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Dossier

Évolution de la thématique des « asociaux » dans la discussion sur le droit pénal pendant la République de Weimar

Sven Korzilius

Résumé

Dans le débat sur la nature du national-socialisme entre « fracture de la civilisation » et expression de « l’ambiguïté essentielle de la modernité », cet article étudie la radicalisation progressive du discours sur les « asociaux » dans les dernières années de Weimar et examine si l’on y trouve déjà la préparation idéologique et pratique de la politique d’extermination des nazis (euthanasie, stérilisation forcée, « mort par le travail »). Le biologisme, l’économisme, la criminologie et l’eugénisme ou « hygiène raciale » apparaissent comme les racines du discours sur les asociaux sous Weimar. On voit que des auteurs parlaient déjà, dans les années vingt, d’« éliminer les vies ne méritant pas d’être vécues » et préconisaient la stérilisation, l’avortement et l’euthanasie dans certains cas. S’appuyant sur l’exemple de mesures pratiques et de discussions sur l’internement d’« asociaux », l’auteur montre que les idées eugénistes étaient répandues non seulement chez les hommes politiques de droite, mais aussi largement à gauche. L’évolution de l’État social sous Weimar, de ses débuts prometteurs jusqu’à la crise de sa fin, est d’abord rapidement esquissée ; puis l’auteur étudie en détail la montée de l’agressivité dans les années de crise, où l’on voit les cercles chargés de l’assistance prendre de moins en moins l’individu et de plus en plus la Volksgemeinschaft comme référence de leur action. Avec une fréquence croissante est avancée l’idée de réserver les prestations sociales à ceux qui les « mériteraient » et que la société n’aurait plus d’argent pour entretenir des « poids morts ». Ainsi cette étude montre-t-elle que la question de la continuité entre Weimar et le nazisme ne peut, dans ce domaine, être globalement affirmée ou infirmée et qu’au contraire seule l’étude attentive des projets de loi, des institutions et des biographies permet d’identifier des continuités.

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Texte intégral

1En 1999, la Commission allemande pour le choix du mot le plus détestable de l’année1 a choisi le terme Menschenmaterial (« matériau humain ») comme étant le plus méprisant de tout le xxe siècle. Cette même commission a désigné comme mot le plus abominable de l’année 2004 le mot Humankapital (« capital humain »). Cela montre combien il est important – en particulier en période de crise économique (réelle ou supposée) – de se rappeler le danger que constitue l’évaluation de la personne humaine sur la base de la seule analyse des coûts et des profits. Cet article a pour ambition de réfléchir sur cette problématique en prenant comme exemple la radicalisation du discours sur les « asociaux » à la fin de la République de Weimar.

2Le terme « asocial » se fixe dans le langage de la justice et de l’aide sociale autour de l’année 1870. En effet, le Code pénal allemand de cette année-là sanctionne sous la dénomination de « comportement asocial » diverses formes de vagabondage, mendicité, prostitution, etc. par un emprisonnement de quelques semaines et – beaucoup plus grave pour les condamnés – par une détention de plusieurs années dans une maison de travail2. Dans la littérature spécialisée des juristes, médecins, psychologues… de l’époque wilhelmienne et weimarienne, le sens du mot « asocial » s’étend bien au-delà de cette signification juridique. Ce mot se transforme peu à peu en stigmate frappant des phénomènes très divers et diffus, qui émergent surtout dans les classes sociales les plus défavorisées : le sous-prolétariat.

3Par exemple, des malades mentaux, des alcooliques, des vagabonds et des prostitués, des familles ne vivant pas conformément aux valeurs et à la morale bourgeoises et des minorités telles que les Rom et les Tsiganes sont définis comme « asociaux ». Une définition du terme « asocial », susceptible d’être validée scientifiquement, n’a jamais été trouvée. Chaque auteur de l’époque wilhelmienne et weimarienne crée sa propre conception de « l’asocial », presque toujours pseudo-scientifique. Parler d’asociaux est en vogue pendant la République de Weimar dans toutes les professions qui s’occupent de la déviance, comme la psychologie. La psychologue Melitta Schmideberg notamment, en 1932, pose la question de savoir si le mot « asocial » pourrait être utilisé comme véritable diagnostic clinique ou s’il s’agit d’une définition purement pratique, une simple description de symptômes3.

4Un exemple pour la polysémie du vocable « asocial » dans cette ère se retrouve dans la définition proposée par le psychologue et criminologue Gustav Aschaffenburg4 en 1922. Aschaffenburg distingue deux groupes d’asociaux : ceux qui « sont une charge pour la société » (malades chroniques) et ceux qui « nuisent » à la société (vagabonds, mendiants, prostituées, alcooliques, criminels…). Il fait en outre une différence entre, d’une part, les malades physiques (tuberculeux, estropiés, aveugles, sourds-muets…) et, d’autre part, les malades mentaux et les malades présentant une tendance aux « déficits moraux ». Font partie de ce groupe selon Aschaffenburg les jeunes « immatures », les « idiots », les aliénés, les épileptiques, les alcooliques, les polytoxicomanes et les déviants sexuels. L’auteur considère comme des « cas limites » « les débiles mentaux, les hébétés, les sans-volonté (mendiants, vagabonds5, prostitués, criminels occasionnels), les individus excitables, les violents et les impulsifs, les affectivement asthéniques et les antisociaux (criminels actifs) »6. Ces groupes sont souvent étiquetés comme « mentalement » ou « moralement » « inférieurs », ou catalogués par les auteurs de l’époque de Weimar comme une « vermine » voire des « parasites »7.

5L’historiographie contemporaine, dans un premier temps, s’est occupée des « asociaux » en tant que groupe de victimes (« oubliées ») du nazisme. Sous les nazis, la répression des personnes susceptibles d’être étiquetées comme « asociales » s’est extrêmement radicalisée. Il faut mentionner trois mesures particulières employées par les nazis à l’encontre des groupes dont il est ici question : les stérilisations en masse, en particulier des femmes issues des classes sociales défavorisées et souvent accusées de prostitution, les homicides « euthanasiques » dans les asiles d’aliénés et la déportation des « asociaux » (surtout des vagabonds et des mendiants) en camps de concentration dans le but de les « exterminer par le travail »8.

6Du point de vue du langage, ces atteintes physiques et ces assassinats s’accompagnent d’une rhétorique d’« extermination, élimination, annihilation » des « êtres inférieurs » et des « vies indignes d’être vécues ». Quelques historiens du nazisme – d’une manière quelque peu simplificatrice – ont expliqué l’extermination et les autres crimes contre l’humanité tout d’abord comme une « brèche » dans la civilisation9, avec la conséquence de ne pas analyser les continuités entre l’empire wilhelmien, la République de Weimar et le national-socialisme, ou bien d’y voir seulement des continuités anti-modernes, provenant de l’influence des anciennes élites (féodales).

7Des travaux plus récents (depuis les années 1970) remettent en question cette conception et réclament a contrario l’« historisation » du nazisme. Ils constatent que la description des crimes perpétrés pendant le nazisme en tant que « brèche dans la civilisation » ou en tant que volte anti-moderne forme une interprétation trop sommaire. Leur but est de montrer que, sous la terreur nazie, une « ambivalence de la modernisation » se faisait jour. Selon ces historiens, les atrocités mises en place par le national-socialisme lèvent le voile sur les dangers inhérents au processus de modernisation10. Pour démontrer cette théorie, ils analysent des continuités idéologiques, structurelles, institutionnelles et individuelles, sans pour autant négliger les discontinuités bel et bien existantes. Aujourd’hui, les historiens sont partagés quant à l’estimation du poids des continuités11. Les uns « flairent le gaz des camps de concentration »12 dans le discours eugéniste weimarien, les autres rejettent une interprétation du débat weimarien du seul point de vue « pré-fasciste »13.

8L’objectif de cet article est de retracer l’évolution de la thématique des « asociaux » dans le débat de l’époque wilhelmienne et de la République de Weimar, en mettant l’accent sur les années de crise de la fin de la République. Après une analyse du développement de la « biologie sociale » comme idéologie dans le discours des sciences (naturelles) modernes et une description des organisations qui propagent une telle idéologie, notamment le mouvement eugéniste, cet article décrira l’évolution de l’État providence de Weimar et de sa crise, pour montrer finalement la radicalisation du discours des intervenants sur les « asociaux » pendant cette crise. On verra que la propension à réaliser des mesures telles que la stérilisation ou l’internement sans fin définie a augmenté, non seulement chez les professionnels, mais aussi dans l’administration du Reich et des Länder.

9Les historiens affirment unanimement l’importance de la crise de Weimar pour la radicalisation du discours sur les « asociaux ». Annette Herlitzius, notamment, constate que l’approche économique et technocrate de l’homme aux dépens d’une aide sociale humaniste a pu être réalisée à la fin de la République de Weimar à cause de la crise économique. L’« hygiène raciale » en particulier n’a pu s’établir dans la politique et dans la société qu’au moment où « la crise financière de l’État rendait acceptables pour la société des réductions drastiques des coûts du système social »14.

1. Le développement d’une rhétorique des « asociaux » et des « vies sans valeur »

10Le discours sur l’« extinction » de parties de la société ou du peuple dites « sans valeur », sur « la lutte contre les parasites » ou « les corps étrangers nocifs » trouve son origine dans une notion biologiste de la société. Celle-ci se fonde à son tour sur une vision scientiste du monde. Les racines d’une telle vision du monde se trouvent dans l’apparition des sciences organiques (André Vésale, 1514-1564, est le « père de l’anatomie moderne » ; Sanctorius, 1561-1636, le « père de la physiologie expérimentale ») et de l’expérience quantitative dans les sciences naturelles depuis le xviie siècle. Des influences sur la vision biologiste du monde et de la société viennent de l’évolution de la biologie15, de l’anthropologie (surtout l’anthropologie criminelle16), de la généalogie (surtout de la « recherche familiale », Sippenforschung)17, de la psychologie et de la statistique. Une contribution essentielle à la notion biologiste de la société a été la découverte des « lois de la nature ». Savoir que la nature est soumise à certaines lois rend possible une conception optimiste selon laquelle il suffirait alors de connaître l’ensemble de ces lois, puis de les appliquer correctement pour, au final, être capable de dominer la nature. En biologie, les techniques d’amélioration des espèces constituent le moyen permettant une telle maîtrise18.

11Au cours du xixe siècle les scientistes interprètent de plus en plus souvent la société humaine comme étant, elle aussi, soumise aux lois de la nature. Ils tentent de réagir aux symptômes (réels ou supposés) de la crise de la modernité par des mesures qu’ils justifient à l’aide de théories (pseudo-)scientifiques19. Un de ces symptômes de crise est la criminalité, dont on fait à l’époque de plus en plus souvent un objet d’investigation scientifique.

12Tandis que l’école classique du droit pénal du siècle des Lumières interprète tout crime comme un acte de décision libre et rationnelle20, les écoles modernes ou positivistes du xixe siècle21 (surtout la biologie criminelle22) interprètent tout crime comme étant soumis aux lois de la nature. La recherche se développe dans deux directions : on s’interroge sur l’importance de l’hérédité (anthropologie ou biologie criminelle) et du milieu (champ d’investigation de la jeune sociologie criminelle). Le conflit entre ces deux directions de la criminologie sera « résolu » par le compromis politique et pratique23 consistant à accepter l’existence de deux types de criminels : les uns sont taxés de criminels poussés au crime par le milieu, les autres sont étiquetés comme « criminels-nés ». Tandis que, selon les criminologues, le premier groupe est considéré comme susceptible d’être réformé, le second groupe se trouve en grand danger d’être taxé d’incorrigible24. Ce deuxième groupe est en effet considéré comme une menace pour la société – les criminologues prédisent que les criminels-nés commettront toujours de nouveaux crimes.

13Franz von Liszt (1851-1919), professeur de droit en Autriche et en Allemagne et par ailleurs un des fondateurs de la Société internationale de criminologie, expose dans les années 1880 les moyens de la lutte contre le crime dans les termes suivants : « améliorer, décourager, neutraliser »25. L’expression « neutraliser » implique déjà des mesures telles que l’internement permanent, la stérilisation ou même l’élimination physique des criminels.

14La « biologie sociale », une notion appelée « organiciste » de la société, se développe par la transposition de termes des sciences naturelles à l’homme et à la société humaine. Des traces d’une notion moniste se trouvent déjà chez saint Thomas d’Aquin (1225-1274) et Nicolas de Cues (1401-1464). Décrire la société à partir d’une terminologie propre des sciences naturelles se trouve chez Thomas Hobbes (Le Léviathan), Adolphe Quetelet et Auguste Comte. Ces auteurs utilisent le langage de la physique pour analyser la société. Quetelet parle d’une « physique sociale ». Au cours du xixe siècle, la biologie détrône la physique comme idée directrice destinée à analyser la société humaine. Dans la littérature des sciences sociales et politiques, on trouve assez tôt déjà une métaphore de l’organisme (par exemple, William Harvey en 1628 fait une comparaison du roi avec le cœur d’un organisme). Pour Schelling, l’État ressemble à un « organisme objectif de la liberté », Hegel parle d’un « organisme spirituel et moral », Fichte voit la nation comme un « tout organisé et organisant de la raison » et Savigny évoque une « essence corporelle de la communauté nationale (Volksgemeinschaft) ».

15Entre 1830 et 1870, en Allemagne notamment, l’organicisme devient l’idée centrale de la littérature du droit public et constitutionnel26. Dans l’encyclopédie de Herder de 1857, l’État est défini comme « apparence organique du peuple ». Cette pensée organiciste, qui a des racines dans le romantisme allemand, exprime le désir de coopération, de conciliation, de la possibilité de surmonter les tensions et antagonismes existant dans la société. C’est aussi une contre-proposition au modèle constitutionnel français du « contrat social ».

16Ces désirs et ces rêves proviennent d’une perception de l’industrialisation comme dangereuse et détruisant la société. Des symptômes tels que le paupérisme dans les centres urbains mènent à l’interprétation de la société comme « malade ». Le climat général, surtout en Allemagne, est marqué par la peur d’une dégradation nationale et d’une « dégénérescence »27. Les sciences naturelles promettent des moyens de « guérir » la société ou la nation.

17Pour quelques auteurs la reconstitution artificielle de la sélection naturelle, qui, selon eux, est entravée par le processus de civilisation et d’industrialisation, représente le moyen de « guérison ». Tandis qu’une pensée organiciste en général voit la société comme unité, en même temps une autre notion – également biologiste – se développe : l’idée de la « lutte pour l’existence ». Cette idée darwinienne de la « survie des plus aptes » est également transférée à la société humaine – c’est le darwinisme social. Les théoriciens d’une hygiène sociale ou raciale (dans leur majorité des experts bourgeois) attribuent des valeurs différentes aux différentes classes sociales. Le succès économique (la richesse) s’explique par une plus grande « valeur biologique », la pauvreté par une valeur biologique moindre. Le darwinisme social devient l’idée pilote bourgeoise vers la fin du xixe siècle, justifiant la structure sociale existante28. En même temps, la bourgeoisie éprouve le développement social comme dangereux. Les statisticiens découvrent le « taux de natalité différentiel » – le fait que les classes défavorisées soient (ou semblent) plus fertiles que les classes aisées. Comme résultat, les scientistes bourgeois appréhendent le danger d’une dégénérescence de la nation. Pour remédier à ce problème, ils proposent des mesures de sélection. Leur but est d’empêcher la « procréation des inférieurs » et d’encourager les « supérieurs » à procréer. Une présupposition pseudo-scientifique très répandue est l’idée que « l’organisme du peuple » (Volkskörper) ne pourrait être guéri que par l’élimination des « cellules malades »29.

18En plus de cette image biologiste et évolutionniste de la société, la réduction de l’homme à une ressource économique contribue fondamentalement à la radicalisation des mesures répressives contre la clientèle de l’assistance sociale et au développement d’un discours sur les « inférieurs » et les « asociaux ». En 1908, Rudolf Goldscheid crée l’expression Menschenökonomie (« économie humaine »). Pour lui, le « matériel humain » n’est qu’une ressource parmi d’autres matières premières. Il propose une estimation de la valeur de la personne humaine selon les coûts et bénéfices pour la société. Ce jugement de valeur des hommes justifie, selon les « économistes humains », de leur refuser sélectivement la subsistance garantie par l’État30. En 1911, un article intitulé « Combien coûtent les éléments inférieurs à l’État et à la société ? » remporte un concours lancé par la revue Umschau. Ces calculs des coûts produits par les « inférieurs » restent en vogue durant toute l’époque weimarienne. Un autre exemple en est un essai du pasteur Troschke en 192331. Dans les dernières années de la République de Weimar, les plaintes sur les coûts vont prendre encore plus d’ampleur.

19C’est à partir de ces origines (pour mentionner seulement les aspects centraux) qu’une « science » ou idéologie eugéniste ou hygiène raciale s’est formée. Le mot eugénisme32 est créé par Francis Galton (1822-1911), qui étude l’hérédité des capacités intellectuelles. En 1907, Galton fonde la Société d’éducation eugéniste. En Allemagne, l’eugénisme et l’hygiène raciale naissent vers la fin du siècle. Ses fondateurs sont Wilhelm Schallmeyer, Alfred Ploetz33 et Alfred Grotjahn. Ils lancent des revues (en 1904 paraît le premier numéro de l’Archive de la biologie sociale et raciale) et fondent des sociétés (en 1905 Ploetz fonde la Société d’hygiène raciale). Dans son livre La qualité de notre race et la protection des faibles (1895), Ploetz exige l’interdiction de la reproduction pour certains couples. Le fœtus créé contre les principes eugénistes doit selon lui être avorté. Les malades, les faibles et les enfants dont les parents sont trop jeunes ou trop vieux au moment de la naissance doivent être éliminés.

20Pendant et juste après la Première Guerre mondiale, l’élimination d’inférieurs n’est pas très populaire dans les débats publics. En raison des pertes énormes dues à la guerre et d’un taux de fertilité en diminution, la politique démographique de ces années est de caractère quantitatif et pronataliste34. Cependant, dès 1920 paraît l’essai La légitimation de l’élimination des vies indignes d’être vécues d’Erich Hoche (1865-1934) et Karl Binding (1841-1920). Les auteurs parlent de « fardeaux vivants » ou de « morts mentaux », etc. Ils sont d’avis que l’Allemagne affaiblie ne peut plus se permettre de nourrir ceux qui sont « indignes de vivre ». L’euthanasie des « inférieurs mentaux » n’est, selon eux, ni un crime, ni un acte immoral, ni une barbarie, mais un acte légal et utile. Un ouvrage de référence de l’hygiène raciale, le « Baur/Fischer/Lenz »35, prône l’avortement et la stérilisation36.

21Rapidement (dans l’ambiance de crise et d’inflation), les promoteurs d’une politique démographique « qualitative » gagnent du terrain. Ils entretiennent des relations publiques intensives, amplifient leurs activités de publication et d’organisation. Ils exigent l’interdiction du mariage pour des personnes porteuses de maladies héréditaires ou vénériennes, ou même des personnes avec « d’autres traits négatifs ». Ils exigent aussi la stérilisation37 de certains groupes, qu’ils définissent par des traits eugénistes ou sociaux. L’évolution de toutes les organisations, institutions, publications, initiatives autour de l’eugénisme ne peut pas être présentée ici. Mais on retiendra l’initiative de Boeters, qui en 1923 présente une proposition de loi de stérilisation (Lex Zwickau) en Saxe, sans réussir auprès des ministères.

22Un autre facteur important pour la formation d’un discours discriminant et base de la réalisation de mesures répressives contre certains groupes (que les nazis plus tard utilisent pour ce but) est la formation de centres de rassemblement de données de la biologie criminelle (kriminalbiologische Sammelstellen). En 1923, Theodor Viernstein fonde le premier de ces centres à Straubing (Bavière), le deuxième est créé par Rainer Fetscher en Saxe38. Les centres établissent des fichiers de criminels qui contiennent beaucoup de données, surtout de l’information sur les aspects d’une « infériorité héréditaire » des criminels. En 1925 Fetscher commence à créer un fichier des « familles asociales de la Saxe ». Ce fichier en 1932 comporte déjà des informations sur 90 000 personnes39. Le but de Fetscher est de décimer par stérilisation les familles qui, d’après lui, commettent des crimes dans une proportion supérieure à la moyenne40.

23En 1927 la Société internationale des investigateurs de biologie criminelle est fondée. Cette société a l’objectif de détecter et de cataloguer des « inférieurs ». Une autre interconnexion et intensification institutionnelle se réalise par la fondation de la Société de la biologie criminelle la même année. Aussi en 1927 Adolf Lenz commence à compiler, à Graz, des données d’intérêt pour la biologie criminelle. En 1930 on commence à établir des centres de rassemblement de données de la biologie criminelle dans les établissements pénitentiaires prussiens. Beaucoup de liens, notamment personnels, existent entre la biologie criminelle, l’eugénisme et l’hygiène raciale.

24La catégorisation des bagnards est généralement implantée dans le régime pénitentiaire weimarien : la plupart des criminels sont considérés comme capables d’être réformés et sont dirigés vers un régime pénitentiaire à plusieurs degrés : le premier degré est très sévère ; les bagnards qui se comportent bien dans ce premier degré sont transférés dans un degré plus agréable, moins dur, et ainsi de suite. Les experts croient aux effets éducatifs d’un tel système. Mais les professionnels étiquettent a priori certains groupes de criminels comme incapables d’être réformés – parmi eux les « inférieurs mentaux »41.

25Après cette courte description d’éléments d’institutionnalisation de la pensée eugéniste à l’époque weimarienne, il faut attirer l’attention sur l’orientation politique des porteurs de la pensée eugéniste. Des idées eugénistes sont répandues dans tous les milieux politiques et confessionnels42. Dans l’historiographie on trouve (partiellement fondée sur les sources) souvent une certaine distinction entre l’eugénisme (plus à gauche, plus libéral, plus international, avec le but de purifier la société en général) et l’« hygiène raciale » (plus à droite, plus nationale, plus raciste, avec le but de purifier les « races » d’« éléments étrangers »). De toute façon, la base commune des deux directions est formée par le discours d’extinction des marginaux. Parce que les « asociaux » ou « inférieurs » forment une minorité plutôt sociale que « raciale », une différence entre les deux « fractions » n’est pas visible dans les sources concernant les « asociaux ».

26De nombreux membres du Parti social-démocrate (SPD) – ou au moins des personnes proches de la politique sociale-démocrate – soutiennent des idées eugénistes43. En ce qui concerne les milieux confessionnels, il faut faire une distinction44 : les protestants45 commencent plus tôt et plus inconditionnellement à parler de mesures eugénistes que les catholiques. Dans le monde protestant le comité central de la Mission intérieure – institution centrale de l’assistance sociale protestante – est le promoteur central d’idées eugénistes. En 1931 le comité central décide de convoquer une conférence eugéniste. Mais la rhétorique de ce milieu reste assez modérée même dans les années de crise : la IIe conférence eugéniste initiée dans l’année 1932 par le comité central de la Mission intérieure refuse de qualifier d’« inférieures » (minderwertig) des personnes humaines.

27Les catholiques restent plus prudents que les protestants. L’encyclique papale Castii conubii de mars 1931 condamne les idées eugénistes. Mais il y a quand même aussi des catholiques qui soutiennent très fortement l’eugénisme, par exemple le jésuite Hermann Muckermann. Ce dernier publie beaucoup et est très connu. Mais ses exigences pratiques restent toujours assez modérées – trop modérées aux yeux des eugénistes plus radicaux46. Acceptable pour le monde catholique allemand est, vers la fin de la République de Weimar, la formule selon laquelle – au sujet d’une loi de stérilisation – les catholiques « iraient accepter la volonté de la majorité protestante et n’iraient pas empêcher la réalisation d’une telle loi »47.

28Un autre milieu bien analysé par l’historiographie contemporaine est le mouvement féministe radical (représenté par exemple par Helene Stöcker48, Hertha Riese49 et Anita Augspurg). Même ces femmes radicales ne sont pas « immunisées » contre la pensée eugéniste50. Bien qu’elles aient des idées très progressistes dans d’autres domaines, en ce qui concerne l’eugénisme, on ne peut pas constater une orientation critique chez elles.

29Tandis que les eugénistes s’occupent d’empêcher une « relève inférieure », les experts de l’assistance sociale et du régime pénitentiaire s’occupent plutôt de l’« inférieur », l’« irréformable » tel quel. Même si l’on stérilisait ces personnes et empêchait la « relève inférieure », l’irréformable à leurs yeux resterait un danger public ou au moins – en beaucoup des cas – un problème pour l’ordre interne des institutions. Dans la vie quotidienne des institutions le stigmate d’« irréformable » tombe surtout sur ceux qui apparaissent comme perturbateurs. Le but de ceux qui travaillent dans les institutions de l’assistance sociale (surtout des institutions de l’aide sociale à l’enfance et à la jeunesse et du régime pénitentiaire) est de trouver des possibilités pour reléguer de telles personnes.

30À côté du discours eugéniste, la seconde source importante pour une rhétorique marginalisante se trouve alors dans la discussion d’une loi sur l’internement permanent en asile (Bewahrungsgesetz)51. Déjà sous l’Empire wilhelmien les experts de l’assistance sociale commencent à exiger une loi permettant un internement permanent en asile de certaines personnes. La loi pénale existant depuis 1870 permet la détention pour quelques années dans des maisons de travail, et le paragraphe 6 du Code civil permet l’internement forcé de personnes mises sous tutelle, mais ces fondements légaux aux yeux de quelques experts de l’assistance sociale ne vont pas assez loin tant en ce qui concerne l’étendue du groupe touché qu’en ce qui concerne la durée d’internement maximal possible. En 1918 Agnes Neuhaus (fondatrice de l’Union de femmes catholiques en 190352) présente un projet de loi sur l’internement permanent en asile au Congrès général de l’éducation correctionnelle ou sous tutelle (Allgemeiner Fürsorgeerziehungstag, AFET), surtout pour créer une possibilité de laisser en asile des jeunes femmes qui ne peuvent pas rester dans les institutions de l’éducation correctionnelle / sous tutelle (Fürsorgeerziehung). Un autre projet de loi est présenté au Reichstag (le Parlement central de la République) par le Parti centriste (Zentrum) en 1921. L’idée de l’internement permanent en asile d’« irréformables » ou d’« incapables de vivre » gagne des adeptes de tous les milieux politiques de l’assistance sociale privée et publique pendant les années vingt. Seuls les communistes restèrent toujours opposés à cette approche.

31Les promoteurs viennent par exemple du milieu des professionnels de l’aide sociale à la jeunesse, de l’aide sociale aux vagabonds, et de l’aide sociale aux alcooliques. En 1925, la Fédération allemande pour la promotion de la moralité présente un projet de loi53 ; peu après l’Association allemande de l’assistance sociale publique et privée (Deutscher Verein für öffentliche und private Fürsorge) lance une esquisse. En juin de la même année les groupes parlementaires du Parti centriste et du Parti populaire national allemand (DNVP) présentent un plan commun au Parlement. Malgré toutes ces initiatives une telle loi n’est jamais adoptée. Pendant les années vingt les scrupules juridiques dans la « coalition de Weimar » sont trop forts, après 1929 c’est la crise budgétaire qui empêche l’adoption d’une telle loi54.

2. L’État providence de Weimar et sa crise

32Dans sa Constitution, la République de Weimar se définit comme État social ou État providence. Elle forme le premier État allemand avec la prétention d’une garantie globale d’assurer la subsistance55. Ce programme s’articule dans une norme centrale, l’article 151 de la Constitution : « L’organisation de la vie économique doit correspondre aux principes de la justice et se proposer comme but de garantir à tous une existence digne de l’homme. »

33Cette prétention centrale est concrétisée par d’autres articles (par exemple, le droit de gagner sa vie par un travail (article 163), la protection de la capacité de travailler (articles 157-158), et l’obligation de l’État de créer, « avec le concours adéquat des assurés, un vaste système d’assurances pour la conservation de la santé et de la capacité de travail, la protection de la maternité et la prévoyance contre les conséquences économiques de la vieillesse, de l’infirmité et des vicissitudes de la vie » (article 161). Les principaux fondements pour la modernisation du système de prévention des risques sociaux ont été établis déjà par les lois sociales de Bismarck (assurance accidents, assurance maladie, assurance invalidité, assurance vieillesse). Ces lois forment déjà une bonne base, sur laquelle la République de Weimar peut améliorer les mesures de la sécurité sociale. La phase immédiate après la guerre est marquée par des efforts massifs de réorganisation56. Les années jusqu’à 1928 – malgré la crise à la fin de la guerre et la crise d’inflation vers 1923 – sont décrites par les historiens comme des années de consolidation et d’élargissement des systèmes sociaux. Cela commence avec la modernisation de l’assistance sociale, complétée par l’établissement de l’assurance chômage ; surtout, les systèmes communaux pour garantir la subsistance sont élargis, modernisés et professionnalisés57.

34Jusqu’en 1923 il n’existe qu’un système unique d’assistance sociale. Ceux qui bénéficient de ce système subissent une perte considérable de droits (par exemple, ils perdent le droit de vote pour le Reichstag). Tandis que sous l’Empire wilhelmien l’assistance a été surtout confessionnelle et bénévole, pendant les premières années de la République de Weimar elle devient communale et plus professionnelle. La professionnalisation commence déjà pendant la guerre dans le domaine de l’assistance spéciale de la guerre. Avant 1918 la féminisation de l’assistance sociale commence également58. Une base légale centrale est établie par la Verordnung über die Fürsorgepflicht (« décret de l’obligation de l’assistance ») et les « principes du Reich de prémisses, forme et degré de l’assistance sociale publique » (Reichsgrundsätze) de l’année 1924. Ces normes créent un système de trois « classes » de bénéficiaires de l’assistance sociale : l’assistance élevée, l’assistance normale et l’assistance réduite. L’assistance élevée est créée notamment pour les groupes de petits bourgeois (petits rentiers) qui ont perdu leur fortune pendant l’inflation. L’assistance réduite est prévue pour discipliner des personnes « ostensiblement antiéconomiques ». On y voit un fort élément de ségrégation et de marginalisation.

35Les communes réalisent l’assistance par un système qui combine l’assistance professionnelle et l’assistance bénévole. À l’échelon le plus bas, dans les quartiers, travaillent toujours des bénévoles, mais leur coordination est concentrée dans l’administration communale. Les bénévoles locaux organisent des commissions d’assistance auprès de l’administration locale d’assistance sociale. La participation de l’élément prolétaire dans l’assistance sociale bénévole augmente de manière significative pendant la République de Weimar59.

36Le 15 octobre 1923, pour la première fois un système d’assurance chômage entre en vigueur en Allemagne. Un neuvième des contributions est payé par les communes, huit neuvièmes par les employeurs et les employés60. Parce que le taux de chômage reste toujours très haut à l’époque weimarienne, cette nouvelle assurance ne peut pas payer (beaucoup) plus aux souscripteurs que l’assistance sociale ancienne. Une autre faiblesse de cette nouvelle création est le fait qu’elle représente un coût élevé pour les communes. Donc en 1926 le système connaît une petite réforme : à partir du 1er octobre 1926, le Reich paie la moitié de la partie des communes. À partir de novembre 1926 une nouvelle Krisenfürsorge (« assistance de crise ») entre en vigueur (financée aux trois quarts par les communes, pour un quart par le Reich). Cette assistance de crise est payée à ceux qui ont bénéficié de la nouvelle assurance, quand le versement de ces prestations s’arrête, ce qui atténue un peu le fait que les prestations de l’assurance chômage soient payées seulement pour une courte durée.

37La loi de l’assurance chômage et de l’agence de travail (AVAVG) de 1927 introduit pour la première fois un système fondé purement sur l’assurance, alors financée uniquement par des contributions des employeurs et employés. L’administration de cette assurance et l’agence de travail sont déléguées à une institution spécialement fondée pour ce but (Reichsanstalt). La bipartition entre assurance chômage et assistance sociale produit par conséquent une certaine discrimination des personnes restant dans l’assistance sociale. Cette dernière clientèle est souvent stigmatisée comme « paresseuse » ou « asociale »61. Incluant les travailleurs encore occupés, on peut constater que le système contribue considérablement à détruire la solidarité de la classe ouvrière62. Cette partition se reflète dans les partis : le Parti social-démocrate se développe de plus en plus comme parti des ouvriers (encore) au travail ; le Parti communiste, de ceux qui sont sans travail.

38On trouve aussi une tendance importante à la modernisation et professionnalisation dans l’aide sociale à la jeunesse, à laquelle le Reichsjugendwohlfahrtsgesetz de 1922 donne une base légale. Les détails ne peuvent pas être présentés ici.

39Entre 1913 et 1929, la part des dépenses de l’État fédéral et des Länder rapportée au PNB double. Les dépenses publiques en secteur social se multiplient par cinq63. La crise économique mondiale produit un taux de chômage toujours croissant, ce qui a des conséquences catastrophiques pour le succès de l’État providence de Weimar64. Malgré l’abaissement des valeurs de référence de l’assurance chômage65, la réduction radicale d’autres prestations sociales et la réduction permanente du nombre des bénéficiaires66, la misère durable d’une grande partie du peuple précipite les organismes prestataires dans une crise budgétaire permanente67. Les prestations de l’assistance sociale sont réduites constamment, et en 1932 n’assurent guère plus la survie68. Les réductions se réalisent dans l’assistance préventive, l’assistance sanitaire, l’assistance matérielle et financière69. Face à la crise, le chancelier Papen remarque en 1932 : « Les gouvernements d’après-guerre […] ont essayé de faire de l’État une sorte d’État providence. Par ce biais, ils ont dévitalisé les forces morales de la nation. Ils ont imposé des tâches à l’État que celui-ci – selon sa nature – ne peut jamais accomplir. »70

40Les cabinets de Brüning et de Papen s’efforcent (entre autres par les décrets-lois) de réaliser une politique déflationniste. Un moyen central de cette politique déflationniste est la réduction radicale des dépenses en pleine explosion du secteur social. Pendant les années de crise, les communes se trouvent confrontées à une augmentation de leurs dépenses et une diminution de leurs recettes. Un effet secondaire de cette misère est le fait que l’État fédéral et les Länder reprochent aux communes d’être antiéconomiques. Par ce reproche l’État fédéral et les Länder justifient leurs interventions massives dans l’autogestion communale71.

41C’est précisément dans cette limitation des compétences communales par le gouvernement central (surtout par les décrets-lois) dans le secteur social que quelques auteurs voient une « érosion de la démocratie », le commencement d’un processus de « fascisation ». Il a été souvent constaté que l’explosion des coûts produite par le chômage de masse a causé ou au moins accéléré ce processus d’érosion de la démocratie à la fin de la République de Weimar72.

3. La radicalisation du discours marginalisant pendant les années de crise

42Jürgen Simon résume bien l’évolution à la fin de la République de Weimar : le bouleversement vers un cours autoritaire et antidémocratique causé par la crise économique mondiale a entraîné la réduction des prestations sociales. Pendant la crise, il a fallu justifier les prestations par un rapport entre les objectifs et les moyens employés. Les prestations publiques ne furent plus distribuées que selon les chances de succès et pour cela devaient être adaptées à la « valeur » des bénéficiaires.

43Alors vers la fin de la République de Weimar nous voyons comment – au moins dans le discours – le paradigme de la « sélection des précieux sur le dos des inférieurs »73 est déjà complètement établi. Mais pendant cette phase d’érosion la propension à résoudre en pratique la crise financière par des mesures entre autres eugénistes radicales augmente74, parce qu’avec des mesures graves contre les « inférieurs » on croit avoir trouvé « une stratégie politique de solution de problèmes sociaux par des moyens quasi scientifiques »75.

44En conséquence, la marginalisation de groupes de bénéficiaires des systèmes sociaux et celle des criminels se radicalisent. Au centre de l’assistance sociale nous ne voyons plus l’individu avec ses problèmes spécifiques76, mais la société ou le peuple en général (la Volksgemeinschaft, le Volkskörper)77. Dans la littérature spécialisée de l’assistance sociale de cette époque la crise économique devient le motif dominant. Beaucoup d’auteurs se plaignent que les dépenses pour les « inférieurs » seraient trop hautes78. Ils ne veulent donner les ressources succinctes qu’aux familles « précieuses ». Lange, le directeur de la clinique psychiatrique de l’université de Breslau, par exemple constate – après une « enquête dans un logement miséreux » – que les personnes « de cette sorte » sont les dernières que l’assistance sociale voudrait aider, mais que ce sont eux qui tirent le plus d’avantages possible du système social existant. Il constate aussi le manque de moyens pour empêcher une augmentation des « asociaux » et des « antisociaux »79.

45Avec une telle rhétorique les auteurs justifient que l’on prenne des prestations aux plus pauvres pour les redistribuer aux couches sociales plus élevées. La politique de l’assurance chômage et de l’assistance sociale des cabinets présidentiels augmente la tendance à ne pas parler de la crise structurelle, mais à expliquer au contraire le destin des pauvres par leur propre culpabilité ou par leur « infériorité biologique »80. L’assistance sociale connaît un déclin dramatique. Vers la fin de l’année 1932, la subsistance des pauvres n’est plus guère garantie81.

46Les bénéficiaires de l’assurance chômage et de l’assistance sociale, pendant la République de Weimar, peuvent être obligés à certains travaux. Le système connaît des « travaux obligatoires » (Pflichtarbeiten) et des « travaux d’état d’urgence » (Notstandsarbeiten). Les travaux obligatoires sont vus comme travaux en échange des prestations, les travaux d’état d’urgence sont des emplois payés pour rendre la personne concernée indépendante de l’aide sociale. Les bases légales pour ces travaux obligatoires se trouvent déjà dans le Code pénal de 1870. Le paragraphe 361, alinéa 7, sanctionne le bénéficiaire d’assistance sociale qui refuserait d’exercer des travaux décrétés par l’administration (arbeitsscheuer Unterstützungsempfänger) avec une détention de quelques semaines. Mais cette norme n’est pas appliquée rigoureusement sous l’Empire wilhelmien82. Une intensification des travaux obligatoires ne commence qu’avec l’entrée en vigueur du décret de l’obligation de l’assistance de 192483. Un des buts que l’administration poursuit avec l’établissement de ces travaux obligatoires est l’élimination des « paresseux » des systèmes d’assistance. Sont frappés par cette mesure surtout des sous-prolétaires – pour d’autres groupes de bénéficiaires ([petits] bourgeois appauvris, invalides) l’administration weimarienne considère ces travaux (souvent durs et sales) comme inadéquats84.

47Les travaux choisis doivent être supportables et d’utilité publique. Ce dernier critère est interprété très légèrement par l’administration et par la justice : les juges trouvent la formule que tout travail décrété par l’administration publique serait d’utilité publique85. Au début, les travaux d’état d’urgence – comme les travaux obligatoires – se réalisent dans une relation de subordination entre le travailleur et l’administration. Après des protestations des personnes concernées au cours des années vingt, l’administration transforme ces services en des contrats de travail réguliers, mais pendant les années de crise on trouve de nouveau de plus en plus des travaux d’état d’urgence réalisés dans une relation de subordination. Et les travaux d’état d’urgence et les travaux obligatoires sont interprétés comme éléments de fascisation par quelques historiens86. En termes quantitatifs ces mesures ne prennent pas une grande importance pendant la République de Weimar. Le travail obligatoire est décrété plus souvent contre la clientèle de l’assistance sociale que contre la clientèle de l’assurance chômage87.

48Dans la discussion d’une loi sur l’internement permanent en asile, on peut voir une radicalisation pendant la crise chez quelques auteurs, qui laissent tomber désormais tous les aspects d’amélioration, d’éducation ou de resocialisation de l’individu88, et ne voient dans cet internement permanent qu’une détention infinie avec subsistance minimale89. En 1928, le comité central de l’Association allemande de l’assistance sociale publique et privée est encore d’avis que l’aide à l’individu est plus importante que la protection de la société90. Cette opinion change pendant les années de crise. Le gouvernement central jugeant l’internement permanent en asile trop coûteux pour être réalisé, les tenants de cette idée essaient de prouver au contraire qu’il aidera à faire des économies. En 1932 le ministère de l’Intérieur prépare un décret-loi qui ordonne de libérer dans les institutions de l’éducation correctionnelle les adolescents classés comme « irréformables ». La Prusse, sans attendre l’entrée en vigueur de ce décret-loi, commence déjà à libérer les premiers jeunes des institutions. Les experts de l’aide sociale à la jeunesse protestent et postulent que l’internement permanent en asile est la solution. Pour réduire les dépenses, les auteurs proposent de simplifier encore le logement et la nourriture. Ils veulent occuper la clientèle des asiles par des travaux de masse, très simples et très durs, sans aucune valeur éducative ou pédagogique. Le système des sanctions doit être selon eux aggravé91. Quelques auteurs veulent aussi durcir le régime même dans l’éducation correctionnelle – ils proposent de réduire la nourriture et le confort du logement et de rendre plus sévères les punitions92.

49Des tendances antilibérales se trouvent aussi dans des changements de la procédure pénale et du régime pénitentiaire pendant les années après 192993. Par les décrets-lois quelques éléments constitutionnels de la loi de procédure pénale sont entamés. Par exemple, les droits de la défense sont limités, les actions menées par le ministère public se multiplient (les actions d’office). La possibilité de mise en liberté provisoire est presque écartée94. Mais ici nous voulons nous intéresser premièrement à la radicalisation du discours chez les praticiens du régime pénitentiaire. Une telle radicalisation est évidente par exemple chez Viernstein, le directeur du centre bavarois de rassemblement de données de biologie criminelle. En 1929 il désigne comme but de la biologie criminelle « de rendre inoffensifs, ou, si nécessaire, de parvenir à l’extinction des éléments indésirables pour le peuple et la race »95. En 1930, il veut ôter le « privilège » du régime pénitentiaire par degrés à ceux qui – à son avis – « ne méritent pas cet effort éducatif et ces dépenses »96. Sous les nazis, la radicalisation de Viernstein s’aggrave encore.

50Ce climat facilite l’intensification de la discussion sur la stérilisation97. La crise de l’État providence cause une telle désorientation de la classe politique que la disposition à préconiser des mesures eugénistes augmente radicalement et que l’on abandonne les réserves existantes98. En analysant l’évolution, Schwartz établit que la solution d’internement permanent en asile est la plus ancienne (avant 1918), plus grave, et que la stérilisation apparaît plus récemment, après 191899. À mon avis, cette vue est trop simple. Déjà des textes de l’époque wilhelmienne parlent parallèlement de stérilisation et d’internement permanent. Quelques auteurs de l’époque, en comparant les deux mesures, estiment que l’intervention chirurgicale, souvent irréversible, est plus grave que la privation de liberté100. Et ceux qui préconisent la stérilisation ne la propagent pas pour des raisons humanistes, mais dans beaucoup de cas seulement comme variante moins coûteuse que la construction d’asiles101, et dans d’autres comme mesure simplement additionnelle à l’internement102. Pendant la crise nous pouvons constater surtout dans les milieux confessionnels un abandon des réserves contre la stérilisation. Pendant l’année 1931-1932 le parti centriste prussien commence à encourager activement une loi de stérilisation103. Le jésuite Muckermann devient un des porte-parole d’une loi de stérilisation volontaire104. Mais dans l’ensemble, comme le constate Schwartz, ceux qui préconisèrent la stérilisation sont demeurés une minorité dans le milieu catholique105. C’est surtout chez les nazis que l’on voit augmenter le nombre de ceux qui préconisent une stérilisation forcée (par exemple Conti), mais c’est aussi le cas dans des milieux de gauche, par exemple chez quelques sociaux-démocrates comme Benno Chajes.

51Ce qui caractérise le discours pendant les ultimes années weimariennes est un mélange d’arguments eugénistes et économiques. Le médecin Fetscher par exemple présente son calcul : « Pendant l’année 1930 j’ai stérilisé 15 personnes avec des maladies héréditaires. En estimant que l’on empêche ainsi la naissance d’un enfant malade par patient, ces 15 stérilisations économisent environ 180 000-200 000 Reichsmarks. »106 La radicalisation des eugénistes se manifeste chez Fetscher : au milieu des années vingt il ne demande que la possibilité légale de pratiquer des stérilisations volontaires, après 1929 il réclame le droit à la stérilisation forcée107. On peut ainsi constater une radicalisation graduelle vers la fin de la République de Weimar, avant l’étape de la perversion avec le passage à la stérilisation de masse et l’hécatombe sous les nazis108.

52On assiste également dans l’administration centrale du Reich et les administrations des Länder à l’abandon des réserves face à la stérilisation. Un bon exemple en est le projet de loi de la commission d’hygiène raciale et de questions démographiques du conseil sanitaire (Landesgesundheitsrat) prussien, de l’année 1932. Le projet de loi ne permet a priori que des stérilisations volontaires mais prévoit aussi des clauses donnant aux assistants sociaux, médecins, directeurs d’asile la possibilité d’exercer des pressions sur ceux qui refuseraient la stérilisation109. De nombreuses organisations poussent alors le gouvernement central à faire adopter une loi sur la stérilisation. Il faut mentionner aussi les décisions du conseil d’État (Staatsrat) prussien (sous Konrad Adenauer) de janvier 1932, où le conseil d’État demande au ministère d’État (Staatsministerium) de développer massivement l’information, voire la propagande en faveur des questions eugénistes, de recourir plus largement à des mesures eugénistes et de réduire les coûts de l’assistance sociale pour les « inférieurs »110.

53C’est uniquement au Parti communiste que l’on peut constater une certaine prudence, tant face à l’internement permanent111 que face à la stérilisation. Pendant la crise, le Parti communiste est devenu de plus en plus le parti des chômeurs, tandis que le Parti social-démocrate est devenu celui des ouvriers au travail112. Un bon exemple de l’opposition communiste aux projets de loi d’internement permanent est donné par le médecin Ernst Fraenkel113. Bien que celui-ci accepte comme un fait l’existence d’une minorité « asociale » dans la société (dans le langage marxiste il parle du Lumpenproletariat (« sous-prolétariat »), il n’envisage comme solution que l’établissement d’une société socialiste. Mais dans les conditions sociales et politiques de son époque il refuse l’utilisation de mots comme « asociaux » ou « négligence », définis par la classe bourgeoise. Fraenkel décrit la façon dont les rapports de classe ont lieu dans le quotidien de l’assistance sociale : « Nos assistants sociaux, souvent des hommes et femmes bourgeois, souvent influencés par les églises, font leur travail dans de nombreux cas avec un air de supériorité, ce qui rend impossible un travail efficace. » Par ailleurs, dit Fraenkel, l’Allemagne « bourgeoise » a assez d’instruments de pouvoir pour protéger la vie, la propriété et autres « biens sacrés », ce qui, d’après lui, rend inutile une loi d’internement permanent.

4. Conclusion

54La radicalisation du langage et des exigences ne se réalise pas brusquement, mais plutôt par glissements. Le vocabulaire dédaigneux et les exigences centrales datent déjà de l’époque wilhelmienne et des premières années de la République de Weimar. La pratique ne se radicalise pas vraiment durant les années de crise, ou seulement partiellement, à cause de la crise financière. Le contraire est même vrai : comme le montre par exemple la libération massive d’élèves de maisons de l’aide sociale à la jeunesse ou de l’éducation correctionnelle, la crise peut avoir aussi pour effet une libéralisation, bien que forcée, ou au moins une stagnation.

55À la question de savoir si la crise économique et politique à la fin de la République de Weimar est une phase de transition d’une démocratie parlementaire à la dictature nazie et si les mesures radicales des nazis sont la réalisation d’exigences déjà formulées pendant l’époque weimarienne, on ne peut répondre avec un simple oui ou non114. Il n’y a qu’une solution : il faut analyser les continuités et discontinuités dans les différents domaines. Il existe des continuités indéniables par exemple en ce qui concerne le langage, quelques projets de loi (stérilisation !), la carrière de certaines personnes, les structures et institutions (des chaires d’hygiène raciale, des centres de compilation de données de la biologie criminelle, etc.). Alors il serait faux de nier les continuités, mais il serait aussi faux d’affirmer que tous les protagonistes de la discussion weimarienne auraient été prêts à participer à des stérilisations de masse, à des homicides « euthanasiques » ou à un programme d’« extinction par le travail ».

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Notes

1 Une commission de professeurs, écrivains, journalistes…, mise en place chaque année. Ce groupe s’est formé à l’université de Francfort en 1991.
2 G. Steigertahl, Arbeitshaus und Arbeitsstrafe, Handwörterbuch Rechtswissenschaft, Berlin, de Gruyter, 1926, t. I, p. 272 et suiv. ; W. Ayaß, Das Arbeitshaus Breitenau, Kassel, Jenior & Pressler, 1992 ; H. Daners, « Ab nach Brauweiler ! » Nutzung der Abtei Brauweiler als Arbeitsanstalt, Gestapogefängnis, Landeskrankenhaus…, Pulheim, Verein für Geschichte und Heimatkunde, 1996 ; A. Rudolph, Die Kooperation von Strafrecht und Sozialhilferecht bei der Disziplinierung von Armen mittels Arbeit (Recht der Arbeit und der Sozialen Sicherheit 8), Francfort/Berlin…, Peter Lang, 1995 ; S. Korzilius, « Asoziale » und « Parasiten » im Recht der SBZ/DDR, Randgruppen im Sozialismus zwischen Repression und Ausgrenzung (Arbeiten zur Geschichte des Rechts in der DDR 4), Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2005.
3 M. Schmideberg, « Zur Psychoanalyse asozialer Kinder und Jugendlicher », Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, n° 18, 1932, p. 474 et suiv. Voir aussi H. Jacobsohn, « Asozialität als psychopathologisches Phänomen », Mitteilungen der Deutschen Gesellschaft zur Bekämpfung der Geschlechtskrankheiten, n° 26, 1928, p. 112-115.
4 Gustav Aschaffenburg (1904-1934) : psychiatre et pénaliste, professeur à l’université de Cologne, éditeur des Monatsschriften für Kriminalpsychologie (MKP).
5 Au sein des autorités et de la police weimariennes une forte méfiance envers les Tsiganes existe. En Bavière, en 1926 une loi contre les « Tsiganes, vagabonds et paresseux » est édictée, créant la possibilité de leur interdire le séjour dans certaines communes ou la vie en « hordes » (terme discriminant l’organisation sociale des Tsiganes), de les expulser de la Bavière ou de les enfermer dans une maison de travail pour jusqu’à deux ans, quand ils n’ont pas de travail régulier (Schoetensack, « Bayerisches Zigeuner- und Arbreitsscheuengesetz, 1926 », Der Gerichtssaal, n° 93, 1926, p. 338 et suiv.). Le but de telles lois est – en dernière conséquence – la destruction d’une culture entière.
6 Cité d’après M. Willing, Das Bewahrungsgesetz (1918-1967), Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 36-37.
7 La notion d’« infériorité mentale » ou « morale » se trouve par exemple chez Neuhaus dans les projets et descriptions d’une loi d’internement permanent ; la notion de parasites ou animaux nuisibles se trouve chez O. Mönkemöller, « Die Verwahrung Asozialer », MKP, n° 15, 1924, p. 277-308 ; « Die Verwahrung Asozialer », Blätter für Wohlfahrtspflege, n° 5, 1925, p. 81-88.
8 W. Ayaß, « Asoziale » im Nationalsozialismus, Stuttgart, Klett Cotta, 1995.
9 D. Diner (dir.), Zivilisationsbruch. Denken nach Auschwitz, Francfort, Fischer, 1989.
10 Detlev Peukert parle de la « face de Janus » de la civilisation moderne. Voir Die weimarer Republik, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1987.
11 Une bonne vue d’ensemble de la discussion se trouve chez M. Roseman, « National socialism and modernisation », Fascist Italy and Nazi Germany : Comparisons and Contrasts, R. Bessel (dir.), Cambridge University Press, 1996.
12 W. Walter, Der Geist der Eugenik. Francis Galtons Wissenschaftsreligion in kultursoziologischer Perspektive, Bielefeld, Kleine, 1983, p. 132.
13 M. Schwartz, « Sozialismus und Eugenik. Zur fälligen Revision eines Geschichtsbildes », IWK, n° 25, 1989, p. 465-489.
14 A. Herlitzius, Frauenbefreiung und Rassenideologie, Wiesbaden, DUV, 1995, p. 37-38.
15 Notamment la génétique, représentée par Gregor Mendel (1822-1884) et August Weismann (1834-1914).
16 Représentée par Cesare Lombroso (1836-1909), auteur de L’uomo delinquente (1876), Le più recenti scoperte ed applicazioni della psichiatria ed antropologia criminale (1893), Le crime. Causes et remèdes (1899) ; et ses disciples Enrico Ferri (1856-1929) et Rafaele Garofalo (1851-1934).
17 Les recherches sur des « clans asociaux » étaient en vogue à cette époque dans beaucoup de pays. Voir notamment E. Dirksen, « Asoziale Familien », Deutsche Zeitschrift für öffentliche Gesundheitspflege, n° 1, 1924-1925, p. 89-142. Dirksen cite dans cette rédaction quelques recherches étrangères, par exemple de la Suède et des États-Unis. En utilisant des arbres généalogiques, il veut montrer que dans ces familles « dangereuses » des traits négatifs (comme des maladies héréditaires, la criminalité, etc.) se reproduiraient en beaucoup plus grand nombre que dans la population en moyenne. Dirksen demande des lois pour l’empêchement de la procréation d’« asociaux », « imbéciles » et « aliénés ». Il demande aussi d’établir des fichiers d’« asociaux » (« Asoziale Familien », Zeitschrift für Volksaufartung und Erbkunde, n° 1, 1926, p. 11-16).
18 J. Kroll, Zur Entstehung und Institutionalisierung einer naturwissenschaftlichen und sozialpolitischen Bewegung. Die Entwicklung der Eugenik/Rassenhygiene bis zum Jahre 1933, thèse de doctorat, Université de Tübingen, 1983, p. 67.
19 J. Simon, Kriminalbiologie und Zwangssterilisation. Eugenischer Rassismus 1920-1945, thèse de doctorat, Münster/New York…, Waxmann, 2001, p. 11.
20 K. L. Kunz, Kriminologie, 2e édition, Berne/Stuttgart/Vienne, Haupt, 1998, p. 83 et suiv.
21 Ibid., p. 89 et suiv.
22 Voir déjà la « physionomie criminelle » de Johann Kaspar Lavater des années 1770 et les mesures de crânes du médecin badois Franz Josef Gall des premières années du xixe siècle.
23 K. L. Kunz, op. cit., p. 97.
24 J. Simon, op. cit., p. 92.
25 Cette triade se diffusa largement. Par exemple, dans J. Wagner-Jaueregg, « Die Arbeitsscheu », Archiv für Kriminologie, n° 74, 1922, p. 119 : Wir werden daher im Interesse der Allgemeinheit nicht aufhören dürfen, den Arbeitslustigen zu loben und zu fördern ; den Arbeitsscheuen zu tadeln, aber mit dem Bestreben, ihn zu bessern, solange das möglich ist, ihn unschädlich zu machen, wenn keine Aussicht auf Besserung besteht. (« Dans l’intérêt public nous ne devons pas cesser de louer et d’encourager celui qui est désireux de travailler et de blâmer le paresseux, avec le but de le réformer tant que possible, mais de le rendre inoffensif quand il n’y a plus de chance de le réformer. »)
26 J. Kroll, op. cit., p. 88.
27 J. Simon, op. cit., p. 38.
28 A. Herlitzius, op. cit., p. 44. Par exemple, Ernst Haeckel (1834-1919), Otto Ammon (1842-1916), Alexander Tille (1866-1912) étaient représentatifs de cette conception.
29 W. Ayaß, Asoziale, p. 13.
30 A. Herlitzius, op. cit., p. 37.
31 P. Troschke, « Die Reformbedürftigkeit der Behandlung asozialer Personen vom Standpunkt der Volkswirtschaft », Der Wanderer, n° 40, 1923, p. 18-21.
32 Eugénisme vient d’un mot grec qui veut dire « la bonne naissance ».
33 Alfred Ploetz (1860-1940) : médecin, créateur du mot Rassenhygiene (« hygiène raciale »).
34 Un exemple d’une position favorable à la stérilisation, mais combinée avec une position pronataliste est donné par A. Gregor. Selon lui, des traits négatifs (maladies, criminalité…) se trouvent seulement chez une partie des enfants d’une famille affectée ; voilà pourquoi, selon lui, à un moment où il faut « économiser le matériau humain », des mesures eugénistes graves sont exagérées et délétères (« Rassenhygiene und Jugendfürsorge », Archiv für Rassenhygiene und Gesellschaftsbiologie, n° 13, 1921, p. 48).
35 E. Baur, E. Fischer, F. Lenz, Grundriß der menschlichen Erblichkeitslehre und Rassenhygiene, Munich, Lehmann, 1923.
36 Un des promoteurs de la stérilisation de « dégénérés » et d’« inférieurs » était – considérant la situation légale en Suisse et aux Etats-Unis – le procureur général autrichien et agrégé de criminologie à l’université de Vienne, E. Höpler (« Wirtschaftslage - Bildung - Kriminalität », Archiv für Kriminalanthropologie, n° 76, 1924, p. 105).
37 H. Groß, « Zur Frage der Kastration und Sterilisation », Archiv für Kriminalanthropologie und Kriminalistik, n° 51, 1913, p. 316 ; F. G. Strofalla, « Das Geschlechtsleben Geisteskranker », ibid., n° 66, 1916, p. 59.
38 J. Simon, p. 97 ; J. Kroll, p. 159.
39 J. Simon, p. 134.
40 Ibid., p. 140.
41 Ibid., p. 102 et suiv.
42 Déjà sous l’Empire wilhelmien : voir M. Schwartz, « Konfessionelle Milieus und Weimarer Eugenik », HZ, n° 261, 1995, p. 407.
43 M. Schwartz, Sozialistische Eugenik. Eugenische Sozialtechnologien in Debatten und Politik der deutschen Sozialdemokratie 1890-1933, Bonn, Dietz, 1995 ; « Erbgesundheit und Sozialpolitik. Henriette Fürths Vorstellungen von einer sozialistischen Eugenik », Tribüne, Zeitschrift zum Verständnis des Judentums, n° 30, 1991, p. 199-203 ; « “Proletarier” und “Lumpen”. Sozialistische Ursprünge eugenischen Denkens », VfZG, n° 42, 1994, p. 537-570. Le professeur d’hygiène sociale, à l’université de Berlin, Alfred Grotjahn (1869-1931) était membre du Parti social-démocrate depuis 1919, comme Benno Chajes, son successeur à la chaire d’hygiène sociale à Berlin ; voir H. Weder, Sozialhygiene und pragmatische Gesundheitspolititk in der Weimarer Republik am Beispiel des Sozial- und Gewerbehygienikers Benno Chajes, 1880-1938 (Abhandlungen zur Geschichte der Medizin und der Naturwissenschaften, cahier 87), Husum, Matthiesen, 2000.
44 Sur l’opinion des milieux confessionnels weimariens envers l’eugénisme, voir K. Nowak, « Euthanasie » und Sterilisierung im « Dritten Reich ». Die Konfrontation der evangelischen und katholischen Kirche mit dem Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses und der « Euthanasie »-Aktion, 3e édition, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1984 ; pour la confession protestante : J. C. Kaiser, Sozialer Protestantismus im 20. Jahrhundert. Beiträge zur Geschichte der Inneren Mission 1914-1945, Munich, Oldenbourg, 1989 ; pour les catholiques : D. J. Dietrich, « Catholic Eugenics in Germany, 1920-1945. Hermann Muckermann und Joseph Mayer », Journal of Church and State, n° 34, 1992, p. 574-600 ; M. Schwartz, « Konfessionelle Milieus und Weimarer Eugenik », art. cité, p. 403-448.
45 Dans leur milieu, selon Schwartz (ibid., p. 407), la pensée eugéniste allemande a ses origines en 1890.
46 Ibid., p. 422.
47 Augsburger Postzeitung, n° 107, 10 mai 1933.
48 Née en 1869, elle est la première Allemande à obtenir le doctorat en philosophie en 1901. Déjà en 1905 elle dit que l’on devait trouver des moyens pour éviter la procréation de dégénérés ou malades incurables. En 1911 elle demande l’élimination de bébés « inutiles », et en 1912 elle demande la stérilisation de certains malades et « éléments antisociaux ».
49 En 1926 elle demandait de ne pas laisser naître des enfants « indignes de vivre » (cité d’après A. Herlitzius, p. 314).
50 Ibid., p. 337. Les femmes radicales, selon Herlitzius, suivaient l’idéologie utilitariste de la société bourgeoise et capitaliste, en acceptant une rationalisation « eugéniste » de la procréation. Elles acceptaient des modèles d’une ségrégation sociale, d’une économisation de l’homme et d’une rationalisation du comportement sexuel pour des buts utilitaristes. Sur les attitudes des femmes radicales avant l’année 1918 : A. T. Allan, « German radical feminism and eugenics, 1900-1918 », German Studies Review, n° 11, 1988, p. 31-56 ; « Feminismus und Eugenik im historischen Kontext », Feministische Studien, n° 9, 1991, p. 46-68.
51 M. Willing, op. cit. Que l’internement permanent et la stérilisation étaient souvent demandés par les mêmes auteurs apparaît par exemple chez A. Grotjahn (SPD) dans son livre Die Hygiene der menschlichen Fortpflanzung. Versuch einer praktischen Eugenik, Berlin/Vienne, Urban & Schwarzenberg, 1926, p. 330.
52 Voir la biographie de M. V. Hopmann, Agnes Neuhaus. Leben und Werk, Mayence, Matthias-Grünewald, 1949.
53 A. Pappritz, « Der Entwurf eines Bewahrungsgesetzes des Deutschen Verbandes zur Förderung der Sittlichkeit », Zentralblatt für Jugendrecht und Jugendwohlfahrt, 1925, p. 32-34.
54 Ayaß (Asoziale, p. 13) souligne aussi le rôle central de la discussion eugéniste et d’une loi de l’internement permanent pour le développement du discours des « asociaux » sous la République de Weimar et le nazisme.
55 D. Marquart, Sozialpolitik und Sozialfürsorge der Stadt Hannover in der Weimarer Republik, thèse de doctorat, Hanovre, Hahn, 1994, p. 6.
56 Voir, pour cette phase, R. Bessel, « Unemployment and demobilization in Germany after the first world war », The German Unemployed. Experiences and Consequences of Mass Unemployment from the Weimar Republic to the Third Reich, R. J. Evans, D. Geary (dir.), Londres/Sydney, Croom Helm, 1987, p. 23-43.
57 D. Marquart, p. 1 et 16.
58 Ibid., p. 64.
59 Ibid., p. 80.
60 R. J. Evans, D. Geary (dir.), The German Unemployed, Introduction, p. 1-22.
61 H. Homburg, « From unemployment insurance to compulsory labour : the transformation of the benefit system in Germany 1927-1933 », The German Unemployed, p. 73-107 (p. 78 et 93). Cette stigmatisation, selon Homburg, rendait de plus en plus difficile pour eux l’entrée sur le marché de travail (p. 93 et 101).
62 Ibid., p. 101.
63 W. Abelshauser, « Die Weimarer Republik – ein Wohlfahrtsstaat ? », Die Weimarer Republik als Wohlfahrtsstaat, W. Abelshauser (dir.), VSWG, n° 81, 1987, p. 17.
64 Voir pour cette phase H. Homburg, art. cité.
65 W. Abelshauser, p. 19 ; le chômage est devenu le « talon d’Achille de la République de Weimar » (p. 26).
66 H. Homburg, p. 75.
67 M. Willing, p. 101. Marquart a observé par exemple à Hanovre une augmentation des dépenses de 256 % (p. 24).
68 Ibid., p. 113.
69 Ibid., p. 171.
70 Dokumente zur Deutschen Verfassungsgeschichte, E. R. Huber (éd.), t. 3, Stuttgart, Kohlhammer, 1966, p. 487.
71 D. Marquart, p. 26.
72 D. Peukert, « The lost generation. Youth unemployed at the end of the Weimar Republic », The German Unemployed, p. 198.
73 J. Simon, p. 17.
74 M. Willing, p. 115.
75 A. Herlitzius, p. 72.
76 En 1927-1928, Sasse écrivait encore : « Nous ne pouvons accepter que soient écartées de l’aide sociale des personnes incapables de vivre sans ; en effet l’état culturel et social de notre peuple exige que l’on n’abandonne pas sans ressources des personnes qui, auparavant réparties entre les différents métiers et dans les différentes couches sociales, ont été des membres valables de la société humaine. » (« Maß der Unterstützung für asoziale Personen, usw. », Blätter für Wohlfahrtspflege, n° 4, 1927-1928, p. 100-104). Il fallait même selon lui leur assurer une aide renforcée.
77 J. Simon, p. 38-39.
78 Par exemple, H. Wessel (Zentrum), Lebenshaltung aus Fürsorge und Erwerbstätigkeit. Eine Untersuchung des Kostenaufwandes für Sozialversicherung, Fürsorge und Versorgung im Vergleich zum Familieneinkommen aus Erwerbsarbeit, Eberswalde, Müller, 1931. Voir A. Herlitzius, p. 92 : « Les individus sont de plus en plus exclusivement considérés comme un facteur de coût rationalisable et, dégradés, deviennent une variable calculable dans un calcul économique de rapport et coût. »
79 J. Lange, « Untersuchungen in einem Elendsquartier », Zeitschrift für Rassen- und Gesellschaftsbiologie, n° 24, 1930, p. 299-306 (p. 306).
80 H. Homburg, p. 102.
81 D. Marquart, p 113.
82 Frey, « Die gesetzliche Grundlage der Pflichtarbeit und ihre Durchführung in der Praxis », Deutsche Zeitschrift für Wohlfahrtspflege, n° 6, 1930. Frey estime que dans l’administration on a complètement oublié cet mesure les dernières années.
83 Paragraphes 19 RFV et 7 RGr.
84 Frey, p. 16.
85 Ibid., p. 12.
86 H. Homburg, « Vom Arbeitslosen zum Zwangsarbeiter. Arbeitslosenpolitik und Fraktionierung der Arbeiterschaft in Deutschland 1930-1933 am Beispiel der Wohlfahrtserwerbslosen und der kommunalen Wohlfahrtshilfe », Archiv für Sozialgeschichte, XXV, 1985, p. 251-298 ; D. Marquart, p. 134.
87 Frey, p. 16.
88 M. Heynacher, « Die Bewahrung Asozialer », Blätter des Deutschen Roten Kreuzes (Wohlfahrt und Sozialhygiene), n° 4, 1925, p. 39-41.
89 Seule une partie des auteurs ne voulait pas abandonner des éléments éducatifs dans l’internement permanent pendant les années de la crise ; entre autres, W. Mittermaier, « Die Bewahrung Asozialer », Schweizer Zeitschrift für Strafrecht, n° 45, 1931, p. 33 et suiv.
90 Sans auteur, « Das Bewahrungsgesetz vom Standpunkt der Praxis, Verhandlungen im Hauptausschuß, 23.10.1928, München », Nachrichten des Deutschen Vereins für die öffentliche und private Fürsorge, n° 9, 1928, p. 415 et suiv.
91 A. Neuhaus, « Fürsorgeerziehung und Bewahrung », Die Wohlfahrtspflege in der Rheinprovinz, n° 8, 1932, p. 188-190.
92 M. Willing, p. 116.
93 C. Dörner, Erziehung durch Strafe die Geschichte des Jugendstrafvollzugs von 1871-1945, Weinheim/Munich, 1991, p. 150.
94 J. Simon, p. 161 ; F. Nobis, Die Strafprozeßgesetzgebung der späten Weimarer Republik. Insbesondere die Notverordnung vom 14. Juli 1932, thèse de doctorat (Hagen, 1999), Baden-Baden, Nomos, 2000, p. 125 et suiv.
95 T. Viernstein, « Kriminalbiologie », Der Stufenstrafvollzug und die Kriminalbiologische Untersuchung der Gefangenen in den Bayerischen Strafanstalten, édité à la demande du ministère de la Justice bavarois, Munich, 1929, t. 3, p. 7-50 (p. 7 et suiv.).
96 Bayerisches Hauptstaatsarchiv München, Justizministerium, n° 22507.
97 J. Simon, p. 47.
98 M. Schwartz, « Konfessionelle Milieus », p. 408.
99 Ibid., p. 407.
100 Les milieux confessionnels favorisaient l’internement permanent à la stérilisation forcée, comme le constate Schwartz, p. 416.
101 M. Willing, p. 111 et suiv.
102 Par exemple, H. Eiserhardt, « Bewahrungsgesetz und Strafrechtsreform », Zeitschrift für psychische Hygiene, n° 4, 1931, p. 67.
103 M. Schwartz, p. 416 et suiv.
104 Ibid., p. 423.
105 Ibid., p. 427.
106 R. Fetscher, « Die wissenschaftliche Erfassung der Kriminellen in Sachsen », Monatsschrift für Kriminalbiologie und Strafrechtsreform, n° 23, 1932, p. 321-335 (p. 334).
107 J. Simon, p. 143.
108 M. Willing, p. 116.
109 A. Herlitzius, p. 90. La loi eugéniste des nazis du 14 juillet 1933, visant à prévenir la naissance d’enfants affligés d’une maladie héréditaire (Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses), est fondée sur le projet de loi de 1932 issu de plusieurs partis.
110 J. Kroll, p. 191.
111 Ainsi la communiste Martha Arendsee (1885-1953) parle de l’internement permanent en asile comme d’un « joug d’esclavage » (cité d’après W. Ayaß, Asoziale, p. 16).
112 D. Marquart, p. 18-19.
113 E. Fraenkel, « Zum Bewahrungsgesetz », Proletarische Sozialpolitik, n° 1, 1928, p. 153-156.
114 Comme exemple d’un historien ne voyant pas l’eugénisme nazi en continuité avec l’eugénisme weimarien, mais constatant des différences importantes dans le langage, les structures et les personnes, voir M. Schwartz, « Konfessionelle Milieus », p. 447.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Sven Korzilius, « Évolution de la thématique des « asociaux » dans la discussion sur le droit pénal pendant la République de Weimar »Astérion [En ligne], 4 | 2006, mis en ligne le 18 avril 2006, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/511 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asterion.511

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Auteur

Sven Korzilius

l’auteur a fait des études de droit et d’histoire à l’Université de la Sarre (Sarrebruck) ainsi qu’à l’Universidade Catolica et l’Universidade Classica (Lisbonne). Docteur en droit et en histoire (2001), il a participé au projet « Justice et jurisprudence dans la lutte contre la criminalité au xxe siècle », soutenu par la fondation Volkswagen. Depuis 2004, il est avocat à Berlin.

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