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Dossier : L’écriture en et autour de l’amazighe

La Sardaigne libyco-berbère dans les sources gréco-latines et arabes

Valeria Argiolas
p. 15-31

Résumés

Les sources grecques et latines sur le peuplement de la Sardaigne évoquent une image non-conventionnelle de la Méditerranée antique. A côté des Grecs, des Phéniciens et des Puniques, des Étrusques et des Romains en tant qu'acteurs historiques majeurs, des peuples identifiables comme autochtones du nord de l'Afrique apparaissent sur scène. Ces derniers sont appelés Libyens, Maures, Maurouses et, par Cicéron, Afri. Des données linguistiques et anthropologiques provenant de la Sardaigne semblent témoigner en écho les faits relatés par les sources classiques. Les sources arabes, considérées en grand partie d'origine byzantine, confirment une présence libyco-berbère dans l'île sarde. Une connexion entre l'ethnonyme arabe Barbar et l'ethnonyme byzantin Barbarikinoi en Sardaigne est également proposée ici. 

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Texte intégral

11. Le récit d’une expansion libyco-berbère en dehors du continent africain semble s’affirmer à travers le témoignage des sources gréco-latines sur l’île connue par les Romains sous le nom de Sardinia. Ce récit intègre les données toponymiques et épigraphiques des îles Canaries qui gardent la trace certaine de la présence de groupes humains qui ont utilisé une langue écrite dans un alphabet apparenté aux inscriptions libyques et aux tifinagh.

22. C’est déjà dans le sens de l’historiographie grecque de l’époque romaine que Cicéron (Ier siècle av. J.-C.) entendait, en défendant le propréteur Scaurus, accusé de repetundis dans le procès tenu à Rome au cours des dernières années de la république (54 av. J.-C.), « Africa ipsa parens illa Sardiniae ... : « l'Africa, génitrice de la Sardinia ... » (Cicéron, Pro Scauro 45a). Les traités entre Rome et Carthage sont nécessaires pour comprendre les relations des Puniques aux territoires qui leur sont soumis et les différentes formes d'administration et de société dont les Romains ont pu hériter. Le contexte géopolitique du traité de 509 av. J.-C. entre Rome et Carthage est celui des équilibres commerciaux dans la Méditerranée occidentale, rapporté par Polybe (205-125 av. J.-C.). La zone sous l'influence directe de Carthage, face à la mer Tyrrhénienne et aux colonies grecques d'Italie du Sud, est la Sardaigne, considérée juridiquement au même titre que la mère patrie africaine : « ceux qui viennent faire du commerce ne concluent aucune transaction en Libye et en Sardaigne si ce n’est pas devant un héraut ou un greffier [carthaginois] et tous les contrats passés en leur présence soient garantis au vendeur par la foi publique » (Polybe, Histoires, III, 322). Chez Polybe, toute la région qui, pendant « la guerre des Mercenaires » (241-237 av. J.-C.), se trouvait sous l'autorité de Carthage était couverte par le toponyme Λιβύη, y compris les cités (Polybe, Histoires I, 65-87). Le traité de 348 av. J.-C. reprend les termes de celui de 509 dans le but d'imposer aux Romains plus de restrictions. Carthage semble être devenue soucieuse de se mettre à l'abri de toute ambition expansionniste de Rome après les conquêtes de cette dernière dans le Latium. Les Puniques ne demandent pas seulement des garanties pour protéger leurs intérêts commerciaux maritimes, mais aussi imposent que : « en Sardaigne et en Libye aucun Romain ne fera du commerce ni ne fondera de ville ». La Sardaigne est assimilée à la Libye. Dans sa peroratio, Cicéron définit les habitants de la « provincia Sardinia » de la sorte : A Poenis admixto Afrorum genere Sardi : non deducti in Sardiniam atque ibi costituiti, sed amandati et repudiati coloni « des Afri mêlés aux Poeni descendent les Sardes, arrivés en Sardaigne non comme colons partis pour s'installer là-bas mais comme des colons chassés de leurs terres d'origine par mépris » (Cicéron, Pro Scauro 42). En gardant la distinction entre Afri et Poeni, Cicéron semble faire référence à un passé pas trop lointain. Il a recours - non seulement pour des raisons formelles - à l'histoire pour expliquer la contemporanéité, à savoir le caractère et l'attitude des individus qui accusent un fonctionnaire romain. Cette distinction ne semble plus actuelle à l'heure où Cicéron écrit : les Afri, censés être une émanation de l'Africa romana comme réalité administrative conventionnelle héritière de celle punique, apparaissent plutôt à côté des Poeni comme un peuple. Au fait, un Afer peut « préférer » se faire appeler d'un autre nom, celui de Sardus : Etenim testis non modo Afer aut Sardus sane, si ita se isti malunt nominari, sed quivis etim elegantior ac religiosior impelli, deterreri, fingi, flecti potest « en réalité, un témoin - et je ne suis pas en train de dire 'juste s'il est Afer ou Sardus ', si ce dernier est le nom qu'ils préfèrent se donner -, mais quiconque, même plus raffiné et probe, peut être contraint de dire des choses et à en taire d'autres, bref, à simuler et à perdre en dignité » (Cicéron, pro Scauro 15). A l’époque de Cicéron, le terme Africa, dans son acception restreinte, était utilisée comme dénomination administrative pour désigner, après 146 av. J.-C, la province instituée qui, depuis 40-39 av. J.-C, avait englobé le territoire de la Numidie cent ans auparavant, administré sous le nom de Africa Nova. Cicéron nous donne une identité sociologique des descendants des Afri et des Poeni qui accusent Scaurus, en précisant qu'ils avaient été « chassés » en Sardaigne comme colons pour autrui. Cette information est présente aussi chez le périégète grec de l’époque impériale Pausanias (Ier siècle ap. J.-C.) (Description de la Grèce, X, 17-18). En effet, ce dernier affirme que « des tribus sardes se réfugièrent dans le centre montagneux à l’époque de la conquête carthaginoise et les carthaginois furent contraints à faire cultiver les champs de blé par des colons emportés de Libye ».

33. La fréquentation de la Sardaigne, à travers les migrations, les conquêtes et les déportations de masse par des peuples considérés comme « autochtones » d’Afrique du Nord, est présupposée, dans les récits savants comme dans les contes populaires, comme une constante dès l’une des périodes les plus remarquablement anciennes de la Préhistoire. Les récits mythiques concernant la Sardaigne nous sont parvenus à travers la tradition littéraire historiographique gréco-latine. Cette dernière brosse le portrait d’un monde légendaire et lointain. Ce portrait est dû à la reconstruction d’un passé interprété en fonction des évènements contemporains des auteurs. Bien qu’on estime que l’élaboration de certains éléments mythographiques concernant l’Afrique et la Sardaigne remonte au moins au VII- VIe siècle av. J.-C. (Lilliu, 1992 : 20), les traditions écrites ont été établies en grande partie entre le Ier siècle av. J.-C. et le IIe après J.-C., c’est-à-dire en pleine apogée romaine. Le fil rouge des événements racontés est un continuum de conquêtes et de déportations qui font suite au premier peuplement de l’île, à la tête duquel il y avait un héros. A la base du mythe, il y a l’idéologie, de matrice essentiellement hellénique, qui met l’accent sur la suprématie de la civilisation apportée par le héros étranger sur la barbarie locale. Les sources étant diverses et éparpillées, en grande partie fragmentaires, le seul récit exhaustif et organique est celui du périégète d’âge impérial Pausanias. Dans sa « Description de la Grèce », il trouve l’occasion d’une digression sur la Sardaigne qui occupe un chapitre entier, ayant considéré cela comme nécessaire en raison du manque de connaissance de l’île auprès des Grecs. Le pathos narratif de Pausanias contient, dans un portrait mimétique structurellement cohérent, presque toutes les informations que l’on retrouvera chez des auteurs à lui postérieurs. Y émergent les éléments qui permettent d’identifier les noyaux de trois traditions différentes : 1) la tradition dite « gréco-orientale », fixée dans les milieux ioniens autour de Milète, au VIe siècle av. J.-C. (cf. Bondì, 1980 : 30 ; Nicosia, 1989 : 450) ; 2) la « tradition athénienne » (Ve siècle av. J.-C.), qui se caractérise par des interventions conçues afin de modifier la tradition précédente dans un sens utile aux intérêts économiques et politiques athéniens et carthaginois, en vertu des très bons rapports entretenus à l'époque entre Athènes et Carthage ; 3) les « traditions sicéliotes » (fin du IVe siècle et milieu du Ve siècle), qui rendent compte du fait que ces rapports d’équilibre se détériorent et entrent en conflit (cf. Perra, 1988 : 66). Le « forgeron hellénique » fait retentir alors fort son poids idéologique sur la vision d’une Sardaigne en fonction exclusive des rapports et des intérêts grecs dans la Méditerranée occidentale.

4Une origine « africaine » des ancêtres des Sardes est codifiée parmi les mythes fondateurs. Salluste (Ier siècle av. J.-C.) et Pausanias rapportent qu’une population arrivant d’Afrique du Nord s’était installée dans les régions méridionales de l’île, guidée par un héros fondateur divinisé sous l'éponyme de Σαρδώ. D’après ce récit, Σαρδώ, fils d’Hercule était appelé Makéris « par les Egyptiens et par les Libyens » et fut le premier à occuper la terre de Sardaigne.

5Sarde, fils d’Hercule, parti de la Libye vers la Sardaigne, (...) donna à l’île son nom (et appela l’île à partir de son nom) [Salluste : fragm. 4]

6Ce texte - qui nous est parvenu à l'état de fragment - l'était probablement déjà pour les auteurs postérieurs. Silius Italicus est l'un de ces écrivains qui, à la suite de l'héritage de l'œuvre de Salluste, aura l'occasion, au Ier siècle av. J.-C., dans l'un de ces poèmes épiques (XII, 355), de relater cette information. Pausanias (X) la rapportera en forme de chronique :

7On dit que les premiers qui sont passés dans l’île avec leurs navires étaient les Libyens, et que leur chef était Sarde de Makéris, fils d’Hercule.

8Il est explicitement mentionné par Pausanias (X) que Timée (350-260 av. J.-C.), qui écrivait de la Sicile à l'époque où la Sardaigne était encore sous l’administration de Carthage, était la source de ses réflexions. Timée était considéré par Polybe comme « méprisable parce que mauvais historiographe », notamment pour les « prétendues connaissances de la Libye et de la Sardaigne que ses textes vantaient » (Polybe, Histoires, (Polybe, Histoires, 73, XII, 4).

9Timée a exercé une fascination et une influence extraordinaire sur les auteurs anciens. Il semble, néanmoins, que pour certaines expressions figées, le périégète ait eu recours directement à Salluste. Un recours direct aux mêmes sources de Salluste (Ennius ou Caton) demeure plausible. (Bondì, 1987 : 32 ; Perra, 1988 :33).

10Ιχνούσσα est le nom utilisé, durant le VIe siècle av. J. -C., par les premiers géographes grecs pour indiquer la Sardaigne. L’occasion de parler de la Sardaigne s’est présentée à Pausanias (IV) alors qu’il était occupé à décrire les offrandes des peuples au sanctuaire de Delphes : ... une (statue) de bronze du Père Sardò, était l’offrande au sanctuaire de la part de ces barbares d'occident qui habitent la Sardaigne [tra. Perra, 1988 : 33]

11La dénomination plus ancienne, Σαρδώ, semble s’être affirmée dans le milieu grec postérieurement et ce, en conséquence des contacts plus directs entre les Grecs et les habitants de Sardaigne (cf. Perra, 1988 : 56). Une dénomination sur base onomastique Š(a)rdn- est attestée dans des documents qui remontent à des moments nettement antérieurs au VIe siècle. En Égypte, entre le XVIe et le XIIIe siècle
av. J. -C., il y a mention d’un peuple appelé Šerdani ; et il paraît que ces Šrdnzw (Srdynau) ont été frontaliers de l’Égypte et de la Libye, sous le règne d’Osorkon II (870-847 av. J.-C.) (Scandone-Matthiae, 1989 : 70). Dans l’inscription phénicienne de Nora (daté normalement du IX-VIIIe siècle av. J.-C.) (Guzzo-Amadasi, 1976 :88), il y a mention de l’île en tant que Šrdn, selon l'interprétation la plus accréditée chez les épigraphistes. La tradition de cette origine mythique des ancêtres des Sardes et de l’appellation même de Sardaigne sera reprise sans additions significatives pendant les siècles suivants par Soline (IIIe siècle ap. J.-C.) qui fait explicitement référence à Timée et Salluste, et par Isidore (IVe siècle ap. J.-C.).

12Les historiens s’accordent pour identifier le Σαρδώ de Pausanias avec le Sardus Pater dont la monnaie romaine portait l’effigie (cf. Moscati, 1988 : 54 ; Mastino, 1992 :34), et dont témoignent les ex-voto et les inscriptions bilingues punico-latines du temple d’Antas, dans la Sardaigne sud-occidentale, d’époque phénico-punique (V-IVe siècle av. J.-C.) et romaine (Ier siècle ap. J.-C.). Dans le récit de Pausanias (X), après un certain temps, des Λίβυες « passèrent encore une fois » en Sardaigne.

13La flotte des Libyens ne chassa pas les indigènes ; au contraire, ces derniers les accueillirent plus à cause de leur supériorité que pour bienveillance. (...). Ensuite, plusieurs migrations auraient eu lieu de la Grèce, d’Ibérie et d’Asie Mineure (...). Les Grecs dans le nord et les Africains installés au sud, les deux parties étaient en situation d’équilibre ; les deux populations étaient séparées par le fleuve Tyrse. Enfin, après plusieurs années, les Libyens passèrent encore une fois en Sardaigne en plus grand nombre, et commencèrent une guerre contre les Grecs. Les Grecs furent entièrement anéantis, ou bien très peu d’entre eux restèrent dans l’île : les Troyens se réfugièrent dans les endroits montagneux et gardent le nom des Ilienses bien qu’ils ressemblent aux Libyens physiquement, pour l’armure et pour leurs us et coutumes. [trad. Perra, 1988 : 33]

14La réverbération d’un impact quelque peu brutal avec des populations d’Afrique du Nord, arrivées au centre-nord de la Sardaigne dans une période antérieure à la conquête punique du sud de l’île, ne survit-elle pas dans la célébration d’un rite au cœur de la Barbagia la plus archaïque ? Le souvenir d’une débâcle de guerre serait évoqué lors d’une représentation rituelle, dans une sorte de cérémonie très vivace dans l'imaginaire et dans la pratique socialisante collective. Deux masques s'opposent en défilant solennellement à travers les rues du village barbaricien de Mamoiada, les Mamuthones et les Issohadores. Les premiers avec un masque de douleur en bois et déguisés en bœufs, sont « domptés » par les Issohadores, les lancers de lazzi, qui les entourent au pas rythmique d’une marche, et qui, en les fustigeant, les obligent à serrer les rangs. D'après l'interprétation classique de l’anthropologue Marchi (1956 : 1356), ce rituel évoque l'événement de l’arrêt de l'avancée des sos Moros [les Arabo-musulmans] en Sardaigne. Selon l’anthropologue Turchi (communication personnelle), il faudrait y voir plutôt la spécificité d'une influence méditerranéenne égéo-orientale et balkanique, plus spécifiquement dionysiaque, en relation avec des rites de fécondité agraire qui remonteraient au Néolithique. Certains éléments peuvent, toutefois, se prêter à une interprétation allégorique, là où au rite ancestral, plus profond, se serait superposé un fait de guerre, et plus précisément la mémoire d’une conquête des populations autochtones par « l’étranger ». L’intégration consécutive à la conquête aurait fait en sorte que cet événement soit « lu » comme si l’envahisseur venait vraiment de l’extérieur (de la mer). Selon la théorie de Marchi, les soumis, en effet, devraient être les envahisseurs « Maures ». Mais les Mamuthones « soumis » portent la mastruca, une veste traditionnelle en cuir retourné que les auteurs classiques attribuaient déjà aux autochtones sardes (cf. Cicéron Pro Scauro 86). Les vainqueurs seraient, par contre, caractérisés par une somptueuse et rouge « veste de Turc ». Cette dénomination peut être aussi un élément important dans la mesure où on la considère comme révélatrice d’une origine allogène des vainqueurs et elle établit un parallélisme entre les Mauri historiques et sos Moros présents dans l’imaginaire collectif. Marchi avait pu soutenir que sos Moros (< cast. los Moros) en Sardaigne étaient perçus en tant que menace contre l’ordre politico-social. L’expression sos Moros rend compte de l'intériorisation d'une tradition espagnole dans la construction idéologique d'un fait culturel local. L’identification populaire au niveau de l’idée de Maures sarrasins, cependant, représente un trait d’union idéal avec l’Afrique du Nord où le pillage fait fonction de fait social majeur, en vertu duquel l’étranger provient de la mer. Un pillage des côtes espagnoles, italiennes et sardes sous le drapeau de la Sublime Porte surtout par le biais des pirates musulmans « de la Berbérie maghrébine » (Casula, 1980 : 23).

15La référence de Pausanias aux mœurs libyennes n’est pas isolée dans la littérature classique, Varron (116 av. J.-C- 27 av. J.-C.) nous en parle en quelques détails (De re rustica II) :

16« [...] Certaines populations s’habillent en portant la fourrure de leurs chèvres, comme, par exemple, en Getulie et en Sardaigne [...] ».

17Nicolas de Damas (Ier siècle av. J. -C.) parle des Σαρδώλίβυες (Un recueil des coutumes, 137, III, 463) : « les Sardolibues n’ont d’autres accessoires que la tasse et le poignard ».

18« S'agit-il d'un peuple nomade d’Afrique ? Attestent-ils une migration libyenne en Sardaigne ? », se demande Desanges (1962 : 55). Et il rappelle que, sur cette question, « Gsell est sceptique. Au contraire, Dussaud croit à une ancienne migration, les Shardanes étant à l'origine libyens ». Selon Zucca (1980 : 34), l’ancienne tribu des Ilienses se serait contentée d’occuper le centre montagneux de l'île en conséquence d'une attaque de Libyens en Sardaigne d'avant l'arrivée des Carthaginois. L’occasion pour « dépasser le fleuve », et conquérir le reste de l’île, dont nous parlent les sources classiques, pourrait s'être présentée aux Libyens en rapport à la politique expansionniste carthaginoise dans la Méditerranée. On a la certitude que les Puniques avaient le contrôle de l’île d'après le traité de 509 av. J.-C. avec les Romains, mais la première information d’une campagne militaire carthaginoise en Sardaigne est relative à la défaite du général Malco - dont une date comprise entre 545 et 534 av. J.-C., a été proposée par Meloni (1987 : 56). Il y a des éléments pour penser que les événements qui ont poussé « les Libyens » de Pausanias à conquérir le reste de l'île soient à mettre en relation avec la « bataille d'Alalia », à savoir avec « la bataille de la mer sardonienne » des Anciens (Hérodote, I, 166 mais aussi Thucydide, I, 13, 6, Antiochos cité par Strabon, VI, 1, 1, Justin, XVIII, 7, 1 et XLIII, 5, 2). A une date comprise entre 541 et 535 av. J.-C, les Carthaginois et les Étrusques entrent en guerre contre les Grecs Phocéens qui avaient cherché à fonder la colonie d'Alalia en Corse : les Grecs sont obligés de fuir. La bataille d’Alalia mettra fin à la politique expansionniste grecque et établira la répartition de la Méditerranée occidentale entre les alliés Carthaginois et Étrusques, auxquels iront, respectivement, le contrôle de la Sardaigne et de la Corse. Une intervention carthaginoise de défense des colonies phéniciennes de l'île sarde étant désormais exclue (cf. Bartoloni, 1987 : 70), ce massacre de Grecs (ou de leurs alliés en Sardaigne) dont nous parle Pausanias, en conséquence de l’avancée des Libyens, peut avoir un sens politique en relation aux événements de la Bataille d’Alalia. Même si on n’en a pas trouvé de traces concrètes, l'hypothèse d’une ancienne présence grecque en Sardaigne a été prise en considération par les historiens. Compte tenu des données de la toponymie (cf. Hubschmid, 1953 : 45) et surtout des résultats les plus récents de la recherche paléoanthropologique (Cavalli Sforza, 1988 : 34), « il n'est guère possible de penser que la Sardaigne ait été exclue du mouvement commercial grec et des Ions de Phocée et d’Alalia en particulier. Des recherches ultérieures pourront jeter une lumière plus claire, mais il est certain que désormais on ne peut plus rejeter l'hypothèse que la même Olbia de Sardaigne ait connue, même pour une période brève, une présence grecque. Il semble pourtant vraisemblable que la tradition littéraire rend compte d'événements historiques quand elle parle d'un déplacement de colons grecs [...] » (Meloni, 1975 : 65). Comme l'a dit Gras (1995 : 23), « à côté de la Méditerranée du silence, telle que l’évoquait Hérodote à propos du commerce sur les côtes africaines, apparaît ainsi progressivement, au cours de l’Antiquité, une Méditerranée de cris de guerre qui retentissent de plus en plus souvent. C’est ce cri (alalé) qui donne le nom à la cité phocéenne d’Alalia, signe d’un nom forgé après coup, au moment où les Phocéens quittent la Corse ».

19Le rite de l’incubation, dont nous parle Aristote (384 av. J.-C.- 322 av. J.-C), dans un passage devenu célèbre sur la relativité de la conception du temps :

20« Le temps n’existe plus pour les Sardes qui s’endorment près des sépultures à leurs héros » (Physica, IV, 11), se prête à être rapproché aux rites des anciens peuples nord-africains. Hérodote (IV) rapporte que les « Libyens Nasamones » allaient pour la divination dans les sépulcres des ancêtres, ils s’y recueillaient en prière et puis s’endormaient : les visions eues pendant leur sommeil étaient à eux des présages ». Selon Pomponius Mela, qui écrivait dans l'année 43 ap. J.-C., les Augiles de la Cyrénaïque méridionale s’endormaient à côté des tombes de leurs ancêtres (Géogr. I, 53). La même tradition est attestée chez les « Mégabares » nord-africains par Diodore de Sicile (Ier siècle av. J.-C.) (Hist. Univ. XVII, 22-53) et Strabon (60 av. J.-C. - 24 ap. J.-C.) (Géo. XVII, 787). Bien que l'incubation se retrouve aussi chez les Grecs, la spécificité et la continuité historique de ce genre de pratique rituelle en Afrique du Nord est un trait permanent depuis la préhistoire jusqu’aux temps modernes chez les populations berbérophones (cf. Camps, 1997 : 252).

21Procope de Césarée nous a transmis la notice de la déportation en Sardaigne d’une population « rebelle » d’Afrique du Nord appelée Мαυροΰσιοι pendant la domination des Vandales (La guerre contre les Vandales, II, 13). Dans les sources grecques de l'époque romaine, Мαυροΰσιοι devient le correspondant de Λίβυες dans l'acception moins généralisée de Mauri des sources latines.

22« (...) parallèlement, il [Salomon] constitua, sous la direction de généraux, une autre armée et une flotte pour lutter contre les Maures établis en Sardaigne. Cette île (...), elle a été opprimée par les Maures qui y vivaient. Jadis, en effet les Vandales, que la colère animait contre ces barbares, avaient envoyé un petit nombre d'entre eux, avec leurs femmes, en Sardaigne et les y avaient mis en résidence surveillée. Au fil des temps, ces Maures occupèrent les montagnes situées dans les environs de Karanalis et ils commencèrent par s'y livrer à des brigandages clandestins à l'encontre des gens des alentours. Par la suite, quand ils furent au moins 3000, ils s'adonnèrent à des incursions à visage découvert et, sans songer le moins du monde à se cacher, pillèrent toutes les campagnes de la région, ce qui leur valut de la part des gens du cru le nom de Barbariciens. » (trad. Roques, 1990 : 45).

23Les tribus autochtones du nord de l’Afrique déportées par les Vandales en Sardaigne sont-elles reconnaissables dans les Barbariciens des centres montagnards de la terre de Barbagia ou dans les habitants d’une zone modérément montagneuse à l’est de l’ancienne Kar(an)alis (Cagliari), le Sulcis, appelés en sarde. Maureḍḍos/Maureḍḍinos ? Si Pais (1923) semble déduire du passage de Procope que « les Maures envoyés par les Vandales en Sardaigne cherchèrent refuge dans les montagnes et se mêlèrent aux indigènes qui étaient nommés, depuis l’époque d’Auguste, barbares », Boscolo (1980 : 56) affirme : « on ne peut pas dire dans quelle zone montagneuse ils se réfugièrent ; plus que dans le Sulcis, on peut estimer qu’ils s’étaient réfugiés dans la Barbagia actuelle » du fait que les Maourouses, qui s’étaient brouillés avec les Byzantins, les nouveaux conquérants de l’île, pouvaient trouver meilleur accueil et appui dans les zones montagneuses et inaccessibles du centre de l’île ». Procope (La guerre des Vandales II, 13) n’hésite pas à rapprocher les Maourouses aux populations sardes qui habitent les endroits montagneux de l'actuelle Barbagia. Chez Procope il y a référence aux faits suivants : 1) des Maures étaient appelés par les Byzantins par un ethnique dérivé du mot « barbare » en Sardaigne ; 2) les Maurouses n'étaient probablement pas les seuls « barbares » d'Afrique en Sardaigne. Le présupposé sous-jacent aux affirmations de Procope est qu’en Sardaigne il y avait déjà des populations assimilables (ethniquement, voire socialement) aux Maurouses d’Afrique. S'il l’a fait en référence au fait que ces populations avaient en commun l’habitude de se livrer au brigandage, comme le soutient Meloni (1989 : 45) : « les Sardes auraient nommé ces Maures de Barbariciens peut-être puisqu’ils les assimilaient, pour leurs actions, aux habitants du centre montagneux, la Barbagia »), il n’en est pas moins que Pausanias et toute une tradition avaient déjà documenté pour des Sardes de l’Antiquité de Sardaigne des « mœurs africaines et/ou africanisées ».

244. La question de la disparition des Maures des sources byzantines, où ils commencent à devenir rares au VIe siècle, au profit des Barbar des sources arabes, qui n’apparaîtront qu’au cours du IXe siècle, a été posée récemment par Modéran (2003 : 34), mais elle a intéressé plusieurs historiens et anthropologues dans le passé. Camps (1955 : 77) a proposé de voir dans le nom Barbar l’ancien ethnique autochtone « Bavares ». L’objection de Modéran (2003 : 44) est que les Arabes les auraient rencontrés, sur leur chemin de conquête du nord de l’Afrique, beaucoup plus tard par rapport à l’année 642 ap. J.-C., année où « le vainqueur de l’Egypte, Amr b. al As faisait vraisemblablement son entrée dans le monde berbérophone en rencontrant, à l'intérieur de la Cyrénaique, les Lawâta » (Modéran, 2003 : 34). Rouighi (2011 : 69) émet une hypothèse. Dans les sources grecques (Périple de la mer Érythrée - Ier siècle), Barbar désigne les habitants d’une région de l’Égypte à proximité de la mer Rouge qui prend le nom de « mer barbar » chez Ptolémée (90 ap. J.-C. - 168 ap. J.-C.). Les habitants de cette région de l’Afrique de l’est étaient connus par les Arabes préislamiques. Le poète Imru’ al-Qays (VIe siècle), parmi d’autres, parlerait de ces Barbar dans un poème cité par Ibn Khaldūn dans la Muqaddimah. Notre contribution au débat sur la désignation des « barbares » d’Afrique se base sur un parallélisme avec la Sardaigne antique et médiévale. Il nous semble, toutefois, préalable de poser la question de l’identification des Mauri - terme généralisé au IVe siècle ap. J- C.- aux Barbar. Est-il toujours admis par les historiens qu’« en fait les Berbères des Arabes sont les Maures des Romains » (Camps, 1996 : 45) ? Ou les Arabes ont appliqué leurs critères de classement des peuples sur la base ethnique (les généalogies) et tribale selon leur propre tradition d'historiens ? Comme souligné par Modéran (2003 : 89), la première occurrence sûre du mot Barbar devait se trouver dans l'œuvre d'Ibn al-Kalbī (VIIIe siècle), puisqu’Ibn Khaldūn rapporte qu'il distinguait les Kutāmā et les Sanhādja des « tribus berbères ». Le silence des auteurs latins sur les généalogies tribales ou sur un ancêtre éponyme (d’influence grecque ou arabe) est, d’après Modéran, « assez troublant ». Il se demande : « ne disaient-ils rien des généalogies tribales parce qu’elles ne correspondaient simplement pas à leur conception plus territoriale de la définition d’une communauté humaine ? ». En Ifrîqiŷa, les Arabes ont distingué plusieurs éléments : les Rūm, les ‘Afāriq et les Barbar. Schirmer (1892 :72) a été le premier à proposer une étymologie latine (˂ lat. Barbari) de l’ethnonyme arabe Barbar. L'acception d’un Autre « dépourvu d’éducation » de la forme grecque βάρϐαρος, aurait été historiquement assimilée par la culture romaine et, bien qu’avec une distance critique, par le Christianisme, à travers Augustin d'Hippone (ep. 199). Ce dernier définit comme barbarae gentes les tribus maures non évangélisées mais l'évangélisation n'était pas toujours un trait discriminant (cf. Gebbia, 1986 : 115). Le sens de « l’exclusion » propre au grec βάρϐαρος semble absent dans le correspondant latin BARBARI. Le modèle culturel d’assimilation de Rome conquérante est à la fois intégrationniste (dans les institutions) et culturaliste (dans la « tolérance » envers les cultes étrangers et la coutume des peuples). Il innovait par rapport au modèle grec, où le « barbare » restait en dehors de la πόλις et devait être tenu à distance. Comme le rappelle Sini (2006 : 78), « nell’intero arco del suo sviluppo storico dalla civitas all’impero, la res publica romana – e la sua religione politeista - è sempre stata caratterizzata dalla continua esigenza (e preoccupazione) di integrare l’“alieno” : dèi, uomini, spazi terrestri ; divinità dei vicini e divinità dei nemici, cerchi concetrici sempre più larghi, che potenzialmente abbracciavano l’intero spazio terrestre e tutto il genere umano. »

25La racine quadrilitère arabe BRBR, selon les grammairiens arabes d’origine étrangère ou onomatopéique, qui signifie « bredouiller », rappelle ce que dit Strabon des « barbares » en se prêtant, probablement, à être encadré au sein de la question des sources byzantines chez les Arabes. Le trait commun aux Rūm et aux ‘Afāriq était l'usage de la langue latine. Les Barbar sont traditionnellement considérés par les historiens modernes en dehors de la civilisation latine d'Ifrîqiŷa. Mais plus que la caractérisation socio-culturelle (l’organisation en tribus, petits royaumes ou petits groupes) et l'appartenance religieuse (des tribus « barbares » étaient répertoriées par les historiens arabes comme chrétiennes), c'était la langue berbère qui est retenue comme la marque d'un peuple par ces mêmes historiens.

26Camps (1995) met en évidence la rareté du mot « barbare » dans les inscriptions officielles d’Afrique, tout en signalant C.I.L VIII, 18219 (˂GENTILLIBUS BARBARIS˃) et C.I.L. VIII, 20827, région d’Aumale (˂BARBAROS CESOS AC FUSOS˃). Phonétiquement, on fait dériver ar. Rūm de lat. RŌMA, ar. ‘Afāriq de lat. ĀFRICA. Rūm avait acquis le sens, pour les Arabes, de « Byzantins parlant latin », par ce terme étaient désignés les « fonctionnaires » d’Ifrîqiŷa héritiers de l'administration romaine, « ces Grecs devenus représentants de la romanité » (Desanges, 1999 : 45). Les 'Afāriq étaient les autres héritiers de l'Africa romana, probablement, en grande partie, des « indigènes » latinisés.

27C'est probablement aux Byzantins que nous devons remonter et faire référence quand nous enquêtons sur les sources de l'ar. Barbar. Si Corippe désigne les Maures en général par gens comme par le pluriel gentes, les « Africains non romanisés » n'ont pas de statut ethnique durant les siècles de l'Empire romain, mais ils sont désignés sous leurs noms particuliers : « chaque gens a son nom répertorié par les géographes et parfaitement connu de l'administration impériale » (Camps, 1995). Quand on voulait employer un terme collectif, on utilisait les appellations de Numidae, de Getuli et surtout de Mauri (cf. Camps, 1995 ; Múrcia Sànchez, 2010). Comme le souligne Hamdoune (1998 : 3045-3052), « on trouve le mot natio dans Pline (Histoire Naturelle, V, 30), pour qualifier les peuples de l’Afrique proconsulaire et dans quelques inscriptions (C.I.L. VIII, 22729 ; V, 5267 A.E.1903,368 ) ». D’après Hamdoune (1998 : 3045-3052), « ce sont les inscriptions et les textes d’époque impériale qui permettent d’identifier un grand nombre de peuples de l’Afrique ancienne. Il faut attendre les écrits de Pline (Histoire Naturelle, V, 17, 21 et 30) et de Ptolémée (Géographie, IV, 1 à 3) pour avoir des informations plus précises sur la réalité des gentes » (voir aussi Desanges, 1962). Dans les sources grecques et latines tardives, dans Procope et Corippe, il n’y aurait pas mention d’une parenté commune comme facteur unitaire d’une gens (cf. Modéran, 2003 : 33). Cependant, le syntagme « Μαυρούσιον έθνη » est attesté chez Procope (La guerre contre les Vandales, II, 13, 28). Au VIe siècle l’utilisation du syntagme « Μαυρούσιον έθνη » est-il le reflet, dans un registre littéraire, d’une dénomination populaire déjà en usage ? Procope cite aussi des « Barbares Maures » au voisinage de Boréion, en Cyrénaïque (VI, 2, 21). Selon Modéran (2003 : 33), l’opposition entre gens et civis chez Corippe (La Johannide, chant IV, VI, VIII) est significative des termes culturels qui opposaient Maures et Romains en guerre : « elle exprime véritablement la vision corippéenne des rapports byzantino-berbères au VIe siècle, qui a toutes les chances, étant donné la nature et le public du poème, d’être aussi la vision officielle de l’Empire ». Cependant, comme mis en évidence par Gaudemet (1992 : 45), « le concept même de civitas dans les siècles IV et V est privé de son aura au profit de celui de populus ». La civitas romana, susceptible d’être définie en tant qu’ensemble d’hommes libres qui décident sans contrainte de former une communauté politico-religieuse organisée (cf. Cicéron De legibus 1.23) perd son « essence juridique » (Gaudemet, 1992 : 24) à partir de la constitutio antoniniana (212 ap. J.-C.). Si, par rapport à Rome et à son histoire, le terme civitas finit par avoir une vêture fiscale et juridique, dès la constitutio antoniniana, la citoyenneté étant attribuée à tous les habitants libres de l'empire, le terme civitas désigne un centre habité. Un rapprochement syntagmatique entre l’ensemble de cives, civitas, et le fait « barbare » - Civitatates Barbariae - est attesté en Sardaigne. Le premier document latin, dans lequel apparaît l'expression Civitatates Barbariae, est une épigraphe dédicatoire du siècle Ier av. J.-C. Elle est considérée comme une sorte de document de pacification forcée des populations de la Sardaigne centrale sous l’empereur Tibère. Les sources relatives aux Civitates Barbariae ne remontant pas au-delà de l'âge tibérien, « on doit croire, avec Ettore Pais, que c'est depuis le principat augustinien que les autochtones de la Sardaigne centrale n'étaient plus appelés Ilienses ou Iolaei parce qu’appelés par le péjoratif « barbares » (Zucca, 1989 : 56). Le terme civitas désignait, durant l'âge impérial, l'ensemble des cives, en devenant ainsi le synonyme de populus, voire d'un concept qui véhiculait en latin l'idée de différentes tribus qui partageaient une même affinité ethnique (cf. Irmscher, 1994 : 88). Selon Irmscher (1990 : 297), “bezeichnete der Grieche Claudian, den man den letzen großen lateinischen Dichter genannt hat den Mauren Gildo als barbarus und sprach von dessen Aushungerungspolitik gegenhuber Rom, er wage zwischen Leben und Hunger mit berberischem Hochmut : praebere cibos vitamque famemque librat barbarico fastu. Das war so in der Zeit des Kirchenvaters Augustin. In die Epoche Justinians aber gehört der Epiker Corippus der selbst aus Afrika geburtig, in seinem Lob freis des kaiserlichen Feldern Johannes die Turbe Maurorum Barbarisch nennt”.

28En Afrique, « les interventions du pouvoir impérial romain, directes ou indirectes, ont pour effet d’affaiblir les cadres tribaux et d’accélérer un processus d’acculturation individuel ou collectif. Des gentes tendent à s’organiser en civitates. Cette évolution se traduit par un changement de vocabulaire : les gentiles forment désormais un populus et sont dirigés par des principes civitatis » (Kotula, 1985 : 210). Civitatates Barbariae est attesté en Sardaigne pour une période où civitates avait la connotation de « peuple » et pas celle de « centre habité », d’après l’étude de Irmscher (1994 : 137). C’est dans le contexte des civitates barbariae que doit être interprété l’ethnique sarde « Barbariciens » attesté chez Procope (La guerre contre les Vandales II, XII, 39-45).

29Les habitants de Sardaigne étaient considérés comme « Qawm min al-Ifrānğ [Peuple du Pays des Francs] » par an-Nuwayrī (1268-332 ap. J.-C.) (Hist. du Maghreb) et explicitement de la même « race » des Berbères par Ibn Khaldūn (1332-1406 ap. J.-C.) (Hist. des Berbères). Pour l’historien arabe al-Idrīsī (1100-1165 ap. J.-C.) (4), « ...Wa ahl ğazirat Sardāniya fī al asl Rūm Afāriqa mutabarbirūn mutawaḥišūn min ağnās ar-Rūm wa hum ahl nağida wa ḥazm lā yufariqūn assilāḥ » [...(et) les habitants de l’île de Sardaigne sont des Rūm Afāriq « mutabarbirūn », de la même origine des Romains, (et) ils sont un peuple brave et qui ne se sépare jamais des armes] ». Selon Contu (2003 : 540), « le participe « mutabarbirūn », qu’Idrīsī utilise en référence à tous les habitants de Sardaigne, se prêterait à être traduit par « ils devenaient des barbares », si la source de l’historien arabe était Timée ou Dédore, ou « Barbariciens », si la référence était le nom couramment utilisé par les Byzantins en tant que terme ethnique pour la Sardaigne centrale dès les siècles V-VI ap. J.-C. Pendant les siècles V-VI ap. J.-C., « Barbariciens » devenait le nom couramment utilisé par les Byzantins afin de distinguer les habitants de la BARBARIA de Sardaigne (˃ sard. Barbagia) de ceux provenant des aires latinisées, appelées ainsi RȎMĀNIA (˃ sard. Romangia). Le terme Romania est attesté dans les textes latins à partir des années 330-340 ap. J.-C, le terme étant toujours employé par opposition aux « barbares extérieurs » (cf. Inglebert, 2005). En réalité, l’ambiguïté à laquelle se prête, dans le texte supra, le mot « mutabarbirūn » est celle entre « barbares » et « Berbères », une ambiguïté entièrement due à la traduction dans des langues de travail qui connaissent et le mot « barbares » et le mot « Berbères ». Il n'en est pas ainsi en arabe classique, qui connaît le seul Barbar dans le sens de l'ethnonyme « Berbère ». La structure syntagmatique de civitates barbariae et de Μαυρούσιον έθνη chez Procope répond, en partie, à la question historique concernant la connotation du lat. BARBARI dans la langue des Byzantins en Afrique et en Sardaigne qui doivent être considérés comme les sources des Arabes.

305. Les sources classiques révèlent une conscience historique et littéraire de la présence en Sardaigne des populations autochtones du nord de l’Afrique appelées Libyens, Maures, Maourouses et Afri (chez Cicéron). Les sources arabes confirment l’existence d’un espace libyco-berbère en dehors de l’Afrique en relation au fait « barbare » en Sardaigne. Il est possible de poser un parallèle entre des « barbares » de Sardaigne reconnus d’origine « africaine » non punique et les « barbares » d’Afrique chez les Romains, les Byzantins et les Arabes, les Civitates Barbariae étant documentées dans ce même espace libyco-berbère en dehors de l'Afrique des sources classiques, la Sardaigne antique et tardo-antique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Valeria Argiolas, « La Sardaigne libyco-berbère dans les sources gréco-latines et arabes »Asinag, 16 | 2021, 15-31.

Référence électronique

Valeria Argiolas, « La Sardaigne libyco-berbère dans les sources gréco-latines et arabes »Asinag [En ligne], 16 | 2021, mis en ligne le 01 février 2023, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/asinag/1519

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Auteur

Valeria Argiolas

Université Aix Marseille

CNRS, IREMAM, Aix-en-Provence

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