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Dossier

La guerre de Troie, matrice de la guerre de croisade

The Trojan War, matrix of the Crusades
Florence Tanniou

Résumés

Tout au long du Moyen Âge, la légende troyenne a servi de référent pour dire la guerre. Mais c’est dans le cadre de la guerre de croisades, en particulier de la quatrième croisade (1204) et de ses suites, qu’elle devient un archétype pleinement signifiant. D’une part, la guerre de Troie est mobilisée dans le récit des conflits contemporains et d’autre part le récit troyen se démultiplie et s’actualise, cherchant à dire et à réfléchir les conflits du présent. Par une superposition géographique accentuée entre Troie et Constantinople, la guerre présente s’exhibe dans sa coïncidence avec les lieux mêmes du conflit passé, engendrant une réflexion sur les causes de la guerre qui tient d’une vision cyclique du temps et appelle une lecture stratigraphique. Ces jeux de résonances entre Troie et la croisade, textuels et iconographiques, mettent en forme les interrogations et les incertitudes sur la guerre, et font du mythe une matrice aussi bien poétique qu’historique et politique.

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Texte intégral

  • 1 Voir C. Beaune, « L’utilisation politique du mythe des origines troyennes en France à la fin du Mo (...)
  • 2 Voir Christine de Pizan, Le Livre des fais d’armes et de chevalerie, L. Dugaz éd., Paris, Classiqu (...)
  • 3 Voir T. Shawcross, « Re-inventing the homeland in the historiography of frankish Greece: The fourt (...)

1Parce qu’il s’agit d’une référence culturelle commune, la comparaison avec la guerre de Troie survient régulièrement sous la plume des litterati, tout au long du Moyen Âge, pour décrire des guerres contemporaines. Il peut s’agir de simples comparaisons topiques de valeureux guerriers, rapprochés des plus célèbres des combattants antiques, Hector ou Achille, dans les Gesta Dei per Francos de Guibert de Nogent, chez Baudri de Dol, ou encore dans les Gesta Tancredi1. Mais elle intervient aussi pour rappeler des éléments de tactique militaire, comme dans le Livre des Faits d’armes de Christine de Pizan2. C’est de cette manière assez générale que la mémoire de la guerre mythique hante le Moyen Âge, mais le ressac peut également résonner à propos de conflits spécifiques. Dans le cadre de la quatrième croisade, et de ses suites politiques – c’est-à-dire les guerres et les projets de prise et de reprise de Constantinople qui se jouent entre Occidentaux, Byzantins et Turcs –, la légende troyenne est particulièrement sollicitée3. Comment et dans quel but, entre l’aube du XIIIe siècle et le tout début du XVIe siècle, la guerre de croisade byzantine ou le fantasme de cette guerre se sont-ils compris et dits en relation avec la guerre de Troie ? La guerre de Troie devient paradigmatique dans un système d’interférences semblable à des vases communicants, par lequel le conflit passé fait doublement retour. D’une part, les chroniques qui rapportent ces conflits historiques portent les marques de la matrice troyenne et, d’autre part, certaines des multiples versions de l’histoire de Troie narrées au cours de la période font écho aux différentes configurations des conflits militaires autour de Constantinople. Toutes ajustent le conflit antique à la conception médiévale de la guerre, dans des évocations anachroniques qui le rapprochent au plus près du modèle de la guerre de siège, avec des alternances de combats singuliers et de mêlées propres aux représentations contemporaines, mais certaines des versions présentent en outre de véritables reflets des conflits liés à la ville byzantine. Les premiers conflits historiques, autour de 1204 et de 1261, opposent Latins et Byzantins ; après 1453, les ambitions ou rêves de croisade cristalliseront une opposition entre Francs et Turcs. En se superposant l’une à l’autre, guerre réelle et guerre mythique agissent selon un phénomène de réversibilité ; la mémoire de la guerre de Troie affleure ainsi doublement et témoigne de la force d’appel du mythe. Au gré de ses variations, il oscille entre tentative de justification et effort de compréhension des conflits contemporains dans l’appréhension d’un temps à la fois cyclique et stratifié.

Troie et Constantinople, figurer le conflit entre Latins et Byzantins

Troie dans l’historiographie de la quatrième croisade

  • 4 Sur ce premier aspect lié aux suites de la quatrième croisade, nous renvoyons pour plus de détails (...)

2En 1204, la quatrième croisade menée par les Occidentaux, initialement destinée à aller prêter secours aux forces de Terre sainte, se déporte vers Constantinople4. Il s’agit, selon les justifications qui seront données ultérieurement, de venger l’empereur byzantin démis, mais il est certain que la conquête a donné lieu à des massacres et à un pillage de la ville tant convoitée des « frères » chrétiens, qu’il était bien délicat de justifier. La remémoration de la guerre troyenne revêt dès lors un rôle idéologique de légitimation.

  • 5 Voir E. Baumgartner, « Troie et Constantinople dans quelques textes du XIIe et du XIIIe siècles : (...)
  • 6 Sur ce point, voir C. Beaune, op. cit. On peut lire une telle légitimation par exemple chez Robert (...)
  • 7 Voir l’édition de la chronique de Gunther dans Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, P. Riant éd., (...)
  • 8 Pour le développement de cet exemple, voir F. Tanniou, « Troie, sur le chemin des croisades », art (...)

3C’est une équivalence géographique posée entre Troie et Constantinople qui motive la résurgence de la référence troyenne5 et elle s’appuie aussi sur l’argument généalogique fort répandu selon lequel les peuples occidentaux, et en particulier les Francs, seraient les descendants des Troyens6. Dans l’Hystoria Constantinopolitana, chronique rédigée en latin par le moine cistercien allemand Gunther de Pairis, la guerre de Troie – conçue au Moyen Âge comme un événement historique – s’affirme comme élément de référence de la quatrième croisade7. Le texte en prose qui narre les événements militaires est interrompu par des poèmes en vers dont deux permettent de lire les événements de la croisade à la lumière de la guerre antique, créant des effets de complémentarité et de démarcation. La prise et le sac de la ville, éclairés par le parallèle troyen, sont justifiés comme le dessein de Dieu, dans la perspective d’une histoire providentielle. Le premier des poèmes fait de la récupération des richesses un juste retour des choses : le trésor antique de Troie, enlevé par les Grecs, a été restitué à Byzance au temps de Constantin en vue d’être repris, selon le plan divin, par les croisés8. Dans cet écho cyclique des événements, le pillage de Constantinople se légitime doublement, puisque les biens dérobés appartenaient aux ancêtres troyens et qu’ils sont devenus le trésor de Constantin, pouvant revenir de droit aux tenants de l’Église romaine. Mais c’est surtout un second poème qui établit un parallèle systématique entre les guerres, faisant simultanément de Troie une matrice et un repoussoir à même de justifier la situation militaire contemporaine. Le chroniqueur, qui déclare n’avoir jamais rien lu de semblable à la quatrième croisade, invoque le miracle divin pour expliquer cet événement inouï, et toutes les comparaisons avec la guerre de Troie révèlent autant d’oppositions qui renforcent par contraste l’idée que les croisés sont guidés par la main de Dieu. Sous forme d’un questionnement rhétorique, il affirme que la victoire des Grecs sur Troie ne peut égaler le succès des croisés (« que poterit nostris equari Troia triumphis » ?). La comparaison systématique des causes et des conditions de la guerre antique et de la guerre contemporaine met en exergue le triomphe exceptionnel des croisés. En dehors de toute perspective nostalgique, la matrice troyenne, révélant une conception de l’Histoire à la fois providentielle et cyclique, fonctionne comme la pierre de touche du conflit présent, permettant de le juger, de le promouvoir et de le justifier. Celui-ci prévaut sur la guerre antique en tant que modèle chrétien : contrairement aux Grecs, les pèlerins de Constantinople sont guidés par Dieu, en un destin unique qui vient dissiper le soupçon de toute action douteuse ou répréhensible, légitimant pleinement la posture des vainqueurs.

La croisade dans l’histoire de Troie

  • 9 Nous renvoyons à notre article « Troie, sur le chemin des croisades ».

4En parallèle, le récit de la guerre passée fait lui-même retour : le conflit contemporain motive – au moins pour partie – la résurgence de narrations troyennes, créant une autre manière pour la guerre de Troie de s’imposer au Moyen Âge. De nouvelles versions de la légende sont produites, selon une lecture anachronique de la guerre antique, en lien avec les conflits de la quatrième croisade. Ce n’est plus seulement la guerre passée qui fait irruption dans le récit du présent, mais le conflit présent qui fait incursion dans le récit du passé et l’informe. Au-delà des indices textuels9, il se manifeste aussi dans des lectures visuelles des romans de Troie.

  • 10 Sur ce manuscrit, voir M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge. Analyse des version (...)
  • 11 Lors de la première destruction, on voit les Grecs montant par une échelle aux murailles tandis qu (...)
  • 12 Ainsi dans le ms. BnF fr. 1610 (sur ce manuscrit, voir M.-R. Jung, opcit., p. 216-217), daté de (...)

5Les enluminures affichant, comme les textes d’ailleurs, toutes les caractéristiques de l’anachronisme, le conflit se rejoue par l’intermédiaire de l’image. Les effets d’actualisation ne correspondent pas tant à une dénégation de l’altérité ou à la tentative de faciliter l’accès au passé qu’à une entreprise de réinterprétation de ce passé dans le but de représenter et de penser le présent. L’observateur médiéval des images troyennes voyait ainsi se dérouler les étapes d’une guerre contemporaine faisant parfois nettement signe vers la quatrième croisade. Si le Roman de Troie en vers de Benoît de Sainte-Maure, composé en 1165, semble à première vue exclu des interférences possibles avec la quatrième croisade, les manuscrits conservés sont en réalité tous postérieurs à 1204 et peuvent en porter la trace, en particulier dans leurs programmes iconographiques. Dans le manuscrit Paris, BnF, fr. 60, réalisé vers 1320-1330, certaines enluminures illustrant les combats entre Grecs et Troyens laissent apparaître dans l’un des camps des armoiries avec une aigle éployée d’or sur champ de gueules (proche de l’emblème des empereurs byzantins) tandis que l’autre camp arbore l’emblème du lion de sable sur fond d’or qui constitue les armes de Baudoin de Flandres, meneur des Latins et futur empereur de Constantinople10. Le lecteur voit alors défiler devant ses yeux, tout autant que la guerre de Troie, la prise de Constantinople avec ses combats sur terre et sur mer, avec les incendies et le sac de la ville11. D’autres programmes iconographiques soutiennent de telles lectures, en usant parfois d’emblèmes de manière plus aléatoire12.

  • 13 C’est le cas dans Prose 1 et Prose 5. Voir notre article « De l’Orient rêvé à l’Orient révélé ».
  • 14 Voir ibid., et T. Shawcross, art. cité, p. 137-145.
  • 15 Voir notre article « Troie sur le chemin des croisades » et Guido de Columnis, Historia destructio (...)
  • 16 Voir Guido de Columnis, op. cit., p. 103-104 ; Geoffroy de Villehardouin, op. cit., p. 158, 162, 1 (...)

6Des mises en prose du Roman de Troie, en latin et en français, modifiées à des degrés variés à partir de leur source, sont composées au cours du XIIIe siècle, et singulièrement après la reprise de Constantinople par les Byzantins en 1261. Dans les deux décennies qui suivent l’événement, plusieurs versions font allusion de manière plus ou moins patente à cette actualité. La ville est l’ostensible réplique de Constantinople lorsqu’elle est décrite comme un écu13 et un tel changement oriente de manière fondamentale la représentation de la guerre : la prise de Troie par les Grecs devient le miroir de la reprise espérée de Constantinople. Il s’agit d’une guerre imaginée, une guerre en puissance qui prend les traits de la lutte entre les Grecs et les Troyens. Les anachronismes favorisent toujours cette perspective mais aussi des jeux d’identification entre Grecs et Francs (ou Italiens)14. Dans la première mise en prose anonyme, composée en Morée franque vers 1280-1282, les Grecs sont revalorisés par rapport aux Troyens et des noms de lieux modifiés pour assurer l’adéquation de la représentation des Grecs avec les Francs de Morée, et celle des Troyens avec les Byzantins. Un lectorat, qui pouvait être tout aussi bien moréote que lié à l’Italie angevine, lisait ainsi dans l’expédition grecque l’image d’une reconquête de la capitale perdue depuis deux décennies et dont la récupération était un enjeu de taille, abordé au concile de Lyon en 1274. Initiée dans le début des années 1270 et achevée en 1287, l’Historia destructionis Troiae du juge sicilien Guido delle Colonne met en prose latine le même roman en vers mais ne soutient pas, sans doute, le même rêve de reconquête15. Beaucoup plus pessimiste, elle affiche surtout une réflexion sur les comportements humains. Un écho à la quatrième croisade s’entend cependant dans la question de la convoitise et du partage du butin, qui surgit sur le devant de la scène16. Insistant dans ses moralisations sur les « erreurs » liées à la religion païenne, Guido distingue aussi nettement les mondes grec et troyen ; il ne s’agit là pas tant de projeter ou de justifier une guerre entre Occident et Orient que d’exposer de manière pessimiste un état de fracture entre les deux parties de l’Empire chrétien. Le conflit antique se décline à loisir selon les visions politiques du monde contemporain.

  • 17 Pour l’édition du texte, voir Le Roman de Troie en prose. Prose 5, A. Rochebouet éd., Paris, Class (...)
  • 18 Voir par exemple également fol. 185.
  • 19  Sur les armoiries des familles angevines, voir L. Barbieri, « La solitude d’un manuscrit et l’hist (...)
  • 20 Voir L. Barbieri, art. cité, p. 64.

7Quelques décennies plus tard, vers 1330, une autre mise en prose, Prose 5, dépendante de Prose 1 et conçue dans le milieu angevin de Naples, reconduit certains effets d’actualisation de la guerre troyenne et les enluminures de ses manuscrits y concourent également17. Le manuscrit London, BL, Stowe 54, du premier quart du XVe siècle, présente de petits drapeaux sur les instruments de musique des personnages accueillant Hélène et Pâris à Troie : l’aigle bicéphale d’argent sur champ de gueules y rappelle encore une fois le drapeau impérial (fol. 64r), de même qu’au fol. 137v, représentant la mort d’Hector18. Le manuscrit napolitain London BL Royal 20 D I (c. 1330-1340) oriente plus précisément encore une lecture iconographique actualisée. L’enluminure liminaire présente la ville selon l’exacte configuration de Constantinople (fol. 26v) et Luca Barbieri a récemment remarqué que les blasons des enluminures associaient les combattants grecs à des familles liées aux Angevins de Naples et à celles des principautés d’Achaïe et de l’Épire, comme la famille Orsini (fol. 21v, 221v)19. Il voit dès lors dans le manuscrit un instrument de propagande pour préparer la campagne de Morée dans les années 1337-1338 et envisager la reconquête de l’Épire, insistant sur la possibilité d’une lecture proprement iconographique20. Ces quelques exemples, tant textuels qu’iconographiques, montrent combien le récit du passé se trouve informé par les conflits contemporains, le mythe devenant un monde dans lequel projeter et interroger ces conflits. Remodelé pour parler du présent, le legs troyen stratifie les temporalités en donnant lieu à des lectures plurielles.

Troie et Constantinople, figurer le conflit entre Turcs, Byzantins et Latins

  • 21 Voir entre autres M.-T. Caron, « 17 février 1454 : le Banquet du Vœu du Faisan, fête de cour et st (...)

8Ajoutant une strate temporelle nouvelle, la prise de Constantinople en 1453 par les Turcs relance en Occident l’idée de croisade pour libérer l’ancienne capitale de l’Empire chrétien d’Orient, en particulier dans la Bourgogne des Ducs. À cette date, et en réalité plusieurs décennies auparavant – car l’événement n’est pas inattendu à l’Ouest21, même s’il a frappé les consciences –, l’entrelacement entre l’évocation de ce conflit latent et la guerre de Troie connaît un renouveau. La référence à Jason et à l’expédition des Argonautes à travers la création de l’ordre de la Toison d’or en est l’image la plus parlante. Le choix d’Hercule, à plusieurs reprises responsable de la destruction de Troie dans la légende, est éloquent lui aussi, mais au-delà de ces personnages symboliques, la superposition entre les représentations de la guerre antique et de la guerre rêvée se donne à lire dans le récit même des événements.

Troie dans les chroniques du XVe siècle

  • 22 C. Beaune, art. cité, p. 348 sq.

9La légende troyenne et l’évocation d’une guerre contre les Turcs s’entremêlent dans les chroniques du temps. Les Turcs passent pour les descendants des Troyens22, et la guerre mythique sert toujours de référent. Jehan de Wavrin, en narrant les faits d’armes de son neveu, le seigneur Waleran de Wavrin, établit une assimilation entre une expédition militaire menée vers Constantinople en 1444 et le souvenir de la guerre de Troie :

  • 23 Voir Jehan de Wavrin, Anchiennes Cronicques d’Engleterre, É. Dupont éd., Paris, Renouard, SATF, 18 (...)

Ilz partirent du port de Venise le XXIIe jour de juillet l’an mil quatre cens XLIII, et le seigneur de Wavrin environ la fin dudit mois ; et tant naga qu’il vint à Thenedon, un port de mer là où jadis les princes de Grece, lesquelz alloient assegier Troyes, prindrent terre. Et quant ledit seigneur de Wavrin sceut que c’estoit le mesme port où les Grecz avoient arrivé, il demanda a aulcuns, quy scavoient ces marches, se le lieu où la grant cité de Troyes avoit esté scituee estoit gueres loingz de là ; lesquelz luy dirent qu’il ne povoit passer oultre le destroit sans tranverser devant le port de Dardanelle, quy jadis avoit esté le havre principal de la grande cité Troyenne, là où les Grecz estoient descendus. Adont messire Pietre Vas et messire Gauvain Quieret, quy estoient à ceste interrogation, pour ce que le seigneur de Wavrin avoit tres grant desir que, se à celluy port on trouvoit les turcqz, de descendre à terre et d’avoir à faire à eulz, ilz luy loerent que la premiere descendue qu’il feroit feust audit port de Dardanele, au cas qu’on veist estre la descente employee et convenable. […] Et quant tous les deputez eurent prins terre, les turcqz, qui estoient à pié, s’advancerent à donner l’escarmouche et tyrer de leurs arcz contre nos crestiens. Sy ordonna on X archiers et VI culvriniers à main, et X ou XII compaignons de gallees ausquelz estoit ordonné de non passer l’un devant l’autre.23

  • 24 Voir par exemple Geoffroy de Villehardouin, op. cit., § 76.
  • 25 Voir L. Olivier et M. Séguy, Le passé est un événement. Correspondances de l’archéologie et de la (...)
  • 26 Pour ces citations, voir ibid., p. 59-60 : la notion d’« événement de survivance » est empruntée à (...)
  • 27 Conçue comme un événement « historique » au Moyen Âge, la guerre de Troie est un mythe antique qui (...)

10Waleran et ses troupes placent tout d’abord leurs pas dans ceux des croisés de 1204 : Jean de Wavrin les présente se séparant de « l’armee des Crestiens », et partant « du port de Venise », recréant par ces indications les conditions mêmes de la quatrième croisade24. Leur arrivée aux abords de Constantinople suscite ensuite la référence à la guerre de Troie : ils ne sont plus seulement les croisés du passé mais aussi les Grecs, atteignant le port de Thénédon. S’il n’est pas question cette fois d’identifier Troie à Constantinople, aux mains des Byzantins, ni de la libérer, un combat armé s’engage contre les Turcs présents non loin de là, dans « le port de Dardanelle », sur le site supposé de l’ancien port de Troie. L’identification se fait donc avec des territoires occupés par les Turcs, qui endossent le rôle des Troyens, tandis que les seigneurs bourguignons se figurent reproduisant les actions des héros grecs. Dans l’enchaînement du discours du chroniqueur – qui expose un échange entre Waleran et ses alliés –, c’est bien la présence même sur les lieux de l’antique guerre (« quant ledit seigneur de Wavrin sceut que c’estoit le mesme port où les Grecz avoient arrivé ») qui paraît déterminer le « tres grant desir » de se battre contre les Turcs. Le modèle troyen est donc placé à la source d’une aspiration à la croisade, qui s’appuie aussi sur le souvenir de 1204, de manière d’autant plus visible que la suite immédiate du passage est l’arrivée – certes pacifique – dans la ville de Constantinople. Ici, la guerre passée semble continuer d’agir sur le présent : la reconnaissance d’une coïncidence topographique des événements fonctionne comme un embrayeur de conflit. Ce que révèle une telle narration, c’est que le lien qui sous-tend la guerre antique et le désir de croisade n’est pas seulement de l’ordre de la comparaison. Sensible à une vision qui conçoit le monde comme « fait de la présence de tous les mondes passés »25, le chroniqueur noue le présent à la somme des passés (ici la double évocation du passé troyen et du passé de 1204), l’événement présent se concevant comme leur réactivation à la manière d’un « événement de survivance », expérience où « se mêle indissolublement effraction de l’actualité et retour de l’Autrefois »26. Ainsi, le conflit avec les Turcs est vu comme procédant de la guerre de Troie et de la quatrième croisade, en un modèle de pensée stratigraphique où le passé, aussi bien mythique27 qu’historique, façonne pour partie la pensée politique.

  • 28 Voir Jehan de Wavrin, op. cit., p. 65-66.
  • 29 Ibid., p. 87, 120 et 161.

11Or cette référence à la guerre de Troie précède le récit d’un combat qui n’a rien de très glorieux. La guerre en miniature se solde par la prise dérisoire de cinq lances « aux fers bien meschants » ; de part et d’autre, on dénombre des blessés et le décompte n’est guère en faveur des troupes bourguignonnes. On devine même, à lire ce bilan, que toute l’opération s’apparente à un fiasco. Si la référence à Troie témoigne de la conception même du rapport au passé comme matrice et lieu de mémoire appelant le souvenir et le désir de la guerre, on peut aussi s’interroger sur les effets créés par cette stratification temporelle. Faut-il voir dans ce ressac troyen l’introduction d’une caution glorieuse, parant d’un souffle épique une altercation inopinée, mal préparée, et sans enjeu militaire majeur ? Il pourrait aussi s’agir de donner à Waleran la primeur des luttes en une scène d’ouverture appelée à l’amplification. Un peu plus loin dans la chronique, lorsque les armées chrétiennes se rejoignent, l’objectif affiché et répété à maintes reprises est en effet bien plus ambitieux : reconcquerir, reconcquerre, reconcquester « toute la Grece » et tenir les positions à Constantinople afin de la protéger28. Jehan de Wavrin décrit alors de nouveau son neveu et l’armée bourguignonne impliqués dans une logique de guerre systématique, cherchant à « rompre la paix qu’ilz avoient faite avec le Turcq ». Waleran se montre « desceus » et « malcontens » d’un traité de paix entre Constantinople et le grand Turc et laisse à l’inverse éclater sa joie lorsqu’il apprend qu’est choisie la voie du combat ; il affirme à son retour qu’il aurait souhaité s’y engager plus avant29. Actifs, à l’origine des tentatives d’attaque, à l’image de cette première lutte, les Bourguignons et la famille de Wavrin se trouvent ainsi dotés d’un rôle de chefs de file de la lutte armée contre les Turcs.

  • 30 Ibid., p. 69 sq.
  • 31 Plus tard, en 1463, Jean de Wavrin endossera lui-même le rôle d’ambassadeur chargé de négocier en (...)

12Reste cependant que le décalage entre la guerre de Troie et cette première lutte est sans le moindre doute sensible, et on est tenté de croire que Jehan de Wavrin le provoque à dessein. Si son discours montre une armée bourguignonne à la recherche de combats, nombre de passages laissent aussi transparaître une forme de distance vis-à-vis de ce bellicisme, non qu’il le condamne, mais il semble par là en évaluer les limites. La référence à Troie peut ainsi mettre en relief la dimension dérisoire de l’attaque tout autant que l’absence de raison manifeste aux escarmouches engagées. La focalisation très serrée sur ce minuscule théâtre des opérations quand ailleurs se jouent des événements de plus haute importance, puis le tableau de Turcs peu enclins au combat et plaidant pour la paix, les querelles entre chrétiens et leurs petites trahisons, contribuent à faire planer une ombre sur une entreprise guerrière globalement vouée à l’échec – malgré la narration subséquente de plus amples combats, sur mer et sur terre, délocalisés vers la Hongrie30. L’indubitable décalage entre la matrice fantasmée et la réalité fait ainsi sentir les incertitudes et la précarité de la situation présente, lançant un questionnement sur la guerre. Celle-ci doit être scrutée au miroir du passé, fût-il mythique, pour être analysée et jugée. La référence à la guerre de Troie placée à la source du conflit peut donc se lire simultanément comme une caution et une remise en cause de cette guerre en puissance. Peut-être cette vision paradoxale satisfait-elle les ambitions d’une historiographie bourguignonne par laquelle les ducs peuvent se prévaloir d’entretenir l’esprit de croisade, inscrivant le retour cyclique du conflit comme mode de saisie du présent, échauffant les esprits à la guerre ou les y préparant, tandis que les dissonances sensibles instillent une vision plus ambivalente du conflit, qui conduirait à le questionner31.

  • 32 Voir Mathieu d’Escouchy, Chronique, G. du Fresne de Beaucourt éd., Paris, Vve Renouard, 1863-1864, (...)
  • 33 Sur cette lettre, un faux « fabriqu[é] par un adversaire de la croisade à l’époque de l’expédition (...)

13La référence troyenne se manifeste encore après la conquête par les Turcs en 1453. Lors de la fête des Vœux du Faisan à Lille, où le duc et son entourage font le serment d’aller libérer Constantinople, les références à la légende des Argonautes, prémices de la guerre de Troie, s’entremêlent avec l’évocation de la ville captive. Dans le récit qu’en font Olivier de la Marche et Mathieu d’Escouchy, la mention de la prise de Constantinople précède immédiatement la représentation de la pantomime de Jason, qui débouche elle-même sur le tableau allégorique d’une Église d’Orient prisonnière, enchaînée par un géant sarrasin32. Le jeu de correspondance entre guerre mythique et guerre projetée est de l’ordre d’une comparaison plus diffuse que clairement établie, mais il est certain que le spectateur assiste à un entremêlement des conflits, où se nouent des temporalités hétérogènes, passée et présente, légendaire et historique. Mathieu d’Escouchy insère en outre juste avant le récit de la fête et des vœux une lettre apocryphe – dont la circulation est attestée ailleurs – supposément adressée par Mehmet II, le Grand Turc responsable de la prise de Constantinople, au pape33. Elle-même relie la guerre de croisade à l’imaginaire troyen :

  • 34 Mathieu d’Escouchy, op. cit., t. II, p. 58-60. Nous reproduisons les graphies de l’édition.

Icellui Turcq envoya unes lettres a nostre dit saint-Père, desquelles la teneur s’ensieult. […] Morbazenne Horesti, ensamble ses frères Collabulabra et Collaterrallus, chevaliers de l’empire d’Orguany, seigneurs de l’ille de Aschaye, autrement de la Mourée, où est la cité de Patras : au grand presbtre de Romme, selon ce qu’il a desservy, nostre bien amé.
Il est venu à nostre congnoissance que, à la requeste du peuple des Venissiens, vous faictes publier par les eglises d’Italye que tous ceulx qui nous feront guerre averont plain pardon en ce monde et vie eternelle en l’autre. […] Et d’autre part, prenons à grant desplaisance que les Ytaliens nous facent guerre, veu que nous avons à eulx naturelle amour, pour ce qu’ilz sont partis de nous, ensamble toutte leur gloire, nom et puissance ; c’est assavoir de Anthenoix et Eneas, du linage du grant Priant, jadis seigneurs de Troies-le-grant, et chief de la nacion des Turcqs. Et pour ce, comme son successeur, entendons et proposons brief rediffier ladicte cité de Troies et remettre en estat et seignourie, et mettre en l’obeissance de nostre empirre toutte l’Europpe. Et singulièrement en vengance du sang Hector, et subvercion de la noble cité de Troies, ensamble les terres que tiennent les Venissiens, et qu’ilz ont par force submises à eulz, à nous promises par le sort de noz prophesies. Sy prions et requerons vostre prudence que doresenavant vous cessez de donner telz bulles, et que ne sollicitez les crestiens à nous faire guerre.34

14La filiation entre Troyens et Turcs – parfois contestée ailleurs – sert ici aussi un double propos : d’une part, Turcs et Italiens sont du même lignage (« du grant Priant, jadis seigneurs de Troies le grant ») –, au nom de quoi la guerre initiée par ces derniers est condamnée et une voie pacifiste dessinée (« nous avons a eulx naturelle amour »), mais d’autre part, tel Priam, le grand Turc veut « rediffier ladicte cité de Troie » et soumettre toute l’Europe, singulièrement les terres des Vénitiens, « en vengance du sang Hector ». La référence à Troie se trouve donc au carrefour d’une double lecture géopolitique de la situation contemporaine : la revendication de l’entente au nom d’une translatio pacifiée et l’anticipation de la guerre, par retour du cycle de la vengeance. Les systèmes d’identification sont mis en place par cette lettre liminaire. De la lettre aux entremets, la guerre en puissance se pense à partir des ambitions de Priam et de Jason, du point de vue des ennemis comme des Occidentaux. L’ambivalence des choix politiques contemporains résonne avec les strates d’interprétation divergentes de la légende qui se sont élaborées au cours du passé. Le glissement d’un entremets à l’autre, de l’expédition de l’Argonaute à la libération de l’Église d’Orient, tisse le lien entre le mythe antique et sa potentielle réactualisation tout en autorisant un questionnement sur les modalités d’action, pacifiques ou conflictuelles.

  • 35 Ibid., p. 159-163.
  • 36 Ibid., p. 164-172.

15Les vœux eux-mêmes, qui constituent l’aboutissement de la cérémonie, montrent combien la projection dans la guerre de croisade est complexe pour les Bourguignons : le « saint voiage » contre « le Grand Turc » et les « infidelles » permet d’évoquer la reconquête de Constantinople35, mais l’image prospective des combats est très disparate chez ceux qui prêtent serment : les formulations tantôt sont très vagues, tantôt décrivent des actions stéréotypées comme la prise de la bannière turque. Les attentes sont loin d’être uniformes, l’un parlant d’un combat singulier, quand l’autre espère que les chrétiens vaincront en bataille jusqu’à cinq cents ennemis36. Face à l’inconnu et à l’imprévisible, par nature indicibles, seule la guerre du passé semble à même de donner forme à l’histoire d’un désir.

16Quelques années plus tard, en 1464, Jean Molinet écrit une « Complainte de Grèce ». Cette « Grèce », personnifiant l’Église orientale « oppressee des Turcz infidelles » figurés comme le dragon apocalyptique, réclame l’aide de l’Occident :

  • 37 Jean Molinet, Les Faitz et dictz, N. Dupire éd., Paris, SATF, t. I, 1936, p. 10-11.

Celle qui aultrefois par sa force avoit assailly le tres hault Yllion, enflambé la tres noble cité troyenne et depuis soubmis tout le monde a son septre, et maintenant, en ses vieux jours, estoit la plus ravalee de toutes, comme desolee en partie et faicte serve a ung tres horrible dragon ayant sept testes abhominables, qui, tout foursené, sifflant autour elle, beant la gheulle pour l’engloutir.37

17Son discours appelle de ses vœux la résurrection des héros antiques grecs combattant les Troyens :

  • 38 Ibid., p. 14, v. 97-101.

Ou sont les bras de mon filz Achillés,
Et de Herculés qui les cieulx a tenus ?
Ou sont les artz du saige Empedoclés
Et d’Ulixés et d’Aristotelés ?
Suscitez les, Juno, Pallas, Venus.38

18L’adresse au prince consolide une identification entre Bourguignons et Grecs, bien que sa prouesse soit également comparée à celle d’Hector :

  • 39 Ibid., p. 25.

O prince bien euré en terre, que te fault il plus ? Tu as la proesse de Hector, les armures de Polipidés, le conseil de Ulixés, la force de Achillés, et l’assistance de tous tes Picars, qui vallent bien ces Mirmidons.39

  • 40 Voir E. Doudet, « Le miroir de Jason : la Grèce ambiguë des écrivains bourguignons au XVe siècle » (...)

19À la cour de Bourgogne, l’imaginaire de la guerre troyenne en lien avec le « saint voyage de Turquie » s’est diffracté et peut-être en partie dilué dans un imaginaire plus large englobant aussi bien la Toison d’or que les travaux d’Hercule, et même l’héritage grec tout entier. Ces allusions, qui assurent l’identification entre Troie et Constantinople, entre les Bourguignons et les Grecs, permet, sur un mode rêvé, d’inventer la guerre projetée et d’en nourrir le récit à l’aide de la guerre mythique40. La croisade, tout aussi virtuelle que la mythique guerre de Troie, ne se fait et ne se fera que par les mots : raconter une histoire que travaille de l’intérieur la guerre antique établit la croisade en objet de légende.

Penser la reconquête dans les récits de Troie

  • 41 Voir E. Doudet, art. cité, p. 181-182. Voir A. Desbois-Ientile, Lemaire de Belges, Homère Belgeois (...)

20Parallèlement, la bibliothèque des Ducs de Bourgogne abonde en récits de la guerre troyenne, commandés sur des dizaines d’années, mais en particulier par Philippe le Bon41. Le contexte historique lié à 1453 a suscité de nouvelles versions dans la seconde moitié du XVe siècle, dans lesquelles la narration du conflit passé se réinvente pour penser l’événement contemporain. Toutes ne présentent pas d’allusion manifeste à Constantinople ou au souhait d’une reconquête, mais l’efflorescence même de la matière troyenne coïncide avec l’événement historique et l’on peut penser que le lien opéré depuis désormais deux siècles – les versions du XIIIe siècle sont toujours copiées et circulent encore massivement – résonne à l’esprit du lecteur. Les mises à jour, aussi bien dans la langue que dans l’évolution des enluminures, continuent à forger par l’anachronisme une lecture actualisée de la guerre mythique, servant de décalque au conflit contemporain.

21Dans une version bourguignonne, l’Abregement du siege de Troye, composée vers 1460, un passage identifie en outre clairement le roi Priam à un ennemi en religion : il pose un doigt sur sa dent, ce qui constitue dans les textes épiques le geste symbolique du serment des Sarrasins :

  • 42 Voir S. Cerrito éd., Le Rommant de l’abbregement du siege de Troyes, Aix-en-Provence, Publications (...)

[…] La besongne faitte estoit
Së ilz la lettre lui donnoit
E s’en fesist le serement.
Et il le fist tout erramment :
Son doit a sa dent en hurtoit,
Pour mil avoir n’en mentiroit.42

22Même si peu d’autres éléments explicites corroborent la lecture actualisante, ce détail assimile les Troyens aux Turcs et profile de nouveau derrière la guerre de Troie l’image d’une reconquête de Constantinople sur les Turcs. Et il n’est pas impossible que la ténuité des indices – ici comme dans d’autres récits troyens – ne soit pas tant le signe d’une actualisation parcimonieuse que d’une évidence qu’il ne serait guère besoin de rappeler au public.

  • 43 La première partie est éditée dans P. Roth éd., Histoire de la première destruction de Troie, Bâle (...)

23S’il n’est pas étonnant de rencontrer ces superpositions de conflits dans le monde bourguignon, elles ne se limitent pas à ce cadre spécifique, comme on peut le constater dans une Histoire de la première destruction de Troie réalisée selon une vaste compilation de sources, suivie d’une Histoire de la seconde destruction, par le même auteur, qui correspond pour l’essentiel à une traduction de l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne43, écrites dans le dernier quart du XVe siècle. Elles se trouvent réunies au sein du manuscrit Paris, Arsenal 5068. Dans le prologue, l’auteur, se détachant quelque peu de la version latine qu’il traduit, présente la matière en évoquant ses interférences avec le présent :

  • 44 P. Roth éd., op. cit., p. 4. Voir Guido de Columnis, op. cit., p. 3, où il est question de la cont (...)

Et jaçoit que après la seconde ruyne de Ylion, les inimitiez par monlt de siecles aient esté en la fosse de obliance ensevelies, toutesfoiz les escriptures anciennes, qui rameynent les faiz preteriz en la presence de l’entendement humain, ont esveillé les haynes endormies tellement que les vaincuz ont prins de vielle injure nouvelle vengence, et Fortune, qui sur la longue prosperité des royaulmes est envieuse, a tournee et convertie l’ancienne gloire des vainqueurs en perte recente et fresche confusion.44

  • 45 À deux reprises, le texte de la seconde partie évoque une assimilation entre Troyens et Turcs (fol (...)
  • 46 D’autres exemples pourraient être examinés, comme la « Complainte d’Hector » de George Chastelain (...)

24Encore une fois, la réception inscrit la guerre de Troie de manière complexe dans le temps, en créant des nœuds temporels. La reconfiguration du mythe donne lieu à une disposition en strates où se trouve impliqué le conflit présent : avec l’usage des expressions « monlt de siecles », « presence », « nouvelle vengence » et « perte recente et fresche confusion », il paraît difficile de comprendre le passage autrement qu’en référence à 145345. Ici les « vaincuz » troyens seraient les Turcs, ayant pris leur vengeance sur les Grecs vainqueurs. Ce sont, aux dires de l’auteur, les « escriptures anciennes » qui auraient provoqué le réveil « des haynes endormies » et le renouvellement du conflit, plaçant à nouveau la légende troyenne en posture de matrice effective de la guerre de croisade. Aussi singulière que puisse apparaître à nos yeux cette représentation d’un écrit passé – qui plus est, pour nous, légendaire – embrayeur de guerre, elle s’affirme ici sans détour, dotant « les escriptures » d’une capacité d’action sur le réel et appuyant la vision d’une guerre conçue dans un imaginaire cyclique. La conceptualisation de la guerre se pense sur le terrain des mots, et prête à une couche de récit ancienne le pouvoir, non seulement de revivre par la variation, mais encore d’agir sur le présent. Dans sa répétition et sa mouvance, le récit de la guerre de Troie intègre les empreintes des interprétations postérieures du mythe, brouillant le temps à l’image de ce singulier passage qui offre une clé de lecture pour toute l’œuvre, invitant à relire le sens de la guerre de Troie à partir du présent de la croisade46.

  • 47 J. Lemaire de Belges, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye, J. Stecher éd., Louvain (...)
  • 48 Ibid., t. I, p. 267.

25Au tout début du XVIe siècle, relayant les derniers feux d’un imaginaire appelé à disparaître, Jean Lemaire de Belges relie profondément son récit de l’histoire troyenne à l’entreprise de croisade. L’équivalence géographique entre la région de Troie et Constantinople est toujours assurée et la généalogie qui fait descendre les « Gaulois » des Troyens autorise à en faire une possession légitime pour la France47. L’histoire narrée de Troie a pour but d’exhorter à la croisade, ambition exprimée aussi bien par la bouche d’Apollon48 que par la voix même de l’auteur :

  • 49 Ibid., p. 350-351.

Et comment lesdits Turcz tiennent et possedent aujourdhuy tous les regnes que le Roy Priamus et les siens vassaux et alliez obtindrent jadis en Asie : et oultreplus, tout ce que possedoient alors Agamemnon, Menelaus, Achilles et les autres Princes de Grece, qui destruisirent le Royaume de Troye. Et de tous les voyages, passages et croisees jadis faits en Turquie par noz Princes d’Europe jusques au temps moderne : et de l’effect et consequence d’iceux. Lesquelles choses ne tendent à autres fins, sinon pour recouvrer leur heritage d’Asie la mineur, qu’on nomme maintenant Natolie, ou Turquie.49

26Envisager la guerre de croisade, c’est encore une fois renouer avec différentes strates du passé, mythique ou historique, établir une continuité du temps « jadis » jusqu’« au temps moderne », superposant « voyages, passages et croisees ». C’est se figurer marchant dans les pas des héros antiques, c’est reparcourir la mémoire d’un chemin témoignant de cette stratification (« contempler la ruine »), passer par le territoire des Grecs, avant d’aller reconquérir le pays des ancêtres troyens :

  • 50 Ibid., t. II, p. 314. Voir également t. I, p. 138.

Et d’ilec tirer en Grece, pour contempler la ruïne d’une nation si audacieuse, qui eut jadis l’honneur de deffaire et ruïner la grand cité de Troye. Et d’illec passer a Constantinoble, la mer Hellesponte, c’estadire le bras saint Georges. Et puis planter leurs enseignes triomphantes en la terre ferme d’Asie la Mineur, qu’on dit maintenant Natolie ou Turquie. Et recouvrer par justes armes le propre heritage, et les douze Royaumes que tenoit jadis le bon Roy Priam, ayeul de Francus, filz du trespreux Hector.50

  • 51 A. Desbois-Ientile, op. cit., p. 123 : « À travers la figure de l’ancêtre troyen, Lemaire met ains (...)
  • 52 Ibid., p. 431 sq.

27C’est sans doute au moment où se dissout la perspective d’une guerre effective que s’exprime le plus explicitement ce rapport entre récit troyen et désir de croisade. À nouveau identifiés aux Troyens, les Francs sont projetés dans une guerre fantasmée. D’un point de vue politique, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troyes tient plus de la nostalgie que de la pensée prospective, et si ce lien entre Troie et la croisade s’exprime aussi clairement, c’est qu’au-delà d’un projet politique lié au traité de Cambrai51, il est le produit d’un imaginaire culturel fortement ancré dans les consciences par toutes les variations médiévales du mythe troyen élaborées depuis le XIIe siècle. Malgré l’affichage d’une ambition politique, la guerre fantasmée s’éloigne de la sphère du réel, et s’installe dans la sphère littéraire, amarrée à la puissance matricielle du récit troyen qui l’autorise à lui seul : le ressac de l’histoire troyenne génère l’imaginaire renouvelé de la guerre, et s’établit comme le support d’une métapoétique renaissante52.

*

  • 53 Pour cette citation et les suivantes, voir M. Colombo Timelli, « Cherchez la ville. Constantinople (...)
  • 54 Voir E. Doudet, « Le miroir de Jason », art. cité, p. 191.

28Durant des siècles, la guerre de Troie a été relue anachroniquement à l’image des guerres de siège médiévales. Son récit constitue un support privilégié pour dire la croisade ou l’aspiration à la croisade et pour penser les relations de l’Occident avec Byzance. C’est en particulier la conquête de Constantinople que la guerre de Troie a servi à modéliser dans toutes les configurations qu’elle a pu prendre, justifiant une guerre réelle ou portant les fantasmes d’une guerre rêvée. Jouant sur des identifications variées (les Francs sont parfois liés aux Grecs, parfois aux Troyens), sur la coïncidence géographique entre Troie et Byzance, sur la superposition de tactiques militaires (siège, incendies et pillages), les auteurs de chroniques ou de romans et les enlumineurs ont cherché dans ces effets de miroir tantôt la projection d’une aspiration, tantôt une justification idéologique, tantôt une spéculation, en un jeu de reflets qui interroge le désir de guerre, et met en lumière le feuilletage historique de ses causes et son profond enracinement dans le rapport au passé. Dans un article intitulé « Cherchez la ville. Constantinople à la cour de Philippe le Bon », Maria Colombo Timelli remarquait que si la ville est constamment citée dans les chroniques bourguignonnes, elle disparaît pratiquement des « textes purement littéraires »53. Les croisades évoquées dans ces œuvres se déroulent partout, « sauf à Constantinople », et elle conclut à un « oubli » par lequel « la littérature narrative et le monde contemporain ne nous auront jamais paru aussi lointains l’un de l’autre ». Si la fiction semble en effet oublier Constantinople, c’est parce que, par la médiation de Troie et de la légende qui lui est attachée, tout un pan de la « littérature » lui est en réalité consacré. Avec les multiples réécritures troyennes, qui prolifèrent à la cour de Philippe le Bon, et par le système de vases communicants qui suppose un double retour de Troie comme lieu de mémoire, se dit et se pense, de manière massive et répétée, le « saint voyage de Turquie ». Dans les zones d’incertitudes politiques propres à la fin du Moyen Âge, le souvenir de Troie enrichi des strates des conflits passés avec Byzance permet de maintenir ou d’entretenir le désir de la guerre, tout en interrogeant parfois sa légitimité face à l’alternative de la paix54. À mesure, peut-être, que s’éloigne la perspective réelle de la croisade, c’est l’écriture de la guerre de Troie, de la légende même, qui semble désignée comme l’origine de la guerre, comme si cette croisade vers Byzance, abandonnant toute prétention au réel, s’assignait elle-même à la sphère poétique du mythe et du fantasme. Ce que le ressac de Troie révèle en cette fin de Moyen Âge, c’est la désignation d’une faille : la difficulté à donner forme à une guerre qui, n’ayant d’autre réalité que son incarnation littéraire et ses avatars passés, échappe à l’intellection et à la narration directe. La mémoire du conflit troyen, chargée de toutes les interprétations postérieures liées à la quatrième croisade, reconstruisant le passé à la manière de la sédimentation archéologique, maintient le conflit avec l’Orient simultanément à distance et à portée, éclairant ce conflit présent, tout autant que le conflit présent lui donne forme. La guerre de Troie est bien une matrice, non seulement poétique mais aussi de pensée, force d’appel d’une interprétation, toujours en cours de reconfiguration, de la guerre de croisade.

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Notes

1 Voir C. Beaune, « L’utilisation politique du mythe des origines troyennes en France à la fin du Moyen Âge », dans Lectures médiévales de Virgile. Actes du colloque de Rome (25-28 octobre 1982), Rome, École française de Rome, 1985, p. 331-355, en particulier p. 345 et Id., Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1985.

2 Voir Christine de Pizan, Le Livre des fais d’armes et de chevalerie, L. Dugaz éd., Paris, Classiques Garnier, 2021. Elle fait allusion à la guerre de Troie pour la question du comportement des ambassadeurs (I, 20), pour la question des techniques de « gait », de fuite simulée (II, 37), du feu grégeois (II, 39). D’autres modes de retour du passé troyen se lisent par exemple dans l’Epistre Othea : les événements de la guerre servent de support pour dispenser des conseils stratégiques militaires, moraux et religieux (Id., G. Parussa éd., Genève, Droz, 1999).

3 Voir T. Shawcross, « Re-inventing the homeland in the historiography of frankish Greece: The fourth crusade and the legend of the Trojan war », Byzantine and Modern Greek Studies, vol. XXVII, 2003, p. 120-152 et G. Folena, « La Romania d’Oltremare: francese e veneziano nel Levante », Atti del XIV Congresso internazionale di linguistica e filologia romanza, A. Varvaro éd., vol. I, Naples-Amsterdam, John Benjamins Publishing Company, 1978, p. 399-406, en particulier p. 401 sq.

4 Sur ce premier aspect lié aux suites de la quatrième croisade, nous renvoyons pour plus de détails à l’article cité de T. Shawcross et à nos travaux, en particulier « Troie sur le chemin des croisades (XIIe-XIVe siècles) », Atlantide, no 2, 2014. En ligne : [http://atlantide.univ-nantes.fr] (consulté le 9 mai 2023). Nous développerons davantage le second point consacré aux liens entre la guerre de Troie et la croisade dans le Moyen Âge plus tardif.

5 Voir E. Baumgartner, « Troie et Constantinople dans quelques textes du XIIe et du XIIIe siècles : fiction et Histoire », dans La Ville. Histoires et mythes, M.-C. Bancquart dir., Nanterre, Université Paris X-Nanterre, 1983, p. 6-14, ainsi que notre article « De l’Orient rêvé à l’Orient révélé : les mutations de l’exotisme du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure au Roman de Troie en prose (Prose 1) », Bien dire et bien aprandre, no 26, 2008, p. 213-226.

6 Sur ce point, voir C. Beaune, op. cit. On peut lire une telle légitimation par exemple chez Robert de Clari, La Conquête de Constantinople, J. Dufournet éd., Paris, Honoré Champion, § 106. Voir C. Beaune, art. cité, p. 346-347, ainsi que T. Shawcross, art. cité, p. 127-128.

7 Voir l’édition de la chronique de Gunther dans Exuviae Sacrae Constantinopolitanae, P. Riant éd., Genève, 1878 (rééd. Paris, 2004), p. 103-110.

8 Pour le développement de cet exemple, voir F. Tanniou, « Troie, sur le chemin des croisades », art. cité, p. 4-5.

9 Nous renvoyons à notre article « Troie, sur le chemin des croisades ».

10 Sur ce manuscrit, voir M.-R. Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge. Analyse des versions françaises et bibliographie raisonnée des manuscrits, Bâle-Tübingen, Francke Verlag, 1996, p. 147-164. Le manuscrit est en ligne sur Gallica : [https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b10023009b] (consulté le 9 mai 2023) : voir fol. 42r, 51r, 77r, 81v, 113r. Notons que si les armes « latines » sont attribuées essentiellement aux Grecs (en particulier à Jason au fol. 49v) et l’aigle aux Troyens (par exemple à Troïlus au fol. 91v), la distribution se fait parfois un peu aléatoire.

11 Lors de la première destruction, on voit les Grecs montant par une échelle aux murailles tandis que les Troyens leur lancent des pierres (fol. 51r). Il n’y a aucune mention de tels combats dans le récit, cette première bataille ayant lieu en champ et les Grecs rentrant dans la ville « sans contredit » (Le Roman de Troie, L. Constans éd., Paris, Firmin-Didot, 1904-1912, 6 vol., t. I, v. 2760). Une telle représentation correspond en revanche au siège de Constantinople avec la présence des échelles (voir Geoffroy de Villehardouin, La Conquête de Constantinople, J. Dufournet éd., Paris, Garnier-Flammarion, 2004, § 164) et des pierres jetées contre les assaillants (§ 167). Au fol. 68v, la rubrique et l’enluminure montrent un combat en mer entre Troyens et Grecs. Alors que les v. 7105 sq. indiquent uniquement des combats entre Grecs et Troyens sur le rivage, la bataille de la prise de Constantinople a bien lieu « par terre ou par mer » (§ 226).

12 Ainsi dans le ms. BnF fr. 1610 (sur ce manuscrit, voir M.-R. Jung, opcit., p. 216-217), daté de 1264 et localisé en Bourgogne, l’emblème de Jason est l’aigle bicéphale (fol. 12v), qui semble l’identifier aux Byzantins, mais le fol. 17, illustrant la sortie des Troyens de la ville, représente aussi l’aigle. Voir le manuscrit en ligne sur Gallica : [https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b10507221g] (consulté le 9 mai 2023). Il faudrait également observer d’autres récits de Troie, qui peuvent être enluminés de cette manière actualisée : on peut par exemple citer l’Histoire ancienne jusqu’à César, Dijon, BM 562. Aux fol. 103v, 363v, les Amazones sont pourvues d’emblèmes comme l’aigle ou le croissant. En ligne : [https://bvmm.irht.cnrs.fr/consult/consult.php?reproductionId=7594] (consulté le 9 mai 2023). Sur l’usage idéologique des armoiries dans les enluminures, dans des jeux d’identification variés, voir par exemple A. Derbes et M. Sandona, « Amazons and crusaders: The “Histoire universelle” in Flanders and the Holy Land », dans France and the Holy Land. Frankish Culture at the End of the Crusades, D. H. Weiss et L. Mahoney dir., Baltimore, John Hopkins University Press, p. 187-229, ici p. 209-210.

13 C’est le cas dans Prose 1 et Prose 5. Voir notre article « De l’Orient rêvé à l’Orient révélé ».

14 Voir ibid., et T. Shawcross, art. cité, p. 137-145.

15 Voir notre article « Troie sur le chemin des croisades » et Guido de Columnis, Historia destructionis Troiae, N. E. Griffin éd., Cambridge (Mass.), The Mediaeval Academy of America, 1936.

16 Voir Guido de Columnis, op. cit., p. 103-104 ; Geoffroy de Villehardouin, op. cit., p. 158, 162, 172-174  ; Robert de Clari, op. cit., p. 168-170.

17 Pour l’édition du texte, voir Le Roman de Troie en prose. Prose 5, A. Rochebouet éd., Paris, Classiques Garnier, 2021.

18 Voir par exemple également fol. 185.

19  Sur les armoiries des familles angevines, voir L. Barbieri, « La solitude d’un manuscrit et l’histoire d’un texte : la deuxième rédaction de l’Histoire ancienne jusqu’à César », Romania, t. CXXXVIII, 2020, p. 39-96, en particulier p. 44 sq. et Id., « La versione “angioina” dell’Histoire ancienne jusqu’à César. Napoli crocevia tra cultura francese e Oriente latino », Francigena, no 5, 2019, p. 1-26.

20 Voir L. Barbieri, art. cité, p. 64.

21 Voir entre autres M.-T. Caron, « 17 février 1454 : le Banquet du Vœu du Faisan, fête de cour et stratégie de pouvoir », Revue du Nord, n315, p. 269-288, en particulier p. 281. En ligne : [https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1996_num_78_315_5112] (consulté le 9 mai 2023) et M.-T. Caron et D. Clauzel dir., Le Banquet du Faisan, 1454 : l’Occident face au défi de l’empire ottoman, Arras, Artois Presses Université, 1997, p. 72 sq.

22 C. Beaune, art. cité, p. 348 sq.

23 Voir Jehan de Wavrin, Anchiennes Cronicques d’Engleterre, É. Dupont éd., Paris, Renouard, SATF, 1859, t. II, p. 59-62. Nous reproduisons les graphies de l’édition. Sur ce passage, voir G. Le Brusque, « Des chevaliers bourguignons dans les pays du Levant. L’expédition de Walleran de Wavrin contre les Turcs ottomans (1444-1446) dans les Anchiennes Cronicques d’Engleterre de Jean de Wavrin », Le Moyen Âge, n106, 2000/2, p. 255-275.

24 Voir par exemple Geoffroy de Villehardouin, op. cit., § 76.

25 Voir L. Olivier et M. Séguy, Le passé est un événement. Correspondances de l’archéologie et de la littérature, Paris, Macula, 2022, p. 6. Sur l’« effet d’actualité du passé » créé par la coïncidence des passés et du présent dans un même lieu, voir ibid., p. 59 sq.

26 Pour ces citations, voir ibid., p. 59-60 : la notion d’« événement de survivance » est empruntée à Georges Didi-Huberman.

27 Conçue comme un événement « historique » au Moyen Âge, la guerre de Troie est un mythe antique qui, relu par la pensée chrétienne, en constant mouvement et en « permanente recréation », conserve aussi ce statut de mythe oscillant entre effets de « démythisation » et de « remythisation ». Sur ces éléments, voir C. Croizy-Naquet, « Troie et le mythe », dans Mythes, histoire et littérature au Moyen Âge, C. Croizy-Naquet, J.-P. Bordier et J.-R. Valette dir., Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 43-55.

28 Voir Jehan de Wavrin, op. cit., p. 65-66.

29 Ibid., p. 87, 120 et 161.

30 Ibid., p. 69 sq.

31 Plus tard, en 1463, Jean de Wavrin endossera lui-même le rôle d’ambassadeur chargé de négocier en Italie les conditions de la croisade. Dans sa chronique il occulte cette ambassade, qui ne fut jamais suivie d’un départ en croisade. Voir L. Visser Fuchs, « Ung anchien chevallier tres notable, prudent et moult grant voiagier : les dernières années de Jean de Wavrin », dans L’art du récit à la cour de Bourgogne. L’activité de Jean de Wavrin et de son atelier, J. Devaux et M. Marchal dir., Paris, Honoré Champion, 2018, p. 135-149, en particulier p. 138 sq.

32 Voir Mathieu d’Escouchy, Chronique, G. du Fresne de Beaucourt éd., Paris, Vve Renouard, 1863-1864, 3 vol., t. II, p. 144-159 et Olivier de la Marche, Mémoires, H. Beaune et J. d’Arbaumont éd., Paris, Renouard, 1884, vol. II, p. 357-366. Voir également M.-T. Caron, Les Vœux du Faisan, noblesse en fête, esprit de Croisade. Le manuscrit français 11594 de la Bibliothèque Nationale de France, Turnhout, Brepols, 2003, p. 120-123.

33 Sur cette lettre, un faux « fabriqu[é] par un adversaire de la croisade à l’époque de l’expédition d’Humbert de Viennois (1345-1347) », diffusé dans plusieurs manuscrits accompagnant les récits de la prise de Constantinople, voir M. Barsi, « Constantinople à la cour de Philippe le Bon (1419-1467). Comptes rendus et documents historiques. Avec l’édition du manuscrit BnF fonds français 2691 du récit de Jacopo Tedaldi », Quaderni di Acme, no 65, 2004, p. 131-195, en particulier p. 185.

34 Mathieu d’Escouchy, op. cit., t. II, p. 58-60. Nous reproduisons les graphies de l’édition.

35 Ibid., p. 159-163.

36 Ibid., p. 164-172.

37 Jean Molinet, Les Faitz et dictz, N. Dupire éd., Paris, SATF, t. I, 1936, p. 10-11.

38 Ibid., p. 14, v. 97-101.

39 Ibid., p. 25.

40 Voir E. Doudet, « Le miroir de Jason : la Grèce ambiguë des écrivains bourguignons au XVe siècle », dans La Grèce antique sous le regard du Moyen Âge occidental (Cahiers de la Villa Kérylos, no 16), Actes du 15e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 8 et 9 octobre 2004, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2005, p. 175-193, en particulier p. 178.

41 Voir E. Doudet, art. cité, p. 181-182. Voir A. Desbois-Ientile, Lemaire de Belges, Homère Belgeois. Le mythe troyen à la Renaissance, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 94 sq.

42 Voir S. Cerrito éd., Le Rommant de l’abbregement du siege de Troyes, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2010, v. 3277-82 et note p. 236.

43 La première partie est éditée dans P. Roth éd., Histoire de la première destruction de Troie, Bâle-Tübingen, Francke Verlag, 2000. La seconde partie, intitulée Guido D par M.-R. Jung, est inédite. Sur cette œuvre, voir C. Croizy-Naquet, « La première destruction de Troie (Guido D), une histoire “remythologisée” », Critica del Testo, vol. XII, no 3, 2019, p. 57-74.

44 P. Roth éd., op. cit., p. 4. Voir Guido de Columnis, op. cit., p. 3, où il est question de la continuité du récit troyen, mais nullement d’un réveil des haines endormies ni d’une « perte récente ».

45 À deux reprises, le texte de la seconde partie évoque une assimilation entre Troyens et Turcs (fol. 123v et 125r).

46 D’autres exemples pourraient être examinés, comme la « Complainte d’Hector » de George Chastelain en 1454. Même si cet échange à trois voix entre Hector, Achille et Alexandre a pu être interprété comme une réflexion sur le meurtre de Montereau et une tentative d’apaisement politique (voir E. Doudet, « Un dramaturge et son public au XVe siècle : George Chastelain », European Medieval Drama, n9, 2005, p. 61-86), certains passages paraissent également faire écho à la prise de Constantinople, pour peu que l’on lise la voix d’Hector comme celle de la ville prise par les Turcs : « Et pour tous bien du temps de cy derriere / M’est seule remese une ame prisonniere / Criant aux dieux vengeance droituriere / Soubz larmoyant parfonde sepulture » (Georges Chastellain, Œuvres, J. Kervyn de Lettenhove éd., Bruxelles, Heussner, 1864, t. VI, p. 176-177).

47 J. Lemaire de Belges, Les Illustrations de Gaule et singularitez de Troye, J. Stecher éd., Louvain, impr. J. Lefever, 4 vol., 1882-1885, Genève, Slatkine reprints, 1960, par exemple t. I, p. 12-15, p. 139-140.

48 Ibid., t. I, p. 267.

49 Ibid., p. 350-351.

50 Ibid., t. II, p. 314. Voir également t. I, p. 138.

51 A. Desbois-Ientile, op. cit., p. 123 : « À travers la figure de l’ancêtre troyen, Lemaire met ainsi en scène les événements politiques de son temps ; les jeux d’alliances entre la France et l’empire des Habsbourg, les guerres d’Italie, mais aussi l’appel à une croisade contre les Turcs […]. La chute de Constantinople en 1453 avait avivé la peur d’une chute de toute la chrétienté. Dans l’entourage de Louis XII émerge alors à nouveau l’idée d’une croisade, formalisée par le traité de Cambrai, qui donne lieu à une abondante littérature invitant Louis XII à prendre la tête de la chrétienté contre les Turcs. Lemaire se fait l’écho des préoccupations de son temps vis-à-vis d’un pouvoir turc en contestant vigoureusement l’hypothèse d’une généalogie troyenne des Turcs mentionnée à diverses reprises au Moyen Âge ». Voir également p. 124-125 : Lemaire de Belges utilise le mythe troyen « au service […] d’une politique anti-turque ».

52 Ibid., p. 431 sq.

53 Pour cette citation et les suivantes, voir M. Colombo Timelli, « Cherchez la ville. Constantinople à la cour de Philippe le Bon (1419-1467) », Quaderni di Acme, no 65, 2004, p. 113-130.

54 Voir E. Doudet, « Le miroir de Jason », art. cité, p. 191.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Florence Tanniou, « La guerre de Troie, matrice de la guerre de croisade »Astérion [En ligne], 30 | 2024, mis en ligne le 12 septembre 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asterion/10684 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12b0r

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Auteur

Florence Tanniou

Université Paris Nanterre, CSLF (EA 1586) • Florence Tanniou est maîtresse de conférences en langue et littérature médiévales à l’université de Paris Nanterre. Elle s’intéresse à la réception de l’Antiquité au Moyen Âge, en particulier aux modalités historiographiques et politiques des réécritures du mythe troyen (« Troie sur le chemin des croisades [XIIe-XIVe siècles] », Atlantide, no 2, 2014. En ligne : [https://atlantide.univ-nantes.fr/IMG/pdf/tanniou.pdf]). Elle travaille également sur l’historiographie des États latins d’Orient (Henri de Valenciennes, Philippe de Novare).

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