Conrad, Joseph, Almayer’s Folly and The Rover (ed. John Lester). London: Wordsworth Classics, 2011.
Introduction
Texte intégral
Avec mes vifs remerciement à Dominique Lemarchal
(Ford Madox Ford Society)
Le dernier roman de Joseph Conrad, Le Frère de la côte (The Rover), écrit entre 1921 et 1922 et publié en 1923, s’ouvre sur la description suivante du port et de la rade de Toulon :
- 1 Joseph Conrad, The Rover, Chapter One, p. 151:
“After entering at break of day the inner roadstead o (...)Après être entré, au point du jour, dans la rade intérieure du port de Toulon, […] le maître artilleur Peyrol jeta l’ancre du bateau qu’il commandait, endommagé par les vagues et les remous de la mer, entre l’arsenal et la ville, alors qu’une large vue sur le quai principal s’offrait à lui.1
Dès les premières lignes de ce roman, Toulon est ainsi considéré comme un port d’attache et Conrad, qui effectua plusieurs séjours dans cette région, tout d’abord en tant que marin, fut l’un des nombreux écrivains de langue anglaise à séjourner dans le département du Var à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. D’autres, cependant, s’y rendirent « dans son sillage », pourrait-on dire, et Ford Madox Ford en constitue l’une des illustrations les plus marquantes et originales. Cet écrivain britannique d’origine allemande, de son vrai nom Ford Hermann Hueffer, est né en 1873 et ses romans les plus connus, Le bon Soldat (The Good Soldier, 1915) et sa tétralogie Finies, les Parades (Parade’s End, 1924-1928), ont pour thème central le profond traumatisme laissé par la Première Guerre Mondiale au sein de la société britannique – conflit auquel Ford lui-même participa. Ford fut également un éminent poète et critique littéraire, entretenant des relations privilégiées avec d’autres écrivains de son temps, dont D. H. Lawrence, Ezra Pound, Ernest Hemingway et… Joseph Conrad, de seize ans son aîné. C’est, d’ailleurs, le souvenir de ce dernier, avec lequel il avait collaboré à l’écriture de trois romans, qui le conduisit, sans doute, aux rivages de la Méditerranée. En 1925, en attente de trouver un logement à Paris, il choisit d’effectuer, avec sa compagne de l’époque, Stella Bowen, un séjour sur la Côte d’Azur et arriva, ainsi, à Toulon. Par la suite, il y séjournera épisodiquement et, de 1931 à 1936, Toulon devint même sa résidence principale. Ford éprouva un attrait particulier pour le sud de la France et, plus généralement, pour ce pays, où il mourut, en 1939, à Deauville. Si, comme il l’est désormais bien connu, la Côte d’Azur fut un lieu de villégiature ou de résidence privilégié des Britanniques et des Américains au cours de cette période, le département du Var et, plus précisément, la région de Toulon ont fait l’objet d’une attention moindre, lorsqu’il s’agissait d’étudier la présence de ces derniers. L’exemple de Ford Madox Ford tend même à révéler l’influence initiale de la population anglophone – plus particulièrement, les écrivains et les artistes – dans l’ouest de ce qu’il était coutume d’appeler la Riviera.
Le congrès annuel de la Ford Madox Ford Society, organisé à Toulon, en juin 2019, s’est inscrit dans cette démarche. Intitulé “Ford Madox Ford in Toulon : biography, culture and environment in the 1920s and 1930s”, son objet central consistait en l’étude de la vie de Ford dans cette région et l’influence de celle-ci sur les œuvres écrites pendant cette période. Ford vécut à Toulon avec deux de ses compagnes : Stella Bowen, artiste australienne, avec laquelle il vécut jusqu’en 1927. Puis, au début des années 1930, il noua une relation avec Janice Biala, artiste new-yorkaise née en Pologne. Les peintures de Bowen et de Biala, dont certaines sont reproduites dans ce numéro, montrent également l’influence de la région de Toulon sur leur œuvre. Au cours de ce congrès, l’accent avait également été mis sur les relations entre les écrivains de langue anglaise qui avaient séjourné dans la région et leurs rapports avec Ford – on pense, bien entendu, à Joseph Conrad, mais aussi James Joyce ou Ezra Pound –, ainsi que leur regard sur le patrimoine de la région, qu’il soit matériel ou « immatériel » – la cuisine, par exemple, qui intéressait Ford au plus haut point. En 2009, un colloque intitulé “Ford Madox Ford, France, and Provence” avait déjà été organisé, ainsi qu’un colloque consacré à “Ford and the Other”, à Montpellier, en 2017, et le colloque de 2019 en constituait, en quelque sorte, le prolongement. Le numéro de la revue Babel inclut, en langue anglaise, plusieurs communications de ce colloque, dont d’autres ont déjà été publiées dans The Last Post, le journal officiel de la Ford Madox Ford Society. L’importance de Ford Madox Ford, ses relations et son influence sur d’autres écrivains continuent ainsi à être révélés, tout comme la place de la région de Toulon dans la riche vie intellectuelle de la Côte d’Azur au début du XXe siècle.
La conférence inaugurale de Gérard Garcia, qui avait brossé un panorama des artistes de langue anglaise ayant séjourné dans la région de Toulon dans cette période, figure dans sa version écrite et révèle, déjà, les liens qui unissaient ces derniers à cette région, ainsi que les relations tissées entre eux, jusqu’à constituer un véritable réseau.
Max Saunders, ancien directeur de la Ford Madox Ford Society, s’attelle ensuite à la tâche de mettre au jour les liens précis entre Ford Madox Ford et Toulon – ou, plutôt, entre Toulon et Ford – et son article se révèle d’une importance capitale sur ce point. L’étude détaillée des sources primaires – ainsi que de l’attrait progressif qu’éprouva Ford pour Toulon et sa région – se double d’une analyse des toiles de Stella Bowen, qui fut la compagne de Ford, au cours des premières années de son séjour à Toulon, ainsi que de celles de Janice Biala, qui vécut avec Ford au cours des années 1930. Les dernières pages rendent compte des différents lieux de résidence de l’écrivain, sous la forme d’une enquête de terrain – également effectuée au cours du colloque, car l’endroit précis de l’une des résidences de Ford reste mystérieux, du moins, pas précisément établi. L’article de Max Saunders constitue également une analyse approfondie des relations tissées entre les écrivains de langue anglaise dans le département du Var.
L’article de Laurence Davies propose d’élargir la perspective et d’étudier les visions divergentes entre Ford et l’extrême-droite française – en particulier, autour de la question de la terre, révélant l’attachement de l’écrivain pour le Var et la Provence, dans une visée universaliste. L’analyse des sources primaires, ainsi que de multiples comparaisons avec des écrivains tels que Maurice Barrès ou Charles Maurras, permettent de faire ressortir, par effet de miroir, la profonde originalité de l’écriture de Ford et l’humanité de l’écrivain.
Les relations privilégiées entre l’écrivain et la région de Toulon sont ainsi mises au jour et l’intérêt de celles-ci pour la connaissance de l’univers de l’auteur se révèle capitaux dans la perception de cette partie de la Côte d’Azur par les écrivains de langue anglaise.
Notes
1 Joseph Conrad, The Rover, Chapter One, p. 151:
“After entering at break of day the inner roadstead of the Port of Toulon, […] Master-Gunner Peyrol let go the anchor of the sea-worn and battered ship in his charge, between the arsenal and the town, in full view of the principal quay”
(traduction de Pierre-François Peirano).
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre-François Peirano, « Introduction », Babel, 44 | 2021, 9-11.
Référence électronique
Pierre-François Peirano, « Introduction », Babel [En ligne], 44 | 2021, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/babel/12653 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/babel.12653
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