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Dossier
II/ Les constructions nationales au XIXe siècle face au modèle français

Le langage sociopolitique russe face à la France des Lumières : de Radichtchev aux décembristes

The Russian socio-political language vis-à-vis the French Enlightenment: from Radishchev to the Decembrists
Galina Durinova

Résumés

L’article étudie comment les idées de la France des Lumières et de la France révolutionnaire ont contribué au changement de la langue sociopolitique russe, comment elles ont interféré avec le processus littéraire du romantisme en Russie et ont finalement contribué au changement du paradigme intellectuel en Russie dans la deuxième moitié du XIXe siècle. L’histoire des concepts de citoyen, de société, d’opposition politique est retracée de la deuxième moitié du XVIIIe siècle – à travers des documents officiels (Instructions, par Catherine II), des textes littéraires (A. Radichtchev) – jusqu’au premier tiers du XIXe siècle – à travers les écrits politiques des décembristes. En conclusion, il est soutenu que l’échec du républicanisme des décembristes inspiré par la France des Lumières a orienté, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la pensée russe vers la problématique de la diversité humaine et de la nationalisation de l’Empire. Les principes universels du siècle des Lumières sont remplacés par l’intérêt porté à la diversité humaine de l’Empire russe, ce qui nécessitera, à son tour, l’élaboration d’un langage spécifique et de ses concepts. Cependant, ce tournant serait une conséquence du processus de réception des idées et des concepts de la France des Lumières et aurait été accéléré par la Révolution française.

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Notes de l’auteur

La majeure partie de cet article a été écrite entre 2017 et 2018, quand l’auteure enseignait au département de linguistique et de littérature comparées de l’Université nationale de recherche – École supérieure d’économie, à Saint-Pétersbourg, en Russie. Ce travail a été réalisé dans le cadre du programme de recherche fondamentale de l’Université nationale de recherche – École supérieure d’économie pour l’année 2018 et présente les résultats de la participation de l’auteure dans le projet de recherche « Les belles-lettres russes des XVIIIe-XIXe siècles et ses liens internationaux ».

Texte intégral

« Rousseau et Robespierre, cela nous est arrivé, autant qu’aux Français. » (Alexandre Herzen)

  • 1 Je m’appuie, dans cette étude, sur les ouvrages suivants : A.V. Ado, « Francuzskaja revoljucija v (...)

1Parler de la réception de la Révolution française en Russie relève d’une démarche ambitieuse, puisqu’on dénombre sur cette question des dizaines de travaux d’historiens, de philosophes, de philologues1. Mais, en même temps, elle semble conduire à l’évidence frustrante que l’influence de cet événement a été capitale dans la durée, de 1789 à 1917.

  • 2 J. Guilhaumou, Discours et événement : l’histoire langagière des concepts, Besançon, Presses unive (...)

2Il paraît, toutefois, que la seule nécessité de définir les mots événement et influence nous sorte du domaine de l’évident et conduit nécessairement à choisir le cadre de toute réflexion ultérieure. Dans cet article, je parlerai de la Révolution en tant qu’« événement intellectuel », voire linguistique. Au sens que Jacques Guillaumou attribue au terme2 d’« événement linguistique », il s’agirait aussi d’un de ces changements langagiers, notamment sémantiques, dont la force discursive serait un facteur et même un « déclencheur » d’événements historiques. Les sujets de l’action historique sont également des sujets de discours. Ce sont les sujets parlants et leur façon de mettre en mots les sens qu’ils jugent pertinents qui m’intéresseront ici, dans la perspective de l’influence de la Révolution française (et plus généralement, la France des Lumières) sur la vie intellectuelle et politique russe (dans son aspect discursif).

3Mon intention est de montrer comment les idées de la France des Lumières et les événements de la France révolutionnaire ont contribué au changement de la langue russe, comment ils ont modifié le statut de la littérature pour la génération qui a suivi l’époque de la Révolution française et ont créé les conditions des mouvements révolutionnaires en Russie dans la seconde moitié du XIXe siècle.

4Je donnerai d’abord un aperçu du contexte culturel et idéologique de la Russie des Lumières pour procéder ensuite à une analyse du lexique sociopolitique dans l’Instruction (le célèbre Nakaz, 1767) de Catherine II dans la langue des traductions des philosophes français de la période antérieure aux événements révolutionnaires et, enfin, dans les textes des décembristes (les années 1820).

L’absence du vocabulaire : nommer les concepts des Lumières, nommer la Révolution

  • 3 H. Arendt, De la révolution, Paris, Folio essais, 1964, p. 13.
  • 4 Loc. cit.
  • 5 V.V. Vinogradov, Istorija slov [L’histoire des mots]. Moscou, Institut russkogo jazyka im. V.V. Vi (...)

5Hannah Arendt suggère que « dans leur cours normal, les relations politiques ne tombent pas sous l’empire de la violence »3 : au sens que les Grecs anciens lui accordaient, faire de la politique c’était persuader et non agresser (en Grèce antique, « la polis, la cité, se définissait explicitement comme un mode de vie fondé exclusivement sur la persuasion et non sur la violence »4). L’espace politique (polis) est ainsi un espace discursif, et l’action politique serait per se un acte performatif (dire, c’est agir). Pour illustrer cette thèse, on peut citer l’une des nombreuses anecdotes circulant au sujet de l’empereur Paul Ier (fils de Catherine II), rapportée par l’écrivain de l’époque pouchkinienne Piotr Viazemski : l’empereur, en route pour Kazan, se trouve dans sa calèche avec son secrétaire Nélédinski. Alors qu’ils s’approchent d’un vaste massif forestier, Nélédinski lui dit : « Voici les premiers représentants des forêts qui s’étendent bien au-delà de l’Oural. — Très poétique comme expression, répondit Paul Ier, mais absolument inopportun. Va-t-en donc, sors ! ». « Cela se passait à l’époque de la Révolution, commente Viazemski, et le mot “représentant” était interdit chez l’empereur »5.

6Une fois couronné, Paul Ier publia en 1797 le décret d’après lequel la Russie (le pays qui avait acheté, quelques années plus tôt, les bibliothèques de Diderot et de Voltaire) ne devait rien importer qui viendrait ou pourrait venir de France.

  • 6 Voir l’analyse détaillée dans : S.L. Turilova, D.A. Rostislavlev, « Francuzy v Rosii v 1793 godu » (...)

7Paul n’était pas le premier à vouloir rompre toutes relations avec la France révolutionnaire. Déjà en 1793 sa mère Catherine II avait publié au Sénat le décret d’« interruption de toute communication avec la France au vu des perturbations ayant suivi le meurtre du roi Louis XVI » qui préconisait aussi l’expulsion des Français résidant en Russie, « à l’exception de ceux qui, sous la foi du serment, désavoueront les ordres révolutionnaires diffusés en France »6. Mais Paul Ier alla plus loin : il interdit la mode française, les livres français, les chansons françaises (sans parler explicitement de la Marseillaise circulant en Europe) et aussi… les mots russes grazhdanin (citoyen) et obshchestvo (société).

8Il faut préciser qu’au moment où le décret de Paul Ier a été publié, ces deux mots russes n’avaient guère le statut de concepts sociopolitiques. Et ce, malgré la démarche sans précèdent du pouvoir autocratique d’introduire ces concepts dans le vocabulaire politique russe avec le document appelé Instruction pour la commission chargée de dresser le projet d’un nouveau code des lois (1767) que nous allons analyser. Le document a eu son écho auprès de la génération suivante qui est entrée sur la scène politique après la guerre nationale de 1812.

  • 7 R. Robin, La société française en 1789 : Semur-en-Auxois, Paris, Plon, 1970.
  • 8 S. Branca-Rosoff, « Les mots de parti pris. Citoyen, aristocrate et insurrection dans quelques dic (...)
  • 9 Les significations des mots grazhdanin, obshchestvo au XVIIIe siècle sont interprétées avec l’appu (...)

9Même si Paul Ier a réagi, comme l’explique Viazemski, au sens politique des termes français : le mot predstavitel’ serait ainsi une traduction du mot français représentant, tout comme grazhdanin et obshchestvo seraient les traductions des mots citoyen et société. Ces derniers étaient chargés de sémantique politique dans la langue française de l’époque. Il suffit de se souvenir de l’ouvrage de Régine Robin évoquant la « guerre des vocabulaires » dans la France prérévolutionnaire comme d’un phénomène qui annonce toujours un combat politique7. Sofia Branca-Rosoff, dans le Dictionnaire des usages sociopolitiques, dit que « le mot société est devenu la notion clé de la France des Lumières »8. Mais dans la langue russe grazhdanin veut dire tout simplement bourgeois, celui qui réside dans la ville ; et le mot obshchestvo veut dire totalité, intégralité. Il peut occasionnellement désigner une communauté quelconque9.

10Pourtant, la Russie avait été l’interlocutrice la plus assidue des philosophes français (Catherine II avait été en correspondance avec Voltaire, avait accordé de nombreuses auditions à Diderot invité en Russie, avait acheté les volumes de l’Encyclopédie, etc.) et s’était montrée très désireuse d’adapter le discours des Lumières pour le mettre au service de ses propres objectifs.

  • 10 V.M. Zhivov, Jazyk i kul'tura v Rossii 18. veka [La langue et la culture en Russie du XVIIIe siècl (...)

11Catherine II voulait promouvoir et justifier le pouvoir absolu du monarque éclairé, afin de demeurer au centre de la vie politique européenne. C’est par son biais que les Lumières ont pénétré en Russie : selon la formule du philologue Victor Zhivov « en Europe occidentale, les Lumières sont la vieillesse de l’absolutisme, qui doit désormais négocier avec la Raison libre, alors qu’en Russie, l’époque des Lumières est l’enfance de l’autocratie »10. D’où la situation paradoxale quand l’idéologie des Lumières se trouve inséparable d’un despotisme renforcé. Néanmoins, c’est Catherine II elle-même qui fut à l’origine d’un événement linguistique dont l’importance ne peut être sous-estimée.

  • 11 Ce projet ayant été abandonné, le nouveau code de loi n’arrive que dans les années 1830 sous Nicol (...)
  • 12 La dernière édition complète réunissant les différentes versions des traductions de Nakaz et clari (...)

12Par le manifeste de 1766, Catherine II a convoqué une commission chargée de dresser le projet d’un nouveau code des lois (pour remplacer le précédent datant de 1668)11. En guise de programme donnant une direction au travail de la Commission, elle écrivit la fameuse Instruction (Nakaz). Le texte comprend 655 articles regroupés en 22 chapitres. Le Nakaz est une compilation de plusieurs textes philosophiques et juridiques de l’époque, dont les principaux sont De l’esprit des lois de Montesquieu et Des délits et des peines de Beccaria12. Le problème linguistique – l’absence de tout appareil terminologique pour introduire dans le discours législatif russe les notions de Montesquieu – a été crucial pour la stratégie de Catherine II en tant qu’auteure du Nakaz. Les cas les plus parlants sont ceux des mots citoyen et société.

  • 13 V.M. Zhivov, Razyskanija v oblasti istorii i predystorii russkoj kul'tury [Étude sur l’histoire et (...)
  • 14 Les exemples cités proviennent du texte du XIe siècle : Russkaia pravda [Loi russe].
  • 15 Le nom exact du document en russe : Reglament, ili Ustav, Glavnogo magistrata.
  • 16 Les textes législatifs russes du XIe-XIXe siècles sont cités d’après l’édition suivante : Titov Ju (...)

13Jusque-là, il n’existait pas de terme pour désigner le sujet de droit (personne morale), puisque la pratique juridique en Russie depuis les temps les plus reculés a été séparée du contenu idéologique, voire culturel. La réception du droit byzantin en l’espace de quatorze ou quinze siècles est passée exclusivement par une culture livresque, qui a engendré un langage « culturel » à base de slavon13, tandis que la pratique juridique réelle se faisait en russe et ne correspondait pas aux cas juridiques décrits dans le système byzantin. Le sujet de la situation considérée comme « législative » est désigné dans la langue russe par des constructions syntaxiques telles que « celui qui… », « si quelqu’un qui… », dans les textes des XIe-XIVe siècles14. Ce n’est qu’à l’époque des réformes de Pierre le Grand que le système terminologique a évolué. Par exemple, dans le « Règlement » (1721)15, le destinataire du discours législatif est dénommé par les mots suivants : poddanyi (sujet/tributaire), narod (peuple), liudi (hommes), rarement grazhdanin (citoyen dans le sens bourgeois)16.

14L’introduction de la notion de citoyen avec le système terminologique citoyen-loi-société présentait un conflit linguistique : la signification établie par l’usage se trouve confrontée au sens contextuel. Pourquoi choisir ce mot (grazhdanin) pour traduire le concept français ?

  • 17 E.N. Marasinova, « Raby i grazhdane v Rossijskoj imperii XVIII v. », dans M.A. Ajlamazjan éd., Vvo (...)

15Dans la plupart des langues européennes, le mot citoyen en tant que terme sociopolitique a dû « dépasser » son sens initial de bourgeois, résident des villes. L’évolution du terme a suivi le processus historique lui-même. « En Europe, les bourgeois constituaient la partie de la population économiquement la plus indépendante », remarque l’historienne Elena Marasinova. « Le fait que ce nouveau type d’interaction entre le régime, la société et l’individu dans les états monarchiques s’exprime dans l’évolution du sens du mot citoyen est donc tout à fait logique »17.

  • 18 M. Raeff, « L’État, le gouvernement et la tradition politique en Russie impériale avant 1861 », da (...)

16Mais la Russie de la seconde moitié du XVIIIe siècle reste un pays à prédominance agraire, où le rôle économique de la classe urbaine est minimal18. Il ne faut pas oublier non plus qu’on appelle cette époque « l’âge d’or du servage » – d’où l’absurdité de la notion de citoyen en tant qu’acteur dans une arène politique qui n’existait pas, et où nulle autre notion que celle de « sujet soumis au régime » n’avait lieu d’être. Pourtant, dans le texte du Nakaz, le mot citoyen est sensiblement plus fréquent que le mot sujet.

17Le Nakaz a initialement été écrit en français par l’Impératrice. Comme elle le dit elle-même dans l’une de ses lettres, elle « [n’]a pas mal dérobé à Montesquieu », tout en adaptant les citations initiales au projet idéologique qu’elle visait. En comparant les versions française et russe du Nakaz, nous voyons clairement les différences fondamentales entre le concept de citoyen en français et en russe.

Le mot grazhdanin/citoyen : différence dans la catégorie de nombre

18Dans le Nakaz, la forme du singulier en français correspond à la forme du pluriel en russe : « Dans le cœur du citoyen » en français désigne une notion de citoyen, une catégorie, une classe. Alors que « citoyens » au pluriel dans le texte russe montre qu’il s’agit d’un ensemble des sujets faisant l’objet du discours du monarque. Il n’y a donc pas de notion de citoyen, mais seulement un certain nombre de cas où l’Impératrice « perçoit » ces sujets comme citoyens.

  • 19 A.N. Radichtchev, Voyage de Pétersbourg à Moscou, trad. par M. et W. Berelowitch, Paris, Ivrea, 19 (...)

19Conformément à la rhétorique des Lumières, la notion de citoyen est mise en lien avec celle de loi : « L’égalité de tous les citoyens consiste en ce qu’ils sont tous soumis aux mêmes lois » (article 34 du Nakaz). Cette formulation ne peut, cependant, désigner qu’une situation purement abstraite, puisque la population du pays est composée pour la plupart de serfs « morts au regard de la loi » (d’après la célèbre expression d’Alexandre Radichtchev19). La différence entre sujet et citoyen, qui servait très bien la stratégie de Catherine II, correspond à une gradation, et sous-entend la volonté du sujet de devenir un bon citoyen soumis à la loi : « Les règles de l’Education sont les premiers principes qui nous préparent à être Citoyens » (article 337 du Nakaz). Ainsi l’introduction de la notion de citoyen au sens sociopolitique a lieu en même temps que l’élaboration du modèle du régime selon lequel la seule notion qui unit les concepts de société, loi et droit est le pouvoir absolu du monarque. Selon ce modèle le citoyen n’est pas défini par la loi, mais par le souverain qui institue le citoyen comme objet de sa volonté.

Le mot obshchestvo/société : structure sémantique du mot russe vs le mot français

20Le terme société est traduit dans le Nakaz par le mot obshchestvo. Or, dans l’article 37, nous lisons en français (la phrase en français reprend le texte de De l’esprit des lois XI, 3) : « Dans un Etat, c’est à dire dans une société où il y a des Loix… ».

21Chez Montesquieu, le mot français société a un sens sociopolitique. Mais dans la traduction russe, la phrase dit littéralement : « Dans un Etat, c’est-à-dire, dans une collectivité vivant en communauté où il y a des lois » (« v gosudarstve, to est' v sobranii ljudej, obshhestvom zhivushhih, gde est' zakony »). Nous observons que le mot français société n’a pas pu être traduit par un seul mot russe, mais a produit une construction assez maladroite et lourde avec deux mots quasi synonymes dans la langue russe de cette période (sobranie, obshchestvo). Cela n’est pourtant pas très étonnant, puisque le mot obshchestvo (dont la racine est « obshch », commun) ne veut rien dire d’autre qu’intégralité, totalité et est employé généralement avec un mot dépendant en génitif (obshchestvo + Gén. : « société de… ») ou, comme dans la citation, en instrumental (vivre comment  ? – en « mode communauté »). Ce mot, ni par sa forme interne ni par la tradition d’usage, ne peut donc pas restituer le concept de Montesquieu d’une société des individus-citoyens qui partagent leurs droits, leurs obligations et qui sont protégés par la loi.

  • 20 Cette question est traitée en détail dans la publication suivante : G. Durinova, « Slovo i ponjati (...)

22Il existe un autre mot qui semble être le candidat parfait pour traduire le mot français société : c’est grazhdanstvo (de la même racine que le mot grazhdanin-citoyen, se référant à grad-ville). Ce mot est employé dans un certain nombre de textes du XVIIIe siècle (notamment, la paire « grazhdanin – grazhdanstvo » est la terminologie centrale dans le « Règlement » de Pierre le Grand, 1721)20 et a été remplacé ensuite par le mot obshchestvo (pour la première fois dans un document officiel dans le Nakaz).

23La question qui se pose légitimement est donc pourquoi le mot dont la racine désigne une totalité a été préféré au mot dont la racine désigne la ville ? Le choix est d’autant plus étrange qu’aucun des deux mots russes n’est lié étymologiquement au mot latin socio (contrairement aux langues romanes et anglo-saxones : society, société, società, sociedad). Ainsi donc, le mot russe obshchestvo ne réfère pas au concept latin de societas civilis, mais renvoie à la sémantique de la communauté, de quelque chose qui est « partagé », « mis en commun ».

24Dans la Russie du XVIIIe siècle, il n’existait pas de critère (économique, juridique, social ou autre) sous l’angle duquel tous les Russes se seraient trouvés sur un pied d’égalité. Ce critère a été « trouvé » : la soumission commune au régime. De ce point de vue, le mot obshchestvo convenait mieux pour exprimer ce que voulait véritablement dire Catherine II sous l’apparence d’un discours des Lumières : les citoyens forment une totalité dans le sens où ils sont tous pareillement soumis à la volonté du monarque.

  • 21 Nous pourrions également interpréter cette « modification » de la définition de Montesquieu comme (...)

25Dans cette perspective, il n’est pas surprenant de trouver dans le Nakaz la définition que Montesquieu donne du despotisme appliqué à la monarchie : « Un grand Empire suppose une autorité monarchique » (« despotique » chez Montesquieu, De l’esprit des lois, livre III, chap. VIII, art. 19)21.

  • 22 Cité dans : N.J. Ejdel’man, Mgnoven'e slavy nastaet… God 1789, Leningrad, Lenizdat, 1989, p. 85.
  • 23 D.M. Griffiths, « Zlodei, fanatiki, advokaty: vzgljady Ekateriny na Francuzskuju revoljuciju », tr (...)

26Ainsi, tout en adoptant le vocabulaire des philosophes français pour avoir un rôle central dans l’arène politique de l’Europe, Catherine II ne tint pas compte des nouvelles que son ambassadeur en France, Simolyne, lui transmit avec retard. Le 14 juillet 1789, la cour de Saint-Pétersbourg mène sa vie habituelle : bals, fêtes, réceptions, etc. Le 27 juillet 1789, une dépêche annonçant la prise de Bastille arrive à Saint-Pétersbourg. « Ces gens-là sont malades », commente Catherine. Elle ne veut pas laisser le comte de Ségur, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, repartir pour Paris, sous prétexte qu’il allait « trouver la France toute malade, en fièvre… »22. Elle considéra la Révolution comme une sorte de « grippe morale ». En juin 1790, dans une lettre écrite en français, elle traite les responsables des événements en France de « scélérats », de « brigands » et d’« imposteurs ». Ces termes sont ceux qu’elle avait employés pour caractériser la guerre des paysans sous la conduite d’Emelian Pougatchev (1773-1775), l’une des révoltes les plus importantes de l’histoire russe. Les mots qu’elle emploie montrent qu’initialement, Catherine II perçut les événements en France comme une « révolte », c’est-à-dire, comme le « fait de sombres forces irrationnelles de mécontents, dépourvus de programme politique, hormis la nostalgie abstraite d’un passé qui leur semble “meilleur” »23.

  • 24 Loc. cit.
  • 25 H. de Boulainvilliers, Essais sur la noblesse de France, contenant une dissertation sur son origin (...)

27Mais, au fur et à mesure, il devint clair que les fauteurs de cette « révolte » n’étaient pas les paysans, mais les Parisiens. Alors l’Impératrice trouva une autre analogie : elle commença à parler de « fanatiques » (dans une lettre adressée au prince de Ligne). Elle employa le même mot à propos du journaliste russe d’opposition Novikov. L’Impératrice parla ensuite des « savetiers » et « cordonniers », elle évoqua les « avocats » et enfin, les Gaulois en révolte contre les Francs, jadis leurs vainqueurs24. Cette analogie était empruntée à la thèse « germaniste » de Boulainvilliers sur les prétendues origines franques de la noblesse française, selon laquelle la prééminence de la noblesse aurait pour fondement le droit de conquête25.

  • 26 H. Arendt, op. cit.

28Cette incapacité à saisir ce qui s’était produit en 1789 venait du fait que, comme le dit encore Arendt, « [les révolutions] comptent parmi les plus récentes des données politiques majeures »26 et la compréhension de la Révolution nécessitait la maîtrise d’un concept qui n’avait pas encore été formé.

29Ayant introduit le discours des Lumières en Russie, Catherine II n’a pas pu saisir le changement politique et historique fondamental qui s’est produit dans le cadre de ce discours. Néanmoins, le lien entre ces deux aspects de la France contemporaine était évident. À partir de 1793, Catherine se détourne de la rhétorique des Lumières, et lance une politique réactionnaire. La Commission de 1767 est dissoute, le nouveau corps de loi n’est plus à l’ordre du jour.

  • 27 E.N. Marasinova, op. cit., p. 99-118.

30C’est pourquoi Elena Marasinova observe que « l’autocratie en Russie de la deuxième moitié du XVIIIe siècle sera “bridée” non par le citoyen protégeant ses droits garantis pas la Loi, mais par l’individu indépendant dans sa façon de raisonner, celui qui se trouve parmi la noblesse toujours potentiellement opposante »27. Bien que cette affirmation concerne les rapports sociopolitiques, elle est aussi valable eu égard aux changements sémantiques de la langue russe. Dans ce domaine aussi, le rôle de l’individu est crucial (même si nous avons tendance à penser que la langue est créée par l’usage commun).

31Comment décrire la Révolution et son impact en Russie ? La réponse viendra d’une source tout à fait différente : le discours politique non officiel et la démarche littéraire des intellectuels.

L’émergence du vocabulaire : traduire et in-traduire la France

  • 28 Voici comment le décembriste Rozen explique cette influence a posteriori de la révolte décembriste (...)

32La particularité des élites intellectuelles russes dans la période des XVIIIe-XIXe siècles, c’est leur situation de quasi-bilinguisme franco-russe. Ce bilinguisme est à l’origine d’un discours où le mot russe exprime la notion française. Disposant d’une vaste culture livresque et très sensible à la dimension linguistique des idées politiques, les intellectuels russes étaient souvent formés en Europe (ou en Russie par des ressortissants européens éduqués28) et donc familiarisés avec les théories politiques modernes. Ils revenaient en Russie avec l’intention de mettre en pratique ces théories et la création d’un nouveau vocabulaire sociopolitique russe était un problème crucial.

33En 1771, le futur écrivain et fonctionnaire d’État, Alexandre Radichtchev, rentre en Russie après ses études de droit en Allemagne. Il traduit en russe l’ouvrage de Mably : Observations sur l’histoire de la Grèce. Il est clair qu’il cherche plutôt les moyens d’exprimer ses valeurs politiques qu’à donner une traduction précise. Il rectifie ainsi une « erreur » remarquable en traduisant le mot despotisme par le mot autocratie. Radichtchev ajoute la notice suivante : « L’autocratie est la condition la plus étrangère aux êtres humains. C’est seulement à la Loi d’avoir le pouvoir. Si le Souverain oublie la Loi, il donne le même droit au peuple puisque le Souverain est le premier citoyen ».

34En 1790, il écrit son célèbre Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou – le premier texte qui parle ouvertement du problème du servage en Russie et de la nécessité absolue d’accorder le statut de citoyen à tous. Radichtchev fait sortir l’ouvrage dans ses presses privées (ce qui était autorisé par le décret de 1783 portant sur la liberté de mener une activité éditoriale à titre personnel) et en vend une centaine d’exemplaires avant d’être arrêté par la police. Catherine le traite de « rebelle pire que Pougatchev ». Radichtchev est exilé par la suite en Sibérie (Paul Ier mettra fin à son exil en 1796).

35Le Voyage de Saint-Pétersbourg à Moscou est intéressant du point de vue des innovations linguistiques. Le système des termes sociopolitiques, très élaboré en effet, est construit à l’aide de mots qui partagent la même racine que le mot obshchestvo (société). Ainsi le mot grazhdanin (citoyen) est « remplacé » dans le texte par le terme obshchnik (dans le texte, cela désigne « celui qui partage quelque chose avec quelqu’un »). Ce mot n’est pas resté dans la langue russe contemporaine, mais la volonté d’exprimer la notion de citoyen par ce mot est très signifiante : l’idée de partage, de mise en commun, offre une alternative à la notion de citoyen de obshchestvo (société) telle qu’on la trouve dans le Nakaz. En quoi consisterait une telle alternative ?

  • 29 O. Kharkhordin, « What is the State? The Russian concept of Gosudarstvo in the European context »,(...)

36En effet, comme on l’a montré précédemment, le paradoxe fondamental de la Russie, c’est la situation où les concepts de républicanisme sont appliqués par l’État autocratique à une population passive29. Si le mot obshchestvo reçoit le statut terminologique à l’initiative de Catherine II, c’est que c’est du point de vue du monarque que cette « communauté », « totalité » est désignée : il s’agit donc d’un obshchestvo consistant en une totalité de ceux qui sont soumis à la volonté du monarque.

  • 30 Sur le potentiel sémantique du mot obshchestvo voir l’article : G. Durinova, « Temporal'naja seman (...)

37Linguistiquement le mot russe en question ne contient aucune indication sur la nature et le caractère de la « communauté » (obshchnost’) qu’il désigne. Il peut donc former autant de concepts que de sujets parlants (qui prennent l’initiative d’une « ingénierie » conceptuelle). Étymologiquement obshchestvo référerait à l’idée d’un cercle (*oblyi)30, c’est donc le sujet parlant qui peut désigner ceux qu’il « inclut » dans obshchestvo et précise en quelle qualité et sous quelle condition.

  • 31 O. Kharkhordin, art. cité, p. 186-187.

38C’est pourquoi il n’est pas très étonnant que ce mot devienne l’un des plus politisés à l’époque qui suit son introduction « officielle » par l’Impératrice, à savoir celle des décembristes (les années 1820). Radichtchev a été, de ce point de vue, le premier intellectuel à avoir ouvertement parlé d’une opposition entre l’État et la société, de l’« idéal républicain » et d’« une communauté affrontant l’État »31.

39Chez Radichtchev, le citoyen en tant que obshchnik signifie « un individu qui est en relation d’égalité avec un autre, consistant dans le partage commun et l’égale soumission à la loi et non à la personne du monarque ». Dans le langage de Radichtchev, nous pouvons parler d’un véritable « dialecte » de la langue sociopolitique russe. Le mot grazhdanin (citoyen) dans ce dialecte est homonymique à celui du langage officiel : bien que ce soit la même forme phonétique que le terme du langage officiel, sa signification est très différente (voire antonymique). Dans le langage politique officiel les mots citoyen (grazhdanin), sujet (poddannyi) sont des synonymes interchangeables dans la plupart des contextes, alors que, dans le langage des intellectuels (lancé par Radichtchev), ils sont systématiquement antonymiques (citoyen est lié à la notion de loi, tandis que le terme sujet est lié à celle de souverain, le terme homme – sans contenu sociopolitique).

  • 32 Ju. M. Lotman, « Radichtchev i Mabli » [Radichtchev et Mably], dans Russkaja literatura i kul'tura (...)

40Cependant, il serait faux d’affirmer que le rôle des intellectuels s’est réduit à la réception des idées révolutionnaires françaises. Radichtchev s’est montré très critique à l’égard de certaines idées de Rousseau, notamment dans Du contrat social. Dans la distinction faite par Rousseau entre la volonté particulière et la volonté générale, Radichtchev voit une légitimation de la contrainte physique en politique. Comme Jurij Lotman le remarque32, pour Radichtchev, la volonté générale n’est que la somme des volontés particulières. D’où un concept très matérialiste de la personne morale (à la Helvétius). Ainsi le peuple, étant cette « personne morale », serait le souverain dans la société. Et ce peuple-là ne pourrait guère être une sorte de rebelle cherchant à usurper le pouvoir, puisqu’il en est « propriétaire » par définition.

41C’est cette philosophie politique de Radichtchev qui a fait changer par la suite sa perception initialement positive de la Révolution. Dans l’ouvrage déjà mentionné, Radichtchev écrit :

  • 33 A.N. Radichtchev, op. cit., p. 292.

De nos jours, alors qu’en France on ne parle que de liberté, alors que la licence et l’anarchie sont à leur comble, la censure n’est pas abolie […] Nous avons lu récemment (que les Français et avec eux l’humanité tout entière déplorent le sort qui leur est fait !)… que l’Assemblée nationale agissant d’une façon aussi absolue qu’avant elle le roi, a fait saisir un livre imprimé et traîné en justice son auteur parce qu’il avait eu l’audace de la critiquer. La Fayette fut l’exécuteur de ce jugement. Ô France, tu côtoies encore les abîmes de la Bastille !33

42Néanmoins ce deuxième « axe » du langage sociopolitique a été établi : les mots qui sont neutres dans le discours officiel commencent à être politisés par les intellectuels. Le mot grazhdanin apparaît dans des titres d’articles accompagné d’épithètes désignant la nationalité : « La réponse du citoyen »34, « L’opinion du citoyen russe »35, ou en préambule aux textes bureaucratiques : « Il n’existe point de Citoyen Russe qui ne ressentirait les difficultés de cette guerre »36, « Est-ce que j’ai été digne du nom de citoyen Russe ? »37 En même temps, l’élimination du lien synonymique entre les mots citoyen et bourgeois se fait dans l’attribution de cette nomination (citoyen-grazhdanin) au tsar (l’Empereur) : « Souviens-toi tes propres paroles : “ma gloire consiste dans le fait d’être le premier citoyen du peuple libre” »38.

  • 39 Citation dans notre traduction. Texte original en russe : N. Bestuzhev, « Shlissel'burgskaja stanc (...)

43Dans les projets constitutionnels des années 1820, les mots citoyen et société sont cruciaux. Dans la Constitution écrite par Nikita Muraviov (1825), la définition du concept de citoyen est centrale : « Les Citoyens sont les habitants de l’État russe jouissant de droits civils (grazhdanin – grazhdanskie prava) ». Ce mot sert même à inventer un nouveau terme : russkij ne-grazhdanin (« non-citoyen russe ») : l’homme russe libre qui n’a pas de droits civils en considération de l’âge ou du cens. Dans la Rousskaïa Pravda (Loi russe, le même titre que le premier document législatif en Russie du XIe siècle) de 1825, c’est le mot obshchestvo-société qui est crucial : « Toute réunion d’un certain nombre de personnes ayant un but commun, serait appelée la société ». Dans la prose de Nicolaï Bestuzhev, nous retrouvons déjà les deux concepts unis dans un seul système sémantique : « Quand est-ce que la vie et l’existence du citoyen auront une valeur pour la société ? »39

  • 40 N.N. Novosil’cev, « Gosudarstvennaja ustavnaja gramota Rossijskoj imperii. Proekt », dans S. Berto (...)
  • 41 M.M. Speranskij, « Vvedenie k ulozheniju gosudarstvennyh zakonov » [Introduction au Code de loi], (...)

44Cette distinction (que nous avons appelé « la relation d’homonymie ») entre le mot grazhdanin dans les textes des intellectuels opposés au pouvoir et ce même mot dans les textes officiels de l’État n’est pas absolue. Il existe des textes officiels où le terme grazhdanin signifie la même chose que dans le discours des opposants (celui qui est protégé par la loi et non soumis à la volonté personnelle du monarque). Tel est, par exemple, le sort de la Charte de l’Empire russe de Nikolaï Novossiltsev, président du Conseil des ministres sous Alexandre Ier (182040). C’est probablement le seul texte officiel qui met la notion de loi en relation avec celle de citoyen (« La loi protège, sans privilégier personne, tous les citoyens »). Alors que, dans le projet des Lois fondamentales (1809) de Mikhaïl Mikhaïlovitch Speranski (surnommé le père du libéralisme russe), nous lisons : « Les lois existent pour la sûreté des hommes qui y sont soumis »41.

45Cette première génération « révolutionnée » (non « révolutionnaire », mais influencée par cet événement) en Russie, celle des Lumières, est donc marquée par deux caractéristiques : 1) elle procède à la « fusion sémantique » des notions françaises et des mots russes, en même temps qu’elle exploite le potentiel linguistique des mots russes  ; 2) elle ne sépare jamais le discours politique et le discours philosophique, tout jugement sur l’action politique se faisant dans le cadre d’une philosophie politique et juridique.

  • 42 Parler de la révolte des décembristes comme d’une « révolution » n’est possible qu’au sens métapho (...)

46Ces caractéristiques sont d’autant plus significatives que la génération de la première révolution russe42, celle des décembristes de 1825, tout en étant héritière de ces évolutions, est très différente.

Les décembristes et le décembrisme : écho de la Marseillaise ?

« Je n’ai participé ni à l’émeute, propre à la foule, ni aux complots, propres aux esclaves. Ma seule arme est la pensée, tantôt en accord, tantôt en désaccord avec le gouvernement. »
(Michael Lounine, « Lettres de la Sibérie », 1838)

  • 43 Cité dans : V. Parsamov, Dekabristy i russkoe obshchhestvo, 1814-1825 gg, [Les décembristes et la (...)
  • 44 Loc. cit.

47Les futurs décembristes ont été élevés dans la culture des livres de langue française. Matthieu Mouraviov-Apostol écrit dans ses mémoires : « Le garçon de 5 ans a été un royaliste ardent. Les émigrés [français] par leurs récits des malheurs du roi et de la reine et d’autres victimes des terroristes féroces l’ont fortement ému »43. Le général Dumouriez qui a été reçu, à titre d’officier, dans la maison des Mouraviov-Apostol s’est approché du garçon pour lui serrer la main, mais l’enfant s’est mis en colère et lui a dit en français (il ne parle pas encore le russe !) : « Je déteste, Monsieur, un homme traître envers son roi et sa patrie ! »44. Le père de Mouraviov-Apostol, diplomate, s’est trouvé, bien évidemment, dans une situation politically incorrect.

  • 45 En réalité, c’était des gens de différents âges et occupant des grades très différents dans la hié (...)

48Si c’est avec la génération des jeunes officiers45 combattant contre Napoléon en 1812, et acteurs de l’insurrection du 14 décembre 1825, refusant de prêter serment à Nicolas Ier et réclamant l’avènement d’un ordre constitutionnel en Russie, si c’est avec les décembristes que les deux langages politiques (officiel et non officiel) ont reçu un statut particulier, c’est parce que le rapport entre la légalité et la clandestinité était devenu pour eux un problème central.

  • 46 J. Grandhaye, Les décembristes. Une génération républicaine en Russie autocratique, Paris, Publica (...)
  • 47 La résistance de la Russie à la révolution, comme la direction principale du conservatisme et du n (...)

49En effet, une procédure juridique particulière est mise en place par Nicolas Ier après la révolte. Une commission spéciale est chargée de classer les « criminels » selon la gravité de leurs crimes et de déterminer la peine correspondante dans les codes de loi existants (dont le dernier date de 1680) – ce qui laissait la possibilité de les « plonger dans l’eau bouillante », etc. Cela donnait aussi à Nicolas Ier la possibilité de se montrer en père-tsar généreux vis-à-vis de ses enfants-sujets et de les punir de manière incomparablement plus humaine (sur 2 000 personnes, soldats et officiers, présents sur la place du Sénat, seulement 5 personnes ont été exécutées par pendaison, une centaine exilée en Sibérie, et une grande majorité « pardonnée » par le monarque)46. Telle fut l’entrée sur la scène politique du « gendarme de l’Europe », qui faisait de la résistance à la diffusion de la « peste révolutionnaire » en Europe l’objectif principal de son règne et, probablement, de sa vie même47.

50Nombreux furent, parmi les participants du mouvement décembriste, ceux qui, lors du procès, se déclarèrent coupables, – pour ceux qui se sont retrouvés en exil en Sibérie, dans les colonies de travaux forcés, il était très important d’affirmer la légitimité de leurs actes (surtout celui de réclamer une constitution) et de leur activité politique (dans de nombreuses sociétés secrètes). Nous pouvons distinguer deux lignes de défense de la légitimité du mouvement décembriste. Les deux présentent le mouvement décembriste comme la conséquence directe de la politique du gouvernement tsariste. L’argument de Michael Lounine vise l’empereur Alexandre Ier, rendu responsable du passage à l’acte des décembristes, cherchant à concrétiser ce que le tsar avait revendiqué comme ses propres projets de politique intérieure. Dans les « Lettres de la Sibérie », Lounine écrit :

  • 48 M.S. Lounine, « Pis'ma iz Sibiri » [Lettres de la Sibérie], dans Sochinenija, pis'ma, Dokumenty, t (...)

En octroyant aux Polonais une constitution [après le Congrès de Vienne, lors de l’annexion à l’Empire russe en 1815], l’Empereur Alexandre s’est engagé devant l’Europe à étendre les effets bénéfiques d’un gouvernement représentatif à tous les peuples qui lui sont confiés par la Providence. Ce sublime espoir de tous les Russes est devenu un fait moral après le Manifeste du tsar du 12 décembre 1825 […] Et tout d’un coup, le ministère de l’Éducation nationale leur [aux Russes] annonce qu’ils n’ont plus rien à attendre, puisque l’ordre politique existant suffit déjà et qu’il est contre la loi de vouloir le contraire. Il n’est même pas précisé par quel acte législatif la décision des deux tsars [Alexandre Ier, et son frère Constantin, en Pologne] a été annulée […] De quel droit le Ministère s’approprie-t-il le pouvoir législatif en enlevant au peuple ses espoirs les plus chers ?48

  • 49 A.E. Rozen, op. cit.

51Le baron Rozen, dans ses « Notes d’un décembriste »49, et indépendamment de Lounine, adopte la même tactique (affirmer la responsabilité directe du gouvernement), mais son argument porte sur la crise politique provoquée par l’administration tsariste. En effet, la révolte du 14 décembre 1825 est une improvisation qui a mal tourné, survenue de manière impromptue, sans que les insurgés soient prêts ni se soient mis d’accord. La mort d’Alexandre Ier lors de son voyage non officiel et lointain dont l’objectif demeure obscur, et l’abdication de son frère Constantin par une lettre officielle, mais restée secrète (selon le vœu d’Alexandre), le prétendu manque de connaissance du troisième frère, Nicolas, de la situation réelle, et l’inaction des responsables de l’administration tsariste, – tout cela a, sans doute, contribué à créer une atmosphère d’inquiétude et d’incertitude d’interrègne.

  • 50 Voici ce que baron Rozen en dit dans le chapitre III de Zapiski dekabrista [Notes d’un décembriste (...)

52Ce qui est particulièrement remarquable dans ces deux raisonnements, c’est qu’ils génèrent une notion nouvelle dans le langage de l’époque : celle de l’action politique. Rozen démontre que les fonctionnaires d’État ont tous agi en tant que personnes privées dans leur intérêt égoïste au lieu d’agir politiquement en tant que représentants de l’État, ce qui a provoqué une crise grave et permis aux insurgés d’entreprendre leur action politique, jugée néanmoins criminelle par le gouvernement tsariste50. Lounine, considérant que la résistance continuait en Sibérie, rédigea ses « Lettres » où il développe, de manière assez systématique, les concepts de la politique et du politique, de l’opposition politique et de l’action politique :

  • 51 M.S. Lounine, op. cit., p. 82.

Tandis que je passais de la prison à l’exil, ma dénomination […] devenait de plus en plus longue. Maintenant, dans les documents officiels, on me dénomme : un criminel d’Etat résidant dans la colonie. Toute une description accompagne mon nom ! En Angleterre, on dirait tout simplement : « Lounine, membre de l’opposition ». En effet, telle est objectivement ma définition politique.51

  • 52 Ibid., p. 90.

En examinant les occurrences (très nombreuses pour un ouvrage relativement court) du mot politique, on constate que c’est une notion-clé de son langage : « contenu politique [de mes lettres] », « mes adversaires politiques », « l’opposition est un élément de toute constitution politique », « les opinions politiques », « la politique est une spécialité comme l’est la médecine », etc. Lounine insiste sur le caractère bénévole et libre de l’action politique (« nous ne pouvons guère être un médecin involontaire, l’idée d’un politique involontaire est tout autant ridicule »52).

53Il est important pour Lounine de faire comprendre que par l’action politique il entend surtout une activité intellectuelle, voire cognitive (et le mot mysl’, « pensée », est répété plusieurs fois dans les « Lettres de la Sibérie ») :

  • 53 Ibid., p. 89.

[C’est que j’ai eu une pensée]. Et cette pensée s’est avérée être trop forte pour les uns comme pour les autres [pour ces alliés et ces ennemis]. Ils n’ont pas vu que leur propre bien commun a été dans cette même pensée […] À Varsovie, je contestais le système [de gouvernance tsariste]… Et voici que quatre ans plus tard – la région est révoltée, le pouvoir est renversé [la révolté polonaise du 1830]… Et pendant tout ce temps, l’homme qui a vu arriver cela et pouvait l’éviter, a été emprisonné.53

  • 54 Lounine, très « occidentaliste » et fervent catholique, n’évoque pas la notion russe de bount (la (...)

54Lounine insiste sur le fait que « l’opposition politique »54 consiste non en une « opposition au régime », mais simplement en un droit d’avoir des « pensées », de réfléchir, de produire des concepts et d’analyser leur sens : « […] Ma seule arme est la pensée, tantôt en accord, tantôt en désaccord avec le gouvernement ». Les pensées, les notions, les concepts serviraient, selon Lounine, à clarifier l’état des choses « aux gens », de leur faire « comprendre » leurs besoins, de leur faire voir clairement. Et c’est sur ce point que cette « activité politique » entre en conflit avec le gouvernement, qui, au lieu de clarifier les pensées, « plonge les esprits dans la fumée de l’encens » et « les occupe de matières secondaires et de détails insignifiants », alors les gouvernants devraient avoir des « réflexions [qui portent] toujours sur le bien-être de la patrie ».

55Le langage de Lounine forme ainsi un système de concepts où la notion centrale est celle du politique (politicheskoe). Cette notion est mise en lien avec le concept de pensée (mysl’). L’idée de l’opposition, pour Lounine, est la fusion entre le concept du politique avec celui de la pensée.

  • 55 M.S. Lounine, op. cit.

56Cet aspect « cognitif » de la politique se manifeste également dans une autre métaphore (la première étant « la politique – le métier », comme avec la comparaison avec la médecine) : « Peut-on imaginer la pénitence dans la science ? »55. En posant cette question rhétorique, Lounine démontre que la notion de politique se trouve non dans la sphère morale (péché – pénitence), mais dans la sphère cognitive, celle de la connaissance objective : il n’y a pas besoin d’une « pénitence » pour quelque chose qui peut être prouvé ou désapprouvé par l’expérience. (Et son exemple du fait qu’il avait « prévu » la révolte polonaise du 1830 prouverait sa connaissance politique : ainsi, bien qu’emprisonné et exilé, il n’a pas de remords à avoir, et la question ne peut même pas être posée de ce point de vue).

57Ainsi, cette étape du développement de la langue sociopolitique russe élimine la distinction même de deux langages, officiel et non officiel. Puisque, chez les décembristes, la clandestinité, produite par le régime, serait l’essence de la légitimité, le conflit même entre les significations opposées des concepts constituerait leur contenu politique.

En guise de conclusion : le champ littéraire russe au XIXe siècle

  • 56 D.P. Ivinski, « Ot romantizma k klassicizmu: k voprosu o literaturnoj pozicii Pushkina » [Du roman (...)
  • 57 T. Stepanichtcheva, « P.A. Vjazemskij o Krymskoj vojne: slishkom dolgaja pojeticheskaja pamjat », (...)

58L’événement « décembriste » intervint pendant la phase du romantisme dans la littérature russe, où – par des processus comparables à ceux de la France – un système esthétique nouveau mettait l’individu au « centre optique » d’une œuvre, notamment du poème lyrique. Le poème-manifeste de Victor Hugo, « La fonction du poète » (publié en 1840) résume bien l’état d’esprit, dans lequel se politisait la poésie russe dans les premières décennies du XIXe siècle. Le poète-prophète, « pasteur des hommes », qui seul a le pouvoir d’intervenir entre « deux puissances fatales, se heurter au peuple et au roi », c’est ce poète-là qui incarne l’opposition politique dans la poésie dite « des décembristes », notamment celle de Kondrati Ryleïev (exécuté en 1826). Bien que la distinction même entre le classicisme et le romantisme russes puisse être discutable (il est bien connu, par exemple, qu’Alexandre Pouchkine pensait que la période du classicisme viendrait dans la littérature russe après l’époque de la poésie moderne dite du romantisme56), il est clair que la notion de « devoir civil », de la primauté du rôle de citoyen sur celui de « poète » vont de pair avec l’individualisme romantique. Chez Ryleïev (dont la manifeste politique est le poème-satire « Le courage du citoyen », 1823), la mission du poète n’est rien d’autre qu’une mission politique. Le poète a conscience que par le pouvoir discursif qui est le sien, il a le privilège d’agir politiquement – dans la situation où les partis politiques sont inexistants, et l’« opinion publique » n’est en rien un facteur politique57.

  • 58 Sur cette polémique, voir l’article par Fiodor Dostoevski « G-n —bov i vopros ob iskusstve » [Mons (...)

59L’échec des décembristes a été une rupture brutale dans ce processus, où la littérature commençait à se percevoir comme une institution dotée du plein droit (aussi paradoxale que cela puisse paraître dans le contexte d’une censure omniprésente) d’exprimer « l’opinion publique » et de produire des « pensées » (au sens que Lounine formula depuis son exil en 1838). Cette rupture a généré deux champs littéraires qui, dans la seconde moitié du XIXe siècle prendra la forme du conflit entre les « puristes » et les « utilitaristes »58 (qui se poursuivra jusqu’à la révolution de 1917), et qui, pendant le règne de Nicolas Ier (1825-1855) se déclinera de multiples façons, en ce qui concerne la définition de la « fonction du poète ».

  • 59 D.P. Ivinski, op. cit., p. 17.

60Or, l’écrivain Piotr Viazemski (cité au début de l’article) a porté une critique extrêmement sévère sur les deux poèmes « nationalistes » de Pouchkine « Aux calomniateurs de la Russie » et « L’anniversaire du Borodino » (écrits en réaction à la révolte polonaise de 1830 et aux menaces des puissances européennes, dont la France, d’intervenir dans le conflit). Un tel engagement politique du poète est taxé par Viazemski d’« anachronisme » : « Le pouvoir, le régime sont souvent, hélas, obligés d’accomplir des obligations sanglantes. Le poète, en revanche, (Dieu merci) n’est pas obligé d’en faire des éloges. Sinon, pourquoi ne ferait-il pas une apologie de tout crime ? Une telle poésie est un anachronisme déplaisant »59.

  • 60 T. Stepanichtcheva, op. cit., p. 28.

61Pourtant, ce même Viazemski, pendant la guerre de la Crimée (1853-1856), devient l’auteur des poésies « militaires », dont Pesnia russkogo ratnika, (« mes poèmes corps-à-corps », moḯ rukopashnye stihi), destiné à « instruire » et à « former » une image « correcte » de la guerre. Selon Tatiana Stepanichtcheva, il s’agissait « de l’image archaïque pour les années 1850, que l’auteur [Viazemski] avait de l’aristocratie russe […] Le comte Viazemski était persuadé que l’aristocratie doit absolument participer à toutes les affaires publiques ne serait-ce que par son statut, et indépendamment des compétences professionnelles »60.

  • 61 La réplique finale de la pièce de théâtre Boris Godounov d’Alexandre Pouchkine (1825).
  • 62 A. Herzen, « La littérature et l’opinion publique après le 14 décembre 1825 », dans Du développeme (...)

62Ce fait, révélant à première vue une contradiction dans la personnalité de l’auteur en question, est symptomatique de la nature des Belles-Lettres russes « du Grand Siècle » (Wladimir Berelowitch) en général. En effet, elles se déclinent en permanence selon le rôle social (la classe de la noblesse est historiquement celle des écrivains : cela ne changera justement qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle), politique (la seule « porte-parole » de la « société » et du peuple, qui, selon la formule célèbre de Pouchkine, « demeure silencieux »61), esthétique (la construction du canon littéraire russe). Avec l’échec des décembristes, et selon la formule bien connue de Herzen, « [à] la surface de la Russie officielle… on ne voyait que des pertes […] Mais à l’intérieur il se faisait un grand travail […] actif et non interrompu […] L’influence de la littérature s’accroît notablement et pénètre beaucoup plus loin que jadis »62.

  • 63 Sur les question de nationalisme et les notions de narod, narodnost’ voir : T. Atnashev, M. Velizh (...)
  • 64 L. Tolstoï, Les décembristes, trad. par E. Jaubert et B. Tseytline, Paris, Savine, 1889. En ligne  (...)

63L’activité politique des années 1870-1890 (la période des mouvements révolutionnaires) ne se réfère ni au modèle occidental des révolutions ni à cette conscience volontariste propres aux décembristes (un individu peut changer l’histoire), mais s’enracine dans la nouvelle notion politique centrale, celle du peuple russe63. Dans la seconde moitié du XIXe siècle commence une époque où « on discutait, on préparait des projets, on prétendait réformer tout, détruire tout, changer tout… exaltation que la Russie a connue deux fois dans le XIXe siècle : la première, lorsque, en 1812, nous vainquîmes Napoléon Ier, la seconde, lorsque, en 1856, Napoléon III nous vainquit. La célèbre, l’inoubliable époque de la régénération du peuple russe ! » –, comme Léon Tolstoï le décrit de manière ironique dans le roman inachevé Les décembristes64.

  • 65 Voici ce que l’ethnographe et écrivain P. Infantiev écrit dans l’introduction de son recueil des « (...)
  • 66 Sur la notion des inorodtsy, voir l’article : J.W. Slocum, « Who, and when, were the Inorodtsy? Th (...)

64Cette « régénération du peuple russe » va devenir la problématique centrale des intellectuels russes de l’époque post-décembriste. L’échec du républicanisme des décembristes inspiré par la France des Lumières va orienter la pensée russe vers une tout autre direction. Au lieu de postuler l’existence d’un « citoyen » présumé universel pour tout l’Empire dont le caractère hétérogène n’est plus à ignorer, la pensée des intellectuels (que ce soient les slavophiles ou les « occidentalistes », nationalistes ou libéraux, que ce soient les fonctionnaires ou les enseignants et les écrivains) va se tourner vers la quête du « peuple russe » et des « peuples en Russie »65 (y compris les populations indigènes dites les inorodtsy66). Les principes universels du siècle des Lumières sont remplacés par l’intérêt porté à la diversité humaine de l’Empire russe, ce qui nécessitera, à son tour, l’élaboration d’un langage spécifique et de ses concepts (dont « nos indigènes », nashi inorodtsy, « diversité », raznoobrazie, « tolerance », terpimost’, et d’autres). Cette « bifurcation » semble, elle aussi, être un bilan indirect de l’influence (ou contre-influence ?) française.

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Notes

1 Je m’appuie, dans cette étude, sur les ouvrages suivants : A.V. Ado, « Francuzskaja revoljucija v sovetskoj istoriografii » [La Révolution française dans l’historiographie soviétique], dans Istoricheskie jetjudy o francuzskoj revoljucii: Pamjati V.M. Dalina (k 95-letiju so dnja rozhdenija), Moscou, IVI RAN, 1998 ; V.M. Zhivov, Jazyk i kul’tura v Rossii 18. veka [La langue et la culture en Russie du XVIIIe siècle], Moscou, Jazyki russkoj kul’tury, 1996 ; J.MLotman, Russkaja literatura i kul'tura Prosveshhenija [La littérature et la culture russe des Lumières], Moscou, OGI, 1998 ; V.S. Parsamov, Dekabristy i Francija [Les décembristes et la France], Moscou, RGGU, 2010 ; V.S. Parsamov, Dekabristy i russkoe obshchhestvo 1814-1825 gg [Les décembristes et la société russe], Moscou, Algoritm, 2016.

2 J. Guilhaumou, Discours et événement : l’histoire langagière des concepts, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2006.

3 H. Arendt, De la révolution, Paris, Folio essais, 1964, p. 13.

4 Loc. cit.

5 V.V. Vinogradov, Istorija slov [L’histoire des mots]. Moscou, Institut russkogo jazyka im. V.V. Vinogradova, RAN, 1999. En ligne : [http://wordhist.narod.ru/predstavitel.html] (consulté le 10 mai 2021).

6 Voir l’analyse détaillée dans : S.L. Turilova, D.A. Rostislavlev, « Francuzy v Rosii v 1793 godu » [Les Français en Russie en 1793], Cahiers du monde russe, vol. XXXIX, no 3, juillet-septembre 1998, p. 297-320.

7 R. Robin, La société française en 1789 : Semur-en-Auxois, Paris, Plon, 1970.

8 S. Branca-Rosoff, « Les mots de parti pris. Citoyen, aristocrate et insurrection dans quelques dictionnaires (1762-1798) », dans Dictionnaire des usages socio-politiques (1770-1815) : Dictionnaires, normes, usages, Paris, Klincksieck, 1988, fasc. III, p. 47-73.

9 Les significations des mots grazhdanin, obshchestvo au XVIIIe siècle sont interprétées avec l’appui d’un dictionnaire datant du XVIIIe siècle : Slovar' Akademii Rossijskoj [Dictionnaire de l’Académie des sciences de Russie], I‒VI, Saint-Pétersbourg, 1789-1794.

10 V.M. Zhivov, Jazyk i kul'tura v Rossii 18. veka [La langue et la culture en Russie du XVIIIe siècle], Moscou, Jazyki russkoj kul'tury, 1996, p. 423.

11 Ce projet ayant été abandonné, le nouveau code de loi n’arrive que dans les années 1830 sous Nicolas Ier, qui charge N. Speranski de cette tâche.

12 La dernière édition complète réunissant les différentes versions des traductions de Nakaz et clarifiant ses sources textuelles : N. Plavinskaia, Nakaz Komissii o sochinenii proekta novogo ulozhenija Ekateriny II. Pervonachal'nyj konspekt Nakaza. Istochniki. Perevody. Teksty, Moscou, Monuments de la pensée historique, 2018.

13 V.M. Zhivov, Razyskanija v oblasti istorii i predystorii russkoj kul'tury [Étude sur l’histoire et la préhistoire de la culture russe], Moscou, Jazyki slavjanskoj kul'tury, 2002.

14 Les exemples cités proviennent du texte du XIe siècle : Russkaia pravda [Loi russe].

15 Le nom exact du document en russe : Reglament, ili Ustav, Glavnogo magistrata.

16 Les textes législatifs russes du XIe-XIXe siècles sont cités d’après l’édition suivante : Titov Ju. P. éd., Hrestomatija po istorii gosudarstva i prava Rossii, Moscou, Prospekt, 2013.

17 E.N. Marasinova, « Raby i grazhdane v Rossijskoj imperii XVIII v. », dans M.A. Ajlamazjan éd., Vvodja nravy i obychai Evropejskie v Evropejskom narode »: k probleme adaptacii zapadnyh idej i praktik v Rossijskoj imperii, M., ROSSPEN, 2008, p. 105.

18 M. Raeff, « L’État, le gouvernement et la tradition politique en Russie impériale avant 1861 », dans Politique et culture en Russie, 18e-20e siècles, Paris, Éditions de l’EHESS, 1996, p. 35-50.

19 A.N. Radichtchev, Voyage de Pétersbourg à Moscou, trad. par M. et W. Berelowitch, Paris, Ivrea, 1988, p. 218.

20 Cette question est traitée en détail dans la publication suivante : G. Durinova, « Slovo i ponjatie “grazhdanin” v russkom jazyke XVIII v. K voprosu o lingvisticheskoj osnove istorii ponjatij » [Le mot et la notion « citoyen » dans la langue russe du XVIIIe siècle. Les fondements linguistiques d’une histoire conceptuelle], dans Vestnik Pravoslavnogo Svjato-Tihonovskogo gumanitarnogo universiteta, fasc. III : Filologija, vol. I (41), p. 18-38.

21 Nous pourrions également interpréter cette « modification » de la définition de Montesquieu comme l’opposition de Catherine II à la classification de ce dernier, condamnant les puissances géographiquement étendues au régime despotique. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’Impératrice russe ne se soucie pas de la sémantique « propre » des concepts des Lumières, mais s’en sert à sa guise pour introduire et promouvoir son projet politique qui est de justifier que la monarchie absolue et éclairée est le régime qui convient le mieux à une puissance comme la Russie.

22 Cité dans : N.J. Ejdel’man, Mgnoven'e slavy nastaet… God 1789, Leningrad, Lenizdat, 1989, p. 85.

23 D.M. Griffiths, « Zlodei, fanatiki, advokaty: vzgljady Ekateriny na Francuzskuju revoljuciju », trad. en russe par E. Lemeneva, dans Ekaterina i ee mir: stat'i raznyh let, Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 2013, p. 119-150. Le texte en anglais : D.M. Griffiths, « Catherine II: The Republican Empress », Jahrbücher für Geschichte Osteuropas, Neue Folge, 1973, Bd. 21, H. 3, p. 323-344.

24 Loc. cit.

25 H. de Boulainvilliers, Essais sur la noblesse de France, contenant une dissertation sur son origine & abaissement, Amsterdam, 1732.

26 H. Arendt, op. cit.

27 E.N. Marasinova, op. cit., p. 99-118.

28 Voici comment le décembriste Rozen explique cette influence a posteriori de la révolte décembriste de 1825 : « La Révolution française de 1789 a fait arriver en Russie des milliers des ressortissants français, notamment des gens très éduqués de la noblesse, mais aussi beaucoup d’abbés intelligents et de pédagogues de toutes sortes […] S’étant échappés de la Révolution eux-mêmes, ils ont planté les premiers grains de la révolution dans la jeunesse de la noblesse russe. Ces jeunes sont devenus adultes, ont participé aux campagnes militaires des années 1813, 1814, 1815, ont pris connaissance des institutions des autres États, et sont entrés dans les sociétés sécrètes afin d’apporter des transformations bénéfiques à leur patrie » (trad. du russe par l’auteure), dans A.E. Rozen, Zapiski dekabrista [Notes d’un décembriste], Irkutsk, Vostochno-Sibirskoe knizhnoe izdatel'stvo, 1984.

29 O. Kharkhordin, « What is the State? The Russian concept of Gosudarstvo in the European context », History & Theory. Studies in Philosophy of History, Wesleyan university, vol. XL, no 2, 2001, p. 206-240. La version russe de cet article : O. Kharkhordin, « Chto takoe "gosudarstvo"? Evropejskij kontekst », dans O. Kharkhordin éd., Ponjatie gosudarstva na chetyreh jazykah, Saint-Pétersbourg, Éditions de l’Université européenne à Saint-Pétersbourg, 2002, p. 152-217.

30 Sur le potentiel sémantique du mot obshchestvo voir l’article : G. Durinova, « Temporal'naja semantika slova “obshhestvo” » [La sémantique temporelle du mot obshchestvo], Russian sociological review, vol. XIV, no 1, 2015, p. 68-104. En ligne : [https://sociologica.hse.ru/en/2015-14-1/147274562.html] (consulté le 10 mai 2021).

31 O. Kharkhordin, art. cité, p. 186-187.

32 Ju. M. Lotman, « Radichtchev i Mabli » [Radichtchev et Mably], dans Russkaja literatura i kul'tura Prosveshhenija, Moscou, OGI, 1998.

33 A.N. Radichtchev, op. cit., p. 292.

34 M. Chtcherbatov, « Otvet grazhdanina na rech’, govorennuju Ejo Imperatorskomu Velichestvu Ober-Prokurorom Senata Nekljudovym po prichine torzhestva shvedskogo mira 1790 g. sentjabrja 5 chisla », dans I.I. Hrushhev, A.G. Voroncov éd., Sochinenija knjazja M.M. Shherbatova, t. II : Stat'i istoriko-politicheskie i filosofskie, Saint-Pétersbourg, Izdanie knjazja V.S. Shherbatova, 1898.

35 M. Karamzin, « Mnenie russkogo grazhdanina ». En ligne : [http://dugward.ru/library/karamzin/karamzin_mnenie_russkogo_grajdanina.html] (consulté le 14 mai 2021).

36 M. Chtcherbatov, « O tureckoj vojne », dans op. cit.

37 M. Karamzin, « Dlja potomstva ». En ligne : [http://dugward.ru/library/karamzin/karamzin_dla_potomstva.html] (consulté le 14 mai 2021).

38 M. Chtcherbatov, « Rech’, kakavuju mogli by govorit’ shvedskie dvorjane po vzjatii pod strazhu ih sobrat’ev », dans op. cit.

39 Citation dans notre traduction. Texte original en russe : N. Bestuzhev, « Shlissel'burgskaja stancija. Istinnoe proishestvie », dans V. Orlov éd., Dekabristy, t. II : Proza. Literaturnaja kritika. Hudozhestvennaja literatura, Leningrad, 1975, p. 284.

40 N.N. Novosil’cev, « Gosudarstvennaja ustavnaja gramota Rossijskoj imperii. Proekt », dans S. Bertolissi, A.N. Saharov éd., Konstitucionnye proekty v Rossii v XVIII-XX v., Izdatel’skij centr Instituta rossijskoj istorii, Moscou, RAN, 2000, p. 411-453.

41 M.M. Speranskij, « Vvedenie k ulozheniju gosudarstvennyh zakonov » [Introduction au Code de loi], dans Bertolissi S., Saharov A.N. éd., ibid., p. 350.

42 Parler de la révolte des décembristes comme d’une « révolution » n’est possible qu’au sens métaphorique. Les comparaisons typologiques entre l’événement de la place du Senat le 14 décembre 1825 et des multiples « révolutions du palais » (dvortsovye perevoroty) au cours du XVIIIe siècle russe ont un sens dans la mesure où, dans les deux cas, il s’agit d’une action contre le pouvoir effectuée par un groupe très restreint d’organisateurs. Et contrairement à l’idée moderne de la « révolution » il n’a pas été question, ni pour les « révolutions du palais » ni pour la révolte décembriste (du moins dans sa version « officielle » du Manifeste au peuple russe de S. TroubetskoÏ), de changer le régime politique (comme ce sera le cas avec la révolution du 1917).

43 Cité dans : V. Parsamov, Dekabristy i russkoe obshchhestvo, 1814-1825 gg, [Les décembristes et la société russe dans les années 1814-1825], Algoritm, Moscou, 2006, p. 7.

44 Loc. cit.

45 En réalité, c’était des gens de différents âges et occupant des grades très différents dans la hiérarchie de l’armée russe (lieutenant, colonel, général, officier). Mais cette représentation dite mythologique de ces gens reste au centre de la notion des décembristes.

46 J. Grandhaye, Les décembristes. Une génération républicaine en Russie autocratique, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.

47 La résistance de la Russie à la révolution, comme la direction principale du conservatisme et du nationalisme installés pendant le règne de Nicolas Ier, a pris une forme d’opposition idéologique où la « Russie » est devenue le concept opposé à celui de « révolution ». Dans ce sens, il est remarquable que Fiodor Tiouttchev, connu surtout en tant que poète de la littérature classique russe, mais aussi diplomate et journaliste a publié en 1849 (donc en plein « printemps des peuples » en Europe) l’article en français intitulé « La Révolution et la Russie », où la « Révolution » est considérée comme une « puissance » rivale de l’Empire russe. Sur cette question, dans son article intitulé « La question russe chez Marx et Engels » (à paraître chez Classiques Garnier dans les actes du séminaire « L’idée russe face aux idées européennes »), Thomas Van der Hallen explique que la « mission russe » depuis 1815 (Saint-Alliance) consistait à faire obstacle et arrêter le mouvement révolutionnaire en Europe : « Même si elle se montre parfois encline à encourager certaines causes nationales qui servent ses propres intérêts (comme l’indépendance grecque ou le panslavisme), la Russie tsariste se veut le fer de lance de cette croisade contre-révolutionnaire qu’elle considère comme sa mission. Ce messianisme politique, du reste, n’est pas non plus désintéressé, dans la mesure où il autorise la Russie à s’ingérer dans les affaires de ses voisins, à y étendre son influence politique, voire à intervenir militairement dans les pays limitrophes, comme quand, en 1849, le corps expéditionnaire russe d’Ivan Paskevitch, qui, déjà en 1830, avait maté l’insurrection polonaise, vole au secours de l’Autriche pour écraser, pour la première fois, une révolution hongroise. Intervention prototypique de bien d’autres « normalisations » à venir, c’est elle qui vaudra au tsar Nicolas Ier la réputation de « gendarme de l’Europe ». Mais il ne faut pas oublier non plus l’existence d’une autre facette de la politique de Nicolas Ier, notamment la création des neuf comités secrets (qui ne deviendront publics qu’avec le règne d’Alexandre II) travaillant sur le projet d’abolition du servage. En effet, la réputation de Nicolas Ier comme un « conservateur absolu » serait une simplification (la comparaison, faite par A. Pouchkine, de Nicolas Ier avec Pierre le Grand laisse voir la dimension des transformations effectuées par Nicolas Ier). À voir notamment : V. Parsamov, « Vnutrenniaja politika Nicolaja » [La politique d’intérieur de Nicolas Ier], dans Istoria Rossii XVIII-nacalo XX veka [Histoire de la Russie. XVIIIe-début du XXe siècles], Moscou, Academia, 2007, p. 232-247.

48 M.S. Lounine, « Pis'ma iz Sibiri » [Lettres de la Sibérie], dans Sochinenija, pis'ma, Dokumenty, traduit par l’auteure, Irkutsk, Vostochno-Sibirskoe knizhnoe izdatel'stvo, lettre N11 datée du 21 juillet 1838, 1988, p. 96. En ligne : [http://az.lib.ru/l/lunin_m_s/text_0030.shtml] (consulté le 14/05/2021). La récente étude par E. Boltunova (E. Boltunova, « The last king of Poland: Nicholas I’s Warsaw coronation and Russian-Polish historical memory », Kritika: Explorations in Russian and Eurasian History, vol. XXII, no 2, 2021, p. 229-254) attire l’attention sur le fait que Nicolas Ier a été couronné en tant que « roi de la Pologne » (1829) – événement sans précédent dans l’histoire de l’expansion de l’Empire russe. Et ce après l’octroi, par son frère et son prédécesseur sur le trône, Alexandre Ier, de la Constitution (1815) au peuple polonais (qui a été perçu par les intellectuels russes comme une sorte de promesse d’une monarchie constitutionnelle en Russie dans les années qui venaient).

49 A.E. Rozen, op. cit.

50 Voici ce que baron Rozen en dit dans le chapitre III de Zapiski dekabrista [Notes d’un décembriste] : « La question est : à qui incombe donc la responsabilité ? À Alexandre Ier, qui, de son vivant, n’a pas rendu public l’abdication de Constantin ? Au Conseil Suprême qui n’a pas fait ce qu’il aurait dû, sous le prétexte douteux que la volonté du défunt n’est plus à respecter ? Au métropolite Filaret de Moscou, de la main duquel a été rédigé le testament du tsar et dont la copie a été conservée dans la Cathédrale de la Dormition ? Ou, peut-être, au grand-duc Nicolas Pavlovitch, qui avait du mal à surmonter l’amour fraternel et à ne pas croire que ce n’était pas par force que Constantin avait dû abdiquer ? […] Ou bien, Nicolas, cherchait-il [en “hésitant” à prendre le pouvoir] à éviter tout prétexte de mécontentements et d’émeutes ? Et dans ce cas, il est très probable que, même avant la mort d’Alexandre Ier, il était parfaitement au courant de l’existence de la Société sécrète et qu’il en connaissait déjà les membres. Quoi qu’il en soit, si tous ces gens n’agissaient qu’en tant qu’individus, il aurait été possible de les justifier par des motifs et des raisonnements quelconques ; mais en tant qu’hommes d’État, des gouverneurs et des dignitaires, ils étaient censés agir selon la loi, et non selon l’amour fraternel, ni selon la fidélité d’obéissance absolue » (A.E. Rozen, op. cit., p. 120). Traduit du russe par l’auteure.

51 M.S. Lounine, op. cit., p. 82.

52 Ibid., p. 90.

53 Ibid., p. 89.

54 Lounine, très « occidentaliste » et fervent catholique, n’évoque pas la notion russe de bount (la révolte) comme une des formes d’opposition politique : il n’évoque que le miatezh (l’émeute) – dans la citation mise en épigraphe de cet article – qui est une forme collective de l’opposition, alors que ce qui importe pour Lounine c’est la forme individuelle de l’opposition qui est la pensée. Cette distinction révèle également la différence entre une activité de masse (« foule », comme le dit Lounine avec une connotation négative : la foule ne pense pas) et une activité d’esprit d’un individu. Dans cet article, la question de la notion de bount n’est pas traitée puisque ce serait un tout autre sujet. Sur ce concept voir les articles : A.V. Skiperskih, « Bunt bessmyslennyj ili bunt besposhhadnyj: konceptologicheskij jekskurs », Politicheskaja konceptologija: zhurnal metadisciplinarnyh issledovanij, Kazan, vol. III, 2015, p. 18-29 ; A.V. Skiperskih, « Koncept “bunt”: germenevticheskoe puteshestvie », Uchenye zapiski kazanskogo universiteta, Rostov-sur-le-Don, vol. CLVI, no 5, 2015, p. 138-147. Sur la notion de bount en lien avec la littérature russe des XIXe et XXe siècles, la thèse de doctorat d’Eliane Fitze (Université de Fribourg, financée dans le cadre du « SNSF Doc.CH project ») est actuellement en cours de finalisation : In the Land of Peasant Utopia: Imaginations of Traditionalist Community in Russian-Soviet Literature of the 1910s to 1930s. La question de bount chez Pouchkine et les poètes du premier tiers du XXe siècle est traitée notamment dans le chapitre III intitulé : « Subversively concervative: the motif of peasant uprising in early Russian-Soviet literature ».

55 M.S. Lounine, op. cit.

56 D.P. Ivinski, « Ot romantizma k klassicizmu: k voprosu o literaturnoj pozicii Pushkina » [Du romantisme au classicisme : la question de la position littéraire de Pouchkine], dans O Puskine [Sur Pouchkine], Moscou, Intrada, 2015, p. 9-23.

57 T. Stepanichtcheva, « P.A. Vjazemskij o Krymskoj vojne: slishkom dolgaja pojeticheskaja pamjat », dans G. Obatnin, B. Hellman, T. Tomi Huttunen éd., Politika literatury - pojetika vlasti. Sbornik statej, Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 2014, p. 30-31.

58 Sur cette polémique, voir l’article par Fiodor Dostoevski « G-n —bov i vopros ob iskusstve » [Monsieur – bov et la question d’art], 1861. En ligne : [https://rvb.ru/dostoevski/01text/vol11/1861/76.htm] (consulté le 14 mai 2021).

59 D.P. Ivinski, op. cit., p. 17.

60 T. Stepanichtcheva, op. cit., p. 28.

61 La réplique finale de la pièce de théâtre Boris Godounov d’Alexandre Pouchkine (1825).

62 A. Herzen, « La littérature et l’opinion publique après le 14 décembre 1825 », dans Du développement des idées révolutionnaires en Russie, 1851. En ligne : [https://www.google.fr/books/edition/] (consulté le 14 mai 2021).

63 Sur les question de nationalisme et les notions de narod, narodnost’ voir : T. Atnashev, M. Velizhev, A. Zorin éd., «Osobyj put’». Ot ideologii k metodu [« Sonderweg ». De l’idéologie à la méthode], Moscou, Novoe literaturnoe obozrenie, 2018.

64 L. Tolstoï, Les décembristes, trad. par E. Jaubert et B. Tseytline, Paris, Savine, 1889. En ligne : [https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Tolstoi%20-%20Les%20Decembristes.htm] (consulté le 10 mai 2021).

65 Voici ce que l’ethnographe et écrivain P. Infantiev écrit dans l’introduction de son recueil des « récits ethnographiques » publié en 1909 en faisant le lien entre la notion de citoyen et la connaissance ethnographique : « Tout citoyen pensant et qui souhaite connaître et comprendre les vrais besoins de son pays, doit avant tout prendre bien connaissance des peuples qui font partie de sa population […]. Sans cette connaissance il n’y point de citoyen, mais seulement un “barbare” sans droits. […] Malheureusement, nous, les Russes, depuis les temps les plus lointains, nous n’étions que des barbares et non des citoyens, et nous n’avons donc pas à être fiers de connaître notre pays. Dans notre patrie étendue, il y a encore de grands territoires, que personne n’a encore étudiés », traduit par l’auteure. Remarque : faute d’avoir pensé à une meilleure solution, j’ai dû traduire dans ce contexte précis le mot obyvatel’ par le mot barbare en le mettant entre guillemets. Cette traduction n’est pas exacte, mais permet néanmoins d’exprimer l’opposition que l’auteur Infantiev fait entre l’état « civil » et « non civil ». La source du texte en russe : P.P. Infantiev, Etnograficheskie rasskazy. Iz zhizni Tatar, Kirgizov, Kalmykov, Bashkir, Vogulov i Samoedov, Saint-Peterbourg, Izdanie A.F. Devriena, 1909.

66 Sur la notion des inorodtsy, voir l’article : J.W. Slocum, « Who, and when, were the Inorodtsy? The evolution of the category of “aliens” in Imperial Russia », The Russian Review, vol. LVII, no 2, 1998, p. 173-190.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Galina Durinova, « Le langage sociopolitique russe face à la France des Lumières : de Radichtchev aux décembristes »Astérion [En ligne], 24 | 2021, mis en ligne le 13 octobre 2021, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/5884 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asterion.5884

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Auteur

Galina Durinova

Université de Bâle • Philologue slaviste de formation, Galina Durinova a soutenu une thèse en linguistique russe à l’université Lomonossov de Moscou en 2015 et a enseigné par la suite à l’École supérieure d’économie de Saint-Pétersbourg et à l’université de Strasbourg. Elle s’est intéressée à la littérature russe et à son rôle dans la nationalisation de l’Empire russe à la fin du XIXe siècle. Galina Durinova poursuit actuellement ce nouveau projet dans le cadre d’une thèse en littératures slaves à l’université de Bâle. Ses recherches actuelles se concentrent ainsi sur l’histoire des concepts sociopolitiques, les points d’interférence entre la littérature et la politique, le discours sur la diversité humaine dans la situation d’« empire nationalisé ».

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