xiv.

53 Ibid., p. 204-205.

54 Voir Danielle Tartakowsky, Joël Biard, La Grange-aux-Belles, maison des syndicats, 1906-1989, Paris, Créaphis, 2012.

55 Marcel Barrière, Le Monde noir, op. cit., p. 208.

56 Ibid., p. 209.

57 Y compris par le dévoiement de la représentation. Aussi la question du mandat impératif, qui avait tant agité les révolutionnaires de 1789, est-elle soulevée et décrétée résolue quand on constate qu’au Congrès confédéral il n’y a pas « de député inconnu de ses électeurs – ayant cependant reçu d’eux un pouvoir illimité –, et substituant sans scrupules aux aspirations de ses commettants ses personnelles manières de voir..., qui variaient souvent au gré des vents ministériels » (R, 160). Sans compter qu’une fois le Congrès refermé, préfigurant les social-démocraties du nord, les délégués retrouvent leur poste de travail et ne perdent donc pas contact avec les réalités du terrain (R, 160).

58 Marcel Barrière, Le Monde noir, op. cit., p. 209.

59 Ibid., p. 214-215.

60 De fait, la révolution gagne aussi la province, où elle a l’appui de la paysannerie, comme en 1789-1793 (R, 119), qui pousse à la réforme agraire : c’est « une nouvelle Jacquerie », la « réédition de la grande peur de 1789 » (R, 122).

61 Capitaine Danrit, L’Invasion noire, III, op. cit., p. 99.

62 C’est la thèse défendue dans la nouvelle de Jules Verne La Journée d’un journaliste américain en 2889.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laure Lévêque, « Guerre future ou passé qui ne passe pas ? Quand L’An 330 (Maurice Spronck, 1894) remet les compteurs révolutionnaires à zéro : Les socialistes au pouvoir (Hippolyte Verly, 1898) ou Tintin au pays des soviets »Babel, 38 | -1, 37-67.

Référence électronique

Laure Lévêque, « Guerre future ou passé qui ne passe pas ? Quand L’An 330 (Maurice Spronck, 1894) remet les compteurs révolutionnaires à zéro : Les socialistes au pouvoir (Hippolyte Verly, 1898) ou Tintin au pays des soviets »Babel [En ligne], 38 | 2018, mis en ligne le 01 février 2019, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/5875 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/babel.5875

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