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Varia

La fuite du temps dans la poésie médiévale persane. Étude sur Hâfez de Chirâz

Leila Ghalehtaki
p. 285-301

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Le temps, qui mène à la mort, est un ennemi redoutable mais invisible que l’homme rend visible en le présentant comme un monstre ou comme Cronos dans des mythes où il occupe partout une place importante. Pour l’étudier dans la littérature persane, renommée pour sa poésie classique, nous avons choisi Hâfez de Chirâz, poète du XIVe siècle. Témoin de l’invasion des Mongols et souffrant de la mort de sa femme et de ses deux enfants, Hâfez est conscient du rôle destructeur du temps qu’il aborde dans son Divân à travers un style, des images et des symboles bien à lui. À travers l’étude de la poésie de Hâfez, cet article s’intéresse à l’imaginaire des Iraniens du Moyen-Âge face à la fuite du temps.

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Mots-clés :

mort, poésie persane, regret, temps

Personnes citées:

Hâfez
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Introduction

1Si la notion de temps admet bien des définitions, le premier effet perceptible de son passage consiste dans la destruction des êtres et des choses. Le temps pousse l’homme vers le néant : de l’enfance à la jeunesse et à la vieillesse et, enfin, à la mort. L’angoisse de l’homme face au passage irréversible du temps est une constante des œuvres littéraires et constitue l’un des thèmes littéraires les plus universels.

2Il sera ici question de la fuite du temps à travers l’un des chefs-d’œuvre de la poésie persane, le Divân de Hâfez de Chirâz, grand poète persan du XIVe siècle. Dans le Divân, qui décline les thèmes majeurs de la poésie classique persane tels que l’amour, le temps, la vie, la mort, passe aussi une critique acerbe et indignée de l’ascétisme et de l’hypocrisie des ascètes, en même temps que l’éloge de la sincérité et de l’honnêteté en tant que grandes valeurs humaines.

3Hâfez appuie son Divân sur une expérience directe : témoin de la destruction du pays par l’ennemi étranger (les Mongols), de la décadence morale de la société de l’époque, il est aussi profondément affecté par la mort de sa femme et par celle de ses deux enfants. Les thèmes liés à ces événements apparaissent tout au long du Divân qui, de ce point de vue, reflète l’âme iranienne du XIVe siècle, ses espoirs et ses déceptions.

4Tous ces événements rendent le poète conscient de l’irréversibilité du temps et de l’impuissance de l’homme face à sa fuite et le Divân peut se comprendre comme l’expression poétique de la fragilité humaine face à l’action du temps.

  • 1 Cf. Leila Ghalehtaki, Leila, « Le temps mystique à travers l’œuvre de Mawlânâ Rûmi et Hâfez de Chir (...)

5Dans cette perspective, Hâfez suggère deux positions contradictoires : il conseille de parcourir les démarches mystiques afin de se rendre éternel et, en même temps, invite à tirer plaisir du monde matériel pendant qu’on y vit. Influencé par le courant mystique du XIIIe siècle et héritier de la mystique de Rûmi – grand maître et poète mystique du XIIIe siècle –, Hâfez expose les concepts mystiques et s’appuie sur la pensée rûmienne selon laquelle le temps mystique, régénéré par l’Amour divin et rendant l’homme immortel, s’oppose au temps passager1. C’est dans l’instant présent – waqt ou instant de l’Union mystique – que le temps mystique illimité et unifié apparaît et se développe. Mais, pour autant, le poète fraie à plusieurs reprises avec la pensée de Khayyâm, grand mathématicien, astrologue et poète persan du XIe siècle, pour qui il faut profiter de l’existence en ce bas monde parce que la vie est courte et limitée et que la mort signe la fin de tout. Ces deux attitudes opposées suscitent de grands débats quant à la personnalité mystique de Hâfez et aux aspects mystiques du Divân.

6Nous voudrions pour notre part aborder ici la vision hâfezienne de la fuite du temps et examiner les visages que celui-ci revêt dans l’imaginaire du poète.

7Dans le Divân, le thème de la fuite du temps s’articule à ceux de la vie, de la jeunesse, de la vieillesse, de la mort, de l’amitié ou de l’amour. Tout au long du poème, des beyts (distiques) indiquent le regret et le malaise du poète profondément touché par la conscience de l’impuissance de l’homme face au passage du temps. Pour exprimer sa vision sur la fuite du temps, Hâfez recourt à un langage symbolique, riche d’images et de symboles.

1. Hâfez de Chirâz face à la fuite du temps

  • 2 Eslami Nadoushan, Mohammad-Ali, « L’Iran, après les Mongols et Hâfez ».

8Hâfez est influencé à la fois par les événements qui secouent son époque et par sa propre expérience qu’il évoque implicitement ou explicitement dans son grand Divân. La période, on l’a dit, est tourmentée, marquée par l’invasion des Mongols, la destruction du pays et le désespoir des Iraniens. Mohammad-Ali Eslami Nadoushan2, professeur de Lettres persanes, le lit particulièrement dans ces vers de Hâfez : 

  • 3 Figure mythique des légendes des « Lettres des Rois », recueil poétique et épique de Ferdowsi, poèt (...)

Ma poitrine est toute douleur, ah, hélas ! Un onguent !
Le cœur n’en peut plus de solitude. Ô dieu, un confident !
Au puits de la patience je brûlai […]
Le roi des Turcs n’a souci de notre état. Où trouver un Rostam3 ?

  • 4 سینه مالامال دردست ای دریغا مرهمی دل ز تنهایی بجان آمد خدا را همدمی [...]
    سوختم در چاه صبر از بهر آن (...)

Le propre de l’homme ne se trouve pas en ce monde de terre.
Il faut construire un autre monde et refaire un Adam ! [461]4

  • 5 Ibid., p. 1122.

9Le poète, solitaire et désespéré, cherche « un autre monde » où il y ait un « autre Adam ». Et de Fouchécour de commenter : « Il faut refaire le monde et Adam lui-même ! La constatation est issue d’un désespoir radical, inspiré aussi par une aspiration politique, voire messianique »5. Il ajoute :

  • 6 Ibid.

Il semble à beaucoup que […] « le roi des Turcs » soi[t] un personnage précis, à savoir Tamerlan. Le ghazal est donc à situer historiquement et fait écho à un temps où la venue du terrible fondateur des Timourides représentait encore un espoir à la situation désastreuse de la Perse d’alors.6

10Dans le Divân, le poète exprime aussi son mécontentement de la dégradation morale de la société résultant de l’hypocrisie des ascètes. Hâfez blâme les vices moraux dans ses différents ghazals et se présente à l’opposé des hypocrites et de leur « couleur de duplicité » :

  • 7 رنگ تزویر پیش ما نبود شیر سرخیم و افعی سیهیم

Il n’y a chez nous nulle couleur de duplicité :
Nous sommes lion fauve et vipère noire. [374]7.

11Passent aussi des allusions aux expériences douloureuses vécues par le poète. Lors de la mort de sa femme, il écrit :

  • 8 Si on attendrait « la compagne », le mot « yar » en persan signifie le compagnon ou la compagnie.
  • 9 آن یار کز او خانه ی ما جای پری بود سرتاقدمش چون پری از عیب بری ب [...]
    از چنگ منش اختر بدمهر به در ب (...)

Le compagnon8 qui fit de notre maison un lieu paradisiaque,
Était exempt de tout défaut, telle une péri.
L’étoile maléfique me le ravit des mains.
Oui, que ferais-je? Ce fut la fortune des derniers temps. [210]9.

  • 10 Mohammad Taqi Bahar, cité dans Golbon, Mohammad, Bahâr et Littérature Persane (100 articles de Moha (...)

12Le cœur brisé par celle de son fils, il poursuit10 :

  • 11 بلبلی خون دلی خورد و گلی حاصل کرد باد غیرت به صدش خار پریشان دل کرد
    طوطیی را بخیال شکری دل خوش بود ن (...)

Un rossignol peina à perdre sang et parvint à une rose.
Le vent de Jalousie éparpilla son cœur par cent épines.
Un perroquet était tout aise en pensant à du sucre,
Quand soudain le torrent du néant effaça la trace de son espoir.
Que reste en mémoire la joie de mes yeux, ce fruit de mon cœur :
Il partit simplement et rendit ma condition difficile ! [130]11

13Le poète se plaint du Temps qui le prive cruellement de son enfant. Métaphoriquement assimilé à « l’étoile maléfique », au « vent de Jalousie » et au « torrent du néant », le Temps est présenté par Hâfez comme responsable de la perte des êtres chers.

  • 12 « Mourir avant de mourir » est une thématique chère à Rûmi. Pour que le mystique puisse « renaître  (...)

14Comme mentionné plus haut, Hâfez sollicite deux sources importantes de pensée : la mystique de Rûmi, associée au développement de l’ordre des derviches tourneurs, et la pensée d’Omar Khayyâm. Les traces de ces deux influences se retrouvent dans le Divân, dont la poétique est tiraillée dans deux directions opposées. Hâfez se fait ainsi le chantre de l’Amour mystique et désire « mourir avant de mourir »12 –notion mystique – pour s’unir à l’Aimé,

  • 13 حجاب چهره جان می شود غبار تنم خوشا دمی که از آن چهره پرده برفکنم

La poussière de mon corps devient un voile au visage de mon âme.
Heureux l’instant où j’abattrai le voile de Ce visage ! [334]13

15car l’Union mystique tient la mort loin de l’amant :

  • 14 وصل تو اجل را ز سرم دور همی داشت از دولت هجر تو کنون دور نماندست

L’Union à Toi tenait le trépas loin de ma tête.
Maintenant, par l’heureuse Séparation d’avec Toi, il ne demeure pas loin !] [39]14

16Mais il fait également l’éloge de l’amour humain qui rajeunit l’homme, capable de maîtriser le temps en le rendant réversible :

  • 15 هر چند پیر و خسته دل و ناتوان شدم هر گه که یاد روی تو کردم جوان شدم

Devenu vieux, triste et incapable, pourtant
Chaque fois que je me souviens de ton visage, je rajeunis. [314]15

17En cela, Hâfez est influencé par la vision des soufis de son temps pour qui l’amour humain est une étape nécessaire pour accéder à l’Amour divin. Dans les vers hâfeziens, la frontière entre l’amour humain et l’Amour divin est parfois assez floue, et cela d’autant plus qu’en persan aucun signe orthographique ne distingue les interlocuteurs. Pour pouvoir distinguer entre le « tu » qui renvoie à une personne et le « Tu » qui s’adresse à Dieu, Charles-Henri de Fouchécour a dû se référer aux gloses des critiques qui l’avaient précédé, comme il ne s’en cache pas dans l’introduction détaillée rédigée pour sa traduction en français du Divân.

18Parfois, influencé par la pensée khayâmmienne, Hâfez se plaint de la courte durée de la vie :

  • 16 عشرت کنیم ور نــه به حسرت کشندمان روزی که رخت جان به جهانی دگر کشیم

Nous prendrons nos plaisirs, sinon, on nous pousserait au regret,
Le Jour où nous plierons le bagage de la vie pour un Autre Monde ! [368]16

  • 17 Charles-Henri de Fouchécour dans Hâfez de Chirâz, op. cit., p. 21.
  • 18 Ibid.
  • 19 Pournâmdâriân, Taqi, L’Égaré du bord de la mer (Une réflexion sur le sens et la forme de la poésie (...)
  • 20 Ibid., p. 3-4.
  • 21 Ibid., p. 92.

19Par l’emploi du pronom pluriel « nous », Hâfez se fait le porte-parole de l’humanité. Conscient de son séjour éphémère en ce monde, le poète invite l’homme à goûter aux plaisirs afin de diminuer l’angoisse mortelle d’avoir à partir « pour un Autre Monde ». Ce faisant, Hâfez s’inscrit dans la lignée de Khayyâm, chantre d’une vie de loisirs (‘ešrat, lat. otium) et qui invite à passer le temps entre amis, convives ou parents17. Se sentant dans la même situation que du temps de Khayyâm où les faux dévots appelaient à mépriser les plaisirs du monde matériel au profit du monde spirituel de l’au-delà, « contre l’ascèse affichée et hypocrite, [Hâfez] insiste pour que l’on sache profiter des moyens qui réjouissent un moment l’existence »18. Pour le critique iranien Taqi Pournamdarian, la juxtaposition de thèmes opposés dans le Divân traduit le fait que l’homme est composé d’un corps et d’une âme. Le « langage [de Hâfez] », avance Pournamdarian, « comme celui de tout homme, possède les deux dimensions matérielle ou corporelle et divine ou spirituelle ; et tout comme un homme naturel est partagé entre son côté angélique et son côté animal, de temps à autre, [Hâfez] se tend vers ce côté-ci ou vers ce côté-là »19. En d’autres termes, à travers un langage fait d’images et de symboles, Hâfez exprime la double nature de l’homme. « Hâfez a beaucoup réfléchi à l’existence et à la vie, au commencement et à la fin de l’homme, en s’appuyant sur ses propres expériences ou celles des autres, dans le domaine de la culture et de la vie, mais sa poésie montre explicitement que le poète ne tend pas vers une quelconque idéologie »20. De ce point de vue, Hâfez est un humaniste qui donne à voir, par une poésie solennelle, l’image de l’homme iranien avec toutes ses expériences, ses pensées, ses sentiments, et son Divân dépasse les limites du temps. Aussi les familles iraniennes placent-elles le Divân de Hâfez aux côtés du Coran. « Dans l’image reflétée par le miroir de la poésie de Hâfez, paraissent tous nos chagrins, nos joies, nos regrets, nos espoirs, nos rêveries, nos amours, nos inquiétudes, nos pensées et nos talents »21. De là vient la modernité de la poésie de Hâfez, en dépit des sept siècles qui séparent le poète des Iraniens d’aujourd’hui :

  • 22 […] ای دل ار عشرت امروز به فردا فکنی مایه نقد بقا را که ضمان خواهد شد
    گل عزیز است غنیمت شمریدش صحبت (...)

Mon cœur, si tu remets à demain de bien vivre aujourd’hui, Qui sera garant du capital en espèces sonnantes de la durée ? […] La rose est précieuse, tenez pour une aubaine sa compagnie, Car elle vint au jardin de ce côté et s’en ira de l’autre. [160]22.

  • 23 Charles-Henri de Fouchécour dans Hâfez de Chirâz, op. cit., p. 476.

20Faisant allusion à l’amère réalité du passage de la vie, Hâfez invite au carpe diem. Le poète assimile la vie de l’homme en ce monde à la traversée d’un jardin fini. Dès lors, puisque l’homme ne peut prolonger l’espace ou le temps de son passage – de sa vie –, il est invité à profiter de ce court moment (cette « rose […] précieuse ») et à « bien vivre aujourd’hui ». Il n’est jusqu’au mètre musical de ces vers qui ne mette l’accent sur l’idée de la jouissance du moment quand tout le ghazal, consacré à l’arrivée du printemps, est « bien défini comme un poème qui se prête au chant »23.

21Dans les vers qui suivent, le poète précise sa vision de la fuite du temps :

  • 24 دور مجنون گذشت و نوبت ماست هر کسی پنج روز نوبت اوست

Le temps de Madjnoun est passé, voici notre tour.
Pour chaque homme, le tour est de cinq jours. [60]24

  • 25 پنج روزی که در این مرحلــه مهلت داری خوش بیاسای زمانی که زمان این همه نیست

Durant le délai de cinq jours dont tu disposes à cette Étape,
Prends tes aises un moment, car le temps n’est pas durable ! [75]25

22La brièveté de la vie, comparée à un « délai de cinq jours », incite le poète à conseiller de « prendre [s]es aises ». Le temps passe vite ; il court sans s’arrêter et « n’est pas durable », chacun disposant d’un intervalle limité. En même temps, en évoquant le « délai » qui caractérise cette « Étape » qu’est la vie humaine, le poète renvoie aux croyances où la vie se conçoit comme une succession d’ « étapes » au travers de mondes physiques et spirituels.

  • 26 Hadidi, Djavad, De Sa’di à Aragon, p. 358-419.

23Par ailleurs, il faut rappeler que la pensée de Khayyâm, tant admirée des Européens qui avaient eu l’occasion de connaître ce grand poète persan grâce à la traduction anglaise des Robaiyats (Les Quatrains) par Fitzgerald, les a poussés à forger le terme d’ « omarisme » en référence à la doctrine qui invitait à tirer plaisir de l’instant et de la vie afin de se mettre à l’abri de l’angoisse de la fuite du temps26. Nous lisons ainsi chez Khayyâm :

  • 27 ای دوست بیا تا غم فردا نخوریم وین یکدم عمر را غنیمت شمریم
    فردا که ازین دیر فنا درگذریم با هفت هزار س (...)

Ô ami ! Viens à moi, ne nous soucions pas du jour de demain
Et considérons comme un butin ce court instant d’existence.
Demain, quand nous aurons abandonné cette vieille résidence [le monde],
Nous serons les compagnons contemporains de ceux qui l’ont quitté depuis sept mille ans !]27

24Le thème khayâmmien filé de la fuite du temps et l’exhortation à savourer la vie, loin de renvoyer à l’épicurisme, révèle la réaction du poète face aux excès des ascètes de son temps, qui engagent à dédaigner la vie ici-bas au bénéfice du bonheur dans l’au-delà. La similarité des contextes incite Hâfez à reprendre l’idée de son prédécesseur, malgré la distance temporelle qui le sépare de Khayyâm.

25Dans un autre poème, notre poète se plaint ainsi de sa longue et intolérable solitude et regrette sa vie passée séparé de l’Aimé divin :

  • 28 دریغ مدت عمرم که بر امید وصال بسر رسید و نیامد به سر زمان فراق

Hélas, la durée de ma vie ! Sur l’espoir de l’Union,
Elle touche à sa fin sans qu’ait fini le temps de la Distance ! [291]28

26La complainte de la fuite du temps apparaît ainsi explicitement (« Hélas »). En faisant allusion à la vision mystique de l’atteinte de l’immortalité par l’Union avec l’Aimé divin qui libère l’homme mortel des limites du temps réel et passager, Hâfez décrit la situation qu’il vit comme celle d’un amoureux solitaire : en l’absence de l’Aimé, l’homme ne peut que tomber dans le flux imparable du temps et subir les effets destructeurs de son passage. Pétrie d’une seule durée (« la durée de ma vie »), la vie de l’amoureux solitaire est vouée à tôt finir. La même idée est filée dans les vers suivants :

  • 29 ای خرم از فروغ رخت روزگار عمر باز آ که ریخت بی گل رویت بهار عمر

Heureux le champ des tulipes de la vie sous l’éclat de Ta face !
Reviens ! Le printemps de la vie s’est flétri sans la rose de Ton visage. [248]29

27Grâce à la présence de l’Aimé, la vie, comparée métaphoriquement à un « champ de tulipes », apparaît verdoyante et « heureu[se] ». Mais ce qui garantit réellement le bonheur, c’est que l’amoureux sorte du flux étouffant du temps passager pour entrer dans le temps éternel de l’Union.

28De même, l’absence de l’Aimé provoque l’anéantissement ou le « flétrissement » du « printemps de la vie » et sa défaite sous le poids écrasant du temps objectif ou fugitif.

29D’autres vers du Divân reflètent l’idée khayyâmienne du temps :

  • 30 وقـت عزیـز رفـت بیـا تـا قضـا کنـیم عمري که بی حضور صراحی و جام رفت

Le temps célébré est passé, viens-t’en, que nous réparions
Une vie passée hors la présence du flacon et de la coupe ! [84]30

  • 31 شب صحبت غنیمت دان که بعد از روزگار ما بسی گردش کند گردون بسی لیل و نهار آرد

Tiens la nuit de nos entretiens comme une chance, car après nous Le ciel fera de nombreux tours, produira bien des nuits et des jours. [111]31.

  • 32 می بی غش است دریاب وقتی خوش است بشتاب سال دگــــــــر که دارد امیــد نو بهاری

Le vin est sans tache : hâte-Toi ! C’est un bon moment : profites-en !
Qui a l’espoir l’an prochain d’un nouveau printemps ? [435]32

30Dans le premier distique ci-dessus, le poète regrette d’avoir passé sa vie sans boire de vin et se propose de « réparer » le temps perdu en vain sans avoir joui du plaisir ou du bonheur terrestres, symbolisés par « le flacon » et « la coupe du vin ».

31Dans les deux derniers distiques, Hâfez invite à bien mesurer la valeur du temps précieux qui nous a été accordé comme « une chance », à nous qui sommes prisonniers du temps cyclique (une succession « de nuits et de jours », une ronde de « printemps ») et ne savons pas quand cette « chance » nous sera refusée. Ces vers évoquent clairement ceux de Khayyâm :

  • 33 چون عهده نمی‌شود کسی فردا را حالی خوش دار این دل پر سودا را
    می نوش به ماهتاب ای ماه که م بسیار بتابد (...)

Puisque personne ne saurait te répondre du jour de demain, Empresse-toi de réjouir ton cœur plein de tristesse ;
Bois, ô lune adorable ! Bois dans une coupe vermeille, car
La lune du firmament tournera bien longtemps [autour de la terre], sans nous y retrouver.]33

32Dans ces vers, Hâfez aborde la condition humaine en employant les pronoms « nous » ou « tu ». À l’exclusion, en tout cas, du « je ». Le lecteur est intimement invité, à travers le tutoiement, à profiter de son temps.

  • 34 Charles-Henri de Fouchécour dans Hâfez de Chirâz, op. cit., p. 29.

33Charles-Henri de Fouchécour interprète l’allusion au vin comme un signe de la sincérité de Hâfez face à l’hypocrisie de certains. « Eh bien oui », dit-il, « plutôt que de refuser hypocritement le vin qu’on lui présente, il préfère dire franchement qu’il l’accepte ! Il accepte même sa réputation d’hypocrite. Pour certains, il est récitant du Coran, pour d’autres il est un videur de coupes, en fait, “je suis ce que tu vois”. Il ironise sur son apparente turpitude, oui, il boit »34 :

  • 35 صبحست ساقیا قدحی پر شراب کن دورفلک درنگ ندارد شتاب کن
    زان پیشتر که عالم فانی شود خراب ما را زجام باد (...)

C’est l’aube, échanson, remplis de vin une coupe !
La rotation du ciel ne faiblit pas, hâte-toi !
Avant que le monde évanescent ne soit délabré,
Mets-nous en ruine avec la coupe de vin couleur de rose !
Le jour ou la Roue fera de notre argile des cruches,
Veille à remplir de vin le bol de notre crâne ! [338]35

2. Symboles et images hâfeziens de la fuite du temps

34Le Divân de Hâfez présente une riche collection de thèmes, d’images et de symboles et aborde sous cet aspect le motif amoureux sous toutes ses formes, articulé aux thèmes de la Séparation et de l’Union mystique, de la jeunesse, du vieillissement, de l’amitié, du temps, de la critique de l’hypocrisie et de l’ascétisme outrancier.

35Obsédé par la fuite du temps, Hâfez suit de près les idées de Khayyâm que l’on retrouve sous les images et les symboles traditionnellement chargés de l’exprimer comme, chez les Grecs, l’image consacrée de l’eau qui s’écoule, évoquant le passage du temps. Une image universelle bien présente chez les deux poètes persans :

  • 36 برگیر پیاله و سبو ای دلجوی فارغ بنشین به کشتزار و لب جوی
    بس شخص عزیز را که چرخ بد خوی صد بار پیاله ک (...)

Prends dans les mains la coupe, emporte la gourde, ô charme de mon cœur !]
Et va explorer les prairies, les bords des ruisseaux,
Car bien des idoles, semblables à la lune par l’éclat de leurs beaux visages,]
Ont été cent fois transformées en coupes, cent fois elles ont été des gourdes.]36 

  • 37 بنشین بر لب جوی و گذر عمر ببین کاین اشارت ز جهان گذران ما را بس

Mets-toi au bord du ruisseau, vois passer la vie, Et ce signe du monde qui passe nous suffit. [262]37.

  • 38 Durand, Gilbert, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie g (...)

36Tout en indiquant la fuite du temps, ces vers révèlent l’instabilité de ce monde dans la vision des deux poètes à partir d’une image déjà utilisée par le philosophe grec Héraclite (né à Éphèse vers 576 av. J.-C.), dont le seul ouvrage, intitulé les Fragments, est consacré au mobilisme universel – ou « devenir perpétuel » de l’univers –, qu’il exprime par des métaphores aquatiques : « Tout s’écoule » (Fragment 139) et « Tu ne peux pas descendre deux fois dans le même fleuve, car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi » (Fragment 12). Il semble que l’élément liquide, par son écoulement et son renouvellement constant, puisse mieux qu’aucun autre figurer le passage du temps ainsi que le mouvement ininterrompu des êtres et des choses. Mouvement ininterrompu qui conduit à la perfection, mais aussi à la fin des choses et des êtres, semblant contredire l’idée de la perpétuité. C’est ainsi que naît le sentiment d’effroi : l’homme est en perpétuel devenir, ce qui conduit à la croissance et, enfin, à la mort. Cette réalité terrifiante angoisse un homme qui désire l’immortalité. Dans ses Structures anthropologiques de l’imaginaire, Gilbert Durand reprend l’idée d’Héraclite, combinée à celles de Gaston Bachelard sur la rêverie de l’eau et ses rapports avec le temps qui fuit, pour conclure que « l’eau qui s’écoule est amère invitation au voyage sans retour : jamais deux fois l’on ne se baigne dans le même fleuve et les rivières ne remontent point à leur source. L’eau qui coule est la figure de l’irrévocable. […] L’eau est épiphanie du malheur du temps, elle est clepsydre définitive. Ce devenir est chargé d’effroi, il est l’expression même de l’effroi »38. Alors, l’invitation lancée par nos poètes à voir passer l’eau du ruisseau est en même temps une invitation à réfléchir sur le passage de la vie, une notion qui se traduit dans la littérature à travers l’expression de « la fuite du temps ».

  • 39 رهزنان بهمن و دی : غزل

37Outre l’image du ruisseau, on retrouve chez Hâfez l’assimilation du temps à un « brigand », transparente dans le vers « Ces brigands, le bahman et le dey [les mois d’hivers] ! » [422]39, indice de la valence dysphorique de l’hiver dans l’imaginaire du poète. Ce que confirme aussi cet autre vers :

  • 40 رهزن دهر نخفتست مشو ایمن ازو اگــر امروز نبردست که فردا ببرد

Ce brigand de Temps ne s’est pas endormi, ne te fie pas à lui !
S’il n’a pas réussi aujourd’hui, c’est qu’il gagnera demain. [124]40.

  • 41 Kronos : fils de Terre et de Ciel, appartient à la deuxième génération divine : « Puis vint le plus (...)

38Sans ambiguïté, la métaphore hâfezienne peint la condition de l’homme mortel constamment menacé par un être plus puissant que lui : le Temps, figuré dans le Divân, comme un monstre sanguinaire, tel le Cronos de la mythologie grecque, « Roi des immortels »41. Il peut donc apparaître comme un être dévorateur qui « verse le sang » de l’homme et le détruit :

  • 42 در آستین مرقع پیاله پنهــان کن که همچو چشم صراحی زمانه خونریزست

Cache la coupe dans ta manche rapiécée,
Car le Temps verse le sang comme fait l’œil de la carafe ! [42]42

  • 43 « چشم زخم زمان... »، غزل
  • 44 « باد غیرت »، غزل

39Ces vers dévoilent un autre caractère du temps : la jalousie. Doté d’un « mauvais œil » [241]43, le Temps, vrai « vent de Jalousie » [130]44, peut ainsi nuire à l’homme qui désire jouir des plaisirs du monde. Vieux, le temps est ce qui a été et ce qui sera. Il sait ruser avec les êtres, les tromper et leur prendre la vie. Hâfez l’imagine comme un « vieux » sournois « à l’embuscade de la vie des jeunes êtres » :

  • 45 که در کمینگه عمر است مکر عالم پیر ز وصل روی جوانان تمتعی بردار

Tenez pour une chance de rejoindre le visage des jeunes êtres, Car la ruse du vieux monde est à l’embuscade de la vie. [251]45.

  • 46 « سماط دهر دون پرور ندارد شهد آسایش »، غزل
  • 47 « اختر بد مهر »، غزل
  • 48 « بد عهدی زمانه »، غزل
  • 49 « مکر زمانه »، غزل

40Le poète identifie le Temps à un être « nourri de bassesse, [qui] n’a pas de miel de repos à sa table » [273]46. Par d’autres expressions au sens presque toujours péjoratif, Hâfez représente le Temps comme un être malicieux, telle cette « étoile maléfique » [210]47 qui annonce le malheur et invite à ne pas mésestimer « la traîtrise du Temps » [223]48 ou « les ruses du Temps » [418]49.

  • 50 « کی بود در زمانه وفا... »، غزل
  • 51 « بی وفایی دور زمانه »، غزل
  • 52 « شر فتنه آخر زمان »، غزل

41Dans le Divân, « l’infidélité » est l’autre attribut du temps. « Quand vit-on fidélité en ce monde du temps ? » [343]50, demande Hâfez qui insiste aussi sur « l’infidélité de la rotation du Temps » [236]51 et qui met en garde contre « la mauvaise sédition de la Fin des Temps » [314]52. Un temps qui sait aussi se faire rapide comme « l’éclair » :

  • 53 از دیده گر سرشک چو باران چکد رواست کاندر غمت چـو برق بشد روزگار عمر

Des yeux gouttent, c’est normal, les pleurs comme la pluie :
Par chagrin de Toi, le temps de la vie a passé comme l’éclair. [248]53

  • 54 Bachelard, Gaston, L’Eau et les rêves, p. 78.
  • 55 Durand, Gilbert, op. cit., p. 106-107.

42En comparant le temps à « la pluie » et à « l’éclair », Hâfez utilise deux symboles liés à l’eau et au feu. « L’éclair », comme la foudre, évoque principalement la rapidité du passage du temps, quand le flux de la « pluie des larmes » évoque l’immensité de la tristesse et du malheur de l’amant solitaire. Les larmes, « eau des regrets », évoquent, comme le dit Gaston Bachelard, « le temps [qui] tombe goutte à goutte des horloges naturelles ; le monde que le temps anime est une mélancolie qui pleure »54. « Les larmes » sont liées à l’eau nocturne, un des symboles nyctomorphes étudiés par Gilbert Durand, symboles du régime nocturne de l’image, ceux qui évoquent la fuite du temps et les tourments qui lui sont associés. « L’eau serait liée aux larmes par un caractère intime, elles seraient l’une et les autres “la matière du désespoir”. C’est dans ce contexte de tristesse, dont les larmes sont le signe physiologique, que s’imaginent fleuves et étangs infernaux »55. Dans les vers ci-dessus, l’enchaînement des images de « la pluie des larmes » et de « l’éclair » dévoile le « chagrin » du poète.

43Mais le Divân de Hâfez recèle d’autres images du temps qui passe, parmi lesquelles celle d’un « cavalier de la vie » qui « court à bride abattue ».

  • 56 در هر طرف ز خیل حوادث کمین گهیست زان رو عنان گسسته دواند سوار عمر

De tous côtés l’armée des événements dresse une embuscade.
C’est pourquoi le cavalier de la vie court à bride abattue. [248]56

44Assimilée à un champ de bataille, la vie est un terrain où se heurtent « l’armée des événements [qui] dresse une embuscade » et « le cavalier de la vie », ce poète qui regrette de ne pouvoir savourer le bonheur en ce monde éphémère que traduisent aussi des verbes comme « passer » ou « courir à bride abattue ». Ou une nouvelle image parlante, celle du « naufrage du navire de la vie » :

  • 57 بسی نماند که کشتی عمر غرقه شود ز موج شوق تو در بحر بیکران فراق

Il reste peu de temps avant le naufrage du vaisseau de ma vie
Dans la vague de ma passion pour Toi, en mer sans rivages de la Distance.] [291]57.

45Métaphoriquement, la vie est assimilée à « un vaisseau » appelé à se noyer dans la « mer » de la Séparation (mystique). Ici encore, la fuite du temps et la mort sont figurées par une image aquatique largement déclinée : « vague », « mer », « rivage », « naufrage », « vaisseau ». Dans ce poème de l’eau, l’élément aquatique se fait meurtrier et ces vers montrent que, dans l’imaginaire de Hâfez, la fuite du temps et la mort relèvent de la noyade, mort pénible et tragique dont le Divân dissémine les indices, rappelant l’homme à sa condition mortelle.

Conclusion

46Chef-d’œuvre de la poésie persane, le Divân de Hâfez de Chirâz est l’exemple le plus accompli de la présence du thème de la fuite du temps dans la poésie classique persane du Moyen-Âge. Paré de différents visages dans le Divân, le temps passager se fait « rivière », « brigand », monstre qui « verse le sang », « chevalier à bride abattue », « vieux » sournois qui trompe l’homme. Tantôt influencé par la pensée khayyâmienne hostile aux ascètes hypocrites qui prêchent l’oubli des plaisirs de ce monde, tantôt sensible à la pensée mystique du siècle précédent qui l’établit en mystique amoureux séparé de l’Aimé, Hâfez exprime sa vision de la fuite du temps en représentant de la pensée iranienne du XIVe siècle. Il conseille de ne pas perdre toute chance de bonheur ici-bas dans la poursuite d’un bonheur dans l’au-delà. La sincérité de Hâfez est manifeste dans tout le Divân et le dévoilement des sentiments et des passions, l’expression de l’amour (humain ou divin) et les conseils sincères qu’il donne à ses lecteurs expliquent son succès et sa popularité, en Iran et ailleurs.

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Bibliografía

Bachelard, Gaston. L’Eau et les rêves. Paris : José Corti, 1942.

Bahar, Mohammad-Taqi. « Panorama du soufisme en Iran (Dour Namay-e Tassawof dar Iran) », Bahâr va Adab-e Farsi. Téhéran : Sherkat-e Sahami-e Ketabhay-e Jibi, 1976, V. II.

Durand, Gilbert. Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie générale. Paris : Dunod, 1992.

Ghalehtaki, Leila. « Le temps mystique à travers l’œuvre de Mawlânâ Rûmi et Hâfez de Chirâz ». Revue des Études de la Langue Française 5 (2011-2012) : 7-50.

Golbon, Mohammad (dir.). Bahâr et Littérature persane (100 articles de Mohammad-Taghi Bahâr). Téhéran : Sherkat-e Sahami-e Ketabhaye Jibi, 1976, 2 volumes.

Hadidi, Djavad. De Sa’di à Aragon. Téhéran : Éditions Beinolmelali Alhoda, 1999.

Hâfez de Chirâz. Le Divân, Œuvre lyrique d’un spirituel en Perse au XIVe siècle. Introduction, traduction du persan et commentaire par Charles-Henri de Fouchécour. Paris : Verdier, 2006.

Hâfez de Chirâz et Khâjeh Shams-ud-Dîn Mohammad. Divân. Chirâz : Éditions Zar, 2004.

Pournâmdâriân, Taqi. L’Égaré du bord de la mer (Une réflexion sur le sens et la forme de la poésie de Hâfez). Téhéran : Éditions Sokhan, 2003.

Sitographie

Cassin, Barbara. « Kronos ou Cronos ». Encyclopedia Universalis. Consulté le 10 décembre 2020
<http://www.universalis.fr/Encyclopedie/kronos-cronos>.

Eslami Nadoushan, Mohammad-Ali. « L’Iran, après les Mongols et Hâfez ». Consulté le 5 février 2021
<http://https://rasekhoon.net/article/show/205397/>.

Khayyâm, Omar. Les Quatrains, traduits du persan par Jean-Baptiste Nicolas. Paris : Imprimerie Impériale, 1867. Consulté le 25 novembre 2020
<https://www.notes dumontroyal.com>.

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Notas

1 Cf. Leila Ghalehtaki, Leila, « Le temps mystique à travers l’œuvre de Mawlânâ Rûmi et Hâfez de Chirâz ».

2 Eslami Nadoushan, Mohammad-Ali, « L’Iran, après les Mongols et Hâfez ».

3 Figure mythique des légendes des « Lettres des Rois », recueil poétique et épique de Ferdowsi, poète iranien du Xe siècle.

4 سینه مالامال دردست ای دریغا مرهمی دل ز تنهایی بجان آمد خدا را همدمی [...]
سوختم در چاه صبر از بهر آن شمع چوگل شاه ترکان فارغست از حال ما کو رستم
آدمی در عالم خاکی نمی آید به عالمی دیگر بباید ساخت وز نو آدمی
La version française des vers hâfeziens que nous donnons est la suivante : Hâfez de Chirâz. Le Divân, Œuvre lyrique d’un spirituel en Perse au XIVe siècle. Introduction, traduction du persan et commentaire par Charles-Henri de Fouchécour. Tous les renvois au texte figurent entre crochets. Il s’agit, dans cet extrait et les suivants, d’un ghazal. À ce sujet, Charles-Henri de Fouchécour écrit à la page 10 : « Le ghazal est un poème fait de distiques (beyt) qui tendent, chacun, à être un poème. Poème dans un poème, ils concourent à créer un monde propre à ce dernier. On en imagine les possibilités. La construction est très solide ».

5 Ibid., p. 1122.

6 Ibid.

7 رنگ تزویر پیش ما نبود شیر سرخیم و افعی سیهیم

8 Si on attendrait « la compagne », le mot « yar » en persan signifie le compagnon ou la compagnie.

9 آن یار کز او خانه ی ما جای پری بود سرتاقدمش چون پری از عیب بری ب [...]
از چنگ منش اختر بدمهر به در برد آری چکنم دولت دور قمری بود

10 Mohammad Taqi Bahar, cité dans Golbon, Mohammad, Bahâr et Littérature Persane (100 articles de Mohammad-Taghi Bahâr), p. 156.

11 بلبلی خون دلی خورد و گلی حاصل کرد باد غیرت به صدش خار پریشان دل کرد
طوطیی را بخیال شکری دل خوش بود ناگهش سیل فنا نقش امل باطل کرد
قره العین من آن میوهء دل یادش باد که چه آسان بشد و کار مرا مشکل کرد

12 « Mourir avant de mourir » est une thématique chère à Rûmi. Pour que le mystique puisse « renaître » spirituellement, il faut qu’il expérimente la mort mystique (fanâ), mort de son « moi » pour ne devenir que « Lui ». Ayant disparu en « Lui », il échappe à la mortalité et devient éternel (baqâ).

13 حجاب چهره جان می شود غبار تنم خوشا دمی که از آن چهره پرده برفکنم

14 وصل تو اجل را ز سرم دور همی داشت از دولت هجر تو کنون دور نماندست

15 هر چند پیر و خسته دل و ناتوان شدم هر گه که یاد روی تو کردم جوان شدم

16 عشرت کنیم ور نــه به حسرت کشندمان روزی که رخت جان به جهانی دگر کشیم

17 Charles-Henri de Fouchécour dans Hâfez de Chirâz, op. cit., p. 21.

18 Ibid.

19 Pournâmdâriân, Taqi, L’Égaré du bord de la mer (Une réflexion sur le sens et la forme de la poésie de Hâfez), p. 2.

20 Ibid., p. 3-4.

21 Ibid., p. 92.

22 […] ای دل ار عشرت امروز به فردا فکنی مایه نقد بقا را که ضمان خواهد شد
گل عزیز است غنیمت شمریدش صحبت که به باغ آمد از این راه و از آن خواهد شد

23 Charles-Henri de Fouchécour dans Hâfez de Chirâz, op. cit., p. 476.

24 دور مجنون گذشت و نوبت ماست هر کسی پنج روز نوبت اوست

25 پنج روزی که در این مرحلــه مهلت داری خوش بیاسای زمانی که زمان این همه نیست

26 Hadidi, Djavad, De Sa’di à Aragon, p. 358-419.

27 ای دوست بیا تا غم فردا نخوریم وین یکدم عمر را غنیمت شمریم
فردا که ازین دیر فنا درگذریم با هفت هزار سالگان سر بسریم (خیام)
La traduction en français des poèmes de Khayyâm est tirée des Quatrains, traduits en anglais par Jean-Baptiste Nicolas (1867).

28 دریغ مدت عمرم که بر امید وصال بسر رسید و نیامد به سر زمان فراق

29 ای خرم از فروغ رخت روزگار عمر باز آ که ریخت بی گل رویت بهار عمر

30 وقـت عزیـز رفـت بیـا تـا قضـا کنـیم عمري که بی حضور صراحی و جام رفت

31 شب صحبت غنیمت دان که بعد از روزگار ما بسی گردش کند گردون بسی لیل و نهار آرد

32 می بی غش است دریاب وقتی خوش است بشتاب سال دگــــــــر که دارد امیــد نو بهاری

33 چون عهده نمی‌شود کسی فردا را حالی خوش دار این دل پر سودا را
می نوش به ماهتاب ای ماه که م بسیار بتابد و نیابد ما را

34 Charles-Henri de Fouchécour dans Hâfez de Chirâz, op. cit., p. 29.

35 صبحست ساقیا قدحی پر شراب کن دورفلک درنگ ندارد شتاب کن
زان پیشتر که عالم فانی شود خراب ما را زجام بادهء گلگون خراب کن
روزی که چرخ از گل ما کوزه ها کند زنهار کاسه سرما پر شراب کن

36 برگیر پیاله و سبو ای دلجوی فارغ بنشین به کشتزار و لب جوی
بس شخص عزیز را که چرخ بد خوی صد بار پیاله کرد و صد بار سبوی (خیام)

37 بنشین بر لب جوی و گذر عمر ببین کاین اشارت ز جهان گذران ما را بس

38 Durand, Gilbert, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie générale, p. 104.

39 رهزنان بهمن و دی : غزل

40 رهزن دهر نخفتست مشو ایمن ازو اگــر امروز نبردست که فردا ببرد

41 Kronos : fils de Terre et de Ciel, appartient à la deuxième génération divine : « Puis vint le plus jeune d’entre [les Titans], Kronos aux pensées courbes, le plus terrible des enfants ». Voir Cassin, Barbara, « Kronos ou Cronos ». Kronos c’est le dieu courbe qui dévore ses enfants.

42 در آستین مرقع پیاله پنهــان کن که همچو چشم صراحی زمانه خونریزست

43 « چشم زخم زمان... »، غزل

44 « باد غیرت »، غزل

45 که در کمینگه عمر است مکر عالم پیر ز وصل روی جوانان تمتعی بردار

46 « سماط دهر دون پرور ندارد شهد آسایش »، غزل

47 « اختر بد مهر »، غزل

48 « بد عهدی زمانه »، غزل

49 « مکر زمانه »، غزل

50 « کی بود در زمانه وفا... »، غزل

51 « بی وفایی دور زمانه »، غزل

52 « شر فتنه آخر زمان »، غزل

53 از دیده گر سرشک چو باران چکد رواست کاندر غمت چـو برق بشد روزگار عمر

54 Bachelard, Gaston, L’Eau et les rêves, p. 78.

55 Durand, Gilbert, op. cit., p. 106-107.

56 در هر طرف ز خیل حوادث کمین گهیست زان رو عنان گسسته دواند سوار عمر

57 بسی نماند که کشتی عمر غرقه شود ز موج شوق تو در بحر بیکران فراق

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Para citar este artículo

Referencia en papel

Leila Ghalehtaki, «La fuite du temps dans la poésie médiévale persane. Étude sur Hâfez de Chirâz»Babel, 45 | -1, 285-301.

Referencia electrónica

Leila Ghalehtaki, «La fuite du temps dans la poésie médiévale persane. Étude sur Hâfez de Chirâz»Babel [En línea], 45 | 2022, Puesto en línea el 05 septiembre 2022, consultado el 09 diciembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/13580; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/babel.13580

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Leila Ghalehtaki

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