Institutions et diplomatie de l’Empire byzantin
Résumé
Programme de l’année 2022-2023 : L’historiographie des règnes des empereurs Constantin VII et Romain II.
Texte intégral
1Le séminaire de cette année est l’aboutissement d’une étude pluriannuelle centrée sur deux chroniques byzantines anonymes du xe siècle avancé : celle dite « la Continuation de Théophane » (Theophanes Continuatus) et celle du « Pseudo-Siméon ». Ces deux chroniques sont des compilations hétérogènes et leur étude consiste avant tout à analyser leurs sources. La première des deux, conçue comme la suite de la chronique de Théophane qui s’achève en 813, comprenait à l’origine deux parties, la biographie de l’empereur Basile Ier (867-886) et un aperçu des règnes de ses quatre prédécesseurs : Léon V, Michel II, Théophile et Michel III (813-867). Une troisième partie a ensuite été ajoutée pour la période de 886 à 944, adaptée de la chronique de Siméon Logothète (selon les modalités finement étudiées par Wahlgren 2019), ainsi qu’une quatrième, portant sur les règnes de Constantin VII et Romain II (944-963) non couverts par Logothète. Quant à la seconde chronique, dite du Pseudo-Siméon (du fait d’avoir été attribuée, à tort, par ses premiers éditeurs à Siméon Logothète), il s’agit d’une chronique « mondiale » qui va de la création du monde au règne de Romain II.
2Les deux premiers éléments, étroitement liés, de la Continuation de Théophane sont reconnus comme la source principale de l’histoire byzantine pour la plus grande partie du ixe siècle. Les chercheurs disposent également d’une chronique strictement parallèle, plus courte, rédigée au milieu du xe siècle par un haut fonctionnaire byzantin, dénommé Génésios. L’existence d’une source commune pour ces deux récits ne fait pas de doute. Une vision des événements distincte, encore plus brève, est fournie par la chronique de Siméon Logothète. Quant à la chronique du Pseudo-Siméon, elle propose un récit manifestement compilatif, tiré en partie de la chronique de Siméon Logothète et très proche, dans une autre partie, de Génésios et de la Continuation de Théophane. Selon une opinion répandue, ce complément au récit de Siméon aurait en fait été compilé à partir des deux dernières sources. Or, le but de l’étude comparée des textes au séminaire consistait à apporter la démonstration que la chronique du Pseudo-Siméon recèle, au contraire, la source commune tant recherchée de Génésios et de la Continuation de Théophane. Dépourvu d’ambitions littéraires, le « Pseudo-Siméon » reproduit cette source par passages entiers, sans modifications stylistiques.
3La découverte de larges échantillons à peine altérés de la « source commune » et le renversement de la hiérarchie traditionnelle des sources ont eu un double effet. Tout d’abord, dans le domaine littéraire, l’étude de l’art narratif des historiographes, cher aux byzantinistes depuis les travaux fondateurs de Jacob Ljubarsky et Alexandre Kazhdan, acquiert désormais une base solide. À Byzance, cet art consiste, en premier lieu, dans la manipulation des textes, et pour mieux apprécier l’effet littéraire obtenu par un auteur il convient d’avoir une idée claire de ses sources. Mais c’est dans le domaine proprement historique que les répercussions sont les plus fortes. Une analyse nouvelle des méthodes employées par les historiographes du xe siècle pour construire l’histoire du siècle précédent appelle à la révision de notre construction propre de cette histoire. Nous découvrons que plusieurs éléments retenus pour cette construction par les chercheurs sont en réalité issus d’une manipulation, par maladresse ou par intention, des sources qui en disent une tout autre chose. Il va de soi que l’analyse historique nous a amenés à faire appel à un large éventail des sources complémentaires, plus proches des événements que nos chroniques (voir Zuckerman 2017, 2023).
4Le séminaire de cette année s’est concentré sur la dernière période décrite dans les deux chroniques. Tant la Continuation de Théophane, réunie sous sa forme quadripartite dans le règne de Nicéphore Phocas (963-969), que la chronique de Pseudo-Siméon, compilée probablement au début des années 980, s’achèvent avec les règnes de Constantin VII (944-959) et de son fils Romain II (959-963). Pour cette période, les deux chronistes écrivent une histoire du temps vécu, et il est d’autant plus intéressant de constater qu’ils restent néanmoins fidèles à leur méthode, puisqu’il s’agit à nouveau d’une compilation. Bien sûr, ils n’utilisent plus les mêmes sources. C’est pourquoi, en plus de nos deux chroniques « traditionnelles », nous avons été amenés à examiner de près un récit historique anonyme, consacré aux règnes de Constantin VII et Romain II, qui avait été publié par Athanasios Markopoulos (1985) à partir du manuscrit unique, le Vaticanus gr. 163.
5Le savant éditeur a relevé les parallèles textuels de ce récit avec nos deux chroniques. Il a avancé l’hypothèse d’une source commune perdue reproduite à des degrés divers dans les trois ouvrages conservés. Cependant, une collation systématique des trois textes a vite montré que cette hypothèse n’est pas la plus économique. Nul besoin de supposer l’existence d’une source autre que le récit du Vaticanus gr. 163 lui-même. Ce texte est repris et développé dans la Continuation de Théophane (cf. Wahlgren 2019, p. 330). Quant au compilateur anonyme de la chronique de « Pseudo-Siméon », il abrège le texte de la Continuation. Avant de comparer entièrement les textes, j’ai exprimé l’opinion que le « Pseudo-Siméon » avait aussi accès au texte d’origine, celui conservé dans le Vaticanus gr. 163 (Zuckerman 2020, p. 465-466). C’est l’occasion de corriger cette appréciation hâtive. L’adaptation stylistique rendue indispensable par les coupures effectuées par le « Pseudo-Siméon » dans le texte de la Continuation rapproche deux ou trois fois son texte de l’original de celle-ci, le texte du Vaticanus. Or il s’agit de coïncidences si rares et légères que l’hypothèse d’un accès direct du « Pseudo-Siméon » au texte du Vaticanus semble désormais intenable et sans objet.
6Le récit du Vaticanus est le plus souvent présenté dans la recherche récente comme une continuation de la chronique de Siméon Logothète rédigée par l’auteur lui-même (cf. Treadgold 2013, p. 206). Après avoir examiné les arguments en sa faveur, nous avons retenu cette attribution.
7La question de l’auteur de la Continuation de Théophane est nettement plus complexe. Dans un débat qui dure depuis plus d’un siècle, le principal aspirant à ce rôle, avec des bons appuis, est un haut fonctionnaire byzantin du second tiers du xe siècle, Théodore Daphnopatès. Cependant, s’il était question à l’origine de lui attribuer l’ensemble de la compilation traditionnellement désignée comme la Continuation de Théophane, le stade actuel du débat est marqué par une distinction nette entre ses deux premières (livres I-V) et ses deux dernières (livre VI) parties. Ainsi Warren Treadgold (2013, p. 188-196) maintient l’attribution à Daphnopatès pour les livres I-V uniquement, dont la rédaction est antérieure d’une quinzaine d’années à celle du livre VI. Mais il ne reste pas moins que le Vaticanus gr. 167, l’unique manuscrit de la Continuation, la présente comme une seule œuvre.
8Sans prétendre apporter une solution définitive du problème, notre discussion au séminaire a sans doute contribué à en clarifier les termes. Il existe une grande similitude entre la méthode de composition utilisée dans les livres I-V et celle appliquée dans le livre VI : il s’agit toujours de transformer une source en un nouveau récit. Dans les livres I-V, la source principale est l’Histoire de Nicétas le Paphlagonien, « la source commune » que le compilateur soumet parfois à une réécriture, mais qu’il copie parfois mot à mot (voir Zuckerman 2017 pour les deux manières de procéder). Dans le long livre VI, le compilateur complète plutôt qu’il ne réécrit sa source, qui est d’abord une paraphrase de la dernière partie de la chronique de Siméon Logothète (Wahlgren 2019), puis une continuation de celle-ci (conservée dans le Vaticanus gr. 163). Nous avons penché pour l’option qu’il s’agissait dans les deux cas du même compilateur.
9L’analyse proposée nous offre l’image d’un Théodore Daphnopatès, démis de ses fonctions après l’arrivée au pouvoir de Nicéphore Phocas en septembre 963, reprenant le métier d’historien qu’il avait tenté, à la demande de son souverain Constantin VII Porphyrogénète, une petite quinzaine d’années plus tôt. Il complète l’histoire du ixe siècle composée à l’époque à l’aide d’une chronique récemment rédigée par son jeune collaborateur (nous avons insisté sur la « relation de travail » entre les deux personnages) Siméon (le futur) Logothète. La Continuation de Théophane n’est donc pas une addition mécanique de deux parties hétérogènes, mais une œuvre unifiée, telle qu’elle apparaît dans le manuscrit, composée par son auteur en deux temps.
10Indépendamment de cette reconstruction imagée, l’importance de l’exercice pour les étudiants réside dans la confrontation avec un texte multicouche dont les strates sont invisibles à l’œil. La Continuation de Théophane est une source essentielle pour tous ceux qui étudient l’histoire byzantine. Or, son récit bien construit fait facilement oublier qu’il s’agit d’une compilation dont l’exploitation historique dépend de la distinction de ses sources.
Références bibliographiques
11A. Markopoulos, « Le témoignage du Vaticanus gr. 163 pour la période entre 945-963 », Symmeikta, 3 (1979), p. 83-119.
12W. Treadgold, The middle Byzantine historians, New York, 2013.
13S. Wahlgren, « Symeon the Logothete and Theophanes continuatus », Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik, 69 (2019), p. 323-334.
14C. Zuckerman, « Emperor Theophilos and Theophobos in three tenth-century chronicles: Discovering the “common source” », Revue des études byzantines, 75 (2017), p. 101-150.
15C. Zuckerman, « Three notes on Byzantine sainthood and historiography », Travaux et Mémoires, 24-2 (2020), p. 437-466.
16C. Zuckerman, « The redemption of Emperor Theophilos by Empress Theodora and the Triumph of Orthodoxy », Travaux et Mémoires, 27 (2023), p. 363-410.
Pour citer cet article
Référence papier
Constantin Zuckerman, « Institutions et diplomatie de l’Empire byzantin », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 155 | 2024, 321-323.
Référence électronique
Constantin Zuckerman, « Institutions et diplomatie de l’Empire byzantin », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 155 | 2024, mis en ligne le 13 juin 2024, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ashp/7652 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11t5e
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