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La crise organique comme décompensation du corps capitaliste : Gramsci et Spinoza

The organic crisis as the decompensation of the capitalist body: Gramsci and Spinoza
Frédéric Lordon

Résumés

Par son nom même, la « crise organique » de Gramsci est une invitation à penser la formation sociale comme un corps politique. Il faut cependant recourir à Spinoza, à sa théorie générale des corps, pour donner à cette intuition toute sa rigueur conceptuelle. Combiné à Marx, et au marxisme « hétérodoxe » de la théorie dite de la « Régulation », ce recours conduit à une application inattendue des concepts spinozistes de « forme » et de « figure » pour penser les corps capitalistes. La crise organique signale alors un seuil de décompensation du corps politique capitaliste, et peut être comprise comme crise figurale : une crise où se joue la nécessité pour le corps capitaliste de se trouver une nouvelle figure afin de persévérer dans sa forme. Gramsci suggère que cette « refiguration » a le plus souvent pour lieu les institutions politiques, par lesquelles s’opère en dernier ressort l’accommodation des antagonismes propres à la forme capitaliste même – à ses rapports sociaux fondamentaux (Marx). Une refiguration caractéristique est celle du césarisme qui, entre autres choses, consiste en une modification de la géométrie de l’affect commun, substituant à la géométrie réticulaire du complexe institutionnel la géométrie radiale de la polarisation passionnelle sur le « César ».

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Texte intégral

  • 1 S’il est permis de faire une notation d’actualité, ce texte est achevé au lendemain de l’envahisse (...)
  • 2 A. Gramsci, Cahiers de prison, R. Paris éd., P. Fulchignoni, G. Granel et N. Negri trad., Paris, G (...)
  • 3 R. Keucheyan dans A. Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position, R. Keucheyan éd., Paris, (...)
  • 4 A. Gramsci, Cahiers de prison, op. cit., cahier 13, § 23, p. 400.

1Par toute une série de manifestations et de dérèglements caractéristiques, l’époque semble appeler une analyse gramscienne en termes de crise organique1. Pour autant, la catégorie n’en est pas si simple à manier. La crise organique, dit Gramsci, a pour contenu « la crise d’hégémonie de la classe dirigeante, qui se produit soit parce que la classe dirigeante a essuyé un échec dans l’une de ses grandes entreprises politiques pour laquelle elle avait demandé ou imposé par la force le consentement des grandes masses […], soit parce que les grandes masses […] sont passées tout d’un coup de la passivité politique à une certaine activité et présentent des revendications qui, dans leur ensemble chaotique, constituent une révolution »2. Il s’agit là cependant plus d’une caractérisation phénoménologique que d’une définition à proprement parler. Quoiqu’en restant dans ce registre, tout en poursuivant avec les catégories gramsciennes, on pourrait ajouter que les crises organiques se reconnaissent également au débordement des grandes institutions, l’État, le parlement, etc., ces « tranchées » avancées que maintiennent et renforcent les puissantes « fortifications » du bloc hégémonique au sein de la société civile, lesquelles ont installé la conflictualité sociale dans le régime de la « guerre de position ». Une crise organique est alors une crise de la formation sociale dans sa globalité. De là, comme le note Razmig Keucheyan, qu’elle « contamine toutes les sphères sociales : économie, politique, culture, morale… »3, et qu’elle consiste finalement en une « crise de l’État dans son ensemble »4.

  • 5 Ibid., cahier 13, § 17, p. 376.
  • 6 Le sens de cette « première approximation » étant que les deux dynamiques peuvent être dialectique (...)

2C’est cette ampleur particulière qui distingue les crises organiques. Gramsci oppose l’« organique » au « conjoncturel » comme deux temporalités, l’une profonde et de long terme, l’autre superficielle et de court terme (mouvements « occasionnels, immédiats, presque accidentels »5, dit-il). L’organique renvoie donc aux déterminations structurelles les plus profondes de la formation sociale considérée, le conjoncturel à ses vicissitudes, c’est-à-dire (en première approximation) aux événements qui surviennent dans la structure, mais sans l’altérer6. La crise organique, tout à fait distincte des crises conjoncturelles, qui sont résorbables dans le cadre de la structure en place et par le jeu de ses mécanismes ordinaires, la crise organique, donc, met en cause les données les plus fondamentales de la structure elle-même, comme en témoigne indirectement le fait que les « fortifications » sont menacées de céder à leur tour.

3Cependant, il n’est pas interdit de poursuivre plus avant dans la ligne qu’indique le vocabulaire même de Gramsci, si c’est au-delà de ses intentions et hors de son cadre théorique propre. Car le mot « organique » met par soi sur la voie d’une pensée des corps et, partant, d’une pensée des formations sociales comme corps. Comme on sait, la pensée des collectifs humains comme corps est exposée à toutes sortes de risques intellectuels. Elle n’est pas pour autant impossible. On peut, par exemple, aller chercher dans la philosophie de Spinoza de quoi y pourvoir avec rigueur. Et, sur cette lancée, aboutir alors à une conceptualisation de la crise organique gramscienne comme moment de décompensation du corps politique.

Forme et figures du corps capitaliste

4Spinoza formule en effet une théorie générale des corps, c’est-à-dire une théorie qui ne s’en tient nullement au cas particulier du corps humain. Toute chose, du moment qu’elle existe à l’état consistant, est corps, à savoir un composé, dont les parties (d’ailleurs elles-mêmes des composés) sont tenues ensemble sous un certain rapport :

  • 7 B. Spinoza, Ethica / Éthique, F. Akkerman et P. Steenbakkers éd., P.-F. Moreau éd. et trad., Paris (...)

Lorsque quelques corps (de même grandeur ou de grandeur différente) sont comprimés par les autres corps de façon à rester appliqués les uns sur les autres ou bien (s’ils se meuvent au même degré ou à des degrés différents de vitesse) de façon à se communiquer leurs mouvements les uns aux autres selon un certain rapport bien précis, nous dirons que ces corps sont unis entre eux, et que tous ensemble ils composent un seul corps, autrement dit un individu, qui se distingue de tous les autres par cette union de corps. (Éthique, II, Définition)7

5Ici, il ne faut pas se laisser égarer par le mécanicisme apparent de la formulation, mais en lire les termes dans toute leur généralité : il y a corps quand une multiplicité de parties sont tenues ensemble sous « un certain rapport précis » (quaedam certa ratio) de composition – quelle qu’en soit la nature. Envisagé sous cet angle de la composition, il est bien évident que le corps humain ne jouit d’aucun privilège qui lui permettrait de revendiquer le monopole de la catégorie de corps : l’ensemble des choses de la nature n’est qu’une gigantesque hiérarchie de la composition. Les parties du corps humain sont elles-mêmes des composés (organes), dont les parties propres (cellules) sont à leur tour des composés, etc. Et de même dans l’autre sens : le corps humain individuel entre comme composant, c’est-à-dire comme partie, dans des ensembles d’échelle supérieure, qui ont eux-mêmes titre à être dits des corps. Parmi lesquels, donc, se trouvent les corps politiques (sans exclure le moins du monde des corps d’échelle intermédiaire – par exemple une chorale est un corps chantant qui tient ses parties, les corps humains chantant, sous certains rapports).

  • 8 On doit à Lorenzo Vinciguerra l’un des exposés les plus remarquables de cette problématique de la (...)

6Le rapport qui compose les parties en un corps est ce que Spinoza appelle sa forme – ou son « essence » (formelle), ou sa « nature ». Mais on n’a pas là le fin mot du corps. Car un corps – défini par sa forme – est capable de connaître une multitude d’états, à forme invariante donc. Ces états, Spinoza les appelle des figures (constitutiones). Un corps humain, par exemple, se conçoit aussi bien assis, debout, recroquevillé ou étiré, mobile ou immobile, etc., et cependant c’est bien toujours du même corps qu’il s’agit : c’est la même production d’unité, le même rapport de composition qui tient les parties au travers de ses variations figurales. Une forme (rapport) et ses figurations variées, donc. On comprend aussitôt qu’il n’est nulle forme qui ne soit figurée. Une forme n’existe empiriquement que figurée, c’est-à-dire dans une certaine constitutio (autre manière de dire que le corps n’existe jamais que dans un certain état)8.

7Spinoza n’avait sans doute pas pensé au capitalisme en envisageant sa théorie générale des corps. Et pourtant… c’est bien à ce genre de choses qu’on apprécie la généralité d’une théorie : quand elle trouve à s’appliquer à un objet dont elle n’avait pas même idée au moment de sa formulation. Bien sûr, Spinoza seul n’y suffit pas : il faut ici l’aide de Marx. Qu’est-ce que le capitalisme ? C’est, nous dit Marx, un certain mode de production caractérisé comme ensemble de rapports sociaux fondamentaux, soit une manière de lier/tenir les individus dans un effort collectif en vue de la persévérance matérielle. Qui est le sujet de cette persévérance ? La formation sociale. Spinoza rejoignant Marx, la formation sociale capitaliste apparaît bien comme un corps, c’est-à-dire comme une multiplicité de parties (individus) composées sous un certain rapport (sous un certain ensemble de rapports).

  • 9 Pour une présentation synthétique, voir R. Boyer, La théorie de la régulation : 1, Les fondamentau (...)
  • 10 Les deux termes, « mode de régulation » et « régime d’accumulation », sont en fait métonymes plus (...)

8Entre Marx et Spinoza : la théorie de la Régulation9. Le marxisme orthodoxe est resté longtemps figé à l’énoncé des rapports sociaux fondamentaux du capitalisme (propriété privée des moyens de production, marchandise et monnaie, constitution juridique du « libre porteur de force de travail ») sans voir, précisément, qu’ils étaient… fondamentaux. C’est-à-dire « incomplets », sous-déterminés. On n’observe jamais tels quels les rapports sociaux fondamentaux du capitalisme, pour ainsi dire dans leur « fondamentalité ». On ne les observe qu’actualisés historiquement, d’une certaine manière. Par exemple, on n’observe pas dans la réalité historique « le rapport salarial » dans la pureté de son concept. Ce qu’on observe, c’est la succession historique (ou la distribution géographique) du rapport salarial concurrentiel, du rapport salarial fordien, du rapport salarial toyotien, du rapport salarial néolibéral, etc. Tel a été l’apport principal de la théorie de la Régulation qui n’a cessé de souligner que ce à quoi nous donnait accès l’analyse historique n’était pas « le capitalisme », mais les configurations particulières, successives, au travers desquelles s’actualisent ses rapports sociaux fondamentaux – configurations nommées « modes de régulation » ou « régimes d’accumulation »10. Un mode de régulation, c’est la réalisation historique particulière, mais alors pleinement déterminée, des rapports fondamentaux du capitalisme – et par métonymie du capitalisme tout court. « Le capitalisme » est un terme conceptuel pur, sans contrepartie empirique. Ce qui se donne à voir dans l’histoire, c’est toujours le capitalisme particulièrement configuré – en tel ou tel régime d’accumulation.

  • 11 On pourrait objecter que l’État est si profondément intriqué dans la logique du capital qu’il vaud (...)
  • 12 La qualification homogène de « néolibéral » est retenue ici par commodité, mais, rigoureusement pa (...)

9Comment ne pas reconnaître ici la dialectique spinozienne de la forme et de la figure, directement applicable au corps capitaliste ? Les rapports sociaux fondamentaux ne sont rien d’autre que la forme (au sens spinoziste du terme) du capitalisme, tel qu’il s’exprime empiriquement (historiquement) dans la limite d’un certain ressort, et d’une certaine manière, par quoi cette forme, ainsi figurée, définit un corps capitaliste particulier. Dans le corps d’une formation sociale au sens de Marx, les individus sont tenus ensemble sous certains rapports – ceux du capitalisme et ceux de l’État si l’on parle d’une formation sociale capitaliste11. Mais ce corps capitaliste n’est saisissable et observable qu’au travers de ses configurations successives – ses régimes d’accumulation –, en d’autres termes, au travers de ses figures historiques : régimes d’accumulation fordien, toyotien, néolibéral12, etc.

  • 13 L. Bove, « De la prudence des corps. Du physique au politique », introduction au Traité politique, (...)

10La figure n’est pas que pleine détermination de la forme du corps capitaliste existant dans la durée. En suivant les thèses de la Régulation, elle est aussi une manière, et même, plus précisément, une manière institutionnelle d’accommoder les contradictions dont Marx a montré qu’elles étaient intrinsèques aux rapports sociaux fondamentaux du capitalisme. On pourrait s’inquiéter de ce qu’il y ait ici un point d’incompatibilité rédhibitoire entre marxisme et spinozisme : le spinozisme rejette la « contradiction » ; Marx la met au cœur de sa pensée, comme moteur de l’histoire. En réalité, il n’en est rien. La contradiction que Spinoza récuse est strictement logique : sauf absurdité patente, il ne saurait y avoir dans l’essence d’une chose quelque chose qui nie la chose. Il n’y a pas de contradiction dans les essences, mais il y a des « contrariements » dans l’existence, et notamment entre les existences. C’est bien ce qu’il faut entendre dans la « contradiction » de Marx, qui fait un usage du mot un peu relâché, hors de sa signification strictement logique (celle que retient Spinoza), et pour désigner en fait des antagonismes. Où Spinoza le rejoint sans la moindre difficulté – toute sa philosophie des passions et de la politique ne parle que de ça : de forces possiblement contraires (et non contradictoires), et de ce qui résulte de leurs rencontres. Dès lors que la « contradiction » marxienne est reprise en « contrariements », ou en antagonismes, spinozistes, il n’y a plus aucune difficulté conceptuelle à caractériser la forme (au sens spinoziste) du corps capitaliste, donc son essence, logiquement non contradictoire, par les rapports sociaux fondamentaux dits « contradictoires » par Marx, mais requalifiés comme rapports conflictuels. Au corps capitaliste s’applique la formule générale donnée par Laurent Bove à propos de tout corps : il est « sujet des contraires »13.

11La figure de ce corps capitaliste correspond donc typiquement à ce que les régulationnistes nomment le « mode de régulation », à savoir l’ensemble des institutions qui appareillent une configuration historique du capitalisme (et la déterminent comme telle). L’appareillage institutionnel du mode de régulation est cela même qui produit la viabilité (temporaire) du régime d’accumulation en organisant la mise en compatibilité partielle des termes antagonistes engagés dans les rapports fondamentaux du capitalisme. Ces rapports fondamentaux sont une manière de lier (asymétriquement) les agents, de les « corréler », ou de les coordonner, mais – c’est ce que nous dit Marx – une manière travaillée à cœur par un fond de conflictualité, donc de divergence, irréductible. La figuration, autrement dit l’appareillage institutionnel du mode de régulation (celui propre à une certaine période), est ce qui permet aux rapports fondamentaux du capitalisme d’opérer concrètement en maintenant la divergence en dessous des seuils critiques. On pourra dire que le mode de régulation n’est pas autre chose que l’ensemble des rapports sociaux fondamentaux du capitalisme, mais portés à la détermination complète, telle que cette détermination soutient le corps capitaliste dans l’existence concrète et (donc) sa viabilité pendant une période donnée.

Crise organique et refiguration

  • 14 On voit donc au passage que le concept de « régulation » engagé dans la théorie éponyme n’a rien à (...)

12Pendant une période donnée seulement, en effet, car cette viabilité n’est jamais définitivement acquise, elle est même vouée tôt ou tard à la remise en cause. C’est que les « contradictions » intrinsèques aux rapports sociaux fondamentaux du capitalisme ne sont jamais résolues, mais seulement accommodées : régulées, de là le nom de la théorie de la Régulation14. Or la thèse « dialectique » de Marx (et de la Régulation) propose que le fonctionnement même des rapports sous la figure régulée qui les effectue ait pour effet de déplacer/recréer les antagonismes d’une manière inédite, qui finit par déborder les capacités d’accommodation du mode de régulation en place. Ces déplacements résultent de ce que les puissances conatives qui sont contenues par les institutions du mode de régulation n’en continuent pas moins de faire effort en vue d’une extension de leurs intérêts, par des opérations de contournement ou d’innovation qui vont tomber hors du champ régulateur des institutions. En d’autres termes, la poursuite du jeu dans le cadre (de la figure) conduit à excéder la capacité régulatrice du cadre, et voit les antagonismes fondamentaux se ré-aiguiser jusqu’à rapprocher des seuils de divergence. Ce que les régulationnistes appellent une « grande crise », ou « crise d’accumulation », est alors un moment de refiguration de la forme, un moment où la capacité d’accommodation de la figure en place (du mode de régulation), capacité d’accommoder les antagonismes, arrive à ses limites, et où la forme (capitaliste), pour persévérer, doit trouver à se réaliser dans une nouvelle figure.

  • 15 On doit notamment à Bruno Théret et à Stefano Palombarini d’avoir opéré cette extension du concept (...)

13Les degrés de gravité de la « crise figurale », et la profondeur de la « refiguration » qu’ils appellent sont variés. Par exemple, dans le cas de la crise du fordisme, les tensions insoutenables sont localisées, et contenues, dans la sphère de la dynamique macroéconomique, si bien que la refiguration, ici limitée à une reconstruction des institutions de l’économie, peut être pilotée depuis le système des institutions politiques qui, lui, n’a pas été mis en cause. La transition vers le régime d’accumulation néolibéral tombe assurément sous le concept de « grande crise » des régulationnistes quoiqu’elle n’ait eu aucunement à passer par un moment convulsif – en quelque sorte une refiguration partielle, et « à froid ». La crise organique selon Gramsci est d’une autre gravité. Elle se caractérise par le fait que les institutions politiques sont atteintes à leur tour, suffisamment pour ne plus pouvoir, dans leur configuration actuelle, être le lieu d’où s’opère la refiguration. La crise organique est une crise étendue de la régulation, non plus seulement de la régulation économique, mais de la régulation sociale (sociopolitique) d’ensemble15 : les conflits économiques débordent en conflits sociaux puis en conflits politiques que les institutions, en l’état, ne sont plus capables d’arbitrer et de contenir. Là donc où l’étage des institutions politiques constituait un lieu d’arbitrage en dernier ressort de la conflictualité économique et sociale débordante, par exemple par recréations institutionnelles ad hoc, la disparition, ou la destruction de cette ultime possibilité laisse le corps social en proie à une conflictualité sans solution de régulation. Faute de pouvoir être reprise dans une figure institutionnelle (régulatrice) adéquate, la divergence se donne libre cours, par exemple sous la forme d’explosions insurrectionnelles, jusqu’à menacer la persévérance même du corps politique capitaliste. Dont on peut conceptuellement dire qu’il est sur le point de décompenser. Tant pis pour la lapalissade : la décompensation est la perte des moyens qui assuraient la compensation – c’est-à-dire la tenue ensemble des parties telles qu’elles (et les parties et leur commune tenue) constituaient ce corps.

14Dans la gradation des « crises de régulation », on comprend que la crise organique de Gramsci soit beaucoup plus près de la crise révolutionnaire de Lénine qu’elle ne l’est de la crise économique des régulationnistes. Dans la crise organique, il y va de bien plus que de réappareiller institutionnellement la seule dynamique de l’accumulation : il y va de la possibilité même que le corps capitaliste décompense, que la formation sociale capitaliste s’effondre en totalité. Si cependant la crise organique n’est pas encore crise révolutionnaire, c’est qu’il reste la possibilité que les institutions politiques mutent brutalement, et d’une manière suffisamment profonde pour contenir à nouveau la divergence sociale. Dernier effort pour conserver la forme capitaliste, la crise organique opère essentiellement dans la sphère politique, du fait notamment d’un blocage par les intérêts économiques dominants qui interdisent toute reconfiguration des institutions économiques, où ils pourraient être amenés à des concessions.

15Telle est bien l’histoire que raconte le dernier demi-siècle du capitalisme. Désireux de reconquérir tout ce qu’il a dû concéder au lendemain de la Seconde Guerre, le capital (comme groupe social, et même comme classe organisée) saisit l’opportunité de l’entrée en crise du fordisme dans les années 1970 pour pousser à nouveau son avantage. C’est-à-dire, tirant parti de l’arrivée aux limites du mode de régulation fordien, pour obtenir une modification profonde des structures nationales et internationales de l’économie, conforme bien sûr à ses intérêts. L’installation, à partir du début des années 1980, des structures de ce qu’on appellera plus tard la « mondialisation néolibérale », à savoir la déréglementation des marchés de capitaux internationaux, la concurrence « non faussée » sur les marchés de biens et services, le démantèlement des protections juridiques et statutaires du travail, une orientation nouvelle des politiques économiques synthétisées sous l’appellation « ajustement structurel », cette installation, donc, conduit à une modification très profonde du rapport de force entre capital et travail, le capital y gagnant des possibilités de domination inédites, inscrites dans les latitudes stratégiques considérablement étendues que lui aménage ce nouvel état des structures. Cette nouvelle « cohérence » structurelle soutient le régime d’accumulation néolibéral qui succède au fordisme, cas type de refiguration de la forme « capitalisme » pilotée depuis des institutions politiques elles-mêmes inchangées. Cependant, la dynamique économique néolibérale s’avère engendrer en longue période des tensions qui deviennent socialement, puis politiquement, insoutenables : chômage de masse permanent, explosion des inégalités, développement de la précarité, destruction des statuts, dérèglements climatiques, etc. Et ceci alors même que, par un processus de transformation continuée, les structures ne cessent pas de se modifier, mais dans le sens de l’approfondissement de la logique même qui donne naissance à ces tensions. Cette double évolution contradictoire suffit à donner une indication de ce qu’est devenu le pouvoir du capital, capable d’imposer la continuation du processus en dépit de tout ce qu’il engendre. Ce pouvoir est désormais si profondément ancré, notamment du fait de son intimité avec les élites politiques et administratives, qu’il fait radicalement obstacle à toute inversion de tendance – quand il ne s’efforce pas de pousser encore plus loin ses conquêtes. Là où le soulagement des tensions sociales demanderait de revenir urgemment sur la configuration des structures qui les engendre, le capital oppose une fin de non-recevoir catégorique puisqu’il aurait à renoncer à ses « acquis », et qu’il a désormais le pouvoir de ne plus transiger. Il reste que les tensions ne cessent de monter et que, la route de la refiguration économique étant coupée, les institutions politiques sont seules à y faire face. Or, leur configuration présente, héritée de l’époque fordienne dont elle épousait convenablement l’économie politique, se voit maintenant dépassée de toutes parts. L’incapacité des institutions de la « négociation sociale » comme des institutions politiques de la « démocratie électorale » à répondre en quoi que ce soit à ces tensions inédites depuis un demi-siècle conduit ces dernières à se ré-exprimer hors cadre institutionnel : dans la rue (contestations des sommets internationaux, de Gênes à Hambourg, Nuit debout, Gilets jaunes, etc.), et sous des formes de plus en plus souvent pré-insurrectionnelles.

16On comprend que la solution de refiguration politique, qui vient pallier l’impossibilité de la refiguration économique du fait du pouvoir acquis par les intérêts économiques dominants, s’opère dans un sens exclusivement répressif, puisqu’elle laisse intactes les structures économiques, cause première de la conflictualité sociale. À cet état de fait, la seule réponse politique possible permettant d’éviter la péjoration de la crise organique en crise révolutionnaire est répressive et autoritaire. À cet égard, on peut donc dire également que la refiguration opérée en résolution de la crise organique est partielle, comme l’était celle de la seule crise de l’accumulation fordienne, mais avec une symétrie en miroir : la crise d’accumulation était résolue depuis la sphère des institutions politiques inchangées qui remaniaient les institutions économiques, quand la crise organique d’aujourd’hui résulte d’une impossibilité de transformer les institutions économiques qui, demeurant inchangées, reportent sur la sphère politique toutes les tensions non régulées, obligeant cette dernière à se reconfigurer en conséquence – dans le sens de l’État répressif. Bref, ce qui est partiel dans la crise d’accumulation (celle du fordisme) tient à la modification des seules institutions économiques à institutions politiques invariantes et, symétriquement, dans la crise organique (celle du néolibéralisme), à la modification des seules institutions politiques à institutions économiques invariantes. Avec évidemment cette différence cruciale que la sphère économique demeure, dans tous les cas, le lieu d’où sont sécrétées les tensions liées au travail des rapports sociaux fondamentaux du capitalisme.

Une nouvelle géométrie de l’affect commun

  • 16 George Hoare et Nathan Sperber font remarquer le flottement qui affecte l’idée d’hégémonie chez Gr (...)
  • 17 A. Gramsci, Cahiers de prison, op. cit., cahier 13, § 27, p. 417.
  • 18 « On peut avoir affaire à une solution césariste, même en l’absence d’un César, même en l’absence (...)

17Cependant, Gramsci ne parle pas simplement d’un basculement de la formule hégémonie/coercition16 dans le sens d’un État répressif, mais, plus précisément, de césarisme. Le fait « césariste », dit-il, émerge comme la solution à l’affrontement indécidable entre deux grandes forces antagonistes autour de l’enjeu organique : « Les forces A et B [sont] engagées dans une lutte qui s’annonce catastrophique, c’est-à-dire une perspective où ni A ni B ne l’emportent dans la lutte pour constituer (ou reconstituer) un équilibre organique »17. C’est-à-dire pour restabiliser la structure sociale d’ensemble, que ce soit sur une base nouvelle (« césarisme progressif »), ou sur celle des rapports actuellement en vigueur, à restaurer face aux attaques dont elle fait l’objet (« césarisme régressif »). Gramsci ne manque pas de souligner la généralité de son concept de césarisme, qui va au-delà de la simple figure, personnelle, d’un César18 – à l’image, par exemple, des gouvernements d’« union nationale ». Pour autant, s’il n’épuise pas le concept de césarisme, le cas de la personnalité charismatique, d’ailleurs très prégnant dans le propos de Gramsci, mérite une attention particulière pour souligner, d’un point de vue conceptuel, spinoziste, la caractéristique de l’une des solutions de refiguration politique engagée dans la crise organique, à savoir une modification de la géométrie de l’affect commun.

  • 19 B. Spinoza, Tractatus politicus / Traité politique, O. Proietti éd., C. Ramond éd. et trad., Paris (...)

18L’affect commun, pour Spinoza, est le principe de la consistance des corps politiques. Il est la force concrète, passionnelle, qui effectue la quaedam certa ratio, le rapport sous lequel se composent les parties. Pour avoir l’intelligence complète du corps politique, il faut donc associer la Définition de la partie II de l’Éthique et le premier article du chapitre VI du Traité politique : « Puisque les hommes […] sont conduits par l’affect plus que par la raison, il s’ensuit que la multitude s’accorde naturellement et veut être conduite comme par une seule âme sous la conduite non de la raison mais de quelque affect commun. »19 Le rapport donne la forme du corps politique, sa nature, dit Spinoza, et l’affect commun est la force par laquelle ce rapport est appliqué, par laquelle la tenue des parties sous le rapport s’effectue concrètement. De même que pour le rapport, il ne faut pas se laisser tromper par le singulier de l’affect commun. L’affect commun qui fait « prendre » le corps politique n’est pas un unique affect élémentaire : il est un affect composite, un composé affectif (comme le rapport qui caractérisait le corps capitaliste était un rapport composite : on y trouvait les rapports sociaux fondamentaux dégagés par Marx, ceux de l’État, etc.). Par « géométrie de l’affect commun », on entend alors la structure des médiations institutionnelles au travers desquelles cet affect commun opère. Loin des points de crise, la viabilité du corps politique, c’est-à-dire (car c’est toujours à cela qu’il faut revenir) la tenue ensemble des parties en dépit de leur conflictualité, la contention de la divergence – la compensation –, passe par un réseau de médiations institutionnelles « régulatrices » qui effectuent les compromis et les arbitrages inscrits en elles, donc, en effet, régulent la conflictualité sociale. Les institutions politiques (au sens étroit du terme) contribuent évidemment à cette compensation d’ensemble, et prennent leur place dans la structure complexe des médiations. Or, c’est cette structure qui se trouve mise en échec dans la crise organique.

19La capacité régulatrice du complexe des médiations est débordée par une conflictualité aggravée par les tendances endogènes du régime d’accumulation néolibéral, une conflictualité qui atteint des niveaux auxquels ces médiations ne sont plus en état de faire face. Toute conflictualité non accommodée dans des institutions régulatrices est, par construction, de la divergence violente libérée dans le corps politique – et une menace de décompensation. Refaire de la compensation dans cette situation passe par la re-création d’un affect commun suffisamment puissant pour écraser les affects antagonistes de rang inférieur, les affects de la conflictualité sociale, et faire prévaloir l’unité du tout. Cette re-création passe elle-même par une simplification drastique de la géométrie de l’affect commun, en vue de maximiser son intensité, autrement « diluée » dans la complexité du réseau des médiations. C’est pourquoi la figure du César est un attracteur si puissant, puisqu’elle substitue à la structure réticulaire complexe des médiations politiques une structure infiniment plus simple : la structure radiale. Tous les regards passionnés sont désormais happés/dirigés vers le César, qui semble « à lui seul » et le producteur et l’incarnation du corps politique re-compensé. Cette apparence est bien sûr en partie illusoire, puisque le César ne vient pas remplacer la totalité de l’appareil antérieur des médiations institutionnelles, qui se maintient très largement. Mais elle est en partie réelle également, car ce à quoi le César vient effectivement se substituer, c’est à la couche supérieure des médiations proprement politiques, qu’il restructure profondément dans le sens de la production d’un affect commun de type charismatique-personnel. La « confiance », productrice de compensation, n’est plus placée dans des institutions – pensons aux États-Unis où l’adossement en dernier ressort de l’affect commun est fourni par « la Constitution », ou bien aux visées d’Habermas de produire un « patriotisme constitutionnel » qui soutiendrait une Europe politique –, mais dans un personnage.

  • 20 La solidification du pouvoir des intérêts des dominants et l’impossibilité de ramener ces derniers (...)

20Le César est typiquement une solution « compensatrice » dans la situation de blocage qui fait la crise organique : si, pour des raisons liées à la solidification du pouvoir des intérêts des dominants, toute marge de renégociation de compromis avec eux a disparu, puisqu’une telle renégociation leur demanderait des concessions, alors les structures économiques génératrices de la violence sociale restent intactes, et la conflictualité se trouve entièrement rendue à la sphère politique pour accommodation de dernier ressort20. Or, dans son opération, le César se caractérise d’abord par une dénégation de cette conflictualité, par une tentative d’effacer imaginairement le conflit afin d’ôter tout ce qui pourrait diminuer l’affect commun unificateur autour de sa personne. Au reste, c’est bien le même type d’effet que recherche le césarisme « impersonnel », celui qui prend par exemple la forme du gouvernement d’« union nationale », dont l’appellation même dit assez la visée de reléguer au second plan les « inutiles conflits » pour refaire passionnellement l’unité à partir du / autour du pôle césariste. Si bien qu’au-delà de la personnalité charismatique, l’analyse de la modification géométrique de l’affect commun trouve à s’appliquer au césarisme dans toute la généralité de son concept.

  • 21 Z. Sternhell, Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France, Paris, Gallimard, 2012.

21La formule « ni droite ni gauche » est alors l’un des énoncés caractéristiques de cette tentative de dénégation de la conflictualité économico-politique. En suivant les intuitions de Zeev Sternhell21, on comprend alors que le césarisme, tout spécialement quand il prend la forme personnelle, soit le germe d’un fascisme possible, peut-être même un état métastable voué à livrer tôt ou tard passage à une forme ou une autre de fascisme. Cette mutation est d’autant plus probable que le César doit impérativement se maintenir dans le statut charismatique qui fait sa puissance affectante politique, sans être sûr d’y parvenir. La consolidation de l’affect commun appelle alors la recherche d’auxiliaires, qui viennent en renforcement de l’affect commun charismatique, mais toujours sous la même structure simple, radiale, dotée des mêmes vertus de raccourcissement du détour de médiation. La désignation d’un ennemi entre à l’évidence dans ce type de simplification de la géométrie de l’affect commun : on aime le leader, on hait l’ennemi, complément « logique » puisque cet ennemi devient l’émonctoire de la conflictualité résiduelle que l’amour du leader n’est pas parvenu à réduire. Comme l’a montré Spinoza, notamment dans le Traité théologico-politique, l’unification passionnelle par l’amour de l’un n’a rien de contradictoire avec l’unification passionnelle par la haine de l’autre, bien au contraire. Les deux ensemble diversifient et enrichissent a minima l’affect commun, mais en préservant sa nouvelle géométrie radiale. Alors le corps politique capitaliste se re-compense en corps capitalo-fasciste.

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Notes

1 S’il est permis de faire une notation d’actualité, ce texte est achevé au lendemain de l’envahissement du Congrès des États-Unis par les partisans du président battu Donald Trump, un événement dont le sens n’est pas encore clairement dégagé, mais dont l’importance historique est tout à fait hors de doute.

2 A. Gramsci, Cahiers de prison, R. Paris éd., P. Fulchignoni, G. Granel et N. Negri trad., Paris, Gallimard, 1978, cahier 13, § 23, p. 400.

3 R. Keucheyan dans A. Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position, R. Keucheyan éd., Paris, La Fabrique éditions, 2012, p. 164.

4 A. Gramsci, Cahiers de prison, op. cit., cahier 13, § 23, p. 400.

5 Ibid., cahier 13, § 17, p. 376.

6 Le sens de cette « première approximation » étant que les deux dynamiques peuvent être dialectiquement couplées, et notamment la dynamique conjoncturelle avoir, par cumul dans le long terme, un effet de retour sur la structure – un phénomène auquel il est d’ailleurs possible de donner une modélisation mathématique, voir F. Lordon, « Endogenous structural change and crisis in a multiple time-scales growth model », Journal of Evolutionary Economics, vol. VII, no 1, 1997, p. 1-21.

7 B. Spinoza, Ethica / Éthique, F. Akkerman et P. Steenbakkers éd., P.-F. Moreau éd. et trad., Paris, PUF, 2020, p. 185.

8 On doit à Lorenzo Vinciguerra l’un des exposés les plus remarquables de cette problématique de la forme et de la figure des corps, dans son ouvrage Spinoza et le signe : la logique de l’imagination, Paris, Vrin, 2018 (2e édition).

9 Pour une présentation synthétique, voir R. Boyer, La théorie de la régulation : 1, Les fondamentaux, Paris, La Découverte, 2004.

10 Les deux termes, « mode de régulation » et « régime d’accumulation », sont en fait métonymes plus que synonymes. Par « mode de régulation », il faut entendre l’ensemble des formes institutionnelles dans lesquelles et par lesquelles s’effectue concrètement l’activité économique, et par « régime d’accumulation » les régularités macroéconomiques engendrées par le capitalisme ainsi institutionnellement appareillé. Voir R. Boyer, La théorie de la régulation, op. cit. ; Id., Économie politique des capitalismes : théorie de la régulation et des crises, Paris, La Découverte, 2015.

11 On pourrait objecter que l’État est si profondément intriqué dans la logique du capital qu’il vaudrait mieux parler d’un complexe de rapports capitalistes dans lequel entre la composante « État »… non sans le risque de commettre l’erreur symétrique puisque ce qu’il y a à penser à propos de l’État en régime capitaliste, c’est son autonomie relative, en prêtant attention aux deux termes (et non à un seul) et en examinant dans quels régimes historiques variables cette autonomie relative se réalise.

12 La qualification homogène de « néolibéral » est retenue ici par commodité, mais, rigoureusement parlant, elle ne fait pas justice à la variété géographique des capitalismes observables dans la période contemporaine. Voir à ce sujet B. Amable, Les cinq capitalismes : diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, Paris, Seuil, 2005.

13 L. Bove, « De la prudence des corps. Du physique au politique », introduction au Traité politique, É. Saisset trad., L. Bove éd., Paris, Librairie générale française, 2002.

14 On voit donc au passage que le concept de « régulation » engagé dans la théorie éponyme n’a rien à voir avec ce que le débat public entend ordinairement par-là : il faut « réguler la finance », ou « réguler le capitalisme », « régulation » signifiant alors une action de modération produite depuis un extérieur de la chose à « réguler ». La « régulation » des régulationnistes désigne, elle, l’ensemble des constructions institutionnelles qui permettent d’accommoder les contradictions fondamentales du capitalisme.

15 On doit notamment à Bruno Théret et à Stefano Palombarini d’avoir opéré cette extension du concept de « régulation » pour le porter, au-delà du seul pilotage du régime d’accumulation, au niveau de la dynamique sociopolitique d’ensemble. Voir par exemple : B. Théret, Régimes économiques de l’ordre politique : esquisse d’une théorie régulationniste des limites de l’État, Paris, PUF, 1992 ; S. Palombarini, La rupture du compromis social italien : un essai de macroéconomie politique, Paris, CNRS Éditions, 2001.

16 George Hoare et Nathan Sperber font remarquer le flottement qui affecte l’idée d’hégémonie chez Gramsci, tantôt comprise comme l’effet synthétique d’un composé mêlant consensus et coercition, tantôt comme antonyme de la coercition (dont l’hégémonie, alors, se « cuirasse »). G. Hoare et N. Sperber, Introduction à Antonio Gramsci, Paris, La Découverte, 2013, p. 97.

17 A. Gramsci, Cahiers de prison, op. cit., cahier 13, § 27, p. 417.

18 « On peut avoir affaire à une solution césariste, même en l’absence d’un César, même en l’absence d’une personnalité “héroïque” et représentative. Le système parlementaire a fourni lui aussi un mécanisme pour de telles solutions de compromis », ibid., cahier 13, § 27, p. 416.

19 B. Spinoza, Tractatus politicus / Traité politique, O. Proietti éd., C. Ramond éd. et trad., Paris, PUF, 2005.

20 La solidification du pouvoir des intérêts des dominants et l’impossibilité de ramener ces derniers à des compromis qui leur seraient un peu moins favorables, malgré une situation de crise profonde, ne sont pas vouées à s’exprimer dans la seule sphère politique, et sous la seule forme de la décompensation politique. André Orléan, par exemple, a montré comment le refus catégorique des dominants de contribuer fiscalement au remboursement de la dette de guerre de l’Allemagne dans les années 1920 a conduit à l’hyperinflation de 1923, c’est-à-dire à la forme monétaire de la décompensation. Voir A. Orléan, « Crise de souveraineté et crise monétaire : l’hyperinflation allemande des années 1920 », dans B. Théret éd., La monnaie dévoilée par ses crises, vol. II : Crises monétaires en Russie et en Allemagne au XXe siècle, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2007, p. 187-219.

21 Z. Sternhell, Ni droite ni gauche : l’idéologie fasciste en France, Paris, Gallimard, 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Frédéric Lordon, « La crise organique comme décompensation du corps capitaliste : Gramsci et Spinoza »Astérion [En ligne], 24 | 2021, mis en ligne le , consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/6049 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asterion.6049

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Auteur

Frédéric Lordon

CNRS, CESSP-CSE, Université Paris 1 Sorbonne, EHESS • Frédéric Lordon est directeur de recherche en philosophie au CNRS, membre du CESSP-CSE (Université Paris 1 Sorbonne, EHESS). Il travaille au développement d’un programme de recherche spinoziste en sciences sociales qui a pris le nom de « Structuralisme des passions ». Il a publié notamment Capitalisme, désir et servitude : Marx et Spinoza (La Fabrique éditions, 2010), La société des affects : pour un structuralisme des passions (Seuil, 2013), Imperium : structures et affects des corps politiques (La Fabrique éditions, 2015), La condition anarchique : affects et institutions de la valeur (Seuil, 2018), Vivre sans ? Institutions, police, travail, argent… (La Fabrique éditions, 2019).

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