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AccueilNuméros183Façonner l'objet de dévotion chré...Vente, troc et don : la zone gris...Une controverse sans débat

Façonner l'objet de dévotion chrétien
Vente, troc et don : la zone grise du commerce des dévotions

Une controverse sans débat

Jean-Baptiste Thiers, les chanoines de Chartres et la question du commerce sous les porches des églises (1677-1680)
A controversy without debate. Jean-Baptiste Thiers, the canons of Chartres and the question of trade under the porches of the churches (1677-1680)
Una controversia sin debate. Jean-Baptiste Thiers, los cánones de Chartres y la cuestión del comercio bajo los pórticos de las iglesias (1677-1680)
Nicolas Balzamo
p. 51-71

Résumés

L’objet de dévotion est-il une marchandise comme une autre ? Telle est la question posée par le théologien Jean-Baptiste Thiers dans sa Dissertation sur les porches des églises. Publié en 1679, l’ouvrage entendait peser sur le débat qui agitait alors le chapitre de Chartres, confronté au problème du commerce aux abords de la cathédrale. Aux chanoines qui souhaitaient faire une exception en faveur des articles de piété, Thiers opposait l’incompatibilité fondamentale entre activité mercantile et espace sacré : nul objet, quelle que soit sa nature, ne pouvait être vendu dans ou aux environs immédiats d’un lieu de culte. La querelle ne se réduit cependant pas à une question de principes, ni son étude à la reconstitution d’un moment de la réflexion théologique sur les rapports entre commerce et dévotion : la présence d’enjeux extérieurs au champ théorique fait de ce cas un exemple propre à comprendre le fonctionnement d’une controverse à l’époque moderne.

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Texte intégral

  • 1 Lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (25 mai 1678), Bibliothèque nationale de France (désormais (...)

Ma maladie est cause que l’on n’imprime pas mon Traité des superstitions, car elle m’a empesché de l’achever. J’espère pourtant qu’il le sera dans un mois ou deux tout au plus tard. Mandez moy, s’il vous plaist, au plus tost, si sous les porches de vostre eglise cathédrale vous souffrez que l’on vende des chappelets, des croix, des medailles, etc. Mandez moi aussy, je vous prie, quel est l’usage des eglises cathédrales voisines. Il y a eu sur ce sujet une grande contestation dans nostre chapitre de Chartres, et deux arrests n’ont pas encore peu la finir. J’ay fait une ample dissertation pour montrer qu’il ne se doit vendre aucunes marchandises sous les porches, pas même celles qui servent à la prière, et on commencera dans quinze jours à l’imprimer. Si vous avez des ordonnances de vostre chapitre qui confirment mon opinion, envoyez-les-moy, je vous prie, et tout ce qui pourra avoir rapport à ceste affaire. Le tout en secret, s’il vous plaist, car il ne faut pas que l’on sache que ma dissertation sera bientost imprimée1.

  • 2 Réputation qui relève d’ailleurs du contresens (Chartier et Revel, 1980). Sur le Traité des supers (...)

1Tout sépare les deux ouvrages dont il est question dans cette lettre, adressée par Jean-Baptiste Thiers au chanoine rémois Jean Pinguenet le 25 mai 1678. Publié chez le libraire parisien Antoine Dezallier, le Traité des superstitions a valu à son auteur un succès d’estime de son vivant et, une fois redécouvert par les historiens, la réputation de précurseur de l’ethnographie française2. Sortie des presses d’un petit imprimeur orléanais, la Dissertation sur les porches des églises a connu la célébrité éphémère qui est celle des livres à scandale. Thiers semble avoir prévu ce destin, comme en témoigne son souci de préserver la confidentialité de l’œuvre jusqu’à sa publication. La suite des événements lui donna raison : non seulement l’ouvrage valut un procès à son auteur, mais le chapitre cathédral de Chartres le jugea suffisamment dangereux pour exiger de ses membres un serment solennel, par lequel chacun des soixante-seize chanoines jurait n’avoir pris aucune part à sa rédaction.

2Si l’intérêt d’un livre ne saurait se mesurer à l’aune des condamnations dont il a fait l’objet, celles-ci n’en constituent pas moins un indice quant à l’importance des enjeux qu’il soulève et une invitation à en comprendre la nature. En fait d’enjeux, la Dissertation en implique de considérables du point de vue théorique. Derrière un sujet apparemment très spécialisé – comme Thiers l’indique dans sa lettre, il n’y est pas question d’autre chose que du commerce sous les porches des églises – se profilent des problèmes qui n’ont rien d’anecdotique : l’objet de dévotion est-il une marchandise comme une autre ? Sa fonction spirituelle est-elle de nature à atténuer le caractère peccamineux qui s’attache à toute activité commerciale ? Celle-ci peut-elle être pratiquée dans ou aux environs immédiats d’un lieu de culte ? La controverse qui a opposé Jean-Baptiste Thiers au chapitre cathédral de Chartres ne saurait pourtant se réduire à un conflit de principes, dont il suffirait de restituer la teneur pour en écrire l’histoire. À l’historien qui pense que les « idées » naissent et se développent dans un monde qui leur serait propre, on rappellera que les controversistes de l’époque moderne ne se privaient pas de réduire celles de leurs adversaires à la défense d’intérêts matériels. L’affaire qui nous occupe n’échappe pas à cette règle : Thiers accusait les chanoines d’avoir autorisé le commerce d’objets pieux sous les porches en raison du profit matériel qu’ils y trouvaient ; les chanoines reprochaient à Thiers de n’avoir écrit son ouvrage que pour faire parler de lui. Les pages qui suivent voudraient rester à égale distance de ces deux extrêmes et, en accordant une importance égale aux discours tenus par les acteurs et aux raisons qui les ont conduits à tenir les discours qu’ils ont tenus, apporter une contribution à l’étude du commerce des objets de dévotion en même temps qu’à celle des formes revêtues par la controverse à l’époque moderne.

Comment naît une controverse

  • 3 Registres capitulaires (désormais RC), 30 mars 1677 (cité par Thiers, 1679 : 133-134).

3Lorsque la Dissertation sur les porches des églises vit le jour, en novembre 1678, la « grande contestation » suscitée par les activités commerciales qui prenaient place aux abords de la cathédrale de Chartres durait depuis plus d’un an. Le 30 mars 1677, le chanoine Nicolas Girault était venu se plaindre à ses confrères de ce « qu’il y avoit plusieurs personnes qui occupoient les portiques de l’eglise de plusieurs sortes de marchandises, en sorte que plusieurs de messieurs les chanoines et luy ne pouvoient commodement passer en venant à l’eglise3 ». Le chapitre fit droit à sa requête : ordre fut donné de chasser les vendeurs de sous les porches et de faire en sorte qu’ils n’y reviennent pas.

  • 4 RC, 22 août 1317, Archives départementales d’Eure-et-Loir (désormais ADEL), G supp. 169, p. 25.
  • 5 RC, 12 août 1620 (cité par Thiers, 1679 : 130-131).

4De telles mesures relevaient de la routine pour un chapitre confronté à un problème proprement insoluble : porches et degrés étaient régulièrement investis par toutes sortes de marchands qui y tenaient commerce et qui, chassés un jour, revenaient le lendemain. Les registres capitulaires ont conservé la trace de dizaines de dispositions analogues ; leur caractère répétitif en dit long sur l’absence d’efficacité. En date de 1317, la première d’entre elles prévoyait d’expulser tous les vendeurs « installés sous les porches et sur les degrés de l’église4 ». Trois siècles plus tard, rien n’avait changé, comme en témoigne cette ordonnance de 1620 : constatant que « certaines boutiques de merciers estans au cloistre pres les degrez de l’eglise apportent beaucoup d’incommodité », le chapitre exigea d’y mettre bon ordre5.

  • 6 RC, 9 décembre 1654, Bibliothèque municipale de Chartres (désormais BMC), ms SA 43, vol. XV, fol. (...)
  • 7 Pour autant, il ne semble pas que les vendeurs opérant dans le cloître eussent été affiliés à une (...)
  • 8 RC, 5 décembre 1579 (cité par Thiers, 1679 : 114-115).
  • 9 D’un point de vue général, la politique des chanoines vis-à-vis du commerce dans l’enceinte du clo (...)

5L’ordre en question était du reste malaisé à faire appliquer tant les commerçants pouvaient se montrer rebelles : lorsque l’huissier Mercelot demanda à un vendeur installé sous un porche de quitter les lieux, ce dernier « luy a dict plusieurs injures atroces et scandaleuses mesmes à ses domestiques et l’a voulu frapper et le menaçant de le tuer6 ». Plus pacifiques mais non moins déterminés, certains de ses confrères avaient recours à la voie légale pour défendre ce qu’ils estimaient être leur droit7. Le 2 décembre 1579, une énième ordonnance prohibant tout commerce « dans le cloître et sous les porches de l’église » avait été rendue par le maire de Loëns – juge temporel du chapitre – à la demande des chanoines. Trois jours plus tard, une délégation de quinze marchands vint se plaindre d’une mesure qui, en leur interdisant un emplacement stratégique, les condamnait à la ruine : « Ils auroient employé grandes sommes de deniers pour se y accomoder, lesquelles sommes il leur conviendroit perdre s’il ne Nous plaisoit user envers eux de grace, attendu qu’ils ne peuvent trouver ailleurs places plus commodes pour gaigner leurs vies et celles de leurs familles ». Le chapitre ne resta pas insensible à ces arguments et accorda aux intéressés le droit d’installer leurs boutiques dans le cloître, mais seulement les jours ouvrés et à condition de ne pas « étaller et vendre leursdites marchandises sur les porteaux et degrez de nostre eglise8 ». Le choix avait donc été fait en faveur d’une politique nuancée, qui distinguait à la fois entre les lieux – le commerce était admissible dans le cloître mais non sous les porches – et les temps – les jours de fête devaient rester purs de toute activité mercantile9.

6Le problème soulevé par Nicolas Girault était donc tout sauf neuf et la solution choisie épousait un usage déjà ancien. Chargé de la mettre en œuvre, le chanoine Blaise Le Féron fit rendre par le maire de Loëns une nouvelle sentence relative au commerce sous les porches de la cathédrale. Promulgué le 6 avril 1677, ce texte clé ne nous est connu que par les paraphrases qu’en firent plus tard les protagonistes de la querelle. À en croire Thiers, il faisait explicitement mention des objets pieux, le maire de Loëns ayant défendu de vendre « sur les degrez et sous les portiques de l’eglise Nostre-Dame aucunes marchandises que ce soit […], ny mesme des chappellets, medailles, chemises de Chartres, images, ny autres choses de devotion » (Thiers, 1679 : 135).

  • 10 Récurrent, le problème de la vente d’alcool à proximité des lieux de pèlerinage a parfois servi de (...)
  • 11 RC, 6 avril 1677 (cité par Thiers, 1679 : 132-133).

7Ce n’était pas la première fois que la question de la nature des marchandises s’invitait dans le débat relatif au commerce sous les porches. Deux ans plus tôt et quelques jours avant la fête de la Nativité de la Vierge (8 septembre), les chanoines s’étaient plaints au maire de Loëns de ce que cloître et portiques avaient été littéralement envahis par toutes sortes de boutiquiers, dont certains proposaient des denrées peu compatibles avec ce que devait être un lieu de pèlerinage, de l’eau-de-vie notamment10. Le juge avait alors rendu une ordonnance interdisant tout commerce dans l’enceinte du cloître jusqu’au 8 septembre inclus. Étaient exceptés de cette mesure les vendeurs de « chappellets, medailles, chemises de Chartres et autres choses de devotion », mais à la condition expresse qu’ils n’installeraient pas leurs étals sous les porches et sur les marches de la cathédrale11. Nouvelle nuance apportée à la politique commerciale des chanoines : la distinction entre les différents types de marchandises venait s’ajouter à celles qui existaient déjà entre les temps et les lieux. Mais cette dernière primait les autres : autorisée les jours de fête et dans l’ensemble du cloître, la vente d’objets pieux restait interdite sous les porches.

  • 12 RC, 31 juillet 1677 (cité par Thiers, 1679 : 17).

8À supposer que la version de Thiers fût conforme aux faits, l’arrêt du 6 avril 1677 ne faisait donc que suivre la jurisprudence et on aurait pu croire l’affaire réglée. Mais le 31 juillet, deux femmes vinrent trouver les chanoines pour se plaindre de la mesure prise par le maire de Loëns trois mois plus tôt et demander « de leur permettre qu’elles se remettent sous les portiques de l’eglise, à l’entrée de la chapelle de Sous-terre, pour vendre leurs chappelets et chemises de Chartres, ainsi qu’elles faisoient auparavant12 ». Le chapitre accéda à leur requête et les deux marchandes regagnèrent aussitôt leur poste de travail, sous le portail nord de la cathédrale. Les sources sont contradictoires quant aux motivations d’une décision en rupture avec la ligne traditionnelle du chapitre. D’après Jean-Baptiste Thiers, elle était le fait d’un petit groupe de chanoines sinon corrompus – Thiers laisse entendre qu’ils avaient été soudoyés par les deux vendeuses – du moins laxistes et ignorants des principes élémentaires qui devaient régir l’espace ecclésial, tout autant qu’ils l’étaient des traditions de leur église (Thiers, 1679 : A2r-v). Exposée dans un factum paru à la fin de l’année 1679, la position officielle du chapitre était, on s’en doute, toute différente. À l’en croire, Blaise Le Féron avait outrepassé ses prérogatives : prenant prétexte d’un règlement du maire de Loëns qui ne visait que les vendeurs d’eau-de-vie, le chanoine en avait profité pour expulser deux pauvres vendeuses de chapelets. Chassées de sous les porches, elles s’étaient retrouvées exposées aux intempéries. C’est par pure charité que le chapitre avait renoncé à interdire un commerce à la fois modeste par sa forme – deux petits étals qui n’entravaient pas le passage – et pieux par son objet (Factum, 1679 : 2-3). Faute de posséder le texte original du règlement promulgué le 6 avril, il est impossible d’évaluer la conformité aux faits de ces deux versions.

9Reste que la mesure fit débat : s’estimant déjugé, Blaise Le Féron demanda à ses confrères de revenir sur leur décision. Le 2 août, l’affaire des deux vendeuses fut à nouveau débattue. Sans se prononcer sur le fond du problème, le chapitre décida de laisser la situation en l’état et les deux femmes à leur place. Mais deux chanoines s’y refusèrent : rejoint par son confrère Jean de Léry, Blaise Le Féron porta l’affaire devant le parlement de Paris en faisant appel comme d’abus. Celui-ci commença par leur donner gain de cause en ordonnant de chasser les vendeuses de sous les porches avant de revenir sur sa décision et, sans préjuger de la sentence finale, autorisa les deux femmes à revenir à leur place de travail habituelle (13 octobre 1677).

10Entre temps, l’affaire avait pris un cours nouveau avec l’entrée en scène de Jean-Baptiste Thiers. La préface à la Dissertation donne quelques détails à ce sujet : « Deux de mes meilleurs amis me prierent de leur écrire ce que je pensois de ce démêlé et d’examiner avec soin cette question : s’il est permis de trafiquer sous les porches des eglises ? » (Thiers, 1679 : A2v-A3r). L’ouvrage serait donc sinon une commande, du moins le résultat d’une sollicitation : controversiste redouté, auteur de plusieurs ouvrages remarqués, Thiers pouvait offrir un appui précieux aux deux chanoines en lutte contre l’ensemble de leurs confrères. Ils n’avaient d’ailleurs pas hésité à enfreindre les règlements du chapitre en fournissant à Thiers des matériaux pour son entreprise, et notamment des extraits des registres capitulaires.

  • 13 Imprimé en novembre 1678, l’ouvrage fut postdaté par l’éditeur pour des raisons commerciales (Thie (...)

11Bien qu’affligé d’une fièvre quarte et œuvrant à son Traité des superstitions, Thiers se mit au travail au début de l’année 1678. Cinq mois plus tard, la Dissertation était à peu près achevée. Il fallut cependant attendre encore six mois pour voir l’ouvrage publié. D’après le principal intéressé, ce délai était dû aux manigances du chapitre : averti de ce que Thiers préparait un ouvrage sur la question du commerce sous les porches, les chanoines de Chartres firent leur possible pour en empêcher la parution, allant jusqu’à menacer de poursuites judiciaires l’éditeur parisien de Thiers, Antoine Dezallier (Thiers, 1680 : 19-20). Rencontré par hasard, un petit imprimeur orléanais – le catalogue de François Hotot compte six titres en tout et pour tout (Herluison, 1868 : 63-64) – accepta de prendre le risque. C’est donc à Orléans que parut, en novembre 167813, la Dissertation sur les porches des églises.

De l’objet pieux comme marchandise

M. Thiers se plaisoit à étudier des matières singulières, ramassoit avec soin tout ce qu’il trouvoit sur ces sujets, mettoit ensuite ces recueils en œuvre et les employoit toujours pour reprendre quelques abus ou pour critiquer quelques ouvrages. Aussi il faut avouer qu’il avoit plus de lecture que de jugement (Liron, 1719 : 306).

12Cette appréciation d’un contemporain est exacte sans l’être tout à fait. Si l’avalanche de textes et d’exemples donne parfois aux ouvrages de Jean-Baptiste Thiers l’aspect de catalogues de citations mises bout à bout, l’érudition foisonnante du curé beauceron reste subordonnée à un impératif de démonstration qu’il ne perd jamais de vue. La Dissertation sur les porches des églises épouse ce modèle avec près de deux cents citations qui remplissent plus de la moitié des 247 pages du livre. 33 pères grecs et latins, 9 papes, 18 conciles provinciaux, 22 synodes diocésains, tel est l’arsenal d’autorités convoquées à l’appui d’une démonstration en trois points : porches, degrés et parvis sont partie intégrante des lieux de culte ; nulle activité profane ne saurait prendre place à l’intérieur de l’espace ecclésial ; toute forme de commerce est interdite dans comme aux abords des églises. Une fois ces principes généraux établis, Thiers en vient à la question centrale : le commerce d’objets de dévotion sous les porches des églises est-il licite ? Résolument négative, la réponse du théologien prend la forme de trois développements qui ne constituent pas une chaîne logique mais placent le problème sur trois terrains différents.

  • 14 Exception faite des décrets du synode diocésain d’Exeter (1287), tous ces textes sont postérieurs (...)

13Premier terrain et première interrogation : la nature d’une marchandise a-t-elle une incidence sur l’activité mercantile dont elle est l’objet ? En d’autres termes, la question est de savoir si les objets de dévotion peuvent se prévaloir d’un statut particulier, qui rendrait caduques les interdictions en usage, et notamment celle de vendre et d’acheter à l’intérieur de l’espace consacré. Non, répond Thiers, pour qui la théologie et le droit s’opposent à une telle interprétation. La théologie est celle de saint Thomas d’Aquin, qui considère que l’activité commerciale possède un caractère peccamineux nécessaire et indélébile : il ne peut y avoir de processus marchand sans appétit de gain, sans avarice et sans tromperie. Le caractère pieux de la marchandise n’y change rien : qu’il vende des chapelets ou des chaussures, le marchand cherche toujours à gagner un maximum d’argent aux dépens de son client (Thiers, 1679 : 175-179). S’agissant du droit, Thiers convoque une série de dispositions issues de conciles provinciaux et de synodes diocésains, qui prohibent toute forme de commerce à l’intérieur comme aux abords des églises14. Certains de ces textes – conciles de Milan (1565) et d’Aix-en-Provence (1585), synodes de Bologne (1566), Plaisance (1570) et Padoue (1624) – citent nommément le cas des objets relatifs au culte, d’autres en restent à des interdictions générales, mais la logique de ces dispositions est une : « ou on les considere comme des marchandises, ou on ne les considere pas comme des marchandises. Si on les considere comme des marchandises, on ne les doit point vendre sous les porches des eglises, suivant ce que nous avons dit, si on ne les considere pas comme des marchandises, il est sans doute qu’on les peut vendre jusqu’au milieu de l’eglise. Or qui oseroit soutenir une telle absurdité ? » (Thiers, 1679 : 159).

  • 15 Thiers a tiré parti de la minutieuse reconstitution du Temple de Salomon proposée par le jésuite e (...)

14Le second point porte sur un texte clé : l’épisode des marchands chassés du Temple par le Christ. Le lecteur s’attend à le voir invoqué dès les premières pages de l’ouvrage, mais Thiers le laisse longtemps de côté, pour lui consacrer un développement spécifique. Objet d’une chaîne ininterrompue de commentaires, ce célèbre passage a fourni matière à des interprétations dont la simple énumération laisse entrevoir toute la richesse des usages sociaux de l’Écriture : tour à tour et parfois simultanément, il a servi à dénoncer la caste sacerdotale juive, à condamner la simonie, à justifier la violence envers les hérétiques, à démontrer le caractère peccamineux de toute activité commerciale, à défendre les biens temporels de l’Église, ou encore à promouvoir la croisade (Bain, 2008). Lorsque Thiers le convoque à son tour, c’est pour revenir à la lettre du texte biblique, qu’il interroge comme on le ferait d’un document historique : les marchands chassés du Temple proposaient-ils des objets pieux à leurs clients ? Étaient-ils installés à l’intérieur de l’édifice ou dans ses environs immédiats ? À l’aide de l’érudition contemporaine15, Thiers s’emploie à démontrer que l’essentiel des marchandises en question était destiné aux nécessités du culte et que leurs vendeurs étaient installés aux abords du Temple, dans un endroit connu sous le nom de galerie de Salomon, laquelle, conclut-il, était le pendant exact des porches des églises (Thiers, 1679 : 183-213).

15Enfin, Thiers entendait faire usage des matériaux chartrains fournis par Léry et Le Féron, et notamment des extraits de registres capitulaires. Ces textes, on l’a vu, ne plaidaient pas en faveur de la solution choisie par le chapitre : depuis le xive siècle, celui-ci prohibait toute activité mercantile sous les portiques et sur le parvis, sans faire d’exception pour les articles de piété. Thiers pouvait ainsi mettre ses adversaires face à leurs contradictions : non seulement la décision de 1677 était contraire à l’Écriture, à la saine théologie et à la tradition de l’Église, mais elle contredisait l’usage local qui, depuis que la question du commerce d’objets pieux sous les porches s’était posée, avait constamment opté pour sa prohibition (Thiers, 1679 : 110-136 et 166-171). Et Thiers d’appeler les chanoines à revenir à leur vieille coutume, « si raisonnable et si conforme aux saints canons » (Thiers, 1679 : 170-171).

La réponse du chapitre : refus du débat et poursuite du combat

  • 16 L’opuscule n’est pas daté, mais sa publication a sans doute pris place à la fin de l’année 1679 : (...)

16Faut-il croire Thiers sur parole et considérer son ouvrage comme une tentative visant à faire revenir les chanoines sur leur décision ? Peu probable : le curé de Champrond n’en était pas à sa première controverse avec le chapitre et le savait peu susceptible de reconnaître ses torts, réels ou supposés. En revanche, il pouvait espérer que sa Dissertation ne resterait pas sans réponse et qu’elle servirait de déclencheur à un débat où il paraîtrait à son avantage. Une telle ambition s’accorderait parfaitement avec la personnalité d’un homme dans lequel ses contemporains reconnaissaient un bretteur des lettres, véritable controversiste professionnel qui avait commencé sa carrière en défiant Jean de Launoy (Thiers, 1662) et qui devait la clore en s’attaquant à Mabillon (Thiers, 1700). Mais les chanoines de Chartres ne lui donnèrent pas cette satisfaction et, en fait de réponse, Thiers n’eut droit qu’à un procès en diffamation et à un factum de 20 pages16, essentiellement dirigé contre Blaise Le Féron, qui se voyait accusé d’avoir doublement trahi ses confrères en portant l’affaire devant des juges laïcs et en appelant à sa rescousse une plume étrangère. De Thiers et de sa Dissertation il n’y était que fort peu question, non plus que du fond du problème : « il ne s’agit pas icy de scavoir s’il est permis de vendre des chapelets et des medailles sous les porches des eglises, et encore moins s’il est loisible d’y trafiquer et d’y faire commerce, mais d’une ordonnance surprise par un chanoine qui fait plus que sa commission ne porte et de l’autorité d’une compagnie à laquelle un particulier veut donner la loy » (Factum, 1679 : 3).

  • 17 La documentation chartraine ne permet pas de le vérifier, mais cette assertion concorde avec ce qu (...)

17Il était cependant impossible d’ignorer totalement la Dissertation. Sous une forme ramassée et dépourvue de tout appareil érudit – pas de références, une demi-douzaine de citations, toutes scripturaires –, le factum du chapitre revenait sur plusieurs de ses points, pour les réfuter. Soutenir que les porches sont partie intégrante de l’espace ecclésial était inexact : dans la mesure où cet espace se définit par sa vocation à accueillir le service divin, il ne saurait englober des lieux où nulle activité cultuelle n’a jamais pris place (Factum, 1679 : 3). L’usage que faisait Thiers des textes normatifs était également révoqué : si l’église de Chartres devait évidemment se plier aux règles universelles qui prohibaient tout commerce à l’intérieur des lieux sacrés, rien ne l’obligeait à suivre des règlements particuliers – conciles provinciaux et statuts synodaux – qui n’avaient force de loi que dans les diocèses où ils avaient été promulgués (Factum, 1679 : 4 et 16). Quant au fait que le chapitre de Chartres avait pu, par le passé, émettre des dispositions analogues et interdire tout commerce sous les porches, il ne saurait tenir lieu d’argument décisif : celui qui a le pouvoir de faire une loi a également celui de la défaire. Tout est affaire de circonstances : « l’on a défendu la vente des chapelets sous les porches et sur les degrez de l’eglise quand on en a fait une foire et une cohue, le chapitre la peut permettre quand elle se fera avec ordre et avec mesure » (Factum, 1679 : 6). Ce qui était précisément le cas ici : l’autorisation concédée par le chapitre ne l’avait été qu’à deux vendeuses, dont l’activité ne générait ni bruit ni désordre. En fait d’étals, il ne s’agissait que d’une petite table engoncée entre deux piliers. Ce dernier caractère amenait les chanoines à récuser le parallèle avec les marchands du Temple : « c’estoit un marché, une cohue, un étalage effroyable qui occupoit non seulement une partie du Temple, mais encore tous les dehors et qui en bouchoit toutes les avenues et empeschoit qu’on ne pust vacquer à l’oraison » (Factum, 1679 : 5). Or non seulement le commerce des deux femmes ne constituait pas une entrave à la piété, mais il n’était pas interdit de penser qu’il la favorisait. Le déplacerait-on que ses effets positifs s’en trouveraient amoindris : « combien de chapelets, de catechismes, de formules de confession, de livres de devotion et de prieres se repandent parmy le peuple parce qu’on les trouve à la main sous le porche d’une eglise et qui ne se debiteroient point autrement ? » (Factum, 1679 : 4). Et à Thiers qui soulignait le caractère nécessairement peccamineux de toute activité mercantile, les chanoines répondaient qu’à tout prendre, le commerce qui prenait place sous les porches de la cathédrale pourrait bien être une œuvre charitable : « Il n’y a ny prest, ny change, ny usure, ny tribut, ny exaction, ny grand etalage ; et l’on peut dire que les personnes qui vendent sont plutost des pauvres qui reçoivent une honneste aumosne que des marchands qui trafiquent » (Factum, 1679 : 5)17.

18Fallait-il en déduire que la vente d’objets pieux sous les porches des églises était une pratique licite ? Le factum ne concluait pas en ce sens, mais laissait entendre qu’en dépit de ses faiblesses et de ses outrances, la thèse de Thiers était susceptible de recueillir l’assentiment du chapitre. Il précisait en effet que la décision capitulaire de laisser les deux vendeuses à leur place était provisoire, qu’elle ne préjugeait en rien de sa position sur le fond de l’affaire, que celle-ci était complexe et les chanoines divisés (Factum, 1679 : 3 et 8).

  • 18 Dans le factum qu’il publia en réponse à celui du chapitre, Thiers expliquait qu’au lieu de le tra (...)
  • 19 Le texte clé est celui du concile provincial de Milan (1565) : « Personne, fût-il clerc ou laïc, n (...)
  • 20 Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, question 77, art. 4. Sur la doctrine thomiste du comm (...)

19Thiers semble avoir été déçu par cette réponse en forme de dérobade, dont le laconisme coupait court à la joute intellectuelle espérée18. De son côté, l’historien ne peut qu’être surpris par le renoncement des chanoines à investir le terrain théorique. L’ouvrage du curé de Champrond n’était pourtant pas inattaquable et son érudition est plus impressionnante qu’irréprochable. Sur la vingtaine de textes issus de conciles provinciaux et de synodes diocésains convoqués par Thiers, seuls quatre contiennent une disposition sur l’interdiction de la vente d’objets pieux sous les porches19, quand tous les autres évoquent tantôt la question des marchandises pieuses, tantôt celle des porches, mais jamais les deux ensemble. Dans le même ordre d’idées, certaines des autorités sont sollicitées abusivement, comme saint Thomas d’Aquin. Contrairement à ce que Thiers laisse entendre, le dominicain ne condamne pas toute activité marchande au motif qu’elle serait peccamineuse in se mais seulement celle qui, outrepassant les « nécessités de la vie », est menée dans un objectif d’accumulation infinie des richesses20. Inexacte, l’interprétation de Thiers était également porteuse de conclusions extrêmes dont on pouvait aisément démontrer le caractère problématique : si tout commerce est un péché, ne doit-on pas l’interdire, en dehors comme à l’intérieur des églises ?

20La discordance entre le fond et la forme du factum n’est pas moins étonnante : les chanoines qualifient de « plein de mauvaises raisons et d’injures » un ouvrage dont ils n’excluent pourtant pas d’épouser la thèse principale. Plus surprenant encore est le contraste entre une position théorique qui préserve la possibilité d’un accord et la radicalité des mesures pratiques prises par le chapitre : il assigna Thiers en justice et exigea de chacun de ses membres de condamner la Dissertation et de jurer qu’il n’avait pris aucune part à son élaboration. Le 6 février 1679, les soixante-seize chanoines furent invités à prêter le serment suivant :

Je jure sur mes saints ordres que je n’ay eu nulle part au livre du sieur Thiers intitulé Dissertation sur les porches des eglises ; que je n’ay eu aucune conference icy ny ailleurs avec ledit sieur Thiers, ou personne par luy interposée, touchant la composition dudit livre ; que je n’ay fourny ni memoires, ny canons, ny ordonnances, ny actes du chapitre, quels qu’ils puissent estre, ny indiqué audit sieur Thiers, ou à personne pour luy rapporter, ny les lieux, ny les personnes où il les pourroit trouver ; que je n’ay gardé aucun des exemplaires dudit livre chez moy, ou fait garder ailleurs pour les donner à relier ou à vendre à aucun libraire ; et je jure sans aucune restriction mentale (Thiers, 1680 : 23-24).

21Deux des chanoines s’y refusèrent : ayant fourni à Thiers des matériaux pour sa Dissertation, Blaise Le Féron et Jean de Léry ne pouvaient prêter un serment synonyme de parjure. La sanction fut immédiate : les deux chanoines furent suspendus et privés des revenus de leur prébende. À défaut de débat d’idées, Thiers avait au moins la preuve que le chapitre prenait son ouvrage au sérieux.

Vraies accusations et faux profits : la réalité du commerce sous les porches

  • 21 Le factum a vu le jour au tout début de 1680 : il est postérieur à l’assignation de Thiers en just (...)

22Dans sa réponse aux chanoines21, Thiers ne se priva pas de pointer l’apparente disproportion entre les mesures coercitives prises par le chapitre et le caractère anecdotique du conflit qui en était la cause : « pour maintenir deux mercieres sous les porches de son eglise, il bannit de ses assemblées deux anciens chanoines » (Thiers, 1680 : 39). Cet étonnement était purement rhétorique et Thiers se hâtait de livrer au lecteur les vraies raisons de toute l’affaire. Elles n’étaient pas glorieuses : la politique du chapitre était en réalité celle d’un groupe de cinq ou six chanoines, que les deux vendeuses de chapelets avaient gagnés à leur cause par les moyens que l’on devine (Thiers, 1680 : 45 et 95). Et Thiers de donner des chiffres : les deux femmes gagnaient jusqu’à 20 écus par jour, une somme considérable et qui était de nature à expliquer l’acharnement dont faisaient preuve leurs protecteurs (Thiers, 1680 : 143). De son côté, le chapitre insinuait que le zèle déployé par Blaise Le Féron n’était nullement désintéressé et que ce dernier avait chassé les vendeuses de chapelets pour complaire à d’autres commerçants avec lesquels il était de mèche (Factum, 1679 : 2). Nous voilà loin du débat d’idées : l’affaire du commerce sous les porches de la cathédrale de Chartres n’aurait donc été que l’un de ces innombrables conflits suscités par l’appétit des clercs pour l’argent des fidèles. Il faut cependant y regarder de plus près.

  • 22 À Paris en 1504, des enseignes de pèlerinage étaient vendues douze sous la « grosse » (i.e. douze (...)

23La nature des marchandises vendues sous le portail nord de la cathédrale ne faisait pas débat. Les protagonistes de la querelle s’accordaient pour dire qu’elles se limitaient à deux sortes d’objets : des chapelets et des « chemises de Chartres ». Ce dernier terme renvoie aux enseignes de pèlerinage représentant la grande relique chartraine – la chemise de la Vierge – et qui avaient pris, à la fin du Moyen Âge, l’aspect de médailles de plomb en forme de chemise, portées au bout d’une chaîne, accrochées aux vêtements ou au chapeau (Burns, 2006 ; Balzamo, 2012 : 152-153). Des objets très modestes donc, dont le prix ne devait pas excéder quelques deniers22. En vendre pour 20 écus par jour supposait un débit considérable – plusieurs milliers, au bas mot – et qui ne s’accorde guère avec ce que l’on sait du pèlerinage de Chartres. Ancien, prestigieux, jouissant de la faveur marquée des rois de France, il avait néanmoins un rayonnement modeste. Non seulement Chartres n’entrait pas dans le cercle restreint des grands pèlerinages internationaux comme Lorette ou Compostelle, mais à l’intérieur même du royaume de France, plusieurs sanctuaires – Le Puy, Liesse, les Ardilliers, Sainte-Anne d’Auray – drainaient des foules autrement plus considérables (Balzamo, 2010).

  • 23 ADEL, G 179, bail du 7 avril 1494.
  • 24 ADEL, G 483.
  • 25 ADEL, G 400, pièce n° 3 (21 baux pour un total de 123 livres) ; G 419, fol. 11v-12r (16 baux pour (...)
  • 26 ADEL, G 400 ; G 417 ; G 423 ; G 424.
  • 27 91 000 livres pour l’année 1657-1658 (ADEL, G 388).

24Improbable, le chiffre avancé par Thiers est infirmé par la documentation comptable issue des archives de l’Œuvre, autrement dit la fabrique de la cathédrale. Dirigée par trois chanoines élus par leurs pairs, l’Œuvre possédait des revenus distincts de ceux du chapitre, générés notamment par les redevances que lui versaient les marchands installés dans le cloître. C’est ainsi qu’en 1494, un vendeur d’enseignes de pèlerinage du nom de Geoffroy Postel s’engagea à payer 8 livres par an en échange d’un emplacement où poser son étal23. La somme n’est pas négligeable – elle correspond à deux mois de salaire d’un manouvrier parisien (Baulant, 1971 : 479) – mais, proportionnée aux gains escomptés par le vendeur, elle est sans commune mesure avec celle dont Thiers faisait état. Deux siècles plus tard, les revenus générés par les étals installés aux abords de la cathédrale n’avaient pas augmenté, au contraire : les baux des années 1680 oscillent entre 5 et 10 livres par an24, sachant qu’entre temps, la livre tournois avait perdu plus de la moitié de sa valeur. Dans la mesure où les marchands étaient une quinzaine, leur activité rapportait à l’Œuvre entre 100 et 150 livres par an25. Soit à peine plus de 2 % du total de ses recettes, lesquelles, à la fin du xviie siècle, s’élevaient à quelques 5 000 ou 6 000 livres26. Négligeables lorsqu’on les compare à l’ensemble des revenus de l’Œuvre, les sommes générées par les boutiques du cloître deviennent proprement ridicules une fois rapportées aux ressources du chapitre. Celui-ci était à la tête d’un immense patrimoine foncier – 6 000 hectares de terre à blé –, ce qui, joint aux dîmes, aux champarts et au casuel, procurait un revenu proprement fabuleux, de près de 100 000 livres par an à l’époque de Thiers27. Autant dire qu’en termes financiers, l’enjeu représenté par le commerce des chapelets et des enseignes de pèlerinage était à peu près nul.

  • 28 Sur la dimension économique de ce pèlerinage, voir Moroni, 2000.
  • 29 Tel était par exemple le cas de Saint-Claude au Jura, où une bonne part des habitants vivaient du (...)

25Le constat vaut pour l’ensemble des revenus générés par le fait pèlerin – cierges, messes, offrandes déposées dans les troncs –, dont l’Œuvre était le bénéficiaire. Le rapport entre ces revenus et les ressources du chapitre, au xviie siècle, étant de un pour vingt. En ce sens, le cas chartrain est aussi éloigné de celui d’un sanctuaire au rayonnement international comme Lorette28 que de pèlerinages plus modestes mais générateurs de profits appréciables pour les communautés concernées29.

  • 30 RC, 28 juin 1537, BMC, ms SA 43 vol. XV, fol. 33r.
  • 31 RC, 28 juin 1343, 14 février 1516, 31 juillet 1555, 1er juillet 1620, 12 novembre 1674, 20 décembr (...)

26Sans doute les archives ne nous renseignent-elles que sur le versant légal du commerce et l’on a de bonnes raisons de penser que le cloître abritait des trafics qui n’ont laissé nulle trace dans la documentation comptable. Une ordonnance capitulaire de 1537 défend ainsi aux clercs et aux marguilliers de vendre des enseignes de pèlerinage pour leur propre compte30. De leur côté, certains chanoines n’hésitaient pas à louer leur demeure canoniale à des laïcs qui y tenaient commerce, pratique régulièrement prohibée par le chapitre31. Mais là encore, il ne s’agissait que de menus profits comparés à ce que rapportait une prébende canoniale : grand ennemi de Thiers et partie prenante du conflit, le chanoine Jean Robert touchait ainsi près de 4 000 livres par an, trente fois plus que le total des baux perçus par l’Œuvre (Huillery, 1991 : 27).

27Il faut se rendre à l’évidence et prendre les accusations de corruption échangées par les protagonistes pour ce qu’elles sont : un moyen de disqualifier l’adversaire en réduisant sa position à la défense d’intérêts pécuniaires. Limité par la modestie du pèlerinage et rendu anecdotique par la richesse foncière du chapitre, le commerce des objets pieux n’a jamais été un véritable enjeu pour les chanoines de Chartres. La querelle qui les opposait à Thiers ne saurait donc être rangée parmi les nombreux conflits que les retombées financières du phénomène pèlerin ont pu susciter tout au long du Moyen Âge et de l’époque moderne. Reste que le chapitre avait d’excellentes raisons de prendre l’affaire au sérieux. Il faut, pour les comprendre, revenir au texte du Factum.

Éthos canonial et espace sacré

28Ce n’étaient pas Thiers et sa Dissertation qui constituaient la principale cible du chapitre, mais Blaise Le Féron et son action. Le chanoine était triplement coupable aux yeux de ses confrères. Il avait commencé par outrepasser ses prérogatives : la décision capitulaire du 6 avril 1677 qu’il avait été chargé de mettre en œuvre ne concernait que des marchands d’eau-de-vie et d’autres denrées du même genre, mais non les deux vendeuses de chapelets. Il avait ensuite refusé de reconnaître ses torts et de se soumettre à la décision de ses pairs. Plus grave, il avait porté devant un tribunal séculier une affaire interne au chapitre. Enfin, il avait appelé à son aide une « plume satyrique [sic] », qu’il avait approvisionnée en documents issus des archives du chapitre (Factum, 1679 : 2). En d’autres termes, Le Féron était un traître à son corps et la cause d’un scandale autrement plus grave que la vente d’objets pieux sous les porches de la cathédrale.

  • 32 Chaque année, les chanoines devaient jurer de garder le secret sur les délibérations capitulaires (...)
  • 33 Lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (27 mars 1679), BnF, ms fr. 15207, fol. 5v-6r.
  • 34 Déçu de n’avoir pas reçu l’appui d’un homme qu’il pensait favorable à ses thèses, Thiers s’en prit (...)

29S’il est impossible de statuer sur le premier chef d’accusation – la décision du 6 avril 1677 n’est connue que par les paraphrases contradictoires qu’en font les protagonistes –, les autres points étaient exacts. Avec Jean de Léry, Blaise Le Féron avait effectivement dénoncé la décision du chapitre auprès du parlement de Paris en faisant appel comme d’abus. Il avait également sollicité l’intervention de Thiers et lui avait fourni des extraits des registres capitulaires relatifs au commerce dans le cloître. Ce faisant, il avait enfreint le règlement qui prohibait rigoureusement toute transmission à des tiers de documents internes au chapitre32. Quant au scandale, il était réel : l’intervention de Thiers avait eu pour effet de porter l’affaire sur la place publique et de transformer une obscure querelle disciplinaire en sujet de débat pour la république des lettres. Le curé de Champrond avait pris soin d’en informer ses amis parisiens, au nombre desquels on comptait Pierre Nicole et Antoine Arnauld33. La conduite de Blaise Le Féron était d’autant plus coupable aux yeux de ses confrères que même ceux d’entre eux qui étaient opposés à l’idée de voir les deux marchandes revenir sous le portail nord s’étaient pliés à la décision majoritaire. Tel était le cas de Pierre Sarrazin. Théologal du chapitre et chef de file du jansénisme chartrain, ce chanoine connu pour son rigorisme était probablement d’accord avec Thiers quant au fond du problème. Mais une fois la question tranchée, il avait fait corps avec ses confrères au point d’aller défendre leur cause devant le parlement de Paris34.

30Si le simple fait d’inviter un étranger à intervenir dans les querelles internes au chapitre constituait un grave manquement à l’éthos canonial, l’identité de cet étranger était un élément à charge supplémentaire. Curé de Champrond au diocèse de Chartres, Thiers était depuis près de dix ans en lutte avec un chapitre cathédral dont le polémiste avait fait sa cible favorite (Huillery, 1991). Le conflit avait débuté en 1672 par une affaire à première vue encore plus anodine que celle des porches. Il s’agissait en effet de savoir si un curé était en droit d’arborer l’étole durant la visite pastorale lorsque celle-ci était conduite par un archidiacre, autrement dit un chanoine. Thiers en avait tiré un traité de quatre cents pages, qui s’en prenait vivement à un chapitre accusé d’usurper une part des prérogatives épiscopales (Thiers, 1674). Publié deux ans plus tard, un ouvrage consacré aux questions bénéficiales avait été l’occasion d’attaques encore plus directes. L’institution canoniale y était décrite comme prédatrice et inutile, sans véritable justification pastorale et peuplée d’hommes dont la plupart n’avaient nulle vocation pour l’état sacerdotal (Thiers, 1676a). Les querelles personnelles vinrent aggraver un contentieux déjà lourd. Publiquement mis en cause par le grand archidiacre Jean Robert, qui l’avait sommé de renvoyer les deux cousines germaines qu’il hébergeait, le curé de Champrond ne se fit pas faute de répliquer sur le même terrain, produisant coup sur coup trois vigoureux pamphlets qui accusaient son adversaire d’incompétence théologique, de simonie, d’abus de pouvoir et d’incontinence (Thiers, 1676b, 1678, 1679b). Parue alors que le conflit avec l’archidiacre battait son plein, la Dissertation sur les porches restait néanmoins mesurée dans sa forme comme dans son propos. Mais une fois assigné en justice, Thiers abandonna toute modération et le factum qu’il publia en réponse à celui des chanoines se terminait par un violent réquisitoire qui énumérait leurs « crimes » : simonie, concussion, absentéisme, débauche, etc. (Thiers, 1680 : 202-205).

31À la trahison symbolique de l’éthos canonial, dont Blaise Le Féron s’était rendu coupable en sollicitant la plume d’un ennemi déclaré du chapitre, venait se joindre une inquiétude quant aux conséquences possibles de sa démarche. Si le commerce d’objets pieux ne constituait pas un véritable enjeu pour les chanoines, il n’en allait pas de même quant à l’espace où prenait place cette activité, les porches donc, et, plus généralement, l’ensemble du cloître Notre-Dame. Celui-ci constituait une véritable ville dans la ville. Le chapitre, après des décennies de lutte contre l’échevinat, était parvenu à le ceindre de murailles et à le fermer de portes dont il avait seul la garde (voir Lecocq, 1858 et, plus généralement, Esquieu, 1994 : 40-55), créant ainsi un espace clos dont il était le maître. Les habitants du cloître étaient en effet soumis à la seule juridiction du chapitre et l’unique appel possible relevait de Rome. Cette situation était la conséquence d’un privilège juridictionnel que les chanoines avaient conquis de haute lutte au début du xive siècle et qui était sans commune mesure avec les prérogatives généralement admises aux chapitres cathédraux. Celui de Chartres avait réussi en effet à se faire reconnaître un statut équivalent à celui d’un évêque. Il jouissait seul du droit de justice sur ses membres et leurs familiers, exemptés de toute juridiction épiscopale ou archiépiscopale et soumis uniquement à celle du Saint-Siège ; le chapitre était seul juge de toutes les causes ecclésiastiques relevant de ses terres ; il possédait le privilège d’excommunier toute personne qui lui ferait du tort, de mettre la ville de Chartres en interdit, de permettre ou de défendre l’érection d’églises et la tenue de synodes sur le territoire de la cité (Amiet, 1923).

32Validé en 1328, ce privilège juridictionnel, qui instaurait une véritable dyarchie à la tête du diocèse, était régulièrement remis en cause par des prélats désireux d’y mettre un terme. Longtemps infructueuses, ces tentatives purent, au xviie siècle, s’appuyer sur l’épiscopalisme inhérent à la réforme tridentine, dont on sait qu’elle était peu favorable aux chapitres cathédraux. Une première brèche fut ouverte en 1630, lorsqu’un arrêt du Grand Conseil autorisa l’official de l’évêque à casser les sentences rendues par les archidiacres, issus du chapitre. Trente ans plus tard, l’évêque Ferdinand de Neufville (1657-1692) remporta une série de succès marquants devant le parlement de Paris : ce dernier interdit au chapitre de promulguer des mandements analogues à ceux de l’évêque (1661), abolit le privilège de juridiction spirituelle dont il jouissait dans la paroisse chartraine de Saint-Saturnin (1664) et restreignit considérablement le droit des chanoines à mener des visites pastorales (1665). Sur la défensive face au pouvoir épiscopal, le chapitre avait de bonnes raisons de craindre pour l’avenir de son antique privilège, désormais à la merci de n’importe quel conflit susceptible de remonter jusqu’au parlement. L’affaire des porches relevait précisément de ce cas de figure : une querelle à première vue insignifiante, mais dont l’objet n’était pas sans rapport avec le droit dont se prévalait le chapitre de régenter tout ce qui prenait place dans l’enceinte du cloître. Derrière la cause des deux marchandes de chapelets se profilait la lutte de toute une institution pour préserver le dominium territorial hérité du Moyen Âge.

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  • 35 En 1684, 1692 et 1693 respectivement (ADEL, G 295, pp. 95, 105, 106).
  • 36 RC, 28 juin 1694, ADEL, G 340, cahier RR, p. 7.

33Les craintes des chanoines, injustifiées dans l’immédiat, étaient fondées à long terme. L’affaire des deux vendeuses resta sans suite ; en revanche, le chapitre finit par perdre son combat contre l’évêque : le 10 août 1700, un arrêt du Grand Conseil mit fin au privilège juridictionnel vieux de quatre siècles. À cette date, la querelle du commerce sous les porches des églises était depuis longtemps oubliée et bon nombre de ses protagonistes – Jean de Léry, Blaise Le Féron et Pierre Sarrazin notamment – étaient décédés35. Quant à Thiers, de nouveaux conflits avec le chapitre l’avaient contraint de quitter le diocèse de Chartres pour s’installer dans celui, voisin, du Mans. On ne sait rien du destin de celles par qui le scandale était arrivé, Catherine Hennequin et Marie Caillou. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le problème dont elles avaient été les éphémères actrices n’avait pas disparu : le 28 juin 1694, une ordonnance capitulaire prohibait la vente de cierges sous les porches de la cathédrale36. Quinze ans après les faits, le chapitre semblait ainsi donner raison à Thiers et à sa thèse de l’incompatibilité entre activité marchande et espace sacré. Ce n’était pourtant pas un ralliement : les chanoines n’avaient jamais théorisé l’option inverse, mais seulement défendu leur droit à y recourir.

  • 37 Thiers semble avoir beaucoup compté sur les deux chanoines qui l’avaient sollicité, Blaise Le Féro (...)
  • 38 BnF, ms fr. 15207, fol. 5v., lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (27 mars 1679).

34L’absence de débat contradictoire sur le fond de la controverse n’a pas manqué d’être soulignée par Thiers, prompt à en tirer une comparaison tout à son avantage : simple bachelier en théologie et curé ayant charge d’âmes, il avait trouvé le temps d’écrire un traité en bonne et due forme, chose dont s’était montré incapable un chapitre peuplé de demi-savants, « qui ont pris le bonnet de docteurs dans des universités qu’ils n’ont jamais vues » (Thiers, 1680 : 112). Le trait est plus habile qu’honnête et Thiers feint d’ignorer les véritables raisons d’une attitude qui n’était pas le résultat de la médiocrité intellectuelle. Si les chanoines ont renoncé à investir le terrain théorique, c’est tout simplement en raison d’une impossibilité de fait : les membres du chapitre n’étant pas d’accord entre eux sur la licéité du commerce d’objets pieux sous les porches, ils n’étaient pas en mesure de produire un texte analogue à celui de la Dissertation. Cet élément ne pouvait être ignoré de Thiers et la perspective d’attiser la discorde au sein d’une institution avec laquelle il était en conflit depuis des années ne fut sans doute pas étrangère à sa décision de prendre la plume. Mais le curé avait sous-estimé la puissance de l’éthos canonial et la suite des événements lui montra l’inconsistance d’un tel espoir37. Ne restait à Thiers que la satisfaction d’une victoire intellectuelle, qu’il jugeait complète, et le sentiment d’avoir, par sa Dissertation, fait honneur à sa réputation de controversiste : « Tout le monde est si satisfait de cet ouvrage que je pourrois en tirer vanité si je n’étois convaincu de ma foiblesse et de mon peu de merite38 ».

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Bibliographie

Sources manuscrites

Archives départementales d’Eure-et-Loir :

g 179 : Contrats reçus pour le chapitre (1488-1501)

g 295 : Registre de réception des chanoines (1580-1789)

g 340 ; g supp. 169 : Registres capitulaires (xive-xviie siècles)

g 388 : Compte des recettes et dépenses du chapitre (1657-1658)

g 400 ; 417 ; 419 ; 423 ; 424 ; 483 : Baux, rentes et comptes de l’œuvre de la cathédrale (xviie-xviiie siècles)

Bibliothèque municipale de Chartres :

ms sa 43, vol. xv : Registres capitulaires (xive-xviie siècles)

Bibliothèque nationale de France :

ms fr. 15207 : Lettres de Jean-Baptiste Thiers à Jean Pinguenet (1675-1697)

Sources imprimées

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Factum pour le Chapitre de Chartres contre Maistre Blaise Feron, chanoine et docteur, appellant comme d’abus, s. l. n. d. [1679].

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Thiers Jean-Baptiste, 1676a, L’Avocat des pauvres, qui fait voir l’obligation qu’ont les bénéficiers de faire un bon usage des biens de l’Eglise et d’en assister les pauvres, Paris, Veuve de Jean Du Puis.

Thiers Jean-Baptiste, 1676b, La Sauce-Robert ou avis salutaires à Mre Jean Robert, grand archidiacre de Chartres, s. l. s. n.

Thiers Jean-Baptiste, 1678, La Sauce-Robert ou avis salutaires à Mre Jean Robert, grand archidiacre de Chartres. Seconde partie, s. l. s. n.

Thiers Jean-Baptiste, 1679, Dissertation sur les porches des eglises, Orléans, François Hotot.

Thiers Jean-Baptiste, 1679b, La Sausse Robert justifiée, s. l. s. n.

Thiers Jean-Baptiste, 1680, Factum pour M. Jean Baptiste Thiers, curé de Champrond et bachelier en theologie de la Faculté de Paris, Deffendeur, contre le Chapitre de Chartres, Demandeur, s. l. n. d.

Thiers Jean-Baptiste, 1700, Réponse à la lettre du Pere Mabillon touchant la pretendue sainte Larme de Vendome, Cologne, héritiers de Corneille d’Egmont.

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Merlet Lucien, 1858, « Boutiques au cloître Notre-Dame », Mémoires de la Société archéologique d’Eure-et-Loir, 1, p. 79-89.

Moroni Marco, 2000, L’economia di un grande santuario europeo. La Santa Casa di Loreto tra basso Medioevo e Novecento, Milan, Franco Angeli.

Sauzet Robert, 1985, « Réforme catholique et influences jansénistes dans le chapitre cathédral de Chartres à la fin du xviie siècle », in Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités. Mélanges Robert Mandrou, Paris, Presses universitaires de France, p. 247-254.

Subirade Patricia, 2016, « Commerce et pèlerinage en Franche-Comté au xviie et xviiie siècles : Besançon et Saint-Claude », in Burkardt A. (éd.), L’économie des dévotions. Commerce, croyances et objets de piété à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 105-140.

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Notes

1 Lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (25 mai 1678), Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), ms fr. 15207, fol. 4v.

2 Réputation qui relève d’ailleurs du contresens (Chartier et Revel, 1980). Sur le Traité des superstitions, voir également la préface de J.-M. Goulemot à sa réédition abrégée du Traité (Thiers, 1984) ainsi que Lebrun, 1976.

3 Registres capitulaires (désormais RC), 30 mars 1677 (cité par Thiers, 1679 : 133-134).

4 RC, 22 août 1317, Archives départementales d’Eure-et-Loir (désormais ADEL), G supp. 169, p. 25.

5 RC, 12 août 1620 (cité par Thiers, 1679 : 130-131).

6 RC, 9 décembre 1654, Bibliothèque municipale de Chartres (désormais BMC), ms SA 43, vol. XV, fol. 79r.

7 Pour autant, il ne semble pas que les vendeurs opérant dans le cloître eussent été affiliés à une corporation spécifique : il s’agissait de particuliers auxquels le chapitre concédait au cas par cas le droit d’y faire commerce en échange d’une redevance (Aclocque, 1917 : 175).

8 RC, 5 décembre 1579 (cité par Thiers, 1679 : 114-115).

9 D’un point de vue général, la politique des chanoines vis-à-vis du commerce dans l’enceinte du cloître a évolué dans le sens d’une tolérance croissante. Exception faite des quatre foires annuelles qui correspondaient aux fêtes mariales (Purification, Annonciation, Assomption, Nativité), toute activité marchande y fut interdite jusqu’au xive siècle. Les premiers étals permanents firent alors leur apparition, pour se multiplier au cours des deux siècles suivants. En 1660 enfin, le chapitre entreprit de faire construire un certain nombre de boutiques qu’il loua à des particuliers (Merlet, 1858 ; Aclocque, 1917 : 174-175).

10 Récurrent, le problème de la vente d’alcool à proximité des lieux de pèlerinage a parfois servi de prétexte aux autorités pour promouvoir des politiques plus restrictives à l’endroit des activités commerciales qui y prenaient place (Duhamelle, 2012 : 722-723).

11 RC, 6 avril 1677 (cité par Thiers, 1679 : 132-133).

12 RC, 31 juillet 1677 (cité par Thiers, 1679 : 17).

13 Imprimé en novembre 1678, l’ouvrage fut postdaté par l’éditeur pour des raisons commerciales (Thiers, 1680 : 91).

14 Exception faite des décrets du synode diocésain d’Exeter (1287), tous ces textes sont postérieurs au concile de Trente et proviennent des espaces italien et français (11 et 5 exemples respectivement). S’il n’est pas interdit d’y voir l’indice d’un changement d’attitude de la hiérarchie ecclésiastique, on gardera à l’esprit le fait que la répartition spatio-temporelle du corpus reflète d’abord la disponibilité des documents qui le composent : il était beaucoup plus facile de se procurer les statuts imprimés des xvie-xviie siècles que leurs équivalents médiévaux, généralement restés à l’état de manuscrits.

15 Thiers a tiré parti de la minutieuse reconstitution du Temple de Salomon proposée par le jésuite espagnol Juan Bautista Villalpando (In Ezechielem explanationes et apparatus urbis, ac templi Hierosolymitani. Commentariis et imaginibus illustratus, 3 vol., Rome, Carlo Vullietti, 1596-1604).

16 L’opuscule n’est pas daté, mais sa publication a sans doute pris place à la fin de l’année 1679 : Thiers raille le temps mis à répondre à sa Dissertation – « une année entière » –, laquelle avait vu le jour en novembre 1678 (Thiers, 1680 : 114). Une note manuscrite sur l’exemplaire du Factum conservé à la BnF l’attribue à Philippe Le Maire, ce qui est très plausible : chanoine de Chartres et archidiacre de Pinserais, Le Maire était un vieil ennemi de Thiers. Une controverse les avait opposés sur le droit des curés à arborer l’étole durant les visites pastorales menées par des archidiacres (Huillery, 1991 : 87-88).

17 La documentation chartraine ne permet pas de le vérifier, mais cette assertion concorde avec ce qui a été observé ailleurs, le commerce d’objets pieux étant rarement une activité enrichissante (Burkardt, 2016 : 18-19).

18 Dans le factum qu’il publia en réponse à celui du chapitre, Thiers expliquait qu’au lieu de le traduire en justice, les chanoines auraient mieux fait de lui répondre sur le même terrain, en publiant un livre digne de ce nom. Et il ajoutait : « supposé qu’ils n’eussent pas des gens assez habiles parmi eux pour le faire, ils sont assez riches pour bien payer une plume venale qui se seroit chargée tres volontiers de cette commission » (Thiers, 1680 : 90).

19 Le texte clé est celui du concile provincial de Milan (1565) : « Personne, fût-il clerc ou laïc, ne proposera quoi que ce soit à la vente à l’intérieur des églises, des cimetières, sous les vestibules, sous les porches ou sur les parvis, quand bien même il s’agirait d’objets nécessaires au service divin » (Mansi, 1902 : XXXIV/1, 61). Les synodes diocésains de Bologne (1566) et de Plaisance (1570) paraphrasent cette disposition et le concile d’Aix-en-Provence (1585) la reprend mot pour mot (Paleotti, 1580 : 2r ; Burali d’Arezzo, 1570 : 130r ; Mansi, 1902 : XXXIV/2, 989).

20 Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae, question 77, art. 4. Sur la doctrine thomiste du commerce, voir Langholm, 1992 : 221-248.

21 Le factum a vu le jour au tout début de 1680 : il est postérieur à l’assignation de Thiers en justice (15 décembre 1679) ; il en est fait mention dans une délibération capitulaire en date du 17 février 1680 (ADEL, G 340, cahier M, p. 1).

22 À Paris en 1504, des enseignes de pèlerinage étaient vendues douze sous la « grosse » (i.e. douze douzaines), soit un denier la pièce (Lamy-Lassalle, 1971 : 273).

23 ADEL, G 179, bail du 7 avril 1494.

24 ADEL, G 483.

25 ADEL, G 400, pièce n° 3 (21 baux pour un total de 123 livres) ; G 419, fol. 11v-12r (16 baux pour un total de 107 livres).

26 ADEL, G 400 ; G 417 ; G 423 ; G 424.

27 91 000 livres pour l’année 1657-1658 (ADEL, G 388).

28 Sur la dimension économique de ce pèlerinage, voir Moroni, 2000.

29 Tel était par exemple le cas de Saint-Claude au Jura, où une bonne part des habitants vivaient du pèlerinage (Subirade, 2016). Sur les retombées économiques du phénomène pèlerin aux époques médiévale et moderne, voir les études rassemblées dans Ammannati, 2012 : 697-821.

30 RC, 28 juin 1537, BMC, ms SA 43 vol. XV, fol. 33r.

31 RC, 28 juin 1343, 14 février 1516, 31 juillet 1555, 1er juillet 1620, 12 novembre 1674, 20 décembre 1674, 29 avril 1679 (ADEL, G supp. 169, pp. 2, 3, 94, 96 ; G 340, cahier M, p. 30 ; BMC, ms SA 43 vol. XV, fol. 35r ; Thiers, 1679 : 129-130).

32 Chaque année, les chanoines devaient jurer de garder le secret sur les délibérations capitulaires et de n’en jamais communiquer la teneur à des personnes externes (RC, 3 février 1667, ADEL, G supp. 169, p. 65).

33 Lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (27 mars 1679), BnF, ms fr. 15207, fol. 5v-6r.

34 Déçu de n’avoir pas reçu l’appui d’un homme qu’il pensait favorable à ses thèses, Thiers s’en prit amèrement à Pierre Sarrazin, qualifié de « bras droit » des deux vendeuses de chapelets (Thiers, 1680 : 112). Sur Sarrazin, voir Sauzet, 1985 : 250-254.

35 En 1684, 1692 et 1693 respectivement (ADEL, G 295, pp. 95, 105, 106).

36 RC, 28 juin 1694, ADEL, G 340, cahier RR, p. 7.

37 Thiers semble avoir beaucoup compté sur les deux chanoines qui l’avaient sollicité, Blaise Le Féron et Jean de Léry. Lorsqu’ils renoncèrent à poursuivre le combat, Thiers ne cacha pas son désappointement : « ces deux bons messieurs me font pitié, ils n’ont ni cœur ni resolution, si une affaire de cete nature m’étoit tombée entre les mains, j’obligerois M. du Chapitre de me venir demander pardon à leur tour » (lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (27 mars 1679), BnF, ms fr. 15207, fol. 5v).

38 BnF, ms fr. 15207, fol. 5v., lettre de Thiers au chanoine Pinguenet (27 mars 1679).

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Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Balzamo, « Une controverse sans débat », Archives de sciences sociales des religions, 183 | 2018, 51-71.

Référence électronique

Nicolas Balzamo, « Une controverse sans débat », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 183 | juillet-septembre 2018, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 15 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/38817 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.38817

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Auteur

Nicolas Balzamo

Université de Neuchâtel – nicolas.balzamo@free.fr

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