Éléonore Lépinard, Oriane Sarrasin et Lavinia Gianettoni (dir.), Genre et islamophobie. Discriminations, préjugés et représentations en Europe
Éléonore Lépinard, Oriane Sarrasin et Lavinia Gianettoni (dir.), Genre et islamophobie. Discriminations, préjugés et représentations en Europe, Lyon, ENS Éditions, coll. « Sociétés, espaces, temps », 2021, 234 p.
Texte intégral
1Issu d’une journée d’étude, le présent ouvrage comporte huit chapitres et aborde les croisements entre le genre et l’islamophobie dans leurs déploiements et leurs interrelations, analysés sous différentes perspectives et dans trois contextes européens différents (belge, français et suisse) pour en montrer les récurrences et les invariants. Le livre utilisant l’écriture inclusive, nous ferons de même dans cette recension.
2L’introduction, écrite par Oriane Sarrasin, Éléonore Lépinard et Lavinia Gianettoni, repositionne tous les questionnements qui parcourent les différents chapitres et les façons dont les auteurs.trices y répondent, en fonction de leur champ d’expertise. Elles tissent notamment de nombreux liens entre les contributions. Cette éclairante introduction définit et contextualise des concepts qui seront utilisés et mis en avant tout au long du livre, notamment celui parfois controversé d’islamophobie.
3La première partie de l’ouvrage, « La production des représentations genrées de l’islamophobie », s’intéresse aux processus de construction de la figure d’un Autre et les façons dont cette altérité se déploie en relation avec le genre. Dans le premier chapitre, « Genre et racialisation des musulman.e.s : une analyse des interventions parlementaires en Suisse (2001-2016) », Elisa Banfi contextualise et met en avant, grâce à une méthodologie d’analyse du discours public, le processus de racialisation des musulman.e.s qui s’opère à travers celui-ci. Elle montre aussi comment les représentations genrées des musulmanes sont utilisées au plan de l’insertion des minorités religieuses en Suisse. Dans le chapitre suivant, « Racialisation de l’islam et représentations sociales des musulman.e.s de Belgique : actualisation des figures genrées des années 1980 », Nouria Ouali présente moins une analyse qu’un très bon état des lieux des évolutions de la perception belge des musulman.e.s, ainsi que les différentes étapes aboutissant à une islamophobie genrée, où la question du foulard devient centrale dans les débats concernant cette population.
4Dans la deuxième partie intitulée « L’islamophobie : au nom des droits des femmes ? », les autrices étudient l’utilisation de la notion d’égalité des sexes et des genres comme valeur fondamentale dans des discours discriminatoires envers l’islam et les musulman.e.s. Ces discours reposent pour beaucoup sur la figure d’un Autre – tel que mis en avant dans la première partie de l’ouvrage. Cet Autre aurait des valeurs différentes, voire opposées à celles déployées en Europe, ce qui serait considéré comme un facteur expliquant les difficultés d’intégration et donc certaines politiques racistes et islamophobes. Le chapitre 3, intitulé « Ambivalence ou tolérance ? Soutien à l’égalité de genre et attitudes envers le port du voile en Suisse » par Oriane Sarrasin, est consacré à la question des préjugés, étudiés à partir de la psychologie sociale. L’autrice présente une étude portant sur les liens entre le soutien à l’égalité de genre et l’attitude envers le voile sous le prisme de la suppression ou de la justification de certains préjugés. Cette étude apporte un éclairage psychologique nouveau pour l’analyse de discours politiques s’appuyant avant tout sur la question de l’égalité des genres. Ensuite, dans le chapitre 4, « Le sexisme des autres. Préjugés islamophobes et violence de genre », Lavinia Gianettoni présente de façon très précise, graphiques à l’appui, une étude suisse en psychologie sociale sur l’attribution du sexisme à cet Autre racisé. Elle met ainsi en avant le fait qu’un même acte de violence sexiste sera jugé plus grave selon l’origine supposée de son auteur.trice. Elle apporte ainsi une réflexion sur les logiques patriarcales qui structurent ces modes de pensées. Éléonore Lépinard, dans le chapitre 5 intitulé « Race et religion : les “bons” et les “mauvais” sujets du féminisme en France », interroge le rôle des féministes dans les débats entourant la redéfinition des valeurs de la laïcité française et leur inscription dans des politiques islamophobes par leur soutien à des projets nationalistes. À partir d’une étude de terrain auprès de mouvements féministes et d’une réflexion sur le fémonationalisme, Lépinard met en avant le concept de blanchité féministe, positionnement qui permet la définition d’une Autre du féminisme, qui serait inférieure moralement. Cette Autre ne partagerait pas les mêmes valeurs féministes censément universelles, ou la même compréhension de certains concepts, tels que l’émancipation, en raison même de sa religion. L’imputation des différences à un critère religieux suscite dès lors des prises de position morales de la part de mouvements féministes français majoritairement blancs et, donc, une hiérarchisation des combats.
5La troisième partie, « Subir et contrer l’islamophobie genrée », s’intéresse aux façons dont les musulman.e.s se situent vis-à-vis des discriminations perçues, vécues et subies, notamment en lien avec le marché du travail. Dans le chapitre 6 intitulé « Le genre de l’islamophobie : les musulman.e.s face aux discriminations en France », Patrick Simon interprète les résultats de deux études nationales menées en France en 2008 et en 2014, par rapport, plus précisément, à l’évolution des agressions envers les femmes voilées au regard de la multiplication des discours (politiques, médiatiques, institutionnels) concernant cette pratique de voilement. On remarque ainsi une forte évolution du nombre d’agressions déclarées, mais qui pose aussi la question de la conscientisation accrue des personnes concernées. Dans le chapitre suivant de Juliette Galonnier, « Barbes et foulards : les marqueurs genrés de l’islamophobie », l’autrice présente son étude de terrain portant sur des personnes converties à l’islam aux États-Unis et en France. Elle s’intéresse au processus genré de racialisation dont les converti.e.s peuvent être victimes. Elle déploie trois concepts, l’essentialisation, la corporalisation et la hiérarchisation, qui sont au cœur de la racialisation. Les analyses des pratiques vestimentaires et corporelles au regard des ressentis sont très intéressantes, même s’il est dommage que les trois concepts ne soient déployés qu’en conclusion du chapitre. Enfin, le dernier chapitre de Hanane Karimi, intitulé « Voile et travail en France : l’entrepreneuriat féminin en réponse à l’islamophobie », s’intéresse aux musulmanes et à leur rapport avec le monde du travail français, particulièrement discriminant sur le port du voile. Karimi présente son enquête auprès de réseaux de coworking et de networking réunissant des musulmanes entrepreneuses. Elle met ainsi en avant les différents processus qui amènent ces femmes à se lancer dans l’entrepreneuriat et les façons dont elles se positionnent face à ce choix. Les concepts abordés en introduction sont trop peu développés et exploités, mais cet article présente une perspective intéressante sur le monde du travail.
6Cet ouvrage collectif est pour conclure fort instructif et riche de concepts et de définitions. Les huit chapitres, grâce à des méthodologies issues de différents champs d’étude, décortiquent les mécanismes qui aboutissent à la racialisation d’une question religieuse, ce qui soutient l’utilisation du concept d’islamophobie en tant que racisme. Ils mettent également en lumière l’utilisation fallacieuse de la notion d’égalité des genres pour élaborer et soutenir des politiques islamophobes. En outre, l’influence vis-à-vis de la diffusion de plus en plus fréquente de ces discours dans les sociétés belge, française et suisse est explicitée à partir de sondages et d’enquêtes de terrain. L’utilisation de cette valeur d’égalité des genres, considérée comme universelle, a participé à la fabrication d’un Autre, tant masculin vis-à-vis de la violence sexiste, que féminin vis-à-vis d’un féminisme blanc et de sa compréhension normative de l’émancipation. Il est cependant dommage que l’aspect religieux – qui s’opposerait à une conception de la laïcité – ne soit pas plus développé et interrogé au-delà du chapitre 5. Les renvois entre les différents chapitres sont fort utiles et éclairants, comme les nombreuses références très récentes et actuelles en notes de bas de page, ainsi qu’une bibliographie finale très complète permettant la poursuite des réflexions.
Pour citer cet article
Référence papier
Justine Manuel, « Éléonore Lépinard, Oriane Sarrasin et Lavinia Gianettoni (dir.), Genre et islamophobie. Discriminations, préjugés et représentations en Europe », Archives de sciences sociales des religions, 200 | 2022, 256-258.
Référence électronique
Justine Manuel, « Éléonore Lépinard, Oriane Sarrasin et Lavinia Gianettoni (dir.), Genre et islamophobie. Discriminations, préjugés et représentations en Europe », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 200 | octobre-décembre 2022, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/68721 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.68721
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