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Bulletin bibliographique
Comptes rendus
110-10

BOUBRIK (Rahal), Saints et société en islam. La confrérie ouest-saharienne Fâdiliyya

Paris, CNRS Éditions, 1999, 207 p. (bibliogr., index, glossaire)
Mustapha Naïmi
p. 61-64
Referencia(s):

BOUBRIK (Rahal), Saints et société en islam. La confrérie ouest-saharienne Fâdiliyya, Paris, CNRS Éditions, 1999, 207 p. (bibliogr., index, glossaire)

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1L’ouvrage porte sur l’histoire de l’islam confrérique dans l’ouest saharien. Pour la société des tribus Bidân, cet islam est une manifestation sociale majeure du fait religieux (p. 7). L’auteur le montre à travers l’exemple de la confrérie Fâdiliyya et de deux de ses figures marquantes : il propose une analyse socio-historique de leurs échanges avec les tribus et les chefs guerriers (hassan) et religieux (zwâya). Il éclaire le lien entre l’idéologique, la stratification sociale et les modèles de religiosité.

2La première partie commence par les références qui définissent la nature du pouvoir central dans tout l’ouest saharien. Examinant de près les groupes statutaires, il fait ressortir les traits assimilant la hiérarchie statutaire commune aux Bidân et aux touaregs. Il relève que le terme Bidân renvoie à « un statut social et [à] des valeurs guerrières bien plus qu’il ne connote un statut ethnique ou généalogique » (p. 35) et se demande à quoi renvoie le terme zwâya qui désigne les tribus religieuses. Même si elle est sujette à de multiples acceptions, cette expression souligne l’agrégation des différents éléments à vocation religieuse au sein des groupes guerriers, abstraction faite des versions généalogiques affichées. Si l’État des Murabitûn (Ve/XIe siècles) constitue une référence marquante de l’origine des zwâya, c’est parce qu’il constitue l’origine de la stratification sociale au pays des Bidân. On comprend alors que l’A. investisse sur l’étude des modèles de religiosité. Son deuxième chapitre s’ouvre sur les références religieuses. Sur le plan empirique, il relève pertinemment que le classement des écoles religieuses obéit au critère de l’appartenance tribale plutôt que doctrinale. Il est des cas où certains religieux sont à la fois imâms (guides des prières), qâdis (juges) et chefs temporels (p. 46). Il était fréquent que les charges religieuses soient monopolisées par des familles bien connues localement. L’A. démontre par une recherche à la fois documentée et minutieuse que la dynamique de certains axes routiers de commerce caravanier se doublait de production intellectuelle issue des fu qahâ’. Le fqih était « un personnage marqué par son appartenance tribale et statutaire puisqu’il défendait les siens idéologiquement devant leurs adversaires » (p. 49). Dans ce cas, R.B. recherche le passage historique du Tashawwuf (tradition mystique) aux turuq (tradition confrérique). À partir d’une collecte riche en données, il analyse quelques exemples bien précis de figures confrériques. La grande étendue ouest saharienne (bâdiya), en tant que fief confrérique, offre bien des étiologies, en particulier dans la région d’As Sagya Al Hamra, terre des saints. Il est logique alors de s’attendre à ce que des problèmes surgissent entre ces grandes figures du soufisme, point sur lequel l’A. s’arrête longuement. Une constante concurrence entre chefs religieux dégénère en affrontements politiques et sociaux entre gestionnaires du sacré.

3C’est probablement ce rôle social capital et ses talents de mystique qui ont fait la force du saint. Sa position apparaît donc éminemment politique puisqu’elle dépasse le simple secours social. De là, la question chère à l’anthropologie sociale des religions : comment devenir saint ? R.A. y consacre son troisième chapitre, s’intéressant au prestige généalogique et au processus de formation. La tribu des Glagma dont sont membres les fondateurs de la Fâdiliyya retient son attention. La noblesse généalogique (sharaf) aide à la structuration du champ mystique de la tribu. Elle permet en même temps de dégager les composantes de base de la légitimité qui contribuaient à la formation de la sainteté dans la société de l’ouest saharien.

4À partir d’un manuscrit hagiographique réservé à la personne de Muhammad Fâdil, fondateur de la confrérie Fâdiliyya né le 27 sha’bân 1211/février 1797, sont retracés la formation et le parcours d’une sainteté. Les récits hagiographiques attribuent à ce saint un cheminement extraordinaire qui fait partie de son capital symbolique, et justifie sa présence et son statut important et particulier, à l’intérieur comme à l’extérieur de la tribu des Glagma au XVIIIe siècle. D’autres manuscrits non moins importants serviront pour suivre et analyser la chaîne de transmission et ses particularités. L’existence d’une hiérarchie détermine les responsabilités respectives de gestionnaires de la walâya dans cette confrérie et leur affirmation religieuse et sociale.

5Le travail anthropo-sociologique porte ensuite sur une analyse de la notion de protection par le saint (shaykh). Cette démarche débouche sur un modèle de référence relatif à la dynamique de la sainteté dans l’ouest saharien. Le chapitre V peut ainsi traiter de la direction confrérique et de la (re)fondation de la tribu. La lutte de classement entre tribus guerrières n’empêchait pas les groupes et tribus zwâya de garder leur autonomie politique et sociale. Leur fonction pacifique ne les empêchait pas de pratiquer l’arbitrage dans les conflits entre guerriers. Muhammad Fâdil offrait la protection symbolique et physique, consolidant ainsi sa direction progressive de la tribu « sans pour autant se déclarer chef temporel, il fut présenté comme l’imâm de la tribu, son chef, son organisateur et le responsable de ses affaires » (p. 104).

6Pour analyser la naissance et l’autonomie de la tribu des Ahl at-Tâlib Mukhtaâr issue des Glagma, R.B. étudie la structuration de leur champ maraboutique face aux puissants kunta propagateurs de la qâdiriyya dans l’ouest saharien et par rapport au pouvoir émiral dans la région de Tagant. L’affirmation de l’autorité de Muhammad Fâdil ne se fait pas sans difficultés. Par son charisme et l’affiliation des Ahl At-Tâlib à son ordre confrérique, c’est la notion de tribu autonome qui s’affiche au grand jour. Il convient désormais, pour mieux matérialiser cette indépendance, de partir à la quête d’un espace. Un manuscrit précieux laissé par Sa’d Buh servira à l’A. pour une meilleure analyse de cette phase constitutive d’un territoire. Celle-ci est incarnée par la construction d’une qasba et quelques plantations, acte éminemment symbolique qui ne manquera pas de monter contre le saint toutes les ambitions des agents confrériques dans le domaine de la sainteté et du pouvoir politique (p. 147).

7C’est à ces stratégies qu’est consacré le huitième chapitre. Les figures et les formes de la sainteté sont mises en évidence. Jusque-là, R.B. paraît excellent sur le terrain des argumentations et dans la documentation de sa grille de lecture des événements marquants. Même si ses illustrations viennent parfois, un peu en cocktail indigeste, il s’en dégage des perspectives analytiques originales (même s’il n’a pas toujours pu échapper aux erreurs des datations approximatives).

8L’originalité de cette partie découle de sa cohérence. Prenant pour point de départ le lieu et le parcours inclus dans l’itinéraire religieux et politique du personnage, la construction sociale de la sainteté en rapport avec l’affirmation d’une identité sociopolitique propre offre une vision comparative avec les saints en compétition de l’ouest saharien. Non seulement Ash Shaykh Mâ’ Al Aynayn dénigre l’origine généalogique chérifienne de la tribu des Awlâd Bû Sba’, mais il souffre également de l’hostilité des Tajakant. Ces deux tribus gestionnaires du sacré dans cette partie nord du Sahara Atlantique constituent le point focal symbolique de tout le nord-ouest saharien. Même si on comprend alors qu’Ash Shaykh affiche une stratégie identique à celle de Sa’d Bûh, on aurait aimé voir l’A. tenter une comparaison stimulante pour l’élaboration du modèle.

9Bayrûk, décédé en 1859 au moment où Ash Shaykh Mâ’ Al Aynayn n’avait que 28 ans, est le fondateur de la Maison commerciale qui porte son nom. Sa stratégie, puis celle de ses fils ont été d’amplifier leur rôle commercial afin d’édifier un paradis fiscal autonome du sultan et garanti par une puissance européenne. On comprend alors leur désir de se présenter en tant que chefs politiques aux négociateurs européens peu informés sur la réalité. Les Européens, qui ignoraient véritablement la dimension politique de cette famille, ne pouvaient que se faire une idée peu conforme aux rapports de forces sur place. Quiconque tente aujourd’hui d’approcher les fonds d’archives européens se heurte à une image politique amplifiée de la maison Bayrûk. R.B., conscient de l’enjeu, n’échappe pourtant pas à ce piège quand il reproduit une citation précise de Léopold Panet pour qui Bayrûk est le « chef de l’État de Wâd Nun » (p. 135). Pourtant ce même explorateur constate en 1850 que Bayrûk ne pouvait se permettre de recevoir ouvertement les chrétiens de la mer pour négocier ses projets commerciaux. Il craignait les membres de sa propre tribu, les Ayt Mûsa-U-’Ali dont la dimension politique et guerrière est insignifiante comparée aux grandes tribus de la confédération. Le caractère secret des transactions sert à élaborer une appréciation juste de la dimension politique et guerrière de cette Maison. Sa véritable dimension peut ressortir clairement des fonds d’archives locaux et des actes d’alliances entre laffs (partis historiques) de la confédération Takna du Wâd Nûn et As Sâgya Al Hamra. L’A. aurait pu isoler alors le poids politique véritable des membres de la famille Bayrûk et le contexte des rapports qu’ils pouvaient bien entretenir avec les principales tribus de leur propre confédération. R.B. ne met pas suffisamment cette vérité en valeur. La Maison commerciale des Bayrûk ressort de son texte comme un goulot d’étranglement de l’action du Shaykh Ma’ Al Aynayn. Or, la réalité historique ne présente pas la limpidité que lui prête ici la documentation utilisée.

10L’un des points forts de cet ouvrage demeure la synthèse que fait l’A. du pouvoir des chefs religieux comparé à celui des chefs guerriers. Il analyse l’évolution du pouvoir charismatique de Shaykh Ma’ Al Aynayn, charisme envisagé non seulement dans son rapport à un univers religieux qui lui donne sa légitimité, mais aussi du point de vue de l’interprétation sociale et économique qu’en donne la sociologie des zawâyâ de l’islam en Afrique. Les émirs, puissants guerriers Hassan, ne peuvent incarner la légitimité de l’imâm juste. Seuls les chefs religieux recrutent de nombreux adeptes et se transforment en véritables dépositaires du pouvoir exotérique, ésotérique et temporel. Et seul le charisme de Ma’ Al Aynayn pouvait être déterminant dans le rassemblement des tribus autour de lui pour la direction de la résistance.

11La dynamique politique communautaire s’avère donc liée étroitement à la pluralité d’insertions mêlant de nombreuses formes de constructions identitaires. La dimension religieuse productrice de civilités guide les sociabilités recherchées ou subies. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que l’A. consacre son 10e et dernier chapitre à la gestion de la succession confrérique. L’analyse de cette gestion apparaît comme un état de fait, une réalité qui renvoie prioritairement à une référence temporelle et spatiale. L’existence du pouvoir charismatique permet de se distinguer identitairement alors que les effets du contrôle militaire de l’espace par les guerriers continuent, peu ou prou, à s’inscrire dans l’ordre politique et social. Entre la Fâdiliyya comme tariqa et les Ahl at Talib Mukhtâr comme tribu, il n’y a pas réellement de frontières nettes. Les lignages saints étaient à la fois pacifiques mais au centre des conflits intertribaux. Plusieurs registres et niveaux sont ainsi à l’œuvre dans la pratique des chefs religieux. À la fois mobilisateurs des alliances, ils sont également associés aux conflits sociaux et engagés dans les oppositions tribales, sociales et politiques. Seul leur monopole du sacré nécessitait la revendication de l’aspect pacifique. Mais celui-ci ne pouvait en aucun cas cacher leur exercice de la violence. C’est encore une fois Gellner qui se trouve contredit quelle que soit la figure à laquelle l’interaction entre le saint et son milieu ambiant se trouve analysée. L’idée de cloisonnement de la fonction du chef religieux en pays Bidân ne résiste pas à l’analyse. À l’échelle du Sahara atlantique, c’est l’extrême fécondité des dimensions plurielles du gestionnaire du sacré que l’approche de l’A. valorise. Sur le plan de la méthode, il a tenté de construire, un peu à sa manière, un ambitieux modèle explicatif de l’islam réinscrit dans l’histoire du Sahara atlantique. Sa contribution s’impose désormais comme un ouvrage de référence en la matière.

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Para citar este artículo

Referencia en papel

Mustapha Naïmi, « BOUBRIK (Rahal), Saints et société en islam. La confrérie ouest-saharienne Fâdiliyya », Archives de sciences sociales des religions, 110 | 2000, 61-64.

Referencia electrónica

Mustapha Naïmi, « BOUBRIK (Rahal), Saints et société en islam. La confrérie ouest-saharienne Fâdiliyya », Archives de sciences sociales des religions [En línea], 110 | avril-juin 2000, documento 110-10, Publicado el 19 agosto 2009, consultado el 02 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/20525 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.20525

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Mustapha Naïmi

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