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Comptes rendus

Karl-G. Prasse & Ghabdouane Mohamed. L’histoire du Niger t. 1 et t. 2, Berber Studies Rüdiger Köppe Verlag. Köln. Volume 53 – 2019

Mohamed Aghali-Zakara
p. 93-97
Référence(s) :

Karl-G. Prasse & Ghabdouane Mohamed. L’histoire du Niger t. 1 et t. 2, Berber Studies Rüdiger Köppe Verlag. Köln. Volume 53

Texte intégral

1Cette contribution bilingue sur l'histoire du Niger, par nos regrettés Ghadouane Mohamed et Karl-G. Prasse, mérite d'être considérée. Elle comprend deux tomes l'un en français et l'autre en langue touarègue. Elle est destinée à l'enseignement de l'histoire nationale dans les écoles nigériennes qui enseignent à la fois le français et les langues nationales, dont le touareg.

2Le Professeur Karl-G. Prasse, est un chercheur bien connu dans le domaine berbère, ou amazigh, en raison de la qualité de ses nombreux travaux sur la langue touarègue qui en fait partie. Une recension complète en a été établie par H. Stroomer dans le Supplément de Berber Studies volume 53 (p. 13-33).

3La qualité et l'étendue de ses études universitaires en linguistique ont d'abord concerné l'arabe et l'hébreu au Danemark, puis le berbère et l'amharique à Paris, à Rome l'amharique et le somali. De retour à Copenhague, il enrichit son domaine chamito-sémitique avec l'égyptien ancien. Cette formation très étendue et complémentaire l'avait bien préparé pour le poste de professeur d'arabe et de berbère à Copenhague.

4L'UNESCO le chargea en 1966 d'écrire une grammaire touarègue et il participa en 1966 et en 1968 à l'élaboration d'un alphabet latin aménagé pour l'enseignement, l'écriture et l'alphabétisation en langues nationales, au Burkina, au Mali et au Niger.

5Son domaine linguistique et culturel incluait aussi les domaines allemand, russe, anglais et italien. Ses connaissances dans ces domaines aussi vastes, furent reconnues et honorées dans la sphère universitaire nationale et internationale.

6Son intérêt pédagogique le fit participer très activement à la création d'une école primaire à Amataltal (1999-2010) dans la région d'Agadez au nord du Niger. Il participa ainsi aux activités de coopération autant qu'il pouvait.

7A ses travaux sur la langue touarègue, furent associés ses fidèles collaborateurs Ghoubeïd Alojaly, Akhmedou Khamidoun, Ekhya ăgg-Ălbostan ăg-šidyăn, et Ghadouane Mohamed.

8Cet ouvrage, qu'il put mener à son terme avant sa mort, comprend donc deux volumes, le tome I est en touareg de l'Ayr (l'Aïr) de la région d'Agadez au Niger, le tome II est la version française. Les auteurs en expliquent la construction : c'est le texte français qui est l'original dont la traduction en touareg a été réalisée avec la participation de ses collaborateurs. On verra que cette composition peut expliquer qu'aux difficultés habituelles de toute traduction qui doit tenir compte de l'écart culturel, se sont ajoutées celles que constitue le passage du texte français au touareg et non du texte oral touareg à sa transcription.

9Cet ouvrage bilingue du pays nigérien implique les diverses populations locutrices des différentes langues, dont le touareg, dans un projet pédagogique annoncé.

10La chronologie des faits historiques, élaborée à partir des travaux d'« historiens de profession », ne prétend pas apporter de nouveaux témoignages, mais considère les faits historiques sous « un angle touareg » issus des traditions orales touarègues, c'est-à-dire de la mémoire des acteurs qui constituent la population. A ce titre, le texte associe le répertoire diachronique et les interventions mémorielles. Cette participation de la société touarègue concerne l'histoire du Hoggar algérien et du Mali pour les périodes contemporaines à partir du XIXè s.

11Les onze chapitres chronologiques s'ouvrent sur un aperçu de l'Humanité des périodes pré-historiques, puis évoquent l'origine des Berbères dont font partie les Touaregs. Ensuite, sont évoquées les périodes de la haute Antiquité, de l'Egypte des millénaires de 3000 à 1500 av. J.-C., l'expansion de Carthage et Rome, Byzance et Garama, jusqu'à la naissance de l'Islam et sa diffusion au Sahara Central entre 700 et 1400 de notre ère. Cette étape concerne l'arrivée des tribus touarègues dans l'Aïr - 700-1000 - puis celles des Issandalan, des Inessufa, des Kel-Geres entre 1000 et 1400.

12C'est après l'an 1000 que les Empires noirs s'organisent : l'empire du Mali des Malinkés en 1100, conquis par les Touaregs en 1438, puis par les Songhays en 1450 ; le domaine Haoussa de 1000 à 1500 ; le domaine Toubou avec le puissant groupe des Kanuris au XIXè s.

13Le chapitre V reprend la diachronie de l'Aïr, de 1400 à 1600, l'arrivée des Kel-Ferwan et d'autres groupes touaregs comportant des tribus maraboutiques, qui ont participé à la diffusion de l'Islam. Ils ont été chassés d'Agadez en 1700 par les Iwellemmedan Kel-Denneg, plaque tournante de l'Aïr conquise en 1515 par les Songhays.

14Les chapitres suivant évoquent, de 1600 à 1920, l'organisation de ces multiples sociétés, et les luttes internes pour le pouvoir. Les XIXè et XXès., voient l'installation des conquêtes coloniales à partir des années 1920 jusqu'en 1960, année de l’indépendance du Niger.

15Le dernier chapitre évoque de 1960 à 2000, l'installation des structures de la politique postcoloniale et la succession des différents pouvoirs présidentiels issus d'élections, alternant avec des coups d'Etat militaires jusqu'en 2010.

16Cet inventaire historique en français est donc repris en touareg pour l'enseignement dans cette langue nationale. L'examen des deux versions concerne les problèmes de l'écriture dans l'alphabet déjà mentionné, pour la transcription, et ceux de la langue.

17L'absence de certains termes lexicaux dans la langue propre à une société nomade nécessite soit de faire des emprunts aux langues de contact, soit d'utiliser le stock lexical de cette langue de nomades en utilisant des unités lexicales qui ont une proximité sémantique, et par l'adjonction possible de ses marques grammaticales par exemple :

  • asihar "rendez-vous" > "conférence"

  • aməsənsa "fait de disposer ensemble" > "index, liste"

  • tugdat "égalité" > "assimilation (phonétique)"

18Ces exemples montrent le recours au lexique touareg avec extension du champ sémantique. Ce processus est bien connu dans toutes les langues et a l'avantage d'être facilement compris.

19Ici, on constate que les néologismes nécessaires résultent principalement d'emprunts à l'arabe de contact, langue de prestige connue des auteurs. Eventuellement, les emprunts sont faits aussi au français et au haoussa. Dans les deux cas, on constate une adaptation phonétique qui facilite l'intégration à la langue touarègue. Un certain nombre de ces emprunts risquent cependant d'être inintelligible aux lecteurs et aux élèves en particulier. Recourir, par facilité, à l'emprunt ne se justifie pas quand la langue et les usagers peuvent utiliser des termes connus qui peuvent être identifiés : on relève aussi des approximations sémantiques à l'origine de contre-sens comme pour l'emprunt à l'arabe.

  • aləstiɣmar (alestighmar) qui est traduit à la fois par "indépendance" et "colonisation" et aussi alestiqlal "indépendance".

20Par exemple, l'expression culturelle, agoras wa yəbsosăɣăn traduit "forêt clairsemée", or, agoras connote, en fait, "brousse arbustive", qui ne correspond pas, en français, à "forêt". En touareg, on utilise le terme efəy/efăy "étendue boisée de grands arbres", en français "forêt, bois".

21Autres types d'approximation dans le texte en français qui sont retrouvés dans le texte touareg : l'homme de la préhistoire est passé de la position horizontale à la position verticale quand il est devenu plantigrade. Ce concept est expliqué par "ses jambes ressemblent à celles de l'homme" ; l'expression est malheureuse, comme celle de "position très droite" pour "verticale".

22Mais, ce qui gêne le plus, dans la reconstitution de la période préhistorique, est de présenter comme avéré des faits que les préhistoriens communiquent prudemment. Puis, de les modérer par des expressions approximatives telles que "sans doute", "probablement"... Ailleurs, enseigner et affirmer "le frère contemporain le plus proche de l'homme est le chimpanzé" (p. 17). Cette expression fait allusion à l'« évolution des espèces », généralement inconnue ou rejetée.

23La transcription du texte français en touareg se fait donc avec l'alphabet latin aménagé, élaboré par des linguistes, depuis l'indépendance, et revue à la lumière des récentes recherches dans ce domaine. Cet alphabet a été conçu en tenant compte des particularismes phonétiques des différentes langues nationales. En touareg, une attention particulière est accordée à l'assimilation et à la segmentation.

24L'assimilation est une réalisation phonétique qui concerne certaines consonnes en contact :

25le plus souvent, la dernière d'un mot en contact avec la première du mot suivant. La première modifie la seconde et la rend "semblable" :

26d + n – > n^n ; ad nənnu > an^nənnu " nous dirons" ; mais ad ənnăɣ "je dirai".

27Dans le deuxième exemple, le d de la particule modale ad n'entraîne pas d'assimilation car il n'est pas en contact avec une consonne. En effet, pour que l'assimilation se produise, il faut qu'il y ait une situation syntaxique qui le permette, ce qui n'est pas le cas.

28C'est le même procédé à l'intérieur d'un mot, particulièrement fréquent avec les mots féminins caractérisés le plus souvent par t ––– t :

  • ɣ + t > q + q amajaɣ > tamajaɣt > tamajaq "femme touarègue" ;

        • allaɣ > tallaɣt > tallaq "lance, petite lance"

29Autrement dit, ici, l'assimilation des deux consonnes en contact ne dépend pas de la situation syntaxique ; elle n'est donc pas aléatoire mais permanente et se note à l’écrit.

30On peut rapprocher cette assimilation de ce qui se passe à l'oral en arabe avec alif : le lam de l'article al- précédant une consonne solaire créant une assimilation jamais écrite, comme par exemple :

31al-šams > [aš-šams] "le soleil", la consonne l s'assimile et se réalise š-š

32al-nâs > [an-nâs] "les hommes", la consonne l s'assimile et se réalise n-n

33On peut de même rapprocher de l'assimilation ce qui se passe en français (pour des raisons différentes) avec la "liaison", réalisée à l'oral mais non écrite, quand certaines consonnes sont proches des voyelles :

34un ^ oiseau –– n + o –– réalisé [unoiseau]

35des^années –– s + a –– réalisé [dèszannées]

36La question de la segmentation dans les énoncés est également délicate. L'espace entre des unités syntaxiques marque qu'elles sont distinctes, le tiret annule l'espace et montre une dépendance en reliant verbes, pronoms, subordonnants..., ici, souvent sans véritables justifications. L'abondance des tirets non justifiée alourdit l'écriture, gêne l'analyse et la lecture. C'est le sort, dans le texte, de certaines prépositions reliées aux noms, aux démonstratifs, aux supports de détermination : əd ou d, ən ou n ou nn ...

37əd-kəllu nn-iri ən-tăwăqqast tann əsuf

38"et tous les animaux sauvages de la brousse" (t. 2. p. 37).

39Dans la transcription officielle suivante, les scolaires distinguent mieux les diverses unités syntaxiques :

40əd kəllu nn iri n tăwăqqast ta nn əsuf.

41Il en est de même dans ce second exemple.

42Ewərrəx ən-musănăn ən-tərəwət d-əwərrəx ən-musănăn n-ăttarix, "datation archéologique et datation historique".

43En transcription officielle on écrirait :

44Ewərrəx ən musănăn ən tərəwət d əwərrəx ən musănăn n ăttarix.

45Il est évident que si l'auteur avait pu relire cette épreuve, un certain nombre de coquilles aurait été corrigé. Cependant, les élèves d'Amataltal et les autres scolaires destinataires de cet ouvrage utile, ne lui en seront pas moins reconnaissants. En effet, Karl-G. Prasse a été et demeurera pour tous, comme l'un des plus grands spécialistes de la langue touarègue. Grâce à son travail acharné, le monde amazigh, et touareg en particulier, dispose d'une somme de connaissances prodigieuses contenues dans ses multiples productions scientifiques.

46Cet ouvrage est un véritable support pédagogique pour l'Histoire du Niger "Attarix wa n Nijer" en langue touarègue car les scolaires y trouveront les principaux repères historiques que les auteurs se sont efforcés de synthétiser.

47Ce premier ouvrage incitant à promouvoir la temajaq, "le touareg", une des langues nationales du Niger, encouragera sans doute de nouvelles publications en langues nigériennes dans les autres matières d'enseignement. C'est un pari pédagogique, véritable défi à relever pour l'emploi confirmé des langues africaines et nigériennes, notamment dans le système éducatif.

48Quelles que soient les divergences qu'il est toujours bon de mentionner, et en dépit de quelques "coquilles", cet ouvrage est le témoignage d'une ancienne et chaleureuse connaissance de la société touarègue et d'une empathie incontestable.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mohamed Aghali-Zakara, « Karl-G. Prasse & Ghabdouane Mohamed. L’histoire du Niger t. 1 et t. 2, Berber Studies Rüdiger Köppe Verlag. Köln. Volume 53 – 2019 »Asinag, 16 | 2021, 93-97.

Référence électronique

Mohamed Aghali-Zakara, « Karl-G. Prasse & Ghabdouane Mohamed. L’histoire du Niger t. 1 et t. 2, Berber Studies Rüdiger Köppe Verlag. Köln. Volume 53 – 2019 »Asinag [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 01 février 2023, consulté le 17 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asinag/1694

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