Navigation – Plan du site

AccueilNuméros119Polythéismes antiquesReligion de l’Égypte ancienne

Résumé

Analyse des scènes et textes du pylône. À côté d’Amon primordial de Djeser-set et des dieux de Djemê, une place majeure est accordée à Montou associé à Osiris et Kematef, tandis que la forme active du dieu Montou Rê-Horakhty d’Ermant apporte les offrandes aux dieux morts de Djemê, une fois par an, à l’occasion des fêtes sokariennes, le 26 Khoiak. Étude de la stèle de Ptolémée II Philadelphe. Outre des événements spécifiques du règne du roi, on y trouve des informations précieuses sur le dieu principal de la ville Banebdjed, son animal sacré, le Bélier vivant, choisi par les prêtres et intronisé dans son lieu de culte. Les inscriptions d’une série de statues d’époque ptolémaïque provenant du site ont également fait l’objet d’une lecture et d’un commentaire.

Haut de page

Entrées d’index

Haut de page

Texte intégral

I. L’Ogdoade, élaboration et évolution d’une cosmogonie (suite) : le pylône ptolémaïque du petit temple de Medinet Habou

  • 1  Voir Chr. Zivie-Coche, Annuaire de l’EPHE, Sciences religieuses 118 (2009-2010), p. 55-58 ; ead., (...)

1Une première année de travail sur le petit temple de Medinet Habou consacré à Amon de Djser-set depuis le Nouvel Empire nous avait permis de lire les inscriptions de dédicace de la chapelle de la barque dans la partie périptère de l’édifice, ainsi que les textes consacrés soit à Amon, soit à l’Ogdoade thébaine sur les montants de porte de cette construction1. On y trouve la confirmation qu’Amon primordial, autrement dit Kematef, et les Huit qui résident à Djemê sont honorés en ce lieu où il leur est fait différents types d’offrandes : l’offrande funéraire caractéristique, eau et encens, ou une offrande aâbet, ce que signalait déjà un texte antérieur de Pinedjem. Sont également mentionnées l’offrande décadaire portée par Aménopé à ses pères et l’offrande quotidienne que conduit Khonsou-Chou, venant de son temple thébain. Nous avions ainsi la confirmation de rites bien connus et déjà attestés ailleurs par d’autres textes. Médinet Habou apparaît comme le cœur même de la théologie thébaine d’Amon sous ses diverses formes et de l’Ogdoade qui lui est rattachée.

2Mais les inscriptions tardives se poursuivent sur d’autres parties du bâtiment, non plus éléments anciens remis en état à diverses époques, mais constructions nouvelles venues agrandir considérablement l’emprise du temple. C’est le cas du pylône ptolémaïque, vaste ouvrage, bâti en avant du pylône kouchite, aujourd’hui plus ou moins bien conservé, les scènes inférieures ayant particulièrement souffert de déprédations.

3Seule sa porte monumentale est décorée, à l’extérieur, comme du côté du temple, ainsi que dans son embrasure qui forme un large passage. Les môles eux-mêmes n’ont pas reçu de décor iconographique ou textuel. Celui de la porte date de Ptolémée IX Sôter II pour l’extérieur. Il a été achevé sous Ptolémée XII Aulète pour le côté cour.

  • 2  K. Sethe, O. Firchow, Thebanische Tempelinschriften aus griechisch-römischer Zeit, Urkunden VIII, (...)

4L’organisation des faces extérieure et intérieure de la porte sont identiques : un vaste linteau occupé par deux scènes aux protagonistes nombreux, quatre scènes sur les montants. Ceux de la face intérieure montrent que sous les scènes, étaient encore gravées deux lignes de texte et quelque chose en dessous qui a disparu, soit texte, soit décor vraisemblablement de type végétal. Dans l’embrasure, on rencontre d’abord, en y pénétrant, deux séries de quatre scènes sur les montants, qui se répondent de part et d’autre de l’axe du bâtiment, puis à proximité de la sortie, le même dispositif de huit scènes, celles du bas de chaque côté surmontant un texte en lignes et colonnes plus ou moins bien préservé. L’ensemble de ces textes, hormis quelques brèves mentions, n’a pour l’instant pas été édité. Ils ont été partiellement copiés par Kurth Sethe lorsqu’il préparait le volume VIII des Urkunden, mais n’y ont pas été inclus dans son édition définitive2. On en retrouve une partie dans ses Notizbuch inédits, conservés à l’académie de Berlin et auxquels j’ai pu avoir accès depuis longtemps. Par ailleurs, j’avais copié jadis une partie de ces inscriptions sur place, ce qui en combinant les deux, m’a permis de parvenir à des textes complets sur lesquels peuvent demeurer encore certains doutes de détails, mais très peu. On sait que le petit temple de Medinet Habou, à l’instar de l’immense temple de Ramsès III son voisin, fait l’objet d’une publication de l’Oriental Institute de Chicago, étalée sur de très longues années, les textes tardifs n’étant pas pris en compte pour l’instant. Or, pour l’étude des théologies thébaines, les inscriptions ptolémaïques et romaines de Medinet Habou ont une importance cruciale et contiennent des éléments d’information fondamentaux. C’est pourquoi, il faut pouvoir les utiliser dès à présent dans cette perspective qui n’est pas celle d’une édition en fac-similé d’un parfait rendu, mais un outil de travail pour analyser la teneur des textes.

5Les deux linteaux sont identiques, divisés en deux scènes figurant le roi devant les protagonistes divins. Du côté nord, le pharaon accomplit libation et encensement, l’offrande funéraire classique, devant quatre entités de l’Ogdoade, Amon et Amaunet, Kekou et Keket, que suivent Aménopé, le porteur de l’offrande décadaire depuis le temple de Louxor et Amon-Rê de Djeser-set, appelé encore Kematef, le dieu primordial par excellence qui réside à Djemê dont le petit temple est le centre. La colonne marginale divine est consacrée aux membres de l’Ogdoade, révélant par cela même que ce sont bien eux les protagonistes principaux qui reçoivent l’offrande funéraire et non pas Aménopé, ni même Amon Kematef. Certaines épithètes attribuées aux membres de l’Ogdoade, représentés une fois de plus purement anthropomorphes, leur accordent une puissance de dieux primordiaux.

6Du côté sud, on retrouve symétriquement la même offrande présentée aux quatre autres entités également constitutives de l’Ogdoade, Noun et Naunet, Hehou et Hehet, qu’accompagnent deux formes de Montou : Montou-Rê Horakhty, seigneur d’Héliopolis du sud (Ermant) et Montou-Rê, seigneur d’Héliopolis du sud. Le premier est à mettre sur le même plan qu’Aménopé qui lui fait face dans l’autre scène. C’est un dieu « enfant vénérable des Huit » qui « atteint Djêmé le jour de “piétiner la tombe” en ce beau jour de fête du quatrième mois d’akhet, jour 26 ( = 26 Khoiak) », et cela pour présenter les offrandes à ses pères et mères. Le deuxième par la longue liste de ses épithètes est en fait un Montou primordial, tout à la fois Osiris « aux chairs complètes », et Kematef, tandis que les quatre mâles des primordiaux, i. e. l’Ogdoade, se sont unis pour ne faire qu’un taureau qui répond au nom de « très grand taureau vénérable qui réside à Médamoud ». Nous avions déjà rencontré cette hypostase de Montou sur des reliefs de Karnak datant de Ptolémée III, et en dépit de son nom, elle est toujours représentée comme un dieu purement anthropomorphe. Cette scène qui figure quatre membres de l’Ogdoade et deux Montou introduit des éléments tout à fait nouveaux par rapport à la théologie classique d’Amon et de l’Ogdoade. Montou en tant que dieu de sa ville du sud Ermant possède tout comme Amon des qualités primordiales qui permettent son association avec Kematef dans la butte de Djemê et Osiris qui y est aussi enterré. Il devient donc à cet égard l’ancêtre des Huit, tandis que sa forme active de Montou Rê-Horakhty joue, elle aussi, un rôle de porteur d’offrandes. Mais ceci n’a lieu qu’une fois par an lors des fêtes de Khoaik, précisément le jour le plus important, le 26, le dieu venant en procession depuis Ermant jusqu’à Medinet Habou. Il n’existe que très peu de mentions de cette fête, celle-ci étant la plus ancienne. Les textes romains d’Antonin dans la cour du petit temple y font aussi allusion, tandis que ce jour est également mentionné dans un bandeau de frise du naos de Deir Chelouit, décoré sous Hadrien dans le même contexte de l’apport des offrandes aux ancêtres.

7Il paraît assez clair qu’à un moment donné, alors que le parallélisme entre Amon et Montou était bien installé dans les temples thébains, on a en quelque sorte promu le second au rôle de primordial, père des Huit, qui joue un rôle équivalent à Amon dans le temple même de celui-ci. Medinet Habou semble être le point où se rejoignaient tout à la fois une procession venue du sud et celle qui avait pu circuler dans la montagne thébaine, et les théologies des deux dieux. Ce changement conséquent par rapport aux textes du périptère lui-même n’est pas lié à une évolution chronologique, car les textes de restauration de la chapelle datent de Ptolémée VIII et ceux du pylône de Ptolémée IX, certains ayant été achevés sous Ptolémée XII, tandis que l’organisation globale du décor était déjà réglée sous Ptolémée IX. C’est sans doute par le rôle que joue le pylône et sa position qu’on peut tenter d’expliquer cette différence sensible. Il ouvre sur l’extérieur, sur les villes du « Palladium » de Thèbes. Étant donné l’importance qu’avait acquise Montou dans la région au cours de l’époque ptolémaïque, les scènes du pylône pouvaient en être un reflet éclatant, tout en conservant la répartition nord/sud, Amon/Montou sur les faces externe et interne du pylône.

  • 3  Cf. A. Gutbub, Textes fondamentaux de la théologie de Kom Ombo, Le Caire 1973 (Bibliothèque d’étud (...)

8En effet, cette bipartition se retrouve sur les montants, autant que l’on puisse en juger par leur état de conservation. Sur le montant nord, côté externe du pylône, relativement bien préservé, on rencontre de haut en bas, Aménopé dans son Opé, c’est-à-dire encore Ptah Tenen, accompagné de Sekhmet « qui réside à Djemê », Harsiésis qui enterre son père, avec Nephthys ; un Amon primordial occupait la troisième scène, tandis que la quatrième est détruite. Du montant sud, seule subsiste très partiellement la scène supérieure consacrée à Rê-Horakhty qui fait face à Aménopé en symétrique. Ce sont les scènes du revers du pylône qui permettent de confirmer cette répartition entre les divinités de la constellation amonienne au nord et celles de la constellation de Montou au sud, le revers se présentant, avec des variantes, comme un décalque du côté extérieur. Sous le linteau identique au précédent, on découvre au nord Amon-Rê Kamoutef et Isis, Khonsou l’enfant et Khonsou Pa-ir-serekh, « le faiseur de plans », Amon-Rê qui est sur son grand siège et Hathor « qui réside à Djemê » et enfin Amon-Rê, paouty taouy, le primordial du Double Pays, « grand ba de Kematef » et Mout. Au sud, se succèdent de haut en bas, Rê-Horakhty et Maât, Sokar-Osiris et Nephthys, Montou-Horakhty et Tanent, maîtres de Iounou chemâ (Ermant). Au bas de ces montants, deux « monographies » confirment clairement cette répartition. Elles définissent, selon le principe de ces textes3, la ou les localités mentionnées au moyen d’une série de désignations à portée théologique. Ainsi au nord, il s’agit de Thèbes « ciel des dieux et des déesses… », tandis que l’inscription du sud, encore une fois en bien meilleur état, est consacrée à Iounou chemâ, Héliopolis du sud (Ermant), « l’horizon de Rê, la Première Fois… ».

9Très clairement, l’organisation du pylône sur ses deux faces principales reflète le souci qu’ont eu les hiérogrammates d’introduire Montou d’Ermant sous deux formes, Montou Osiris Kematef et Montou-Rê Horakhty porteur d’offrandes au 26 Khoiak en parallèle aux formes amoniennes équivalentes, installées à Djemê. L’Ogdoade fait le lien entre ces deux théologies, d’autant plus aisément qu’elles sont marquées l’une et l’autre par la prégnance du chiffre quatre. Aux quatre mâles de l’Ogdoade répondent les quatre Montou des quatre villes du Palladium de Thèbes qui lui sont consacrées ; en outre, ces quatre Montou peuvent être figurés comme quatre taureaux qui s’unissent et se subsument en la personne du « très grand taureau vénérable qui réside à Médamoud ».

10Si l’on considère maintenant les textes de l’embrasure du pylône, deux séries de quatre scènes de part et d’autre de l’axe en entrant, puis deux autres séries lorsqu’on a traversé l’épaisseur de la porte et que l’on accède à la cour, on s’aperçoit rapidement que l’organisation générale est très différente. Elle ne répond plus à la symétrie nord/sud rencontrée précédemment selon l’axe général du monument. Mais c’est toute la partie avant, si on peut la définir ainsi, et tournée vers l’extérieur, qui est consacrée à Montou, tandis que l’ensemble des scènes les plus proches du temple témoignent de la présence d’Amon de Djeser set et des diverses divinités qui l’entourent généralement.

11Du côté extérieur, on note au registre supérieur, côté droit, la présence du très grand taureau vénérable qui réside à Médamoud sous sa forme purement anthropomorphe déjà connue. De part et d’autre, apparaissent des représentations classiques du point de vue de l’iconographie de Montou dans ses différentes villes, mais auxquelles on adjoint comme épithète, le nom d’une des entités masculines de l’Ogdoade : « Montou-Rê seigneur de Thèbes Hehou » et sa parèdre « Rattaouy qui réside à Thèbes Hehet », « Montou-Rê seigneur de Médamoud Niou » et « Rattaouy qui réside à [Médamoud] Niout », « Montou-Rê seigneur de Tôd Kekou » et « Rattaouy qui réside à Tôd Keket », le quatrième, le Montou d’Ermant et son épithète étant en lacune. Si l’on comprend ce rapprochement pour les raisons déjà mentionnées, importance des quatuors divins, rapprochement entre les taureaux de Montou et les entités primordiales masculines de l’Ogdoade, cette association n’a cependant pas été repérée dans d’autres textes pour l’instant.

12Du côté cour, en revanche, on retrouve l’Ogdoade répartie de part et d’autre de l’axe, recevant l’offrande traditionnelle d’encens et de libation. En dessous, a été représenté Aménopé de Djemê, le porteur de l’offrande décadaire aux Huit, dont c’est évidemment la place en fonction de son rôle. Lui fait face Osiris Ounnefer rapproché de Montou, ce qui permet de faire le lien avec l’autre partie du décor et l’autre théologie. Le reste des scènes est occupé par Amon portant différentes épithètes le liant à Djemê et ses parèdres dont Khonsou-Chou, le porteur de l’offrande quotidienne à la butte des dieux morts.

13Au bas de chacun de ces montants, ont été gravés de longs textes, certains tellement lacunaires qu’il est difficile d’en tirer quelque chose. Toutefois, du côté de la cour, une des inscriptions est bien préservée et évoque, ce que je ne peux développer davantage ici, le rôle du primordial qui place son héritier à la tête des vivants, tandis que lui-même sous sa forme ophidienne, règne depuis les profondeurs illimitées jusqu’au firmament.

14Une remarque s’impose également sur l’organisation interne des scènes et la position relative des protagonistes royaux et divins. Il a été constaté depuis longtemps dans l’économie globale du décor des temples que le roi procède depuis l’extérieur vers le fond de l’édifice, tandis que les dieux installés dans leur demeure l’y accueillent. Sur le pylône de Medinet Habou, sur la face extérieure, la position du roi et des dieux répond à cette définition. On la retrouve également sur le linteau au revers, ces deux éléments architecturaux contenant à eux seuls un résumé aussi bien iconographique que théologique des dieux présents à Djemê et de leurs fonctions respectives. Mais lorsqu’on pénètre dans l’embrasure de la porte, puis que l’on observe les montants de la porte du pylône, côté cour, on constate que le roi est toujours en posture de progresser vers l’intérieur de la construction, les dieux l’accueillant. Ce qui aboutit sur les montants de la porte, côté cour, à une opposition entre linteau et montants, puisque le linteau reproduit à l’identique son symétrique du côté extérieur, tandis que sur les montants les dieux semblent rejetés à l’extérieur, tandis que le roi pénètre vers le fond du temple. Ceci n’est qu’une impression superficielle et trompeuse qui doit être corrigée. Si l’on considère le décor de la porte du pylône comme un ensemble n’ayant pas de liens avec le reste du temple, la disposition est effectivement étrange. Mais le pylône est intégré à la globalité de la structure de l’édifice, même si celle-ci a été conçue à des moments divers par ajouts successifs ; il ouvre sur le temenos du temple, domaine des dieux qui y sont installés, et même si les murs fermant ce temenos ne sont pas décorés, on doit admettre que la progression au long de ces parois s’y fait selon l’ordre décrit. Les dieux à l’intérieur du temenos sont là pour recevoir le roi qui y entre. Le même système se rencontre sur les propylônes de Montou à Karnak‑Nord, de Khonsou à l’avant du temple de ce dieu ou encore sur le propylône de Deir Chelouit, avec inversion de la disposition entre le linteau du côté intérieur et les montants ; ce qui confère évidemment aux linteaux un statut particulier.

15Cette analyse des textes du pylône ptolémaïque que je n’ai pas pu développer ici davantage montre cependant une volonté très nette, à l’extérieur du petit temple lui-même de Medinet Habou qui abrite Amon de Djeser-set et ses parèdres, d’octroyer une place fondamentale à Montou lui aussi désormais dieu primordial. Outre les quatre villes de son Palladium, il dispose d’une place de choix à Medinet Habou, au moins à partir de la fin de l’époque ptolémaïque. Un lien est établi avec Ermant, sa ville méridionale sur la même rive, par le biais d’une procession qui se déroule une fois par an à l’occasion des grandes fêtes de Khoiak. Ce rôle de Montou se retrouvera dans les textes de la cour romaine dont les portes furent décorées au nom d’Antonin, tout comme dans les inscriptions du temple de Deir Chelouit, essentiellement gravées sous Hadrien. La question se pose, et il est très difficile d’y répondre, faute d’éléments archéologiques fiables, de savoir s’il existait un lieu de culte spécifique de Montou à Medinet Habou.

16Au cours d’une des séances, Alain Fortier a fait une brève présentation de Montou dans la région thébaine à l’époque ptolémaïque, ainsi que du « très grand taureau vénérable qui réside à Médamoud ».

II. Géographie religieuse, le delta oriental : Mendès et la XVIe sepat de Basse Égypte (suite) : l’époque ptolémaïque

17La majeure partie de l’année a été consacrée à la lecture et au commentaire de la stèle de Ptolémée II découverte à Mendès à la fin du xixe siècle et conservée au musée du Caire sous les numéros JE 37089 et CGC 22181. Elle a connu deux éditions majeures, celle de K. Sethe, Hieroglyphische Urkunden der griechisch-römischen Zeit II, Leipzig 1904, p. 28‑54, et celle d’Ahmed Bey Kamal, Stèles ptolémaïques et romaines, CGC, Le Caire 1904‑1905, p. 159‑168 et pl. 54‑55. Néanmoins, étant donné l’état du document, une nouvelle copie et une nouvelle édition seraient nécessaires, mais tel n’était pas mon propos pour ce cours. Par ailleurs, ce document d’une grande importance sur le plan de l’histoire des Lagides et sur celui de la politique religieuse menée au début de l’époque ptolémaïque, a fait l’objet de diverses traductions, la dernière en date étant celle que donne Christophe Thiers en annexe de son étude d’une autre stèle de Ptolémée II : Ptolémée Philadelphe et les prêtres d’Atoum de Tjékou. Nouvelle édition commentée de la « Stèle de Pithom » (CGC 22183), OrMonsp 17, Montpellier 2007, p. 185‑195 ; on y trouvera des références bibliographiques antérieures. On notera également d’intéressantes remarques de J. FrQuack, « Innovations in Ancient Garb ? Hieroglyphic Texts from the time of Ptolemy Philadelphus », dans P. McKechnie, PhGuillaume (éd.), Ptolemy II Philadelphus and his World, Leyde-Boston 2008, p. 275‑289. Néanmoins, il n’a pas été mené sur ce document de réflexion globale, tant sur la politique religieuse des temples égyptiens en ce début de l’époque ptolémaïque et le soutien qu’elle reçoit de la part du pharaon lagide, que sur les informations précieuses et uniques que nous apporte le document sur les cultes mendésiens et leur développement à cette époque, et que j’ai essayé de dégager au fil de la lecture et du commentaire.

18La stèle taillée dans du grès, mesure près d’un mètre cinquante de haut ; sous un cintre richement décoré, vingt-sept lignes de texte ont été gravées, tandis que les côtés de la pièce portent également les noms du souverain ainsi que celui du dieu principal Banebdjed, accompagné d’épithètes. Dans le cintre, le souverain suivi de la reine et d’un personnage princier nommé lui aussi Ptolémée, dont l’identité a été discutée, font des offrandes devant la forme animale de Banebdjed couronné du disque solaire surmontant une paire de cornes plates et torsadées, le dieu enfant Harpocrate, troisième membre de la « triade mendésienne », Banebdjed lui-même, classiquement représenté anthropomorphe et criocéphale, coiffé d’une couronne composite de type atef, surmontant encore les cornes de l’ovis longipes, Hat-mehyt, la parèdre du dieu, femme coiffée d’un pavois portant le poisson tilapia de la province et enfin une représentation d’Arsinoé divinisée. On constate là que le souci des concepteurs du monument n’a pas été d’être fidèle à une quelconque réalité historique, mais d’accumuler tous les éléments ayant trait au règne du roi et aux cultes de la ville. En effet, le texte indique que la reine était morte lorsque la stèle a été gravée et on la trouve doublement représentée, vivante à côté de son époux, et divinisée et statufiée du côté des dieux, devenue déesse sunnaia.

19Le texte débute par une eulogie tant du roi que de Banebdjed auquel les théologiens locaux confèrent, outre ses épithètes habituelles, celles d’un dieu démiurge. Les divers événements relatés dans le document et énumérés de manière parataxique, recouvrent une longue période qu’il est un peu difficile de préciser avec certitude, en raison des lacunes qui ont fait disparaître la plupart des dates. Néanmoins, la description de la première visite du pharaon à Mendès montre explicitement qu’elle a eu lieu au début de son règne, tandis que l’intronisation d’un nouveau bélier comme animal sacré est à situer probablement à la fin de la deuxième décennie du règne. Pour ce qui est de Ptolémée lui-même, il évoque son second mariage avec Arsinoé, ce qui est exceptionnel dans la documentation égyptienne. De même la mort de celle-ci est mentionnée, ainsi que son enterrement décrit selon les règles égyptiennes, avec une précision rare sur la durée du rituel d’ouverture de la bouche (quatre jours), et immédiatement suivi de la divinisation de la reine et de l’installation de ses statues dans tous les temples d’Égypte. Si Ptolémée II ne rappelle pas ici ses activités guerrières, contrairement à ce que l’on lit dans sa stèle de Tjekou/Pithom, il mentionne la construction ou plutôt le réaménagement du canal menant du Nil au golfe de Suez en passant précisément par Tjekou dans le Ouadi Toumilât, ce qui recoupe les informations de la stèle susdite et apparaît comme une des réalisations majeures qu’il a menées dans le Delta oriental pour sa mise en valeur.

20Néanmoins, la plus grande partie du texte est consacrée aux activités du pharaon dans la ville d’Anpet/Mendès en faveur de son dieu Banebdjed et de son animal sacré, le Bélier vivant. Profitant d’une première visite à Mendès au début de son règne, qui correspond sans doute à l’intronisation d’un animal sacré, le pharaon, selon une tradition bien établie, fit le tour des établissements divins pour en constater l’état de délabrement causé, dit-on, par les étrangers. S’il s’agit d’un topos connu, cela peut bien, dans ce document particulier, correspondre à une réalité historique qui est celle des méfaits commis par les Perses lors de la deuxième invasion qui précéda de peu l’installation des Lagides sur le trône d’Égypte. Il s’agit donc devant une telle situation de reconstruire les monuments, aussi bien le temple du dieu lui-même que l’établissement réservé au Bélier vivant et sans doute aussi aux béliers morts, enterrés avec la pompe des animaux sacrés. Ptolémée pour chacune des opérations qu’il commanditera en réfère toujours à ce qui a été fait dans le passé par ses prédécesseurs, pour s’y conformer, voire le dépasser en qualité, reprenant à son compte un topique de la littérature officielle phraonique. Non content de faire reconstruire les bâtiments de Mendès, il exempte la ville et le temple des taxes prélevées sur la navigation fluviale en faveur du trésor royal. Et il est particulièrement intéressant sur le plan littéraire et celui de la transmission des textes, de constater qu’à l’appui de cette mesure, on invoque un pseudo-décret de Thot qui reprend un passage du célèbre hymne au Nil. Les bâtiments cultuels ayant été inaugurés, un autre événement marquant est consigné. On découvre un nouveau bélier susceptible de devenir le bélier sacré. Il est précisé qu’une assemblée de prêtres venus de toute l’Égypte vérifie que les marques caractéristiques qu’il porte sont conformes à ce qu’énoncent les textes rituels. Après quoi, ils peuvent procéder à l’élaboration de son protocole divin et à son intronisation. Nous avons là l’unique attestation du choix d’un bélier pour le temple de Banebdjed, en parallèle à ce que l’on peut rencontrer pour les Apis ou les Boukhis. Comme le bélier a été trouvé sur la « butte de Des-chen », « dans la campagne occidentale de Djedet », on peut en déduire que contrairement à ce qu’il se passait pour d’autres catégories d’animaux qui étaient élevés dans des enclos dépendant des temples (les ibis ou les faucons par exemple), le bélier, un unicum, comme les taureaux dans d’autres centres religieux, était repéré parmi les animaux vivant dans la campagne avoisinante.

21La stèle, outre toutes les indications rituelles évoquées, fournit également un certain nombre de toponymes de la province mendésienne, dont certains ne se retrouvent que dans les textes des processions géographiques des temples ptolémaïques : ainsi Oup-netjerouy, homonyme du titre porté par des prêtres mendésiens, ou encore Tanen dont on ne sait s’il s’agit d’un lieu-dit du mendésien. Quant aux noms des temples ou de parties des temples, il n’est pas toujours facile de les faire correspondre à ce qui subsiste in situ, généralement à l’état d’arasements. On peut néanmoins distinguer une désignation du temple et de son domaine et une autre correspondant à la demeure du Bélier vivant qui abritait peut-être aussi les sépultures des béliers morts : cf. à ce propos D. B. Redford, City of the The Ram-Man, The Story of Ancient Mendes, Princeton Oxford 2010, p. 157‑166, mais cela demeure toutefois hypothétique, en raison de l’état du terrain, et également de l’absence pour l’instant d’une publication complète de ce secteur du site.

22Malgré les limites de l’interprétation liées au caractère souvent allusif du texte, à ses lacunes et aux incertitudes du terrain, ce remarquable document éclaire la politique très favorable de Ptolémée Philadelphe en faveur des grands temples égyptiens dont il était soucieux d’obtenir la fidélité du clergé qui un peu plus tard sera régulièrement réuni en synodes, ce dont nous avons déjà ici un précédent. Sur le culte de Banebdjed et de son Bélier vivant, intronisé avec le quadruple nom du dieu, les quatre ba (de Rê, de Chou, de Geb et d’Osiris) unis en un seul, nous constatons avec quelle vitalité intellectuelle les théologiens et hiérogrammates de la ville travaillaient pour leur dieu ; c’est nécessairement à eux, d’ailleurs, que le souverain ou ses conseillers ont dû faire appel pour rédiger ce texte qui renvoie sans cesse au passé archétypique de l’Égypte, mis en valeur sous forme d’un leitmotiv insistant.

23Nous avons pu ensuite lire les inscriptions d’un certain nombre de statues de l’époque ptolémaïque, voire romaine, provenant de Mendès dont les temples ont bénéficié à cette époque d’une statuaire d’une exceptionnelle qualité, qui cependant ne peut pas toujours être datée précisément au sein de l’époque ptolémaïque, comme on l’a d’ailleurs déjà noté, soit à Mendès, soit sur d’autres sites. Les critères stylistiques ne permettent pas nécessairement de déterminer un moment spécifique, car ils ont pu être en vigueur pendant une assez longue période ; il est par ailleurs assez rare que les personnages même de haut rang évoquent par son nom le pharaon qu’ils se targuent d’avoir servi. Par chance, dans certains cas, on connaît la date d’apparition de tel ou tel titre spécifique, ce qui autorise, à tout le moins, à fixer des limites de datation.

24Faute de pouvoir m’étendre davantage ici, je dresserai simplement une liste des statues qui ont été lues et analysées, ou évoquées : Amenpayom (?), fils de Pamiou et Imhotep, Caire JE 44637, mentionne Banebdjed « seigneur des aliments », « qui réside dans Iounou, seigneur de Des-chen » ; un personnage anonyme, Caire JE 45275, dont le texte du pilier dorsal présente des similitudes avec le précédent ; Painmou/Plytes, fils d’Ankhor, Louvre E 15546, prophète d’Osiris Hemag, d’Isis la grande, la mère divine et d’Ankhpakhered, le grand dieu qui réside dans Djedet, invoque Imhotep, « héritier de Ptah, né de Kheredankh, fille de Banebdjed ». Le personnage divinisé recevait sans doute un culte à Mendès, mais on n’en a pas retrouvé de trace jusqu’à présent. On ajoutera encore la statue de Hormaakherou, fils d’Ounnefer et d’Isisakhbit, collection privée New York, détenteur de plusieurs titres mendésiens, celle de Tjahapimou, fils d’Imhotep, ancienne collection David-Weill, dont le propriétaire est, entre autres, prophète du seigneur des aliments et prêtre-fekty dans Hat-mehyt, scribe des livres divins de Banebdjed (maître) de Des-chen ; celle de Pakhôm, fils d’Horpakhered, prophète, chambellan, oup netjerouy « celui qui sépare les deux dieux », prophète de Banebdjed et de Hatmehyt, qui vécut sous Octavien Auguste (collection privée).

  • 4  Cf. J.-L. Simonet, Le Collège des dieux maîtres d’autel. Nature et histoire d’une figure tardive d (...)

25Les quelques éléments marquants de ces titulatures parfois très difficiles à lire font apparaître une caractéristique particulière de Banebdjed qui n’était pas présente sur des documents antérieurs à l’époque ptolémaïque. Le nom du dieu peut être remplacé par l’épiclèse « seigneur des aliments », ce que l’on rapprochera de la désignation d’un des dieux « maîtres d’autel » et « seigneurs des aliments » que l’on rencontre dans quelques scènes des temples ptolémaïques : à côté d’Apis, Mnevis et Sema-our, Ageb-our qui désigne traditionnellement la crue, représenté anthropomorphe et criocéphale est appelé « Ba vivant dans Hat-mehyt » ou « Ba vénérable4 ». Par ailleurs, lorsque le dieu est dit maître de Des-chen ou de la butte de Des-chen, il est également qualifié dans la plupart des cas de « celui qui réside dans Iounou/Héliopolis ». S’agit-il bien de la grande métropole religieuse d’Héliopolis ou d’un toponyme homonyme ? Rien dans les textes ne permet de l’expliciter sur le plan géographique. Je rappellerai seulement ici que Banebdjed entretient depuis des époques fort anciennes un lien avec Héliopolis par le biais des deux ba de Rê et d’Osiris qui s’unissent à Mendès et des deux « oisillons » associés à Banebdjed, dont le chapitre 17 du Livre des morts rapporte dans une glose qu’il s’agit des ba de Chou et Tefnout, les enfants d’Atoum. C’est peut-être par le biais de cette glose théologique qu’il est possible d’associer le « Ba seigneur de Djedet » à Héliopolis.

III. Séminaires de troisième heure

26Ils ont réuni comme chaque année, les doctorants et les étudiants préparant un diplôme, inscrits à la section des sciences religieuses et à la section des sciences historiques et philologiques, ainsi que des étudiants inscrits dans des universités françaises ou étrangères, Paris IV, Montpellier, Strasbourg, Lille, Genève. Des post-doctorants et des chercheurs y participent également, apportant leur expérience aux plus jeunes. Ces réunions régulières, informelles, offrent aux étudiants un lieu où ils peuvent exposer leurs difficultés dans l’avancement de leurs travaux, les problèmes méthodologiques qu’ils rencontrent. Ils y trouvent un suivi régulier et développent des échanges entre eux, parfois difficiles à mettre en place dans d’autres structures.

Haut de page

Notes

1  Voir Chr. Zivie-Coche, Annuaire de l’EPHE, Sciences religieuses 118 (2009-2010), p. 55-58 ; ead., « L’Ogdoade à Thèbes à l’époque ptolémaïque II. Le périptère du petit temple de Medinet Habou », dans Chr. Thiers (éd.), Documents de théologie thébaine tardive II, CENiM, Montpellier 2012 (sous presse).

2  K. Sethe, O. Firchow, Thebanische Tempelinschriften aus griechisch-römischer Zeit, Urkunden VIII, Berlin 1957.

3  Cf. A. Gutbub, Textes fondamentaux de la théologie de Kom Ombo, Le Caire 1973 (Bibliothèque d’étude 47), p. ix sqq.

4  Cf. J.-L. Simonet, Le Collège des dieux maîtres d’autel. Nature et histoire d’une figure tardive de la religion égyptienne, Montpellier 1994 (OrMonsp 7).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Christiane Zivie-Coche, « Religion de l’Égypte ancienne »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 119 | 2012, 57-66.

Référence électronique

Christiane Zivie-Coche, « Religion de l’Égypte ancienne »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 119 | 2012, mis en ligne le 05 octobre 2012, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asr/1047 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/asr.1047

Haut de page

Auteur

Christiane Zivie-Coche

Directrice d’études, Ecole pratique des hautes études – Section des sciences religieuses

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search