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Dossier

Après les Guerres d’Italie : Florence, Venise, Rome (1530-1605)

After the Italian Wars: Florence, Venice, Rome (1530-1605)
Romain Descendre, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini

Résumés

Dans la péninsule italienne, à une quarantaine d’années de guerres incessantes fait suite, à partir de 1494, une longue période de paix relative jusqu’à la fin du xviiie siècle. Florence, Venise et Rome sont alors les trois espaces culturels et politiques où naissent les réflexions les plus importantes – et les plus « européennes » – sur la question de la guerre et sur le déploiement d’un « après-guerre ». Après la pensée florentine qui articule politique de conquête et nécessité de la conservation en temps de guerre, « l’après-guerre » s’inscrit dans une tension potentielle, sinon permanente, entre l’impossibilité de la paix et l’acceptation de la domination politico-militaire. La compréhension des effets de cette situation peut passer par l’éloge de la neutralité et de la pacification des rapports de force, notamment dans la pensée vénitienne. Dans cette perspective, la paix constitue un cadre à la fois imposé et en mouvement. Le questionnement concerne du coup ce que la guerre transmet à l’après-guerre. Puisque la guerre est une expérience radicale, une expérience de la limite, elle est du coup porteuse d’un savoir qui acquiert une nécessité : de ce fait, ce savoir continue d’informer la réflexion, même quand la conjoncture s’est modifiée du tout au tout. Ainsi, même lorsqu’on fait passer les raisons de la conservation avant celles de la conquête, on ne remplace pas la guerre par la paix. On a cessé de penser qu’après la guerre était la paix : bien au contraire, on a placé la guerre au principe de la paix.

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Texte intégral

L’Italie plongée dans une paix de longue durée

  • 1  Une partie du propos de cette introduction a déjà été développée dans J.-L. Fournel et R. Descendr (...)
  • 2 L’expression est de Fernand Braudel et se trouve notamment dans la troisième partie, plus événemen (...)
  • 3 F. Braudel, Le modèle italien, Paris, Arthaud, 1989, p. 52. Ce texte reprend une contribution donn (...)
  • 4 B. Haan, Une paix pour l’éternité. Le traité du Cateau-Cambrésis, Madrid, Casa Velasquez, 2010.
  • 5 Ibid., p. 1.
  • 6 Ibid., p. 75.

1Il est un lieu commun de l’historiographie française sur l’Italie1 selon lequel, à la fin de cette première « guerre mondiale »2, selon le mot de Braudel, la péninsule, à partir de 1559, aurait été « précipitée dans une paix de longue, très longue durée, comme condamnée à rester hors des belligérances par une sorte de mise en prison politique »3. Cette Italie plongée dans la paix aurait donc été de ce fait comme enfermée aux marges du continent, loin des lieux où, plus au nord, l’histoire européenne continuait. Comme tous les lieux communs, celui-ci n’est pas dénué de vérité et il est indéniable qu’au terme de plus d’un demi-siècle où les guerres dites « d’Italie » avaient scandé, à partir de l’automne 1494, l’histoire de la rivalité entre les Valois et les Habsbourg, les deux familles régnantes les plus puissantes du xvie siècle, la péninsule semblait être entrée dans une période de stabilité assurée par la pax hispanica. Le titre d’un ouvrage récent consacré au traité du Cateau-Cambrésis peut même évoquer, dans une formule ambiguë, « une paix pour l’éternité »4. Même si d’emblée l’auteur de l’ouvrage rappelle que chez les hommes de ce temps-là s’affrontent deux « visions antagonistes » – « victoire d’une paix parfaite ou d’un réalisme souvent brutal », il ajoute aussitôt qu’il entend privilégier « une lecture pragmatique ». Il compte de ce fait laisser une place « aux idéaux et aux principes de régulation pacifique » par rapport aux « modèles privilégiant le rapport de force » qui, s’ils ne sont pas « sans enseignement », ne seraient pas « opératoires »5. Dans cette perspective, il conviendrait de prendre au sérieux la tension irénique qui animerait l’Europe humaniste et la sincérité de souverains encore guidés par des valeurs comme l’honneur et la réputation afin de mieux mettre en évidence le déclin des logiques hégémoniques que l’une et l’autre entraîneraient. La diplomatie serait ici un véritable substitut à l’action militaire plus que son prolongement sous une autre forme. Les savoirs et les valeurs qui président à l’action des États de part et d’autre de cette ligne de crête qu’est la signature du traité seraient ainsi profondément distincts puisque la paix est le retour de la concorde et de l’ordre dans un monde plus juste6.

  • 7 Voir M. J. Levin, Agents of Empire. Spanish Ambassadors in Sixteenth-Century Italy, Ithaca, Cornel (...)
  • 8 Sur ce point, voir par exemple l’ouvrage de E. Bonora, Aspettando l’imperatore. Principi italiani (...)

2Il ne s’agit pas pour autant – comme on a pu le faire récemment à la lumière d’une lecture des correspondances d’ambassadeurs espagnols à Rome, Venise ou Gênes7 – de postuler, dans une sorte de pendant de la position précédente, que la pax hispanica serait un mythe dans la mesure même où tensions, querelles, complots et autres conspirations resteraient à l’ordre du jour dans les États italiens et entre ceux-ci – Cateau-Cambrésis ne changeant pas grand-chose et les novedades, selon un mot espagnol récurrent dans les textes des ambassadeurs ibériques, l’emportant sur la quiete célébrée unanimement par les textes italiens. Le long xvie siècle qui court du début des guerres d’Italie à celui de la guerre de Trente Ans comprend de fait dans la péninsule deux moments distincts : quarante années de guerres quasiment continues touchant l’ensemble de la péninsule de 1494 à 1530, puis une longue période de tranquillité ouverte par une trentaine d’années de paix armée entrecoupée d’entreprises circonscrites, de coups de main ponctuels et de menées sans lendemain entre le sacre bolonais de Charles Quint en 1530 et le traité du Cateau-Cambrésis8. La péninsule ne bascule donc pas brutalement – selon ce que laisserait supposer une relecture schématique – de la guerre à la paix, à la façon dont elle avait basculé de la paix à la guerre à l’automne 1494. Autant le début des guerres d’Italie avait donné lieu à un questionnement immédiat sur la nature de ces guerres « insolites et nouvelles » (Savonarole), de ces « temps étranges » avec leurs « nouvelles façons sanglantes de faire la guerre » (Guicciardini), ce qui avait conduit les Italiens à penser différemment les choses de l’État, autant il est beaucoup plus malaisé de discerner semblable basculement à la fin de la période de guerre ouverte. Trente ans avant les négociations du Cateau-Cambrésis c’est donc dès le congrès de Bologne, en 1529-1530, que commence pour la péninsule l’après-guerre avec la signature d’une ligue bénie par le pape Médicis Clément VII entre l’Empereur et presque tous les États italiens.

3C’est là d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la première caractéristique de cet après-guerre italien est qu’il s’agit d’un processus (et en tant que tel d’un phénomène progressif même s’il n’est pas linéaire). La deuxième caractéristique est qu’il relève de déclinaisons potentiellement variées, selon les situations politiques et territoriales des différentes puissances moyennes italiennes. La paix constitue certes un cadre, un contexte, mais un cadre à la fois imposé et perpétuellement en mouvement, susceptible de conduire à des adaptations permanentes, aussi bien avant 1559 qu’après. La troisième des caractéristiques relève de la continuité et tient à la nature et à la présence de l’héritage à la fois factuel – cela va de soi – mais aussi conceptuel et cognitif des temps de guerre quand les armes se taisent, provisoirement ou non. Cette troisième caractéristique concerne donc ce que la guerre transmet à l’après-guerre, dans quelle mesure et à quel degré la guerre continue à produire quelque chose dans l’après-guerre (à commencer par la première des perceptions : celle de la crédibilité de la paix retrouvée ; à partir de quand croit-on à la paix lorsque la guerre est devenue permanente pendant plusieurs décennies ?). Pour dire les choses simplement, et si on considère Machiavel tout à la fois comme le nom (la métonymie) d’une certaine pensée de la guerre et le nom de cette continuité, plutôt que penser contre Machiavel, les Italiens qui réfléchissent dans l’après-guerre sont contraints de penser avec Machiavel parce qu’ils pensent après Machiavel. Il va de soi qu’il n’y a pas là une simple tautologie chronologique, car l’avènement du texte machiavélien change radicalement la façon de voir la guerre et donc d’en percevoir l’éventuel achèvement (et la chronologie des publications colle curieusement à celle du début du processus évoqué, puisque les Discours et le Prince sont publiés pour la première fois respectivement en 1531 et 1532). Dès lors, penser l’après-guerre, c’est nécessairement penser à partir de la guerre, ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de pensée de la paix mais plutôt que cette pensée de la paix ne peut être qu’une pensée de la neutralité, de l’équilibre, de la pacification, du paisible repos (quiete qui se pense par rapport à l’activité, à l’action), donc toujours du rapport de force, fût-il suspendu provisoirement.

4De fait, ce que nous enseignent les Italiens du xvie siècle, c’est que l’après-guerre peut être d’abord suspension, arrêt momentané, interruption plus que fin, un processus engagé dont par définition on ne connaît ni le terme, ni l’intensité, ni la fiabilité, un pari autant que l’engagement dans la guerre pouvait l’être. Les formes de cette suspension peuvent donc être très variées. Du même coup, il convient de se méfier de propos trop synthétiques et définitifs sur la question : la permanence de la guerre dans la paix ne correspond pas seulement au paradigme de la domination consistant à préparer la guerre dans la paix (si vis pacem para bellum – selon le proverbe antique qui est au cœur du chapitre XIV du Prince), elle ne relève pas seulement d’une sorte de déplacement machiavélien de la guerre extérieure dans le conflit intérieur, encore moins d’une simple métaphorisation de la première, et elle ne recouvre pas davantage la seule question de la sécurité (même si ces différents axes de réflexion ne sont évidemment pas étrangers à la question). De 1530 à 1630, la pacification est effective dans la péninsule mais elle n’est pas pour l’essentiel soutenue par une pensée irénique : autrement dit, si on passe vraiment de la guerre à la paix, cela ne veut dire ni que la première s’efface et disparaît, ni que la seconde est simplement une illusion. Ni dissimulation, ni oubli, ni exaltation, ce qui domine c’est la migration et le recyclage du temps de guerre au temps de paix de certaines réflexions, notions, concepts pour les réutiliser dans d’autres contextes et d’autres syntaxes. Cela signifie que lorsque la guerre est finie, chronologiquement et factuellement, elle reste présente, non parce que les acteurs ne croiraient pas dans la paix ou manqueraient de sincérité, mais parce que, tout simplement, ils ne peuvent pas ne pas tenir compte de ce qu’ils ont appris pendant la guerre. C’est parce que la guerre est une expérience radicale, une expérience de la limite, qu’elle est porteuse d’un savoir qui acquiert une nécessité et que, de ce fait, ce savoir continue d’informer la réflexion, même quand la conjoncture s’est modifiée du tout au tout, même quand il n’a plus le même type de nécessité.

  • 9 M. Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1976, M. Bertani et A. F (...)

5Sans pour autant s’y inscrire tout à fait, ce que nous disons se rapproche de la logique à l’œuvre dans le retournement foucaldien de la position de Clausewitz (posé dans le cours intitulé « Il faut défendre la société »)9 dont Foucault souligne d’ailleurs qu’il n’est pas de son fait et reprend un lieu commun des xviie et xviiie siècles, retournement selon lequel la politique – qui n’est donc jamais la paix – serait la continuation de la guerre par d’autres moyens. Sans s’y inscrire tout à fait, disions-nous, car la question ne se limite pas à l’évolution des moyens, mais consiste plutôt à se demander comment expliquer qu’il existe en même temps une articulation obligée de deux choses : une pensée spécifique de la guerre et une pensée spécifique dans l’après-guerre (si l’après-guerre est un objet malaisé à définir, on peut au moins s’accorder sur le fait qu’il pose un cadre temporel, même si ce dernier est ouvert et indéterminé). La continuité dans cette perspective n’est pas continuation, et si on ne parle pas de paix, on parlera volontiers de pacification comme forme particulière de pensée de la paix avec la guerre, par le truchement de la guerre (c’est peut-être ce que les Italiens disent en parlant de quiete ou tranquillità). Quant au lien entre la guerre et la paix, il sera assuré par deux questions (plutôt que deux notions ou deux concepts) qui seront au cœur de notre article : la puissance et la conservation (qui s’oppose à la conquête).

6Voilà pourquoi nous avons choisi d’étudier ce long après-guerre à la lumière de trois cas différents correspondant à trois des principaux États de la péninsule : Florence, Venise et Rome. En Italie, la diversité des traditions politico-historiques et des situations territoriales permet le déploiement de tous les cas de figure. Voilà aussi pourquoi, selon une image consacrée, la péninsule peut faire figure de laboratoire pour l’Europe de l’Ancien Régime. C’est notamment le cas pour la question de la pensée de la guerre et de la pacification. La cartographie sommaire de la question de l’après-guerre dans l’Italie du xvie siècle à partir de trois noyaux ou de trois points de focalisation pourrait donc à cet égard nous permettre de mettre en évidence les formes différentes de cet après-guerre.

7Pourquoi privilégier ces trois pôles ? Tout d’abord, ce sont là les trois espaces culturels et politiques où est produite la plus grande quantité de textes importants sur cette question. Ensuite, Venise et Rome sont les deux seules puissances italiennes vraiment indépendantes par rapport aux Habsbourg et susceptibles d’avoir une politique étrangère parfaitement autonome. Par ailleurs, Florence, dont le duc Cosme prend grand soin de ne pas dépendre entièrement du bon vouloir de l’Empereur, est le lieu où se développe une pensée de la guerre qui articule à la fois une politique de conquête (machiavélienne) comme seule vie pensable pour la république et une admission de la nécessité de la conservation en ces temps difficiles (plutôt guichardinienne), ce qui contraint l’après-guerre dans une tension potentielle, sinon permanente, entre l’impossibilité de l’après-guerre et l’acceptation de la subordination, ou du moins de l’infériorité politico-militaire (l’après-guerre, comme souvent, commence plus vite quand il part de la reconnaissance d’une défaite militaire et politique). De son côté, Venise est le lieu où se développe une pensée de la neutralité comme une des formes possibles de l’après-guerre, suivant un curieux éloge de la paix perpétuelle développé dans un langage de guerre, et sous une menace permanente de cette guerre qui ne saurait jamais s’arrêter au xvie siècle : celle contre le Turc. Enfin, Rome est non seulement le siège d’une papauté au rôle arbitral traditionnel (même s’il va être largement contesté au sein même des tenants de la réforme catholique), avec un pape qui doit être garant de l’unité de la chrétienté et de la concorde de l’ecclesia, mais elle est évidemment l’épicentre de la Contre-Réforme comme processus de pacification du monde catholique et pensée de la nouvelle universalité du catholicisme.

La république de Florence et la guerre : conservation ou conquête ?

  • 10 C’est l’expression (qualità de’tempi) qu’utilise le plus souvent Machiavel ; Guicciardini l’emploi (...)
  • 11 Même s’il faut attendre 1559, avec les traités du Cateau-Cambrésis, pour que la paix soit signée e (...)

8Machiavel et Guicciardini ont mis en évidence dans leurs textes politiques et historiques la rupture qu’a constituée en Italie (et en particulier à Florence) la période où l’Italie « a eu dans les viscères de grands oiseaux rapaces », pour le dire avec une formule de Guicciardini dans le Discorso di Logrogno (1512). Il y a nettement chez eux l’idée qu’il y a un avant et un après, qu’il y a un commencement de cet après, et que ce commencement est l’arrivée en Italie de Charles VIII et des troupes françaises à l’automne 1494 : la situation de l’Italie, ses stati, la façon de gouverner et la façon de faire la guerre ont été bouleversés par cette nouvelle « qualité des temps »10. Machiavel écrit tous ses textes importants pendant la période de guerre (le Prince, 1513, les Discours, 1518), mais ils sont publiés après la fin sur le terrain des guerres d’Italie (1531-1532)11 ; Guicciardini écrit la plupart de ses textes de réflexion politique et de ses histoires de Florence avant la fin de la guerre – Ricordi, de 1512 à 1530, Dialogo del reggimento (1521-1525) ; mais, dans les dernières années de sa vie, de 1535 à 1540, il revient sur l’ensemble de la période historique des guerres d’Italie en écrivant sa Storia d’Italia qui est, dans le corpus que nous prenons en compte, le seul ouvrage d’après-guerre ; nous le considérerons donc dans un second temps. Il s’agit pour l’un comme pour l’autre de savoir comment les Florentins, et plus généralement les Italiens, peuvent agir pour faire face aux temps de guerre, puisque la république de Florence court le risque de sa disparition et l’Italie, celui de subir la domination des barbares. La différence que nous mettrons en évidence ici, et qui est le produit de l’adaptation aux temps de guerre, est celle entre un modèle où une république entend « conserver (conservare) » son état et ses forces et un autre modèle où il lui faut, pour faire face, « acquérir-conquérir (acquistare) » des territoires et des forces nouvelles.

  • 12 N. Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, I, vi, 24-28 : « Se alcuno volesse, pe (...)
  • 13 D. Quaglioni, « Machiavelli e la lingua della giurisprudenza », Il Pensiero politico, 1999, vol. X (...)
  • 14 N. Machiavelli, Le Prince, xii, 3 : « Les principaux fondements que doivent avoir tous les États, (...)
  • 15 N. Machiavelli, Discorsi, I, iv, 3 : « Là où il y a une bonne milice, il faut bien qu’il y ait un (...)
  • 16 N. Machiavelli, De Principatibus, xii, 9 : « onde che a Carlo re di Francia fu lecito pigliare la (...)
  • 17 N. Machiavelli, De Principatibus, xxvi, 22-25 : « E benché la fanteria svizzera e spagnuola sia ex (...)
  • 18 Ibid., x, 7-9 : « Le città della Magna sono liberissime, hanno poco contado et obbediscono allo Im (...)

9Machiavel explicite l’opposition de ces deux modèles dans les Discours, I, vi en comparant Rome – où les « inimitiés entre le peuple et la plèbe » et leur utilité vient justement de la nécessité de s’appuyer sur le peuple pour faire la guerre, ce qui a permis à la cité de « s’agrandir (ampliare) » – à Venise et Sparte, conçues pour maintenir leurs forces sans s’agrandir et où peut régner la concorde civile parce qu’on n’a pas besoin du peuple pour faire la guerre12. Mais – précise-t-il pour montrer la suprématie du modèle romain –, le risque pour des républiques comme Venise et Sparte est précisément que si elles veulent « acquérir » ou « s’agrandir », elles courent à leur perte. C’est en s’appuyant sur le modèle romain que Machiavel fonde son argumentation concernant la guerre. Sa thèse sur les enjeux de la période de guerre s’énonce nettement : étant donné la qualité des temps, la question fondamentale est celle de la mise en place d’une buona milizia. Cette idée est systématiquement reprise d’un texte à l’autre, avec des formulations qui peuvent être différentes mais dont le sens ne varie pas. Dans le chapitre XII du Prince, après avoir rappelé que les fondements de tous les États sont les bonnes lois et les bonnes armes (ce qui fait référence à un topos juridique qui provient des Institutions de Justinien)13, il explique qu’il laissera de côté les propos sur les lois et parlera des armes14. La justification de ce choix s’énonce en une formule qui est un postulat : « puisqu’il ne peut y avoir de bonnes lois là où il n’y a pas de bonnes armes, et que là où il y a de bonnes armes il faut bien qu’il y ait de bonnes lois (perché non può essere buone legge dove non sono buone arme, e dove sono buone arme conviene sieno buone legge) ». Ce postulat, on le retrouve dans les Discours, I, iv : « Là où il y a une bonne milice, il faut bien qu’il y ait un bon ordre (dove è buona milizia, conviene che sia buono ordine) » et III, xxxi : « Le fondement de tous les États est la bonne milice et […] là où il n’y en a pas, il ne peut y avoir ni bonnes lois ni aucune autre bonne chose (il fondamento di tutti gli stati è la buona milizia ; e […] dove non è questa, non possono essere né leggi buone né alcuna altra cosa buona) »15. Cet énoncé découle d’une lecture historique des temps passés et des temps présents qui explique pourquoi en Italie on mène la guerre avec des « armes mercenaires », des condottières et des cavaliers, et pourquoi il faut abandonner ces armes qui sont inutiles, voire nuisibles, et mettre en place des « armes propres », formées de citoyens ou de sujets. C’est bien là le sens du Prince qui apparaît dans l’appel au rédempteur de l’Italie de l’exhortation finale, rédempteur qui sera capable précisément de racheter (redimere) les « péchés de princes » qui ont consisté à choisir les armes mercenaires16. On sait que, dans le chapitre XXVI, Machiavel précise même la forme que doivent prendre ces « armes propres » : l’« ordre tiers (ordine terzo) » de l’infanterie, capable d’échapper aux défauts des infanteries suisses et espagnoles grâce au « genre des armes et à la variation des ordres (la generazione delle arme e la variazione delli ordini) »17. On est, de façon décidée, dans la guerre permanente ; un prince (ou une république) peut penser non l’après-guerre mais tout au plus la paix armée, soit dans une logique de république conquérante se préparant à reprendre son expansion, soit, dans certains cas particuliers, en se refusant à « acquérir » tout en ayant suffisamment d’armes propres pour faire face aux guerres de conquêtes que les autres puissants peuvent mener contre lui, ou contre elle (c’est un des sens du chapitre X du Prince et de l’exemple des città della Magna)18.

10Dans le livre II du Dialogo del reggimento di Firenze puis à nouveau dans les Considerazioni, Guicciardini remet en cause la thèse de Machiavel sur l’analyse de la république romaine. Dans son Dialogo, il fait énoncer la thèse machiavélienne par son père, Piero Guicciardini, qui s’adresse à Bernardo del Nero :

  • 19 « Pure io ho udito disputare qualcuno in contrario, e le ragione che loro allegano sono che ponend (...)

Cependant j’ai entendu certains soutenir le contraire en alléguant, comme argument, qu’en supposant vrai ce fondement que personne ne nie ni ne peut nier, à savoir que leur armée fut bonne, il faut admettre que la cité avait de bons ordres, sinon il eût été impossible qu’elle eût une bonne discipline militaire.19

  • 20 Ibid. (éd. it., p. 220 ; éd. fr., p. 287) : « se la cittá non avessi avuto la disciplina militare (...)
  • 21 Ibid. (éd. it., p. 220-221 ; éd. fr., p. 287) : « Se avessino guerreggiato con le arme mercennarie (...)
  • 22 Ibid. (éd. it., p. 223 ; éd. fr., p. 289) : « la disciplina militare fu ordinata da’ re e si può d (...)
  • 23 N. Machiavelli, Decennale primo dans Opere, vol. I, p. 107.
  • 24 F. Guicciardini, Dialogo…, proemio (éd. it., p. 18 ; éd. fr., p. 111) : « uno modo di vivere con l (...)
  • 25 Ibid. (éd. it., p. 228 ; éd. fr., p. 294) : « E per questa ragione insieme con le altre, se oltram (...)

11C’est sur le lien nécessaire ou non entre bonnes armes et bonnes lois que porte la réponse de Bernardo del Nero. Celui-ci ne remet pas en question l’existence de la « discipline militaire des Romains », ni même son rôle déterminant pour maintenir la république romaine en vie20; il précise même que si la république s’était appuyée sur des armes mercenaires et non sur des armes propres, elle serait allée à sa ruine21. Mais il nie avec vigueur que l’existence de bonnes armes romaines doive amener à estimer que la république romaine était « bien ordonnée » et ajoute que, si ces bonnes armes n’avaient pas déjà été mises en place du temps des rois, elles n’auraient pas pu être introduites du temps de cette république tumultuaria22. La divergence de fond entre Machiavel et Guicciardini porte donc sur le refus ou non d’imposer à la politique, sur la longue durée, le modèle de la guerre et sur la formulation de la tâche prioritaire du moment : pour Machiavel, celle-ci se définit en termes militaires, il s’agit de « rouvrir le temple de Mars »23, de mettre en place les « armes propres » et « l’ordre tiers » de l’infanterie, donc de suivre le modèle romain d’une république faite pour acquérir et s’agrandir, une république de conquête ; pour Guicciardini, il faut penser indépendamment la politique et la guerre ; la réflexion sur les « bonnes armes », qui tendent pour lui à se résumer à la mise en place d’une armée expérimentée, ne doit pas amener à faire l’économie de la mise en place d’une « république bien ordonnée »24. Il s’agit donc pour ce dernier, étant donné les temps qui courent et la présence des troupes d’outre-monts dans la péninsule, de « conserver » et non « d’acquérir », et c’est le conseil que Bernardo del Nero donne à ses interlocuteurs : « je vous encouragerais, une fois Pise récupérée, à préserver votre domaine (vi conforterei, recuperato che avessi Pisa, a conservare el vostro) ». Au vrai, il ajoute aussitôt après que ce n’est pas là une règle absolue, « qu’acquérir est une chose douce (lo acquistare è cosa dolce) », qu’on peut quand même saisir l’occasion si elle se présente, en agissant en fonction de la qualité des temps25. Il ne s’agit donc pas de s’abstenir d’acquérir mais de ne pas le faire quand on court un grand danger en le faisant. Chez Guicciardini comme chez Machiavel, c’est bien la guerre guerroyée qui détermine la réflexion et les questions qu’ils se posent naissent des guerres qui se mènent sous leurs yeux.

  • 26 F. Guicciardini, Storia d’Italia, XX, i (éd. it., vol. III, p. 2037 ; éd. fr., vol. II, p. 643) : (...)
  • 27 Ibid., XX, ii (éd. it., vol. III, p. 2048 ; éd. fr., vol. II, p. 653) : « Dove, come furono partit (...)
  • 28 Ibid., XX, v (éd. it., vol. III, p. 2057 ; éd. fr., vol. II, p. 660).
  • 29 Ibid., XX, iii (éd. it., vol. III, p. 2049 ; éd. fr., vol. II, p. 654).

12La Storia d’Italia constitue la première tentative exhaustive pour rendre compte de la période historique des guerres d’Italie. On remarque qu’on est dans la guerre et, en particulier, dans une pensée historicisée de la guerre telle qu’elle s’est déroulée, car un des éléments importants est l’analyse de ce que Guicciardini nomme « le varietà del governo della guerra » en distinguant les modalités spécifiques de trois moments de la façon de faire la guerre, liés aux idées de perizia (expérience, expertise) et d’imperizia (impéritie, inexpérience) : avant l’arrivée des Français en 1494, c’est l’impéritie générale qui domine ; après l’arrivée des Français et de leur « art de l’offensive (arte dell’offendere) », l’attaque et la vitesse sont les éléments déterminants de la guerre ; après la défense de Milan en 1521 par Prospero Colonna et son « art de la défensive (arte del difendere) », défense et lenteur voulue l’emportent. On note aussi que la paix en Italie est permise par la guerre contre Florence26, que la fin de la guerre à Florence, après la capitulation de la cité face aux troupes pontificales et impériales, laisse la cité « plus divisée que jamais » et que, dès que les soldats eurent quitté Florence, « commencèrent les supplices et les persécutions des citoyens »27. La guerre continue donc à être l’horizon : on évite de justesse une « guerre imminente » contre les Turcs28, et la réforme luthérienne fait craindre qu’on ne puisse apaiser les tumultes des peuples29. La paix n’est donc pas pensée dans la Storia d’Italia ; pas davantage d’ailleurs que l’après-guerre qui reste marqué par le risque de la reprise de la guerre guerroyée.

  • 30 Ibid., I, i (éd. it., vol. I, p. 6 ; éd. fr., vol. I, p. 4) : « Perché, ridotta tutta in somma pac (...)

13En revanche, l’avant-guerre est présent sous la forme de la description de l’Italie avant l’arrivée des Français dans le premier livre. La façon dont Guicciardini présente l’Italie d’avant 1494 dans la Storia d’Italia pourrait apparaître comme un artifice rhétorique visant à faire de ce moment un « âge d’or » s’opposant à l’âge de fer qu’elle connaît par la suite et dont le point de départ est l’arrivée des troupes de Charles VIII. L’opposition ne saurait être plus claire : d’un côté – avant – « la prospérité, le bonheur, la tranquillité, la paix de l’Italie (la prosperità, la felicità, la tranquillità, la pace d’Italia) », de l’autre – après – « les calamités de l’Italie (le calamità d’Italia) », la pluralité des malheurs s’opposant point par point aux formes multiples du bonheur de l’Italie où régnaient « la paix et la tranquillité parfaite ». Ce bonheur passé, Guicciardini estime qu’il tient, d’une part, à une situation d’équilibre intérieur de l’Italie, situation qui doit beaucoup au rôle joué par Florence et par Laurent de Médicis qui « s’employait de toutes ses forces à maintenir les choses de l’Italie si bien équilibrées que la balance ne penchât ni d’un côté ni de l’autre » et, d’autre part, au fait que l’Italie « n’était soumise à d’autre empire que celui des siens (né sottoposta a altro imperio che de’suoi medesimi) »30. Cette situation que « la peste » d’outre-monts vient détruire, Guicciardini l’appelle dès 1508 – dans ses Storie fiorentine – « l’union de l’Italie (l’unione d’Italia) ». Cette expression ne signifie en aucun cas l’unité de l’Italie : c’est un rapport de force, difficile à maintenir, qui requiert des ajustements pragmatiques successifs, des alliances, parfois des guerres limitées. Mais tant qu’il n’y a pas de forces étrangères puissantes dans la péninsule, Guicciardini estime qu’on peut parler d’une Italie « in somma pace e tranquillità », même si les divergences d’intérêts, les rivalités, les luttes ne disparaissent pas pour autant : c’est au contraire l’aspiration de chacun à préserver ses propres possessions qui explique l’intérêt que, pour éviter les bouleversements possibles, tous éprouvent pour les « choses communes (cose comuni) ».

  • 31 Cette description de la paix et de la prospérité italiennes ne correspondait que partiellement à l (...)
  • 32 Dans les Storie fiorentine (1508), le Discorso di Logrogno (1512), le Dialogo del reggimento di Fi (...)

14L’Italie d’avant la guerre, décrite par Guicciardini, n’est pas essentiellement une description réaliste de la situation politique d’avant 149431, ni un contrepoint littéraire à l’image de la tragédie qui va suivre ; c’est la forme que prend l’aspiration politique à « l’unione d’Italia », présente dans les textes de Guicciardini tout au long de sa vie32 ; il la vit comme espoir – et comme moteur de l’action – jusqu’en 1527, puis sur le mode du regret à partir du moment où il lui paraît clair qu’il ne verra jamais avant sa mort « l’Italie libérée de tous les barbares (Italia liberata da tutti e’ barbari) » (Ricordi, B 14). Quand il écrit la Storia d’Italia, cette aspiration à l’unione d’Italia et à l’avant-guerre qu’elle symbolise ne peut plus se dire qu’en termes de regret d’une époque révolue et souhaitée pendant une vie d’acteur politique : désormais, la réalité des rapports de force a effacé à jamais l’hypothèse d’une Italie libérée de tous les barbares, où pourrait à nouveau exister une péninsule où les forces des Italiens s’équilibreraient.

  • 33 N. Machiavelli, De Principatibus, xv, 3 ; F. Guicciardini, Dialogo… (éd. it. p. 231 ; éd. fr. p. 2 (...)

15Machiavel et Guicciardini transmettent à leurs lecteurs d’après-guerre ces réflexions qui naissent de l’histoire de leur temps et donc des guerres qu’ils ont vu se dérouler sous leurs yeux pendant toute leur propre vie politique ; elles mettent en jeu à la fois la question du gouvernement et la façon de mener la guerre. Tous deux constatent la faiblesse de Florence et réfléchissent au moyen qu’elle ne perde pas « sa liberté et son état (la libertà e stato suo) » ; tous deux se demandent comment éviter que se perpétue l’incapacité des armées italiennes à faire bonne figure face aux armées d’outre-monts. Leurs réponses sont différentes mais impliquent indissolublement la politique et la guerre : d’un côté, pour Machiavel, un lien dialectique entre le militaire et le politique, dans lequel l’aspect déterminant est l’existence de bonnes armes et l’insistance sur l’acquisition, la conquête, l’agrandissement ; de l’autre, pour Guicciardini, la réalisation de « bons ordres » pour la cité, qui doit avant tout « conserver » ce qu’elle a avant de penser à « acquérir », et la mise en place d’une armée expérimentée. Néanmoins, les interrogations sont semblables et naissent d’une même lecture de la « qualité des temps » ; quant aux méthodes déployées pour y répondre, elles sont identiques. La nécessité de penser les guerres d’Italie a amené l’un et l’autre à s’appuyer sur une méthode partant de l’expérience, à effectuer une historicisation permanente des temps présents, à déployer une approche pragmatique des faits et des effets des guerres en cours en considérant la « vérité effective de la chose (la verità effettuale della cosa) » ou « la nature des choses en vérité (la natura delle cose in verità) »33. Dans les accords et les oppositions des deux Florentins, on peut déceler un effet des guerres guerroyées sur la pensée politique et militaire et sur la méthode qu’il faut suivre pour comprendre la politique et écrire l’histoire. On a plus de mal à voir ce qui relèverait d’une tentative de penser l’après-guerre ou la paix.

  • 34 On peut lire les textes des historiens florentins du xvie siècle sur le site Imago historiae. Bibl (...)
  • 35 B. Segni, Istorie fiorentine dall’anno mdxxvii al mdlv, 1857.
  • 36 F. de’ Nerli, Commentari de’ fatti civili occorsi nella città di Firenze dal 1215 al 1537, S. Russ (...)

16Dans la génération qui entend continuer à penser la politique et l’histoire après Machiavel et Guicciardini, on parle de la guerre en parlant de la république, ou plus précisément de la fin de la république, notamment de l’événement le plus récent – le siège de Florence – et de la causalité imposée par le discours machiavélien – la lutte interne entre partis ou factions comme socle de la libertas34. On recommence même étrangement à ne parler que de ça, y compris chez les auteurs les plus proches du pouvoir en place. Bernardo Segni35, Benedetto Varchi et Filippo de’Nerli36 tentent ainsi de réécrire l’éternelle histoire de la guerre interne infinie des factions qui, depuis le xiiie siècle, a toujours ensanglanté Florence pour mieux célébrer la fin de ce conflit. Tout se passe comme si la pensée possible de l’après-guerre était de ne plus parler des guerres extérieures, de célébrer la paix retrouvée et de reprendre la narration systématique des luttes passées qui étaient au cœur de la vieille république guelfe, au moyen de catégories et d’un langage très machiavélien, même si la méthode et les choix épistémologiques ne sont pas ceux du Secrétaire florentin. Au moment où la grande guerre – celle qui a opposé les monarchies nationales dans toute la péninsule – appartient au passé, ils reviennent ainsi à la petite guerre des Florentins les uns contre les autres, comme pour faire semblant de dire que celle-ci aussi a pris fin avec la fin du siège de Florence, puis surtout avec la venue au pouvoir du duc Côme de Médicis.

  • 37 F. de’ Nerli, Commentari…, p. 302, § 133 : « non pare che anche più occorra fare memoria de’ fatti (...)

17À la fin de ses commentaires, Filippo de’ Nerli écrit ainsi : « Il ne semble pas qu’il soit désormais nécessaire de transmettre la mémoire des événements de la cité car, étant placés sous le gouvernement d’un si grand Prince, nos concitoyens ne devront plus avoir de raison de s’affronter à propos des choses de l’État et du gouvernement de la cité, puisque tout le gouvernement est placé sous l’arbitre d’un seul Prince et d’un seul Seigneur. »37 La paix et la tranquillité qu’apporte le nouveau souverain rendent l’écriture de l’histoire superfétatoire. Est-ce à dire que l’on tiendrait là une pensée spécifique de l’après-guerre que l’on a cherchée en vain jusqu’à présent ? Pas vraiment : dans ce cadre-là, il n’y a pas de pensée de l’après-guerre puisque dans cet après-guerre-ci, il n’y a tout simplement plus de pensée politique et plus d’écriture de l’histoire possible, l’histoire s’étant comme arrêtée. La fin de la guerre intérieure permet de tenter d’expulser la guerre hors du théâtre de la politique florentine. La guerre existe encore mais elle est ailleurs : Filippo de’ Nerli, dans la suite de la citation évoquée plus haut, le souligne explicitement en disant que tout mouvement ne saurait désormais venir que de ceux qui sont partis ailleurs – les exilés – ou des princes qui feraient la guerre à la Toscane. Implicitement, la paix sociale retrouvée qui, de façon téléologique, conduit à raconter l’histoire des vaincus à la lumière de leur défaite, qui se voudrait ainsi la fin de l’histoire (dans le double sens de son achèvement et de l’objectif, de l’horizon qu’elle propose et impose), ne parvient donc pas à l’être jusqu’au bout.

  • 38 L’editio princeps des seize premiers livres de la Storia d’Italia occupe chez l’éditeur Torrentino (...)
  • 39 Première édition française : Histoire d’Italie de Messire François Guicciardin Gentilhomme Florent (...)

18La politique éditoriale de l’imprimeur ducal Torrentino, actif de 1547 à 1563, montre que l’intérêt pour la réflexion sur la guerre n’avait pourtant pas perdu de son actualité à Florence : Torrentino ne publie ni Nerli, ni Segni, ni Varchi mais bien la Storia d’Italia de Guicciardini en 1561, texte qui offre la première écriture et la première interprétation globale de cette longue guerre européenne que furent les guerres d’Italie et auxquelles le traité du Câteau-Cambrésis venait de mettre un terme définitif en 155938. L’Histoire d’Italie était bien aussi, d’emblée, une « Histoire des guerres d’Italie », selon le titre qui devint le sien en France dès la deuxième édition de la traduction de Jérôme Chomedey en 1577, à Paris39.

Venise : le repos et la neutralité, pas la paix

  • 40 Voir F. Guicciardini, Histoire d’Italie, J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini éd., Paris, R. Laffont, (...)
  • 41 Voir A. Tenenti, Cristoforo da Canal. La marine vénitienne avant Lépante, Paris, SEVPEN, 1964 et a (...)

19À la fin du xve siècle, nombre d’acteurs politiques italiens – et aussi certains des souverains d’outre-monts – considèrent que la République de Venise pourrait bien aspirer à la « Monarchie sur l’Italie », expression qui, évidemment, ne renvoie pas à l’hypothèse d’un changement de régime pour un État qui acquiert toujours plus le statut d’un modèle de gouvernement, du fait de sa longévité institutionnelle et de la paix sociale qui y règne. Comme le souligne Francesco Guicciardini au début du livre III de la Storia d’Italia à propos de l’attitude ambiguë des Vénitiens à l’égard de Pise, après la révolte de cette dernière contre Florence en 1494 : « les Vénitiens […] après la rupture de la vieille alliance entre les autres puissances italiennes et l’affaiblissement d’une partie de ceux qui s’opposaient à eux d’ordinaire, croyaient déjà tenir, dans leurs pensées et leurs espoirs, la monarchie de l’Italie » (liv. III, ch. 1)40. Cette crainte de l’avènement d’une « monarchie » vénitienne sur l’Italie est celle d’une hégémonie militaire d’une république de conquête qui pousserait son avantage toujours plus depuis le début du xve siècle vers le nord-ouest et le sud de la péninsule – notamment le long des côtes de la mer Adriatique, considérée par la Sérénissime comme le « Golfe de Venise ». C’est là d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Ludovic le More n’aura de cesse de faciliter une intervention de l’armée de Charles VIII en Italie, provoquant le début des « Guerres d’Italie » à l’automne 1494. C’est aussi une des raisons pour lesquelles d’âpres débats opposent à Venise d’une part les tenants d’une priorité politique donnée à l’empire maritime vénitien (lo stato de mar), qui, d’île en île et d’une côte à la suivante, égrène ses comptoirs commerciaux jusqu’à l’Asie mineure, et d’autre part ceux qui penchent pour la primauté d’une politique « italienne » de la république marquée par une expansion continue sur la terre ferme (lo stato de tera) et la recherche d’une position hégémonique dans la péninsule italienne41. Les ambitions de Venise inquiètent suffisamment ses voisins et même les grandes puissances européennes pour qu’une alliance offensive contre Venise soit conclue Cambrai en 1508 entre les monarchies nationales, l’Empereur Maximilien et la plupart des États italiens.

  • 42 Sur Agnadel, voir M. Meschini, La battaglia di Agnadello / Ghiaradadda 14 maggio 1509, Azzano San (...)

20Dans la campagne militaire qui suit, un coup d’arrêt est donné à l’expansion de la république sur les bords de l’Adda, la rivière marquant, en Lombardie, la limite entre les territoires contrôlés par la république et le duché de Milan, conquis par le roi de France depuis 1500. Le 14 mai 1509, à Agnadel, l’armée vénitienne subit une défaite retentissante face à l’armée française commandée par le roi Louis XII en personne42. À la suite de ce désastre militaire, en quelques semaines, les ennemis de Venise parviennent, pour la première fois, à portée de canon de la Lagune. Nombre de Vénitiens pensent même que la république pourrait s’effondrer. C’est alors qu’advient un changement de conjoncture étonnant à la suite de deux facteurs nouveaux : d’un côté, la réaction des populations de terre ferme qui, de Trévise à Padoue, provoquent une rébellion contre les troupes étrangères qui occupent presque toute la Vénétie et, de l’autre, un retournement d’alliances engagé par le pape Jules II qui, tout en souhaitant affaiblir Venise, avait tout à perdre d’une domination sans partage du roi de France et de l’Empereur Maximilien sur l’Italie du centre-nord. En quelques années, la république va ainsi rétablir la situation et récupérer tout ce qu’elle avait perdu.

  • 43 Sur l’existence d’un système guerre-paix, voir J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini, « Guerra e Pace » (...)
  • 44 L’édition en latin fut suivie l’année suivante d’une traduction en langue vulgaire italienne puis (...)
  • 45 G. Fragnito, op. cit., p. 123-124, propose une datation de la rédaction entre 1524 et 1532. Voir a (...)
  • 46 G. Fragnito, loc. cit., écrit ainsi que « che nella scrittura del trattato, non sono trascurabili (...)
  • 47 Voir I. Cervelli, Machiavelli e la crisi dello stato veneziano, Naples, Guida, 1974, ainsi que l’e (...)
  • 48 Voir F. Gaeta, « Alcune considerazioni sul mito di Venezia », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissa (...)
  • 49 Voir sur ce point F. Gilbert « La constitution vénitienne dans la pensée politique florentine », F (...)

21Quoi qu’il en soit, cette guerre de la Ligue de Cambrai influence durablement la pensée politique vénitienne. Il est même possible de considérer que le traumatisme subi alors provoque un bouleversement théorique équivalent (mais très différent dans son contenu) à celui qui mûrit dans la république de Florence de 1494 à 1512, après les premières campagnes des guerres d’Italie, autour d’auteurs-acteurs comme Machiavel et Guicciardini. Mais, à Venise, ce bouleversement va prendre des formes très différentes. Si, à Florence, la métabolisation de la catastrophe militaire passe par le développement d’une pensée de la guerre permanente dans une république qui a changé de régime en chassant les Médicis (une pensée dont les textes machiavéliens sont la meilleure illustration)43, à Venise, les échecs de la guerre contribuent à justifier la construction d’une image de Venise comme exemple de stabilité, de paix et d’équilibre (institutionnel et politique). Le texte fondateur de ce tournant est le traité de Gasparo Contarini (1483-1542) intitulé De magistratibus et Republica venetorum publié posthume, en latin et à Paris en 1543, trente-cinq ans après Agnadel44, mais dont le projet est né dans les années 1520 et était pour l’essentiel mené à bien au début des années 153045. Dans l’existence de Contarini, on discerne en permanence deux volets : d’une part, sa formation intellectuelle et spirituelle en fait, longtemps avant sa nomination comme cardinal en 1536, une personne influente dans les débats entre évangélistes italiens, tentant d’éviter l’irrémédiable fracture de la chrétienté ; de l’autre, son appartenance à l’une des plus grandes familles patriciennes de Venise le conduit, à partir de 1520, à être choisi à plusieurs reprises comme ambassadeur de la république au cours des interminables guerres d’Italie. En outre, avant d’œuvrer au service de l’État, Contarini avait séjourné à Florence et fréquenté les orti oricellari, et il est peu probable qu’il ait ignoré46 les analyses machiavéliennes sur le cas vénitien, et notamment sa condamnation de la faiblesse militaire endémique de la Sérénissime comme un État incapable de se défendre par ses propres forces et condamné de ce fait à s’enfermer dans une simple défense de ce qui lui appartient, défense vouée à l’échec à moyen terme, puisque sans « bonnes armes », les « bonnes lois » ne peuvent suffire à sauver la république47. Dans cette perspective, l’écriture du traité de Contarini, dont l’historiographie s’accorde à dire – à bon droit mais aussi non sans quelque réduction schématique – l’importance pour la construction du mythe de Venise sous l’Ancien Régime48, peut ainsi être lue pour partie comme une autodéfense très « contemporaine » du groupe dirigeant vénitien, par l’un des membres des grandes familles nobles, et une réponse implicite à des critiques machiavéliennes plutôt radicales. Du même coup, il s’agirait également d’une intervention dans le débat sur le rapport des institutions républicaines à la guerre et le traité de Contarini s’inscrirait donc dans une nouvelle étape du débat institutionnel entre les deux plus importantes républiques italiennes, un débat relevant à la fois d’un échange permanent et d’une rivalité ancestrale, bien pointé notamment par Felix Gilbert49.

22Contarini fait explicitement allusion à la défaite d’Agnadel sans pour autant la nommer – cette déroute n’a pas de nom (alors même que dans les textes de l’époque, elle en avait toujours eu plusieurs – Vailà, Ghiaradadda, Agnadello notamment) ni de date. En effet, à la fin de l’ouvrage, Contarini écrit :

  • 50 De Magistratibus & Repvblica Venetorvm Libri quinque, authore Gaspare Contareno Patricio Veneto, P (...)

Nam cum Christiani principes conspirassent in perniciem atque exitium nominis Veneti, fususque noster exercitus fuisset a Ludovico Gallorum rege iuxta Cassanum oppidum agri Cremonensis ingenti clade accepta, imminerentque inde Germani, hinc Iulius Romanus pontifex, ac universa pene continentis ora ab imperio Veneto descivisset : ea rerum angustia ac perturbatione, Venetus populus adeo nihil in nobilitatem moltius est, ut lachrymantes omnes se suaque obtulerint ad reipublicae defensionem, reque ipsa praestiterint.50

  • 51 On peut aussi étudier le « mythe de Venise » à partir de ses traces médiévales comme l’a fait Elis (...)

23Dans ce traité, l’auteur confère donc à la plus grande défaite militaire de l’histoire vénitienne un statut très particulier : le moment et l’ancrage territorial et historique précis de la défaite disparaissent devant le sens que la catastrophe donne à l’histoire de longue durée de la république. La défaite fait office de révélateur chimique de la nature du régime. La défaite pour le Vénitien n’est ainsi que l’occasion pour un éloge d’institutions stables, pacifiques et continues. Bref, la guerre ne change rien, elle montre et met en évidence tout simplement, on pourrait dire quasiment qu’elle n’a pas d’impact autre que de manifester et dévoiler ce qui était déjà là. C’est précisément pour cette raison-là que le mythe politique vénitien change de nature au début du xvie siècle51.

  • 52 Voir F. Tateo, I miti della storiografia umanistica, Rome, Bulzoni, 1990, p. 181-222.
  • 53 G. Contarini, op. cit., p. 113.
  • 54 Ibid., p. 114

24Le passage sur Agnadel est d’ailleurs placé de façon significative à la fin du traité de Contarini : il le scelle comme une démonstration fondée sur l’histoire du temps présent de ce qui a été décrit et présenté précédemment dans un autre registre, plus théorique et plus philosophique (plus aristotélicien). La référence à la ligue de Cambrai intervient au terme d’une illustration du gouvernement mixte donnant satisfaction à toutes les catégories de la population sans laisser à aucune l’intégralité du pouvoir. À ce titre, Venise apparaît – selon un topos déjà fréquent au xve siècle52 – et qui va fleurir tout au long du xvie siècle – comme supérieure à l’ancienne Rome et aux cités grecques (chose inacceptable par exemple pour un Machiavel). Pour Contarini, la supériorité de Venise tient au fait que la république ait pu persévérer dans son être durant plus de mille ans, depuis sa création au moment des invasions barbares (invasions qui, dans cette logique, deviennent la seule guerre décisive pour les Vénitiens, celle qui a conduit à la naissance de la cité), en préservant sa liberté à l’égard des étrangers et la concorde civile. Mais, surtout, cette supériorité vénitienne tient aussi à ce que tout cela n’a pas été acquis par la force et par les armées mais grâce à une forme d’organisation politique tempérée et juste (« Quod adepta est non vi ulla, aut armatis satellibus, seu munita arce, sed aequa hac atque temperata ratione regendi »)53. La guerre récente (que Contarini nomme « tempête » – tempestas) a dévoilé la chose, dans le sens où elle l’a enseignée (« Quae res nostra tempestate potuit esse compertissima » – comperio renvoie à l’idée de découvrir, d’apprendre). De fait, Contarini se plaît à rappeler que, malgré la déroute, la cohésion sociale vénitienne n’a pas été entamée par les événements et que la reconquête rapide des villes perdues est le signe manifeste de la justice du gouvernement vénitien (« Evidens certe argumentum iustae dominationis, cum volentibus imperatur. Sed non absque ratione contigisse, si quis bene attenderit, facile comperiet – avec le même verbe que ci-dessus : comperio »)54. La révolte des villes sujettes contre les « non-Vénitiens » fait de la guerre une démonstration de la qualité du régime vénitien. La guerre devient ainsi une justification des conquêtes de la république pacifique !

  • 55 Voir sur ce point les études rassemblées par Wolfgang Kaiser, et notamment J. Dakhlia et W. Kaiser (...)

25De ce fait, par une sorte de coup de force théorique, c’est la revendication de la capacité exceptionnelle des Vénitiens à maintenir la paix qui est placée au cœur de la question institutionnelle, mais aussi de l’historiographie vénitienne postérieure à Contarini. Cinquante ans plus tard, les textes de Paolo Paruta en seront une nouvelle illustration. L’après-guerre à Venise ne commence donc pas en 1530, mais en 1509, après Agnadel. Avec le coup d’arrêt brutal mis aux conquêtes des Vénitiens en terre ferme, Venise est enfermée dans une politique qui a trois facettes complémentaires : tout d’abord, l’éloge de la prudente neutralité ; ensuite, l’effort de conservation de ce que Venise détient depuis le xve siècle (au prix du renoncement à une expansion plus importante) ; enfin, la poursuite de la seule guerre qui ne peut jamais finir, à savoir celle qu’il convient de mener contre le Turc (une guerre tellement infinie qu’on l’aménage, qu’on l’apprivoise et qu’on s’y habitue presque)55.

  • 56 Voir, sur ce point, l’étude de R. Finlay, « Fabius Maximus in Venice : Doge Andrea Gritti, the War (...)
  • 57 Voir par exemple de Palma il Giovane, Venise couronnée par la Victoire (1578-1579, toile réalisée (...)
  • 58 Voir sur ce point les travaux d’Alessandro Fontana, notamment « L’échange diplomatique. Les relati (...)

26À cet égard le cas vénitien offre à l’historien une déclinaison spécifique de la pensée de l’après-guerre dans laquelle se conjugue la présence permanente d’une guerre infinie qui pèse sur la république comme un destin fatal (contre le Turc) et la théorisation d’une mise en retrait des conflits européens par la neutralité (la façon qu’aura le duc d’Urbin de conduire la campagne de la ligue de Cognac en 1526 peut d’ailleurs être associée à ce choix, autant et plus qu’aux multiples accusations de pusillanimité renvoyées au généralissime par certains historiens, notamment par Guicciardini ; la force de la reprise de la figure de Fabius cunctator à Venise en est un autre exemple)56. On est dans un cas de figure où le déplacement de la guerre au loin (en l’occurrence dans l’Égée) va de pair avec un éloge permanent de la neutralité et de la paix contrainte sur place, quitte à revisiter l’histoire de la ligue de Cambrai et à en faire une victoire vénitienne passée ayant servi à imposer la paix57 ! Le contenu des relations d’ambassadeurs offre, dans cette perspective, un savoir nouveau correspondant à ce choix stratégique de longue durée en permettant une analyse constante des rapports de force européens ainsi qu’un travail d’équilibre subtil de la politique étrangère vénitienne58.

  • 59 Le récit, dans les Istorie veneziane de Paruta, prend la suite de celui de Bembo : elles commencen (...)
  • 60 Perfezione della vita politica (nous suivons pour nos citations une édition numérisée préparée par (...)

27Dans cet après-guerre particulier, Venise trouve de quoi alimenter un contre-modèle qui oppose aux vertus guerrières d’une Rome antique conquérante telle qu’elle fut analysée par les Discours machiavéliens, une Venise pacifique qui ne fait jamais la guerre que pour rétablir la paix et la liberté, comme le rappellent les Istorie veneziane de Paolo Paruta59 et comme l’illustrent les Discorsi politici de ce même Paruta (les deux œuvres sont publiées posthumes – de peu pour les Discorsi publiés en 1599, un an après la mort de l’auteur et dix ans après la Raison d’État de Botero, pour les Istorie en 1605). Paruta propose dans ses Discorsi un modèle très machiavélien de critique radicale de Machiavel (le titre et la forme choisis ne sont pas un hasard) où le langage du Florentin est mis au service d’un autre projet politique. Chez Paruta, et ce dès son dialogue humaniste classique, La perfection de la vie politique, publié en 1579, l’alternance de temps de paix et de temps de guerre structure l’ensemble du discours sur les vertus : Paruta examine toujours la spécificité de la vertu par rapport à la guerre et à la paix, car les vertus sont bonnes dans la seule mesure où elles sont nécessaires et que cette nécessité – le mot est aussi bien philosophique, aristotélicien, qu’historique, contemporain et militaire – peut renvoyer à la guerre. Il vaudrait mieux ne pas avoir, de ce fait, à utiliser certaines vertus, mais la réalité nous impose le contraire, selon un énoncé qui est somme toute assez proche du discours de la méthode inclus au début du chapitre XV du Prince à propos de la « vérité effective de la chose »60.

  • 61 On a là un topos qui se trouve dans d’autres textes contemporains comme la Relatione della republi (...)
  • 62 On pourrait remarquer au passage que l’on retrouve une posture semblable dans un texte conçu pour (...)

28De fait, dans tous ses textes, le mot guerre apparaît dans une relation constante au mot paix, et le mot paix n’a que très peu d’autonomie. La non-guerre est un intermède dans cette logique ; l’histoire est faite de successions de paix et de guerres et la guerre est d’abord la guerre extérieure, car le conflit intérieur est aberrant (ce qui prend l’exact contre-pied de la position de Machiavel sur la guerre permanente qui se décline dans les différentes sphères sociales et dans les différentes conjonctures). Si les ordres de la cité se réfèrent d’abord au choix entre le primat de la référence à la guerre et celui de la référence à la paix (une ville peut être « ordinata alla guerra » comme Rome ou Sparte ou « ordinata alla pace » comme Venise)61, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas de propos sur la paix sans que son socle soit une réflexion sur les formes de la guerre et les façons de lui échapper… ou de les accepter si besoin est : « A due tempi conviensi nell’ordinare una città avere risguardo ; cioè a quello della guerra e a quello della pace, accioché nell’uno e nell’altro possa con certe leggi, e non a caso, governarsi » (Discorsi politici, I, I, 13)62.

29Paruta construit de ce fait son discours sur la paix à partir d’une alternative fondamentale, à savoir que la perfection et le degré de rationalité d’un ordre politique repose sur un seul critère : accroître ou non son territoire. En ouverture des Discorsi politici (I, I, 1), il peut ainsi écrire que « la vraie règle et la vraie mesure qui permet de comprendre la perfection des États » n’est pas « la grandeur de leur empire » (« la vera regola e misura onde si comprende la perfezione degli stati » n’est pas la « grandezza dell’imperio »). Du coup, Paruta – comme l’avait fait Contarini mais avec d’autres arguments – retourne comme un gant, sans rien expliciter évidemment, les accusations qui pesaient contre Venise à la fin du siècle précédent : ce n’est pas Venise qui aspire à une quelconque « monarchie » mais, dans l’Antiquité, les Romains et, au xvie siècle, les Turcs (Discorsi politici, II, I, 9) : ces deux États apparaissent donc comme les seuls qui soient « voués à la guerre » et « font naître une guerre de la précédente ». La nouveauté du xvie siècle à cet égard est que Venise, face à ces deux modèles, l’un antique et l’autre moderne, selon un comparatisme spatio-temporel ici encore d’origine clairement machiavélienne, propose, voire revendique, un modèle où un après-guerre est possible, mais à condition – et la remarque a son importance… – de le penser à partir de la logique de guerre.

  • 63 C’est le cas aussi dans son Histoire de Venise, qui sortira posthume en 1605 et qui reprend l’hist (...)
  • 64 Voir sa thèse de doctorat soutenue en avril 2012 à l’université Ca’ Foscari de Venise (préparée en (...)

30Cela induit une relecture systématique de l’histoire des guerres d’Italie et une analyse de la quiete qui leur a succédé, notamment dans le livre II des Discorsi politici63. Selon l’étude lexicographique de Marco Giani64, alors que quiete tendait à être synonyme de « paix » dans la Perfection de la vie politique, le mot recouvre plutôt le sens de « trêve » (plus historique et plus politique) dans les Discours politiques. Ce n’est pas une concorde abstraite qui joue alors, mais la capacité des princes italiens à comprendre les rapports de force et à maintenir des relations amicales entre eux, en contrôlant leurs désirs de nouveauté et en manifestant une force et une détermination susceptibles d’éviter les visées sur leurs territoires (Discorsi politici, II, 8). Dans cette situation, le rôle des papes n’a d’ailleurs pas toujours été à la hauteur des responsabilités qui leur incombaient – Discorsi politici, II, 9 –, considérations qui préfigurent les positions de Sarpi sur lesquelles nous reviendrons.

  • 65 Voir sur ce point la contribution récente présentée par Marco Giani au congrès de l’ASLI (Naples, (...)

31L’élargissement de la perspective à une échelle mondiale, servie par un comparatisme avec l’Antiquité, dans les Discours politiques (la Perfection de la vie politique était plus centrée sur Venise) compte dans cette modalité d’analyse : c’est le changement d’échelle qui porte à faire de la paix le produit d’une négociation, par définition fragile et jamais définitive, et non une valeur à respecter ; l’après-guerre dans cette logique est toujours un avant-guerre potentiel ou un entre-deux-guerres fatal. La paix s’avère ici une ressource des plus faibles car elle sert à gagner du temps (avec le retour de l’expression sur le beneficio del tempo dans le Discorso sulla pace col Turco, 1573-1574). Du même coup, la seule oisiveté pacifique recommandable est celle qui n’est pas une fin en soi mais que l’on compose avec une générosité qui fait que l’on est toujours disposé à faire la guerre pour défendre la patrie (Discorsi politici, I, VII, 8). Dans l’histoire de Venise, la position de Paruta permet de rendre compte de l’articulation évoquée plus haut entre une défense et illustration de la neutralité pacifique au Ponant et la guerre infinie contre les Turcs au Levant. La neutralité est une sorte de traduction diplomatico-militaire de la question des rapports de force que les Vénitiens pensent en termes de contrepoids, de balance et d’équilibre65 (alors que les machiavéliens insistent plus clairement sur la question de la force et sur la violence comme constitutives de la puissance et comme facteurs directs conditionnant la conjoncture).

  • 66 Sur les positions de Botero sur l’équilibre et sur la Relatione della republica venetiana, voir R. (...)
  • 67 G. Botero, Relatione della republica venetiana […] con un discorso intorno allo Stato della Chiesa(...)

32Une théorie du contrepoids se trouve quelques années plus tard dans la Relatione della republica venetiana (rédigée en 1603 et publiée en 1605) de Botero66: « Faire contrepoids en matière d’État n’est rien d’autre qu’empêcher et interdire que certains sapent le repos et ne mettent en danger la sécurité des états »67. Une théorie qui est immédiatement inscrite dans la pluralité étatique d’un monde en guerre et dans son éclatement :

  • 68 Ibid., f. 9r (« Ma prima di passar inanzi, presupponiamo, che dove non è pluralità di prencipi, qu (...)

Mais avant de continuer, présupposons que là où il n’y a pas plusieurs princes, là (si toutefois on n’a pas besoin de faire contrepoids entre les partis et les factions des sujets) ce contrepoids dont nous parlons n’a pas lieu d’être ; on le voit clairement en Espagne, en Angleterre, en France, en Pologne, et dans d’autres royaumes et états qui étaient divisés en plusieurs principautés avant d’être réunis ensuite sous une couronne. Ainsi, si le monde entier était d’une seule République ou d’un seul Prince, l’art du contrepoids serait superflu et il n’y en aurait nulle nécessité ; mais la pluralité des princes fait que le contrepoids est utile et bon non par nature mais par accident. Et il est de deux sortes. En effet, parfois il a pour fin la paix d’une République composée de plusieurs États différents comme l’Italie et l’Allemagne, et la Chrétienté tout ensemble ; d’autres fois, la sécurité et le bien-être d’un état particulier. Dans le premier cas, le contrepoids consiste en une certaine égalité par laquelle le corps de la République n’a pas de membres qui ne soient proportionnés entre eux et maintenus en équilibre par une certaine égalité, sans que rien ne penche plus d’un côté que de l’autre ; en ceci, autrefois, Laurent de Médicis, Prince de la république florentine, fut d’une grande valeur.68

  • 69 Ibid., f. 9v (« Ma il contrapeso che ha per oggetto la sicurezza particolare di uno Stato, tocca a (...)
  • 70 Ibid., f. 9v-10r (« il contrapeso ha per fondamento l’ordine della natura, e il lume della ragione (...)
  • 71 Même si Botero n’est pas romain et n’est pas à Rome quand il écrit sa « relatione », il peut être (...)
  • 72 Voir sur ce point la fin du premier chapitre de E. Fasano Guarini, Republiche e principi, Bologne, (...)

33Et il continue en affirmant que « Le contrepoids qui a pour objet la sécurité particulière d’un État, concerne quiconque a une seigneurie, et entend, sans intervention d’autrui, s’en assurer »69 et que « le contrepoids a pour fondement l’ordre de la nature et la lumière de la raison (puisque tout comme il est licite de répliquer à la force par la force il est tout aussi licite de s’assurer qu’il n’advienne pas de cas dans lequel tu serais dans la nécessité d’agir de la sorte) et il en découle que, sans que quiconque puisse s’en plaindre, il convient à chacun de chercher non seulement à s’opposer à la puissance suspecte ou ennemie mais aussi à celle des amis et des alliés, qui, au fil du temps, pourrait s’avérer dangereuse pour lui-même et pour ses affaires »70. Le nom de Venise n’est pas cité explicitement comme exemple, car l’assimilation de Venise à une politique de la neutralité attentive aux équilibres en fait un parangon tellement évident des logiques de contrepoids qu’il n’est pas besoin même d’y faire référence ici. Venise est toujours louée par Botero, même si elle n’est plus tenue comme une puissance importante : le rôle historique de cet « état moyen », selon une catégorie botérienne, reste important, mais sa position dans les équilibres continentaux et mondiaux est devenue marginale. On passerait ainsi, en allant d’un point de vue vénitien à une perspective plus « romaine »71, d’une neutralité manifestant la force d’un régime et la singularité essentielle de l’ordre politique républicain qui y prévaut (telle qu’elle se déploie chez Contarini et Paruta) à une neutralité qui sanctionne la place dévolue à la vieille république dans la nouvelle hiérarchie des États européens de l’âge classique72.

Rome : la guerre au principe de la paix

  • 73 Une partie du propos qui suit a déjà été développée dans J.-L. Fournel et R. Descendre, « Des Guer (...)

34Comme lieu de réflexion sur la politique et la guerre dans le très long après-guerre italien des xvie et xviie siècles, Rome occupe nécessairement une position bien particulière73.

35D’une part, en tant qu’État temporel, le Saint-Siège ne s’accommode pas sans heurts de la pacification hispanique de la péninsule ; celle-ci passe notamment par la forte présence d’un parti espagnol à la curie, lequel doit toujours composer avec un parti français que les papes n’hésitent pas à favoriser afin de préserver leur marge de manœuvre. Cela signifie qu’en dépit du renforcement de l’absolutisme papal sur toute la période, l’État romain reste avant tout un champ de forces que les tensions internationales ne cessent de travailler de l’intérieur. Ne serait-ce que pour cette raison, les guerres européennes, étrangères et civiles y sont comme vécues de l’intérieur, même lorsque le bruit des armes ne retentit plus depuis longtemps à Rome.

36D’autre part, la permanence du conflit religieux au sein de la chrétienté, qui, sur l’échiquier européen, prend toutes les formes d’affrontement possibles, y rend d’une certaine façon impensable l’idée même d’après-guerre. L’Église est plus que jamais militante, dans un cadre universaliste qui rend caduque la différenciation entre guerres étrangères et civiles : idéalement, hormis les territoires de l’Islam (et encore), il n’est pas d’extériorité à la juridiction romaine. L’hérétique est par définition un ennemi de l’intérieur ; tant que des catholiques affrontent des protestants – sur quelque champ de bataille que ce soit, qu’il s’agisse d’une guerre civile, d’une guerre entre États, d’un mélange de l’une et de l’autre (comme cela arrive le plus souvent), ou même de la seule lutte dogmatique et disciplinaire –, Rome n’est pas en paix.

37À une troisième échelle – non plus celle de l’Italie ou de l’Europe, mais celle de la Terre – se situe l’enjeu de la conversion des autres mondes : la question de la guerre est là encore cruciale, mais de façon ambiguë puisque, d’un côté, les armes qui tuent s’opposent directement à la parole qui convertit et que, de l’autre, la catholicisation du monde est inséparable des conquêtes ibériques et de leur défense face à l’émergence des puissances maritimes protestantes.

38Ainsi, tous les conflits qui traversent alors le monde européen – Réforme et guerres civiles de religion, conquête du Nouveau Monde et contrôle des mers, guerres entre États chrétiens, ligues contre l’Empire ottoman – sont vécus, à Rome, comme de l’intérieur. Après les guerres d’Italie, plus encore que dans les autres États de la péninsule, il est difficile d’affirmer simplement que la paix règne dans l’État du pape. À cette époque, il n’est pas chose aisée de penser la paix dans la capitale de l’Église catholique : telle est une définition possible, en creux, de la « Contre-Réforme ».

39On peut dès lors comprendre la permanence de la pensée de Machiavel dans le lieu même où son œuvre fut pourtant rapidement dénoncée puis intégralement proscrite, dès le tout premier Index romain de 1557, non publié. Cette condamnation ne fut d’ailleurs rendue pleinement publique que dans les tout premiers jours de 1559, ce qui conduit à une synchronie frappante entre la fin « officielle » des guerres d’Italie et la condamnation tout aussi officielle de la pensée du Secrétaire florentin. La longévité romaine du « travail de l’œuvre » machiavélienne, loin de se réduire à la double caractérisation – stérile autant que convenue – du machiavélisme et de l’anti-machiavélisme, est un indice de l’irréductibilité du paradigme guerrier pour penser la paix : à Rome, il apparaît que l’Italie pacifiée vit en réalité, depuis les années 1530, un très long après-guerre qui n’en finit jamais avec la guerre.

40Pour étayer cette idée sur des textes précis et leur circulation, on présentera deux cas révélateurs, du point de vue de l’usage des sources, qui montrent qu’à trente ans d’écart, à Rome, c’est bien à partir de la guerre que se pense la paix :

411. Du milieu des années 1550 jusqu’à la fin des années 1570 (si l’on tient compte des rééditions), de façon tout à fait autorisée, bien que sous le masque d’un texte géographique, un passage emblématique de l’œuvre machiavélienne a circulé sans difficulté et a servi à fonder une défense et illustration de la pax hispanica sur la péninsule. Les propres mots de Machiavel insistant sur la nécessité pour le prince de ne jamais arrêter de penser à la guerre et à la conquête ont continué à se diffuser depuis Rome, au moment et dans les lieux mêmes où l’intégralité de ses écrits a été définitivement condamnée par l’Église.

422. La pensée de la raison d’État qui naît au cœur de la curie dans la seconde partie des années 1580, loin d’opposer au prince de guerre machiavélien un prince de paix, tire une large partie de ses instruments théoriques des guerres civiles françaises et des théories qu’elles ont favorisées. L’un d’eux consiste à faire de la guerre un instrumentum regni dans une perspective de pacification ; totalement contradictoire avec les doctrines du ius ad bellum, ce principe empêche de concevoir que l’on puisse mettre un jour fin à la guerre. La quiete, ce maître mot trompeur de la raison d’État, loin d’être la marque d’une neutralisation du bellicisme machiavélien, recouvre une pensée de la pacification toujours hantée par la guerre.

Machiavel et la justification de la conquête espagnole du Nouveau Monde

  • 74 P. de Cieza de León, La prima parte de la cronica del grandissimo regno del Perù […] tradotta pur (...)
  • 75 L. Binotti, « Cultural identity and the ideologies of translation in sixteenth-century Europe : It (...)

43Au xvie siècle, l’Italie – plus exactement Rome et Venise – a été le premier centre de diffusion européenne, par l’imprimé, de l’information géographique et de la littérature touchant aux « découvertes » et à la conquête du Nouveau Monde. Cette diffusion revêtait souvent une signification politique, parfois explicitement revendiquée. Tel est le cas des œuvres parmi les plus lues de toutes celles qui furent consacrées à l’Amérique espagnole, l’Histoire générale des Indes occidentales et l’Histoire de la conquête du Mexique de Francisco López de Gómara, et la Chronique du Pérou de Pedro de Cieza de León. Ces livres, parus en Espagne en 1552 et 1553, furent publiés en italien chez un éditeur romain dès 1555 et 1556, et composèrent les trois volets d’une histoire générale de la conquête74. Le traducteur et coordinateur de ce triptyque était Agostino (Agustín) Cravaliz, un Basque qui vécut longtemps à Rome, et qui représentait les intérêts de la Couronne espagnole auprès de la curie. Cravaliz introduisit chacune de ses traductions par une lettre dédicatoire, composant un éloge en trois temps de la conquête impériale espagnole, à l’intention d’un public italien auquel il s’agissait de faire accepter l’hégémonie du pouvoir de Charles Quint et de son fils Philippe sur la péninsule, au moyen d’une « histoire impériale officielle »75. Le contexte est loin d’être anodin : 1555 est l’année d’accession au trône du pape le plus violemment anti-espagnol qu’ait connu le xvie siècle, l’ancien inquisiteur général Gian Pietro Carafa, Paul IV (23 mai) ; 1556, celle où il déclara la guerre aux Espagnols dans le royaume de Naples, déclenchant ainsi le tout dernier épisode armé des guerres d’Italie. L’hostilité du nouveau pape envers les Espagnols était pour partie due à un rejet de toute concession à l’égard des protestants, alors que Charles Quint s’était d’abord fait le promoteur de la réconciliation dans le cadre du Concile, puis avait accepté de fait et de droit la Réforme lors de la paix d’Augsbourg de 1555. Paul IV fut aussi le pape qui donna un coup d’envoi particulièrement violent à la censure ecclésiastique romaine, visant bien plus loin que le seul domaine du dogme, déterminé qu’il était à commencer par la destruction des œuvres de Machiavel, d’Érasme ou de Boccace.

44Le texte qui nous intéresse ici est la lettre dédicatoire de la Chronique du Pérou de Cieza de León, que Cravaliz adressait à l’un des cardinaux philo-espagnols les plus puissants de la curie, Giovanni Michele Saracini, membre de la congrégation du Saint-Office. L’épître s’ouvre sur une reprise du motif juridique topique des deux piliers de l’empire que sont les lois et les armes – modifié en « religion et lois » d’un côté et « armes » de l’autre –, dans le sens d’une claire exaltation de la conquête par la force militaire :

  • 76 « I grandi et maravigliosi imperii non solamente con la religione et con le leggi (Illustriss. et (...)

[…] Bien que parmi les hommes les plus loués et les plus fameux on juge dignes d’un grand éloge les fondateurs de religions et, secondairement, les législateurs, néanmoins, les princes les plus loués entre tous sont ceux qui, à la tête de leurs armées, ont élargi leur royaume ou les confins de leur patrie.76

45Si cette mise de côté des lois (ici redoublées par la religion) au profit des armes rappelle déjà le projet du Prince de Machiavel, les lignes qui suivent ne laissent aucun doute sur la source à laquelle puise sans vergogne cette introduction :

  • 77 « il perché si dee sforzare ogni Principe non havere altro oggetto né altro pensiero, se non gli o (...)

C’est pourquoi chaque prince doit s’efforcer de n’avoir d’autre objet ni d’autre pensée que les ordres et les exercices de la guerre ; car la guerre est le seul art qui convienne à celui qui commande, et elle a tant de vertu que non seulement elle maintient ceux qui sont nés princes, mais bien souvent elle élève aux rangs les plus élevés et les plus honorables les hommes de petite fortune et de condition privée ; de même, à l’inverse, quand ils n’en ont pas tenu compte, les plus grands ont tous été ruinés ou sont tombés au plus bas ; de ce fait, non seulement on ne devrait jamais détourner sa pensée de l’exercice des armes, mais on ne devrait pas moins s’y exercer dans la paix que dans la guerre.77

  • 78 N. Machiavelli, De Principatibus, xiv, 1-2 : « Debbe dunque uno principe non avere altro obietto n (...)
  • 79 « Non piacque a Dio, che riposassero quelle vittoriose armi, et natione inclinata alla militia, et (...)

46Ce n’est ni plus ni moins que la reprise mot à mot des premières lignes du célèbre chapitre XIV du Prince78, ponctuée de très légères modifications. Or ces lignes servent à introduire un résumé de l’histoire de l’Espagne, un récit fait uniquement de conquêtes, de pertes et de reconquêtes militaires depuis les origines jusqu’à l’an 1494. Cette année-là, Dieu ne voulant pas qu’après la Reconquista cette « nation destinée à des entreprises plus glorieuses et à de nouvelles conquêtes » repose les armes, le roi de France Charles VIII descendit en Italie pour conquérir le royaume de Naples, « ce qui amena les choses d’Italie dans l’état où elles se trouvent aujourd’hui » et obligea le roi catholique à se porter à son secours. Au même moment, Dieu permit aussi que commence la conquête de « ce nouveau monde » découvert par Christophe Colomb, conduisant ainsi ses habitants « à la foi du Christ, dans le giron de notre sainte mère l’Église, pour partie par les armes et pour partie par la prédication et l’inculcation des lettres sacrées »79.

47Le texte de Cravaliz met clairement en évidence de quelle manière le savoir géographique a pu constituer en Italie l’outil d’une hégémonie espagnole ouvertement fondée sur un modèle impérial et belliciste d’ascendance machiavélienne. Un seul et même mouvement, celui de la conquête armée légitimée par la victoire – et donc par Dieu –, unit la Reconquista, la conquête de l’Amérique et les guerres d’Italie. Le parallèle et la contemporanéité entre conquête du Nouveau Monde et victoire impériale sur des armées françaises qui n’ont fait que semer le chaos dans la péninsule, permet de défendre le caractère divin et providentiel de cette nouvelle Monarchie œuvrant pour la grandeur de l’Église. De même qu’ils ont libéré de la damnation les habitants du Nouveau Monde, les Espagnols ont libéré les Italiens des Français ; ces derniers sont par ailleurs partie prenante d’une Conquête qui commença, souligne Cravaliz, par l’œuvre du « glorieux Christophe Colomb natif de Savone [sic] ». L’union des Italiens à la puissance impériale et l’exaltation de la victoire espagnole apparaissent ainsi comme des moteurs de la diffusion italienne de la littérature sur le Nouveau Monde – il n’est dès lors pas étonnant que se vérifie aussi bien le phénomène parfaitement spéculaire d’une littérature géographique anti-espagnole : le rejet de la domination ibérique en Italie s’alimente largement de la légende noire de la conquête, notamment dans le cas de l’Histoire du Nouveau Monde de Girolamo Benzoni publiée quelques années plus tard, en 1565.

48Mais le plus frappant ici est que cette légitimation de la conquête et de la pax hispanica s’exprime dans la langue et dans le texte même de Machiavel. Tout se passe comme si Machiavel fonctionnait comme une autorité paradoxale : autorité négative et illégitime – car qu’est-ce qu’une autorité dont le nom doit être tu, une autorité interdite et condamnée ? –, mais porteuse malgré tout d’un discours légitimant – puisque ce sont les propres mots de Machiavel qui servent à faire accepter la conquête et qu’il est bien peu probable que ce texte n’ait pas été aisément identifié par les lettrés de l’époque. Il n’est évidemment pas anodin que le destinataire du texte soit un membre de la congrégation de l’Inquisition, ou encore que le livre ait reçu, comme indiqué sur le frontispice, un « privilège du Souverain Pontife, de l’empereur Charles Quint, de l’illustrissime Sénat Vénitien et d’autres princes ». Il semble donc bien que la place accordée à la guerre par Machiavel dans la politique n’ait pas été perçue comme l’aspect le plus gênant de sa pensée, et qu’elle ait pu continuer à nourrir les esprits longtemps après que ses œuvres ont été chassées d’Italie : l’épître dédicatoire de Cravaliz est republiée à l’identique dans au moins quatre rééditions du livre de Cieza, en 1560, 1564 et jusqu’en 1576, plus de vingt ans après les dernières éditions autorisées du Prince.

Face à la guerre : Duplessis-Mornay, Gentillet, Bodin, Montaigne et Botero

49Le rejet de Machiavel affiché par les penseurs de la raison d’État a pu conduire à voir dans leurs œuvres l’opposition d’un modèle politique fondé sur la paix à un modèle fondé sur la guerre. L’insistance sur le repos et la tranquillité du corps social, synthétisée par le mot d’ordre de la quiete, pourrait de fait être lue comme l’exact contraire du conflit civil auquel Machiavel accorde bien des vertus (du moins dans sa forme positive, celle de la Rome républicaine). Mais cette insistance sur la quiete témoigne en réalité d’un approfondissement ultérieur des effets de la guerre sur les théorisations du pouvoir. Les guerres civiles ont en quelque sorte « achevé le travail » entrepris par les guerres d’Italie : l’installation d’un état d’urgence permanent rend de plus en plus lâches et flous les liens et obligations juridiques multiples qui, au sein de la tradition juridique, avaient jusqu’alors encadré et délimité le pouvoir souverain. L’un des principaux enjeux de toute la pensée politique de l’époque consiste à redéfinir ces limites. Quels que soient les moyens employés, que l’on définisse l’État en termes juridiques ou qu’on lui donne une assise confessionnelle, la question de la guerre conserve une place centrale dans ces premières théorisations de l’État.

  • 80 Voir, sur ce point, J.-L. Fournel, « Une république de guerre : Florence (1494-1530) », La Républi (...)
  • 81 R. Descendre, « Introduction », dans G. Botero, De la raison d’État (1589-1598), éd., trad. et not (...)

50Chez bon nombre d’auteurs italiens de la fin du xvie siècle, c’est parce que la forme conflictuelle la plus destructrice pour l’ordre politique – la guerre civile – apparaît désormais comme un horizon de possibilité permanent, et parce que la distinction entre guerre et après-guerre n’est dès lors plus réellement pertinente, que la raison d’État devient la norme et non plus l’exception de la politique. Dans Le Prince, Machiavel s’adressait avant tout au prince « nouveau » fondant un État « nouveau » dans un contexte inédit de guerres généralisées. La ragione et uso degli stati dont parlait pour sa part Guicciardini était la raison et l’usage des États en guerre (dans le cas d’espèce, la guerre de Florence contre Pise), qui rend indispensable l’emploi de moyens que la religion et le droit ne peuvent que condamner80. Mais la raison d’État telle que Botero la conçoit n’est pas cette dérogation au droit commun qu’impose l’état de guerre ou l’état d’urgence. Elle devient la condition même de l’État, qu’il soit en paix ou en guerre : elle est sa norme. Et cette norme, si elle ne déroge pas systématiquement au droit commun, n’est en tout cas pas définie juridiquement, mais toujours politiquement : il s’agit ni plus ni moins d’un savoir portant sur tous les moyens de la conservation de l’État81.

  • 82 D. Quaglioni, I limiti della sovranità. Il pensiero di Jean Bodin nella cultura politica e giuridi (...)

51Les premiers théoriciens de la raison d’État, Botero en tête, étaient des ecclésiastiques étroitement liés à la curie romaine. Mais leur définition de la raison d’État dans une langue de la politique qui n’est plus celle du droit ne relève pas simplement de la perpétuation du sempiternel conflit entre ecclésiastiques et légistes. Celui-ci est certes toujours d’actualité et Botero construit son traité contre le monument juridique édifié par Bodin. Cependant, les choses se compliquent du fait que cette élaboration d’une théorie non juridique de l’État, qui passe notamment par une forte présence de la guerre et de ses raisons dans la construction des savoirs de gouvernement, emprunte une bonne part de ses thèmes et de ses thèses aux juristes français – thèmes et thèses dont ils avaient eux-mêmes pour partie déjà hérités par l’intermédiaire de la pensée politique florentine. La doctrine de Bodin, en particulier, est une formidable synthèse qui intègre dans la tradition juridique des éléments qui non seulement lui échappaient jusqu’alors mais qui s’y opposaient frontalement, et qu’il trouve dans l’histoire contemporaine ou dans l’historiographie et la pensée politique récente82. Ces éléments nourrissent ensuite la littérature de la raison d’État qui naît à Rome, dans le lieu même où la pensée de Bodin est alors condamnée par la censure. L’un de ces éléments, pour nous exemplaire, concerne précisément la question de l’après guerre.

52Il s’agit du thème de l’utilité de la guerre externe pour éliminer ou, simplement, prévenir la guerre interne. Pour assurer le « repos » (quiete), pour « maintenir les sujets en paix », il faut les distraire : cette question fait l’objet de tout le livre III de la Raison d’État de Botero. Le terme employé est intéressant : trattenere signifie à la fois distraire et retenir. Il s’agit d’une reprise de la vieille question de l’évergétisme, bien sûr, mais il y a plus : ce qui « distrait », détourne le peuple des troubles, c’est avant tout la guerre.

  • 83 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., III, 3, « Des entreprises de guerre », p. 175. « Ma molt (...)

Mais bien plus grande est la distraction qu’apportent les entreprises militaires, parce que rien ne tient plus en suspens l’esprit des gens que les guerres importantes que l’on entreprend, soit pour garantir la sûreté des frontières, soit pour étendre l’empire et pour acquérir justement richesses et gloire, soit pour défendre ses alliés, pour aider ses amis, ou pour conserver la religion et le culte divin, parce que de telles entreprises voient concourir tous ceux qui ont quelque valeur, par le bras ou le bon conseil, et déchargent là leurs humeurs contre les ennemis communs ; le reste du peuple suit l’armée pour la ravitailler ou pour tout autre service, ou bien reste chez lui, soit pour prier le Seigneur et faire des vœux en vue d’obtenir la victoire, soit pour attendre avec impatience les nouvelles de la guerre et de son issue ; si bien qu’il ne subsiste dans l’esprit des sujets aucune place pour les révoltes, tant ils sont occupés, dans l’action ou dans la pensée, par cette entreprise.83

53L’usage des sources et des exemples permettant à Botero d’asseoir et d’illustrer cette thèse est instructif. Ce sont immédiatement les Romains et les Grecs qui, classiquement, sont convoqués pour lui conférer une légitimité historique :

  • 84 G. Botero, De la raison d’État, p. 175-176. « A questo rimedio come ad un’ancora di rispetto ricco (...)

C’est à ce remède, comme à une ancre de salut, qu’avaient ordinairement recours les Romains lors des séditions de la plèbe ; ils envoyaient l’armée mener une campagne contre des ennemis, et remettaient ainsi en repos les esprits remplis de hargne contre les nobles ; et Cimon, voyant que la jeunesse d’Athènes ne parvenait pas à rester en repos, fit armer deux cents galères et l’emmena montrer sa valeur contre les Perses.84

  • 85 Voir en particulier Tite-Live, Histoire romaine, trad. J. Bayet & G. Baillet, Paris, Les Belles le (...)
  • 86 Tite-Live, Ibid., ch. 64, p. 94-96.
  • 87 Ainsi, sur la question des dettes, voir Tite-Live, Ibid., ch. 24-32, p. 35-49.
  • 88 Le jugement de Tite-Live va d’ailleurs, à l’occasion, entièrement en sens inverse : ainsi, quand, (...)

54L’évocation des Romains n’est étayée par aucune référence mais concerne pour l’essentiel les livres II et III de Tite-Live portant sur les premiers temps de la République, dont plusieurs passages soulignent effectivement, après des périodes de conflictualité persistante entre patriciens et plébéiens, l’unité retrouvée de la cité dans le combat contre un ennemi extérieur85 ou, à l’inverse, la conflictualité persistante entre patriciens et plébéiens lors des périodes de paix extérieure, avant qu’une guerre ne ramène le calme86. La position de Tite-Live était cependant très nuancée. Il n’affirmait pas comme un principe théorico-politique la nécessité des guerres extérieures pour neutraliser le conflit civil, d’autant que le problème était souvent inverse : la plèbe refusait d’aller à la guerre contre les peuples voisins (Èques, Volsques et Sabins) en raison d’une conjoncture sociale conflictuelle qui l’opposait directement à la noblesse87. Aussi bien, enrôler la plèbe n’était pas un moyen pour mettre fin aux troubles, mais bien plutôt la fin à laquelle s’opposaient les troubles88.

  • 89 Plutarque, Cimon, ch. 18, 1 ; dans Vies, t. VII, trad. R. Flacelière et É. Chambry, Paris, Les Bel (...)

55L’exemple de Cimon d’Athènes confirme le fait que Botero utilise ses sources comme il l’entend au service de sa thèse. Comme à son habitude, il ne donne aucune référence ; or il s’agit d’un passage du Cimon de Plutarque qui ne concerne aucunement le problème des révoltes, tumultes, troubles ou guerres civiles. Le Cimon de Plutarque détourne en fait l’agitation conquérante des Athéniens à l’égard des autres peuples grecs vers une entreprise contre les Perses89. Ce qui est en jeu pour lui est donc la détermination de la cible de la conquête (et non la pacification d’une conflictualité interne à la cité).

  • 90 G. Botero, De la raison d’État, p. 176-177. « All’incontro la Francia, stando in pace con gli stra (...)
  • 91 Ibid., p. 176. « A’ tempi nostri la Spagna è in somma quiete e la Francia involta in perpetue guer (...)

56On comprend dès lors que ces exemples antiques visent à légitimer une pratique que Botero érige en norme acceptable, alors même qu’elle contrevient de toute évidence au droit de la guerre. Que le cœur du problème soit ici les guerres civiles françaises apparaît dans la suite du texte : « la France, étant en paix avec les étrangers, s’est retournée contre elle-même et, n’ayant d’autre prétexte, a pris celui de l’hérésie de Calvin et d’un nouvel Évangile qui annonce, partout où il se fait entendre, le deuil, non la joie, l’horreur de la guerre, non la paix »90 ; aussi est-elle « plongée dans de perpétuelles guerres civiles ». À cela, Botero oppose directement l’Espagne, qui « vit en parfait repos » : « occupée à des guerres étrangères et à des entreprises lointaines, dans les Indes, aux Pays-Bas, contre les hérétiques, contre les Turcs et les Maures, où sont employés soit les bras soit les esprits des Espagnols : leur patrie a ainsi joui d’une très grande paix et détourné vers d’autres lieux toutes les humeurs peccantes »91.

57On aurait donc là un usage louable de la guerre, une pratique légitime de la conquête à des fins d’utilité publique, dont les maîtres seraient les Grecs, les Romains, les Espagnols, mais aussi les Turcs et les Suisses. Une telle argumentation permet pourtant de masquer l’essentiel : l’origine de la thèse ici défendue ne se trouve pas chez ces peuples, mais chez celui qui joue le rôle du contre-exemple. Ce sont les acteurs des guerres civiles françaises et, surtout, les juristes qui ont conseillé les souverains français sur les moyens d’en sortir, qui constituent la véritable source de Botero ici.

  • 92 Un certain nombre d’historiens s’accordent à penser aujourd’hui que l’opposition des catholiques i (...)
  • 93 Memoires de Messire Philippe de Mornay, Seigneur du Plessis Marli, Baron de la Forest sur Seure, e (...)
  • 94 Ibid., p. 1.
  • 95 Ibid., p. 2.

58Ironiquement, il reprend à son compte une idée née en milieu protestant, puisqu’il s’agissait à l’origine du projet de l’amiral de Coligny qui, après le retour de la paix précaire de l’édit de Saint-Germain (août 1570), voulut entraîner le roi dans une guerre contre les Espagnols en Flandre, arguant notamment du fait que cela permettrait de réunifier les Français contre l’ennemi commun92. C’est le jeune Duplessis-Mornay qui avait théorisé la chose, en 1572, dans son Discours au roy Charles IX pour entreprendre la guerre contre l’Espagnol ès Païs Bas93. Il fondait rhétoriquement son entreprise sur la métaphore médicale alors courante : pour « préserver » le corps malade de l’État d’une « rechute », « consumer les mauvaises humeurs » de tant de Français qui n’ont d’autre profession que celle de la guerre et risquent donc à nouveau de se retourner les uns contre les autres, il faut « entreprendre une guerre dehors pour entretenir la paix dedans »94. Cependant, « il faut qu’elle soit juste, facile, & utile, & que le profit n’y soit moins honorable, que l’honneur profitable : & telle, pour le faire court, n’en voit-on aujour-d’huy que contre le Roy d’Espagne »95. Car il ne saurait y avoir de guerre sans justes causes établies : éviter la guerre civile n’en constitue pas une, Duplessis-Mornay le sait fort bien ; la suite de son texte est donc une longue énumération de causes de guerre juridiquement défendables contre les Espagnols.

  • 96 I. Gentillet, Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou a (...)

59Quelques années plus tard, après que les blessures du pays s’étaient encore approfondies à la suite de la Saint-Barthélemy, on retrouva le même thème dans les œuvres de deux juristes qui, en 1576, rencontrèrent un écho considérable. Au début du troisième livre de ses Discours sur les moyens de bien gouverner, Innocent Gentillet reconnaissait, sous forme de concession, que la guerre étrangère, lorsqu’elle est menée sur le sol étranger, « n’est peut-être pas trop mauvaise pour entretenir toujours gens aguerris pour le besoin […] Et principalement ce poinct est considerable, quand les sujets du Prince sont naturellement enclins à la guerre, comme est la nation françoise : car il faut necessairement les employer en ce où leur naturel tend, ou autrement eux mesmes pourroyent s’esmouvoir guerre les uns aux autres »96. C’était à nouveau reconnaître que dans un pays comme la France, où la noblesse d’épée n’avait cessé de guerroyer depuis des lustres, après la guerre, point de salut. Mais pour lui non plus, cela n’impliquait pas de justifier une guerre non encadrée dans les limites du droit : bien au contraire, tout le chapitre était conçu comme une critique radicale de toute forme de guerre qui ne tirerait pas son origine d’une juste cause, à partir d’une réfutation du chapitre XXVI du Prince.

  • 97 Jean Bodin, Les six livres de la République, V, 5, 1986, vol. V, p. 137-140.
  • 98 Ibid.
  • 99 Ibid.

60La même année, Bodin poussait le raisonnement plus loin. Au cours du chapitre V du cinquième des Six livres de la République, à une réflexion sur la nécessité d’aguerrir les sujets pour des besoins défensifs (qui font partie « du droit divin, naturel et humain »), il ajoutait certaines « considerations particulieres outre cela : c’est à sçavoir, que le plus beau moyen de conserver un estat et le garentir de rebellions, seditions, et guerres civiles, et d’entretenir les subjects en bonne amitié, est d’avoir un ennemi, auquel on puisse faire teste »97. Et il allait jusqu’à préciser qu’« il est bien difficile, et presque impossible de maintenir les subjects en paix, et amitié, s’ils ne sont en guerre contre l’ennemi »98. Or il fondait cette assertion sur une lecture de la totalité de l’histoire romaine, depuis ses origines jusqu’à sa chute de l’Empire. Préciser qu’il s’agissait là d’une « considération particulière » immédiatement après avoir formulé ses considérations fondées sur le « droit divin, naturel et humain », revenait à reconnaître qu’il sortait, dans ce cas, du domaine du droit. Mais du point de vue de la doctrine politique, cette considération semblait bien avoir à ses yeux une valeur universelle : il s’agissait en effet d’exposer les « raisons qui peuvent servir pour monstrer que ceux-là s’abusent grandement, qui pensent que le seul but de la guerre soit la paix »99. Plus encore que l’obtention de la paix entre les belligérants, la guerre sert avant tout à la conservation de l’ordre politique. Mais s’il en est ainsi, peut-on vraiment sortir du cercle de la guerre ?

  • 100 M. de Montaigne, Les Essais, II, 23, P. Villey éd., Paris, PUF, 1965, t. I, p. 682-685, chapitre q (...)
  • 101 Ibid., p. 683.

61C’est donc bien avec Bodin que le propos se radicalise et prend la forme que l’on retrouve ensuite chez Botero, une filiation qui semble confirmée par le fait que l’un et l’autre se servent avant tout de Tite-Live pour le justifier. Botero pourtant, aurait pu considérer qu’il y avait là aussi matière à dénoncer « l’impiété » des « Politiques » contre lesquels il s’érigeait. Et ce d’autant plus qu’il connaissait peut-être le chapitre de Montaigne, publié dès l’édition princeps des Essais (1580), intitulé « Des mauvais moyens employez à bonne fin »100. Les termes du débat y étaient repris mais reconduits à leur dimension morale et juridique : « Et de vray une guerre estrangiere est un mal bien plus doux que la civile ; mais je ne croy pas que Dieu favorisat une si injuste entreprise, d’offenser et quereler autruy pour notre commodité. »101 C’était bien Montaigne, et non les auteurs auxquels il faisait allusion, qui désignait expressément les guerres civiles par la métaphore des « humeurs peccantes » qu’il fallait « écouler ailleurs », comme Botero allait ensuite le faire pour louer l’Espagne d’avoir su y exceller, contrairement à la France.

  • 102 Voir supra, citation.
  • 103 J. Bodin, Ibid.

62Mais si Botero a peut-être lu Montaigne, c’est bien le propos de Bodin qu’il suit de près, en le débarrassant complètement de toute considération morale ou juridique. Seule compte désormais l’efficacité des moyens de la conservation de l’État, dont les limites ne sont de toute façon plus définies par le droit mais par les seuls intérêts de l’Église et de la confession catholique. De fait, dès le début du chapitre, Botero ne s’embarrassait nullement de définir ce que pouvait être une juste cause de guerre, et il énumérait de façon générique toutes sortes d’entreprises militaires lui paraissant également légitimes, qu’elles soient défensives ou offensives, de conservation ou de conquête, pour l’honneur ou la prédation, pour soi ou pour autrui, politiques ou religieuses102. Chez tous les auteurs français, l’affirmation de « la guerre à l’ennemi » comme « moyen pour entretenir les sujects en amitié »103 était mise en relation, de façon plus ou moins heureuse et convaincante, avec la question de la guerre juste. Botero se contente à l’inverse d’en faire une pure et simple norme de gouvernement.

63Élaborée bien après la guerre, cette réflexion, qui conçoit la raison d’État dans et pour un contexte pacifié, non seulement n’oppose pas au bellicisme machiavélien une pensée de la paix, mais ne fait que renforcer une conception purement politique de la guerre, qui l’extrait dangereusement des limites que le droit pouvait s’efforcer de lui assigner. Cette tendance correspondait en fait à une radicalisation non pas tant de la pensée machiavélienne, mais des positions qui avaient émergé dans le contexte de dissolution généralisée des ordres politiques, institutionnels et juridiques de la France des guerres de religion : formulées par des juristes et encadrées plus ou moins solidement par leurs doctrines, ces positions acquéraient un poids inquiétant lorsqu’elles en étaient extraites et comme hypostasiées en maximes universelles de gouvernement. On remarquera, pour en terminer sur ce point, que ce n’est peut-être pas un hasard si le plus grand théoricien du droit de guerre de ces années-là, Alberico Gentili, dans son De iure belli de 1598, ne prit même pas en considération la possibilité qu’une guerre étrangère fût déclarée pour des raisons d’« utilité » ou de « nécessité » touchant l’ordre public intérieur – et ce alors même que Bodin était pour lui une source de première importance : il y avait là une parfaite incompatibilité.

64À Rome, à plusieurs dizaines d’années de distance, on observe donc deux phénomènes. À quelques mois de la violente condamnation de Machiavel par les institutions pontificales, des membres qui y évoluent reprennent ou acceptent que soit reprise une partie de son texte, sans le citer. Au moment même où Bodin est examiné et condamné par les autorités inquisitoriales, Botero – qui est lui-même consulteur de la Congrégation de l’Index – reprend et utilise des parties entières du texte bodinien, sans le citer bien sûr. Dans l’un et l’autre cas, l’Italie vit une longue période d’après-guerre. Or qu’emprunte-t-on à ces auteurs que l’on abhorre officiellement ? L’idée selon laquelle il ne faudrait jamais arrêter de penser à la guerre, de la préparer ou de la faire. Dans un cas, il s’agit d’exalter les conquêtes de l’Empire espagnol et de faire accepter sa pacification de la péninsule. Dans l’autre, il s’agit de faire de la « pacification des troubles », comme disaient les Français, c’est-à-dire de la quiete comme la désignaient euphémiquement les Italiens, le premier souci du prince. Pourtant, même lorsqu’on fait passer les raisons de la conservation avant celles de la conquête, on ne remplace pas la guerre par la paix. On a cessé de penser qu’après la guerre était la paix : bien au contraire, on a placé la guerre au principe de la paix.

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Bibliographie

Sources

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Notes

1  Une partie du propos de cette introduction a déjà été développée dans J.-L. Fournel et R. Descendre, « Des Guerres civiles à la guerre mondialisée : la pensée des guerres dites de religion en Italie (Botero et Campanella) », Les altres guerres de religió : Catalunya, Espanya, Europa (segles xvi-xix), X. Torres i Sans éd., Girona, Documenta Universitaria (Papers de l’IRH), 2012, p. 51-80 ; texte aussi édité en portugais : « Das guerras civis à guerra mundializada. O pensamento das guerras chamadas guerras de religião na Itália (Botero e Campanella) », Sujeito, sociedade, sentidos, G. Carrozza, M. dos Santos et T. Domingues da Silva éd., Campinas-São Paulo, RG Editora, 2012, p. 151-178.

2 L’expression est de Fernand Braudel et se trouve notamment dans la troisième partie, plus événementielle, de sa Méditerranée. Nous serons conduits à la nuancer plus loin au nom d’une distinction qui devient de plus en plus sensible au xvie siècle entre le monde et l’Europe. Voir F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, A. Colin, 1990 [1949], vol. II, p. 225 et suiv. (le titre donné au chapitre inaugural de la troisième partie est « 1550-1559 : reprise et fin d’une guerre mondiale »).

3 F. Braudel, Le modèle italien, Paris, Arthaud, 1989, p. 52. Ce texte reprend une contribution donnée à la Storia d’Italia, R. Romano et C. Vivanti éd., Turin, Einaudi, 1974, vol. II, t. II, p. 2092-2248.

4 B. Haan, Une paix pour l’éternité. Le traité du Cateau-Cambrésis, Madrid, Casa Velasquez, 2010.

5 Ibid., p. 1.

6 Ibid., p. 75.

7 Voir M. J. Levin, Agents of Empire. Spanish Ambassadors in Sixteenth-Century Italy, Ithaca, Cornell University Press, 2005.

8 Sur ce point, voir par exemple l’ouvrage de E. Bonora, Aspettando l’imperatore. Principi italiani tra il papa e Carlo V, Turin, Einaudi, 2014.

9 M. Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1976, M. Bertani et A. Fontana éd., Paris, Gallimard – Éd. du Seuil, 1997, p. 41.

10 C’est l’expression (qualità de’tempi) qu’utilise le plus souvent Machiavel ; Guicciardini l’emploie aussi à l’occasion, mais pour désigner une conjoncture, il dit plutôt la condizione de’tempi.

11 Même s’il faut attendre 1559, avec les traités du Cateau-Cambrésis, pour que la paix soit signée entre le royaume de France d’une part, l’Espagne et l’Empire de l’autre, on peut estimer qu’en Italie, la victoire des forces impériales est un fait après le couronnement à Bologne de l’Empereur Charles Quint en 1530.

12 N. Machiavelli, Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, I, vi, 24-28 : « Se alcuno volesse, per tanto, ordinare una republica di nuovo, arebbe a esaminare se volesse che ampliasse, come Roma, di dominio e di potenza, ovvero che la stesse dentro a brevi termini. Nel primo caso, è necessario ordinarla come Roma, e dare luogo a’ tumulti e alle dissensioni universali, il meglio che si può ; perché, sanza gran numero di uomini, e bene armati, mai una republica potrà crescere, o, se la crescerà, mantenersi. Nel secondo caso, la puoi ordinare come Sparta e come Vinegia : ma perché l’ampliare è il veleno di simili republiche, debbe, in tutti quelli modi che si può, chi le ordina proibire loro lo acquistare, perché tali acquisti fondati sopra una republica debole, sono al tutto la rovina sua. Come intervenne a Sparta ed a Vinegia : delle quali la prima, avendosi sottomessa quasi tutta la Grecia, mostrò in su uno minimo accidente il debile fondamento suo ; perché, seguita la ribellione di Tebe, causata da Pelopida, ribellandosi l’altre cittadi, rovinò al tutto quella republica. Similmente Vinegia, avendo occupato gran parte d’Italia, e la maggiore parte non con guerra ma con danari e con astuzia, come la ebbe a fare pruova delle forze sue, perdette in una giornata ogni cosa. »

13 D. Quaglioni, « Machiavelli e la lingua della giurisprudenza », Il Pensiero politico, 1999, vol. XXXII, no 2, p. 171-185 ; désormais dans D. Quaglioni, Machiavelli e la lingua della giurisprudenza, Bologne, Il Mulino, 2011, p. 171-185.

14 N. Machiavelli, Le Prince, xii, 3 : « Les principaux fondements que doivent avoir tous les États, les vieux comme les nouveaux ou les mixtes, sont les bonnes lois et les bonnes armes ; et puisqu’il ne peut y avoir de bonnes lois là où il n’y a pas de bonnes armes, et que là où il y a de bonnes armes il faut bien qu’il y ait de bonnes lois, je laisserai de côté les propos sur les lois et je parlerai des armes. » (nous soulignons)

15 N. Machiavelli, Discorsi, I, iv, 3 : « Là où il y a une bonne milice, il faut bien qu’il y ait un bon ordre » ; Discorsi, III, xxxi, 22 : « Le fondement de tous les états est la bonne milice et […] là où il n’y en a pas, il ne peut y avoir ni bonnes lois ni aucune autre bonne chose ».

16 N. Machiavelli, De Principatibus, xii, 9 : « onde che a Carlo re di Francia fu lecito pigliare la Italia col gesso ; e chi diceva come n’erono cagione e peccati nostri, diceva il vero ; ma non erano già quegli che credeva, ma questi che io ho narrati ; e perché gli erano peccati di principi, ne hanno patito le pene ancora loro. » Ces aspects sont développés dans J.-C. Zancarini, « “Se pourvoir d’armes propres” : Machiavel, les “péchés des princes” et comment les racheter », Astérion, 2009, no 6 (« L’ami et l’ennemi », M. Sénellart éd.), <http://asterion.revues.org/document1475.html> (consulté le 9 juin 2016).

17 N. Machiavelli, De Principatibus, xxvi, 22-25 : « E benché la fanteria svizzera e spagnuola sia existimata terribile, nondimanco in ambedua è difetto per il quale uno ordine terzo potrebbe non solamente opporsi loro, ma confidare di superargli. […] Puossi adunque, conosciuto il difetto dell’una e dell’altra di queste fanterie, ordinarne una di nuovo, la quale resista a’ cavalli e non abbia paura de’ fanti : il che lo farà la generazione delle arme e la variazione delli ordini… »

18 Ibid., x, 7-9 : « Le città della Magna sono liberissime, hanno poco contado et obbediscono allo Imperatore quando le vogliono, e non temono né quello né alcuno altro potente che le abbino intorno. Perché le sono in modo affortificate che ciascuno pensa la expugnazione di epse dovere essere tediosa e difficile : perché tutte hanno fossi e mura convenienti ; hanno artiglieria a ssufficienzia ; tengono sempre nelle canove publice da bere e da mangiare e da ardere per uno anno ; et oltre a questo, per potere tenere la plebe pasciuta e sanza perdita del publico, hanno sempre in comune da potere per uno anno dare da lavorare loro, in quelli exercizii che sieno el nervo e la vita di quella città e delle industrie de’ quali la plebe si pasca ; tengono ancora gli exercizii militari in reputazione, e sopra questo hanno molti ordini a mantenergli. »

19 « Pure io ho udito disputare qualcuno in contrario, e le ragione che loro allegano sono che ponendo quello fondamento che nessuno nega né può negare, che la milizia sua fussi buona, bisogna confessare che la cittá avessi buoni ordini, altrimenti non sarebbe stato possibile che avessi buona disciplina militare » (F. Guicciardini, Dialogo del reggimento di Firenze ; éd. it., p. 212 ; éd. fr., p. 280).

20 Ibid. (éd. it., p. 220 ; éd. fr., p. 287) : « se la cittá non avessi avuto la disciplina militare tanto viva, vivendo con quelle sedizione, sanza dubio precipitava ».

21 Ibid. (éd. it., p. 220-221 ; éd. fr., p. 287) : « Se avessino guerreggiato con le arme mercennarie ed in consequenzia avuto a valersi come fanno le cittá disarmate, della sollecitudine, della diligenzia, del vegghiare minutamente le cose, della industria e delle girandole, non dubitate che vivendo drento come facevano, pochi anni la arebbono rovinata. »

22 Ibid. (éd. it., p. 223 ; éd. fr., p. 289) : « la disciplina militare fu ordinata da’ re e si può dire che nascessi con la cittá, e sanza dubio se si avessi avuta a ordinare in quelli tempi tumultuosi che furono qualche volta per rovinarla, non si ordinava mai. »

23 N. Machiavelli, Decennale primo dans Opere, vol. I, p. 107.

24 F. Guicciardini, Dialogo…, proemio (éd. it., p. 18 ; éd. fr., p. 111) : « uno modo di vivere con la libertá onesta, bene composta e bene ordinata ».

25 Ibid. (éd. it., p. 228 ; éd. fr., p. 294) : « E per questa ragione insieme con le altre, se oltramontani staranno in Italia come io credo che staranno, vi conforterei, recuperato che avessi Pisa, a conservare el vostro. Pure lo acquistare è cosa dolce, e gli accidenti del mondo vanno in modo che anche e’ piú savi si ingannano quasi sempre nel fare giudicio de’ successi de’ casi particulari, e l’uomo molte volte si immagina che una cosa abbia a andare per uno verso, che poi riesce tutto el contrario. Però quando el male di che l’uomo teme non è molto propinquo o molto certo, ed a comparazione sua el bene di che si ha occasione non è minimo, chi lo lascia resta sanza esso, e di poi spesso non viene quello di che si temeva, tanto che per uno timore vano si perde la occasione di uno certo bene. Per questo, durando e’ frangenti in che al presente si truovi Italia, non ardirei dare regola certa se non in uno caso solo : che vi astegnate da quelle imprese di acquistare che non sono molto nette e che allora vi possono mettere in pericoli e travagli, e negli altri casi vi governiate secondo la qualitá de’ tempi ed accidenti che allora correranno. »

26 F. Guicciardini, Storia d’Italia, XX, i (éd. it., vol. III, p. 2037 ; éd. fr., vol. II, p. 643) : « Posto, per la pace e confederazione predetta, fine a sí lunghe e gravi guerre, continuate piú di otto anni con accidenti tanto orribili, restò Italia tutta libera da’ tumulti e da’ pericoli delle armi, eccetto la città di Firenze ; la guerra della quale aveva giovato alla pace degli altri, ma la pace degli altri aggravava la guerra loro. »

27 Ibid., XX, ii (éd. it., vol. III, p. 2048 ; éd. fr., vol. II, p. 653) : « Dove, come furono partiti tutti i soldati, cominciorono i supplizi e le persecuzioni de’ cittadini : perché quegli in mano di chi era il governo, parte per assicurare meglio lo stato, parte per lo sdegno conceputo contro agli autori di tanti mali e per la memoria delle ingiurie ricevute privatamente, ma principalmente perché cosí fu (benché lo manifestasse a pochi) la intenzione del pontefice, interpretorono, osservando forse la superficie delle parole ma cavillando il senso, che il capitolo per il quale si prometteva la venia a chi avesse ingiuriato il pontefice e gli amici suoi non cancellasse le ingiurie e i delitti commessi da loro nelle cose della republica. Però, messa la cognizione in mano de’ magistrati, ne furono decapitati sei de’ principali, altri incarcerati e relegatine grandissimo numero. Per il che essendo indebolita piú la città, e messi in maggiore necessità quegli che avevano partecipato in queste cose, restò piú libera e piú assoluta e quasi regia la potestà de’ Medici in quella città, restata per sí lunga e grave guerra esaustissima di denari, privata dentro e fuora di molti abitatori, perdute le case e le sostanze, e piú che mai divisa in se medesima : la quale povertà fece ancora maggiore la necessità di provedere, per piú anni, di paesi esterni alle vettovaglie del paese. »

28 Ibid., XX, v (éd. it., vol. III, p. 2057 ; éd. fr., vol. II, p. 660).

29 Ibid., XX, iii (éd. it., vol. III, p. 2049 ; éd. fr., vol. II, p. 654).

30 Ibid., I, i (éd. it., vol. I, p. 6 ; éd. fr., vol. I, p. 4) : « Perché, ridotta tutta in somma pace e tranquillità, coltivata non meno ne’ luoghi piú montuosi e piú sterili che nelle pianure e regioni sue piú fertili, né sottoposta a altro imperio che de’ suoi medesimi, non solo era abbondantissima d’abitatori, di mercatanzie e di ricchezze ; ma illustrata sommamente dalla magnificenza di molti príncipi, dallo splendore di molte nobilissime e bellissime città, dalla sedia e maestà della religione, fioriva d’uomini prestantissimi nella amministrazione delle cose publiche, e di ingegni molto nobili in tutte le dottrine e in qualunque arte preclara e industriosa ; né priva secondo l’uso di quella età di gloria militare e ornatissima di tante doti, meritamente appresso a tutte le nazioni nome e fama chiarissima riteneva. »

31 Cette description de la paix et de la prospérité italiennes ne correspondait que partiellement à la réalité de la péninsule dans les dernières décennies du xve siècle.

32 Dans les Storie fiorentine (1508), le Discorso di Logrogno (1512), le Dialogo del reggimento di Firenze (1521-1525), on trouve des formulations qui montrent que l’analyse de Guicciardini sur les conséquences de la période de guerre qu’ouvre l’arrivée des Français est sensiblement la même que celle qui est à l’œuvre dans la Storia d’Italia. La unione d’Italia a été brisée par l’irruption des troupes étrangères : « Ora per questa passata de’ franciosi, come per una subita tempesta rivoltatasi sottosopra ogni cosa, si roppe e squarciò la unione di Italia », écrit Guicciardini dans les Storie fiorentine, chap. XI ; la formule est reprise dans le Dialogo del reggimento di Firenze, une quinzaine d’années plus tard : « la unione d’Italia è conquassata, e sono rotti quelli vinculi che la tenevano ferma » (éd. it., p. 110 ; éd. fr., p. 191). Il ne s’agit pas d’une vision idéalisée et encore moins de l’idée de l’unité nationale ; pour Guicciardini « l’unione d’Italia » est une situation d’équilibre difficile à conserver, rien de plus mais rien de moins non plus. La métaphore récurrente de la « balance » est indicative ; nous avons vu que Guicciardini l’utilisait dans la Storia d’Italia ; elle figure également dans les Storie fiorentine. Dans ce texte de jeunesse, lorsqu’il explique la situation de Florence au moment de la mort de Laurent de Médicis, il déclare que la cité permettait de maintenir l’équilibre de l’Italie : « [era] quasi una bilancia di tutta Italia », Storie fiorentine, chap. IX.

33 N. Machiavelli, De Principatibus, xv, 3 ; F. Guicciardini, Dialogo… (éd. it. p. 231 ; éd. fr. p. 298).

34 On peut lire les textes des historiens florentins du xvie siècle sur le site Imago historiae. Biblioteca digitale degli storici italiani dell’umanesimo e del rinascimento : <http://imagohistoriae.filosofia.sns.it> (consulté le 9 juin 2016).

35 B. Segni, Istorie fiorentine dall’anno mdxxvii al mdlv, 1857.

36 F. de’ Nerli, Commentari de’ fatti civili occorsi nella città di Firenze dal 1215 al 1537, S. Russo éd., sous la dir. de M. Palumbo, a.a. 2005-2006, http://www.fedoa.unina.it/2921/1/Russo_Il_Testo_tra_Filologia_e_Storia.pdf (consulté le 9 juin 2016).

37 F. de’ Nerli, Commentari…, p. 302, § 133 : « non pare che anche più occorra fare memoria de’ fatti civili della nostra città, perch’essend’ella ridotta sotto il governo d’un tanto principe, non doveranno i nostri cittadini aver più cagione di contendere civilmente insieme delle cose dello stato o del governo della città, essendo tutta la somma del governo ridotta nell’arbitrio d’un sol principe e d’un solo signore […] ». Voir aussi, sur ce point, l’ouvrage de C. Callard, Le Prince et la République. Histoire, pouvoir et société dans la Florence des Médicis au xviie siècle, Paris, Presses de la Sorbonne, 2007.

38 L’editio princeps des seize premiers livres de la Storia d’Italia occupe chez l’éditeur Torrentino une place particulière, ne serait-ce que parce que parmi ses 253 éditions, on ne compte que 18 œuvres classiques et aucune publication politico-historiographique. Cette singularité naît aussi de ce qu’il s’agit là du premier livre publié écrit par un homme que les Florentins connaissent d’abord comme un politique, comme un acteur de premier plan des conflits (intérieurs et extérieurs) passés. À la différence de son ami Machiavel, Francesco Guicciardini n’avait jamais eu la réputation d’être un « écrivain » politique, encore moins un littérateur. Les Florentins qui peuvent le lire en 1561 se rappellent plus probablement de lui comme homme de guerre, « lieutenant-général » du pape Clément VII pendant la Ligue de Cognac, comme un des responsables de la répression des républicains après la chute de la ville en août 1530 (on l’affubla même du surnom de Ser Cerettieri à cette occasion – en souvenir d’un des hommes de main du tyran Gauthier de Brienne au pouvoir à Florence au milieu du xive siècle), ou comme celui qui, avec Francesco Vettori, s’en alla chercher le jeune Cosme de Médicis en 1537, après l’assassinat du duc Alexandre. Très vite cette opération éditoriale florentine trouve ses lecteurs ailleurs que sur les bords de l’Arno : elle est rééditée à Venise (Giolito, 1564), on y ajoute les quatre derniers livres (Giolito, 1567), et elle est traduite rapidement en français (en 1568) et en latin (par l’exilé lucquois Celio Curione en 1566, pour l’éditeur Pietro Perna à Bâle, qui va aussi éditer une importante traduction latine du Prince).

39 Première édition française : Histoire d’Italie de Messire François Guicciardin Gentilhomme Florentin, translatée d’italien en françoys […] par Hierosme Chomedey Gentilhomme & Conseiller de la ville de Paris, à Paris, pour Vincent Norment et Ieanne Bruneau, 1568. Elle est rééditée en 1577, 1593, 1612 ; une nouvelle traduction paraît en 1738 ; à partir de 1577, le livre paraît sous le titre d’Histoire des guerres d’Italie.

40 Voir F. Guicciardini, Histoire d’Italie, J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini éd., Paris, R. Laffont, 1996, vol. I, p. 185 (« per essere dissoluta l’antica unione degli altri potentati e indebolita una parte di coloro che solevano opporsegli, abbracciavano già co’ pensieri e con le speranze la monarchia d’Italia »). Voir aussi Ibid., liv. III, ch. 4, p. 196 sq. (« Però, proponendosi innanzi agli occhi la debolezza e la disunione degli altri italiani, la potenza e la fortuna grande della republica viniziana, la magnanimità e gli esempli gloriosi de’ padri loro, accettassino con franco animo la protezione de’ pisani, per la quale perverrebbe loro effettualmente la signoria di quella città, uno senza dubbio degli scaglioni opportunissimi a salire alla monarchia di tutta Italia ») et Ibid., liv. VII, ch. 10, p. 531 sqq.

41 Voir A. Tenenti, Cristoforo da Canal. La marine vénitienne avant Lépante, Paris, SEVPEN, 1964 et aussi, plus récemment, C. Judde de Larivière, Naviguer, commercer, gouverner. Économie maritime et pouvoirs à Venise (xve-xvie siècles), Leyde, Brill, 2008 (avec bibliographie).

42 Sur Agnadel, voir M. Meschini, La battaglia di Agnadello / Ghiaradadda 14 maggio 1509, Azzano San Paolo, Bolis Edizioni, 2009 et les études récentes de F. Alazard, notamment son travail inédit d’Habilitation à diriger des recherches, présentée à l’Université Paris 1 en 2013 sous le titre Agnadel 1509 : « tres excellente victoire » e « miseranda rotta », une histoire partagée. Gigliola Fragnito, biographe de Contarini, note quant à elle : « negli anni cruciali di Agnadello, rimeditati dal patrizio alla luce della sua esperienza diplomatica, che conducendolo a collocare Venezia in un contesto europeo, gli aveva consentito di misurare il progressivo scemare della sua effettiva potenza » (G. Fragnito, Gasparo Contarini. Un magistrato veneziano al servizio della cristianità, Florence, L. Olschki, 1988, p. 24).

43 Sur l’existence d’un système guerre-paix, voir J.-L. Fournel et J.-C. Zancarini, « Guerra e Pace », Enciclopedia Machiavelliana, Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 2014, t. 1, p. 674-679.

44 L’édition en latin fut suivie l’année suivante d’une traduction en langue vulgaire italienne puis d’une traduction en français (Des Magistrats et république de Venise, composé par Gaspar Contarin, et traduit du latin en vulgaire françois par Jehan Charrier, Paris, Galiot du Pré, 1544 ; traduction rééditée en 1557 à Lyon sous un autre titre – La Police et gouvernement de la République de Venise, mise en langue françoise par Jehan Charrier, Lyon, B. Rigaud et J. Saugrain, 1557). La traduction française est l’œuvre de Jean Charrier, qui publie aussi dans les mêmes années sa traduction de l’Art de la guerre de Machiavel. La traduction italienne est réalisée par Giovanni Antonio Clario sous le pseudonyme d’Eranchirio Anditimi (voir, sur ce dernier, A. Ricciardi, « Giovanni Antonio Clario. Un ebolitano nella Venezia del Cinquecento » in AA.VV Studi e Ricerche su Eboli II, Salerno, Laveglia, 2005, p. 35-178, cité dans C. Negrato, Lingua e Linguaggio nei dispacci di G. Contarini, thèse de doctorat, Études italiennes, 2012, université « Ca’ Foscari » de Venise et université Paris 8-Vincennes-à-Saint-Denis. Une traduction anglaise a paru en 1599 (G. Contarini, The Commonwealth and Gouvernment of Venice. Written by Cardinall Gasper Contareno, and Translated out of Italian into English, by Lewes Lewkenor Esquire, Imprented by Iohn Windet for Edmund Mattes, Londres, 1599 – sur laquelle on consultera M.‑S. Florio, « Gasparo Contarini e la traduzione inglese del suo trattato sulla Repubblica di Venezia (1543) », Ateneo Veneto : Rivista di scienze, lettere ed arti, 2010, vol. CXCVII, terza serie, no 9/II, p. 83-122.

45 G. Fragnito, op. cit., p. 123-124, propose une datation de la rédaction entre 1524 et 1532. Voir aussi F. Gilbert, « The dates of composition of Contarini’s and Gianotti’s Books on Venice », Studies in the Renaissance, 1967, vol. 14, p. 172-184. Voir aussi l’entrée « Contarini, Gasparo » du Dizionario biografico degli italiani (Rome, Istituto della Enciclopedia Italiana, 1983, t. 28, p. 172-192) rédigée par Gigliola Fragnito. Le rapport de Contarini aux affaires politiques est tourmenté : préoccupé d’abord par sa formation philosophique, Gasparo Contarini n’a, semble-t-il, pris conscience de la gravité de la situation après Agnadel qu’au bout de quelques années. Dans l’entrée du Dizionario biografico degli italiani, G. Fragnito va ainsi jusqu’à écrire : « Il suo ingresso nell’amministrazione statale fu, tuttavia, inspiegabilmente tardivo, come inspiegabilmente tardiva appare la percezione da parte del C. e dei suoi fratelli della gravità della situazione politico-militare. Infatti, non prima dell’autunno del 1513, quando i cannoni spagnoli verranno puntati sulla stessa Venezia, egli si decise a contribuire all’ingente sforzo bellico sostenuto dal patriziato lagunare, inviando uno dei suoi fratelli a Padova con 15 fanti. »

46 G. Fragnito, loc. cit., écrit ainsi que « che nella scrittura del trattato, non sono trascurabili in tal senso l’incontro con Thomas More in Fiandra e in Inghilterra nel 1521 e nel 1522 ed il rinnovato contatto con la discussione politica fiorentina attraverso l’oratore in Spagna Giovanni Corsi, allievo del Diacceto, biografo del Ficino, frequentatore degli Orti Oricellari ».

47 Voir I. Cervelli, Machiavelli e la crisi dello stato veneziano, Naples, Guida, 1974, ainsi que l’entrée « Venezia » rédigée par Romain Descendre dans l’Enciclopedia machiavelliana (op. cit., t. 2, p. 654-658) qui propose une cartographie précise de ces passages anti-vénitiens de Machiavel dans son œuvre, en montrant ainsi que la chose date y compris d’avant la défaite d’Agnadel. Pour quelques-uns de ces textes, voir notamment Machiavel, Discours, I, 1 ; I, 5-6 ; I, 35 ; I, 55 ; III, 12 ; III, 31.

48 Voir F. Gaeta, « Alcune considerazioni sul mito di Venezia », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, 1961, t. 23, no 1, p. 58-75, ainsi que J.-L. Fournel, « Le modèle politique vénitien : notes sur la constitution d’un mythe », Revue de synthèse, 1997, vol. 118, no 2-3, p. 207-219 (numéro monographique Théories de la libre république du Quattrocento aux Lumières, avec bibliographie).

49 Voir sur ce point F. Gilbert « La constitution vénitienne dans la pensée politique florentine », Florentine studies : Politics and society in Renaissance Florence, N. Rubinstein éd., Londres, Faber and Faber, 1968, et l’ouvrage collectif, Florence and Venice, Comparison and Relations : acts of two Conferences at Villa I Tatti in 1976-1977, S. Bertelli, N. Rubinstein et C. Hugh Smyth éd., Florence, La Nuova Italia, 1979-1980, 2 vol.

50 De Magistratibus & Repvblica Venetorvm Libri quinque, authore Gaspare Contareno Patricio Veneto, Paris, M. Vascosa, 1543, p. 113-114. « Comme les princes chrétiens avaient conclu une ligue afin de ruiner et de détruire le renom/nom de Venise (et comme notre armée avait été mise en déroute par Louis Roi de France, du côté de la ville de Cassano, sur le territoire de Crémone, comme elle avait subi un désastre) et comme les Allemands se tenaient prêts par ici et le souverain pontife romain Jules II par là, et comme toute la terre ferme vénitienne s’était rebellée contre l’empire de Venise, le peuple de Venise ballotté et réduit à de telles extrémités ne se dressa pas contre les nobles, qui, les larmes aux yeux, offrirent leurs personnes et leurs biens pour la défense de la république et de même qu’ils offraient tout cela par des mots ils mirent les choses en œuvre par des faits. »

51 On peut aussi étudier le « mythe de Venise » à partir de ses traces médiévales comme l’a fait Elisabeth Crouzet-Pavan – mais dans ce dernier cas, c’est surtout le site exceptionnel qui compte. Voir E. Crouzet-Pavan, Venise triomphante : les horizons d’un mythe, Paris, A. Michel, 2004 [1999]. Sur le mythe de Venise, voir aussi Venise 1297-1797. La république des castors, A. Fontana et G. Saro éd., Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1997 et Venice Reconsidered. The History and Civilization of an Italian City-State, J. Jeffries Martin, D. Romano éd., Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2000.

52 Voir F. Tateo, I miti della storiografia umanistica, Rome, Bulzoni, 1990, p. 181-222.

53 G. Contarini, op. cit., p. 113.

54 Ibid., p. 114

55 Voir sur ce point les études rassemblées par Wolfgang Kaiser, et notamment J. Dakhlia et W. Kaiser éd., Les Musulmans dans l’histoire de l’Europe, t. II : Passages et contacts en Méditerranée, Paris, A. Michel, 2013.

56 Voir, sur ce point, l’étude de R. Finlay, « Fabius Maximus in Venice : Doge Andrea Gritti, the War of Cambrai, and the Rise of Habsbourg Hegemony, 1509-1530 », Renaissance Quarterly, 2000, vol. 53, no 4, p. 988-1031 ; réédité dans R. Finlay, Venice Besieged. Politics and Diplomacy in the Italian Wars, 1494-1534, Aldershot, Ashgate, 2008.

57 Voir par exemple de Palma il Giovane, Venise couronnée par la Victoire (1578-1579, toile réalisée après l’incendie du palais) dans la salle du Grand Conseil au Palais des doges.

58 Voir sur ce point les travaux d’Alessandro Fontana, notamment « L’échange diplomatique. Les relations des ambassadeurs vénitiens en France pendant la Renaissance », dans La circulation des hommes et des œuvres entre la France et l’Italie pendant la Renaissance, Paris, Université de la Sorbonne Nouvelle, 1992, p. 19-37 et « Les ambassadeurs après 1494 : la diplomatie et la politique nouvelles », dans Italie 1494, A. Ch. Fiorato éd., Paris, Presses de la Sorbonne, 1994, p. 143-178.

59 Le récit, dans les Istorie veneziane de Paruta, prend la suite de celui de Bembo : elles commencent donc à partir de 1512 et de la mort de Jules II. La question du binôme quiete/sicurtà y est cruciale et réitérée. La neutralité vénitienne est louée en permanence, la seule guerre positive étant celle à mener contre le Turc dont Paruta fera d’ailleurs un livre autonome (Della guerra di Cipro) et une histoire spécifique dans laquelle la quiete est beaucoup moins présente. Venise est célébrée comme une ville de paix qui n’aime pas la guerre dès le début de cette œuvre qui, par la date de sa rédaction, est au cœur de l’après-guerre vénitien. On remarquera en effet que Paruta est choisi comme historiographe officiel de la République en 1580 (les trois premiers livres furent écrits en latin assez rapidement entre 1580 et 1583).

60 Perfezione della vita politica (nous suivons pour nos citations une édition numérisée préparée par Marco Giani à partir de l’édition du xixe siècle) : « Conciossiaché le virtù morali sono buone perché sono necessarie, come quelle che ritrovate furono per supplire a’ nostri difetti : onde per se stesse non vengono ad aver rispetto di vero e proprio bene ; perciocché la fortezza si prezza per li pericoli della guerra, la giustizia per l’ingiuria, la temperanza per la ribellione del senso dalla ragione. Onde saria meglio, che vivendosi sempre in pace cogli esterni, in amicizia co’ cittadini e in concordia con noi stessi, non ci avesse a venir mai occasione d’usare alcuna di tali virtù ; le quali però si ponno annoverare tra’ beni anzi utili che onorabili. Da questo si tragge, la felicità civile esser molto inferiore di dignità alla speculativa : perciocché, ove quella è perfezione della nostra imperfezione, questa è perfezione d’altra perfezione ; cioè dell’intelletto, per cui l’uomo ha l’essere suo vero e perfetto. »

61 On a là un topos qui se trouve dans d’autres textes contemporains comme la Relatione della republica venetiana de Botero (1605) : « Egli è fuor d’ogni dubbio, e contesa, che la Republica Romana, e la Venetiana a tutte l’altre republiche dell’universo, delle quali si habbia, o per historie antiche, o per relationi moderne, notitia, si debbano di gran lunga – quella per la militare, questa per la civile disciplina ; quella per l’ampiezza, questa per la stabilità dell’impero – anteporre. Ma cosa di gran meraviglia è la differenza, anzi contrarietà de i mezi, per li quali l’una, e l’altra, sia a tanta grandezza di dominio e di gloria salita » (f. 1r) ; d’où l’avis, dans le parallèle des anciens et des modernes entre les deux républiques, que « la Romana avanza la Veneta nella moltitudine delle vittorie, nella grandezza degli acquisti, e dell’imperio : dall’altra parte questa supera quella nell’arti della pace, nella moderatione del governo, nella gloria della giustitia, e nella durevole fermezza dello stato » (f. 3r).

62 On pourrait remarquer au passage que l’on retrouve une posture semblable dans un texte conçu pour être à la fois un modèle de cité utopique et un éloge de Venise : la Città felice de l’Istrien Francesco Patrizi. Sur ce point, voir J.-L. Fournel, « Les guerres de l’Utopie : considérations sur Thomas More, Francesco Patrizi et Tommaso Campanella », Laboratoire italien, 2010, no 10 (« Justice et armes au xvie siècle », D. Quaglioni et J.-C. Zancarini éd.), p. 129-154

63 C’est le cas aussi dans son Histoire de Venise, qui sortira posthume en 1605 et qui reprend l’histoire de la Sérénissime depuis 1512 : le choix de publier ce texte est pour le moins un indice que sa structure et ses axes de lecture sont compatibles avec une époque de la politique vénitienne marquée par un conflit ouvert avec Rome (et qui va déboucher sur l’Interdit de 1606).

64 Voir sa thèse de doctorat soutenue en avril 2012 à l’université Ca’ Foscari de Venise (préparée en cotutelle avec l’Université Paris 8) intitulée Paolo Paruta : il lessico della politica. L’ensemble de ce travail ainsi que les conversations que l’un d’entre nous a pu avoir avec Marco Giani ont nourri une partie de la réflexion dans les pages qui précèdent.

65 Voir sur ce point la contribution récente présentée par Marco Giani au congrès de l’ASLI (Naples, 2014) sur l’equilibrio chez Paruta (à paraître).

66 Sur les positions de Botero sur l’équilibre et sur la Relatione della republica venetiana, voir R. Descendre, L’État du Monde. Giovanni Botero entre raison d’État et géopolitique, Genève, Droz, 2009, p. 324-331.

67 G. Botero, Relatione della republica venetiana […] con un discorso intorno allo Stato della Chiesa, Venise, Giorgio Varisco, 1605, f. 8v (« il contrapesare in materia di stato, non è altro che uno impedire & un riparare che altri non sgomini la quiete, e non metta in pericolo la sicurezza degli stati »).

68 Ibid., f. 9r (« Ma prima di passar inanzi, presupponiamo, che dove non è pluralità di prencipi, quivi (se forse non bisognasse le parti, e le fattioni tra i sudditi contrapesare) non possa haver luogo il contrapeso, del quale ragionamo. Il che si vede chiaramente in Spagna, in Inghilterra, in Francia, in Polonia, & in altri regni, stati prima divisi in più prencipati, e poi sotto una corona uniti. Adunque se tutto il mondo fosse di una Republica o di un Prencipe, l’arte del contrapesare sarebbe soverchia, e la necessità nulla : ma la pluralità de’ prencipi segue, che il contrapeso sia utile e buono non per natura sua, ma per accidente. Et è di due sorti. Perché alle volte ha per fine la pace d’una Republica composta di più stati differenti, quale è l’Italia, e l’Alemagna, e la Christianità tutta insieme : alle volte la sicurezza, e ben essere di uno Stato particolare. Nel primo caso il contrapeso consiste in una certa aguaglianza, per la quale il corpo della Republica non habbia membri, che non siano tra sé proportionati, e con una certa equalità bilanciati ; né penda per soverchio peso più da questa parte che da quella : nel che valse già assai Lorenzo de’ Medici, Prencipe della Republica Fiorentina », où l’on retrouve la thèse de l’ouverture de l’Histoire d’Italie de Guicciardini.

69 Ibid., f. 9v (« Ma il contrapeso che ha per oggetto la sicurezza particolare di uno Stato, tocca a chiunque ha dominio, e se ne vuole, senza i cenni altrui, assicurare »).

70 Ibid., f. 9v-10r (« il contrapeso ha per fondamento l’ordine della natura, e il lume della ragione (conciosia cosa che si come egli è lecito ribattere la forza con la forza cosi egli è parimente lecito il providere, che non venga caso, nel quale tu sii necessitato a ciò fare) quindi nasce, che senza che altri debba dolersene, a ogni uno convenga cercar oppositione alla potenza non solo sospetta, e nimica, ma anche confidente e congiunta seco, ma che col tempo pericolosa a sé e alle cose sue possa riuscire »).

71 Même si Botero n’est pas romain et n’est pas à Rome quand il écrit sa « relatione », il peut être considéré comme un “intellectuel organique” de la Curie.

72 Voir sur ce point la fin du premier chapitre de E. Fasano Guarini, Republiche e principi, Bologne, Il Mulino, 2010, p. 88-90. Voir aussi, surtout, l’ensemble des travaux de Romain Descendre sur Botero.

73 Une partie du propos qui suit a déjà été développée dans J.-L. Fournel et R. Descendre, « Des Guerres civiles à la guerre mondialisée… » (2012), ainsi que dans R. Descendre, « L’État, le droit, le territoire : domination territoriale et crise du modèle juridique dans la pensée politique italienne du xvie siècle », Giornale critico della filosofia italiana, 2014, vol. XCIII, nᵒ 1, p. 11-25.

74 P. de Cieza de León, La prima parte de la cronica del grandissimo regno del Perù […] tradotta pur hora nella nostra lingua italiana per Augustino de Cravaliz, Rome, Valerio e Luigi Dorico, 1555 ; F. López de Gómara, Historia di Mexico, et quando si discoperse la nuova Hispagna, conquistata per l’illustriss. et valoroso principe don Ferdinando Cortes […] tradotta nel volgare italiano per Augustino de Cravaliz, Rome, Valerio e Luigi Dorico, 1555 ; La historia generale delle Indie occidentali, con tutti li discoprimenti, & cose notabili, che in esse sono successe, da che si acquistorno fino a hora […] tradotta nel volgare italiano per Augustino de Cravaliz, Rome, Valerio e Luigi Dorico, 1556. Viennent de paraître deux études consacrées à la pratique de traducteur de Cravaliz : C. Albertin, « Le traduzioni italiane cinquecentesche della Crónica del Perú di Pedro de Cieza de León », dans Actas del XXVIe Congreso Internacional de Lingüística y de Filología Románicas, vol. VIII, E. Casanova Herrero et C. Calvo Rigual éd., Berlin, W. de Gruyter, 2013, p. 329-339 et « Las traducciones al italiano de las crónicas de Indias en la segunda mitad del siglo XVI », Orillas. Rivista d’ispanistica, 2013, no 2, http://orillas.cab.unipd.it/orillas/en/02_17albertin_astilleros/ (consulté le 9 juin 2016).

75 L. Binotti, « Cultural identity and the ideologies of translation in sixteenth-century Europe : Italian prologues to Spanish chronicles of the new world », History of European Ideas, 1992, vol. xiv, no 6, p. 769-788.

76 « I grandi et maravigliosi imperii non solamente con la religione et con le leggi (Illustriss. et Reverendiss. Signore) ma ancora con le armi, hanno ogni hora mostrato al mondo la grandezza delle estreme lor forze, et sparso di ogni intorno la maraviglia del lor sommo valore, aprendosi col ferro la strada per le strette foci, et per gli occulti golfi dell’impetuoso mare, per le profonde, et precipitose valli, et per gli alti, et asprissimi monti, a molti principati, et a molti regni ; là onde, quantunque tra gli huomini più lodati, et famosi, si giudichino degni di non picciola lode i fondatori delle religioni, et appresso i dattori delle leggi, sono nondimeno oltre a tutti laudatissimi i principi che preposti a gli esserciti hanno ampliato il regno loro, o i confini della patria » ; je cite d’après la deuxième édition : P. de Cieza de León, Cronica del gran regno del Perù, con la descrittione di tutte le provincie, e costumi, e riti, con le nuove città edificate, et altre strane et maravigliose notitie. Parte prima. Scritta da Pietro di Cieca di Lione in lingua spagnuola. Tradotta nella italiana per Agostino di Cravaliz, Venezia, Francesco Lorenzini da Turino, 1560, non paginé.

77 « il perché si dee sforzare ogni Principe non havere altro oggetto né altro pensiero, se non gli ordini, et gli essercitii della guerra ; percioché la guerra è sola arte che convien a chi comanda, et è di tanta virtù che non solo mantiene quei che son nati Principi, ma molte volte fa gli huomini di picciola, et privata fortuna salire ad alti, et honoratissimi gradi, sì come all’incontro quando non se ne è fatto stima ; tutti i più grandi sono, o ruvinati, o caduti al basso, non si dovria per tanto non solo mai levare il pensiero dallo essercitio delle armi, ma nella pace non meno essercitarle che nella guerra. » Ibid.

78 N. Machiavelli, De Principatibus, xiv, 1-2 : « Debbe dunque uno principe non avere altro obietto né altro pensiero né prehendere cosa alcuna per sua arte, fuora della guerra et ordini e disciplina di epsa ; perché quella è sola arte che si aspetta a chi comanda, et è di tanta virtù che non solamente mantiene quelli che sono nati principi, ma molte volte fa gli uomini di privata fortuna salire a quello grado. E per adverso si vede che, quando e principi hanno pensato più alle delicatezze che alle arme, hanno perso lo stato loro » ; xiv, 7 : « Debbe pertanto mai levare il pensiero da questo exercizio della guerra ; e nella pace vi si debbe più exercitare che nella guerra. »

79 « Non piacque a Dio, che riposassero quelle vittoriose armi, et natione inclinata alla militia, et destinata ad imprese più gloriose, et nuovi acquisti ; perché calando in Italia il Re Carlo VIII di Francia alla conquista del Regno di Napoli, havendo gelosie il Catolico Re delle sua Isola di Sicilia, mandò con il gran Capitano sussidio di gente per guardarla, et aiutare il Re di Napoli suo parente, laqual cosa fu principio di far venire le cose d’Italia a i termini che hoggidì si ritrovano, con ruina di chi ne fu causa di farlo venire, quasi nel medesimo tempo per permissione Divina, et per la patientissima fatica et constantia del glorioso Christofano Colombo nativo di Savona, et guidato da Iddio, si fece da i Spagnuoli il gloriosissimo viaggio, che fu principio di acquistare quel nuovo mondo, gli habitanti del quale havendogli prima conquistati, parte con l’armi, et parte con le prediche et ammonitioni delle sacre lettere hanno ridotto alla Fede di Christo, al gremio della Santa madre chiesa », dans P. de Cieza de León, Cronica, op. cit., n. p.

80 Voir, sur ce point, J.-L. Fournel, « Une république de guerre : Florence (1494-1530) », La République dans tous ses états. Pour une histoire intellectuelle de la république en Europe, études réunies par C. Moatti et M. Riot-Sarcey, Paris, Payot-Rivages, 2009, p. 187-225 et 342-346.

81 R. Descendre, « Introduction », dans G. Botero, De la raison d’État (1589-1598), éd., trad. et notes de P. Benedittini et R. Descendre, Paris, Gallimard, 2014, p. 7-57 ; R. Descendre, L’État du Monde. Giovanni Botero entre raison d’État et géopolitique, op. cit.

82 D. Quaglioni, I limiti della sovranità. Il pensiero di Jean Bodin nella cultura politica e giuridica dell’età moderna, Padoue, Cedam, 1992.

83 G. Botero, De la raison d’État, op. cit., III, 3, « Des entreprises de guerre », p. 175. « Ma molto maggior trattenimento portano seco l’imprese militari, perché non è cosa che più sospenda gli animi della gente che le guerre d’importanza, e che s’imprendono o per assicurare i confini, o per ampliar l’imperio e per acquistare giustamente ricchezze e gloria, o per difendere gli aderenti, o per favorire gli amici, o per conservare la religione e’l culto di Dio ; perché a simili imprese sogliono andar tutti quei che vagliono qualche cosa con la mano e col conseglio, et ivi sfogano contra i nemici communi i loro umori ; il resto del popolo, o va dietro al capo per condurvi vettovaglie e per farvi altro simile servizio, o resta a casa dove o porge preghiere e voti al Signor Dio per la consecuzione della vittoria, o sta sospeso dell’espettazione e de’ successi della guerra, di tal maniera che non resta negli animi de’ sudditi luogo nissuno per le rivolte, tanto sono tutti, o con l’opera o col pensiero, occupati nell’impresa. » G. Botero, Della ragion di Stato, P. Benedittini et R. Descendre éd., introd. de R. Descendre, Turin, Einaudi, 2016, p. 103.

84 G. Botero, De la raison d’État, p. 175-176. « A questo rimedio come ad un’ancora di rispetto riccorrevano ordinariamente i Romani nelle sedizioni della plebe : menavano l’essercito in campagna contra nemici ; così acquetavano gli animi pieni di mal talento contra i nobili ; e Cimone, veggendo che la gioventù ateniese non sapeva starsi queta, armatene ducento galere, la menò a far prova del suo valore contra Persiani. » (G. Botero, Della ragion di Stato, p. 103).

85 Voir en particulier Tite-Live, Histoire romaine, trad. J. Bayet & G. Baillet, Paris, Les Belles lettres, 1991, liv. II, ch. 44-45, p. 57-61.

86 Tite-Live, Ibid., ch. 64, p. 94-96.

87 Ainsi, sur la question des dettes, voir Tite-Live, Ibid., ch. 24-32, p. 35-49.

88 Le jugement de Tite-Live va d’ailleurs, à l’occasion, entièrement en sens inverse : ainsi, quand, « sous prétexte que les Èques reprenaient les hostilités, on donna l’ordre aux légions d’entrer en campagne », quo facto maturata est seditio : « cela ne fit que hâter la révolte » (Ibid., ch. 32, 1). Ce n’est que par la conviction et la parole, d’une part (l’apologue de Menenius Agrippa sur les membres et l’estomac, Ibid., ch. 32, 8-12), et par des mesures institutionnelles et juridiques, d’autre part (l’instauration des tribuns de la plèbe et la loi Sacrée, Ibid., ch. 33, 1-2), que le calme revient.

89 Plutarque, Cimon, ch. 18, 1 ; dans Vies, t. VII, trad. R. Flacelière et É. Chambry, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 39 : « Dès qu’il fut de retour, Cimon mit fin à la guerre et réconcilia les villes. La paix conclue, comme il voyait les Athéniens incapables de rester tranquilles et toujours en mouvement, prêts à de nouvelles entreprises de conquêtes, il voulut les empêcher d’inquiéter les Grecs et d’attirer sur la ville, en naviguant sans cesse autour des îles ou du Péloponnèse avec une flotte nombreuse, l’accusation de provoquer des guerres entre frères de race et les récriminations des alliés. C’est pourquoi il équipa deux cents vaisseaux en vue de faire une seconde expédition contre l’Egypte et Chypre. »

90 G. Botero, De la raison d’État, p. 176-177. « All’incontro la Francia, stando in pace con gli stranieri, si è rivolta contra se stessa e, non avendo altro pretesto, ha preso quello dell’eresie di Calvino e di un nuovo Evangelio che, dovunque si fa sentire, annuncia non allegrezza ma lutto, non pace, ma guerra orribile. » G. Botero, Della ragion di Stato, p. 104.

91 Ibid., p. 176. « A’ tempi nostri la Spagna è in somma quiete e la Francia involta in perpetue guerre civili, ritrovaremo ciò procedere in parte perché la Spagna si è impiegata in guerre straniere et in imprese remote, nell’Indie, ne’ Paesi Bassi contra eretici, contra Turchi e Mori, dove, essendo occupate parte le mani parte le menti degli Spagnuoli, la lor patria si ha goduto grandissima pace, e divertito altrove ogni umor peccante. » Ibid, p. 103-104.

92 Un certain nombre d’historiens s’accordent à penser aujourd’hui que l’opposition des catholiques intransigeants à ce projet fut la raison principale de l’attentat manqué contre Coligny du 22 août 1572, qui conduisit deux jours plus tard aux massacres de la Saint-Barthélemy.

93 Memoires de Messire Philippe de Mornay, Seigneur du Plessis Marli, Baron de la Forest sur Seure, etc. Conseiller du Roy en ses conseils d’Estat, & privé […] contenans divers Discours, Instructions, Lettres, & Depesches par luy dressees, ou escrites aux Roys, Roynes, Princes, Princesses, Seigneurs, & plusieurs grands personnages de la Chrestienté, depuis l’an [1572] jusques à l’an [1589] […], 1624, p. 1-13.

94 Ibid., p. 1.

95 Ibid., p. 2.

96 I. Gentillet, Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté […] contre Nicolas Machiavel, S. l., S. n., 1576, III, 1, p. 267.

97 Jean Bodin, Les six livres de la République, V, 5, 1986, vol. V, p. 137-140.

98 Ibid.

99 Ibid.

100 M. de Montaigne, Les Essais, II, 23, P. Villey éd., Paris, PUF, 1965, t. I, p. 682-685, chapitre que Pierre Villey a daté de 1578.

101 Ibid., p. 683.

102 Voir supra, citation.

103 J. Bodin, Ibid.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Romain Descendre, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, « Après les Guerres d’Italie : Florence, Venise, Rome (1530-1605) »Astérion [En ligne], 15 | 2016, mis en ligne le 23 novembre 2016, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/2802 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asterion.2802

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Auteurs

Romain Descendre

Romain Descendre est professeur d’études italiennes et d’histoire de la pensée politique à l’ENS de Lyon, membre honoraire de l’Institut universitaire de France, membre de l’UMR Triangle et du labex COMOD. Derniers ouvrages publiés : A politização do mundo (Campinas-São Paulo, Editora Unicamp, 2015), ainsi que les éditions critiques de Giovanni Botero, Della ragion di Stato, Turin, Einaudi, 2016 (avec P. Benedittini) et Delle cause della grandezza delle città, Rome, Viella, 2016.

Articles du même auteur

Jean-Louis Fournel

Jean-Louis Fournel est professeur à l’Université Paris 8 (histoire politique et culturelle de l’Italie de la Renaissance). Membre de l’UMR Triangle, du labex COMOD, et de l’Institut universitaire de France, ses recherches portent notamment sur l’histoire de la langue et de la pensée politique italiennes. Avec J.-C. Zancarini, il a traduit, édité et commenté différents ouvrages de la pensée politique républicaine florentine de la Renaissance et publié La Grammaire de la république. Langages de la politique chez Francesco Guicciardini (Genève, Droz, 2009). Il a codirigé récemment avec Marie-Madeleine Fontaine l’ouvrage collectif Les mots de la guerre (Genève, Droz, 2015)

Articles du même auteur

Jean-Claude Zancarini

Jean-Claude Zancarini est professeur émérite d’études italiennes à l’ENS de Lyon et membre de l’UMR Triangle et du labex COMOD. Ses recherches portent sur la pensée politique de l’Italie, le théâtre du XVIe siècle et les questions de traduction. Il a publié avec Jean-Louis Fournel des éditions françaises de Machiavel, Guicciardini et Savonarole. Il a traduit de nombreux textes littéraires du XXe siècle (Fenoglio, Fruttero et Lucentini, Nigro, Vegliani, Sofri, Pasolini). Avec Séverine Gedzelman, ingénieure informaticienne (UMR Triangle), il a conçu l’outil HyperMachiavel, qui permet la comparaison des traductions françaises du Prince (XVIe-XVIIe siècle) avec l’édition princeps italienne (Blado, 1532) : hyperprince.ens-lyon.fr

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