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Notes de lecture

Zhan Yubing, Xiandai yu zhengyi. Wanqing minguo zhentan xiaoshuo yanjiu [Modernité et justice. Étude sur les romans policiers à la fin des Qing et dans la République de Chine], Shanghaï, Shanghai shehui kexueyuan chubanshe, 2022, 256 p.

Yang Zhen
p. 309-313

Testo integrale

1Les écrivains de l’époque du 4 Mai et les historiographes officiels de la littérature chinoise moderne cantonnent la littérature populaire à une littérature commerciale divertissante, alors que les chercheurs chinois d’aujourd’hui s’attachent à démontrer que cette littérature a en réalité contribué à la construction des valeurs républicaines dans la société chinoise d’avant 1949. C’est dans cette veine que s’incrit Xiandai yu zhengyi. Wanqing minguo zhentan xiaoshuo yanjiu [Modernité et justice. Étude sur les romans policiers à la fin des Qing et dans la République de Chine] (abrégé ci-dessous en Xiandai yu zhengyi), publié par Zhan Yubing en 2022.

2L’ouvrage est divisé en quatre parties : « Chevalerie chinoise et justice », « Détectives et métropoles », « Histoire centenaire des romans policiers en tant que genre littéraire » et « Technologie et légende ». Dans la première partie, Zhan Yubing s’intéresse à une différence fondamentale entre romans policiers occidentaux et romans chinois traditionnels au sujet des cas judiciaires : dans les premiers, le jugement s’appuie sur le raisonnement, alors que dans les seconds, on juge parfois en comptant sur la peine ou la sorcellerie. À la fin des Qing et au début de la République, les romans policiers chinois combinent tradition et modernité. Arsène Lupin, à la fois chevalier et criminel dans l’œuvre originale, est transformé par les traducteurs et critiques chinois en pur chevalier, voire en patriote engagé. La deuxième partie aborde les liens entre romans policiers et métropoles, la résistance à la raison par certains auteurs chinois de romans policiers, les dancings et les danseuses dans les romans policiers, l’intertextualité entre films et romans policiers. Dans la troisième partie, l’auteur étudie sur cent ans l’évolution des romans policiers chinois, à travers la réception d’Agatha Christie en Chine et la révolution introduite par l’écrivain Xiaobai dans ce genre littéraire. La quatrième partie révèle la dimension à la fois légendaire et raisonnable des romans policiers à partir de sujets comme la tuerie commise par des animaux ou le jugement de cas fondé sur l’horaire des trains ou sur des photos.

3La « justice » est l’un des mots clés de l’ouvrage. L’auteur distingue la justice littéraire de la justice législative. Selon lui, les romans policiers occidentaux critiquent la société, supportant ainsi l’idée d’une justice littéraire qui se différencie de la justice législative. Alors qu’aux yeux des auteurs de la fin des Qing tels que Lin Shu (1852-1924) et Zhou Guisheng (1873-1936), les romans policiers occidentaux incarnent la justice législative en se fondant sur la logique et le raisonnement. Pour ces écrivains chinois, traduire les romans policiers occidentaux contribuerait à la modernisation de la législation de l’Empire du Milieu.

4Cette interprétation des romans policiers occidentaux démontre l’influence exercée par la transculturalité sur le sens des textes. La même influence se manifeste dans la transfiguration d’Arsène Lupin en Chine. Ce dernier a d’abord été présenté aux lecteurs chinois comme un cambrioleur. L’image se modifie avec la parution en Chine de Yasen Luoping an quanji [Œuvres complètes sur Arsène Lupin] (Shanghaï, Dadong shuju, 1925), qui impose l’image d’un Lupin chevalier avant d’être cambrioleur. Depuis, c’est l’image de Lupin chevalier qui a triomphé, son côté cambrioleur passant aux oubliettes. Des romans chinois inspirés de Lupin rapprochent quant à eux les détectives des paladins chinois des romans de cape et d’épée, tout en intégrant certaines nuances. Si, pour ces derniers, voler les riches pour secourir les pauvres renvoie à la volonté de mettre en pratique la morale céleste, pour Lu Bin sous la plume de He Puzhai, il ne s’agit que d’un divertissement. Deux autres personnages dérivés de Lupin, Lu Ping, créé par Sun Liaohong (1897-1958), et Nanfang Yan, par Liu Cunren, se distinguent quant à eux des chevaliers chinois traditionnels par leur patriotisme.

5Citant Jeffrey C. Kinkley, l’auteur avance que, faute de connaissances sur les failles de la structure sociale, les romans policiers chinois imputent souvent le mal aux problèmes des individus et non à la société. Contestant rarement la légitimité de la législation, les écrivains chinois cherchent peu à mettre en avant une justice littéraire qui s’oppose à la justice législative. Toutefois, Lu Ping, évoqué plus haut, semble faire exception. Chez lui, affirme Zhan Yubing, « l’esprit des lois cède dans une certaine mesure à celui des chevaliers chinois traditionnels ». Est-ce parce que Sun Liaohong, créateur de Lu Ping, est plus conscient que ses contemporains des problèmes législatifs chinois ? Et cette conscience, si elle existe, procède-t-elle d’un projet de diffusion de connaissances générales sur le droit, à travers, par exemple, encyclopédies ou collections de la République de Chine, où la Constitution remplace la volonté personnelle de l’Empereur ? Faut-il voir dans la construction d’un système législatif moderne dans la République la raison pour laquelle, contrairement aux écrivains de la fin des Qing, les auteurs de la République ne considèrent plus les romans policiers occidentaux comme une source de modernisation de la législation chinoise ? Autant de questions qui intéressent tant l’histoire du savoir que celle du droit.

6Outre la question de la justice, les études sur la culture métropolitaine constituent un autre fil conducteur de l’ouvrage de Zhan Yubing. L’auteur montre que la transformation de Lu Ping d’homme élégant et romantique en un personnage triste et nostalgique s’explique par les difficultés économiques croissantes connues par Sun Liaohong. Celui-ci, comme le signale Zhan Yubing, fait partie des écrivains shanghaïens habitant une « tingzi jian », soit une sorte de chambre de bonne construite au-dessus de la cuisine, derrière le fond de la salle principale. Une partie des « écrivains de tingzi jian » ont plus tard quitté Shanghaï pour Yan’an, base des communistes avant 1949, pour devenir des révolutionnaires. Les chercheurs leur accordent une attention particulière, Mao Zedong les ayant crédités d’avoir traversé deux périodes historiques, la première dominée par propriétaires fonciers et bourgeois, la seconde par les communistes. Alors que les « écrivains de tingzi jian » qui ont choisi de rester à Shanghaï, parmi lesquels Sun Liaohong, sont largement négligés. Or, pour Zhan Yubing, ils ne sont pas moins révolutionnaires que les premiers. Ayant connu une vie difficile dans les bas-fonds de la société shanghaïenne, ils formulent une critique sociale qui peut être indirecte ou masquée sous les dehors d’une littérature divertissante. Cette littérature fait parfois office de trompe-l’œil, dissimulant une position engagée. C’est le cas, comme le démontre l’auteur de Xiandai yu zhengyi, de la revue Wanxiang [Panorama], fondée en 1941 à Shanghaï sous le contrôle strict des Japonais.

7L’attention accordée à la culture métropolitaine conduit Zhan Yubing à explorer l’intertextualité entre films et romans policiers dans la République de Chine. Sun Liaohong, révèle l’auteur de Xiandai yu zhengyi, emprunte certains épisodes aux films alors les plus en vogue pour que ses romans parlent davantage aux lecteurs. En outre, le traitement de ses scènes de crime se rapproche du découpage des films d’horreur hollywoodiens, recherchant par là des effets de suspens. Lu Dan’an (1894-1980), quant à lui, est à la fois auteur de romans policiers et adaptateur de films policiers en romans. En effet, au début des années 1920, les films policiers étrangers introduits en Chine, souvent muets, ne sont pas toujours faciles à comprendre pour les Chinois. Les adapter en romans sert alors la diffusion de ces films, ce pourquoi un film et le roman qui en est tiré peuvent apparaître dans la même publicité. Cette adaptation relève-t-elle d’une traduction fidèle ou d’une recréation ? Y a-t-il un lien entre les supports originels et les romans sortis de la plume de Lu Dan’an ? Ces questions de réception méritent une étude approfondie.

8Relativement aux études de réception, l’auteur s’en tient à ce que nous pourrions qualifier de « poétique métropolitaine ». Il fait observer que, dans sa description des dancings shanghaïens, Sun Liaohong assimile certaines techniques du néo-sensationnisme, une école littéraire moderniste qui s’attache à rendre l’expérience des bouleversements de la vie métropolitaine. Pour Zhan Yubing, le roman policier est un genre littéraire urbain, l’anonymat des villes favorisant les crimes, lesquels inspirent en retour les romans.

9L’auteur rapproche les dangers de la vie shanghaïenne des expériences de choc au sens que leur donne Walter Benjamin, ce qui, à nos yeux, témoigne de la volonté de rapprocher Shanghaï des métropoles occidentales. En effet, depuis les années 1980, de nombreuses études culturelles occidentales, parmi lesquelles Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme de Benjamin, ont été traduites en chinois quand, parallèlement, des auteurs s’intéressent au côté métropole internationale de la Shanghaï d’avant 1949. Leo Ou-fan Lee, auteur de Shanghaï Modern: The Flowering of a New Urban Culture in China, 1930–1945 [Shanghaï moderne. Une nouvelle culture métropolitaine en Chine 1930-1945], en est un exemple. Une telle perspective devait servir la revalorisation des valeurs culturelles incarnées par Shanghaï, dans le contexte de la révolution communiste chinoise où la ville était réduite à un lieu de dépravation morale. Aujourd’hui, dans le milieu universitaire comme sur Internet, l’occidentalisation de Shanghaï constitue un sujet très populaire, alors que le côté chinois de la ville est largement négligé. S’intéresser davantage aux spécificités chinoises de Shanghaï, plutôt qu’aux traits qu’elle partage avec d’autres grandes villes du monde, devrait permettre de mieux cerner la culture shanghaïenne. Il faudrait à cette fin associer une étude historique et sociologique à la perspective culturelle adoptée. Ainsi, relativement aux expériences de choc qu’évoque à plusieurs reprises Zhan Yubing, qui y voit comme un trait d’union reliant Shanghaï et les grandes villes occidentales, du point de vue de l’histoire de la psychologie, les Shanghaïens se sentaient-ils vraiment moins en sécurité que des ruraux ? Ou n’est-ce pas plutôt le contraire quand, autour de Shanghaï, régnaient alors la corruption, le désordre et la misère de la vaste campagne chinoise ? La question mérite d’être étudiée, d’autant que, aujourd’hui encore, une mentalité progressiste caractérise toujours les Shanghaïens et les Chinois en général, pressés d’embrasser la civilisation métropolitaine.

10Dans l’ensemble, Xiandai yu zhengyi témoigne d’un regard original et perspicace porté par l’auteur sur la modernité des romans policiers de la fin des Qing et dans la République de Chine. L’auteur étudie une littérature dans l’histoire, mais sa préoccupation est universelle. S’il s’intéresse aux romans policiers, affirme-t-il, c’est parce que la raison et la logique, essentielles pour les détectives, le sont également pour les chercheurs. En réalité, la raison et la logique, base de l’esprit critique, sont aussi essentielles pour la modernisation d’un pays. En ce sens, Xiandai yu zhengyi donne à réfléchir sur le monde d’aujourd’hui, déchiré entre tradition et modernité.

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Riferimento cartaceo

Yang Zhen, «Zhan Yubing, Xiandai yu zhengyi. Wanqing minguo zhentan xiaoshuo yanjiu [Modernité et justice. Étude sur les romans policiers à la fin des Qing et dans la République de Chine], Shanghaï, Shanghai shehui kexueyuan chubanshe, 2022, 256 p.»Babel, 47 | 2023, 309-313.

Riferimento elettronico

Yang Zhen, «Zhan Yubing, Xiandai yu zhengyi. Wanqing minguo zhentan xiaoshuo yanjiu [Modernité et justice. Étude sur les romans policiers à la fin des Qing et dans la République de Chine], Shanghaï, Shanghai shehui kexueyuan chubanshe, 2022, 256 p.»Babel [Online], 47 | 2023, Messo online il 30 juin 2023, consultato il 11 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/14709; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/babel.14709

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Yang Zhen

Université Fudan

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