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Comptes rendus

Philippe Portier, Un siècle de construction sociale. Une histoire de la Confédération française des travailleurs chrétiens

Paris, Flammarion, 2019, 268 p.
Denis Pelletier
p. 389-390
Référence(s) :

Philippe Portier, Un siècle de construction sociale. Une histoire de la Confédération française des travailleurs chrétiens. Paris, Flammarion, 2019, 268 p.

Texte intégral

1Voilà un livre bien intéressant et qui apporte à la fois de la synthèse et du neuf. Issu d’une commande de la confédération syndicale à l’occasion de son centenaire, il est le premier, à ma connaissance, qui traite de la CFTC sur toute la durée de son histoire. Philippe Portier s’y est attelé en politiste attentif à l’histoire et à la périodisation, plus sensible aux grands modèles idéologiques qu’aux détails d’une histoire bataille. On regrette parfois qu’il ne s’attarde pas davantage sur le quotidien de l’action syndicale, sur les aspects concrets de certains conflits sociaux dans lesquels la CFTC a joué un rôle ou sur le déroulement des négociations qui lui ont permis, en dépit de la rupture de 1965 et de ses effets en termes de recrutement, de rester au nombre des confédérations syndicales considérées comme représentatives. Mais ce choix de méthode, que légitime l’existence de travaux portant sur des périodes plus courtes et davantage enracinés dans une histoire sociale, permet en retour une mise en perspective qui prend en charge à la fois l’histoire du catholicisme militant dans laquelle s’enracine la CFTC, l’histoire politique française et les grandes mutations qui ont marqué la société au cours du dernier siècle. Il en résulte un récit court et fort bien structuré, en trois parties et neuf chapitres, conduit par une rédaction toujours claire et dont les vertus heuristiques sont remarquables.

2Sous le titre « La reconquête du siècle », la première partie est consacrée à la genèse et la fondation de la CFTC en 1919, puis à sa première implantation au cours de l’entre-deux-guerres. Philippe Portier y revient sur une histoire qui coïncide largement avec le « moment 1905 » de la société française, entre la loi Waldeck-Rousseau de 1884 qui rend possible la fondation de syndicats et le rapport complexe que le « bloc catholique » (p. 41) entretient avec la République, entre combat contre la laïcisation et engagement dans la « nébuleuse réformatrice » (Christian Topalov). Il montre le rôle des réseaux issus de l’association Saint-Labre et, plus généralement, d’un catholicisme social qui a fait de l’encyclique Rerum novarum (1891) sa référence, ouverte à la possibilité de syndicats « séparés » du patronat. Le congrès de 1919, où la confédération est fondée, répond à la fois à un premier essor du syndicalisme chrétien, dans le milieu des employés mais aussi parmi les ouvriers, à l’organisation parallèle du patronat (l’UIMM a été fondée dès 1901) et à la nécessité de contrer l’hégémonie naissante de la CGT fondée en 1905. L’implantation de la CFTC est réelle au cours des premières décennies de son histoire, malgré les difficultés liées à l’opposition de segments du patronat chrétien, notamment dans le Nord, et grâce à la mobilisation de trois types de ressources : un pilier militant, grâce aux troupes fournies par l’Action catholique ; un pilier politique nourri au Parlement par la droite modérée et le Parti démocrate populaire ; un pilier intellectuel, avec la mise en place d’une nébuleuse d’organisations au premier rang desquelles figure l’Action populaire jésuite et les Semaines sociales de France. Une des caractéristiques fortes de la CFTC est ainsi l’accent mis sur la formation des militants, que confirme la création d’Écoles normales ouvrières à partir de 1931. Dans quelques pages nuancées et justes, l’auteur souligne enfin l’engagement de nombres de figures de la CFTC dans la Résistance, notamment à Libération-nord puis Libération-sud, qui conduit Gaston Tessier à être membre du Conseil national de la Résistance à la Libération.

3La seconde partie, « L’épreuve de la rupture », est consacrée à la période qui va de la Libération au congrès de 1964 au cours duquel la majorité de la CFTC acte la mise à distance de l’enracinement catholique du syndicat et adopte le titre de Confédération française du travail (CFDT), provoquant en retour la scission des minoritaires qui maintiennent la tradition confessionnelle et le sigle initial. Cette histoire est bien connue grâce aux travaux de Frank Georgi. Philippe Portier reprend donc les grandes lignes du combat pour la déconfessionnalisation du syndicat conduit par le groupe « Reconstruction », longtemps minoritaire derrière quelques leaders, Paul Vignaux d’abord, mais aussi Charles Savouillan et Fernand Hennebicq. Il rappelle, dans un chapitre bien utile, l’engagement de la CFTC en faveur de la construction européenne, son soutien critique au processus de modernisation de l’État (nationalisations, planification, sécurité sociale) et son engagement en faveur de l’enseignement privé. Il est moins prolixe, on le regrette un peu, sur la manière dont le groupe « Reconstruction » a pris en charge la transformation profonde des conditions du travail ouvrier à l’heure de la mécanisation et du débat sur la « nouvelle classe ouvrière ». Mais il montre bien comment le combat des minoritaires des années 1940 et 1950 s’inscrit dans une évolution plus large du catholicisme français. Et le dernier chapitre de la partie, consacré à « la conservation des structures » au sein de la CFTC « maintenue » après 1964, permet de saisir la façon dont les majoritaires devenus minoritaires se sont battus pour préserver leur représentativité au sein des instances du dialogue social. Il montre aussi l’originalité d’un militantisme qui se méfie de l’engagement partisan (la CFTC, plutôt droitière, est restée à l’écart des grèves de mai 68 et n’a soutenu ni le nouveau PS ni l’Union de la gauche) et oppose à l’autogestion chère à la CFDT un soutien à la « participation » promue par le régime gaulliste puis par Jacques Chaban-Delmas et Jacques Delors au début des années 1970.

4La troisième partie, « La réinvention d’une tradition », est la plus neuve. Dominée par quelques figures marquantes, notamment Jacques Voisin et Alain Deleu qui en fut le secrétaire général de 1993 à 2002, la CFTC n’échappe ni à la déprise qui affecte depuis près d’un demi-siècle l’ensemble du syndicalisme français, ni aux effets du déclin de l’appartenance catholique en France. On est frappé de la manière dont la résistance de la CFTC a pris appui sur la réaffirmation d’une tradition ancienne, l’enracinement dans le catholicisme social, la défense de la famille, l’attention aux enjeux de proximité, pour la reformuler dans un contexte marqué par la globalisation libérale et le mouvement général de dérégulation qui affecte alors le monde du travail et met en danger le dialogue paritaire. Réduite à 8 % environ des votants lors des élections professionnelles, la CFTC demeure un syndicat plutôt marqué à droite, ce dont témoigne l’engagement de nombre de ses dirigeants contre la réforme Savary de 1983-1984, puis contre les politiques du genre. Mais elle est devenue un des lieux alternatifs de réflexion sur la réforme sociale, dans une logique qui naturalise au catholicisme la problématique du care, s’efforce de penser la mondialisation sans renoncer à ce que l’auteur nomme, d’une manière particulièrement heureuse, une « éthique de la sollicitude » (p. 250), et maintient fermement l’exigence ancienne d’une réforme de l’entreprise en insistant sur les obligations morales qui pèsent sur l’ensemble des acteurs sociaux. En lisant cette troisième partie, on retrouve un certain nombre des tendances qu’a repérées Marie-Emmanuelle Chessel dans sa très belle enquête récente sur le patronat chrétien en France (L’entreprise et l’Évangile. Une histoire des patrons chrétiens, Presses de Sciences Po, 2018). Manière de souligner une permanence dans l’histoire de la CFTC, celle d’un syndicat « séparé », acceptant la nécessité des luttes sociales, mais marquant aussi son souci de ne pas rompre le dialogue avec le patronat. À un moment où une partie croissante de celui-ci remet en question la logique du dialogue paritaire au profit de stratégies de dérégulation, à un moment, aussi, où la grève est devenue difficile, la modération syndicale dont hérite la CFTC retrouve une forme d’actualité que Philippe Portier met en évidence de façon très convaincante.

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Pour citer cet article

Référence papier

Denis Pelletier, « Philippe Portier, Un siècle de construction sociale. Une histoire de la Confédération française des travailleurs chrétiens », Archives de sciences sociales des religions, 196 | 2021, 389-390.

Référence électronique

Denis Pelletier, « Philippe Portier, Un siècle de construction sociale. Une histoire de la Confédération française des travailleurs chrétiens », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 196 | octobre-décembre 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/65364 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.65364

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Auteur

Denis Pelletier

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