Navigation – Plan du site

AccueilNuméros27DossierQuelques questions disputéesQu’est-ce que la critique dans la...

Dossier
Quelques questions disputées

Qu’est-ce que la critique dans la philosophie critique de la race ?

What is critique in critical philosophy of race?
Magali Bessone

Résumés

L’article se propose de prendre au sérieux la notion de « critique » pour évaluer dans quelles mesures, selon quelles caractérisations, sous quelles conditions et avec quelles limites, la philosophie critique de la race (PCR), qui désigne la théorie critique de la race spécifiquement dans le champ philosophique, constitue un savoir critique. La première section présentera la manière dont la PCR se définit par différence avec la philosophie de la race non critique, en termes de canon philosophique, de méthodes privilégiées et d’analyse des concepts centraux du champ : cela permettra de dégager, négativement, la fonction attribuée à la critique, méthodologiquement et théoriquement. La deuxième section dégagera trois sens possibles pour la pensée critique de la race selon les trois influences théoriques majeures du champ : la généalogie foucaldienne, la théorie critique et la phénoménologie critique. Enfin une dernière section, conclusive, se penchera plus précisément sur trois objectifs diversement défendus par les trois écoles critiques dans leur rapport à la vérité, au sujet de connaissance et à l’action.

Haut de page

Texte intégral

Introduction. Critical race studies, critical race theory, critical philosophy of race

  • 1 Au contraire d’autres « studies », qui représentent des champs constitués et actifs en France comm (...)

1Les critical race studies n’existent pas. L’expression est presque exclusivement utilisée de manière négative dans le cadre de controverses par celles et ceux qui veulent mettre un terme à l’épouvantail qu’ils créent à cette fin – et paradoxalement, dans des débats français bien plus qu’anglophones. Il n’y a pas de « champ d’étude » (studies) organisé, que ce soit autour d’un objet, d’une méthode, d’influences théoriques dominantes ou de thèses partagées, qui porterait, d’une manière critique, sur la « race », et qui se désignerait comme tel1.

  • 2 C. I. Harris, « Critical race studies: An introduction », University of California Law Review, 49, (...)

2La seule occurrence théorique de l’expression que l’on puisse trouver dans un article académique2 est proposée par Cheryl Harris en 2002, « Critical race studies: An introduction ». Or de quoi parle-t-elle ? Elle fait référence au seul usage de la locution dans un contexte universitaire : la création du Critical Race Studies Program dans l’École de droit de l’université de Californie Los Angeles (UCLAW). Ce programme est né en réponse à la crise liée au passage de la « Proposition 209, Affirmative Action Initiative », en 1996. La « proposition 209 » est un amendement à la Déclaration des droits de la Constitution de l’État de Californie qui affirme que l’État de Californie ne peut pas discriminer ni accorder de traitement préférentiel sur la base de la race, du sexe, de la couleur, de l’ethnicité ou de l’origine nationale. Cet amendement a mis fin à la discrimination positive, ou action affirmative, dans l’emploi, l’éducation et les marchés publics en Californie. Il a donc eu pour effet, parmi d’autres, d’interdire de prendre en compte l’appartenance raciale des candidates et candidats à l’entrée de l’École de droit ou d’autres formations sélectives dans les universités publiques de Californie. Kimberlé Crenshaw, Devon Carbado, Laura Gomez, Cheryl Harris, Jerry Kang, ainsi que d’autres enseignants de l’École de droit, qui travaillaient dans le champ de la critical race theory (CRT), ont alors décidé de créer un programme d’études spécifiquement centré sur les relations entre la race, le racisme et le droit, afin d’analyser la fonction du droit dans la reproduction de, ou la lutte contre, les discriminations raciales et le racisme aux États-Unis.

  • 3 C. I. Harris, art. cité, p. 1215, ma traduction. Sauf indication contraire, toutes les traductions (...)
  • 4 C. I. Harris, ibid., p. 1217.
  • 5 K. W. Crenshaw, N. Gotanda, G. Peller et K. Thomas éd., Critical Race Theory: The Key Writings tha (...)
  • 6 En français, voir G. Bligh, « Du réalisme juridique à l’intersectionnalité. Une affaire de juriste (...)

3Dans son article, Harris affirme que la création de ce programme représente un « moment important dans l’évolution de la critical race theory (CRT) et d’autres champs associés », parmi lesquels, en note, elle inclut « la théorie critique latino/a (LatCrit), les études légales asiatique-américaines, ainsi que les études sur la race et le féminisme et la théorie queer sur la race »3. Ce qui distingue tout particulièrement ce moment, selon elle, tient au fait que, alors que la recherche en CRT avait déjà produit une quantité volumineuse de publications, articles, livres, manuels (readers), et suscitait des débats internes et externes extrêmement vifs, pour la première fois la CRT se traduisait formellement et de manière systématique en un programme d’enseignement. S’il est inédit, le programme de critical race studies créé à UCLAW s’inscrivait toutefois logiquement dans le projet théorique et pratique de la CRT : « […] cartographier la relation mutuellement constitutive entre la race et le droit »4, même dans des domaines du droit où la race semble ne pas intervenir explicitement, « non pas seulement pour éclairer la relation ambiguë qui existe entre le droit et le pouvoir racial, mais pour modifier cette relation »5. Le programme de critical race studies est donc le versant institutionnel et académique de la critical race theory qui, elle, au sens strict, est une théorie du droit influencée par les critical legal studies, proposant une critique politique et sociale du droit œuvrant à dénoncer et corriger l’effet idéologique de la prétention à la neutralité normative du droit – en particulier sa prétention à la colorblindness qui dissimule le rôle toujours déterminant que jouent les différences raciales dans le maintien légal des privilèges blancs6.

  • 7 R. Delgado et J. Stefancic, Critical Race Theory: An Introduction, 3e édition, New York, New York (...)
  • 8 Ibid., p. 36.

4Mais l’expression critical race theory en est venue à désigner un mouvement plus ample, dépassant le cadre des études juridiques et nettement moins structuré, qui, selon deux de ses fondateurs, questionne « les fondements mêmes de l’ordre libéral, y compris la théorie de l’égalité, le raisonnement juridique, le rationalisme des Lumières et la neutralité des principes du droit constitutionnel »7. Elle se réclame d’influences aussi variées que « des théoriciens et philosophes européens, tels que Antonio Gramsci, Michel Foucault et Jacques Derrida » auxquels on peut ajouter Frantz Fanon, ou la « tradition radicale étasunienne, telle qu’elle s’incarne dans les figures de Sojourner Truth, Frederick Douglass, W.E.B. Du Bois, César Chavez, Martin Luther King Jr., et les mouvements Black Power et Chicano des années soixante et soixante-dix »8 – mouvements marxistes et féministes en particulier. C’est à ce titre que la CRT peut être considérée comme un champ multidisciplinaire et qu’elle est l’une des sources de ce qui s’est constitué comme « philosophie critique de la race » (PCR).

  • 9 Ch. W. Mills, « Critical philosophy of race », dans The Oxford Handbook of Philosophical Methodolo (...)
  • 10 Outre l’article de Mills cité ci-dessus, mentionnons R. Bernasconi, « Critical philosophy of race  (...)
  • 11 L. M. Alcoff, « Critical philosophy of race », dans Stanford Encyclopedia of Philosophy, E. N. Zal (...)

5Selon Charles W. Mills, « la philosophie critique de la race est le terme proposé récemment pour désigner la théorie critique de la race spécifiquement dans le champ de la philosophie »9. Si les travaux philosophiques qui en sont venus à être identifiés sous cette appellation sont apparus à la fin du XXe siècle, c’est surtout au cours de la deuxième décennie du XXIe siècle que le champ de la PCR s’est institutionnalisé, comme le signalent un certain nombre d’éléments : une revue biannuelle intitulée Critical Philosophy of Race a été créée en 2013 par les philosophes Robert Bernasconi, Kathryn Gines et Paul C. Taylor ; plusieurs articles intitulés « Critical Philosophy of Race » sont parus dans des Readers ou Handbooks de philosophie dans les années 201010 ; la philosophe Linda M. Alcoff a récemment rédigé l’entrée « Critical Philosophy of Race », parue en 2021, dans la célèbre Stanford Encyclopedia of Philosophy en ligne11. Ces éléments témoignent de la montée en puissance et de la vitalité de ce qui est désormais un champ scientifique constitué, à la fois relativement autonome et toujours au cœur de luttes de pouvoir pour la reconnaissance et la légitimation académiques.

  • 12 Ibid.

6Si la philosophie critique de la race s’inscrit dans le prolongement de certains questionnements qui étaient au cœur de la CRT, elle revendique une « méthodologie distinctement philosophique, essentiellement inspirée de la théorie critique, du marxisme, du pragmatisme, de la phénoménologie, du poststructuralisme, de la psychanalyse et de l’herméneutique, tout en soumettant ces traditions à la critique pour leur négligence des formes spécifiquement raciales de la domination, et, en conséquence, pour le caractère inadéquat de leur cadre conceptuel »12. Ainsi, le cœur de l’interrogation de la PCR porte sur l’analyse critique des conditions socio-historiques d’apparition, de la nature exacte, et des effets politiques, de la race et du racisme : l’ancrage de la PCR est d’abord celui de la philosophie politique, sociale et juridique. Mais elle a des ramifications dans d’autres disciplines classiques de la philosophie, métaphysique, ontologie sociale, éthique, épistémologie, philosophie des sciences et de la médecine, philosophie de l’histoire, etc., avec lesquelles elle est constamment en conversation.

7La philosophie critique de la race s’est aussi construite en opposition à la « philosophie de la race » traditionnelle. Comme le souligne Charles W. Mills en ouverture de son article,

  • 13 Ch. W. Mills, art. cité, p. 709.

[l]a philosophie critique de la race se distingue de la philosophie de la race traditionnelle – non critique – en étant « critique » selon de multiples sens. Elle est critique du racisme, en tant qu’idées, croyances, valeurs, mais aussi pratiques et institutions sociales ; elle est généralement, du moins ces dernières décennies, également critique des interprétations naturalistes traditionnelles de la race ; et elle est critique du déni de l’importance passée et présente de la race dans la construction de la modernité et du monde contemporain.13

8Si Mills énonce ainsi les objets soumis à la critique – le racisme, dans son acception individuelle et idéologique comme dans son acception systémique et pratique, la race, comme concept biologique ou anthropologique, la colorblindness, comme manière d’envisager les conditions de possibilité du monde contemporain sans tenir compte de sa généalogie raciale – son usage du terme de critique semble le ramener à l’acception ordinaire de dénonciation ou de jugement défavorable. La philosophie critique de la race fait la critique des usages désuets, erronés ou délétères de certains concepts ou paradigmes.

9Mais est-ce là le seul sens possible, atténué, de la critique dans la PCR ? Je me propose dans ce qui suit de prendre au sérieux la notion de « critique » pour évaluer dans quelles mesures, selon quelles caractérisations, sous quelles conditions et avec quelles limites, la philosophie critique de la race constitue un savoir critique. La première section présentera la manière dont la PCR se définit par différence avec la philosophie de la race non critique, en termes de canon philosophique, de méthodes privilégiées et d’analyse des concepts centraux du champ : cela permettra de dégager, négativement, la fonction attribuée à la critique, méthodologiquement et théoriquement. La deuxième section dégagera trois sens possibles pour la pensée critique de la race selon les trois influences théoriques majeures du champ : la généalogie, la théorie critique et la phénoménologie critique. Enfin une dernière section, conclusive, se penchera plus précisément sur trois objectifs diversement défendus par les trois écoles critiques dans leur rapport à la vérité, au sujet de connaissance et à l’action : dénaturaliser les évidences colorblind, assumer le positionnement racialement situé du philosophe critique, enfin « transformer le monde ».

De la critique de la philosophie à la philosophie critique de la race : la critique des concepts et du canon

  • 14 I. Hannaford, Race: The History of an Idea in the West, Baltimore, The John Hopkins University Pre (...)
  • 15 Ch. W. Mills, The Racial Contract, Ithaca, Cornell University Press, 1997 ; Ch. W. Mills, Black Ri (...)

10La philosophie critique de la race s’est développée dans un double mouvement d’opposition : opposition à la manière dont les questions raciales sont abordées dans une certaine philosophie de la race dominante dans la période moderne depuis le XVIIIe siècle14 ; opposition à la manière dont les questions raciales ont été négligées et considérées comme non pertinentes, voire illégitimes, dans le développement de la philosophie morale et politique dominante aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale et ont été exclusivement abordées, lorsqu’elles l’ont été, comme questions épistémiques décontextualisées et dépolitisées15.

  • 16 L. M. Alcoff, art. cité.
  • 17 C. Lévi-Strauss, Race et Histoire, Race et Culture [1971], Paris, Albin Michel, 2002 ; N. Zack, Ph (...)
  • 18 L. M. Alcoff, art. cité.
  • 19 Un des importants représentants de ce type de questionnement « analytique » est Kwame Anthony Appi (...)
  • 20 R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », art. cité, p. 551.
  • 21 L’ouvrage co-écrit par J. Glasgow, S. Haslanger, C. Jeffers et Q. Spencer, What is Race? Four Phil (...)

11Selon Linda M. Alcoff, la différence entre philosophie de la race et philosophie critique de la race porte d’abord sur la manière même d’appréhender les deux concepts centraux du domaine, la race et le racisme. La PCR ne se préoccupe pas d’étudier « la légitimité du concept de race comme manière de caractériser les différences humaines »16, ce qui a été l’enjeu épistémique des histoires naturelles du XVIIIe siècle, des débuts de l’anthropologie des Lumières, puis de la réflexion menée en épistémologie des sciences naturelles et humaines jusqu’aux Déclarations sur la race de l’Unesco et qui a été renouvelée à la fin du XXe siècle par les approches génétiques17. La PCR « considère le concept avec la conscience historique de sa fonction dans la légitimation de la domination et du colonialisme, engendrant une approche critique de la race qui donne son nom au sous-champ »18. La différence réside ainsi dans le type de question posée au concept de race et avec le concept de race. Contrairement à la philosophie de la race non critique, la PCR ne se demande pas si la race est une catégorie scientifiquement valide dans les discours des sciences naturelles (biologie, génétique), dans ceux des sciences humaines, en anthropologie (physique et culturelle) notamment, ou si c’est une fiction, ou bien encore une notion confuse du discours ordinaire. Elle ne se préoccupe pas d’étudier avec quels critères épistémiques le concept est (correctement ou non) construit, quel est son référent, s’il en a un, ni si les races existent et dans ce cas quel est le mode d’existence ontologique de la race (nominalisme : elle est un effet de discours, ou réalisme : elle a une existence réelle indépendamment des représentations qu’on s’en fait)19. Quoique, selon Robert Bernasconi, la PCR soit « l’un de ces domaines de la philosophie où les frontières entre approches analytique, continentale et pragmatiste sont d’une grande fluidité »20, ces questions d’élucidation conceptuelle sont plutôt celles qui caractérisent la philosophie analytique de la race21, alors que la philosophie critique de la race aborde cette dernière par les données objectives de sa construction politique institutionnelle, celles, intersubjectives, de ses usages sociaux, enfin celles, subjectives, de l’expérience vécue du racisme.

  • 22 L. M. Alcoff, art. cité.
  • 23 Ibid.
  • 24 I. Aubert et M. Bessone dir., « La critical race theory est-elle exportable en France ? », op. cit (...)
  • 25 R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », art. cité, p. 551.

12Concernant le concept de racisme, la PCR se démarque des réflexions menées dans le cadre de la philosophie politique libérale « qui ont restreint le racisme à ses formes individuelles et intentionnelles »22 et l’ont considéré comme une erreur cognitive ou une faute morale individuelle plutôt qu’un problème institutionnel systémique. La PCR s’emploie à dévoiler la construction et les effets du racisme comme ensemble des structures par lesquelles « la race opère dans les sociétés »23, avec des formes variées partout dans le monde. La PCR a aussi pour ambition de proposer une analyse des racismes de portée globale, dans le temps et dans l’espace. C’est en cela qu’elle diffère de la critical race theory, qui restreint l’étude critique au droit étasunien – ce qui oblige à se demander en quels termes est possible sa traduction ou son déplacement dans d’autres contextes juridico-politiques24. La philosophie critique de la race « enquête sur et s’attaque aux racismes où qu’ils se trouvent »25, oscillant entre une analyse de portée explicative potentiellement globale par les paradigmes du capitalisme racial ou de la suprématie blanche et un attachement à une description finement contextualisée des différentes formes que les racismes peuvent adopter dans des situations historiques, politiques, économiques et culturelles variées.

  • 26 L. M. Alcoff, art. cité.
  • 27 Ibid.

13Le type de questionnements porté sur les concepts de race et de racisme est étroitement lié au type d’outils avec lesquels le questionnement est mené. De ce point de vue également, la PCR revendique une identité proprement philosophique – son objet est d’étudier « les formes variées et subtiles par lesquelles la race opère dans le développement, la discussion et l’évaluation d’idées et d’arguments philosophiques »26 – tout en se démarquant explicitement de la philosophie de la race non critique. Par rapport à cette dernière, la PCR affirme puiser ses méthodologies du côté de la généalogie critique foucaldienne, de la théorie critique de l’École de Francfort, en particulier dans la version de Herbert Marcuse, et de la phénoménologie critique développée dans le sillage de Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Frantz Fanon. En d’autres termes, il semble qu’on puisse résumer prima facie ce qui distingue le travail critique de la PCR de celui de la philosophie de la race analytique par « son usage de figures et de traditions philosophiques venues de ce qui est parfois appelé la sphère “continentale” » : aux côtés des usages de Foucault et de la phénoménologie existentialiste, sont également convoqués « Jacques Derrida, Maurice Merleau-Ponty, Simone de Beauvoir, Friedrich Nietzsche, Herbert Marcuse, Jürgen Habermas, Martin Heidegger, et Sigmund Freud »27. À la lecture de cette liste, on comprend aisément que la PCR aurait bien du mal à affirmer qu’elle embrasse une méthode unifiée, ou même cohérente – d’autant moins que les trois écoles critiques qui constituent ses ressources théoriques et méthodologiques principales, généalogie foucaldienne, École de Francfort et phénoménologie critique, sont loin d’avoir de la théorie, de la pratique, du geste ou de l’attitude critiques des approches qui coïncident parfaitement.

  • 28 Ibid.
  • 29 Ibid.
  • 30 M. James et A. Burgos, art. cité.
  • 31 V. Y. Mudimbe, The Invention of Africa, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 198 (...)
  • 32 R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », art. cité, p. 552. Voir Anténor Firmin, De l’égali (...)

14S’ajoute à cette liste d’influences philosophiques des « influences extra-européennes », « écrits anticoloniaux et études critiques en sociologie, histoire, psychologie et d’autres champs qui ont étudié plus précisément les questions de race et de racisme que la philosophie »28. Ainsi non seulement le corpus continental est-il élargi à « Frantz Fanon, Édouard Glissant, W.E.B. Du Bois, Edward Saïd, Kwame Nkrumah, Gayatri Spivak et d’autres »29, mais encore la PCR fait un usage revendiqué d’œuvres issues de la sociologie critique ou de l’anthropologie critique, comme de l’histoire et de la littérature, notamment africaine-américaine, africaine et caribéenne, et de méthodologies issues de la critical race theory, des théories féministes et queer et des théories décoloniales et postcoloniales. L’article « Race » de la Stanford Encyclopedia of Philosophy, qui s’inscrit par contraste dans les débats relatifs « aux questions conceptuelles, ontologiques, épistémologiques et normatives sur la race », prévient en introduction qu’il n’approfondira pas l’étude d’auteurs « tels que Frederick Douglass, W.E.B. Du Bois ou Frantz Fanon, ni de mouvements comme la Négritude, la Critical Race Theory, l’Identité noire, la Philosophie de la libération, ou les perspectives féministes sur la race »30, pour lesquels il renvoie à la lecture de l’article sur la « philosophie critique de la race » et aux articles connexes. Un des enjeux importants de la PCR, enjeu tout à la fois théorique, pédagogique, institutionnel et politique, est d’élargir le canon philosophique traditionnel, ou ce que Valentin Mudimbe nomme la « bibliothèque coloniale »31, à des auteurs ignorés ou marginalisés, permettant de mettre en pratique la critique des savoirs dominants dans la discipline philosophique universitaire. C’est à ce titre que selon Bernasconi, il est fécond de considérer l’ouvrage du philosophe haïtien Anténor Firmin, De l’égalité des races humaines (Anthropologie positive), comme le texte fondateur de la PCR en raison de la profondeur et de l’ampleur de son engagement critique avec le racisme de son temps et la finesse de son analyse critique de la notion de « race »32. Il incarne l’un de ces philosophes oubliés du passé auxquels l’approche critique entreprend de redonner une place centrale dans le canon philosophique en soulignant leur richesse théorique.

  • 33 A. Valls éd., Race and Racism in Modern Philosophy, Ithaca, Cornell University Press, 2005 ; R. Be (...)
  • 34 J. A. Gordon et N. Roberts dir., « Creolizing Rousseau », The CLR James Journal, vol. XV, no 1, 20 (...)

15S’ajoute enfin à cette ambition celle de relire ou réinterpréter l’histoire de la philosophie dans une double perspective. D’une part, affronter, sans les passer sous silence ni les justifier abusivement, le racisme, le colonialisme ou l’impérialisme des philosophes, qui constituent le cœur de la discipline. Plusieurs gestes sont importants ici pour la discipline philosophique : il faut accepter de lire et d’analyser, sans les considérer comme négligeables ni leur imposer l’oubli ou la censure, ces pages des philosophes du passé qui sont explicitement racistes – même si elles nous déplaisent ou nous embarrassent aujourd’hui. Il faut parvenir à évaluer si, et dans quelle mesure, les thèses qui y sont soutenues pèsent sur des énoncés éthiques, ontologiques, épistémiques, qui en apparence leur sont étrangers – le racisme contamine-t-il d’autres domaines de la pensée, est-il vraiment possible de considérer les jointures d’un système philosophique comme des joints d’étanchéité ? Il faut enfin être capable de situer les énoncés racistes dans la grammaire de leur époque afin d’apprécier s’ils sont extrêmes ou mesurés et s’ils ont été influents ou non sur les visions du monde ou les traditions de pensée dans lesquelles ils s’inscrivent. Cette relecture de l’histoire de la philosophie fait une place centrale à la contextualisation politique et à la réception dans la longue durée d’œuvres aussi traditionnellement déterminantes pour la discipline que celles de John Locke, David Hume, Emmanuel Kant, Montesquieu, John Stuart Mill, Friedrich Hegel, parmi bien d’autres33. D’autre part, certains chercheurs en PCR ont récemment entrepris plusieurs tentatives de « créolisation » du canon philosophique pour « faire bouger la géographie de la raison », en s’intéressant aux usages des auteurs occidentaux classiques dans le monde colonisé – par exemple en relisant Rousseau à la lumière de Fanon ou de Cyril Lionel Robert James34.

  • 35 B. Latour, « Why has critique run out of steam? From matters of fact to matters of concern », Crit (...)
  • 36 J.-F. Schaub et S. Sebastiani, Race et histoire dans les sociétés occidentales (XVe-XVIIIe siècle)(...)
  • 37 C. Gautier et M. Zancarini-Fournel, De la défense des savoirs critiques, Paris, La Découverte, 202 (...)

16Ce rapide tour d’horizon de la manière dont la PCR se présente, et présente son apport propre, non seulement à la philosophie en général, mais aussi, plus particulièrement, à la philosophie de la race en soulignant sa propre dimension critique, permet de saisir intuitivement le rôle attribué à la notion de « critique ». Mais si l’on se contente de cette approche par la négative, la notion de « critique » semble fonctionner de deux manières possibles, dont aucune n’est parfaitement satisfaisante pour saisir ce que le champ a de spécifique. Soit la critique est prise dans son sens ordinaire, auquel cas relève de la philosophie critique de la race tout argument philosophique qui consiste à désapprouver ou émettre un jugement défavorable sur des thèses qui ne se démarquent pas suffisamment des croyances racistes du passé. Accoler l’épithète de critique à la philosophie est alors le signe que la philosophie est du bon côté de l’histoire. Soit, en faisant un pas de plus, la critique devient synonyme de radicalité. Est alors critique toute réflexion qui, sans endosser les thèses racistes du passé, se préoccupe de souligner l’importance de la pensée raciale dans l’énoncé d’arguments philosophiques – comme si, pour reprendre l’expression de Bruno Latour, il suffisait de dire que la race est « Made in Criticalland »35 pour qu’elle perde, dans les discours philosophiques, tout risque de redevenir l’instrument d’oppression qu’elle a pourtant été durant une très longue partie de son histoire36 et qu’elle soit par définition désormais un outil d’émancipation. S’il faut prendre au sérieux la notion de « critique », c’est que ce type de contestation sur la pertinence de la PCR, vue comme posture morale déconnectée de ses usages potentiellement oppressifs dans le monde réel, se met aisément au service d’une approche conservatrice, particulièrement virulente aujourd’hui dans ses attaques contre une partie du monde académique, en particulier contre les études et théories considérées comme des déviations idéologiques identitaires, aux États-Unis comme en France. Répondre à ces attaques exige une réévaluation de la pratique critique ainsi qu’un approfondissement de la réflexion théorique sur le sens et les objectifs des savoirs critiques37.

Les trois critiques de la philosophie critique de la race

17Si l’on observe ce que signifie la critique dans les articles se réclamant de la PCR, autrement dit si on observe comment fonctionne la critique comme mécanisme théorique et pratique permettant de renouveler la production des savoirs, on peut dégager trois sens principaux, selon que les auteurs mobilisent plutôt les outils de la généalogique critique, ceux de la théorie critique, ou ceux de la phénoménologie critique. Ces sens se croisent souvent et peuvent être complémentaires dans le geste critique de la PCR, quoique, sur un certain nombre de points qui seront brièvement abordés dans la troisième section, ces trois sens puissent produire des frictions – comme on le verra, c’est justement dans ces frictions, qui exigent un exercice d’équilibre constant, que la philosophie de la race peut trouver sa portée critique.

  • 38 M. Foucault, Qu’est-ce que la critique ? suivi de La culture de soi, Paris, Vrin, 2015. Voir en pa (...)
  • 39 Ibid., p. 51.
  • 40 M. Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ? », dans id., Dits et écrits, t. IV, Paris, Gallimard, (...)
  • 41 M. Foucault, Qu’est-ce que la critique ?, op. cit., p. 39.
  • 42 J. Revel, Le vocabulaire de Foucault, Paris, Ellipses, 2002, p. 38.

18La première manière d’envisager la critique est d’inspiration foucaldienne38. Elle souligne l’importance du travail de l’histoire dans la possibilité même de la philosophie critique comme enquête sur les conditions de possibilité de la connaissance, tâche que Foucault rapproche de la définition que Kant donnait des Lumières. Mais cette enquête n’est pas tant une « enquête en légitimité » chez Foucault qu’« une épreuve d’événementialisation »39 ou « ontologie de l’actualité »40. En effet, Foucault estime que Kant inaugure deux formes de critiques, celle de l’analyse critique de la connaissance (qui pose la question de la vérité) et celle de l’histoire critique de la pensée (qui pose celle de notre actualité). La critique, « mouvement par lequel le sujet se donne le droit d’interroger la vérité sur ses effets de pouvoir et le pouvoir sur ses discours de vérité »41, consiste à questionner la possibilité de la production de connaissance en faisant la généalogie des régimes de vérité ou des différentes perspectives par lesquelles s’appréhende le réel. C’est ainsi que le philosophe en arrive à observer nos (ses) propres perspectives actuelles, notre propre manière de produire un discours de vérité dans une certaine configuration de pouvoir, enfin notre mode d’appartenance à une communauté. La généalogie, comme effort de désassujettissement des savoirs historiques42, est critique puisqu’elle a pour objectif de montrer comment notre perspective actuelle a été structurellement sédimentée et constituée comme la seule possible, comment elle en est arrivée à se donner comme ordre naturel dans le présent. Rapporter cet ordre à des événements historiques singuliers et à des rapports de forces et d’intérêts permet de le dénaturaliser et de montrer qu’une autre perspective est possible.

  • 43 D. T. Goldberg, Racist Culture: Philosophy and the Politics of Meaning, Oxford, UK, Blackwell, 199 (...)

19Au-delà des reprises de thématiques foucaldiennes sur la « guerre des races » ou la manière dont le biopouvoir produit des effets disciplinaires sur les corps racialisés par exemple43, la PCR applique cette méthode généalogique en étudiant comment la race, en tant que catégorie d’appréhension du réel, a été prise dans des épistémès différentes. Mais au lieu de se centrer sur la manière dont elle a été mobilisée pour diviser l’humanité en groupes distincts, elle s’intéresse plutôt à la manière dont les minorités racialisées ont été, sont encore, construites dans/par des dispositifs particuliers comme inférieures, menaçantes, sauvages, etc., comme non intégrées, voire non intégrables, au corps politique, au « nous ». L’usage de la généalogie foucaldienne permet de saisir les rapports entre race et pouvoir, de rendre visibles, dénaturaliser et politiser les distinctions raciales, mais aussi d’observer comment certaines formes de résistances à l’ordre racial sont en fait complices du maintien de cet ordre. La généalogie critique est indispensable pour saisir les conditions matérielles et les intérêts de savoir/pouvoir qui ont produit la race et ses reconfigurations historiques et contemporaines.

  • 44 I. M. Young, Justice and the Politics of Difference, Princeton, Princeton University Press, 1990.
  • 45 Sur les enjeux de cette discussion entre critique foucaldienne et théorie critique, voir notamment (...)

20La deuxième approche est celle de la théorie critique, en particulier dans la version de l’École de Francfort, qui se propose de formuler une critique immanente du pouvoir social. Si la théorie critique, en particulier en raison de son ancrage marxiste, est, comme la généalogie foucaldienne, une théorie historique et se préoccupe également de dévoiler la construction historico-politique des structures oppressives naturalisées dans les sociétés contemporaines, elle s’oppose à l’approche précédente par sa dimension normative assumée à partir du diagnostic critique du temps présent. Dans les termes de Iris Marion Young, la théorie critique est « une réflexion normative historiquement et socialement contextualisée. La réflexion normative doit partir des circonstances historiques spécifiques parce qu’il n’y a rien d’autre que ce qui est, le donné, l’intérêt situé pour la justice, comme point de départ »44. Si la théorie critique a besoin d’un fondement normatif plus solide que la généalogie, comme le soutient aussi Habermas, c’est parce que la critique généalogique, capable de dénaturaliser les hiérarchies sociales et politiques, est incapable de fournir les critères pour déterminer dans quelle direction nous devons progresser pour réaliser l’émancipation, ni ce que nous devons faire pour remplir les objectifs justifiés qui sont les nôtres. Une théorie normative est indispensable pour formuler nos objectifs politiques et pour émettre des jugements sur nos pratiques45 – en admettant que le « nous » est déjà formé et son action possible.

21Or la théorie critique est fondamentalement une théorie de la praxis : fidèle là aussi à son origine marxiste, elle prend au sérieux l’exigence de changer le monde sans se contenter de l’interpréter. L’ambition de la théorie critique est d’œuvrer à l’émancipation des groupes dominés. C’est précisément cet engagement dans la pratique (à la fois comme point de départ et comme visée de la théorie) qui est à l’origine des attaques contre la critique, hier comme aujourd’hui accusée d’oublier l’exigence de neutralité du savant. Horkheimer écrivait déjà en 1937 :

  • 46 M. Horkheimer, « Traditional and critical theory » dans id., Critical Theory: Selected Essays, New (...)

L’hostilité à la théorie en tant que telle qui prévaut dans le débat public actuel est en réalité dirigée contre l’activité transformatrice associée à la pensée critique. L’opposition commence dès que les théoriciens ne se limitent pas à la vérification et à la classification au moyen de catégories aussi neutres que possibles, c’est-à-dire de catégories indispensables aux modes de vie dont nous avons hérité. […] L’enjeu n’est pas simplement la théorie de l’émancipation ; c’en est aussi la pratique.46

  • 47 B. Harcourt, Critique and Praxis, New York, Columbia University Press, 2022, en particulier l’intr (...)
  • 48 Définition que Nancy Fraser (« What’s Critical about Critical Theory? The Case of Habermas and Gen (...)
  • 49 L. Outlaw, Critical Social Theory in the Interests of Black Folks, Lanham, Rowman & Littlefield, 2 (...)

22Et Horkheimer montre que la neutralité invoquée correspond en réalité à l’acceptation conservatrice du statu quo social et à la reproduction des grilles de pensée et d’interprétation du monde social qui servent le maintien des structures inégalitaires. Toutefois, comme le rappelle Bernard Harcourt, la théorie critique s’est très vite inscrite dans un tournant épistémologique au détriment de ses engagements pratiques originels, construisant une relation de contradiction dialectique entre théorie et pratique au lieu d’explorer les possibilités réelles de transformation du monde47. C’est ce déplacement ou cette redéfinition de la théorie critique comme entreprise strictement épistémologique « d’auto-clarification des combats et des souhaits du moment »48, associée à l’aveuglement ou au désintérêt pour la place centrale des racismes et des histoires coloniales dans l’ordre social actuel, qui ont d’abord détourné la philosophie de la race des apports de la théorie critique, comme le rappelle Lucius Outlaw49.

  • 50 D. Owen, art. cité, p. 220.
  • 51 T. Shelby, « Racism, Moralism, and Social Criticism », Du Bois Review, vol. XI, no 1, 2014, p. 57- (...)

23Mais la PCR a récemment entrepris de développer certains usages de la théorie critique francfortoise et de déplacer aux inégalités et aux formes d’oppression raciales les analyses formulées pour une critique des inégalités économiques et de l’oppression de classe. Plusieurs gestes d’appropriation critique ont été effectués. Premièrement, certains chercheurs ont mobilisé la critique de l’idéologie menée par la première génération de l’École de Francfort pour analyser la race et le racisme en termes d’idéologie. Dans cette acception, une idéologie se caractérise par la distorsion des croyances des agents sur le monde social et la dissimulation de rapports de domination et d’intérêts particuliers sous l’apparence de principes normatifs universels. La critique de l’idéologie vise à libérer les sujets de l’internalisation des valeurs dominantes, ce que Owen nomme la « captivité idéologique »50 ou fausse conscience, qui les amène à penser que des structures socio-politiques oppressives sont légitimes. Il s’agit de restituer au sujet sa capacité à construire une croyance valide sur ce qu’est l’ordre présent, et ce qu’il doit être – en l’occurrence, dévoiler comment l’oppression raciale est à l’œuvre dans les constructions subjectives clivées, les relations intersubjectives stigmatisantes et les rapports institutionnels discriminatoires, dans des arrangements sociaux complexes où la racialisation est naturalisée et dissimulée comme mécanisme de domination par le recours aux principes d’indifférence aux différences et de mérite. Dans les mots de Tommie Shelby, « l’objectif » de la critique de l’idéologie raciste « est d’arriver à formuler la théorie la plus éclairante du racisme, même si cette théorie est gagnée au prix de la rupture avec le sens commun ou en semblant nier l’évidence »51.

  • 52 B. Baum, « Decolonizing critical Theory », Constellations, vol. XXII, no 3, 2015, p. 420-434 ; A.  (...)
  • 53 A. L. Farr, « Critical Theory. Adorno, Marcuse, and Angela Davis », dans The Routledge Companion t (...)
  • 54 A. Davis, Women, Race and Class [1981], New York, Vintage Books, 1983.

24Deuxièmement, d’autres ont proposé de « décoloniser la théorie critique »52, ce qui s’entend d’au moins deux manières. D’une part, on peut souligner la contribution, trop peu reconnue, d’autrices comme Angela Davis à la théorie critique en montrant sa puissance et son originalité53. C’est d’abord une originalité méthodologique, puisque Davis renouvelle le rapport entre pensée et action, entre théorie et pratique, entre recherche universitaire et militantisme en œuvrant à une transformation radicale de la société, non seulement dans ses écrits théoriques mais aussi dans la rue, renouant ainsi avec l’objectif marxiste originel. C’est ensuite une originalité théorique, dans la mesure où Davis pense très tôt l’émancipation en termes intersectionnels54. Or, en raison de sa double formation – formation théorique (en particulier auprès de Herbert Marcuse) et formation à la pratique des luttes concrètes notamment au sein des Black Panthers –, l’intersectionnalité chez elle consiste à souligner les relations organiques entre le mouvement féministe, le mouvement ouvrier et le mouvement Noir, mais aussi à penser les questions de genre, de sexualité, de classe et de race dans leurs configurations structurelles au sein des institutions étatiques de répression comme l’armée, la police et la prison.

  • 55 G. Bhambra, « Decolonizing critical theory? Epistemological justice, progress, reparations », Crit (...)

25D’autre part, décoloniser la théorie critique signifie prendre au sérieux les mobilisations politiques postcoloniales actuelles, monter en théorie à partir de leurs revendications, compléter les analyses historiques sur la formation du capitalisme par l’histoire du colonialisme et de l’esclavage, enfin formuler les modifications radicales qu’un tel renouvellement de l’histoire européenne (considérer la révolution haïtienne comme un événement mondialement signifiant, interpréter les processus d’appropriation et d’extraction coloniaux comme essentiels pour la modernité capitaliste, etc.) produit sur les catégories et thèses normatives elles-mêmes. Selon Gurminder Bhambra, le déplacement qu’un tel geste fait subir aux catégories de modernité et d’émancipation dévoile l’injustice épistémologique, la complicité avec des « méta-récits impérialistes » de la théorie critique, que la décolonisation de la méthode exige d’affronter si on la prend au sérieux. Il faut se préoccuper non seulement « de créer des fractures épistémiques dans les systèmes de pensée impérialistes », mais aussi « de reconnaître et réparer les fractures très réelles créées dans le monde social par ces systèmes de pensée et leurs pratiques »55. Se fait jour notamment une réflexion en termes de justice réparatrice pour répondre de manière réellement critique au diagnostic d’inachèvement du projet de décolonisation de nos sociétés occidentales.

  • 56 L. Guenther, « Critical phenomenology », dans 50 Concepts for a Critical Phenomenology, G. Weiss, (...)
  • 57 M. Garrau et M. Provost, « Introduction. L’oppression au prisme de la phénoménologie (et retour). (...)
  • 58 L. Guenther, « Six senses of critique for critical phenomenology », Puncta. Journal of Critical Ph (...)

26Enfin la dernière manière d’envisager la critique dans la PCR est empruntée à la phénoménologie critique56. Ce dernier domaine de la philosophie, lui aussi en pleine expansion, retient d’abord de la phénoménologie classique la pratique de « suspension » de l’attitude naturelle, le refus de l’évidence donnée de notre rapport au monde pour réfléchir aux conditions dans lesquelles s’établit ce rapport. Mais deux caractéristiques la distinguent de la phénoménologie traditionnelle57. Premièrement, la phénoménologie critique s’assigne la tâche de penser la richesse ou l’épaisseur de l’expérience vécue des consciences sans considérer les sujets comme des individus isolés et « neutres », mais en partant de l’intersubjectivité et du caractère historiquement et socialement situé des consciences et des expériences du monde, ainsi que du sens donné à ces expériences. Ce courant revendique explicitement s’inspirer des phénoménologies de Simone de Beauvoir et de Frantz Fanon pour dévoiler les structures et forces oppressives multiples – en particulier le patriarcat, la colonialité et la suprématie blanche – qui pèsent sur la constitution et l’interprétation de nos expériences vécues. Dans les termes de Lisa Guenther, « la phénoménologie classique demeure insuffisamment critique en ce qu’elle échoue à fournir une explication […] rigoureuse de la manière dont des structures sociales et historiques contingentes informent aussi notre expérience, non pas seulement empiriquement ou progressivement, mais d’une manière qu’on pourrait appeler quasi-transcendantale »58. La phénoménologie critique se propose de nous débarrasser de l’impensé naïf selon lequel on peut proposer une approche rigoureuse de la conscience sans se préoccuper de ces structures sociales contingentes mais constitutives des expériences, qui normalisent et naturalisent nos rapports au monde, et le font de manière différenciée selon les sujets. L’étude de ces structures relève de la phénoménologie, et non pas de l’anthropologie ou de la sociologie, si on les considère non pas comme des phénomènes susceptibles d’une analyse empirique, mais comme des façons d’engendrer du sens.

  • 59 Ibid., p. 8.
  • 60 Loc. cit.

27Deuxièmement, la phénoménologie critique ne se contente pas de décrire les conditions de possibilité a priori de l’expérience ; elle les évalue et le cas échéant s’efforce de les transformer, lorsque ces structures normalisent et privilégient les possibilités de certains sujets tout en pathologisant et défavorisant celles d’autres sujets. Autrement dit, il y a une dimension assumée de passage à l’action : la phénoménologie critique n’est pas seulement « une méthode analytique », c’est une « pratique créative »59 qui propose des stratégies pour démanteler les structures évaluées comme injustes et oppressives en puisant ses outils dans « la théorie postcoloniale, le féminisme, la théorie critique de la race, le marxisme, l’École de Francfort, la psychanalyse, la théorie queer, la généalogie foucaldienne, la déconstruction, les études critiques du handicap, ou tout autre discours critique »60. Ce que la phénoménologie ajoute aux analyses conduites avec ces différentes traditions, c’est l’attention portée à l’expérience vécue singulière, l’effort de ne pas rester centrée sur l’objectivité des structures.

  • 61 L. M. Alcoff, art. cité.
  • 62 L. R. Gordon, Bad Faith and Antiblack Racism, Atlantic Highlands, Humanities Press, 1995 et Existe (...)
  • 63 G. Yancy, Black Bodies, White Gazes: The Continuing Significance of Race, Lanham, Rowman & Littlef (...)
  • 64 A. Al-Saji, « A phenomenology of hesitation: Interrupting racializing habits of seeing », dans Liv (...)
  • 65 S. Ahmed, « A phenomenology of whiteness », Feminist Theory, vol. VIII, no 2, 2007, p. 149-165.
  • 66 H. Ngo, « Critical phenomenology and the banality of white supremacy », Philosophy Compass, vol. X (...)
  • 67 M. Garrau et M. Provost, op. cit., p. 22.

28La PCR s’est emparée de la méthode de dévoilement des structures sociales de la phénoménologie critique car elle y a puisé la possibilité de rendre compte de la multiplicité des formes de racisme, liée à la diversité des expériences raciales : sur un fond commun d’essentialisme, de naturalisme et d’infériorisation, ce que la phénoménologie critique permet de mettre en évidence, c’est la différence, et la valeur cognitive, des expériences variées que font les sujets racialisés de leur rapport au monde. Ainsi, comme l’affirme Linda M. Alcoff, la phénoménologie permet de « déplacer le concept de sujet normatif »61 et de le complexifier. Le sujet incarné mâle et blanc, implicitement naturalisé comme « neutre », ne peut être la source privilégiée de la théorisation : Lewis Gordon, qui théorise le racisme anti-noir comme mauvaise foi sartrienne et analyse les modalités de résistance des sujets noirs incarnés62, George Yancy, qui travaille l’importance du regard racialisant produisant à la fois invisibilité et survisibilité des Noirs63, Alia Al-Saji, qui s’intéresse aux distorsions de l’inscription spatio-temporelle des sujets racialisés64, Sara Ahmed, qui dénaturalise l’expérience vécue spécifique de la blanchité65, ou encore Helen Ngo, qui met en évidence la banalité de la suprématie blanche en théorisant le racisme comme habitude corporelle66, ont montré l’intérêt de mobiliser le concept de schéma corporel racialisé pour révéler la valeur normative et épistémique d’expériences différentes. Les sujets sont des êtres incarnés et c’est ce qui donne les contours singuliers des multiples expériences signifiantes de la race et du racisme en évitant le risque d’unifier artificiellement les modalités d’expériences vécues et la signification de ces concepts. La phénoménologie décrit les effets de blocage, désorientation, hyper-vigilance et épuisement que produit le racisme sur les sujets racialisés minoritaires. Elle permet de penser comment le racisme relève du registre affectif et préréflexif des sujets, ce qui fournit un instrument pour dépasser la dichotomie trop souvent caricaturale entre le racisme comme attribut d’un individu et le racisme comme effet d’institutions. Comme le soulignent Marie Garrau et Mickaëlle Provost, la phénoménologie critique travaille à clarifier les expériences opacifiées par les assignations raciales, à démystifier les discours dominants qui font de la race une simple fiction idéologique, enfin à dénaturaliser la race et le racisme en dévoilant leurs processus de construction, notamment affectifs67.

La philosophie critique de la race comme équilibre critique : vérité, sujet, action

  • 68 W. Brown, Edgework, Critical Essays on Knowledge and Politics, Princeton, Princeton University Pre (...)

29Les trois principales traditions critiques exposées ci-dessus, au cœur de l’entreprise critique de la PCR, partagent un certain nombre de convictions sur ce en quoi consiste le geste critique lui-même : effort de problématisation – formulation et élucidation du problème, de la « crise objective »68, par conviction qu’une plus juste compréhension du problème fait partie du processus pratique requis pour le résoudre – ; diagnostic des structures d’oppression socio-politiques par la prise au sérieux de données empiriques issues des sciences sociales et historiques, et par celle de points de vue minoritaires trop souvent ignorés ou étouffés comme points de vue cognitifs pertinents ; dénaturalisation et dévoilement de ces structures et de leur importance théorique et pratique dans notre monde social contemporain. Néanmoins, au-delà de ces perspectives partagées, les trois traditions évoquées diffèrent quant à ce qu’elles estiment être le rapport correct de la philosophie critique à la vérité, au sujet de connaissance et à l’action. La PCR, comme champ disciplinaire par définition, ou par construction, ouvert et hétérogène, hérite des frictions ou ambiguïtés théoriques qui existent entre les trois traditions critiques. L’hypothèse posée ici pour conclure est que c’est l’exercice d’équilibre requis par l’exigence de justice épistémique intrinsèque à l’ambition de la PCR qui constitue la pratique critique en tant que telle.

30Concernant le rapport à la vérité tout d’abord, la généalogie se demande comment on en est arrivé à considérer une certaine perspective sur le monde comme la seule possible et cherche à révéler le caractère contingent de cette perspective, afin de proposer d’autres arrangements sur ce qui est tenu pour vrai et faux ; mais elle se contente de restituer les conditions de possibilité de discours possibles sans ambition prescriptive et sans tenir la philosophie comme capable de produire un discours « vrai ». L’émancipation réside dans la contestation et l’ouverture vers des possibles. La PCR en tire l’importance de dévoiler que, contrairement à l’évidence naturaliste selon laquelle la race « se donne » dans les corps, la race est construite comme réalité biologique. La généalogie du discours racial consiste à découvrir les différentes strates historiques, avec leurs ruptures et discontinuités, de production discursive des catégories raciales comme catégories naturelles en montrant comment ces catégories sont situées dans des régimes de savoir/pouvoir particuliers. Elle montre la contingence de cette perspective sur la race et indique que d’autres perspectives sont possibles. La théorie critique, elle, tient à la distinction entre vérité et fausseté, et s’efforce de dévoiler les effets idéologiques produits par les pouvoirs dominants pour que les agents réalisent qu’ils sont bernés et se libèrent ainsi de l’idéologie. Pour la PCR, l’important est de dévoiler la suprématie blanche comme un projet politique traduit dans des structures juridico-politiques non seulement explicites comme dans le cas des régimes racistes légaux du passé – l’esclavage colonial appuyé sur le Code Noir dans l’Empire français, la ségrégation aux États-Unis, etc. –, mais aussi toujours présentes, quoique dissimulées, sous l’idéologie de la colorblindness. L’émancipation consiste à révéler la suprématie blanche déguisée en idéologie du mérite indifférente aux différences comme fondement légitime de la redistribution des ressources socio-politiques et économiques ; et à mobiliser explicitement les catégories raciales comme instruments indispensables pour proposer des principes alternatifs justes, égalitaristes, de redistribution.

  • 69 Rôle analogue à celui que Didier Fassin attribue à l’ethnographie dans « The endurance of critique (...)
  • 70 E. Bonilla-Silva, Racism without Racists. Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequal (...)
  • 71 Id., « The invisible weight of whiteness: The racial grammar of everyday life in contemporary Amer (...)
  • 72 H. Ngo, art. cité.

31La phénoménologie peut jouer, dans l’alternative entre montrer les régimes de véridiction et dévoiler les rapports de domination, un rôle de conciliation69. En s’intéressant aux effets que produisent sur les sujets situés non seulement les structures dominantes, mais aussi la révélation de l’oppression, elle partage l’ambition de dénaturalisation de l’évidence tout en évitant de considérer que le travail de la critique est terminé lorsqu’un autre discours savant est rendu possible. Comme la théorie critique, elle accepte la dimension normative du discours philosophique et évalue les conditions de possibilité des expériences (et de production de sens sur l’expérience) en termes de justice sociale, en particulier en étant attentive au fait qu’une même structure peut faciliter le rapport au monde de certains et faire obstacle pour d’autres. Comme la généalogie, elle se préoccupe de la manière dont les expériences dépendent de la sédimentation particulière des structures dans les situations singulières habitées par les sujets. La phénoménologie peut donc en arriver à proposer une critique de la suprématie blanche comme racisme structurel qui intègre la pluralité des descriptions des expériences vécues – qui admette qu’il ne s’agit pas seulement d’un système politique maintenu intentionnellement parce que les personnes privilégiées n’ont pas intérêt à le renverser70, qui ne prête pas « une » expérience ou point de vue unique à un groupe racialisé qui serait alors à nouveau tendanciellement réifié ou homogénéisé71, mais qui l’analyse comme texture naturalisée, habituelle, invisible, ordinaire, des relations multiples entre individus et des interactions entre les individus et leurs milieux72.

  • 73 M. Walzer, The Company of Critics: Social Criticism and Political Commitment in the Twentieth Cent (...)

32Concernant la place accordée au sujet de connaissance ensuite, l’alternative posée par la théorie critique et la généalogie est celle que Michael Walzer présentait déjà comme distinguant la philosophie normative idéale libérale d’inspiration rawlsienne et son propre positionnement selon l’importance donnée au contexte empirique de production du discours philosophique73. Dans la première approche, qui est aussi celle qui préside à l’analyse de la domination, le philosophe prétend offrir aux agents une perspective critique sur le monde qui leur échappe, les déciller sur leur propre domination internalisée ; dans la seconde, qui correspond à une analyse de la justification, il se propose d’enregistrer et analyser les approches critiques que produisent les agents eux-mêmes sur le monde. Dans la première, les agents ordinaires sont victimes d’illusions ou de fausse conscience et le chercheur, en raison de son privilège réflexif et de son désintéressement dans le jeu de pouvoir étudié, peut produire une connaissance objective du monde. Dans la seconde, aucun point de vue n’est privilégié, mais tous sont a priori valides et la connaissance se construit par la mise en commun de la pluralité des perspectives situées.

  • 74 Ch. W. Mills, « White ignorance », dans id., Black Rights/White Wrongs, op. cit. ; J. Medina, The (...)
  • 75 M. Hardimon, « Should we narrow the scope of “racism” to accommodate white sensitivities? », Criti (...)

33Appliquée aux questions raciales, cette dichotomie consiste dans le premier cas à prétendre produire une connaissance théorique sur la race et le racisme qui explicite et évalue, voire corrige, ce que « les gens », quelle que soit leur appartenance raciale, disent de leurs expériences vécues d’humiliation, marginalisation, stigmatisation, discrimination, en s’appuyant sur des données quantitatives, objectives, statistiques pour conceptualiser et mesurer le racisme. Le risque, bien identifié désormais, est d’ignorer ou de minimiser un certain nombre de témoignages ou de productions de ressources cognitives par la méconnaissance du chercheur sur les biais épistémiques induits par son propre positionnement74. Dans le second, la connaissance repose d’abord sur l’hypothèse selon laquelle un « commun » des expériences raciales est possible – on peut trouver un langage descriptif et normatif commun pour s’entendre sur ce que sont la race et le racisme ; ensuite sur l’idée que toutes les expériences se valent sur le plan de la production de savoir. Ces deux hypothèses ont été largement battues en brèche là aussi en raison du risque hégémonique que dissimule l’exigence préalable d’un accord épistémique et d’une valeur égale75.

  • 76 L. M. Alcoff, « Vers une phénoménologie de l’incorporation raciale » [1999], dans Race, racisme, d (...)

34Ici aussi la phénoménologie critique propose une position féconde. Elle permet d’affirmer que certaines perspectives valent mieux que d’autres sur les questions raciales, sans dénigrer aucune expérience raciale quel que soit son positionnement historique et social, et en formulant la théorisation critique à partir de la richesse et de la diversité des expériences vécues des agents. Elle permet également de tenir compte du contexte objectif et subjectif dans lequel la critique s’élabore et du champ social dans lequel elle s’insère76.

  • 77 On sait que si Foucault estime qu’une attitude expérimentale de transformation de soi est, avec le (...)
  • 78 T. Shelby, We Who Are Dark. The Philosophical Foundations of Black Solidarity, Cambridge, Harvard (...)
  • 79 D. Fassin, « How is critique? », art. cité, p. 23.
  • 80 Ch. W. Mills, « Racial justice », Aristotelian Society Supplementary, vol. XCII, no 1, 2018, p. 69 (...)

35On rejoint ainsi le dernier point, qui touche au rapport entre philosophie et action. Si la généalogie n’est pas une théorie de l’action77, la théorie critique et la phénoménologie critique revendiquent une pratique transformatrice des structures oppressives. C’est ainsi que la PCR, en dépit de sa méfiance pour toute position de surplomb normatif, estime qu’il entre dans ses attributions d’être une pratique politique et de prendre position sur un certain nombre d’enjeux d’émancipation des minorités racialisées, de destitution des privilèges et d’égalisation des statuts de sujets de connaissance. Par exemple, la PCR, admettant que le sens de la race n’est ni homogène ni uniforme, affirme qu’éliminer le concept de race ne peut constituer un engagement critique que si l’on peut montrer que c’est possible et surtout désirable pour tous les agents concernés. Or le souhait d’oublier l’histoire partagée par l’élimination de l’étiquette collective raciale, le renoncement à la solidarité politique que traduit aussi la catégorisation raciale78, peut varier selon les individus et les groupes – et il faut tenir compte de cette multiplicité, pour œuvrer à transformer le concept plutôt qu’à l’éliminer des discours. Par ailleurs, l’ambition explicite de transformation politique de la théorie critique et de la phénoménologie critique, couplée à leur moindre réticence à l’égard de la normativité, peut se traduire dans un effort renouvelé de la PCR de réfléchir aux moyens concrets de lutte contre le racisme dans une perspective de réalisation de la justice raciale – réfléchir par exemple aux enjeux de l’action affirmative comme manière de remédier aux injustices de redistribution, de reconnaissance et de représentation qui ciblent disproportionnellement les groupes racialisés minoritaires ; ou bien encore à la portée des réparations pour répondre aux injustices historiques de la traite, de l’esclavage, du colonialisme et à leur héritage dans le racisme structurel aujourd’hui. Cela exige que la critique de la PCR renonce à se présenter comme « radicale », auto-positionnement hyperbolique qui, comme le rappelle Didier Fassin, tend à accélérer la marginalisation de la pensée critique dans quelques départements de sciences humaines, en une « reductio ad scholam » selon laquelle plus la critique est radicale, « plus elle est inoffensive »79. Au contraire, la critique, pour être puissante, doit être cohérente et à visée pratique. En l’occurrence, la PCR pourrait se donner les moyens d’une conversation avec les théories de la justice égalitaristes, « ce qui pourrait bien se révéler plus révolutionnaire dans ses implications que ce que l’on pourrait anticiper »80.

36Quand fait-on une philosophie critique de la race ? En temps de crise – quand les structures raciales ne peuvent plus se dissimuler mais ne sont pas démantelées. Comment fait-on une philosophie critique de la race ? En dénaturalisant les évidences et en pluralisant les descriptions des expériences raciales. Qui fait la philosophie critique de la race ? Des sujets de connaissance pluriels, incarnés dans des corps situés différemment dans la formation raciale du monde social. Que fait-on quand on fait une philosophie critique de la race ? On fait un exercice d’équilibre : les voix critiques s’efforcent de tenir une juste position épistémique, jamais stabilisée, qui ne soit ni celle du représentant ou du porte-parole, ni celle de l’expert, ni celle du militant ou de l’influenceur, ni celle du témoin en première personne, ni celle de l’écrivain de fiction, mais qui consiste à pluraliser les positionnements dans la pratique de critique raciale.

Haut de page

Notes

1 Au contraire d’autres « studies », qui représentent des champs constitués et actifs en France comme dans les pays anglophones depuis plusieurs dizaines d’années : gender studies ou études de genre (voir par exemple en France le numéro spécial de la revue Vingtième Siècle « Histoire des femmes, histoire des genres », dès 2002), cultural et postcolonial studies (en anglais voir Robert Young, Postcolonialism : An Historical Introduction, Oxford, Blackwell, 2001 ; en français, Emmanuelle Sibeud, « Post-colonial et colonial studies : enjeux et débats », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2004/5, no 51-4 bis, p. 87-95). Les controverses hexagonales auxquelles ces études ont donné lieu ont fait l’objet de nombreuses publications auxquelles il est impossible de rendre justice ici.

2 C. I. Harris, « Critical race studies: An introduction », University of California Law Review, 49, 2002, p. 1215-1239. On trouve l’expression dans le titre d’un ouvrage collectif, F. Winddance Twine et J. W. Warren éd., Racing Research, Researching Race: Methodological Dilemmas in Critical Race Studies, New York, New York University Press, 2000, mais l’expression n’est jamais utilisée dans le livre et ne se trouve sous la plume d’aucun des auteurs. On trouve également l’expression dans un article, S. A. Annama, D. Connor et B. Ferri, « Dis/ability critical race studies (DisCrit): Theorizing at the intersections of race and dis/ability », Race, Ethnicity and Education, vol. XVI, no 1, 2012, p. 1-31, mais les auteurs expliquent qu’ils proposent de créer l’expression « Dis/ability critical race studies (DisCrit) » pour désigner un cadre théorique qui s’inspirerait à la fois de la critical race theory et des disability studies (DS).

3 C. I. Harris, art. cité, p. 1215, ma traduction. Sauf indication contraire, toutes les traductions de citations anglaises sont les miennes.

4 C. I. Harris, ibid., p. 1217.

5 K. W. Crenshaw, N. Gotanda, G. Peller et K. Thomas éd., Critical Race Theory: The Key Writings that Formed the Movement, New York, New Press, 1996, p. xiii.

6 En français, voir G. Bligh, « Du réalisme juridique à l’intersectionnalité. Une affaire de juristes », La Revue des Droits de l’Homme, no 19, 2021, en ligne : [http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/revdh/11549] (consulté le 16 septembre 2022) ; I. Aubert et M. Bessone dir., « La Critical Race Theory est-elle exportable en France ? », Droit et Société, no 108, 2021 ; H. Bentouhami et M. Möschel éd., Critical race theory : une introduction aux grands textes fondateurs, Paris, Dalloz, 2017 ; M. Bessone, « Quelle place pour la critique dans les théories critiques de la race ? », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2017/3, no 142, p. 359-376 ; H. Bentouhami, « Critical Race Theory ou comment la “race” compte », dans Le souci du droit. Où en est la théorie critique ?, H. Bentouhami, N. Grangé, A. Kupiec et J. Saada éd., Paris, Sens & Tonka, 2010 ; J.-F. Gaudreault-Desbiens, « La critical race theory ou le droit étatique comme outil utile, mais imparfait, de changement social », Droit et Société, no 48, 2001, p. 581-612.

7 R. Delgado et J. Stefancic, Critical Race Theory: An Introduction, 3e édition, New York, New York University Press, 2017, p. 33.

8 Ibid., p. 36.

9 Ch. W. Mills, « Critical philosophy of race », dans The Oxford Handbook of Philosophical Methodology, H. Cappelen, T. Gendler et J. Hawthorne éd., Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 709-732, p. 710.

10 Outre l’article de Mills cité ci-dessus, mentionnons R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », dans Routledge Companion to Phenomenology, S. Luft et S. Overgaard éd., New York, Routledge, 2012, p. 551-562.

11 L. M. Alcoff, « Critical philosophy of race », dans Stanford Encyclopedia of Philosophy, E. N. Zalta et U. Nodelman éd., 2021, en ligne : [https://plato.stanford.edu/entries/critical-phil-race/] (consulté le 16 septembre 2022).

12 Ibid.

13 Ch. W. Mills, art. cité, p. 709.

14 I. Hannaford, Race: The History of an Idea in the West, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1996 ; R. Bernasconi et T. L. Lott éd., The Idea of Race, Indianapolis, Hackett, 2000 ; R. Bernasconi, « Critical philosophy of race and philosophical historiography », dans The Routledge Companion to Philosophy of Race, P. C. Taylor, L. M. Alcoff et L. Anderson éd., New York, Routledge, 2018, p. 3-13.

15 Ch. W. Mills, The Racial Contract, Ithaca, Cornell University Press, 1997 ; Ch. W. Mills, Black Rights/White Wrongs: The Critique of Racial Liberalism, Oxford, Oxford University Press, 2017.

16 L. M. Alcoff, art. cité.

17 C. Lévi-Strauss, Race et Histoire, Race et Culture [1971], Paris, Albin Michel, 2002 ; N. Zack, Philosophy of Science and Race, New York, Routledge, 2002 ; C. Bliss, Race Decoded. The Genomic Fight for Social Justice, Stanford, Stanford University Press, 2012.

18 L. M. Alcoff, art. cité.

19 Un des importants représentants de ce type de questionnement « analytique » est Kwame Anthony Appiah, voir par exemple : « Race, culture, identity: Misunderstood connections », dans Color Conscious. The Political Morality of Race, K. A. Appiah et A. Gutmann éd., Princeton, Princeton University Press, 1996 ; « How to decide if races exist », Proceedings of the Aristotelian Society, vol. CVI, 2006, p. 365-382. Paradigmatique de cette approche est l’article « Race » de la Stanford Encyclopedia of Philosophy, rédigé par Michael James et Adam Burgos, publié en 2008, révisé en 2020 qui s’ouvre ainsi : « Le concept de race a historiquement signifié la division de l’humanité en un petit nombre de groupes […]. Ce concept historique a fait face à des critiques scientifiques et philosophiques substantielles, certains penseurs importants récusant à la fois la cohérence logique du concept et l’existence même des races », en ligne : [https://plato.stanford.edu/entries/race/] (consulté le 16 septembre 2022).

20 R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », art. cité, p. 551.

21 L’ouvrage co-écrit par J. Glasgow, S. Haslanger, C. Jeffers et Q. Spencer, What is Race? Four Philosophical Views, New York, Oxford University Press, 2019, qui fait un point sur les désaccords ontologiques et épistémiques qui traversent le champ, témoigne qu’un dialogue est possible entre tenants de la philosophie analytique de la race (Haslanger, Spencer, Glasgow) et tenants identifiés comme critiques (Jeffers) mais aussi de la difficulté à « s’entendre ».

22 L. M. Alcoff, art. cité.

23 Ibid.

24 I. Aubert et M. Bessone dir., « La critical race theory est-elle exportable en France ? », op. cit ; M. Möschel, Law, Lawyers and Race. Critical Race Theory from the United States to Europe, Londres, Routledge, 2014.

25 R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », art. cité, p. 551.

26 L. M. Alcoff, art. cité.

27 Ibid.

28 Ibid.

29 Ibid.

30 M. James et A. Burgos, art. cité.

31 V. Y. Mudimbe, The Invention of Africa, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 1988.

32 R. Bernasconi, « Critical philosophy of race », art. cité, p. 552. Voir Anténor Firmin, De l’égalité des races humaines (Anthropologie positive), Paris, Librairie Cotillon, 1885.

33 A. Valls éd., Race and Racism in Modern Philosophy, Ithaca, Cornell University Press, 2005 ; R. Bernasconi, « Critical philosophy of race and philosophical historiography », art. cité.

34 J. A. Gordon et N. Roberts dir., « Creolizing Rousseau », The CLR James Journal, vol. XV, no 1, 2009, « Introduction: The project of Creolizing Rousseau », p. 3.

35 B. Latour, « Why has critique run out of steam? From matters of fact to matters of concern », Critical Inquiry, vol. XXX, 2004, p. 225-248, p. 230.

36 J.-F. Schaub et S. Sebastiani, Race et histoire dans les sociétés occidentales (XVe-XVIIIe siècle), Paris, Albin Michel, 2021.

37 C. Gautier et M. Zancarini-Fournel, De la défense des savoirs critiques, Paris, La Découverte, 2021 ; D. Fassin et B. E. Harcourt, A Time for Critique, New York, Columbia University Press, 2019.

38 M. Foucault, Qu’est-ce que la critique ? suivi de La culture de soi, Paris, Vrin, 2015. Voir en particulier l’introduction de Daniele Lorenzini et Arnold Davidson pour une analyse éclairante de la « critique » foucaldienne.

39 Ibid., p. 51.

40 M. Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ? », dans id., Dits et écrits, t. IV, Paris, Gallimard, 1994, texte no 351. Voir A. Kebir, « Prescrire ou inspirer », dans Méthodes en philosophie politique, M. Bessone éd., Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 23-42.

41 M. Foucault, Qu’est-ce que la critique ?, op. cit., p. 39.

42 J. Revel, Le vocabulaire de Foucault, Paris, Ellipses, 2002, p. 38.

43 D. T. Goldberg, Racist Culture: Philosophy and the Politics of Meaning, Oxford, UK, Blackwell, 1993 ; F. Sheth, Toward a Political Philosophy of Race, Albany, State University of New York Press, 2009.

44 I. M. Young, Justice and the Politics of Difference, Princeton, Princeton University Press, 1990.

45 Sur les enjeux de cette discussion entre critique foucaldienne et théorie critique, voir notamment d’un côté J. Habermas, Le discours philosophique de la modernité, Paris, Gallimard, 1988 et N. Fraser, « Foucault on modern power: empirical insights and normative confusion », dans id., Unruly Practices. Power, Discourse, and Gender in Contemporary Social Theory, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1989 ; de l’autre, J. Butler, « What is Critique? An essay on Foucault’s virtue », dans The Political, D. Ingram éd., Malden, Blackwell, 2002, p. 212-225. D. Owen, « Criticism and captivity: On genealogy and critical theory », European Journal of Philosophy, vol. X, no 2, 2002, p. 216-230 et « Reasons and practices of reasoning: On the analytic/Continental distinction in political philosophy », European Journal of Philosophy, vol. XV, no 2, 2016, p. 172-188.

46 M. Horkheimer, « Traditional and critical theory » dans id., Critical Theory: Selected Essays, New York, Continnum, 1992, p. 233.

47 B. Harcourt, Critique and Praxis, New York, Columbia University Press, 2022, en particulier l’introduction, « The primacy of critique and praxis ». Voir par exemple T. W. Adorno, « Marginalia on theory and praxis », dans id., Critical Models: Interventions and Catchwords, New York, Columbia University Press, 1998.

48 Définition que Nancy Fraser (« What’s Critical about Critical Theory? The Case of Habermas and Gender », New German Critique, no 35, 1985, p. 97-131) emprunte à Marx (Lettre à A. Ruge, septembre 1843, dans Karl Marx: Early Writings, New York, Vintage Books, 1975, p. 209).

49 L. Outlaw, Critical Social Theory in the Interests of Black Folks, Lanham, Rowman & Littlefield, 2005.

50 D. Owen, art. cité, p. 220.

51 T. Shelby, « Racism, Moralism, and Social Criticism », Du Bois Review, vol. XI, no 1, 2014, p. 57-74, p. 63. Voir aussi Ch. W. Mills, « “Ideal theory” as ideology », Hypatia, vol. XX, no 3, 2005, p. 165-184. En France, voir C. Guillaumin, L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel, Paris, La Haye, Mouton, 1972.

52 B. Baum, « Decolonizing critical Theory », Constellations, vol. XXII, no 3, 2015, p. 420-434 ; A. Allen, The End of Progress: Decolonizing the Normative Foundations of Critical Theory, New York, Columbia University Press, 2016.

53 A. L. Farr, « Critical Theory. Adorno, Marcuse, and Angela Davis », dans The Routledge Companion to Philosophy of Race, op. cit., p. 102-112.

54 A. Davis, Women, Race and Class [1981], New York, Vintage Books, 1983.

55 G. Bhambra, « Decolonizing critical theory? Epistemological justice, progress, reparations », Critical Times, vol. IV, no 1, 2021, p. 73-89, p. 82.

56 L. Guenther, « Critical phenomenology », dans 50 Concepts for a Critical Phenomenology, G. Weiss, A. Murphy et G. Salamon éd., Chicago, Northwestern University Press, 2019, p. 11-16 ; G. Salamon, « What is critical about critical phenomenology? », Puncta. Journal of Critical Phenomenology, vol. I, 2018, p. 1-17.

57 M. Garrau et M. Provost, « Introduction. L’oppression au prisme de la phénoménologie (et retour). À propos du projet de phénoménologie critique », dans Expériences vécues du genre et de la race. Pour une phénoménologie critique, M. Garrau et M. Provost éd., Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022, p. 5-40.

58 L. Guenther, « Six senses of critique for critical phenomenology », Puncta. Journal of Critical Phenomenology, vol. IV, no 2, 2021, p. 5-23, p. 12.

59 Ibid., p. 8.

60 Loc. cit.

61 L. M. Alcoff, art. cité.

62 L. R. Gordon, Bad Faith and Antiblack Racism, Atlantic Highlands, Humanities Press, 1995 et Existentia Africana: Understanding Africana Existential Thought, New York, Routledge, 2000.

63 G. Yancy, Black Bodies, White Gazes: The Continuing Significance of Race, Lanham, Rowman & Littlefield, 2008.

64 A. Al-Saji, « A phenomenology of hesitation: Interrupting racializing habits of seeing », dans Living Alterities: Phenomenology, Embodiment, and Race, E. Lee éd., New York, State University of New York Press, 2014, p. 133-172.

65 S. Ahmed, « A phenomenology of whiteness », Feminist Theory, vol. VIII, no 2, 2007, p. 149-165.

66 H. Ngo, « Critical phenomenology and the banality of white supremacy », Philosophy Compass, vol. XVII, no 2, 2022, p. 1-15.

67 M. Garrau et M. Provost, op. cit., p. 22.

68 W. Brown, Edgework, Critical Essays on Knowledge and Politics, Princeton, Princeton University Press, 2005, p. 5.

69 Rôle analogue à celui que Didier Fassin attribue à l’ethnographie dans « The endurance of critique », Anthropological Theory, vol. XVII, no 1, 2017, p. 4-29. L’analyse de la proximité entre phénoménologie et ethnographie, en particulier par l’attention commune qu’elles accordent aux sujets incarnés et mis en situation et au sens qu’ils produisent sur leur monde, dépasse le cadre de cet article.

70 E. Bonilla-Silva, Racism without Racists. Color-Blind Racism and the Persistence of Racial Inequality in America [2003], Lanham, Rowman & Littlefield, 2018.

71 Id., « The invisible weight of whiteness: The racial grammar of everyday life in contemporary America », Ethnic and Racial Studies, vol. XXXV, no 2, 2012, p. 173-194.

72 H. Ngo, art. cité.

73 M. Walzer, The Company of Critics: Social Criticism and Political Commitment in the Twentieth Century, New York, Basic Books, 2002. Voir la lecture stimulante qu’en propose Didier Fassin, « How is critique? », dans A Time for Critique, D. Fassin et B. E. Harcourt éd., New York, Columbia University Press, 2019, p. 13-35.

74 Ch. W. Mills, « White ignorance », dans id., Black Rights/White Wrongs, op. cit. ; J. Medina, The Epistemology of Resistance, Oxford, Oxford University Press, 2013.

75 M. Hardimon, « Should we narrow the scope of “racism” to accommodate white sensitivities? », Critical Philosophy of Race, vol. VII, no 2, 2019, p. 223-246 ; R. DiAngelo, White Fragility. Why It’s So Hard for White People to Talk About Racism, Boston, Beacon Press, 2018.

76 L. M. Alcoff, « Vers une phénoménologie de l’incorporation raciale » [1999], dans Race, racisme, discriminations. Une anthologie de textes fondamentaux, M. Bessone et D. Sabbagh éd., Paris, Hermann, 2015.

77 On sait que si Foucault estime qu’une attitude expérimentale de transformation de soi est, avec les gestes de destitution et de transgression, au cœur de la politique d’émancipation que porte la critique, il refuse par ailleurs que le généalogiste puisse légitimement dire quoi faire : « Le rôle d’un intellectuel n’est pas de dire aux autres ce qu’ils ont à faire. […] Il est de réinterroger les évidences et les postulats, de secouer les habitudes, les manières de faire et de penser, de dissiper les familiarités admises, […] et à partir de cette reproblématisation (où il joue son métier spécifique d’intellectuel), de participer à la formation d’une volonté politique (où il a son rôle de citoyen à jouer) » (« Entretien avec Michel Foucault », dans id., Dits et Écrits, t. IV, op. cit.). Voir aussi A. Kebir, art. cité.

78 T. Shelby, We Who Are Dark. The Philosophical Foundations of Black Solidarity, Cambridge, Harvard University Press, 2007.

79 D. Fassin, « How is critique? », art. cité, p. 23.

80 Ch. W. Mills, « Racial justice », Aristotelian Society Supplementary, vol. XCII, no 1, 2018, p. 69-89, p. 71.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Magali Bessone, « Qu’est-ce que la critique dans la philosophie critique de la race ? »Astérion [En ligne], 27 | 2022, mis en ligne le , consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/8689 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asterion.8689

Haut de page

Auteur

Magali Bessone

Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, ISJPS (UMR 8103) • Magali Bessone est professeure de philosophie politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l’ISJPS, Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (UMR 8103) et membre associée du CIRESC, Centre international de recherche sur les esclavages et les post-esclavages (USR 2002). Ses recherches portent sur les théories de la justice et les réparations en relation avec la philosophie critique de la race. Elle est l’autrice de Sans distinction de race ? (Vrin, 2013), Faire justice de l’irréparable (Vrin, 2019) et a récemment édité avec Myriam Cottias un Lexique des réparations de l’esclavage (Karthala-CIRESC, 2021) et co-écrit avec Matthieu Renault W.E.B. Du Bois. Double conscience et condition raciale (Amsterdam, 2021).

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search