BONZON (Anne), L’Esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais (1535-1650)
BONZON (Anne), L’Esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais (1535-1650),Paris, Cerf, 1999, 527 p. (préface de Marc Venard) (bibliogr., graphiques, illustr., cartes, index) (coll. « Histoire religieuse de la France », 14)
Texte intégral
1Le titre principal de cette thèse dense et fouillée se veut sans doute accrocheur. Il me semble cependant un peu anachronique dans la mesure où il risque de mettre le lecteur sur une mauvaise piste. Le diocèse de Beauvais au temps des Réformes n’a que peu en commun avec ces territoires ruraux marginalisés, conservateurs et repliés sur eux-mêmes que la formule évoque. C’est, bien au contraire, une grande région au cœur du royaume, territoire rural certes, mais vivant somme toute assez confortablement, une province située sous le souffle chaud de Paris, naguère mise en lumière par Pierre Goubert dans un livre classique. S’il est bien vrai que les paroisses du diocèse vivaient largement en vase clos, c’est que cela était le mode d’existence commun et l’horizon ordinaire des villageois d’Ancien Régime. C’est d’ailleurs ce qu’à maintes reprises l’auteur met bien en lumière, sans pour autant se priver de souligner leurs liens avec la ville épiscopale ou la fréquence de leur recours à l’évêque.
2Quoi qu’il en soit, cette étude d’une réforme diocésaine, axée sur les rapports réciproques entre les prêtres et leurs paroissiens, innove à trois égards. Tout d’abord, elle embrasse dans une perspective d’ensemble le XVIe et le XVIIe siècles, reliant entre elles la Réforme protestante, d’ailleurs assez peu suivie dans le diocèse de Beauvais, et la Réforme catholique, également longue à se réaliser, deux phases entrecoupées par un long creux spirituellement stérilisant. Comme le souligne M. Venard dans sa préface, il ne s’agissait pas encore dans cette période d’appliquer une réforme (la réception du Concile de Trente fut, en fait, le sujet de la plupart des études diocésaines antérieures) mais de l’inventer. L’A. en détaille tous les fils, les racines, les voies et les détours.
3Deuxièmement, elle met en relief les aléas d’une réforme encore toute accrochée au bon vouloir des prélats, de la réforme gallicane du cardinal Odet de Coligny de Châtillon (évêque de 1535 à 1562), qui finalement se ralliera à la cause protestante, au grand évêque réformateur Augustin Potier (évêque de 1617 à 1650) qui, inspiré par Saint Charles Borromée, multipliera les initiatives visant au changement religieux en profondeur et à l’avènement d’une discipline commune : réforme du clergé sous l’impulsion de Vincent de Paul et de Bour doise, fondation d’un séminaire, visites pastorales (dont il ne reste malheureusement guère que des extraits), mise au pas des fabriques paroissiales qui se retrouvent sous le contrôle du clergé, exorcismes, missions, catéchismes. Potier réussit non seulement à remettre de l’ordre dans son diocèse, mais à y donner des fondements religieux, à rappeler les lignes verticales de la dévotion et à jeter les bases d’une structure ecclésiale tridentine toute hiérarchique, en prenant comme relais ces curés précisément qu’il lui a fallu d’abord instruire et former, puis contrôler.
4Enfin, pour faire entendre la voix des laïcs, A.B. combine intelligemment des sources séculières (telles les cahiers des États Généraux de 1560, 1576 et 1614), les comptes locaux des fabriques et les registres de l’officialité qui contrôlait notamment le comportement des prêtres mais s’occupait aussi de procès de dîmes, de bénéfices ou de confréries. On découvre dans cette étude que le travail de réforme se fit en étroite interaction avec une demande précise émanant du commun des fidèles. Tout en acceptant le curé humainement tel qu’il était, la paroisse devenait de plus en plus critique à son égard en exigeant de lui que son travail pastoral correspondit à l’image de sa fonction : compétence professionnelle, capacité d’instruire, respect du sacré, un état social quelque peu à l’écart de la communauté. Cette exigence de la base, peu soulignée jusqu’alors dans les études diocésaines et toujours difficile à documenter quand bien même elle perce à travers de nombreux textes et allusions, constitue sans doute l’apport le plus novateur de l’ouvrage.
5L’A. a eu raison de terminer son étude à la mort d’Augustin Potier qui laissa Beauvais dans un état de « catholicisme triomphant », quoique sans jésuites – preuve qu’on a tort de trop se fixer sur le rôle de cette « internationale » ecclésiastique comme relais de la réforme tridentine. Son neveu et successeur Nicolas Choart de Buzenval rallia en effet le jansénisme, avec conviction et accompagné d’une notable partie de son clergé, ce qui changea assez radicalement les données du problème.
Pour citer cet article
Référence papier
Willem Frijhoff, « BONZON (Anne), L’Esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais (1535-1650) », Archives de sciences sociales des religions, 110 | 2000, 60-61.
Référence électronique
Willem Frijhoff, « BONZON (Anne), L’Esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais (1535-1650) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 110 | avril-juin 2000, document 110-9, mis en ligne le 19 août 2009, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/assr/20523 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/assr.20523
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