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III. L'Amérique au miroir de la France

L’Amérique, Nouveau Monde ou avenir d’une illusion ? XVIIIe-XXIXe s

Laure Lévêque
p. 125-148

Résumé

Lorsque intervient la révolution américaine, c’est désormais doublement que les États-Unis font figure de Nouveau Monde : non plus seulement géographiquement, comme lointaine frontière, mais bien aussi politiquement, porteurs qu’ils sont des promesses d’un contrat social plus équitable et d’un modèle de développement, peut-être appuyé sur la conquête, mais sur celle de la liberté. Ce sont ces principes originels, portés sur les fonts baptismaux de la jeune république, dont le présent article s’attache à suivre, dans une vieille Europe qui se regarde au miroir d’outre atlantique, la progressive remise en cause tout au long de ce XIXe siècle qui a vu le fonctionnement de la référence américaine accuser un douloureux divorce entre le contenu symbolique qu’elle revêt et l’expression pratique qu’elle reçoit. Un miroir progressivement éloigné et de plus en plus terni à mesure que l’image qu’il renvoie prend la forme d’un expansionnisme brutal. Alors, le prisme américain laisse place à des spectres.

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Texte intégral

1Si la découverte de l’Amérique avait ouvert les horizons géographiques offrant, avec l’étendue démultipliée de ses territoires neufs sinon tout à fait vierges, une gamme inédite de possibles dont rend bien compte l’expression de Nouveau Monde forgée alors, l’émancipation des États-Unis de la tutelle coloniale britannique ouvre des perspectives politiques à une vieille Europe à qui sa révolution donne des idées en proposant un nouveau modèle de gestion du contrat social, démocratique et républicain.

Go West

  • 1 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1, Paris, Le Livre de poche, 1973, p. 238-239.

2Ses séductions sont particulièrement sensibles dans la France des Lumières où la geste du héros des deux mondes, La Fayette, assure la circulation, voire la contagion, des idées dans un passage qui alimente la dynamique, de la pensée comme de l’action, jusque chez un Chateaubriand qui se rêve en nouvel Énée, défricheur du Nouveau Monde. Et d’abord au sens propre quand la France de 1790, qui roule sur d’autres pôles, lui inspire de frayer une voie nouvelle : « Une idée me dominait, l’idée de passer aux États-Unis : il fallait un but utile à mon voyage ; je me proposais de découvrir […] le passage au nord-ouest de l’Amérique »1.

3La translatio désigne la double dimension que recouvre la référence américaine, à la fois transition historique et poussée du mythe que signale, grosse de symboles autant que de flots, la mer déchaînée qui marque la traversée de l’Atlantique de Chateaubriand, en avril 1791, selon la double nature, civique et, précisément, naturante, d’un référent qui admet deux faces : l’étatsunienne et l’américaine, quand, même, la première n’est pas contenue dans la seconde – une dualité de signifiants des plus ambiguës qui ne contribue pas peu à éclater les signifiés correspondants en une constellation éminemment mouvante.

  • 2 Ibid., 1, p. 255.
  • 3 Ibid., 1, p. 268.

4Tels sont les circonstants qui entourent la découverte par Chateaubriand de son Amérique à lui, de ce continent dont « les destinées sauvages » se sont prolongées de ces « secondes destinées depuis l’arrivée de Christophe Colomb »2, héritant de l’espérance palingénésique du monde quand « la domination des monarchies de l’Europe » est « ébranlée dans le nouveau monde », « une République d’un genre inconnu annonçant un changement dans l’esprit humain »3 et la fin des féodalités.

5Pourtant, si « Colomb créait un monde », le renouveau espéré se heurte vite aux réalités américaines :

  • 4 Ibid., 1, p. 269.

Nous nous avançâmes vers une habitation. Des bois de baumiers et des cèdres de la Virginie, des oiseaux-moqueurs et des cardinaux annonçaient par leur port et leur ombre, par leur chant et leur couleur, un autre climat. La maison où nous arrivâmes […] tenait de la ferme d’un Anglais et de la case d’un créole. Des troupeaux de vaches européennes pâturaient des herbages entourés de claires-voies. Des noirs sciaient des pièces de bois, des blancs cultivaient des plants de tabac. Une négresse de treize à quatorze ans, presque nue et d’une beauté singulière, nous ouvrit la barrière de l’enclos comme une jeune Nuit. […] Je donnai mon mouchoir de soie à la petite Africaine : ce fut une esclave qui me reçut sur la terre de la liberté.4

  • 5 « L’Iroquois […] ne fut point étonné des armes à feu, lorsque pour la première fois on en usa contr (...)

6Au-delà du sophisme, c’est, la dialectique du même et de l’autre qui est meurtrière dans ce grand melting pot : si les cieux sont changés, il n’y a rien de nouveau sous le soleil dans la terre de la liberté, une liberté qu’il faut entendre en emploi absolu, illimitée, laquelle, partant, ne saurait s’arrêter là où commence celle d’autrui et qui réalise donc, bien plutôt, scandaleusement, l’aggravation de l’aliénation. Par où ladite terre de la liberté devient, aussi paradoxal qu’il y paraisse, le lieu privilégié de la violence, qui s’entend même au carré et corrompt jusqu’aux naturels, tel cet Iroquois doublement « paré des instruments meurtriers de l’Europe et de l’Amérique »5, vecteur d’une inquiétante dénaturation qui mine l’utopie de l’intérieur si bien qu’il y a lieu de réévaluer à cette aune les idéaux attachés au rêve américain :

  • 6 Ibid., 1, p. 307.

Les générations européennes seront-elles plus vertueuses et plus libres sur ces bords que les générations américaines exterminées ? Des esclaves ne laboureront-ils point la terre sous le fouet de leurs maîtres, dans ces déserts de la primitive indépendance de l’homme ? Des prisons et des gibets ne remplaceront-ils point la cabane ouverte et le haut tulipier où l’oiseau pend sa couvée ? La richesse du sol ne fera-t-elle point naître de nouvelles guerres ? Le Kentucky cessera-t-il d’être la terre de sang, et les monuments des arts embelliront-ils mieux les bords de l’Ohio, que les monuments de la nature ?6

  • 7 Ibid., 1, p. 324.
  • 8 Ibid., 1, p. 323. Et Stendhal, une fois n’est pas coutume, ne pourra qu’être d’accord avec lui : «  (...)

7Pour les monuments des arts, mieux vaut ne pas trop se faire illusion : « Il n’y a dans le nouveau continent ni littérature classique, ni littérature romantique, ni littérature indienne »7 : rien d’autre qu’une littérature appliquée, à la science ou aux arts mécaniques quand, partout, « l’Américain a remplacé les opérations intellectuelles par les opérations positives »8. Ces livres, en tout cas, n’ont rien de sibyllin pour un Chateaubriand qui aperçoit clairement les risques qu’implique un tel modèle de développement :

  • 9 Mémoires d’outre-tombe 1, op. cit., p. 329-330.

J’ai parlé du danger de la guerre, je dois rappeler les dangers d’une longue paix. Les États-Unis, depuis leur émancipation, ont joui, à quelques mois près, de la tranquillité la plus profonde : tandis que cent batailles ébranlaient l’Europe, ils cultivaient leurs champs en sûreté. De là un débordement de population et de richesses, avec tous les inconvénients de la surabondance des richesses et des populations […]. Les Américains ont déjà porté trop longtemps de suite la couronne d’olivier : l’arbre qui la fournit n’est pas naturel à leur rive. L’esprit mercantile commence à les envahir ; l’intérêt devient chez eux le vice national. Déjà, le jeu des banques des divers États s’entrave, et des banqueroutes menacent la fortune commune. Tant que la liberté produit de l’or, une république industrielle fait des prodiges ; mais quand l’or est acquis ou épuisé, elle perd son amour de l’indépendance non fondé sur un sentiment moral, mais provenu de la soif du gain et de la passion de l’industrie. Une aristocratie chrysogène est prête à paraître avec l’amour des distinctions et la passion des titres. On se figure qu’il règne un niveau général aux États-Unis ; c’est une complète erreur. Il y a des sociétés qui se dédaignent et ne se voient point entre elles ; il y a des salons où la morgue des maîtres surpasse celle d’un prince allemand à seize quartiers. Ces nobles plébéiens aspirent à la caste, en dépit du progrès des lumières qui les a faits égaux et libres. Quelques-uns d’entre eux ne parlent que de leurs aïeux, fiers barons, apparemment bâtards et compagnons de Guillaume-le Bâtard. Ils étaient les blasons de chevalerie de l’ancien monde, ornés des serpents, des lézards et des perruches du monde nouveau. Un cadet de Gascogne abordant avec la cape et le parapluie au rivage républicain, s’il a soin de se surnommer marquis, est considéré sur les bateaux à vapeur. L’énorme inégalité des fortunes menace encore plus sérieusement de tuer l’esprit d’égalité. Tel Américain possède un ou deux millions de revenu ; aussi, les Yankees de la grande société ne peuvent-ils déjà plus vivre comme Franklin : le vrai gentleman, dégoûté de son pays neuf, vient en Europe chercher du vieux […]. Et ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est qu’en même temps que déborde l’inégalité des fortunes et qu’une aristocratie commence, la grande impulsion égalitaire au dehors oblige les possesseurs industriels ou fonciers à cacher leur luxe, à dissimuler leurs richesses, de crainte d’être assommés par leurs voisins.9

  • 10 Mais pour le seul homme blanc puisqu’il faut attendre 1865 et la victoire du Nord abolitionniste su (...)

8Il y a là du grain à moudre pour un Frédéric Gaillardet, qui fourbit son Aristocratie en Amérique (1883) dans le renversement de la perspective de Tocqueville. En attendant, les Pères fondateurs ont tout prévu, et précisément cette même année 1791 où Chateaubriand court les États-Unis, avec les 10 amendements que le Bill of Rights introduit dans la Constitution pour protéger la liberté individuelle10 et la propriété. Il n’est alors que de se confier au deuxième amendement pour défendre, les armes à la main, une liberté qui ne peut être celle que de quelques-uns. Licence interprétative aidant, la terre de la liberté a dégénéré dans le libéralisme et Chateaubriand ne peut que prendre acte de la faillite des idéaux : idéal d’égalité, senti dès l’origine comme un frein à la liberté, idéal de fraternité partant, et jusqu’à l’idéal de liberté lui-même, dévoyé au service d’intérêts particularistes. La voie nouvelle se résout en impasse et Chateaubriand aura au reste manqué à découvrir le passage du Nord-Ouest.

In Go(l)d we trust

  • 11 Mémoires d’outre-tombe, 1, op. cit., p. 331.
  • 12 Baudelaire, « Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages», in Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, (...)
  • 13 Stendhal, Mélanges de littérature, III, op. cit., p. 328.
  • 14 Ibid., p. 321.
  • 15 Et la leçon est la même dans Lucien Leuwen dont le héros n’a pas besoin de se sonder longtemps pour (...)

9Non qu’il n’ait découvert son Amérique pourtant, une Amérique dont la sauvagerie n’appartient pas aux seuls espaces du wilderness : « Un égoïsme froid et dur règne dans les villes : piastres et dollars, billets de banque et argent, hausse et baisse des fonds, c’est tout l’entretien ; on se croirait à la Bourse ou au comptoir d’une grande boutique »11, métonymie que retrouvera Stendhal, avant Baudelaire qui penche pour « un grand établissement de comptabilité »12, pour caractériser ce « pays singulier où l’homme n’est mu que par trois idées : l’argent, la liberté et Dieu »13, d’ailleurs réunis dans la toute-puissance du billet vert quand « un seul mot exprime toute la civilisation de l’Amérique, ce mot est dollars »14. S’il s’agit là du compte-rendu du Voyage en Amérique du Nord du capitaine Hall paru dans Le National du 10 mars 1830, nul doute que Stendhal prenne ces spéculations à son compte, qui informent largement son œuvre romanesque : que Gina explique à Fabrice « le culte du dieu dollar » et le voilà qui renonce à traverser l’Atlantique après avoir un temps envisagé « aller à New York se faire citoyen et soldat républicain en Amérique »15. Non sans conséquences :

  • 16 Stendhal, La Chartreuse de Parme, in Romans et nouvelles, II, Paris, Gallimard, 1948, p. 136.

Ainsi voilà toutes mes illusions à vau-l’eau […], le sacrifice est cruel ! […] je n’avais pas réfléchi à cette horreur pour l’enthousiasme et l’esprit, même exercés à leur profit, qui désormais va régner parmi les souverains absolus.16

  • 17 « Rien ne se rapproche le plus de notre position que la morne Amérique, elle seule peut nous éclair (...)

10L’amertume est à la hauteur des espoirs confiés à la terre promise comme de l’universalité de la déréliction quand l’Amérique, déjà, est devenue le nouvel ordre mondial17. Plus tard, lorsque son enthousiasme aura été douché par les intrigues avilissantes qu’abritent les principautés éclatées italiennes, Fabrice reposera les termes du dilemme des deux Mondes :

De tout ceci, on peut tirer cette morale, que l’homme qui approche de la cour compromet son bonheur, s’il est heureux, et, dans tous les cas, fait dépendre son avenir des intrigues d’une femme de chambre.

  • 18 La Chartreuse de Parme, op. cit., p. 431.

D’un autre côté, en Amérique, dans la république, il faut s’ennuyer toute la journée à faire une cour sérieuse aux boutiquiers de la rue, et devenir aussi bête qu’eux ; et là, pas d’Opéra.18

  • 19 Elle fait paraître ses Domestic Manners of the Americans en 1832 et Stendhal se délecte de sa rosse (...)
  • 20 « Héros » de la Guerre des Creeks (1813), puis de la première guerre séminole (1814), il se fait fo (...)
  • 21 Stendhal, Mélanges de littérature, III, op. cit., p. 326.
  • 22 « Nous sommes civilisés, jusqu’à en être accablés, par la courtoisie et les convenances sociales de (...)

11Mais si les États-Unis sont l’avenir du monde, pour parler comme Chateaubriand, faut-il y voir progrès ou régression ? À moins que l’un n’implique l’autre, comme il ressort du procès fait au progrès et à son contenu tout au long du XIXe siècle. Alors, si l’Amérique accomplit la modernité, elle en désigne aussi les impasses. Sur le plan des mœurs, l’antiaméricanisme de Stendhal se nourrit de la lecture avide de Mrs. Trollope, impitoyable dénonciatrice des travers américains19 de même qu’il procède, sur le plan politique, de ce qui a traversé l’Atlantique de la gouvernance brutale de la présidence Jackson (1829-37) – féroce génocidaire d’Indiens et sabreurs d’ouvriers20 –, pour affirmer, après Basil Hall, que « La civilisation recule aux États-Unis »21 remobilisant l’opposition entre civilisation et culture telle que Kant l’articule dès 1784 dans « Idee zu einer allgemeinen Geschichte in weltburgerlicher Absicht » (« Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique »)22, au moment où la jeune Amérique paraît bien chercher à établir la balance entre culture et civilisation, lesquelles ne peuvent se combiner harmonieusement que si l’éthique personnelle se rencontre avec un code public de valeur propre à assurer « la formation intérieure des esprits des […] citoyens ».

  • 23 Telle est bien l’acception que retient Chateaubriand pour condamner : « La civilisation est montée (...)
  • 24 Stendhal, De l’amour, Paris, Gallimard, 1980, p. 260.
  • 25 La Chartreuse de Parme, op. cit., p. 45
  • 26 Lucien Leuwen, op. cit., p. 855.

12Or, de culture, il n’en est point, sinon celle de l’entreprise et du résultat, aux États-Unis où l’arbitrage s’est fait en faveur des valeurs propres à la civilisation dès le moment de la fondation. La civilisation, soit la face matérielle, tangible et quantifiable du développement23. En matière de croissance, les États-Unis misent sur le Produit Intérieur Brut plutôt que sur l’Indice de Développement Humain, par où ils mettent en question l’idéologie des Lumières et ses fondements. De fait, loin de réaliser le progressisme dans un seul pays et d’acclimater sur leur sol la synthèse heureuse et viable des principes révolutionnaires, la traduction qu’ils en présentent doit, bien plutôt, être regardée comme une cinglante contre-épreuve. C’est que la réalisation de l’humain ne tient pas à la seule liberté politique et en cela Stendhal peut logiquement prévenir : « Ce qu’il faut admirer en Amérique, c’est le gouvernement, et non la société »24, qui parachève en les aggravant les laideurs de la civilisation25 européenne : « Prenez un petit marchand de Rouen ou de Lyon, avare et sans imagination, et vous aurez un Américain »26. Le rêve de nouveau monde vire au mauvais pastiche et, de même que l’Iroquois était porteur des capacités de destruction des deux continents, de même les États-Unis réunissent les travers les plus exécrables des deux mondes : prétention et matérialisme, blason et industrie, distinction et individualisme, dissipation et mercantilisme.

13Alors, la délocalisation n’en est pas une et l’appellation même de Nouveau Monde est une imposture, loin des promesses de la table rase, quand bien même ils n’ont pas de passé, ces Américains qui ont exterminé les natifs et se sont construits sur un meurtre, un double meurtre même, qui ajoute la traite au génocide.

14Qu’elle est loin, l’Amérique de René ! En regardant vers l’Ouest, René ne cherchait que les solitudes des vastes déserts boisés d’une immensité américaine encore largement sauvage, où ensevelir sa destinée de paria rebuté des vastes déserts d’hommes de la vieille Europe. C’est que, comme Rome – et on verra que la comparaison n’a rien d’outré – l’Amérique n’est pas dans l’Amérique mais procède avant tout d’un mythe, incarné dans le rêve américain d’un territoire vierge que l’homme social n’a pas défloré ce par où, mais par où seulement, elle est terre promise.

  • 27 Baudelaire, Fusées, in Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 1975, pp. 665-666.
  • 28 Baudelaire, à Édouard Dentu le 18 février 1866, Correspondance, II, Paris, Gallimard, 1973, p. 607.

15Pour Baudelaire méditant, en 1856, sur les États-Unis, s’imaginer « retourne[r] à l’état sauvage et [aller], à travers les ruines herbues de notre civilisation, chercher notre pâture, un fusil à la main » n’est plus une option depuis que les terres vierges ont été colonisées. Ceci a tué cela et, partant, toute région où vivre quand la civilisation, déjà bourreau de la culture, s’est faite héautontimorouménos, alors « le monde va finir », l’Ancien tombant sous le Nouveau : « nouvelles victimes des inexorables lois morales, nous périrons par où nous avons cru vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous la partie spirituelle que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges ou anti-naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs »27. Aussi « il est temps de dire la vérité […] sur l’Amérique »28, parce que c’est aussi la nôtre.

Manifest Destiny

  • 29 Avec d’autant plus de crédibilité que c’est précisément dans la dernière décennie du XIXe siècle qu (...)
  • 30 La presse de l’époque y insiste : « Quand on considère l’avenir de l’Europe, il s’agit pour cette p (...)

16C’est alors exactement ce à quoi s’emploie Edwin De Léon, qui livre sa Vérité sur les États Confédérés d’Amérique en 1862, bien symptomatique de cette campagne qui se déchaîne, en pleine guerre de Sécession, partie parce que le Second Empire a secrètement épousé la cause du Sud, partie en réaction au triste rigorisme yankee qui offusque depuis longtemps l’art de vivre français, pour accabler l’Unioniste, enraciné puritain qui se tient pour l’élu de Dieu, dénoncé, non plus seulement comme un massacreur d’Indiens, mais bien comme un exterminateur en puissance des Blancs du Sud. Divers experts sonnent alors l’alarme, qui prédisent à brève échéance un effet domino, théorie qui trouvera son plein écho dans la France des années 1880-9029 et qui veut que l’absorption du Sud ne soit que la première étape d’une conquête que l’on commence à craindre universelle et prélude d’abord à l’annexion de l’Amérique latine. Quelques précédents peuvent, il est vrai, le faire craindre parmi lesquels les visées prédatrices de William Walker ne sont pas les moins spectaculaires. Après un coup de main, qui est aussi un coup d’essai, sur les territoires mexicains de la Basse-Californie (1853), dont l’illégalité ne rencontre que de la clémence du côté d’autorités américaines toutes aux doctrines expansionnistes, le flibustier est prêt pour d’autres menées. Ce sera le Nicaragua dont, à la faveur d’une guerre civile où il est embauché comme mercenaire, Walker s’empare, se proclamant président (1856-57) d’un État dont il veut faire une base arrière pour la conquête de nations voisines – Guatemala, Salvador, Honduras, Costa Rica – au profit de colonisateurs Blancs, venus d’Amérique du Nord ou d’Europe. Si elles sont le fait d’aventuriers, de telles entreprises n’en sont pas moins révélatrices d’une politique continue d’agression qui culminera en 1898 avec l’attaque contre les intérêts espagnols à La Havane qui coûtera à l’Espagne, outre Cuba, Porto Rico et les Philippines. Une volonté de puissance qui fait des États-Unis, candidats à la domination universelle et héritiers de son impérialisme, la dernière incarnation de Rome30. Sainte-Beuve l’avait déjà dit, en termes, il est vrai, plus quiétistes :

  • 31 Sainte-Beuve, Volupté, Paris, Charpentier, 1861, pp. 385-386. Et, dans un autre registre, Edmond De (...)

Ô Amérique ! tes rivages sont spacieux comme les solitudes de Rome, tes horizons sont élargis comme ses horizons ; il n’y a qu’elle qu’on puisse comparer à toi pour la grandeur ! Mais tu es illimitée et son cadre est austère ; mais, jeune, tu fourmilles en tous sens dans tes déserts d’hier, et elle est fixe ; tu t’élances en des milliers d’essaims, et l’on dirait qu’elle s’oublie en une pensée. Dans les destinées qui vont suivre et par les rôles que vous représentez, seriez-vous donc ennemies, ô Reines ? N’y aura-t-il pas un jour où devront s’unir en quelque manière inconnue son immutabilité et ta vie, la certitude élevée de son calme et tes agitations inventives, l’oracle éternel et la liberté incessante, les deux grandeurs n’en faisant qu’une ici-bas, et nous rendant l’ombre animée de la Cité de Dieu ? Ou du moins, si le spectacle d’une trop magnifique union est refusé à l’infirmité du monde, du moins est-il vrai que tu contiennes, ainsi qu’on en vient de toutes part à le murmurer, la forme matérielle dernière que doivent revêtir les sociétés humaines à leur terme de perfection ?31

17Rien de nouveau, décidément, sous le soleil, qu’une histoire recuite qui produit l’éternel retour du même, inscrit dans la géographie symbolique qui découle de l’importation dans la toponymie des hauts-lieux de mémoire européens. N’était que, si les signifiants sont conservés, la référence, elle, est perdue, de la Nouvelle-Orléans à New York, de la Louisiane à la Géorgie, laissant perplexe Chateaubriand :

  • 32 Mémoires d’outre-tombe., 1, op. cit., p. 321.

Il y a chez les Muscigulges, les Siminoles, les Chickasas une cité d’Athènes, une autre de Marathon, une autre de Carthage, une autre de Memphis, une autre de Sparte, une autre de Florence ; on trouve un comté de la Colombie et un comté de Marengo : la gloire de tous les pays a placé un nom dans ces mêmes déserts où j’ai rencontré le père Aubry et l’obscure Atala. Le Kentucky montre un Versailles : un territoire appelé Bourbon a pour capitale un Paris.32

  • 33 Ibid., 1, p. 322.

18Antiquité et histoire européenne contemporaine se conjuguent pour conférer à la nouvelle république une épaisseur historique qu’elle n’a pas en elle-même et que renforcent encore les trente-trois grandes routes qui sortent du Capitole washingtonien comme les grandes voies de la Ville éternelle33. Le pot-pourri, programme possible de conquête du monde, s’oppose ici au modèle réduit, au microcosme du macrocosme impérial.

  • 34 Virgile, Énéide, VI, 847-853 : « D’autres, je crois, serviront mieux les arts : forger le bronze / (...)
  • 35 Dans un article déjà gros du principe de la destinée manifeste : « The Great Nation of Futurity », (...)
  • 36 L’article est de l’été 1845, cité dans Nicole Guétin, États-Unis : l’imposture messianique. Genèse (...)
  • 37 Frédéric Gaillardet, L’Aristocratie en Amérique, op. cit., p. 349.

19De même que Rome avait en Virgile, justifiant pour Auguste la vocation à la domination universelle – « Tu as à gouverner le monde, Romain, ce seront là tes beaux-arts » –34, un chantre de sa mission hégémonique, les nouveaux maîtres du monde trouvent en O’Sullivan un thuriféraire de l’impérialisme, mais étatsunien. Translatio imperii à laquelle il travaille dès 183935 avant, en 1845, dans la droite ligne de la vision jacksonnienne du pouvoir, de donner un nom et un contenu à sa doctrine qui confie à la Model Republic des desseins clairement expansionnistes : « Notre destinée manifeste est de recouvrir la totalité du continent alloué par la Providence pour permettre le libre progrès de nos millions d’habitants et de leurs descendance »36, en écho direct aussi aux positions que le président Monroe avait défendues dès 1823 dans son discours sur l’État de l’Union – « l’Amérique aux Américains » –, au risque d’en inquiéter beaucoup : « le ciment de l’Union, ce n’est pas la démocratie […]. Ni les principes énoncés par les Pères Fondateurs. Ce ciment, c’est la doctrine de Monroe, désormais érigée en “dogme national” »37.

New Frontier

20C’est dans ce contexte très polarisé, où ne manquent les investissements ni économiques, ni militaires, ni politiques, ni, plus insidieusement, affectifs, qu’il faut resituer l’œuvre de Jules Verne, plus complexe qu’on ne le dit généralement quant à la vision qu’elle véhicule de l’Amérique et des Américains, même en tenant compte du retournement traditionnellement allégué, qui s’opérerait aux entours de 1886. Dans ce massif très riche que forment les Voyages extraordinaires, l’ancrage américain concerne de quelque manière (nationalité des personnages, localisation de l’intrigue, allusions…) un bon quart des récits. C’est dire toute la fascination qu’exercent les États-Unis sur un Jules Verne qui ne les a cependant visités qu’une fois, en 1867.

  • 38 Jules Verne, De la Terre à la lune, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 22, 28. Dans Autour de la lu (...)
  • 39 Sans dessus dessous, op. cit., p. 89.
  • 40 L’Île à hélice, Paris, Hetzel, 1906, p. 5.
  • 41 La Journée d’un journaliste américain en 2889, Paris, Nautilus, 2001, p. 42 et pour les citations q (...)
  • 42 Octave Noël, Le Péril américain, Paris, de Soye, 1899, p. 41.
  • 43 Gustave Le Rouge, Gustave Guitton, La Conspiration des milliardaires, I, Paris, Ebooks libres et gr (...)

21L’inspiration américaine le travaille pourtant dès avant cette traversée transatlantique, déjà sensible dans les premiers romans. À commencer par De la Terre à la lune, en 1865, qui lance, autour des personnages de Barbicane, Nicholl et Maston, une trilogie, que viendront compléter Autour de la lune en 1870 puis, en 1888, Sans dessus dessous, cycle qui offre un prisme d’autant plus intéressant qu’il couvre ce que les critiques identifient communément comme un tournant, un gap dans la carrière de Jules Verne entre une Amérique de la conquête, positive, scientifique, et une Amérique qui n’est plus qu’impérialiste. Voire, car, sous l’humour, De la Terre à la lune, pourtant rattaché à la première partie de la carrière de Verne, est féroce, qui radicalise à l’extrême les topoi qui prêtent aux Américains un esprit pratique, techniciste, positiviste, marchand, conquérant et brutal en faisant choix, pour héros, d’artilleurs laissés désoccupés par la fin de la guerre de Sécession et qui pensent d’abord susciter quelque guerre en Europe avant d’aller chercher dans l’espace une nouvelle frontière qui ferait de la lune le 37e État de l’Union38. Une escalade récurrente dans les Voyages extraordinaires, et toujours indicielle tant de la bonne santé des États-Unis d’Amérique que de leur farouche volonté de puissance dont Jules Verne note les progrès dans la surenchère de constellations qui orne la bannière étoilée. Quelques années plus tard, ce sera une 39e étoile que Barbicane et ses acolytes du Gun-Club, lancés à l’assaut des pôles, attireront dans leurs rets39. Mais ce n’est rien encore : dans L’Île à hélice (1895), les États-Unis, « dans l’entier épanouissement de leur puissance industrielle et commerciale », ont doublé le nombre d’étoiles du pavillon fédératif en faisant main basse sur Canada, Mexique, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Costa Rica40… jusqu’à le porter au chiffre respectable de 75 dans La Journée d’un journaliste américain en 2889. La Grande-Bretagne compte alors pour l’une de ces étoiles : annexée en 2739, elle est devenue, juste retour des choses, « colonie américaine »41. Dépecée, elle se réduit désormais à Gibraltar et lorsque l’ambassadeur britannique oppose aux maîtres du monde la doctrine Monroe : « toute l’Amérique aux Américains […], mais rien que l’Amérique », il ne s’attire qu’un rire lourd de menace : que l’Angleterre reste à sa place ou l’on pourrait bien faire « naître un casus belli » qui la raye définitivement de la carte. Jules Verne souscrit ici aux analyses d’Octave Noël, inquiet du « péril américain » et qui livre, un an après la crise de Cuba, une réactualisation de la doctrine Monroe : « le monde aux Américains »42. Mais ce n’est pas encore assez et Gustave Le Rouge, habile romancier populaire, prête, cette même année 1899, de plus hardis desseins à son William Boltyn : « L’Américain, bien intentionné pour son temps, qui a posé ce principe : “l’Amérique aux Américains” n’avait que des vues étroites et mesquines. Moi je dis : “l’univers aux Américains !” »43.

22C’est bien ainsi que l’entend Barbicane, prêt à décrocher la lune. L’entreprise se prête à la rencontre de deux imaginaires : l’un positif, l’Amérique, l’autre poétique, la lune, rencontre qui tient de l’attelage comme en témoigne le conflit des registres dès lors qu’on songe à « envoyer un boulet dans l’astre des nuits ». Barbicane n’est pas Méliès et toute la riche littérature sélénite, de Lucien de Samosate à Cyrano de Bergerac, se trouve déphasée, dans la fantaisie de ses envolées, au profit du strict registre belliciste de la conquête, inhérent au dessein même de viser la lune que nourrit ce quarteron d’artilleurs en retraite.

  • 44 De la Terre à la lune, op. cit., p. 93.
  • 45 Cité dans Le Revue des deux Mondes, 97, 1890, p. 455.
  • 46 De la Terre à la lune, op. cit., p. 94.

23Pour des raisons techniques, la base de lancement doit avoisiner le 28e parallèle alors que le nationalisme conquérant exige que l’opération se déroule sur le territoire américain et Maston d’envisager derechef l’annexion du Mexique : « Eh bien ! puisque nos frontières ne sont pas assez étendues […], c’est là un casus belli légitime et je demande que l’on déclare la guerre au Mexique »44. Blaine ne raisonnait pas autrement, dans un registre moins fictif : « De toutes les annexions auxquelles nous sommes en droit de prétendre, celle de Cuba […] est la plus légitime »45. En attendant 1898 et la crise de Cuba, le conflit avec le Mexique a déjà eu lieu, les États-Unis y ont gagné le Texas, que de meilleurs géographes désignent à Maston, avec la Floride, comme deux États américains satisfaisant aux conditions de latitude, rendant conséquemment une déclaration de guerre aux pays voisins « pas nécessaire »46.

  • 47 Ibid., p. 108.

24L’industrie de l’armement trouve néanmoins à s’employer dans la construction de la base, qui offre de riches perspectives de reconversion à une usine qui « pendant la guerre, avait fourni à Parrott ses meilleurs canons de fonte »47.

  • 48 Ibid., p. 152.
  • 49 Ibid., p. 195.
  • 50 Ibid., p. 196.
  • 51 Ibid., p. 197.

25Impossible n’était jusque là pas français, changeant de continent, il s’est vu périmer par le Yes we can du pragmatisme yankee, devant lequel tout cède. La France, pourtant, n’est pas exclue du roman puisque c’est un de ses enfants, Michel Ardan qui réoriente la philosophie du projet, de pure et stérile agression qu’il était – ficher un boulet dans l’œil de Séléné – en conquête de la science, le projectile devant abriter un vol habité. Si sa physionomie trahit le goût pour « les choses surhumaines », en revanche, « la bosse de l’acquisivité, ce besoin de posséder et d’acquérir, lui manquaient cruellement »48. Sa proposition hardie lui vaut la célébrité, qu’entend immédiatement exploiter Barnum, qui lui offre un million de dollars pour l’exhiber de ville en ville49. Sans même tenter celui qui traite ses acolytes du Gun-Club de « meurtriers aimables et savants »50 et plaisante du canon, dont il fait une simple rampe de lancement et non plus une arme de destruction. Le premier, il ose le faux-sens attendu sur l’âme de ces engins, dans lesquels il se refuse à voir autre chose que des bouches à feu – « ne venez jamais me dire qu’ils ont une âme, je ne vous croirais pas »51 –, jouant d’un écart polysémique qui exhibe les ressorts axiologiques supports de deux visions antagonistes du monde. Tout aussi ardent que Barbicane, Michel Ardan a fait la part du feu, qui porte le fer dans les soubassements idéologiques de l’Union.

  • 52 Dont la publication est posthume mais dont il faut sans doute dater la rédaction de 1870.
  • 53 Voir, sur les clivages internes à l’espace européen, une autre histoire de canon, Les cinq cents mi (...)
  • 54 En cela, la plaisanterie paraît bien constituer le dernier refuge de la finesse d’esprit, le stade (...)
  • 55 L’Île à hélice, op. cit., p. 5.

26Jules Verne pose là les bases d’une axiomatique ne varietur qui, du Humbug52 à L’Île à hélice, oppose la civilisation d’Américains compassés, celle, froide, du positif des calculs, qu’ils soient de science ou d’argent, à la culture d’Européens – de Français surtout53 – amis des arts et dont la supériorité réside dans une force tranquille qui ne craint pas le retour sur soi par la distanciation54. Les quatre instrumentistes parisiens de L’Île à hélice, jamais à court de calembours, en font la démonstration, qui élèvent le niveau en surfant sur l’irrésistible ascension d’Américains en progrès permanent, même en matière culturelle puisque, à force d’acheter du beau au poids de l’or, ils ont fini par en être touchés55 faisant, au passage, monter les cours si bien qu’en pleine vogue américaine de la sonate on les paie 20 dollars la blanche, 10 la noire et 5 la croche.

  • 56 Significativement, il contemple le projectile-véhicule « en artiste », De la Terre à la lune, op. c (...)

27Et c’est bien « en artiste »56 qu’Ardan fait la leçon aux artificiers : après que Maston demande, après Barbicane et Nicholl, à être du voyage, il se voit opposer le spectacle horrible des infirmités de son corps, véritable scène de crime(s) :

  • 57 Ibid., p. 197. Voir aussi p. 62.

Songe au cas où nous rencontrerions des habitants là-haut. Voudrais-tu donc leur donner une aussi triste idée de ce qui se passe ici-bas, leur apprendre ce que c’est que la guerre, leur montrer qu’on emploie le meilleur de son temps à se dévorer, à se manger, à se casser bras et jambes, et cela sur un globe qui pourrait nourrir cent milliards d’habitants, et où il y en a douze cents millions à peine ? Allons donc, mon digne ami, tu nous ferais mettre à la porte !57

  • 58 Autour de la lune, op. cit., p. 176 et Sans dessus dessous, op. cit., p. 68, où ils lèvent des fond (...)
  • 59 L’Île à hélice, op. cit., p. 96.

28Maston est donc privé de guerre des étoiles. Quant à nos astronautes, ils ne garderont pas la tête dans les étoiles très longtemps : une fois revenus sur terre, ils n’ont rien de plus pressé que de fonder une société de commandite pour exploiter leur aventure et ne trouvent pas mauvais d’être promenés dans un Barnum géant dans tous les États-Unis58, Barnum dont on retrouve dans l’anagrammatique Munbar de L’Île à hélice l’arrière petit-neveu59, entrepreneur en divertissements pour ce ghetto de nababs qu’est Milliard-City, la capitale de l’île flottante Standard Island où s’est réfugié, actant le dépérissement de l’État, l’individualisme forcené de ces Milliardais qui, pour être tous Américains de naissance, ont renoncé à la qualité de citoyens pour celle d’actionnaires.

Gun Diplomacy

  • 60 Jules Verne, Textes oubliés (1849-1903), Francis Lacassin (éd.), Paris, Union Générale d’Édition, 1 (...)
  • 61 Sans dessus dessous, op. cit., p. 13.
  • 62 Ibid., p. 19.

29Le retournement est patent, du premier opus au dernier volet de la trilogie, de l’aveu même de Jules Verne qui précise dans ce sens ses intentions en justifiant son titre : « sans dessus dessous […] c’est le renversement : ce qui était dessus est dessous. Sans dessus dessous c’est le bouleversement, il n’y a plus de sens »60. Plus de frein non plus quand nos vétérans reprennent du service dans les années 1890 au moment où le gouvernement des États-Unis propose la mise en adjudication des régions circumpolaires non encore découvertes, dont une société américaine sollicite la concession61 dans un document aux termes singuliers puisque une clause stipule la non caducité de la propriété si quelque modification venait à affecter ces lots62.

  • 63 Ibid., pp. 26-27.
  • 64 De la Terre à la lune, op. cit., p. 118.

30Moralement, le narrateur souligne que ces terres devraient revenir aux indigènes qui les peuplent, mais « comment ces pauvres gens auraient-ils payé ? En coquillages, en dents de morses ou en huile de phoque ? Pourtant, il leur appartenait un peu, par droit de premier occupant, ce domaine qui allait être mis en adjudication ! Mais des Esquimaux, des Tchouktchis, des Samoyèdes !… On ne les consulta même pas. Ainsi va le monde ! »63. Pas plus qu’on n’avait consulté les Séminoles avant de les exproprier dans De la Terre à la lune64.

  • 65 Sans dessus dessous, op. cit., p. 55.

31L’Amérique entend ainsi faire main basse sur 407.000 mille carrés, le 1/10e de l’Europe, face à des puissances européennes incapables d’opposer un front commun aux appétits yankees, et quand est mis aux enchères un lot consistant en « continents, mers, détroits, îles, îlots, banquise »65, c’est la North Polar Practical Association qui s’en porte acquéreur.

  • 66 Rabelais, Le Quart-Livre, Genève, Droz, 1947, p. 104.

32Derrière des hommes de paille, Barbicane and co., le Gun-Club. Sans Michel Ardan qui a fait sécession : rendu à l’Europe, il s’est fait planteur de choux, destination bien rabelaisienne et toute philosophique66.

  • 67 Sans dessus dessous, op. cit., p. 75.

33Cette fois, les associés trouvent comme dérivatif au repos du guerrier un but commercial : « si la Société avait acquis cette portion des régions circumpolaires, c’était dans le but d’exploiter… les houillères du Pôle boréal »67. La course à la croissance dans une société d’avant la transition énergétique laisse espérer des perspectives fabuleuses à qui sait sécuriser les ressources stratégiques, soumises à la pression anthropique :

  • 68 Ibid., p. 78.

Les gens avisés, qui se préoccupent de l’avenir, même quand il se chiffre par plusieurs centaines d’années, doivent donc rechercher les charbonnages partout où la prévoyante nature les a formés aux époques géologiques.68

  • 69 Ibid., p. 79.
  • 70 Ibid., p. 130. Si les saisons sont égalisées, la fonte des glaces des pôles n’est toujours pas d’ac (...)
  • 71 Sans dessus dessous, op. cit., p. 131.

34« Mais, alors, il y aurait des fortunes à gagner en exploitant les régions polaires »69 réalisent les moins avisés. Et plus encore qu’on ne croit, pour peu que joue la clause mystérieuse du titre de concession qui ménage la possibilité d’altérer la nature de ces biens. Quels ne seraient pas les bénéfices si cette exploitation pouvait être rationalisée jusqu’à optimiser la productivité au point de supprimer toute morte saison ? Car rendre « la Terre plus hygiéniquement habitable, et aussi plus productive, puisqu’on pourra semer dès qu’on aura récolté, et que, le grain germant sans retard, il n’y aura plus de temps perdu en hiver ! »70, tel est bien le projet que caressent Barbicane et les siens, ces « bienfaiteurs de l’humanité »71.

35C’est du moins ainsi qu’on les regarde jusqu’à ce qu’on apprenne par quels moyens ils comptent modifier l’axe de rotation de la Terre pour organiser sa mise en coupe réglée :

  • 72 Ibid., p. 164.

Ainsi, après le canon employé pour lancer un projectile de la Terre à la Lune, le canon employé pour modifier l’axe terrestre ! Le canon ! Toujours le canon ! Mais ils n’ont donc pas autre chose en tête, ces artilleurs du Gun-Club ! Ils sont pris de la folie du « cannonisme intensif » ! Ils font donc du canon l’ultima ratio en ce monde ? Ce brutal engin est-il donc le souverain de l’univers ? De même que le droit canon règle la théologie, le roi canon est-il le suprême régulateur des lois industrielles et cosmologiques.72

  • 73 Milton, Paradis perdu, livre X.
  • 74 Sans dessus dessous, op. cit., p. 198.
  • 75 Ibid., p. 201.

36Si d’aucuns peuvent voir dans ce printemps perpétuel un écho direct du Paradis perdu de Milton73, qui corrèle le désaxement de la Terre au péché originel, il n’est pas interdit d’y voir l’anticipation d’un autre Milton, Friedman, qui solidarise, lui, Capitalisme et liberté. Si ce n’est que la Liberté du choix est plus que discutable, comme il ressort des projections qu’entreprend aussitôt le bureau des Longitudes pour évaluer l’impact dévastateur de cette diplomatie de la canonnière qui, partageant le monde entre asphyxiés et inondés, met l’œkoumène à feu et à sang : New York, Philadelphie, Lisbonne, Madrid, Paris, Londres ou Dublin74 sont promises à la suffocation quand un déluge doit emporter Russie asiatique, Inde, Chine, Japon et Alaska. Cela si « le président Barbicane n’est pas arrêté à temps dans sa criminelle tentative »75.

  • 76 Ibid., p. 146.
  • 77 Ibid., p. 160.

37Voilà nos bienfaiteurs devenus des « êtres dangereux pour la sécurité des deux Mondes »76, d’« audacieux malfaiteurs »77, au point que le gouvernement fédéral, saisi, doit s’entremettre pour déclarer wanted Barbicane et Nicholl, partis préparer leur coup en secret. Reste l’inflexible Maston, qui use du 5e amendement pour dérober ses complices à la vindicte populaire. Et tant pis si on lui oppose un devoir moral envers l’humanité. Cette humanité qui, si elle peut dormir tranquille, le doit à une femme, la tendre Évangelina logiquement porteuse de bonne nouvelle qui, poursuivant Maston de ses assiduités, est cause d’une distraction qui fausse ses calculs et dévie la trajectoire ! Le facteur humain a eu raison de l’algébriste : peu versé en littérature, il ne pouvait savoir que la femme est l’avenir de l’homme.

Full-Spectrum Dominance

  • 78 Voir son livre True Americanism, 1897.

38Au tournant des XIXe et XXe siècles, l’œuvre de Jules Verne témoigne de la résonance que trouvent les valeurs défendues par Theodore Roosevelt, depuis la promotion de l’americanism78 en 1897 jusqu’à son fameux discours de 1901 : « speak softly and carry a big stick ».

  • 79 La Journée d’un journaliste américain en 2889, op. cit., p. 32.
  • 80 Ibid., p. 33.
  • 81 Ibid., p. 41.

39Le maître du monde existe, qui n’a plus même besoin d’un arsenal pour appuyer sa domination, comme encore Barbicane ou Robur : en ces temps de rationalisation, il est plus économique d’user de soft power. Le vrai maître du monde partant, c’est Francis Bennett, lointain descendant du fondateur du Herald Tribune, Gordon Bennett, véritable Citizen Kane à la tête d’un empire de presse chez qui viennent ramper les politiques du monde entier. En 2889, la mondialisation est passée par là puisqu’il préside aux destinées du Earth Tribune, qui a suivi le gouvernement des États-Unis, « à moins que ce soit le gouvernement qui ait suivi le journal »79 dans sa nouvelle capitale de Centropolis. Le quatrième pouvoir, maintenant radiodiffusé, dirige l’opinion, véritable world company : « les plénipotentiaires de toutes les nations […] se pressaient à sa porte, mendiant ses conseils, quêtant son approbation, implorant l’appui de son tout-puissant organe »80. Bennett décide de l’échiquier politique, qui contre la montée du péril jaune en pesant sur les Chinois pour qu’ils instaurent une politique de contrôle des naissances, sous peine de mort pour les contrevenants81.

  • 82 Octave Noël, Le Péril américain, op. cit., p. 38.
  • 83 Ibid., p. 39.
  • 84 L’Île à hélice, op. cit., pp. 399-400.
  • 85 Ibid., p. 301.

40Des préoccupations très contemporaines qui montrent que cette fiction n’est délocalisée dans un lointain futur que pour mieux dessiner l’avenir d’un monde où est acté que ce ne sont plus les autorités publiques qui tiennent les rênes du pouvoir, mais bien les trusts, forts de la toute puissance du capital. Des affaires dépendent les affaires étrangères, conduites à coup de big stick. Ainsi le conflit de 1898 a-t-il « pris naissance dans les trusts et dans ces clubs de spéculateurs en sucre et en tabac de New York, dans les fabriques de cigares de la Floride »82, déçus que l’Amérique latine leur ait échappé lors du Congrès panaméricain de 1890 et se qui rattrapent alors sur la « clé du golfe du Mexique et du futur canal transocéanique »83. Déjà, Walker ouvrait des marchés pour Cornelius Vanderbilt ou Charles Morgan et Barbicane, devenu chef d’entreprise, double éhontément son propre gouvernement de même que le William Boltyn de Le Rouge prend la tête d’une Conspiration des milliardaires pour diligenter l’asservissement de l’Europe, soumise aux intérêts de ces capitalistes. Pour parvenir à ces fins, tous les moyens sont bons, jusqu’au déploiement d’une armée d’automates qu’appuie un régiment d’hypnotiseurs, et le bien public compté pour rien. La parabole de l’île à hélice, coulée d’être, jusqu’au vertige, soumise au greed, dans l’implacable compétition de tycoons incurablement égoïstes, ne laisse pas planer le doute : « ce sont eux les coupables »84, « ces malfaisants nababs de Milliard-City »85.

  • 86 Que Thiers fait d’abord interdire au titre que la pièce « blesserait vivement une nation amie ».

41Ce ne sont plus les formes institutionnelles de la démocratie qu’incarnent les États-Unis : Oncle Sam, la pièce éponyme de Victorien Sardou l’avait montré en 1873 sous forme violemment pamphlétaire86, emblématise désormais un modèle de société gouverné par un capitalisme sauvage encouragé par l’éthique protestante dont Jules Verne pointe les dérives, lui qui sera l’un des premiers à traduire dans ses fictions l’inquiétude que soulève, non pas seulement le machinisme débridé qui est tout sauf un humanisme, mais bien le militarisme forcené de la puissance américaine.

42Si l’on regarde généralement Jules Verne comme un précurseur en matière de sciences, on oublie trop souvent qu’il l’est également en matière de mœurs, l’un n’allant pas sans l’autre. En l’espèce, le miroir qu’il tend aux États-Unis renvoie l’image peu flattée que s’en font les contemporains, pas si éloignée, peut-être, de la perception qu’en a aujourd’hui le reste du monde : le Nouveau Monde a failli, reste à construire un monde nouveau.

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Notes

1 Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1, Paris, Le Livre de poche, 1973, p. 238-239.

2 Ibid., 1, p. 255.

3 Ibid., 1, p. 268.

4 Ibid., 1, p. 269.

5 « L’Iroquois […] ne fut point étonné des armes à feu, lorsque pour la première fois on en usa contre lui ; il tint ferme au sifflement des balles et au bruit du canon, comme s’il les eût entendus toute sa vie ; il n’eut pas l’air d’y faire plus d’attention qu’à un orage. Aussitôt qu’il se put procurer un mousquet, il s’en servit mieux qu’un Européen. Il n’abandonna pas pour cela le casse-tête, le couteau de scalpe, l’arc et la flèche ; mais il ajouta la carabine, le pistolet, le poignard et la hache », ibid., 1, p. 288.

6 Ibid., 1, p. 307.

7 Ibid., 1, p. 324.

8 Ibid., 1, p. 323. Et Stendhal, une fois n’est pas coutume, ne pourra qu’être d’accord avec lui : « Dès l’âge de cinq ans, un enfant est utile à ses parents. Il ne faut donc pas espérer que ces jeunes Américains liront Virgile, ni même Shakespeare », Mélanges de littérature, III, Paris, Le Divan, 1933, p. 323.

9 Mémoires d’outre-tombe 1, op. cit., p. 329-330.

10 Mais pour le seul homme blanc puisqu’il faut attendre 1865 et la victoire du Nord abolitionniste sur les Confédérés pour qu’un nouvel amendement défende une interprétation plus égalitaire des libertés. Sur le papier du moins quand, en 1888, Jules Verne voit dans les États-Unis « un pays où l’égalité n’est pas une vaine formule, du moins entre types de race blanche », Sans dessus dessous, Paris, Magnard, 2002, p. 92.

11 Mémoires d’outre-tombe, 1, op. cit., p. 331.

12 Baudelaire, « Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages», in Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, 1976, p. 259.

13 Stendhal, Mélanges de littérature, III, op. cit., p. 328.

14 Ibid., p. 321.

15 Et la leçon est la même dans Lucien Leuwen dont le héros n’a pas besoin de se sonder longtemps pour conclure : « Je m’ennuierais en Amérique, au milieu d’hommes parfaitement justes et raisonnables, si l’on veut, mais grossiers, mais ne songeant qu’aux dollars », in Romans et nouvelles, I, Paris, Gallimard, 1952, p. 822.

16 Stendhal, La Chartreuse de Parme, in Romans et nouvelles, II, Paris, Gallimard, 1948, p. 136.

17 « Rien ne se rapproche le plus de notre position que la morne Amérique, elle seule peut nous éclairer un peu sur notre avenir », Stendhal, Mélanges de littérature, III, op. cit., p. 276.

18 La Chartreuse de Parme, op. cit., p. 431.

19 Elle fait paraître ses Domestic Manners of the Americans en 1832 et Stendhal se délecte de sa rosserie.

20 « Héros » de la Guerre des Creeks (1813), puis de la première guerre séminole (1814), il se fait fort de vider l’Est du continent des Indiens, dont les terres seraient données en partage aux pionniers dans son discours inaugural en tant que président des États-Unis (1829). Des paroles qui ne resteront pas lettre morte puisque sera voté aussitôt l’Indian Removal Act qui prévoit la déportation des Indiens de la côte Est dans des réserves situées à l’Ouest du Mississippi, inaugurant la fameuse « piste des larmes ». « Démocratie jacksonienne » peu susceptible de séduire un public français qui applaudit aux exploits du Dernier des Mohicans et se prend de passion pour la prairie de Fenimore Cooper. De même, l’auteur de Lucien Leuwen (1834-35) dont le héros répugne à exécuter des missions de basse police contre des canuts qui meurent de faim ne peut qu’être choqué par l’emploi que, le premier, cette même année 1834, Jackson fait de l’armée, envoyée briser les grèves ouvrières.

21 Stendhal, Mélanges de littérature, III, op. cit., p. 326.

22 « Nous sommes civilisés, jusqu’à en être accablés, par la courtoisie et les convenances sociales de toutes sortes. Mais se tenir déjà pour moralisés, il s’en faut encore de beaucoup. Car l’idée de la moralité appartient bien à la culture, mais la mise en œuvre de cette idée, qui se réduit à l’apparence de moralité, par la noble ambition et par la bienséance extérieure, constitue simplement la civilisation ».

23 Telle est bien l’acception que retient Chateaubriand pour condamner : « La civilisation est montée à son plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale ; on n’arrive à la création des peuples que par les routes du ciel : les chemins de fer nous conduiront seulement avec plus de rapidité à l’abîme », Mémoires d’outre-tombe, 3, op. cit., p. 15-16.

24 Stendhal, De l’amour, Paris, Gallimard, 1980, p. 260.

25 La Chartreuse de Parme, op. cit., p. 45

26 Lucien Leuwen, op. cit., p. 855.

27 Baudelaire, Fusées, in Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, 1975, pp. 665-666.

28 Baudelaire, à Édouard Dentu le 18 février 1866, Correspondance, II, Paris, Gallimard, 1973, p. 607.

29 Avec d’autant plus de crédibilité que c’est précisément dans la dernière décennie du XIXe siècle que la puissance industrielle américaine dépasse pour la première fois celle de l’Angleterre, pour ne rien dire de sa force de frappe militaire, maritime singulièrement.

30 La presse de l’époque y insiste : « Quand on considère l’avenir de l’Europe, il s’agit pour cette partie du monde civilisé de bien autre chose que d’esclavage et d’émancipation des nègres dans cette lutte déjà trop prolongée. Les Américains du Nord établiront-ils sur tout le continent transatlantique une domination semblable à celle que les Romains fient peser sur le monde ? », Alfred Mercier, Du panlatinisme, Paris, Librairie Centrale, s. d. [1863], p. 19. Au regard de ces enjeux, la cause des esclaves attendra.

31 Sainte-Beuve, Volupté, Paris, Charpentier, 1861, pp. 385-386. Et, dans un autre registre, Edmond Demolins confirme que c’est bien désormais aux États-Unis qu’il faut chercher la « race qui semble vouloir succéder à l’Empire romain dans le gouvernement du monde », À quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ?, Paris, Didot, 1897, p. ii.

32 Mémoires d’outre-tombe., 1, op. cit., p. 321.

33 Ibid., 1, p. 322.

34 Virgile, Énéide, VI, 847-853 : « D’autres, je crois, serviront mieux les arts : forger le bronze / Tirer du marbre mort l’image de la vie / À la barre, ils plaideront mieux ; les mouvements du ciel / Obéiront à leurs calculs, les astres à leur voix / Romain, qu’il t'en souvienne, à toi de gouverner le monde / Voilà tes arts à toi : dicter les conduites de paix / Honorer tes sujets, réduire les superbes » (trad. J. Perret).

35 Dans un article déjà gros du principe de la destinée manifeste : « The Great Nation of Futurity », The United States Magazine and Democratic Review, VI, nov. 1839, p. 426-439.

36 L’article est de l’été 1845, cité dans Nicole Guétin, États-Unis : l’imposture messianique. Genèse et sources, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 14.

37 Frédéric Gaillardet, L’Aristocratie en Amérique, op. cit., p. 349.

38 Jules Verne, De la Terre à la lune, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 22, 28. Dans Autour de la lune, il s’agira d’ajouter un quarantième État à l’Union, Paris, Hetzel, 1893, t. 2, p. 76.

39 Sans dessus dessous, op. cit., p. 89.

40 L’Île à hélice, Paris, Hetzel, 1906, p. 5.

41 La Journée d’un journaliste américain en 2889, Paris, Nautilus, 2001, p. 42 et pour les citations qui suivent.

42 Octave Noël, Le Péril américain, Paris, de Soye, 1899, p. 41.

43 Gustave Le Rouge, Gustave Guitton, La Conspiration des milliardaires, I, Paris, Ebooks libres et gratuits, 2009, p. 24-25.

44 De la Terre à la lune, op. cit., p. 93.

45 Cité dans Le Revue des deux Mondes, 97, 1890, p. 455.

46 De la Terre à la lune, op. cit., p. 94.

47 Ibid., p. 108.

48 Ibid., p. 152.

49 Ibid., p. 195.

50 Ibid., p. 196.

51 Ibid., p. 197.

52 Dont la publication est posthume mais dont il faut sans doute dater la rédaction de 1870.

53 Voir, sur les clivages internes à l’espace européen, une autre histoire de canon, Les cinq cents million de la Bégum (1879) où les visées belliqueuses de la Stahlstadt d’Herr Schultze contre la Franceville, cité idéale, du docteur Sarrasin ont des airs de Grosse Bertha.

54 En cela, la plaisanterie paraît bien constituer le dernier refuge de la finesse d’esprit, le stade suprême de la culture. Elle est bien évidemment ultimement française, pour ne pas dire parisienne.

55 L’Île à hélice, op. cit., p. 5.

56 Significativement, il contemple le projectile-véhicule « en artiste », De la Terre à la lune, op. cit., p. 203.

57 Ibid., p. 197. Voir aussi p. 62.

58 Autour de la lune, op. cit., p. 176 et Sans dessus dessous, op. cit., p. 68, où ils lèvent des fonds en s’exhibant comme des phénomènes de foire

59 L’Île à hélice, op. cit., p. 96.

60 Jules Verne, Textes oubliés (1849-1903), Francis Lacassin (éd.), Paris, Union Générale d’Édition, 1979, p. 181.

61 Sans dessus dessous, op. cit., p. 13.

62 Ibid., p. 19.

63 Ibid., pp. 26-27.

64 De la Terre à la lune, op. cit., p. 118.

65 Sans dessus dessous, op. cit., p. 55.

66 Rabelais, Le Quart-Livre, Genève, Droz, 1947, p. 104.

67 Sans dessus dessous, op. cit., p. 75.

68 Ibid., p. 78.

69 Ibid., p. 79.

70 Ibid., p. 130. Si les saisons sont égalisées, la fonte des glaces des pôles n’est toujours pas d’actualité en 2889, La Journée d’un journaliste américain en 2889, op. cit., p. 47.

71 Sans dessus dessous, op. cit., p. 131.

72 Ibid., p. 164.

73 Milton, Paradis perdu, livre X.

74 Sans dessus dessous, op. cit., p. 198.

75 Ibid., p. 201.

76 Ibid., p. 146.

77 Ibid., p. 160.

78 Voir son livre True Americanism, 1897.

79 La Journée d’un journaliste américain en 2889, op. cit., p. 32.

80 Ibid., p. 33.

81 Ibid., p. 41.

82 Octave Noël, Le Péril américain, op. cit., p. 38.

83 Ibid., p. 39.

84 L’Île à hélice, op. cit., pp. 399-400.

85 Ibid., p. 301.

86 Que Thiers fait d’abord interdire au titre que la pièce « blesserait vivement une nation amie ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Laure Lévêque, « L’Amérique, Nouveau Monde ou avenir d’une illusion ? XVIIIe-XXIXe s »Babel, 28 | 2013, 125-148.

Référence électronique

Laure Lévêque, « L’Amérique, Nouveau Monde ou avenir d’une illusion ? XVIIIe-XXIXe s »Babel [En ligne], 28 | 2013, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 13 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/3499 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/babel.3499

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