Philippe Chenaux, « Humanisme intégral » (1936) de Jacques Maritain
2006, 106 p.
Texte intégral
1Qu'est-ce qu'un classique ? Un livre lu, et relu, génération après génération ? Peut-être. Ce n'est pas le cas de l'ouvrage de Maritain ici élu dans une collection qui veut présenter le contexte et la réception d'ouvrages décisifs pour le christianisme. Le choix peut donc, de prime abord, surprendre. L'ouvrage permet néanmoins une approche du parcours de ce philosophe catholique, figure essentielle du cheminement des catholiques français au cœur du xxe siècle. Il ne s'agit pas d'une biographie de Jacques Maritain. La collection se place résolument dans une optique différente, l'homme s'efface en partie derrière l'œuvre, derrière un de ses livres, pas le plus élaboré, pas le plus achevé, mais celui qui marque une étape du cheminement d'un homme et de son temps. Maritain aurait certainement apprécié que son ouvrage de 1936 se retrouve aux côtés d'auteurs chrétiens qui ont joué un rôle important dans son propre cheminement spirituel ; la collection accueille Thomas d'Aquin, Catherine de Sienne, Thérèse de Jésus et Thérèse de Lisieux.
2L'ouvrage se déploie en cinq chapitres : « Itinéraires » résume la vie de Jacques Maritain et tente de cerner ce qui, dans le parcours de l'homme, influe sur le livre. « Climat » s'emploie à resituer l'ouvrage dans son contexte intellectuel. « Thèses » dégage les thèmes évoqués par le livre. « Controverses » révèle la réception de celui-ci, « Influences » son impact sur la pensée chrétienne, en particulier démocrate-chrétienne, jusqu'au concile de Vatican II.
3« Humanisme intégral » est une somme de philosophie pratique qui veut répondre à la question : une politique chrétienne est-elle possible ? Il propose une conception profane et non plus sacrale du temporel, un nouvel humanisme qui découple la religion chrétienne de tout lien avec la civilisation occidentale. La cité chrétienne qu'il promeut est pluraliste, autonome par rapport à l'Église et s'appuie sur une légitimité démocratique. D'où la promotion de l'idée d'une autonomie des laïcs qui peuvent « agir en chrétien », ce qui sous-entend sans engager l'Église. Le bagage intellectuel fournit par Maritain devient alors disponible pour les chrétiens confrontés aux totalitarismes. Et même si l'intellectuel fut parfois dépassé par son propre parcours, au point d'irriguer des catholicismes bien différents du sien, l'influence de sa pensée, et donc du livre, fut réelle. Un tel engagement ne pouvait laisser indifférent en ce temps de polarité extrême. La question des rapports avec le communisme, son engagement contre l'idée de croisade dans la guerre d'Espagne et sa lutte contre l'antisémitisme le désignent tout naturellement à la vindicte, et parfois à l'ignominie, d'une partie de la droite plus ou moins extrême. La pensée de Maritain fut abondamment sollicitée, souvent plus comme référence obligée qu'effectivement lue et discutée, par les courants démocrates chrétiens au sortir de la Seconde Guerre mondiale en Italie, en Amérique latine et si peu en France. Le concile Vatican II en est à la fois le point d'orgue et le chant du cygne de l'influence du philosophe.
4L'auteur minimise néanmoins l'engagement Action française de Jacques Maritain. Il est un peu contradictoire d'accorder tant d'importance à ce livre et de nier dans le même temps une nette évolution de son auteur. Est-il si difficile de laisser sa place à la complexité de la vie et aux méandres du parcours d'un homme qui, pourtant, a su se remettre en cause, d'un philosophe qui ne cesse de s'interroger sur la pratique de sa foi conquise et les conséquences de son adhésion ?
5Ce livre est marqué par les débats de son temps et semble avoir épuisé sa fonction historique. L'auteur lui-même en a conscience qui ne cesse de nuancer la prégnance de l'ouvrage mais cherche à affirmer la cohérence du parcours et l'unicité de la pensée (p. 13). Dès l'incipit, « le nom de Jacques Maritain [...] renvoie à une période, celle des années 30-40 et à une “culture” que l'on a pu appeler la “culture du projet”, caractéristique du catholicisme de ces années » (p. 7). Ph. Chenaux rappelle que « sur certains thèmes sensibles du credo maurrassien comme le nationalisme, le royalisme ou encore l'antisémitisme, sa convergence avec les positions doctrinales de l'Action française va bien au-delà de ce qu'il appellera plus tard une “sympathie platonique” ». Il ajoute qu'il « s'agit avant tout d'une convergence négative, d'un rejet commun des idéologies de la modernité » (p. 22). Ébranlé par la condamnation papale de l'Action française, Maritain multiplie les ouvrages qui justifient le choix de Rome, livres qui sont autant d'étapes dans son éloignement d'avec le mouvement de Maurras. De même, « vacciné par l'expérience malheureuse de son compagnonnage avec l'Action française, Maritain en était venu à manifester une profonde défiance à l'égard de toute forme d'engagement temporel partisan » (p. 36), il multiplie pourtant les conférences, articles et signatures de pétition, il est vrai hors de tout parti et sans devenir un défenseur de la république démocratique (p. 41). « Humanisme intégral » offre aux chrétiens des années 1930 la réponse à la question « Que faire ? ». Le livre est donc un livre étape plus qu'un classique et Philippe Chenaux nous rend tout le climat de son élaboration, l'auteur associant à ses propres travaux les dernières recherches citées ou non.
Pour citer cet article
Référence papier
Frédéric Gugelot, « Philippe Chenaux, « Humanisme intégral » (1936) de Jacques Maritain », Archives de sciences sociales des religions, 134 | 2006, 147-299.
Référence électronique
Frédéric Gugelot, « Philippe Chenaux, « Humanisme intégral » (1936) de Jacques Maritain », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 134 | avril - juin 2006, document 134-20, mis en ligne le 05 septembre 2006, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/3486 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.3486
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page