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Notes de lecture

Yang Zhen, La Littérature française dans les revues littéraires chinoises entre 1917 et 1937, Paris, Honoré Champion, coll. « Littératures étrangères » (33), série « Route de la soie » (7), sous la direction de Béatrice Didier et Catherine Mayaux, 2022, 749 p.

Isabelle Rabut
p. 285-288

Texte intégral

  • 1 Han Yiyu, Qingmo minchu hanyi Faguo wenxue yanjiu (1897-1916) [Étude sur la littérature française t (...)

1La littérature française a été introduite en Chine dès la fin de la dynastie des Qing, et l’intérêt qui lui est porté n’a pas faibli des années 1910 aux années 1930. Les dates choisies par Yang Zhen pour son enquête, 1917-1937, correspondent en gros aux deux premières décennies de la nouvelle littérature chinoise, dont l’essor s’est nourri des littératures étrangères. Chronologiquement, son étude prend la suite de l’ouvrage de Mme Han Yiyu, non traduit en français, qui traitait de la période 1897-19161. Comme Mme Han, Yang Zhen s’appuie donc sur les revues pour étudier l’impact de la littérature française, observé tant à travers les traductions que par le biais des commentaires et des débats qu’elle a suscités. Ce choix est parfaitement justifié au vu du rôle prééminent que journaux et revues, souvent associés à des cénacles littéraires reflétant des positions esthétiques et politiques divergentes, ont joué dans la vie littéraire chinoise de l’époque.

2L’ensemble est divisé en cinq parties : après une présentation générale de la place faite à la littérature française dans les revues chinoises, Yang Zhen traite de sa réception par siècle, en choisissant pour chacun d’eux un ou plusieurs auteur(s) représentatif(s). Cette organisation judicieuse lui permet de faire ressortir de grandes problématiques sans se perdre dans le foisonnement des auteurs traduits. Les huit auteurs finalement retenus l’ont été en fonction de la fréquence avec laquelle leurs noms apparaissent dans les articles critiques et du nombre de traductions de leurs œuvres attestées durant ces vingt ans. Mais d’autres écrivains français sont évoqués dans le corps de l’ouvrage lorsque le discours tenu sur eux par tel ou tel critique chinois contribue à éclairer sa vision littéraire.

3La première partie fournit des données concrètes (statistiques, noms des écrivains) concernant la traduction des auteurs français durant la période considérée (chapitre 1), puis propose un aperçu, siècle par siècle, des travaux consacrés à la littérature française au cours de la même période (chapitre 2). Cette première étude panoramique permet de constater le nombre important d’auteurs cités et de se familiariser avec les grandes lignes de l’approche critique chinoise.

4Commence alors l’étude de la réception de la littérature française par époques : la partie 2, couvrant la littérature du Moyen Âge au XVIe siècle (Villon, Rabelais, Ronsard, Malherbe), est d’autant plus intéressante que la curiosité des critiques et écrivains chinois pour la littérature antérieure à la période classique était largement méconnue jusqu’ici. Dans la partie 3, la réception de la littérature du XVIIe siècle est envisagée à travers l’exemple de Molière, et plus précisément du débat qui a opposé à son sujet Ma Zongrong et Liang Zongdai. S’écartant en apparence du droit fil de son sujet, Yang Zhen s’étend plus longuement, dans deux chapitres distincts, sur les conceptions antagonistes de la littérature qu’incarnent ces deux critiques, au-delà du seul cas de Molière. Il applique la même méthode dans les parties suivantes, alternant des études panoramiques sur la réception d’un auteur (Rousseau au chapitre 11, Baudelaire au chapitre 15) et des chapitres centrés sur des figures du milieu littéraire chinois qui se sont intéressées particulièrement à l’auteur en question, mais en défendant des positions divergentes : Yu Dafu et Liang Shiqiu pour Rousseau ; Lu Xun et Xu Zhimo pour Baudelaire. Ces chapitres sont fort instructifs, même s’ils ont tendance à déplacer le centre de gravité de la thèse de la littérature française vers la littérature chinoise. On notera que pour reconstituer la vie des écrivains chinois, Yang Zhen ne s’est pas contenté d’utiliser les biographies contemporaines, il a aussi exploité des matériaux originaux (essais autobiographiques, lettres, journaux, etc.).

5Yang Zhen montre avec beaucoup de pertinence comment la critique des littératures étrangères (en l’occurrence de la littérature française) est imbriquée dans les discours sur la fonction de la littérature qui prévalaient dans la Chine de l’époque : un même auteur peut être lu de manière très différente selon les valeurs auxquels adhèrent les critiques (voir par exemple, les lectures « progressiste » et « conservatrice » de Ronsard), et le point de vue de certains critiques a évolué en fonction de leur propre parcours idéologique. Sa méthode d’analyse, qu’il explicite dans l’introduction, consiste à repérer les mots clés autour desquels s’articulent les discours, de façon à en dégager les présupposés et les lignes de force. Il est retourné, chaque fois que cela était possible, aux sources critiques dont les auteurs chinois s’étaient inspirés, et cette comparaison lui a permis de déterminer que ces derniers n’avaient pas toujours reproduit fidèlement leurs modèles, mais qu’ils en avaient sélectionné les éléments qui allaient dans le sens de leur interprétation, le plus souvent liée aux débats contemporains (par exemple Mu Mutian à propos de Villon). Certes, la thèse ne fait pas toute la lumière sur ce que les critiques chinois avaient réellement lu d’un auteur et ce qu’ils connaissaient par l’intermédiaire des études en différentes langues qu’ils avaient consultées, mais elle donne une image très précise de la perception qu’ils avaient d’eux, et le travail sur les sources est tout à fait remarquable.

6L’analyse des traductions est fine et approfondie. La confrontation entre plusieurs versions montre comment des approches singulières peuvent conduire à des traductions radicalement différentes. Yang Zhen a lui-même traduit de nombreux passages d’articles critiques, mettant ainsi à la portée du lecteur non sinisant quantité de matériaux de première main.

7Les annexes, qui occupent pas moins de la moitié du volume, constituent une source documentaire de premier ordre. L’annexe 1 donne la liste des œuvres françaises traduites dans les revues littéraires chinoises entre 1917 et 1937, par ordre de parution. La quasi-totalité des noms d’auteurs et d’œuvres ont été identifiés, malgré le défi que posent certaines transcriptions chinoises. L’annexe 2 constitue une bibliographie chronologique des articles consacrés à la littérature française dans les revues littéraires chinoises au cours de la même période. Parmi ces articles, certains sont des études originales, d’autres des traductions. La dernière colonne précise pour chacun d’eux les noms des écrivains ou des critiques dont il fait mention, fournissant ainsi une indication précieuse sur le contenu de l’article. Enfin, l’annexe 3 contient la liste des revues consultées, classées selon l’ordre alphabétique. Cette dernière liste, qui contient 176 titres, donne la mesure de l’énorme travail de dépouillement effectué. Des index de noms et d’œuvres complètent utilement l’ensemble.

8En conclusion, Yang Zhen a effectué une enquête passionnante qui permet d’aller aux sources mêmes du discours critique tenu en Chine dans les années 1920 et 1930. La masse documentaire exploitée est considérable, et le traitement mené avec beaucoup d’intelligence et de subtilité. L’ouvrage apporte en définitive un double éclairage, sur la réception des auteurs français en Chine et sur la littérature chinoise moderne elle-même, vue à travers sa compréhension des littératures étrangères, en l’occurrence de la littérature française. Il s’adresse donc tout aussi bien aux sinologues qu’aux comparatistes ou aux spécialistes de la littérature française.

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Notes

1 Han Yiyu, Qingmo minchu hanyi Faguo wenxue yanjiu (1897-1916) [Étude sur la littérature française traduite en chinois de la fin des Qing au début de la République de Chine (1897-1916)], Pékin, Zhongguo shehui kexue chubanshe, 2008.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Rabut, « Yang Zhen, La Littérature française dans les revues littéraires chinoises entre 1917 et 1937, Paris, Honoré Champion, coll. « Littératures étrangères » (33), série « Route de la soie » (7), sous la direction de Béatrice Didier et Catherine Mayaux, 2022, 749 p. »Babel, 47 | 2023, 285-288.

Référence électronique

Isabelle Rabut, « Yang Zhen, La Littérature française dans les revues littéraires chinoises entre 1917 et 1937, Paris, Honoré Champion, coll. « Littératures étrangères » (33), série « Route de la soie » (7), sous la direction de Béatrice Didier et Catherine Mayaux, 2022, 749 p. »Babel [En ligne], 47 | 2023, mis en ligne le 30 juin 2023, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/14671 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/babel.14671

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Auteur

Isabelle Rabut

Inalco/IFRAE

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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