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Comptes rendus

Blandine Chelini-Pont, Florence Rochefort (dir.), Femmes, féminismes et religions dans les Amériques

Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Penser le genre », 2018, 164 p.
Béatrice de Gasquet
p. 299-300
Référence(s) :

Blandine Chelini-Pont, Florence Rochefort (dir.), Femmes, féminismes et religions dans les Amériques, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, coll. « Penser le genre », 2018, 164 p.

Texte intégral

1Issu d’un panel du Congrès de l’Institut des Amériques tenu en 2013, cet ouvrage offre un utile panorama d’engagements religieux féminins dans les Amériques. L’introduction de Florence Rochefort resitue l’ouvrage dans l’actualité des recherches croisant religion et questionnements sur le genre, mettant notamment en avant la distinction entre agentivité des actrices dans le champ religieux et émancipation féministe, et rappelle de manière synthétique l’histoire des féminismes religieux contemporains.

2Certaines contributions reviennent sur les héritages des militantismes des années 1960-1970 aux États-Unis. Anne Stefani évoque ainsi la place de la socialisation religieuse protestante dans l’engagement de femmes sudistes contre la ségrégation, contrastant deux générations successives ; Cécile Coquet-Mokoko évoque comment dans les églises noires en Alabama les prédicateurs peuvent renforcer la désapprobation sociale envers les couples noirs-blancs. L’héritage des droits civiques est aussi indirectement présent dans les féminismes musulmans évoqués par Harima Djennane, où les africaines-américaines converties à l’islam jouent un rôle important, aux côtés d’intellectuelles issues de l’immigration du Moyen-Orient, d’Inde ou du Pakistan. Trois textes abordent les effets de Vatican II et du féminisme des années 1970 sur les religieuses catholiques nord-américaines, ainsi que sur les pratiques interreligieuses. Dominique Laperle retrace ainsi les transformations d’une congrégation catholique vers l’incorporation de certaines pratiques féministes comme le langage inclusif dans les années 1980. Marie Gayte revient sur la condamnation en 2012 par le Vatican de la principale organisation de religieuses catholiques aux États-Unis, qu’elle attribue à un conflit politique entre des ordres religieux priorisant les enjeux de justice sociale au nom de Vatican II, et des évêques chargés par le Vatican de donner priorité aux questions liées à la sexualité. Enfin, Denise Couture évoque les pratiques interreligieuses féministes menées au Québec par des femmes aux références religieuses diverses, mais ayant en commun la recherche d’une « justice relationnelle ».

3C’est peut-être sur l’Amérique centrale que l’ouvrage est le plus intéressant pour un lectorat francophone. L’ouvrage présente une très riche palette de figures féminines actrices d’un changement social et religieux qui n’aboutit pas toujours. Marie-Cécile Bénassy-Berling présente le parcours singulier et fascinant de sœur Juana Inès de la Cruz, une religieuse atypique dans le Mexique du xviie siècle, qui fut célèbre, puis oubliée, pour sa poésie, ses comédies et un texte audacieux en faveur de l’éducation des femmes, appel qui ne sera pas entendu. Camille Foulard raconte le retour de l’ordre des Filles de la Charité en 1946 au Mexique, et leurs transformations subséquentes, entre coopération avec l’État pour assurer un rôle de santé publique, injonctions vaticanes à rechristianiser le Mexique, et réformes conciliaires. Dans le nord du Mexique, Lidia Donat décrit les effets de l’initiative d’un prêtre proche de la Teología India, qui ouvre une maison de santé valorisant la médecine traditionnelle amérindienne ; si cette théologie peut avoir des dimensions essentialistes envers les femmes, la maison de santé devient ici un espace d’entre-soi féminin proche des groupes de parole féministes.

4L’une des questions que pose l’ouvrage est celle de la pertinence de l’échelle « Amériques », qu’il s’agisse de la spécificité du continent (notamment par rapport à l’Europe, évoquée dans l’introduction), ou de son unité. La comparaison des différentes régions (par exemple selon le poids relatif du catholicisme, les traditions de pluralisme religieux, l’histoire politique de la question raciale…) n’est pas directement abordée.

5Les circulations entre nord et sud sont cependant traitées à la marge dans trois articles, qui contribuent plutôt à renforcer l’idée d’une centralité de l’Amérique du Nord. Dominique Laperle évoque le départ dans les années 1960-1970 de religieuses canadiennes et californiennes pour fonder des missions au Pérou et au Brésil, où elles favorisent la participation des laïcs à l’Église dans l’esprit des communautés ecclésiales de base. Dans deux articles proposant respectivement un panorama des réseaux bouddhistes féminins et des féminismes musulmans sur le continent, Molly Chatalic et Harima Djennane évoquent comment des figures féminines isolées en Amérique du sud cherchent des appuis dans les réseaux états-uniens : fondation en 2013 au Chili d’une antenne sud-américaine d’un mouvement musulman progressiste états-unien, formation d’enseignantes bouddhistes dans des centres aux États-Unis.

6L’un des points forts de cet ouvrage, qui va du xviie siècle aux années 2010, concerne la diversité des actrices et des engagements religieux couverts : contre la ségrégation aux États-Unis, pour l’accès des femmes à l’éducation, religieuse ou non, contre la pauvreté, pour une relecture égalitaire des textes… Il reste en revanche à côté de l’actualité politique en n’évoquant pas les conflits politico-religieux qui, en Amérique du Nord comme du Sud, sont centrés sur l’accès aux droits reproductifs et sur la théorie du genre (le protestantisme évangélique est ainsi absent). On peut également noter que les contributions ont en commun de privilégier l’expérience de collectifs et de points de vue féminins (pas toujours féministes) sur le point de vue des organisations religieuses sur les femmes. Ce choix donne une cohérence certaine à l’ouvrage, mais les interactions ou comparaisons avec les hommes d’univers religieux similaires manquent parfois à la lecture.

7Cet ouvrage est néanmoins à recommander pour les éclairages précieux qu’il apporte sur la complexité de trajectoires féminines religieuses souvent méconnues du lectorat français.

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Pour citer cet article

Référence papier

Béatrice de Gasquet, « Blandine Chelini-Pont, Florence Rochefort (dir.), Femmes, féminismes et religions dans les Amériques », Archives de sciences sociales des religions, 188 | 2019, 299-300.

Référence électronique

Béatrice de Gasquet, « Blandine Chelini-Pont, Florence Rochefort (dir.), Femmes, féminismes et religions dans les Amériques », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 188 | octobre-décembre 2019, mis en ligne le 08 janvier 2022, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/48733 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.48733

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Auteur

Béatrice de Gasquet

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