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Recensions

Chloé Maillet, La parenté hagiographique (xiiie-xve siècle). D’après Jacques de Voragine et les manuscrits enluminés de la légende dorée (c. 1260-1490)

Turnhout, Brepols, coll. « Histoire de famille. La parenté au Moyen Âge », 2014, 408 p.
Mustapha Naïmi
p. 327
Référence(s) :

Chloé Maillet, La parenté hagiographique (xiiie-xve siècle). D’après Jacques de Voragine et les manuscrits enluminés de la légende dorée (c. 1260-1490), Turnhout, Brepols, coll. « Histoire de famille. La parenté au Moyen Âge », 2014, 408 p.

Texte intégral

1Au début du xxie siècle, les liens de parenté en Occident sont sujets à de profondes mutations. Le critère biologique, le lien de sang, ne semblent plus suffisant pour soutenir la définition de la parenté. Les familles se recomposent pour donner naissance à une parenté sociale et quotidienne distincte de tout lien biologique. La filiation ne peut plus être considérée seulement comme émanant de la génération directe de deux êtres. Le modèle de famille nucléaire hérité du xixe siècle, centré sur le couple et les enfants, ne suffit pas à englober la variabilité des définitions de la parenté. À la même époque, l’Église chrétienne apparaît de son côté en tant que défenseur des liens de parenté pensés comme traditionnels. Les théologiens se présentent comme ayant de tout temps défendu les valeurs du mariage, de la procréation et du respect aux parents. De surcroît, en réaction aux métaphores de la parenté, les tenants du pouvoir religieux s’affirment comme des spécialistes référents. Ils érigent et normalisent les règles de l’alliance et de la filiation. Les époux doivent être hétérosexuels, monogames, indissolublement liés par le mariage. La visée du mariage est la procréation. Ce dernier est la vocation sociale de l’amour. Dans cette perspective, plusieurs théologiens envisagent de réformer et de refonder le mariage chrétien. Or, malgré l’ambition universelle et atemporelle de ces préceptes, prétendument fondés sur une longue tradition, il n’en a pas toujours été ainsi. L’époque de fondation du christianisme était celle de renoncement à la chair et d’inversion troublante des liens de parenté. Et la société médiévale, pourtant dominée pour une large part par l’institution ecclésiale, est loin d’avoir érigé en modèle la famille nucléaire, telle qu’on a pu la rencontrer au temps de Freud.

2Le problème de la filiation (ou descendance), c’est-à-dire la reconnaissance sociale d’un lien de parenté entre individus parce qu’ils descendent les uns des autres ou se reconnaissent un ancêtre commun, a été plus anciennement étudié que l’alliance (ou les liens associés au mariage). Ceci s’explique par le fait que les documents étaient plus nombreux et plus accessibles (généalogies, histoires de famille, représentations arborées), et par la vogue des études généalogiques. Cette préoccupation a d’ailleurs été à l’origine de nombreuses études, comme celles, précoces pour l’époque, de George Duby.

3Maintenant, l’historiographie l’a suffisamment démontré, dans l’Occident chrétien, le champ des relations de parenté n’inclut pas seulement le réseau de la parenté biologique. Il comprend des figures divines (liées entre elles par des liens de parenté), des êtres exceptionnels (les saints) et des hommes ordinaires liés aux deux groupes précédents et entre eux par une affinité spirituelle, pensée et décrite en termes de parenté. Pour cette étude de la parenté hagiographique, l’auteur précise les enjeux concernant les différentes modalités de ces parentés que l’on qualifie parfois d’artificielles. La prégnance sociale des liens de parenté spirituelle s’est matérialisée par le fait que l’interdiction de l’inceste fut étendue aux compères et commères. Selon Françoise Héritier, l’inceste est la mise en rapport indue par relation sexuelle de deux individus pensés comme identiques ; les représentations de cette identité sont cultuelles et varient d’une société à l’autre. Dans le cas de l’Occident chrétien, « tous ces identiques, consanguins, affins ou parents spirituels sont unis par un amour spirituel parfait ; doubler cette relation parfaite et suffisante d’une relation charnelle par définition imparfaite est pensé comme un inceste ».

4Comme pour tourner définitivement ce débat, deux grandes synthèses sont parues en 2004 sous la plume de Maurice Godelier en France et de Janet Carsten aux États-Unis. Il s’agit d’orienter l’approche théorique autour de la problématisation entre le biologique et le social. La vraie parenté serait celle qui se construit non pas biologiquement mais dans la durée et le temps. L’idée de choisir sa parenté est corrélée à un véritable rejet de la parenté hétérosexuelle dominante.

5L’auteur revient sur l’idée qu’au sujet d’une époque ou l’Église fut l’institution dominante, et où la religion ne pouvait être pensée comme une adhésion personnelle, toutes les représentations que l’on serait tenté d’appeler religieuses appartiennent de fait au domaine du social. Le second chapitre de l’ouvrage s’étale sur le corpus des sources à partir des écrits de Jacques de Voragine et des manuscrits enluminés de la Legendea Aurea. D’un côté, le dominicain Jacques de Voragine est l’auteur d’un texte de référence dont la diffusion et l’influence sont incomparables, au moins jusqu’à la Réforme. Il montre ce qu’il en est des parents dans un texte historique. Enfin, la Légende dorée constitue une source de premier choix par la diffusion et le nombre de ses manuscrits amplement enluminés, dont plusieurs restent inédits. Ils permettent d’envisager les résurgences et réinterprétations schématiques jusqu’à l’orée du xvie siècle.

6L’auteur intitule son troisième chapitre « La parenté d’après Jacques de Voragine : compromis entre le refus hagiographique et conseils pratiques ». Il y incorpore une série importante de tableaux relatifs à la typologie des saints présentés en famille ou avec leurs parentés. Le mariage des saints donne une vision idéalisée ou spiritualisée de ce sacrement. Leur alliance est, pour la plupart des saints, désexualisée. L’idéal du mariage chaste est certes présent, mais il est loin d’être la règle. Il s’agit de mariages la plupart du temps égalitaires, reposant sur un amour réciproque et, sauf pour sainte Anastasie, sur des conceptions religieuses communes.

7Malgré son caractère déviant, la parenté hagiographique s’avère en fin de compte modélisante, racontée, répétée à la fin du Moyen Âge. Elle fonctionne comme un système de parenté fantasmé dont la dureté et les renversements s’infiltrent dans un tissu social qui nous en renvoie parfois les échos. En comprenant la manière dont se sont diffusés et ont été réinterprétés ces schémas de pensée de la fin du xiiie siècle à la fin du xve siècle, nous avons vu se dessiner en creux les normes de la parenté. Le choix a été celui d’envisager la parenté en décalé, à travers le prisme d’un écart double. Ce fut d’abord le filtre hagiographique souvent rallié pour sa fantaisie et sa redondance anhistorique. D’autre part, on a pu observer avec l’auteur le filtre des images qui réinterprète, déforme ou systématise les hypothèses et les récits proposés dans les textes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mustapha Naïmi, « Chloé Maillet, La parenté hagiographique (xiiie-xve siècle). D’après Jacques de Voragine et les manuscrits enluminés de la légende dorée (c. 1260-1490) », Archives de sciences sociales des religions, 172 | 2015, 327.

Référence électronique

Mustapha Naïmi, « Chloé Maillet, La parenté hagiographique (xiiie-xve siècle). D’après Jacques de Voragine et les manuscrits enluminés de la légende dorée (c. 1260-1490) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 172 | octobre-décembre, mis en ligne le 27 mai 2016, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/27401 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.27401

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Auteur

Mustapha Naïmi

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